REVUE HISTORIQUE
DE LA
RÉVOLUTION FRANÇAISE
ET DE L'EMPIRE
Juillet-Décembre 1915
KF.V. HI.-T. DE LA RftV. FRAM;.
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REVUE HISTORIQUE
DE LA
RÉVOLUTION FRANÇAISE
ET DE L'EMPIRE
DIRECTEUR : CHARLES VELLAY
TOME HUITIÈME
Juillet-Décembre 1915
PARIS
AUX BUREAUX DE LA
REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
9, Rue Saulnier (IX')
1915
LA DUCHESSE DE BERRY
A BLAYE
JOURNAL DE LA COMTESSE D'HAUTEFORT
SA COMPAGNE DE CAPTIVITÉ
Après la Révolution de juillet 1830, la duchesse de Berry
s'embarqua à Cherbourg, avec toute la famille royale, et se rendit
en Angleterre, où elle resta jusqu'au 17 juin 1831. Rentrée à
cette époque sur le continent, elle traversa la Hollande, les pro-
vinces rhénanes, le Tyrcl, La Lombardie, et s'arrêta à Gènes. Le
roi de Sardaigne l'ayant priée de quitter ses Etats, elle alla à
Massa, y séjourna une semaine, se rendit à Lucques, où elle ne
resta que peu de temps, puis elle partit pour Naples, après s'être
arrêtée à Rome pendant trois semaines. Des devoirs de famille
retinrent la duchesse à Naples pendant quinze jours, puis elle
repartit pour Rome le 4 décembre 1831. Le 14 décembre, elle y
épousa secrètement Hector-Charles comte Lucchesi-Palli de
Campo-Franco. Elle se réinstalla à Massa, dans le duché de Mo-
dène, le 23 décembre.
Le 28 avril 1832, la duchesse débarqua en Provence et atten-
dit dans une bastide des environs de Marseille le résultat du mou-
vement carliste qui devait, disait-on, soulever cette ville dans la
nuit du 29 au 30. L'insuccès la força à partir ; elle parcourut le
midi de la France, passa à Toulouse le 4 mai, traversa successi-
vement Agen, Bergerac, Libourne et Blaye ; on la vit également
en Saintonge, dans la Vendée, et elle arriva enfin à Legé le 21 mai.
La prise d'armes qui devait avoir lieu le 24 mai fut retardée ju«-
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qu'au 4 juin. L'affaire du château de la Pcnissière détermina la
princesse à quitter le champ de bataille ; en conséquence, elle se
rendit à Nantes le 9 juin et trouva un asile dans la maison de
Mlles du Guiny. Elle demeura dans cette maison jusqu'au 7 no-
vembre 1832, jour de son arrestation. Aussitôt la princesse fut
enfermée au château de Nantes.
Le 8 novembre, le Ministre de l'Inlcrieur écrivait au préfet
de Maine-et-Loire : « La duchesse de Berry vient d'être arrêtée
à Nantes, le 7, à dix heures du matin. Le château de Saumur est
désigné par le gouvernement pour la recevoir. Je vous invite, en
conséquence, à vous rendre personnellement dans cette ville et
à vous concerter avec l'autorité militaire pour que les préparatifs
indispensables soient terminés sans retard. Comme il importe de
lever toutes les incertitudes et toutes les ^difficultés, vous agirez,
au besoin, d'office, et vous assurerez l'exécution des ordres du
gouvernement. N'épargnez aucune dépense, tous les frais seront
remboursés par mon ministère. Le château doit être prêt. Vous
choisirez le local le plus convenable à la fois et le plus sûr. La
duchesse de Berry doit être traitée avec tous les égards dûs à son
rang et à sa position. Les personnes en petit nombre qui reste-
raient attachées à son service, ne pourront sortir jusqu'à nouvel
ordre. Vous resterez vous-même à Saumur, en attendant ceux
que j'aurai à vous donner ultérieurement. Je m'en rapporte à
votre zèle éclairé, à celui des autorités qui vous sont subordon-
nées et à la précision de vos dispositions. Vigilance, égard et
sûreté, voilà ce que vous saurez concilier. Rendez-moi compte
par estafette du résultat de ces mesures, ainsi que de tous les
incidents de quelqu'importance. »
Le gouvernement changea d'avis et choisit la citadelle de
Blaye. Le 9 novembre, peu après minuit, la duchesse de Berry
quitta le château de Nantes et fut conduite à Saint-Nazaire. Le
même jour, on l'embarqua pour Blaye, où elle arriva le 15 novem-
bre, accompagnée de Mlle Stylite de Kersabiec, du comte de Mes-
nard et de sa femme de chambre Mlle Mathilde Lebeschu. M.
Chousserie, colonel de la légion de gendarmerie de la Loire-Infé-
rieure, qui n'avait pas quitté la princesse, fut nommé gouverneur
du fort. Mais bientôt le parquet de Nantes réclama Mlle Stylite de
Kersabiec, qui dut faire ses adieux à la princesse le 7 décembre,
et fut remplacée par Mme la comtesse d'Hautefort; cette dernière
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 7
arriva à Blaye le 28 décembre. Quant au comte de Mesnard *, il
fut réclamé par le parquet de Montbrison et partit pour cette ville,
le 10 janvier 1833 ; le comte Emmanuel de Brissac -, arrivé à
Blaye le 22 décembre 1832, le remplaça auprès de la duchesse.
Enfin la femme de chambre, Mlle Lebeschu, elle aussi réclamée
par le parquet de Montbrison, fut remplacée par Mme Hansler.
» »
Adélaïde de Maillé de la Tour-Landry naquit le 18 décembre
1787, de Charles-Henri-François de Maillé de la Tour-Landry,
marquis de Maillé de la Tour-Landr}^ et de Jalesnes, et de Jeanne
de Shéridan. Le 23 mai 1805, elle épousa, dans la chapelle de
Jalesnes (Maine-et-Loire), Jean-Louis Gustave, comte d'Haute-
fort, lieutenant-colonel des gardes du corps. En 1816, c'est-à-dire
à l'arrivée de la duchesse de Berry à la cour de France, la com-
tesse d'Hautefort lui fut attachée en qualité de dame de compa-
gnie. Comme elle avait une affection profonde pour la princesse,
elle demanda l'autorisation de partager sa captivité à Blaye.
Le 22 décembre 1832, le Ministre de l'Intérieur mandait au
préfet de Maine-et-Loire : « Je vous ai donné connaissance du
choix qui, à sa demande même, avait été fait de Madame de
Maillé-d'Hautefort pour se rendre au château de Blaye auprès de
Mme ia duchesse de Berry. Aucune objection n'ayant été élevée
à cet égard, il importe que Mme d'Hautefort hâte son départ. La
duchesse se trouvant privée de la présence qui lui devient indis-
pensable d'une dame de compagnie, ce poste ne pourra être mieux
rempli, et Mme d'Hautefort se prêtera sans peine aux sacrifices
qu'il impose personnellement. Son arrivée a été annoncée par
M. le comte de Brissac. Informez-vous sans retard de l'exécution
des recommandations que je m'empresse de vous adresser. —
Mme d'Hautefort devra être accompagnée d'un agent à nous, et
autant que possible voir peu de monde. Si elle nous donne le
moindre mécontentement, on agira avec elle comme avec Mme
de Castéja. ^ »
1. Né à Luçon le 18 septembre 1769, le comte de Mesnard, premier écuj'cr de
la duchesse de Herrj-, pair de France, mort le 18 avril 1842.
2. Né le 3 juillet 1793, le comte de Brissac, chevalier d'honneur de la du-
chesse de Berry, mort le 22 avril 1870.
3. On écrivait encore du ministère de l'Intérieur au préfet, le 22 décembre :
« \'ous êtes prévenu pour Mme de Maillé-d'Hautelbrt, mais n'ayant point eu
sa lettre je n'ai pu vous donner son adresse ; au surplus, chaque château a un
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Nouvelle lettre du ministère de l'Intérieur au préfet, le 23 dé-
cembre : « Il s'agit encore de Mme d'Hautefort. D'abord elle
réside, et vous le savez sans doute, au château d'Etiau par Baugé.
Le Ministre désirerait beaucoup que vous vous missiez en mesure
de la voir ; qu'elle fût avertie par vous de la bonne opinion qu'on
a de sa sagesse et de sa réserve, de la nécessité de justifier cette
opinion ; qu'elle vous donnât sa parole d'honneur d'aller droit
son chemin à Blaye, de ne prêter l'oreille à aucune proposition,
à aucune intrigue. Il ne faut pas que l'article Castéja devienne
aussi le sien. L'article agent, je l'ai discuté dans le sens des objec-
tions que j'ai eu l'honneur de vous adresser. Si vous avez quel-
qu'un, employez-le ; si vous pouvez faire surveiller, faites-le, tout
à votre discrétion. Il faudra qu'on entre dès larrivée au château.
Je crois avoir épuisé les prescriptions dont j'avais à vous faire
part. »
M. Barthélémy, préfet de Maine-et-Loire, s'empressa d'en-
voyer une estafette au château d'Etiau (Jumelles), pour avertir
la comtesse d'Hautefort. Voici la lettre qu'elle écrivit au préfet,
le 25 décembre, à 1 heure du matin : « Je reçois à l'instant votre
lettre. Sans une circonstance tout à fait imprévue, je ne retarde-
rais pas d'un instant à me mettre en route pour Angers et de là
pour ma destination. Mais la veille du jour où j'ai reçu votre pre-
mière missive, M. d'Hautefort était tombé gravement malade ;
et après vous avoir envoyé le reçu de votre lettre, j'en écrivis à
Paris pour charger une personne de mes amis d'instruire le
Ministre du triste motif qui m'empêchait d'accepter la faveur que
j'avais sollicitée. Depuis ce moment, mon mari se trouve telle-
ment mieux, que je n'hésite pas à revenir sur mon refus. Je vous
prie de vouloir bien faire connaître à M. le Ministre le plus tôt
possible ma dernière décision, mon consentement à partir aussitôt
que j'aurai reçu la dernière missive qui m'apprendra si le Minis-
tre ne m'a point remplacée, d'après le refus que j'avais été obligée
nom dans vos dcpartemenls. — Un agent qui accojnpagne, c'est bien aisé à
dire. Mais le but de cette disposition est évident, c'est d'empêcher la dame de
confiance de la duchesse de bavarder, de nouer des intrigues, de voir du monde.
En avez-vous les moyens ? Tout dépend de son caractère personnel. — Si vous
avez a vous en plaindre, elle sera refusée, après avoir été admise, comme l'a été
Mme de Castéja, qui s'était établie à Blaye, où elle attachait ostensiblement les
fils de ses intrigues. 11 faut un Sixte-Quint femelle, et les verrous seuls peuvent
en répondre. » (Archives de Maine-et-Loire).
LA Dl'CHESSE DE BERRY A BLAYE 9
de lui envoyer à mon grand regret. Vous concevez qu'il serait
extrêmement pénible pour moi d'arriver à Blaye pour être obli-
gée de revenir sur mes pas, sans avoir même vu Madame la
duchesse de Berry, ce qui pourrait arriver si dans l'intervalle de
mes deux décisions on avait nommé une autre dame à ma place.
Aussitôt et à l'instant même que j'aurai reçu votre réponse, je
partirai pour Angers. »
Arrivée le matin du 25 décembre à Angers, l'estafette repartit
aussitôt pour le château d'Eliau afin de prévenir la comtesse
d'Hautefort qu'elle pouvait partir pour Blaye. Le même jour, elle
quitta sa demeure, vit le préfet en passant à Angers et arriva ù
Blaye le 28 décembre '.
Nous allons maintenant lui laisser la parole. Voici les « notes »
qu'elle écrivit à Blaye pendant qu'elle était la compagne de capti-
vité de la duchesse de Berrv - .
Dès le jour où j'appris la nouvelle de l'arrestation de
Madame la duchesse de Berry, je fis des tentatives de tous
côtés pour obtenir la permission d'être enfermée avec elle.
Ayant été refusée, je renouvelai mes démarches avec tant
d'ardeur, que je parvins enfin au but de mes vœux ^, Ce
n'était pas cependant sans inquiétude que je laissais M.
d'Hautefort encore très souffrant après avoir été gravement
malade ; mais il désirait aussi vivement que moi me voir
appelée à partager une si noble infortune ; et du moment
1. Le 31 décembre 1832, le colonel ('houssorie écrivait au préfet de Maine-
et-Loire : « Mme d'Hautefort est introduite près de Mme la duchesse de Berry.
J'ai lu avec bien du plaisir ce que vous me dites de son caractère et de ses in-
tentions, et j"aime à y voir une garantie contre toute tentative aj'ant pour objet
l'évasion de la princesse. »
2. Le manuscrit est intitulé : Quelques noies écrites à Blaye. Il a été donné
par Mme d'Hautefort à sa cousine Mme la vicomtesse Arttiur de Cumont, qui a
bien voulu me le communiquer.
3. <( Note plus récente » de Mme d'Hautefort. — « J'avais écrit à M. Thiers
et au maréchal Soult qui m'avaient refusée et dont j'ai montré les lettres à
Madame. Ayant appris que Mme de Castéja était renvoyée de la ville de lilaye,
où elle attendait en vain son admission à la citadelle, je renouvelai mes démar-
ches, et j'eus recours à l'obligeance d'un légitimiste fameux qui, pour réussir,
s'adressa aux puissances du jour, ainsi que je l'avais fait avec moins de bonheur
et d'habileté. Nous avions raison tous deux en suivant cette marche : fallait- il
'adresser à Prague pour obtenir l'enirée de la prison de Madame ? »
10 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
OÙ il fut en convalescence, je me mis en roule. Je partis
d'Etiau le jour de Noël. Le préfet de Maine-et-Loire m'avait
mandé que M. de Brissac avait dû m'annoncer à Blaye, où
il devait être arrivé.
M. Barthélémy me priait de passer par Angers et de
m'arrêter à la préfecture. Cette prière me parut un ordre :
je m'y rendis. Il me reçut avec politesse et me proposa un
surveillant, ce qui ne me fit guère plaisir ; mais c'était
encore une de ces propositions que je ne pouvais refuser,
et du moins je n'eus qu'à me louer de ce compagnon de
voyage improvisé. Il m'était défendu de m'arrêter dans la
ville de Blaye et d'avoir aucune communication avec per-
sonne sur ma route : c'était à ces conditions que je pouvais
pénétrer jusqu'à Madame.
En arrivant à Blaye, un aide de camp du colonel Chous-
serie vint me chercher à ma voiture pour me conduire à
pied dans la citadelle. Nous y trouvâmes le gouverneur, qui
me mena chez Madame. Je ne puis rendre les diverses
émotions dont j'étais saisie en parcourant ces tristes lieux,
et surtout en abordant l'auguste prisonnière. Elle m'em-
brassa et parut contente de me voir. Pour moi, j'éprouvais
en ce moment un vif sentiment de bonheur et d'orgueil de ma
captivité volontaire. La princesse voulut me faire connaître
elle-même tous les détails de notre habitation, et cet examen
ne fut pas long. J'avais aussi jeté un coup d'oeil sur l'exté-
rieur de cette prison et j'essayerai d'en donner ici une idée.
Trois lignes de fortifications séparent la ville de l'habi-
tation de Madame. La première ligne est formée par les
cônes qui régnent autour de la forteresse, excepté du côté
de la mer. D'immenses fossés forment la seconde ligne, puis
viennent les glacis et les remparts qui dominent l'intérieur
et le cachent entièrement au dehors. La troisième ligne se
forme d'une double palissade de fortes planches qui ren-
ferme la maison de l'illustre prisonnière.
Un brick (la Capricieuse) et deux chaloupes canonnières
défendent l'entrée de la citadelle du côté du fleuve.
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 11
Quant à l'insalubrité de la place, à voir la verdure qui
dans un beau jour d'avril se développe dans ses alentours,
on pourrait croire la position plus saine qu'elle ne l'est réelle-
ment, si l'on ne s'apercevait bientôt de l'extrême variété de
l'atmosphère. D'ailleurs, les marais qui bordent la citadelle
du côté de la Gironde et qui sont produits par la marée
lorsqu'elle se retire, donnent nécessairement des miasmes
fétides, surtout pendant une partie de l'année.
Toutes les rues qui composent l'intérieur de la citadelle,
sont occupées par les troupes et tout ce qui concerne leur
service. La place est défendue par 1000 à 1100 hommes de
garnison et par 60 canons. En dehors, une ligne de police
militaire a été établie.
Lorsqu'on a franchi ces lignes de toutes sortes par des
ponts, des guichets, des corps de garde, qui n'inspirent pas
des idées bien gaies, on est encore plus attristé par l'aspect
misérable de cet amas de vieilles baraques qui formaient
autrefois l'ancienne ville et composent maintenant l'intérieur
de la place. Il n'y a point de donjon, et toutes ces maisons
se ressemblent. Elles n'ont généralement qu'un étage au-
dessus d'un rez-de-chausséê très bas ; elles sont mal bâties,
et leur couleur sombre atteste leur vétusté. Celle qui est
occupée par Madame la duchesse de Berry ne diffère des
autres que par le double rang de palissades et les nombreux
postes dont elle est environnée. Ce qui la fait encore recon-
naître, ce sont les barreaux que l'on a placés à toutes les
fenêtres, d'où l'on ne découvre d'autre vue que celle des
casernes et des remparts qui bornent l'horizon.
L'appartement qui sert de prison à Madame et à ses
compagnons d'infortune, est précédé d'une antichambre
ayant à côté une pièce occupée constamment par un officier
de garde et un sous-officier de gendarmerie, chargé d'avoir
l'œil au guichet pratiqué dans la porte qui ferme l'entrée de
l'appartement. Elle ouvre sur un corridor qui serait assez
spacieux s'il n'était encombré de meubles qu'on y a mis pour
le service. Il est terminé à son autre extrémité par une petite
12 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
salle à manger, dont la porte doit toujours rester ouverte
afin que le gendarme puisse surveiller ce qui s'y passe lors-
que Madame est à table. Toutes ces pièces sont fort p>etites.
Celle-ci est moins triste que les autres, la fenêtre ayant vue
sur la rivière quand l'œil a dépasse les masures, casernes et
guérites qui l'en séparent. Tout auprès de la salle à manger
on a placé un tour par lequel on fait passer le dîner. Un
gendarme est de garde de l'autre côté du tour où sont situées
les cuisines.
Dans le corridor on trouve encore deux portes. Celle qui
est plus près de l'entrée, conduit à un couloir qui précède
ma chambre. Elle est très sombre, n'aj^ant qu'une fenêtre
dans un coin. Ma femme de chambre est auprès de moi et
tous les soirs on nous enferme lorsque je suis retirée dans
ma petite prison particulière '.
Enfin la dernière porte donnant dans le grand corridor
est celle du salon de Madame qui sépare sa chambre de
celle de M. de Brissac. Celle-ci étant sans cabinet, Son
Altesse Royale m'avait destiné l'autre. Mme Hansler, femme
de Madame, occupe le cabinet qui est à la suite de sa cham-
bre et n'a pas d'autre issue que cette chambre et le salon.
Les meubles sont très simples. Les repas sont convena-
bles sans luxe. Madame ne veut recevoir du juste milieu que
ce qu'elle est forcée d'accepter, la nourriture et le logement;
mais elle tient un compte exact de ses dépenses particulières.
« La Pistole n'est pas mauvaise » disait Madame, en faisant
allusion à cette expression de Sainte-Pélagie.
Chaque malin on ouvre toutes les portes. Une femme
de service vient faire du feu dans les chambres ; cette
femme ainsi que le valet de chambre, payés par le gouver-
nement, sont les seules personnes qui nous servent. Ils s'en
1. Note de l'auteur. — « Un des grands inconvénients de ma chajnbre, c'est
d'y livrer passage à tous les prisonniers, même aux gens de service, pour aller
aux lieux d'aisance. I/odeur en est tellement forte, qu'elle m'empêchait de
dormir les premiers jours. Madame eut la bonté de réclamer à ce sujet : on fit
quelques réparations à ce cabinet, mais ma chambre n'en resta pas moins sa
seule issue. »
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 13
acquittent, au reste, convenablement et avec assez de zèle.
Ils ne doivent avoir aucune communication hors de l'inté-
rieur, dont il ne leur est jamais permis de sortir. Le domes-
tique loge à côté du corps de garde : tous les matins deux
soldats vont le chercher et le ramènent le soir dans sa
chambre. Le personnel de l'appartement de Madame est
complété par deux perruches et un joli petit chien envoyé
par Mme de Preissac et nommé par Madame Beivis comme
le fidèle compagnon du vieux cavalier, dans Woodstock.
Le petit jardin dont nous avons la jouissance, a son
entrée par un escalier extérieur donnant sur une cour où se
trouve encore un poste. Ce jardin, planté de choux, est
entouré de murs à l'exception d'un espace de dix pieds
fermé par une claire-voie qui laisse apercevoir au loin la
Garonne et le fort Pâté.
L'usage des prisons est de fermer les fenêtres avant la
nuit. Si le prisonnier veut renouveler l'air de sa chambre,
si sa cheminée vient à fumer, il faut qu'il prenne son parti
d'étoufîer ; autrement il y aurait danger pour lui. C'est ce
qui est arrivé un soir à Madame. La sentinelle lui cria :
« Fermez la fenêtre, ou je vais vous tirer un coup de fusil.
— Vous n'atteindriez que le plafond ! » dit-elle sans s'émou-
voir. Cependant le factionnaire fut mis en prison pour
quinze jours, mais Madame obtint sa grâce. Toujours est-il
qu'il est en droit de tirer si le prisonnier s'obstine à laisser
sa croisée ouverte après plusieurs avertissements. Lorsque
la princesse veut faire cette grande entreprise, il faut en
prévenir l'officier de garde qui va en avertir les deux soldats
en faction sous l'appartement de Madame.
1" janvier 1S33. — Le curé de Blaye vient dire la messe
chez Madame tous les dimanches, et l'on transforme alors
la petite salle à manger en chapelle. Ce matin, après la
messe, le colonel Chousserie est venu offrir des fleurs à Son
Altesse Royale. Elle nous a dit que dans sa conversation
particulière avec lui, il lui avait donné quelque espoir d'une
14 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
prochaine fin à sa captivité, lorsque Naples ou l'Espagne
la réclamerait.
Les journaux légitimistes sont interdits à Madame. On
lui permet le Nouvelliste, les Débats, le Temps, le National,
le Courrier et le Charivari qui l'amuse assez.
Son Altesse Royale avait demandé l'ouvrage de M. de
Chateaubriand qui vient de paraître, mais elle n'a pu l'obte-
nir. Les extraits que nous en avions lus dans les journaux,
nous avaient donné le plus vif désir de le lire en entier.
Madame la duchesse de Berry aime la lecture et lit avec
tant de rapidité qu'elle semble seulement parcourir le livre
qui tombe sous sa main. Mais en quelques instants sa vive
intelligence a saisi ce qu'il y a de remarquable dans l'ou-
vrage qu'on lui a vu pour ainsi dire feuilleter. Si elle en
parle longtemps après, c'est avec une finesse d'observation,
une exactitude de détails qui prouvent à la fois la sagacité
de son esprit et la sûreté de sa mémoire. Nos lectures et
celle des journaux sont un sujet perpétuel de conversation ;
car nous lisons beaucoup, et ^ladame, essentiellement socia-
ble, n'impose aucune gêne à ses compagnons d'infortune
dans ces entretiens qui n'excluent pas une discussion polie.
— Tout en causant, la princesse a l'habitude de s'occuper
de quelqu'ouvrage ; et, bien qu'elle en entreprenne beau-
coup à la fois, comme elle travaille vite et avec adresse,
ils sont promptement terminés. C'est surtout à nos veillées
que Madame s'établit à son métier de tapisserie, et moi au
mien, pendant que M. de Brissac et M. de Mesnard nous
lisent les journaux. Souvent aussi Madame préfère nous en
faire elle-même la lecture.
3 janvier. — Un piano est installé dans le salon depuis
hier. Madame l'avait demandé pour Mme de Castéja quand
elle a dû venir. S. A. R. a besoin d'entendre un peu d'harmo-
nie : je ne sais si la mienne a fait du bien à ses nerfs * ,
mais elle a mieux dormi cette nuit. — A propos de Mme de
1. Mme d'Hautcfort était une véritable virtuose, dit le D"^ Ménière.
LA DUCHESSE DE BERKY A BLAYE 15
Castéja, Madame m'a raconté ce qui l'avait empêchée d'en-
trer dans la citadelle. C'est parce qu'elle a reçu à Bordeaux
la visite de quelques royalistes. Je la plains d'avoir échoué
au port, mais d'après sa mésaventure je ne regrette plus les
précautions que l'on a prises pour m'interdire toute relation
en route ; car, sans cette mesure de rigueur, j'aurais peut-
être eu le même sort.
5 janvier. — Madame a reçu hier des lettres de ses
enfants et de Madame la Dauphine. Ce sont les premières
depuis son arrivée à Blaye. Celle de Louise commence ainsi :
« Ma chère maman, je ne pense qu'à vous, je ne 'parle que
de vous, je ne serai heureuse que lorsque je vous reverrai,
etc. » Cette lettre est aussi mal écrite qu'elle est touchante,
et l'on voit de quelle émotion était agitée celle qui tenait la
plume. Ils venaient d'apprendre l'arrestation de Madame. —
Ces lettres ont occupé S. A. R. toute la soirée, et la conver-
sation a été fort animée sur cet intéressant sujet. Elle m'a
répété ce qu'elle me dit presque tous les jours, qu'elle ne
peut assez reconnaître la tendresse toute maternelle de sa
belle-sœur pour ses enfants, et qu'ils ne peuvent être en
meilleures mains puisqu'ils sont séparés de leur mère.
9 janvier. — Ce matin le colonel a accompagné S. A. R.
sur le rempart. La vue y est admirable du côté de la
Gironde. Mais quand notre guide, quittant ce beau pano-
rama, nous a fait traverser les vilaines rues de la citadelle
pour rentrer sous nos verrous, je me suis senti le cœur
serré, d'autant plus que les soldats qui se trouvaient sur le
passage de Madame se rangeaient en silence sans lui présen-
ter les armes.
Pendant cette promenade, notre princesse nous a fait
une terrible peur. Son pied a glissé, et elle est tombée à
quelques pas du bord qui domine en cet endroit des marais
à une hauteur immense. Madame m'a fait remarquer que
M. Chousserie avait pâli en se précipitant pour la relever.
Il avait partagé avec elle d'autres dangers encore i)lus immi-
16 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
nents, ayant été embarqué avec S, A. R. sur un mauvais
navire par les autorités de Nantes, malgré un temps atroce
qui a duré pendant toute la traversée. On sait que la tempête
devint plus violente en approchant de la Gironde. « Nous
avons été, me dit M. Chousserie, à deux pas de la mort. »
— Il racontait à Madame qu'il aurait pu la prendre en Bre-
tagne, dans une ferme où elle était cachée ; mais qu'il avait
craint l'exaspération de la garde nationale de Nantes, qui
la cherchait avec lui.
ÎO janvier. — Départ de M. de Mesnard pour Montbri-
son. Nous regrettons notre compagnon de réclusion.
18 janvier. — M. Chousserie disait hier à Madame : « Je
demande pardon à S. A. R. de la comparaison, mais elle
me semble un gladiateur qui, dans ce moment, fixe les
regards et tient tète à toutes les attaques. — J'espère au
moins, répliqua Madame en riant, que ce n'est pas le gla-
diateur mourant ! »
23 janvier. — Quand on voit paraître une lumière dans
les appartements après minuit, l'un des factionnaires va en
prévenir au corps de garde d'où l'on fait avertir l'officier de
semaine, et celui-ci fait aussitôt doubler tous les postes.
C'est ce qui est arrivé la nuit dernière. Madame était un peu
indisposée : en un instant tous les postes ont été doublés.
Ce matin le rapport en a été fait au gouverneur, qui a
envoyé savoir si S. A. R. avait été malade. — Quel ennui
de ne pouvoir garder un bougeoir après minuit sans mettre
sur pied toute la citadelle 1 Nous sommes au secret, dans
toute l'acception du mot. Lettres ouvertes et passées à je
ne sais quelle composition chimique, nulle communication
au dehors, en un mot séquestration complète.
25 janvier. — Visite d'Orfila et Auvity ^ . Madame ne
1. Le colonel Chousserie, inquiet sur la santé de la princesse, avait adressé
au gouvernement des rapports peu rassurants. Le ministère envoya alors à
Blaye MM. Ortila et Auvity.
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 17
m'avant demandée qu'après leur départ, je n'ai même pas
aperçu ces Messieurs. J'avoue que j'en ai été vivement
affligée. Ils auraient pu donner de mes nouvelles à ma
famille ; j'en ai pleuré de bon cœur. Madame s'en est aperçue
à déjeuner et a cherché à réparer de mille manières la peine
qu'elle avait pu me causer en m'éloignant.
29 janvier. — Seconde promenade sur les remparts avec
notre escorte ^ .
2 février. — Le colonel a écrit à M. de Brissac que,
d'après de nouveaux ordres, il lui était interdit d'écrire à
toute autre personne qu'à Mme de Brissac ; de même que
je devais borner ma correspondance à M. d'Hautefort, —
Quoique je me fusse engagée à n'écrire et recevoir que des
lettres non cachetées et que le charme de l'intimité fût nul
dans de pareilles relations, j'ai été péniblement affectée de
ce surcroît de rigueur. Ce qui m'aidera à la supporter, c'est
de voir Madame partager tous mes sentiments à cet égard.
3 février. — Le gouverneur est changé ; le général Bu-
geaud le remplace.
Madame est entrée de bonne heure chez moi en peignoir,
tenant à la main la lettre par laquelle M, Chousserie lui
apprend son rappel. Elle s'est exprimée vivement sur ce
sujet et ne veut pas voir son remplaçant. J'étais d'un autre
avis, pensant qu'il y a peut-être plus à gagner à le recevoir
qu'à l'éloigner. S. A. R. n'a pu s'y résoudre.
4 février. — Madame oublie souvent qu'elle est prison-
nière et qu'elle ne peut refuser sa porte à celui qui com-
mande ici. M. Chousserie n'a jamais abusé de cette con-
trainte insupportable. Nous verrons si son successeur aura
autant de tact et de mesure. — En attendant, l'auguste pri-
sonnière a été obligée de le voir, non en visite, puisqu'elle
avait déclaré qu'elle ne le recevrait pas ; mais il est venu
prendre connaissance de l'appartement. Il était conduit par
1. Aofe de l'auteur. — « Ce sont les deux seules promenades que j'aie faites
pendant mon séjour à Blaye. »
hKV. IllST. DK LA RtVOL. 2
18 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
le colonel Chousserie, assez embarrassé de cette commis-
sion, et qui l'a présenté à demi-voix. La princesse lui a fait
une inclination de tête sans se déranger de son ouvrage.
M. Bugeaud a assez bien commencé : « Je ne puis concevoir,
Madame, a-t-il dit, comment le changement d'un comman-
dant peut vous causer autant d'indignation ; mais je respec-
terai vos préjugés contre moi, et ne vous importunerai point
de ma présence. — Messieurs, a dit Madame, vous pouvez
continuer la visite de cet appartement. » Ils ont passé dans
la chambre, et en revenant le général a repris son discours :
il avait été, disait-il, chargé d'une mission particulière
auprès d'elle, mais il ne pourrait lui en faire part que lors-
qu'elle consentirait à le recevoir. « Monsieur, vous pouvez
me la communiquer par écrit. — Je ne suis pas autorisé à
le faire autrement. Quand vous serez disposée à m'entend re,
vous me donnerez vos ordres, Madame, et, a-t-il ajouté en
élevant beaucoup la voix, je tâcherai de concilier les égards
que je vous dois avec mon dévouement au Roi que nous
avons élevé sur le pavois. »
8 février. — Madame la duchesse de Berry a adopté
envers le nouveau gouverneur un plan qui me paraît conve-
nable et digne. Elle lui a fait dire que l'espèce de rigueur
dont elle s'armait contre lui, ne lui était point personnelle,
mais qu'elle voulait prouver au gouvernement son mécon-
tentement, ne pouvant regarder que comme une nouvelle
vexation le renvoi du colonel Chousserie, qui avait su con-
cilier les égards qu'il devait à sa prisonnière avec les ordres
dont il était chargé.
M. Bugeaud m'a fait demander si je voulais le recevoir
chez moi. Après avoir pris les ordres de S. A. R., je l'ai
reçu. Il m'a dit que puisque Madame ne voulait pas le voir,
il me priait de lui transmettre la commission dont le Roi
l'avait chargé pour elle. Ce n'était autre chose que de dire
à S. A. R. que le Roi ferait pour elle tout ce que les circons-
tances lui permettraient de faire ; que si elle était sa prison-
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 19
nière, elle n'avait qu'à s'en accuser elle-même, en se jetant
dans une entreprise qui ne pouvait lui réussir ; qu'au reste,
il était inutile qu'elle fît aucune démarche auprès de sa
tante, puisqu'il prenait autant d'intérêt à son sort que la
Reine elle-même '.
— Un sujet de discussion qui s'élève souvent entre
Madame et nous, c'est le jury. Elle aurait voulu être jugée
par cette Cour et l'avait demandé dans une lettre qu'elle
avait écrite au maréchal Soult avant mon arrivée. M. de
Brissac et moi nous sommes d'un avis contraire, trouvant
que le principe est sauvé du moment où l'on n'a pas jugé
Madame comme une personne ordinaire : ce principe que
le Ministère lui-même semble avoir reconnu en se réservant
de statuer sur le sort de Madame, faute remarquable de M.
de Broglie que Berryer a relevée avec son beau talent. Peut-
être Madame eût-elle été acquittée, mais ne compromettait-
elle pas sa dignité, en reconnaissant facilement un tribunal
qui ne pouvait avoir de droits sur elle ? D'ailleurs, le gou-
vernement n'eût jamais consenti à ce jury,
9 février. — Lettre d'Orfila et Auvity dans les gazettes.
Ils ne parlent que de la salubrité et des agréments de la cita-
delle, sans dire un mot de la santé de celle qui y est recluse.
13 février. — Triste anniversaire - . Le curé est venu
dire la messe. Madame paraissait plongée dans ses doulou-
reux souvenirs et priait avec ferveur. Ses yeux étaient rou-
ges et attestaient qu'elle avait passé la nuit à pleurer.
i4 février. — Seconde visite du général Bugeaud. Il
1 . Cette recommandation était superflue. Jamais Madame n'a fait aucune démar-
che, écrit ni fait écrire aucune lettre à Louis-Philippe et les siens pour quoi que
ce soit pendant cette longue et cruelle captivité. Cependant personne ne pouvait
avoir autant de répugnance que Madame pour la privation de sa liberté, même
avant d'en avoir éprouvé toutes les rigueurs. « Quand j'étais en Vendée, disait-
elle, manquant de tout, mangeant un morceau de pain d'orge en 24 heures et
passant la nuit dans les marais, ma situation était mille fois plus douce : elle
était volontaire !... Mais toute ma vie je me suis dit que je ne supporterais pas
la prison !... » (Note de l'auteur).
2. Anniversaire de l'assassinat du duc de Berry, à la sortie de l'Opéra, par
Louvel, qui voulait éteindre en lui la race des Bourbons, le 3 février 1820.
20 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
parle avec une terrible facilité, mais je voudrais qu'il ne
parlât que d'agriculture, parce qu'il en raisonne avec bon
sens et expérience. Mais quand il entreprend de me conver-
tir au juste milieu, la patience est près de m'échapper. C'est
un fanatique de Tordre de choses. « Quand v'ous aurez cessé
de bouder, me disait-il, vous bénirez le gouvernement pro-
tecteur qui vous a sauvés, et vous serez trop heureux de
vous y rattacher. — Je vous assure, Monsieur, que je n'ai
pas besoin de lui, ai-je répondu, et quant à du sentiment
pour le gouvernement qui nous protège ici, vous auriez trop
de peine à le faire arriver à mon cœur. »
Une des choses qui semble contrarier le plus M. Bu-
geaud, c'est de voir qu'en France la propriété territoriale
est toujours entre les mains de la noblesse, v^érité qui ne
peut être contestée. En m'adressant la parole collectivement
avec ma caste, il me disait : « Vous êtes bien fiers, parce
que vous pouvez vous passer du gouvernement, mais le gou-
vernement peut se passer de vous aussi. — Je ne le pense
pas )), lui ai-je répondu.
15 février. — Un des habitants de ce triste séjour m'a
envoyé la romance suivante, dédiée à Madame la duchesse
de Berry :
I
Ils m'ôtent la douceur de te voir
Et d'adoucir de si nobles alarmes.
Sur toi, pourtant, sur un cruel devoir
Ne puis-je donc répandre quelques larmes I
Fille des Rois, du simple chevalier
Permets l'hommage et daigne lui sourire ;
S'il t'en supplie, hélas ! lui, ton geôlier.
C'est pour qu'un jour le monde entier t'admire.
II
Je redirai ta bonté, ta douceur.
Et ton courage et ton âme divine.
Et ces instants passés loin du bonheur.
Et la prison de noble Caroline.
Fille des Rois, etc.
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 21
III
Quand chaque soir j'allais vers tes verrous
Porter mes pas, j'entendais la prière
De ta compagne, ange aux accents si doux.
Et mes genoux fléchissaient jusqu'à terre.
Fille des Rois, etc.
IV
Je redirai : J'ai tenu mon serment.
Elle eût, d'ailleurs, méprisé l'imposture.
Mais qui saura jamais tout le tourment
Que j'ai souffert à n'être point parjure !
Fille des Rois, etc.
V
Un jour de deuil i l'autel était paré :
Pour un époux tu disais ta prière.
Aussi pour moi ce jour était sacré,
Et près de toi je priais pour mon père.
Fille des Rois, etc.
W février. — H y f^ plusieurs jours que je n'ai écrit. —
Je me sens d'une tristesse mortelle. Les jours me semblent
des siècles et cependant je suis trop agitée pour m'ennuyer ;
mais cet isolement, cette triple enceinte de murailles, de
fossés et de remparts, ces vedettes de tous côtés, ces canons
en perspective, ces barreaux, ces verrous, ces guichets, qui-
conque n'en a pas fait l'épreuve ne peut savoir l'effet que ce
triste ensemble produit sur l'imagination. Et pourtant tout
cela ne serait rien, si l'on n'éprouvait pas d'autres inquiétu-
des mille fois plus pénibles. Elles peuvent devenir intoléra-
bles, au point de faire éprouver une tentation très réelle de se
frapper la tète contre les murs ! Sensation très extraordinaire
qu'il n'est donné qu'au prisonnier d'avoir connue, et bien plus
encore un prisonnier dans la situation où je me trouve.
30 mars 1833. — Je n'ai rien su du secret de Madame
avant le 22 février -. Madame, jusqu'à l'époque de sa décla-
1 . Le 13 février.
2. Le 22 février 1833, le général lîuge-.iud reçut de la duchesse de Herry un
billet autographe, conçu en ces termes : « Presscîe par les circonstances et parles
mesures ordonnées par le gouvernement, quoique j'eusse les motifs les plus graves
pour tenir mon mariage secret, je crois devoir à moi-même, ainsi qu à nus
enfants, de déclarer m'étre mariée secrètement pendant mon séjour en Italie. »
22 RF.VUK HISTORIQUE DE LA RÉVOhL'ÏION FRANÇAISE
ration, avait toujours évité de nous faire connaître tout ce
qui aurait pu nous faire soupçonner son mariage. Sa réserve
sur ce point, comparée h la parfaite confiance qu'elle nous
témoignait sur tous les autres, était une preuve de l'extrême
importance de ce secret, qu'elle n'avait pas même confié à
ses plus intimes serviteurs, tant elle redoutait, en le divul-
guant, le mécontentement de sa famille et surtout le tort
qui devait en résulter pour la cause de son fils. Elle n'a
fait sa déclaration que d'après les menaces du gouverne-
ment et par un noble mouvement d'indignation contre les
précautions infâmes qui n'en ont pas moins été exécutées
plus tard, et que la plume d'une femme se refuse à retracer.
Je ne parlerai donc que des menaces qui furent faites à
S. A. R. Dans la supposition où elle ne voudrait rien
avouer : séparation absolue des personnes qui s'étaient
dévouées à sa captivité, même de sa femme de chambre,
Mme Hamsler, qui serait remplacée par une sage-femme
envoyée par le gouvernement et déjà arrivée dans la cita-
delle. Un officier serait établi jour et nuit dans le salon
tenant à sa chambre à coucher qui n'a pas d'autre issue, et
dont la porte resterait constamment ouverte. Le gouverne-
ment imposerait à Madame un accoucheur qui serait chargé
de s'assurer de son état de la manière la plus positive. En
outre, quantité de mesures de police étaient ordonnées dans
l'intérieur de l'appartement... — Si Madame avouait, tous
les soins lui seraient prodigués. Elle choisirait ceux dont
elle désirerait les secours, et l'on devait lui accorder toutes
les personnes qu'elle demanderait ; enfin sa réclusion serait
adoucie autant que possible jusqu'à ce qu'on puisse la
faire cesser, ce qui arriverait peut-être très promptement.
Peu de jours après la déclaration, on parla d'une Com-
mission rogatoire que le Gouvernement enverrait à S. A. R.
et qui serait composée de pairs, de députés, d'hommes de
loi, etc. Ils devaient interroger Madame, ainsi que M. de
Brissac et moi, sur les nom et prénoms de celui qu'elle
avait épousé secrètement, sur le lieu où s'était contracté ce
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 23
mariage, et sur son époque précise. Madame, d'après la
déclaration qu'elle avait été forcée de faire, fut plus indignée
qu'effrayée de cette mesure perfide et inquisitoriale dont
nous fûmes menacés à diverses fois et qui n'eut pourtant
pas lieu. Au milieu de la douleur profonde où me jetaient
de telles circonstances, j'étais tranquille sur le résultat d'une
pareille enquête par la connaissance que Madame m'avait
donnée en dernier lieu de sa correspondance avec le comte
de Lucchesi, et dont les lettres attestent le noble caractère.
Depuis six semaines la santé de Madame nous a causé
de sérieuses alarmes. Une fièvre journalière, une toux sèche
presque continuelle, des sueurs toutes les nuits et une dou-
leur permanente dans la poitrine étaient des indications
plus que suffisantes pour un état très grave. Le changement
de ses traits frappait tous ceux qui la voyaient. Ses geôliers
mêmes en furent effrayés. Louis-Philippe seul et ses minis-
tres n'eurent pas peur. Il fallut renoncer à l'espoir d'atten-
drir sur le sort de l'illustre victime ses barbares persécu-
teurs. Nous eûmes recours aux secours de la médecine. M.
Gintrac, qui soignait Madame depuis son entrée à Blaye,
avait éprouvé dans le commencement des obstacles pour
continuer à lui rendre ses soins ' . Les Ministres avaient
déclaré qu'ils ne permettraient plus auprès d'elle que les
visites du médecin établi par eux à la citadelle. Madame,
extrêmement mécontente de cette vexation, en écrivit au
maréchal Soult et obtint que M. Gintrac viendrait à de rares
intervalles et seulement quand ia santé de la princesse l'exi-
gerait absolument. Tout cela s'était passé avant mon instal-
lation à Blaye.
M. Gintrac, appelé par Madame, se concerta avec M. Mé-
nière, qui avait remplacé le premier médecin envoyé par
le gouvernement - , et ces Messieurs jugèrent nécessaire
1. M. Gintrac, médecin de Bordeaux, très connu pour ses opinions légiti-
mistes, avait soigné la princesse quatre ou cinq fois dejjuis décembre 1832.
2. Il s'agit du docteur Barthez, que la princesse avait refusé de recevoir. Le
docteur Prosper Méniérc, né à Angers le 17 juin 1799, arriva à Blaye le 18 février
et lut reçu le 28 seulement par la duchesse. Le docteur Méniére écrivit à Blaj'e
24 REVUE HISTORIQUE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE
l'application d'un vésicatoire au bras. Un régime très doux
fut recommandé et surtout l'absence de toute secousse mo-
rale, mais cette dernière ordonnance était-elle praticable
dans les murs de Blaye ! !
Vers cette époque M. Bugeaud reçut une dépêche minis-
térielle qui lui annonçait le prochain départ de Dubois pour
Blaye. II vint en prévenir Madame, qui étant encore plus
souffrante nous chargea M. de Brissac et moi, de recevoir
le général. Il nous lut sa dépêche, et nous nous récriâmes
sur l'envoi d'un personnage tout à fait antipathique à S. A. B.
depuis la mort de Monsieur le duc de Berry. Sa conduite,
lors de cette terrible catastrophe, avait été dure à l'égard
du malheureux prince auprès de son lit de mort, et tout le
monde en avait été révolté. Je rendrai justice à M. Bugeaud
en cette occasion. Il écrivit notre conversation aux Minis-
tres, en insistant auprès d'eux pour que Dubois fût au moins
ajourné. Il ajouta, d'après nos observations, que la seule vue
de cet homme pouvait être fatale à Madame. On répondit :
« La répugnance de Madame la duchesse de Berry pour
M. Dubois n'est nullement motivée. Ses préventions sont in-
justes et l'on ne jieut y avoir égard. M. Dubois partira demain
pour Blaye. Vous le logerez dans la citadelle. * »
Le général Bugeaud prit sur lui de le loger dans la ville,
en attendant que S. A, R fût accoutumée à l'idée de son ins-
tallation si près d'elle.
Dimanche dernier, en revenant de la messe. Madame
s'arrêta, comme de coutume, dans le corridor pour adresser
quelques paroles obligeantes aux deux officiers qui amènent
le curé et ne se retirent qu'en le reconduisant. La princesse,
toujours si bonne pour tous ceux qui l'entourent, ne man-
quait jamais de parler à ces Messieurs de ce qui pouvait les
un journal quotidien de tous les événements dont il fut témoin. Ce .lournal,
dun intérêt historique de premier ordre, a été publié en 1882 sous ce titre : La
captivité de Madame la duchesse de Berry à Blaye. Journal du docteur P. Manière
(Paris, Calmann Lévy).
1. M. Dubois arriva à Blaye le 15 mars 1833. Jamais la princesse ne voulut
le recevoir pendant sa longue captivité.
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 25
intéresser, et cette conversation durait quelques minutes,
après quoi elle rentrait dans son intérieur. Quelle fut notre
surprise en lisant dans le Mémorial de Bordeaux celte petite
scène parodiée avec sottise et méchanceté par un person-
nage qui l'avait examinée par le guichet ! J'ignore à quel
titre M. Bugeaud l'avait autorisé à venir épier Madame, à
son insu, dans cette misérable réclusion qui ne lui offre
même pas le triste avantage des autres prisons au secret, où
du moins l'on n'est pas observé du dehors. Passe pour le
gendarme de semaine que ses ordres obligent d'avoir l'œil
en permanence à la porte ; mais de quel droit un étranger
venait-il le remplacer pour faire imprimer ensuite cette in-
vestigation d'une manière si peu conforme à la vérité?
31 mars. — Accoutumée depuis un certain temps à la
confiance entière de Madame, j'ai cru m'apercevoir encore
hier d'une réticence qui m'a blessée. Je lui en ai parlé assez
vivement ; elle m'a répliqué de même en rentrant s'enfermer
dans sa chambre, et moi je m'en suis allée dans la mienne
me livrer à de tristes réflexions. Mais j'ai été confondue, un
quart d'heure après, de voir entrer chez moi la princesse
avec un air tout bon, tout aimable, et qui m'a pris la main
en signe de réparation. Je me suis précipitée sur les siennes,
attendrie jusqu'au fond du cœur d'une démarche qui parlait
tant pour elle. « J'ai été trop vive, lui ai-je dit, j'ai eu tort.
— Non, c'est moi, a repris Madame, nous parlions toutes
deux à la fois et cependant nous étions d'accord. » C'est la
seule fois que nous ayons eu réellement une altercation à
mon sujet pendant notre longue réclusion.
2 avril. — Chaque jour amène une surveillance plus
active. Il me semble qu'un vaste réseau est tendu autour de
nous et qu'insensiblement il se resserre...
4 avril, Jeudi-Saint. — Tous les prisonniers ont commu-
nié à la même messe. C'est la première et la seule consola-
tion que le ciel nous ait envoyée.
26 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Jour de Pâques. — M. Ménière, revenu de Paris depuis
deux jours après une courte absence ' , est venu apporter
des livres à S. A. R. Il lui a dit que les Ministres connais-
sant son courage étaient persuadés que s'ils lui rendaient
la liberté, elle recommencerait à se mettre à la tête du parti
légitimiste. « Ils voudraient, a-t-il ajouté, que Madame
renonçât à sa qualité de F'rançaise et se regardât uniquement
comme princesse Sicilienne. — Alors, a répondu Madame,
je ne sortirai pas d'ici, car bien certainement je ne ferai pas
une lâcheté pour avoir ma liberté : la mère de Henri V ne peut
renoncer à être princesse Française. Jamais je ne renierai
ma patrie adoptive, puisque c'est celle de mon fils. »
S avril. — Les journées sont tellement gaspillées ici,
que rarement je puis sauver une heure pour l'employer à
ma fantaisie. Voilà ce que je n'aurais pas imaginé ; c'est
qu'étant renfermée depuis quatre mois, je n'ai le temps de
rien faire ici. Si nous voulons nous livrer à quelqu'occupa-
tion, nous sommes interrompues à tout instant par des mes-
sagers de la citadelle qui ne nous laissent jamais en repos.
Nous avons des livres, de la musique ; je n'en fais usage
que pour distraire Madame. Le soir, quand elle est couchée,
la porte de sa chambre reste ouverte, et tout en lisant, elle
aime à entendre cette musique pour laquelle elle a un goût
si vif. Mais j'avoue que souvent c'est avec répugnance que
je m'approche du piano, et il faut que Madame m'y conduise
après avoir elle-même arrangé sur le pupitre les morceaux
qu'elle désire entendre. C'est presque toujours la dernière
cavatiné du Pirate : Tu vedrai la sventurala. Elle me dit :
« Ma chère, chantez-moi, je vous en prie, l'air de ce Mon-
sieur qu'on va pendre. » Alors j'ai honte de ma paresse et
fais en sorte de la réparer. Mais quand je retourne auprès
de Madame, je la trouve souvent en larmes, et je m'adresse
1. Après six semaines de séjour à Blnye, le docteur Ménière avait été rappelé
à Paris, où il s'entendit reprocher l'exagération de ses bulletins médicaux. Mais
il plaida lui-même sa cause devant le Conseil des ministres, donna franchement
toutes les explications désirables et sortit victorieux de cette épreuve.
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAVE 27
des reproches contraires en voyant le triste effet de mes
chants.
Une autre occupation qui m'intéressait, c'est celle de ce
journal, mais il m'est impossible de m'y livrer d'une manière
suivie. Du moins, il aura le mérite de l'exactitude et de la
vérité, et je ne lui en demande pas d'autre, puisqu'il n'est
que pour moi.
M. Deneux arriva pour cette époque sans aucune de-
mande de la part de S. A. R. Seulement elle ne s'est point
opposée à ce qu'il restât, connaissant son attachement pour
elle. 1
9 avril. — Un légitimiste courageux et dévoué a trouvé
moyen d'entretenir hier Madame sans témoins pendant dix
minutes. C'est un fait incroyable quand on ne l'a pas vu et
que l'on sait la réclusion inouïe où nous vivons. M. de
Choulot est aussi adroit que hardi, et il a persuadé au géné-
ral Bugeaud de lui accorder cette faveur sans exemple pour
remettre à S. A. R. les portraits de ses enfants. Mais ayant
moins ménagé le gouverneur de Blaye à sa sortie qu'en y
entrant, celui-ci ne tarda pas à regretter ce qu'il appelait sa
« trop grande condescendance », et cette aventure faillit
être fâcheuse pour le serviteur fidèle qui avait tout bravé
pour arriver jusqu'à la princesse. Peu s'en fallut qu'il ne
fût jeté du haut des remparts.
Je crains que cette visite n'ait exaspéré nos gardiens, et
ne soit un prétexte pour refuser celle de M. de Chateau-
briand que Madame veut demander ; ce refus serait déses-
pérant !...
Tout fait ombrage à notre gouverneur de plus en plus.
Après m'avoir porté les plaintes les plus amères contre M.
de Choulot, il m'a fait lire un passage d'une énorme dépè-
che signée Sonlt et crArgont, dans laquelle on nous signale,
M. de Brissac et moi, pour nous entendre avec les légitimis-
1. M. Deneux, qui avait accouché quatre fois la princesse, arriva le 2.3 mars
à Blaye et fut reçu le lendemain par elle.
28 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
tes de Paris. « Cela esl évident et crève les yeux », termi-
nait cette lettre. « C'est ce coquin de curé qui favorise votre
correspondance 1 s'est écrié M. Bugeaud. Je le ferai fouiller
et vous n'aurez plus la messe. Le gouvernement voit clai-
rement que vous vous entendez avec votre princesse et que
vous formez un véritable triumvirat. »
12 avril. — Madame avait éprouvé un peu de mieux
depuis qu'elle nous avait causé de si vives inquiétudes, mais
voilà la fièvre qui ne l'a pas quittée depuis soixante heures.
Notre pauvre princesse est changée d'une manière effrayante;
les médecins ont encore plus d'appréhension pour l'avenir
que pour le moment actuel. Son affection de poitrine peut
devenir beaucoup plus dangereuse, et pour une personne
sur qui les impressions morales ont tant d'influence, la
solennité dont on veut l'entourer dans quelque temps ne
peut manquer d'être du plus grand danger. Que M. Dubois
entre dans la chambre de S. A. R. dans un pareil moment,
malgré la volonté qu'elle n'a cessé de manifester de ne pas
le voir, et elle peut mourir sur-le-champ. Tel est l'avis de
Deneux, de Gintrac, mais qu'est-ce que cela fait au gouver-
nement de Louis-Philippe ?
Il n'est probablement pas étranger à une proposition
faite a diverses fois par le général à Madame, et qu'elle a
constamment refusée. — Dès le 25 mars, à la suite de plu-
sieurs conversations, il fit à S. A. R. des ouvertures pour
l'engager à souffrir une constatation en quelque sorte publi-
que, dans laquelle cinq médecins et quantité de témoins,
parmi lesquels figureraient les autorités de Blaye, devaient
se trouver. Le procès-verbal devait être signé par tous les
assistants compris M. de Brissac et moi (à supposer que
nous y consentissions), et publié dans le Moniteur. Il est
facile de juger que Madame ne fût pas tentée un seul ins-
tant de céder à une telle proposition. M. Bugeaud cherchait
à la décider par tous les raisonnements possibles : « Il fau-
dra bien, lui disait-il, que vous en veniez là, lorsque le
LA. DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 29
moment fatal sera venu, car je ferai entrer tous les témoins.
Si l'on me disait : On va vous donner cent coups d'étrivières
ou qu'il me fallût attendre six semaines en prison, j'aimerais
mieux en finir tout de suite. » Malgré une logique si serrée
et surtout si pleine de convenances, Madame se détermina
à ne faire aucune demande au gouvernement et répondit
qu'elle n'accepterait pour obtenir sa liberté que des condi-
tions compatibles avec sa dignité.
Cependant S. A. R. saisit cette occasion de réclamer des
conseils, et le 10 avril elle écrivit au général que ne pouvant
se décider à faire au gouvernement aucune proposition sans
s'être consultée avec quelques-uns de ses amis, elle dési-
gnait, parmi le grand nombre de ceux qui lui avaient offert
leurs services, MM. de Chateaubriand et Hennequin, et y
mettait pour condition de les voir sans témoins. La réponse
ministérielle fut énergique et négative. « Le gouvernement
ne pouvait accorder à Madame la duchesse de Berry deux
légitimistes dont l'un n'avait cessé d'attaquer le gouvernement
de la manière la plus outrageante, et l'autre avait représenté
le Roi comme un assassin dans l'aifeire du duc de Bour-
bon. Vous auriez dû, ajoutait le Ministre, vous auriez dû
les refuser sur Vétiqiiette du sac. »
Le général prit occasion de ce refus pour essayer de
séparer Madame de ses amis ; lui répétant sans cesse que
les légitimistes ne voulaient rien faire pour obtenir sa liberté ;
qu'ils la sacrifiaient à leur ambition ; qu'ils désiraient sa
mort, et que le Roi, bien plus humain, lui offrait tous les
moyens d'être libre ; enfin que ses véritables amis étaient
ceux qu'elle avait cru jusque-là ses ennemis. On peut se
figurer ce que souffrait celle à qui s'adressaient ces longs
discours. Mais c'était peine perdue pour celui qui les lui
adressait. « Le piège est trop grossier, disais-je à Madame;
il ne parviendra pas à vous prouver que vos ennemis sont
dans la Vendée et le Midi. »
Ces paroles trouvaient trop d'écho dans l'àme de Madame
pour ne pas exciter en elle des réflexions dignes du sujet
30 HEVLE HISTORIQUE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE
fréquent de nos conversations. C'est en vain qu'on aurait
voulu lui faire oublier Cathelineau, Bonnechose et tant
d'autres qui avaient scellé de leur sang leur héroïque dévoue-
ment.
13, 16 et 17 avril. — Ma femme de chambre vient d'être
bien malade. Les médecins l'avaient presque condamnée
et m'avaient dit qu'ils ne pouvaient répondre d'elle dans
une de ses crises nerveuses. Elle couche dans un cabinet
tenant à ma chambre. Cette nuit ayant entendu des gémisse-
ments partir de ce cabinet, puis le bruit de quelque chose
qui tombe à terre, ensuite un profond silence, j'ai cru que
la pauvre fille était morte, et j'avoue que jai eu un moment
de terreur me trouvant enfermée avec elle et n'ayant pas
de sonnette pour me faire entendre au dehors. Cependant
ayant repris courage, j'ai couru au secours de la pauvre
malade, que j'ai trouvée dans un profond accablement, après
avoir été dans une grande agitation ; mais aujourd'hui elle
est hors de danger.
Da 19 avril au 22 ^ . — Le 19 avril, nouvelle lettre de
M. Bugeaud dans laquelle il proposait, sans y être autorisé,
de faire venir MM. de Chateaubriand et Hennequin pour
recevoir de Madame et de cinq médecins des déclarations de
mariage et de grossesse, en s'engageant d'avance à permet-
tre la publication de cette seconde déclaration plus explicite
que la première. Il se flattait, disait-il, que les Ministres
s'engageraient à mettre Madame en liberté, après cette espèce
de constatation. « Il me faut votre parole seulement », ajou-
tait-il. Madame pensa qu'elle devait s'en tenir à la première
déclaration qui lui avait été arrachée ; elle répondit que
jamais elle ne pouvait avoir la pensée de prendre d'avance
aucun engagement pour ses amis, et qu'elle saurait tout
souffrir plutôt que de se manquer à elle-même et aux siens.
— Il était bien clair, d'ailleurs, que Louis-Philippe ne lui
1. C est à peu près vers cette époque que l'on nous a permis toute espèce de
journaux. (Note de l'auteur).
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 31
rendrait pas si facilement la liberté. — D'après ce dernier
refus, le général nous déclara qu'il n'y avait plus d'espoir de
sortie, et qu'il ne lui restait plus qu'à remplir ses devoirs
envers le pays et le roi, en constatant de la manière la plus
authentique tout ce qui devait se passer plus tard.
C'est sur ces entrefaites que sont arrivés MM. Andral,
Fouquet, Orfila et Auvity, que Madame n'avait point de-
mandés. M'étant trouvée dans le salon lorsque le général
vint les annoncer, je lui demandai s'il croyait que Madame
obtînt sa liberté dans la supposition où ces médecins la ré-
clameraient pour elle. Il me répondit que lors même que les
Ministres feraient la sottise de lui ouvrir les portes, il se
mettrait sur son passage pour l'arrêter, tant il trouvait
absurde de la laisser partir sans garantie pour le gouverne-
ment. Il répéta à la princesse qu'il ne croyait nullement que
leur consultation put la faire sortir ; elle se refusa donc à
les voir. Sur la demande instante de ses médecins habituels,
Madame avant de prononcer son dernier refus se décida à
renouveler par le télégraphe la demande de MM. de Chateau-
briand et Hennequin sans qu'il lui fût imposé aucune condi-
tion préalable. Nouveau refus des ministres, en ces termes :
« MM. de Chateaubriand et Hennequin n'iront point à
Blaye ; les quatre médecins reviendront tout de suite. » Ces
docteurs étaient porteurs d'un ordre signé Soult et d'Argout
pour constater la santé et l'état de Mme la Duchesse de Berrij.
Embarrassés vraisemblablement de la figure qu'ils auraient
à faire à leur retour, s'ils n'étaient pas reçus à Blaye, ils
firent proposer à Madame de constater seulement l'état de sa
poitrine. Elle ne crut pas devoir accéder à cette offre, et s'en
applaudit lorsqu'une estafette apporta presqu'au même ins-
tant l'ordre de faire une constatation en règle, c'est-à dire
avec tous les témoins, si Madame voulait recevoir les mé-
decins.
Apparemment que les Ministres n'avaient pas trouvé leur
première lettre assez positive, celle-ci ne laissait aucun
doute sur leur intention. — C'est alors que Madame, suivant
32 RLVLE mSTOIUQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
le mouvement de son excellent cœur, écrivit au général Bu-
geaud une lettre pleine d'obligeance pour les médecins de
Paris qui avaient fait un voyage si peu satisfaisant. Il
serait impossible de rendre l'anxiété de ces deux journées.
Nous ne pouvions nous dissimuler que Madame renonçait
à la seule chance de sortie qui lui restât, quoique bien in-
certaine ; mais elle préféra subir son sort en restant indéfi-
niment captive que de se soumettre à la plus cruelle de
toutes les humiliations, une constatation publique.
Ce n'est pas moi qui l'y aurais engagée ; et c'est une
grande satisfaction pour mon àme de n'avoir jamais donné
à Madame un conseil qui fût au-dessous d'elle, malgré tous
les efforts de ses ennemis pour la rabaisser.
Enfin Madame se décida seule, et avec un admirable cou-
rage. « C'est pour Henri, me disait-elle, lorsqu'elle eut pris
sa résolution : le pauvre enfant ! Je suis sûre que je lui ferais
tort en consentant à une telle ignominie. »
Ce n'était pas la première fois que nous regrettions des
conseils. Cherchant à nous éclairer dans quelques articles
de journaux et dans la conduite de nos entours, constam-
ment occupés de la situation de Madame, nos perpétuelles
conversations avec elle ne ressemblent à aucune autre, et il
faudrait inventer un mot pour rendre tout ce qui ne peut
exister que dans les nôtres. Il ne se passe guère de jour où
nous n'ayons quelque proposition à combattre, quelqu'insi-
nuation à repousser. Nous formons alors un petit conseil,
une espèce de Gouvernement intérieur. Madame, représen-
tant le Ministère, nous fait des communications sur les
nouvelles vexations dont elle a été l'objet, et nous interroge
sur les réponses à faire et les décisions à prendre ; M. de
Brissac en fait le résumé ; moi, je suis la Chambre indépen-
dante : il est rare que la Chambre et le rapporteur ne s'en-
tendent pas sur tout ce qui tient à l'honneur, la loyauté et
tous les sentiments qui parlent si haut dans leur cœur.
Madame discute avec une grande politesse : et soit qu'elle
contrarie nos opinions ou qu'elle les adopte, c'est habituel-
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 38
lement en ces termes : « Je vous demande pardon ; me per-
mettez-vous de vous observer ? j'ai peut-être tort, mais il me
semble, etc. » — Le génie de sa nation la porte assez natu-
rellement à ne pas dire toute sa pensée, et, comme elle me
l'a dit elle-même, son éducation a encore développé son
caractère sur ce point. Cette fâcheuse disposition qui lui a
fait tant de mal, augmente encore les difficultés de ma posi-
tion, et nous donne quelquefois une peine infinie pour ana-
lyser la finesse de ses confidences. Mais plusieurs mois de
réclusion donnent l'habitude d'être devinée à la personne qui
croit l'être le moins. Dans nos mystérieux comités, Madame
nous montre toujours une absence d'amour-propre que bien
des femmes n'auraient pas avec la promptitude d'intelligence
si remarquable de Madame la duchesse de Berry.
Jamais, je crois, on n'a tant raisonné, commenté, dis-
cuté et examiné les questions sur toutes les faces. Ce travail
de tête est d'une fatigue inconcevable. En quittant Blaye, je
serai logicienne parfaite ou imbécile. Madame pense que
nous serons plutôt classées dans cette dernière catégorie. Elle
me disait : « Si l'on nous saignait en sortant d'ici, notre
sang serait de l'encre. » Elle m'assure souvent qu'elle ne se
sent plus la force de soutenir de longues et inévitables dis-
cussions avec ceux qui sont chargés de lui transmettre les
propositions de Louis-Philippe, qui ne veut même pas avoir
l'air d'en faire, trouvant cela au-dessous de sa dignité. Et
comme on veut que ces propositions viennent toujours de la
prisonnière, il faut d'interminables argumentations pour
l'amener à ce résultat que l'on n'a jamais obtenu.
Depuis près de six mois vivant tous trois dans une sé-
questration absolue et sans exemple, il faut tirer toutes nos
ressources de nous-mêmes. Quant à moi, me trouvant
chargée d'une responsabilité qui demanderait un esprit plus
exercé que le mien, je ne puis prendre conseil que de la
droiture de mon cœur. Tourmentés, harcelés, obsédés tan-
tôt avec des formes polies tantôt de la façon la plus brutale,
il serait presque miraculeux que le jugement ne s'affaiblit
RKV. IllSr. DE LA RKVOI,. 3
34 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
pas dans une telle situation, d'autant plus que l'inaction
forcée à laquelle nous sommes condamnés donne carrière à
une agitation morale qui ne nous laisse pas un moment de
calme ni jour ni nuit, agitation qui avancerait les jours de
ceux dont elle s'empare si elle se prolongeait plusieurs années.
Ce n'est rien qu'un récit en quelques pages d'une longue suite
d'ennuis et de tourments de tous genres renouvelés chaque
jour. D'ailleurs, ces notes abrégées ne peuvent rendre qu'im-
parfaitement tous les détails de ces discussions, tantôt mor-
tellement ennuyeuses, tantôt d'une telle violence de la partie
adverse que je ne pourrais les retracer ici.
22 avril. — Nous avons lu dans les gazettes la lettre de
M. de Chateaubriand. Oh ! qu'il a bien dépeint d'un seul
trait les tortures morales de Blaye !
Madame respire plus à l'aise en voyant que ses amis
comprennent la situation.
23 avril. — Elle était à peine remise de l'échauffourée
des quatre médecins de Paris, que le 23 avril le général
Bugeaud étant venu chez S. A. R., après l'éloge ordinaire
de son Dieu, l'ordre de choses, et de sa maîtresse la Chambre,
il est arrivé à l'obligation où il se trouve de mettre plus que
jamais sa responsabilité à couvert, et a déclaré à Madame
qu'à dater du 1^"^ de mai il ferait coucher un officier dans son
salon avec un ordre de laisser la porte de S. A. R. ouverte.
Madame, ne pouvant contenir son indignation, a eu avec le
général une scène très vive dont elle a été sérieusement
malade toute la journée. Elle est rentrée brusquemment
dans sa chambre, nous laissant M. de Brissac et moi pour
tenir tète à M. Bugeaud. — Il nous a parlé longuement des
précautions qu'il se voit, dit-il, obligé de prendre pour la
sûreté de son gouvernement. « Quant à cela. Monsieur, lui
ai-je dit, c'est votre affaire. La nôtre est de veiller sur S. A.
R., de la garantir de toute offense et autant que possible
des secousses morales qui lui font tant de mal. — Mais, a-
t-il repris en revenant sur son idée fixe, mon devoir est de
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 35
constater jusqu'à l'évidence ce qui doit se passer ; et, dans
l'intérêt de Madame la duchesse de Berry, vous devriez vous
entendre avec moi pour arriver à ce but. — Encore une fois.
Monsieur, c'est votre affaire et non la mienne. — Alors, dit-
il, j'en conclurai que vous ne paraissez prendre aucun in-
térêt à un événement qui en a tant pour votre princesse. —
Pour vous prouver que je ne puis être que vivement touchée
de sa situation, je voulais précisément vous prier de ne plus
me faire enfermer le soir. Madame pourrait avoir besoin de
mes soins, et je serais désolée de ne pouvoir les lui offrir. »
Cette demande ne me fut pas accordée.
L'état nerveux où j'avais vu l'infortunée princesse pen-
dant l'odieuse discussion qu'elle avait eue avec le général, me
faisait tout craindre pour elle, il fallait absolument obtenir
des conditions moins barbares. En vain j'ai demandé avec
les plus vives instances que le salon restât libre ; après
deux grandes heures de débats, nous avons obtenu qu'au
lieu de l'officier qui avait causé une si grande terreur à
Madame , on établirait dans son salon M. Deneux et M.
Ménière. Le général n'a point renoncé à son officier ; seu-
lement il consent à ce que son lit soit établi dans le corridor
devant la porte du salon qui sera toujours ouverte, ainsi
que celle de la chambre à coucher.
Lorsque je suis retournée près de Madame, je l'ai trouvée
encore toute tremblante et d'une pâleur effrayante. Mme
Hansler l'a mise au lit, quoique ce fût vers le milieu du jour ;
mais cette cruelle scène lui a fait tant de mal, qu'elle pou-
vait à peine se soutenir. Ce corps si affaibli ne peut plus
supporter de pareilles secousses. Elle m'a demandé le ré-
sultat de notre longue conférence (pour ne pas dire notre
querelle) avec M. Bugeaud, et elle a paru satisfaite du mezzo
termine que nous avons obtenu.
24 et 25 avril. — - Madame la duchesse de Berry a passé
ces deux journées au lit très souffrante.
Du 26 avril au Z'"'' mai. — M. Deneux qui avait son lo-
36 REVUE HISTOlilQUE DE LA RÉVOLUTtOX FRANÇAISE
gement au-dessous de celui de Madame, a été transporté
plus loin, sans qu'il l'ait demandé. Il est facile de deviner le
motif de ce changement. Les planchers sont si légers qu'on
entend au rez-de-chaussée le bruit des appartements su-
périeurs et l'on ne veut pas se priver de ce moyen de po-
lice '. Pendant qu'on éloignait M. Deneux, en mettant à sa
place des agents de M. Bugeaud, M. Ménière fut installé
dans le salon de Madame, sans son collègue, quoiqu'il eût été
positivement convenu qu'ils y seraient établis ensemble.
Madame réclama vivement contre ce manque de foi parmi
tant d'autres.
Du 1" mai au 10. — Le l*^"" mai, jour de Saint-Philippe,
Madame eut, à travers ses barreaux, le spectacle des ré-
jouissances de la citadelle. Le général les termina en faisant
mettre son lit le soir même à la porte de son auguste pri-
sonnière. Il coucha au guichet et continua cette noble sur-
veillance chaque nuit jusqu'au 10 mai. « Il se crotte, disait
Madame, j'en suis fâchée pour lui. »
Madame ne pouvant plus se faire illusion sur le temps
de sa captivité, résolut de tirer au moins parti de sa situation
en faisant, avec ses persécuteurs, une sorte de traité par le-
quel elle s'engageait sur sa parole donnée au général Bugeaud,
à le faire avertir aussitôt qu'elle commencerait à souffrir,
consentant à recevoir tous les témoins désignés, soit avant
soit après, s'ils n'étaient pas arrivés à temps. De son côté, le
général engageait sa parole à obtenir des Ministres la liberté
de Madame, aussitôt qu'elle serait rétablie et à sa première
réclamation. S. A. R. avait exigé le consentement signé de
la majorité des Ministres, dont elle prendrait connaissance,
mais qui resterait entre les mains du gouverneur.
Quelques jours avant, M. Bugeaud avait présenté à S. A.
R. un projet de procès-verbal de ce qui devait se passer en
]. Dès le mois de septembre, on avait établi au rez-de-chaussée des acousti-
ques qui correspondaient à la chambre de S. A. R. On avait aussi pratiqué des ou-
vertures au plafond de cette chambre, et l'on pouvait se glisser sous le toit pour
entendre, par ce moj'en, ce qui se passait chez la princesse. (Note de l'auteur).
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 37
cette circonstance. Sans vouloir rechercher l'auteur de cette
pièce inconcevable, Madame en témoigna toute son indigna-
tion à M. Bugeaud. Voici ce modèle d'inconvenance :
L'an 1833, le.... à heures du... . (Désigner le jour, la date et
l'heure), nous soussignés.... (noms et professions des témoins),
Désignés par M. le Ministre de l'Intérieur et par M. le garde des
sceaux à l'effet de constater l'accouchement de Marie-Caroline, prirk-
cesse des Deux-Siciles, duchesse de Bcrry. nous son}nies réunis dans
la citadelle de Blage. sur la convocation de M. le maréchal de camp
Bugeaud, gouverneur de la place, membre de la Chambre des Dé-
putés, et avons été introduits dans un scdon situé au premier étage
d'un bâtiment portant le n' 53 et affecté à l'habitation de cette prin-
cesse. Là, nous avons trouvé M. le général Bugeaud, lequel nous a
dit que Mme la Duches.'îe de Berry, atteinte des premières douleurs
de l'enfantement, était dcms la pièce contigûe, qui lui sert de chambre
à coucher, et nous a proposé d'entrer dans ladite chambre pour pro-
céder, conjointement avec lai et AI. le commandant de la place, à la
constatation dont il s'agit.
Mais sur l'observation par nous faite qu'il serait utile que M. de
Brissac et Mme d'Hautefort admis depuis cinq mois dans la société
intime de Mme la duchesse de Berrg, s'adjoignissent à nous pour les
vérifications et constatations qui allaient avoir lieu, nous nous som-
mes immédiatement rendus auprès d'eux, et les avons invités à nous
assister dans lesdites opérations ; à quoi ils ont répondu (consigner
leurs réponses et leurs motifs) et ont signé (ou refusé de signer).
Etant alors tons entrés dans la chambre à coucher susdésignée,
nous nous sommes approchés d'un lit où était couchée une personne
à laquelle nous avons demandé si elle était bien Marie-Caroline,
princesse des Deux-Siciles, duchesse de Berrg, et s'il était vrai qu'elle
fût en mal d'enfant. Elle nous a répondu affirmativement sur les
deux questions et a signé sa réponse '.
En effet, après l'avoir examinée attentivement - , chacun de nous
a personnellement reconnu cette princesse pour l'avoir vue, savoir:
M. le maréchal Bugeaud à Bordeaux, dans le mois de juillet 18W;
1. \'()le du général Bugeaud : « Nous désirerions beaucoup que Mad;imc voulût
répondre et signer, ou seulement répondre. Mais il est évident qu'on ne peut
pas \'y forcer. Ses véritables intérêts seraient qu'elle répondît et signât. »
2. Examiné veut dire regardé. (Xote du général Bugeaud).
88 REVUE HISTOIIIQIE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
M. Mnrcliand-Dubrciiil en diocrses occasions à Paris, où il n'a
cessé d'habiter jusqu'en 1S30 : MM. Xadaud, Merlet, Bordes, Pas-
toureau, Bellon et Régnier, à Blaye, lors du séjour qu'elle y fit au
mois de juillet 18W, et les trois premiers, en outre, lors des premiers
moments de son arrivée à la citadelle en novembre 1832; M. le com-
mandant Delort à....
Chacun de nous * s'est également convaincu que le développement
considérable de l'abdomen annonçait chez la princesse une grossesse
à terme, et a jugé, d'après les douleurs dont elle paraissait atteinte,
que l'accouchement devait être très prochain. Sur ce, nous avons dé-
cidé que nous resterions dans la chambre jusqu'à ce qu il soit accompli,
à moins toutefois que notre présence à l'opération ne doive produire
sur madame la duchesse de Berry une impression de nature à com-
promettre ses jours.
Consultés par nous à ce sujet, MM. les docteurs Dubois, Deneux
et Ménicre, ici présents, appelés pour donner leurs soins en cette cir-
constcmce à madame la duchesse de Berry, ont déclaré unanimement
que (insérer la déclaration des docteurs), et ont promis, d'ailleurs,
de nous représenter immédiatement après l'accouchement de la du-
chesse de Berry Venfant qu'elle aura mis au monde. Lesquelles dé-
claration et promesse ont signées. — Vu cette déclaration et voulant
concilier les sentiments d'humanité avec les devoirs rigoureux de
notre mission, nous nous sommes déterminés à nous retirer dans la
pièce voisine, après avoir pris toutes les précautions nécessaires pour
acquérir la certitude complète de la réalité de l'accouchement, et à y
attendre la présentation de l'enfant nouveau-né.
A cette fin, nous avons immédiatement procédé à un examen
minutieux de toutes les parties de la chambre et des deux cabinets y
attenants, ainsi que des meubles et objets qui s'y trouvent, notamment
du lit de la princesse ~, et nous avons reconnu :
1° Que l'appartement n'a d'issue que par la porte servant de com-
munication avec le salon ;
2" Que toutes les fenêtres sont grillées de manière à ne pas per-
mettre l'introduction d'un enfant nouveau-né, et sont élevées de six
mètres au-dessus du sol ;
1. Tout cela est afl'aire de forme, qui n'a aucune importance pour Madame.
Ca n'amènera aucune longueur dans l'examen, ni aucune investigation humi-
liante (Noie du général Bugeaud).
2. Note du général Bugeaud : « AH'aire de forme : on tàtera les parties du lit
où ne sera pas Madame, et seulement pour pouvoir dire qu'on l'a fait. »
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 39
3^ Qu'il ne se trouve dans ledit appartement aucun enfant nou-
veau-né, ni d'autre personne du sexe féminin, outre madame la du-
chesse de Berry et madame Hansler, sa femme de chambre.
Les soins de cette dernière ayant été réclamés par la princesse et
jugés indispensables en ce moment par MM. les docteurs Dubois,
Deneux et Minière, nous l'avons autorisée à demeurer dans l'appar-
tement, après toutefois nous être convaincus, et par les apparences et
par le résultat de la vérification des médecins, qu'il n'existait chez
elle aucun des signes caractéristiques de la grossesse.
Nous nous sommes ensuite retirés à..,, heures dans le salon con-
tigti, où nous sommes restés en permanence depuis ce moment jusqu'à
ce que l'accouchement ait été accompli.
Pendant tout ce temps, aucun de nous ne s'est absenté ; la porte
d'entrée de la chambre de la duchesse est demeurée constamment
ouverte, et nulle personne étrangère n'a pénétré dans cette chambre,
d'où sont partis à plusieurs reprises des cris qui attestaient les dou-
leurs de l'enfantement.
A... heures minutes, des vagissements se sont fait entendre, et
à l'instant sont sortis de la chambre à coucher de madame la du-
chesse de Berry, MM. les docteurs Dubois, Deneux et Ménière, les-
quels nous ont présenté un enfant nouveau-né du sexe et nous ont
déclaré qu'il venait de sortir du sein de madame la duchesse de Berry,
laquelle déclaration ils ont signée....
Après quoi, nous avons clos le présent procès-verbal dans le salon
ci-dessus désigné, le.... 1833, à.... heures du et l'avons signé après
lecture.
Le général Bugeaud fut très surpris de ce que Madame
n'avait pas admiré ce chef-d'œuvre, et se trouvant avec M.
de Brissac et moi, il voulut en commenter chaque article en
cherchant à le justifier. N'ayant pu venir à bout de nous
faire approuver ce sale procès-verbal, il sortit fort courroucé
et dit aux officiers qui lui ouvrirent la porte : « Ce sont des
bêtes {en termes plus énergiques), il n'y a pas moyen de leur
faire entendre raison. »
2 mai. — Hier soir, je le vis entrer à dix heures dans le
salon. Madame avait été accablée toute la journée et s'était
endormie de bonne heure au son de quelques accords sur le
40 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
piano. J'avais laissé sa porte ouverte comme de coutume. M.
Ménière étant venu faire sa visite obligée me demanda des
nouvelles de S. A. R. Je lui dis qu'elle dormait ; il n'alla
pas plus loin. Mais le général, survenant alors, s'élança vers
moi en s'écriant : « Plus d'indulgence ! J'ai été trop humain î
Désormais tout se passera en règle : je ne veux plus être
dupe ! » Et il me jeta au nez la Guyenne, qui niait tout. Puis
au docteur : « Pourquoi n'êtes-vous pas entré chez Madame?
que fait-elle ? — Madame est endormie, Monsieur, lui dis-je,
vous pouvez vous en assurer ; la porte est ouverte. Mais
veuillez parler moins haut, car vous la réveilleriez et d'une
manière pénible. » Il n'osa pourtant pas entrer chez la prin-
cesse et se contenta de me montrer le poing en répétant :
« Oui, j'ai été trop bon, trop indulgent. Maintenant j'ordon-
nerai, et je commence par ordonner à M. Ménière de venir
trois fois par jour ici ; que cela convienne à Madame ou non,
il faudra bien qu'elle le reçoive. — Je sais parfaitement.
Monsieur, lui dis-je, que vous pouvez ordonner, car vous
êtes le maître ici. » Il se promena dans la chambre pendant
quelques moments comme un furieux, puis il sortit sans me
regarder. J'ai été malade pendant trois jours de cette scène
qui ne peut être rendue, et pendant laquelle j'avais tâché de
conserver mon sang-froid. Celui du général l'avait tellement
abandonné, qu'au lieu d'aller se coucher, il fut promener
son agitation dans notre petit jardin jusqu'à quatre heures
du matin. En rentrant, il nous a écrit, à M. de Brissac et à
moi, une lettre collective, qui m'a été remise tout à l'heure.
Quoiqu'elle ne soit pas fort amusante, je la transcris ici :
3 mai. à 'i heures du matin.
A Monsieur de Brissac et à Madame d'Haiitefort
Monsieur et Madame,
L'indignation que me causa hier l'article de la Guyenne et que
me cause chaque jour le machiavélisme du parti légitimiste, me
fit sortir hier de mon caractère et de mes résolutions. J'avais
LA. DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 41
résolu dans ce moment de fougue de ne plus rien ménager pour
faire bonne et sûre garde. Aujourd'hui, plus calme, je renonce à
toute autre mesure préventive qu'à celle de faire coucher MM. Mé-
nière et Deneux dans le salon, dont aucune porte ne sera fermée à
clef. — Je préfère que la constatation de l'accouchement soit impar-
faite que d'être barbare envers une femme malheureuse, qui dans un
haut rang eut des qualités précieuses. Mais en même temps que je
renonce aux moyens que votre conduite et celle de la presse me
donnaient le droit de prendre, je vous rends responsables de la liberté
de Madame. J'ai la certitude que le gouvernement la mettrait d'abord
en liberté après l'accouchement, s'il était bien constaté. C'est à vous
de savoir si vous désirez qu'elle soit libre. Si vous ne prévenez pas
dès que vous serez informés des premières douleurs, il sera prouvé
au monde que vous avez sacrifié la duchesse à l'espérance la plus
illusoire, la plus vide qui fut jamais. La barbarie sera de votre côté
et je n'aurai rien à me reprocher, car j'ai tout fait pour mettre
Madame en liberté.
Je vous l'ai dit : Vous n'hériterez pas *.
La Société des droits de l'homme saura nous venger. Je vous
aurais préférés à elle il y a peu de temps, aujourd'hui je suis dans le
doute, car vos organes ont le même langage, emploient les mêmes
moyens.
J'ai l'honneur d'être. Monsieur et Madame,
Votre très humble serviteur,
BuGEAun.
6 mai. — Ce soir, j'entendais un soldat qui chantait avec
une jolie voix une marche que je croyais me rappeler. Le
soldat a dit à ses camarades : « On jouait cela quand nous
étions dans la garde royale. Ah ! c'était alors le bon temps !... »
Et il n'a plus chanté, mais il s'est rapproché des autres et
leur a parlé tout bas, tout bas.
La surveillance de l'intérieur devient de plus en plus
odieuse. Vingt fois le jour on vient troubler Madame sur
les plus légers prétextes, afin de la voir. Indignée de cette
1. Il nous avait dit souvent que si Louis- Philippe tombait, le gouvernement
légitimiste n'hériterait pas, et que ce serait la République. {Note de Mme d Hau-
lefort).
42 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
persécution, je vais souvent répondre pour elle, mais on ne
se contente pas toujours de cet échange.
Du 10 mai au 8 juin 1833. — Le 10 mai, Madame la
duchesse de Berry me chargea d'écrire à la princesse de
Beauffremont '. Je n'avais rien de plus à cœur que de faire
ce qui était agréable à Madame, et je ne crois même pas avoir
eu une seule pensée qui n'ait été pour elle pendant ma lon-
gue réclusion. J'écrivis donc, et lui montrai ma lettre, qu'elle
approuva. Je reçus la réponse de Laurence, qui me mandait
avoir reçu seulement la copie de ma lettre qui avait été
retenue à la poste. J'ai su depuis que plusieurs copies en
avaient été répandues par ordre. Je ne me figurais pas qu'un
simple souvenir à une amie eût autant d'importance. Cette
publicité me parut pitoyable ; et plus pitoyable encore le vol
qui m'en avait été fait. Je m'étais bien engagée, en m'enfermant
à Blaye, à n'écrire que des lettres ouvertes, mais non à les
perdre et à ne laisser arriver à mes amies que des copies.
La lettre que j'adressais à Mme de Beauffremont était sa
propriété ou la mienne : il }' avait fraude en la retenant.
Quelques jours après, M. Bugeaud demanda à être in-
troduit près de S. A. R., et lui dit qu'il venait de recevoir
une dépêche télégraphique, par laquelle on le chargeait
d'annoncer à Madame que M. de Lucchesi était à la frontière,
qu'il en avait prévenu le gouvernement et qu'il demandait
à Madame si elle voulait le recevoir. « Mais, général, dit
Madame, ce n'est pas une question a faire à une femme de
lui demander si elle a envie de voir son mari ! Vous ré-
pondrez que je désire qu'il vienne tout de suite. » Le géné-
ral sortit. S. A, R. me fit appeler et me conta ce qui s'était
passé. « Avez-vous vu la dépêche? lui demandai-je. — Non »,
me dit Madame. Elle la fit demander. M. Bugeaud lui envoya,
non la dépêche, mais une copie du passage où il était ques-
1. La duchesse de Berry avait accouché, le 10 mai, à 3 h. 20 minutes du
matin, d'une fille, Anue-Marie-Rosalie Lucchesl-Palli, qui mourut à Livourne le
18 novembre 1833.
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 43
tion du comte Lucchesi. Il y avait : « Demandez sans im-
portance si madame désire le voir. » Il était clair que c'était
un piège, qui fut déjoué par le vœu très sincère que S.A. R.
formait pour l'arrivée de M. de Lucchesi.
En supposant qu'il eût réellement attendu la réponse du
gouvernement à Strasbourg, nous calculions que M. de Luc-
chesi pouvait arriver à Blaye sous peu de jours ; et cepen-
dant on n'en parlait pas du tout à la citadelle. Madame,
choquée de ce silence, en témoigna sa surprise au général.
« Comment dois-je qualifier ce trait de votre gouvernement.
Monsieur ? lui dit-elle. On me dit que M. de Lucchesi est
à la frontière, qu'il viendra ici aussitôt que je le demanderai :
ma réponse est affirmative et prompte, et je n'entends plus
parler de rien ? Si Louis-Philippe a voulu me jouer, il s'est
encore plus joué lui-même. — Mais, madame, répondait M.
Bugeaud assez embarrassé, je ne comprends rien moi-même
à ce silence et je vais encore en écrire. » Il écrivit, en effet,
mais au lieu d'une réponse précise il n'en reçut qu'une
évasive, où l'on disait que l'on ne concevait rien à la marche
du voyageur ; que beaucoup de gens le croyaient à Paris,
mais que s'il y était, il y était bien caché, etc. Depuis lors,
M. Bugeaud évita ce sujet de conversation, honteux, je le
suppose, de cette nouvelle infamie de son gouvernement.
Depuis l'espèce de transaction que Madame avait faite
avec le général, il avait été souvent question du voyage de
S. A. R., et elle avait paru désirer qu'on la transportât à
Bayonne ou à Saint-Sébastien, d'où elle aurait pu gagner
Barcelone et s'embarquer de là pour Palerme. Les ministres
répondirent que Madame la duchesse de Berry ne traver-
serait pas l'Espagne ni la France, et qu'une frégate armée
serait envoyée à l'embouchure de la Gironde pour la con-
duire en Sicile par Gibraltar sans débarquer nulle part. Le
gouverneur de la citadelle devait l'accompagner.
L'immense détour qui était imposé à Madame l'effraya
peu. Familiarisée avec les dangers, elle craint encore moins
ceux de la mer. J'avoue que ma faible santé ne me sembla
44 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
pas pouvoir résister aux fatigues d'une traversée de neuf
cents lieues. J'appréhendai qu'une trop forte épreuve ne me
mît dans l'impossibilité d'être utile à Madame, et me déter-
minai à lui soumettre mes craintes. Sa bonté ne se démentit
pas en cette occasion. Elle comprit que mes forces ne se-
conderaient pas mon courage et consentit à me laisser en
France, en supposant que je fusse remplacée auprès d'elle.
— S. A. R. me chargea d'écrire à Mme de Montaigu et à
Mme de Castéja. Ces dames n'ayant pu se rendre au désir
de Madame, S. A. R. réclama en cette circonstance une amie
dont le dévouement ne se fit pas attendre. Mme de Beauf-
fremont apporta elle-même sa réponse. Son mari obtint la
permission de s'embarquer aussi avec Madame.
Quelques jours avant son départ. Madame reçut enfin
M. Hennequin, dont elle avait en vain réclamé les conseils
ainsi que ceux de M. de Chateaubriand. Celui-ci était parti
pour Prague. Madame ne pouvait plus espérer de le voir.
M. de Mesnard avait remplacé M. de Brissac, que sa
famille réclamait après une absence presque continuelle de
trois années. Je ne saurais assez me louer de mon compagnon
d'infortune, dont l'amitié m'a été d'une grande consolation
pendant tous nos malheurs, — M. Hennequin passa trois
jours à Blaye pour régler avec S. A. R. les affaires impor-
tantes qui concernaient la fortune de ses enfants et sauver
quelques débris de leur ancienne splendeur. Continuellement
occupée d'eux, elle ne trouvait d'allégement à ses maux qu'en
nous parlant de Louise et de Henri.
Malgré la parole donnée par le général Bugeaud au nom
du gouvernement de Louis-Philippe, il semblait qu'on vou-
lût l'éluder en mettant chaque jour de nouvelles entraves au
départ de Madame. En engageant elle-même sa parole, S.
A. R. avait exigé la signature de la majorité des Ministres.
Au lieu de cela, M. Bugeaud ne reçut qu'une lettre, signée
seulement de deux d'entre eux, dans laquelle on se réservait
encore les « éventualités » ; et cette lettre ne fut communi-
quée à Madame qu'après l'événement. De nouvelles difficultés
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 45
survinrent lorsqu'elle demanda à partir. On exigea encore
d'elle trois choses : 1° un certificat de ses médecins qui
donnât l'assurance que sa santé lui permettait de partir, 2°
que Madame désignât elle-même le lieu où elle voulait être
conduite, 3° que S. A. R. donnât elle-même par écrit la liste
des personnes qu'elle emmenait. Pressée vivement par M.
Bugeaud de répondre sur-le-champ à ces questions, elle
voulut auparavant consulter M. Hennequin, puisqu'il était à
sa portée ; ce qui fut terminé le lendemain.
Le général devenait de plus en plus ombrageux à l'égard
des légitimistes et particulièrement de ceux qui avaient
obtenu l'entrée de la citadelle dans ces derniers moments.
De ce petit nombre était le marquis de Dampierre, loyal et
fidèle ami de Madame, dont l'esprit distingué et les nobles
manières sont autant dignes d'être appréciés que ses vertus
sont vénérées dans le Midi. Dans l'incertitude où Madame
était de la réponse de Mme de Beauffremont, elle avait pensé
à Mme de Dampierre pour l'accompagner dans ce long et
pénible voyage, et demanda au général Bugeaud l'autorisa-
tion nécessaire pour faire entrer Mme de Dampierre à la
citadelle. Il vint aussitôt, et séance tenante le nom de Mme
de Dampierre fut envoyé par le télégraphe. Au reste, j'avais
assuré Madame que rien dans le monde ne m'empêcherait
de la suivre si elle se trouvait sans compagne. Mais Mme de
Beauffremont arriva le 5 juin '. Elle pensait qu'il lui serait
permis d'accompagner Madame à sa sortie ainsi que plu-
sieurs personnes qui avaient réclamé cette faveur ; mais on
craignit apparemment de laisser voir que Madame n'avait
1. Le comte d'Hautefort écrivit alors, de son château d'Etiau, au préfet de
Maine-et-Loire : « L'incertitude oùj'étais jusqu'à présent de la marche de Mme
d'Hautefort ne m'ayant permis de faire aucun projet, il m'a été impossihle de
vous dire si je profiterais du passeport que vous eûtes la bonté de me donner
pour Blaj'e. Une lettre d'elle m'apprend enfin qu'elle ne suivra pas Son Altesse
Royale Madame la duchesse de lierry à Palerme, ayant trouvé à se faire rem-
placer, et qu'elle sera sous peu de jours près de moi. Il ne me reste donc plus
qu'à vous remercier de votre extrême obligeance, à vous assurer que je n'ai fait
ni ne ferai aucun usage du visa que vous voulûtes bien me donner, et à vous
prier d'être convaincu de toute la reconnaissance avec laquelle j'ai l'honneur
d'être votre très humble et très obéissant serviteur. »
46 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
qu'à paraître pour retrouver tous ses amis, et il leur fut
prescrit de se rendre de leur côté sur le bateau à vapeur
qui devait conduire la princesse jusqu'à l'Agathe. Nous
avions tous obtenu la faveur de l'accompagner jusqu'à ce
qu'elle passât sur cette corvette.
Le cortège de S. A. R. pour sortir de la citadelle fut sim-
plement composé de ceux qui av^aient partagé sa captivité.
Madame avait passé la nuit à écrire et à terminer divers
arrangements, s'occupant de tous ceux qu'elle laissait et de
ceux qu'elle espérait rejoindre, laissant de petits souvenirs
à ses amis de France, emportant de jolis présents pour ses
chers enfants, et emballant elle-même leurs portraits qui ne
la quittent jamais. Elle me promit celui de Henri V, aussi-
tôt qu'elle serait réunie à lui.
Le départ était fixé à 10 heures, le 8 juin, jour et heure
du marché de la petite ville de Blaye ; par conséquent, tout
était arrangé pour que le passage de S. A. R. y fût aussi
solennel que possible. J'étais loin d'être joyeuse en voyant
la fin de ma réclusion, et n'étais frappée que de l'idée d'une
séparation douloureuse et prochaine. Je ne pouv^ais quitter
la chambre de Madame, cette chambre où nous avions passé
ensemble de si cruels moments, et j'eus la consolation de
voir mon attendrissement partagé par Madame. Elle me
donna une bague remplie de ses cheveux et me renouvela
la promesse du précieux portrait, promesse qui m'a été
confirmée dans sa dernière lettre de Gratz. — Cependant il
fallait partir. « Savez-vous, me dit Madame, que nous
allons donner à Blaye la représentation de la marche du
Bœuf gras ? » Tout avait été disposé, en efifet, pour donner
une espèce de spectacle à la population qui encombrait les
quais au sortir de la citadelle. M. Bugeaud donnait le bras
à S. A. R. Je voulais me rapprocher d'elle, mais un officier
me barra le passage en me déclarant que je ne devais suivre
Madame qu'à trente pas de distance ; et pour m'y maintenir,
il marchait devant moi. D'autres officiers escortaient Ir
reste de la suite. Il en fut de même au moment de l'embae-
LA DUCHESSE DE BERRY A BL.VYE 47
cation : on ne me laissa pas partir dans le canot de la prin-
cesse. J'attendis mon tour au milieu de la foule qui gardait
un respectueux silence sur le passage de Madame. Je ne puis
rendre l'angoisse où m'avait jetée cette dernière journée.
Lorsque j'arrivai au bateau, Madame me reçut avec efifusion
mais aussi avec fermeté, en me disant : « Allons, du courage,
nous nous reverrons. »
Elle avait retrouvé le prince et la princesse de Beauffre-
mont, M. et Mme de Dampierre et leurs enfants, etc. etc. La
contre-partie de notre société légitimiste était plus nom-
breuse, car elle se composait de 60 ou 80 gardes nationaux,
outre le gouverneur de Blaye, son état-major, le sous-préfet,
etc. Nous arrivâmes devant l'Agathe vers midi ou une heure.
La marée était alors dans toute sa violence. Deux canots
partirent pour venir chercher Madame. La mer était tellement
effrayante, que nous suppliâmes S. A. R. d'attendre quelque
temps. « Vous avez raison, nous dit-elle ; partir maintenant
serait une bravade sans utilité. »
On attendit au moins trois heures dans cette lutte fati-
gante qui rendit tout le monde malade. Il eût mieux valu
partir trois heures plus tard, mais l'heure du marché eût été
passée ! Quand la mer fut plus calme. Madame, voulant se
dérober à de trop pénibles adieux, passa presque inaperçue
sur le canot, qui s'éloigna à force de rames jusqu'à Y Agathe ;
et bientôt nous eûmes perdu de vue cette corvette que nos
plus douloureux regrets accompagnaient.
La duchesse de Berry débarqua à Palerme le 5 juillet 1833.
Elle mourut le 16 avril 1870, et à l'occasion de son décès il y eut
à Angers une cérémonie religieuse, dont VUnion de l'Ouest rendit
compte en ces termes : « Le 2 mai 1870, à 11 heures, la cathé-
drale d'Angers était remplie, depuis l'autel jusqu'aux grandes
portes, d'une foule recueillie, assemblée pour rendre à la mé-
moire de S. A. R. Madame la duchesse de Berry le suprême hom-
mage des cœurs chrétiens et français. Les tentures noires et le
chiffre C, surmonté de la couronne royale, disaient l'objet de la
48 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
pieuse cérémonie et rappelaient le souvenir de l'illustre défunte.
La messe a été chantée par M. l'abbé Chesnet, chanoine titulaire.
Au chœur, assistaient M. l'abbé Bompois, vicaire général, et le
clergé de la paroisse. Après la messe, le célébrant a donné
l'absoute. La quête qui a été faite, pendant la messe, et dont le
produit sera intégralement versé aux pauvres, a dépassé 1.000 fr.
Ne voulant nous exposer à commettre quelqu'oubli bien involon-
taire, nous renonçons à nommer tous ceux, quel que soit leur
rang, qui ont pris part à cette cérémonie, touchant image de
fidélité et d'inébranlable affection. Ils savent, et ce sera leur
récompense, qu'il ira droit au cœur du noble prince, fils désolé,
qui supporte avec une si rare dignité et un si ferme respect de lui-
même et de son nom, les chagrins de l'exil. »
Quant à la comtesse d'Hautefort, elle retourna avec son mari,
au château d'Etiau, commune de Jumelles. Le 5 juillet 1848, une
visite domiciliaire fut faite en ce château par le sous-préfet et le
procureur de la République de Baugé. Le comte d'Hautefort
mourut le 12 mai 1850, et l'Union de l'Ouest lui consacra l'entre-
filet suivant : « M. le comte d'Hautefort, ancien officier supérieur
des gardes du corps et officier de la légion d'honneur, vient de
terminer sa carrière. Issu d'une famille illustre et alliée aux plus
anciennes maisons de France, M. le comte d'Hautefort, digne
héritier des sentiments de fidélité qui animaient ses ancêtres,
montra le même dévoument à l'auguste famille des Bourbons ; et
l'on peut dire en toute vérité qu'il ne s'écarta jamais du chemin
de l'honneur et de la fidélité. A l'époque de la Restauration, le
roi lui accorda un brevet de lieutenant des gardes du corps qui
lui donnait le rang de colonel, et le fit plus tard gentilhomme de
la chambre. Le comte d'Hautefort laissera de longs regrets dans
le souvenir des personnes qui ont eu l'avantage de le connaître.
Simple dans ses mœurs, noble dans ses manières, affectueux
pour ses amis, doux et bienveillant pour tous ceux qui l'appro-
chaient, on ne pouvait le voir sans être porté d'inclination pour
lui, et sans concevoir bientôt une profonde estime pour son carac-
tère. Sa mort chrétienne a été digne de sa vie, et elle sera long-
temps pleurée par sa famille et ses nombreux amis. »
La comtesse d'Hautefort décéda à Paris le 17 avril 1873. Voici
la lettre que M. l'abbé Massonneau. curé de Longue, écrivit à
cette occasion au vicomte Arthur de Cumont, député de Maine-
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE 49
et-Loire : « Je viens d'assister à une triste cérémonie, à la sépul-
ture de M'"'' la comtesse d'Hautefort, née de Maillé. La constitu-
tion si vigoureuse de M™- d'Hautefort nous donnait l'espérance
de la conserver encore longtemps ; mais son séjour à Paris, des
habitudes et des relations auxquelles, malgré son grand âge, elle
ne pouvait renoncer, l'ont conduite en quelques jours au terme
d'une vie qu'elle avait su rendre féconde en bonnes œuvres. Le
jeudi 17 avril, M™* la comtesse d'Hautefort expirait dans son
hôtel, rue de Grenelle Saint-Germain, à l'âge de 86 ans, La
nouvelle de sa maladie et de sa mort a été pour les habitants de
Saint-Philbert-du-Peuple et de Longue un deuil public. « Quelle
perte pour les pauvres ! » disait-on de toutes parts. Nous pou-
vons l'affirmer, pas un cœur nest resté froid ou indifférent en
présence de ce douloureux événement. Les obsèques de M"*^
d'Hautefort ont eu lieu à Sainte-Clotilde, sa paroisse. Parmi la
nombreuse assistance qui remplissait l'église, on comptait des
représentants de toutes les grandes familles du faubourg Saint-
Germain. Le deuil était conduit par son neveu, M. le marquis de
Maillé. Mais à cette cérémonie imposante et douloureuse il man-
quait quelque chose, il manquait la présence des pauvres. A Paris,
ils ne connaissent pas la plupart du temps la main qui vient à
leur aide. Ah ! le cortège de charité qui fait le plus bel éloge des
morts, n'eût pas manqué assurément à M'"® d'Hautefort si sa vie
se fût terminée au château d'Etiau. En disparaissant, la comtesse
d'Hautefort laisse un vide immense dans le pays qu'elle habitait.
Par son nom, par ses alliances, par son caractère, par son âge,
elle y occupait une position exceptionnelle. On n'oubliera pas de
longtemps l'alTabilité, la bonté, la simplicité charmante, avec
lesquelles elle faisait à ses hôtes les honneurs de son château.
Mêlée durant sa longue existence à tant d'événements, ses sou-
venirs lui fournissaient le sujet de récits pleins d'intérêt. Nommée,
jeune encore, dame du palais de la Duchesse de Berry, M"''= la
comtesse d'Hautefort assista à son entrée en France, et aux fêtes
brillantes que firent bientôt oublier, hélas ! le crime de Louvel et
la funeste révolution de 183(3. La comtesse d'Hautefort, qui avait
été la compagne de la princesse dans ses jours de joie, ne voulut
pas se séparer d'elle au moment des épreuves. Après avoir par-
tagé sa prison, lorsqu'elle fut enfermée au château de Blaye,
Muie d'Hautefort continua de visiter M'"'' la duchesse de Berry
hk.V. HIST. DK LA RKVOL. k
50 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
dans son exil. Aussi, pendant les jours qui précédèrent sa mort,
le nom de Caroline revint-il à plusieurs reprises sur ses lèvres.
On eût dit qu'en l'appelant, elle attendait le moment de se réunir
à elle. Femme d'une haute intelligence et d'un grand cœur, M"^*^
la comtesse d'Hautefort avait en politique des idées très larges,
très conciliantes et toutes d'apaisement. Jamais il ne lui échappait
un mot amer contre la branche cadette des Bourbons ; et qui,
cependant, aurait eu plus qu'elle le droit de s'en plaindre ! Mes
relations avec M"""^ la comtesse d'Hautefort m'avaient mis à même
d'apprécier l'étendue de sa charité, et je puis dire qu'elle se
regardait comme obligée de ne laisser autour d'elle aucune
misère sans soulagement. Je n'ai pas souvenance d'avoir sollicité
inutilement son concours pour une bonne œuvre. C'est un hom-
mage de reconnaissance que je me plais à déposer sur son tom-
beau. Celte disposition si admirable de son cœur lui a permis, je
n'en doute pas, de se présenter avec confiance au tribunal du
Souverain Juge, qui ne laisse rien sans récompense, pas même
un verre d'eau en son nom. Si nous pouvons éprouver quelque
consolation à la perte que nous venons de faire, c'est en pensant
que M'^'= la comtesse d'Hautefort a pour lui succéder des petits-
neveux qui ne failliront pas aux exemples qu'elle leur a donnés.
Ils seront, comme elle, l'appui des malheureux, et les pauvres de
Saint-Philbert et de Longue trouveront en eux des cœurs tou-
jours compatissants à leurs souffrances. »
Une noble maison d'Anjou, la maison d'Hautefort, venait de
s'éteindre sans qu'il restât personne pour perpétuer ce nom
illustre.
F. UZUREAU.
ANÏONMARCHI '
ËTAIT-IL MEDECIN ?
Voici l'une des plus troublantes et des plus graves ques-
tions que soulève cet exil de Sainte-Hélène pourtant si fertile
en interrogations et en surprises -. Serait-il vrai que Napo-
léon, pendant plus de deux années de souffrances, n'eût reçu
des soins que d'un fanfaron ignare, « point docteur, pas
même médecin», et que les membres de sa famille, chargés
par le gouvernement anglais de lui fournir les secours mé-
1. L'orthographe adoptée ici est celle du registre de l'état-civil de Morsi-
glia, où l'enfant est inscrit comme né le 4 juillet 1789 ; c'est celle qui est suivie
dans tous les documents officiels ou officieux, dont il sera question au cours de
cette étude. Malgré le changement qu'j- a apporté Antonmarchi, elle reste l'or-
thographe légale, et, de ce fait, tranche la petite question posée par M. Masson
(Autour de Sainte-Hélène, I, 129).
2. « On a peu de renseignements sur le Docteur Antonimarchi, et, sur la
plupart des points, on se voit obligé de répéter ce que disent de lui les articles
biographiques ». Tel est l'aveu que fait M. Philippe Gonnard dans son livre sur
les Origines de la Légende Napoléonienne.
C'est pourtant avec cette ignorance pour tout bagage que les historiens ont
jusqu'ici dénigré les connaissances professionnelles d'Antonmarchi. Au dossier,
en dehors des quelques renseignements fournis par l'accusé lui-même, pas une
pièce qui vienne étayer cette catégorique affirmation d'incapacité. Vraiment c'est
insuffisant et, en l'espèce, quelque peu ridicule. Qu'Antonmarchi, à son retour
de Sainte- Hélène, eût éprouvé, comme tous les membres de la " Famille », les
rigueurs des gouvernants de l'Europe, lesquels ne pouvant pas lui confisquer ses
biens, puisqu'il n'en avait pas, jugèrent bon de détruire sa réputation, il n'y
avait là rien que de naturel. Seul, le contraire eut pu attirer sur lui quelque
soupçon. Mais que des historiens érudits, éloignés de ces événements, aient pu
accepter sans hésiter un jugement basé uniquement sur la rancune et la haine ;
qu'ils n'aient point révisé, à la faveur de documents positifs, un procès sans
preuves, voilà de quoi surprendre. Les pièces apportées ici sont donc toutes,
sans aucune exception, absolument inédites. Elles éclairent la figure du médecin
de Napoléon d'un jour assez nouveau pour que sa valeur médicale reste désor-
mais hors de cause. Mais je n'ai envisagé ici que le professionnel et non l'homme
privé. Sur celui-ci, au moins dans cette étude, je n'apporterai aucun fait nouveau
ni aucune opinion personnelle. 11 a d'ailleurs des témoins de ses actes et on peut
le confronter avec eux.
52 REVUE HISTORIQUE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE
dicaux qu'il réclamait, eussent été assez inconscients pour
lui adresser un individu sans titres ni connaissances, dont
le seul mérite, à leurs yeux, eût été d'avoir vu le jour dans
l'île berceau des Bonaparte? Que Fesch, absorbé par ses ta-
bleaux et ses objets d'art, dérangé dans ses manies de
vieux collectionneur par une responsabilité inattendue, ait
accepté pour médecin de son neveu le premier qui s'offrait
à lui, passe encore. Mais Letizia, la Mère, dont l'amour pour
« son grand et malheureux proscrit »>, comme elle l'appelait,
ne s'était pas démenti un seul instant depuis la Crise terri-
ble, aurait-elle pu accepter de laisser partir- pour la rempla-
cer au chevet de son fils, bientôt agonisant, ce « barbier
corse, le plus ignorant dans sa profession » ? Rien, dans sa
conduite, ne nous autorise à supposer un manquement si
grave à l'affection maternelle.
Il faudrait donc admettre que Madame et le Cardinal
avaient sur l'homme qu'ils envoyaient à Sainte-Hélène des
renseignements assez exacts et assez sérieux pour le juger
digne de leur confiance, et pour remettre entre ses mains
— puisque le gouvernement anglais leur en confiait la charge
— la santé du prisonnier. Alors d'où vient qu'Antonmarchi
est apparu à des historiens modernes comme un ignorant et
un incapable, inapte à servir de médecin à l'Empereur ?
N'est-ce point que sa tâche était au-dessus des forces et des
connaissances humaines de ce temps-là? Oui, sans doute,
puisque ni O'Méara, ni Stokoë, ni Arnott, tous médecins
patentés, n'arrivèrent point, non pas à guérir l'Empereur,
mais même à diagnostiquer sa maladie. Si donc Antonmar-
chi n'a réussi qu'à procurera son malade une amélioration
passagère, convient-il de rejeter sur lui personnellement
des fautes professionnelles imputables à une instruction in-
férieure et insuffisante, ou faut-il rendre responsable l'épo-
que entière et les connaissances médicales du moment?
C'est ce qu'il convient d'examiner en étudiant l'instruction
et la science professionnelles de notre barbier.
Barbier, d'abord il ne l'était point et ne le pouvait être,
AXTONMAKCHI ÉTAIT-IL MÉDECIN 53
car le temps des barbiers était passé. S'il est vrai que «jus-
qu'au milieu du XVIII' siècle la chirurgie était exercée par
les barbiers chirurgiens perruquiers », Antonmarchi ne vivait
pas au milieu du XVIIP siècle, mais au commencement du
XIX'', et Napoléon, lui-même, avait pris soin de relèvera son
véritable niveau la profession des anciens barbiers. 11 fallait
désormais des titres effectifs, et nul n'exerçait plus la mé-
decine qu'il ne fût officier de santé ou docteur.
Or Antonmarchi était docteur en médecine. Il avait acquis
son diplôme à l'Université de Pise le 13 mars 1808. Après
avoir consigné la veille la somme de 304 lires 2 sous, mon-
tant des droits de son doctorat en philosophie et en méde-
cine, il avait pris le bonnet le lendemain : « Aujourd'hui, 13
mars 1808, M. Francescofils de Jean Antonmarchi, de Mor-
siglia en Corse, a été reçu docteur en philosophie et en mé-
decine. Le Docteur Andréa Vaccà l'a couronné; le député M.
l'archidiacre Morali a pris le décret qu'a demandé M. le chan-
celier Meazzoli pour le Chancelier épiscopal empêché. » Telle
est la pièce authentique par laquelle le Docteur Antonmarchi
pouvait désormais se consacrer à la profession médicale.
Mais deux mois, à peine, après la réception du jeune
docteur, le décret impérial du 12 mai 1808 bouleversait la
Toscane. Napoléon, après avoir chassé la Reine d'Etrurie,
se décidait à annexer à l'Empire les populations florenti-
nes, et le régime impérial, avec ses formules centralisatrices,
se substituait à l'ancien gouvernement. L'exercice de la mé-
decine nécessitait désormais un titre scientifique français,
Antonmarchi aurait pu alors obtenir l'équivalence de son
grade de docteur en médecine toscan contre celui de doc-
teur en médecine français, comme il était aisé de le faire,
en repassant une thèse de doctorat. Mais il en jugea autre-
ment. Il prit le parti de recommencer ses études, et, re-
prenant la «gabanella» de l'étudiant, il vint à Florence ap-
profondir, sous les maîtres éminents du Collège de Chirur-
gie, cette science chirurgicale dont ses études médicales lui
avaient donné un aperçu.
54 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Le 9 juillet 1808, Francesco Antonmarchi fut admis à
l'hôpital de Santa Maria Nuova, le grand hôpital enseignant
de Florence, comme jeune étudiant en chirurgie, avec la cau-
tion du Docteur Nicodemo Botlega. Il devait fournir pour
sa nourriture et son entretien 4 écus par mois *, et, le jour
même de son entrée, il paya à titre d'avance la somme de 8
écus, outre celle des 6 autres écus constituant le dépôt ha-
bituel. Moyennant quoi, il fut un des « convittori » de l'éta-
blissement. On appelait ainsi les élèves qui, ayant le gîte et
le couvert dans l'hôpital, devaient en payer la fourniture. Ré-
partis en groupes divers, ils assuraient des services secon-
daires de visite et de garde et remplissaient un rôle d'in-
ternes auxiliaires.
Antonmarchi commença donc par le bas de l'échelle et
fut admis dans la classe des nouveaux, comprenant les as-
sistants des gardes et astreints à toutes les leçons de l'hô-
pital. Sans compter le grand cours d'anatomie, qui durait
pendant la presque totalité des études, il aurait à suivre des
cours complets de physiologie, de pathologie chirurgicale,
de thérapeutique, de traitement des maladies particulières,
de médecine opératoire, d'obstétrique, de chimie médi-
cale, de botanique, de matière médicale, tous cours profes-
sés dans un espace de deux ans et dont le cycle absorberait
les quatre années d'études. Il serait tenu de gagner tous ses
grades et de « jeune assistant », de devenir, en suivant une
filière longue et difficile, « sous caporal », puis « caporal »,
en passant, chaque fois, un examen. Ainsi il arriverait enfin
à cet état bienheureux de « giovane di medicheria » qui, pour
les « nouveaux » de S. Maria Nuova, devait paraître un coin
du Paradis.
Car la « Medicheria » ou « Officina Chirurgica », analo-
gue à nos salles de consultations modernes, fournissait le
grade le plus élevé qu'on pût atteindre au cours des études,
1. L'éfu toscan valait alors 5 fr.88^cn monnaie française.
ANTONMARCHI ÉTAIT-IL MÉDECIN 55
Choisis parmi les caporaux, les huit élèves de Medicheria
n'étaient admis dans cette haute catégorie qu'après y avoir
été reconnus aptes par un concours difficile. Chargés des
consultations, ils avaient pour eux un matériel particulier et
une installation spéciale. Ils exerçaient pleinement la chi-
rurgie élémentaire.
En échange des services rendus à l'hôpital, ils rece-
vaient gratuitement la nourriture, leur entretien, et jouis-
saient de l'exemption entière du payement de la pension
mensuelle. Ils restaient deux ans dans cette catégorie, qu'ils
pouvaient quitter avant la fin de ce temps pour prendre le
honnet de docteur. Outre les différents travaux de l'hôpital,
ils étaient tenus de suivre encore les cours d'anatomie et les
diverses leçons de chirurgie. Ce n'étaient point là des em-
plois d'oisifs.
Antonmarchi, étudiant appliqué, remplit avec exactitude
ses fonctions. Le l*^"" janvier 1809, il était nommé « sous-
caporal » et, de ce fait, bénéficiait de la diminution d'un écu
dans la pension mensuelle à payer à l'hôpital ; le 20 mars,
« caporal », d'où bénéfice d'un autre écu dans la men-
sualité à fournir. Le l^'^ juillet, il quittait l'hôpital pour
aller passer à Morsiglia trois mois de vacances jusqu'à la
fin de septembre. Mais revenu le 1^' octobre 1809, il repre-
nait sa tâche, qu'il ne devait plus interrompre que pour
raison de santé pendant un mois et dix jours, du 1" août
au 10 septembre 1810. Le 1" octobre de cette même année,
il était nommé premier élève du « Campo Santo », où il
venait de passer trois mois sous la direction de Mascagni,
et cette nomination, où se manifeste déjà la protection qui
devait le suivre durant si longtemps à S. Maria Nuova, lui
donnait les avantages de la Medicheria : il n'aurait plus
rien à payer à l'hôpital. Continuant sa vie studieuse, il
passait enfin dans la Medicheria au milieu de mars 1811.
Tout portait à croire qu'Antonmarchi terminerait régu-
lièrement les deux années de Medicheria auxquelles il avait
droit avant de quitter l'hôpital. Mais un incident avait
56 REVUE HISTORIQUE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE
apporté un certain trouble dans sa vie d'étudiant pauvre.
Le 16 décembre 1811, on lui avait volé, dans sa chambre,
son pécule contenu dans sa malle et consistant en 13 piè-
ces de 10 paoli chacune. On lavait, disait-il, laissé « sans
un sou ». Et dans une supplique adressée, le 18 décembre,
aux membres de la Commission administrative de l'hôpital,
il avait demandé « étant très éloigné de sa famille, et se
trouvant au lit sans soutien » qu'on voulût bien lui faire
« remettre une petite aumône », Mais cette demande mo-
deste avait été rejetée le 8 janvier 1812. Antonmarchi restait
sans argent.
Est-ce cette perspective peu alléchante qui le détermina
à quitter S. Maria Nuova, ou était-il déjà assez avant dans
la protection de Mascagni pour que celui-ci s'occupât de lui
faire une situation ? Toujours est-il que le 13 janvier 1812,
le jeune homme, alors le sixième dans la Medicheria, adres-
sait à la Commission de l'hôpital une lettre l'informant de
ses projets de départ :
Une carrière attrayante s'est ouverte à moi pour pouvoir
m'occuper avec avantage de l'exercice de la médecine et de La
chirurgie et cela me détermine à me libérer de la charge de
mon maintien dans les hôpitaux qui dépendent aujourd'hui si
heureusement de votre administration. Cependant je ne pourrai
suffire tout seul à mener à bien cette détermination si vous ne
daignez m'en fournir les moyens. Je brûle donc de vous présenter
les instances respectueuses par lesquelles je demande que pour
fournir aux dépenses de l'Immatriculation en chirurgie il vous
plaise de m'accorder la somme de 50 écus. Cette somme sera bien
compensée par une dépense largement supérieure que votre ad-
ministration supporterait si elle devait continuer à pourvoir à
mon maintien pendant l'espace de 14 mois qui me manquent pour
terminer le cours de mes pratiques de Medicheria. Dans l'espoir
de voir ma demande bien accueillie, j'ai l'honneur...
Antonmarchi Francesco '.
1. Original en italien comme toutes les lettres d'Antonmarchi publiées ici,
sauf celle adressée à Fontanes.
ANTONMARCHI ÉTAIT-IL MÉDECIN 57
La Commission administrative n'était pas facile à émou-
voir. Malgré l'enquête favorable menée par le surintendant
des infirmeries, Bolli, qui louait dans son rapport »( le ser-
vice exact du sieur Antonmarchi et ses excellentes qualités
de jeune étudiant et subordonné », la Commission rejeta sa
demande, et c'est à ses frais que le jeune étudiant dut pren-
dre l'Immatriculation en Chirurgie '. Le 27 janvier 1812 il
quittait l'hôpital de S- Maria Nuova pour se consacrer à
l'exercice de son « attravante carrière ».
Libéré enfin de ses longues études, le jeune docteur alla
s'installer à Livourne. Qu'y fit-il ? On ne sait. Ce moment
de sa vie reste obscur et les recherches sont infructueuses.
A peine une note de police signale-t-elle qu'il y était em-
ploj'é <( au service des Français ». Mais à quel service ?
Fut-ce à la réorganisation des quatre hôpitaux de Livourne,
alors dans le plus grand désordre ? Fut-ce à des services
municipaux, ou à des services militaires accessoires ? Tou-
jours est-il que son séjour à Livourne, très bref, ne fut
guère qu'un passage. Il retourna à Florence où l'appe-
laient des souvenirs, des relations, surtout la protection de
son illustre maître le professeur Mascagni. Il revint aider ce
dernier dans ses grands travaux d'anatomie. Et sa carrière
prit à ce moment une autre orientation.
Le 5 novembre 1812, le professeur adjoint Filippo
Uccelli, remplissant à l'hôpital de S. Maria Nuova les fonc-
tions de prosecteur d'anatomie -, était nommé à la chaire
de clinique externe et d'opérations chirurgicales. Cette no-
mination laissait libre le poste de prosecteur, et Mascagni,
le premier informé de la nouvelle, put la communiquer à
1. La date exacte de la nomination d'Antonmarchi au grade de docteur en
chirurgie n'a pu être retrouvée, les registres de l'Université de Fise relatifs à
ces nominations ayant subi une interruption depuis le 30 novembre 1<S10 jus-
qu'au 7 juin 1815.
2. Le titre de prosecteur correspondait, non point à celui que nous quali-
fions ainsi aujourd'hui, mais à celui de (>hef des travaux anatomiques de nos
Facultés modernes.
58 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
son élève favori qui se mit immédiatement sur les rangs des
candidats :
Monseigneur, écrit-il dès le 17 décembre 1812 au Grand
Maître de l'Université Impériale, le nommé Antonmarchi Fran-
çois, natif de la Corse, docteur en chirurgie et en médecine, a
l'honneur de vous exposer très respectueusement que, destiné
à l'exercice de la médecine, il aspirerait aujourd'hui à la place de
Disséqueur (s/c) et Répétiteur d'Anatomie dans l'hôpital de Flo-
rence. C'est ce qu'il ose en ce moment vous demander.
Si V. E., aimant toujours encourager et répandre les bienfai-
santes faveurs sur les individus de l'Empire, et notamment sur
ceux qui en dépendent elle daigne accomplir les vœux de l'expo-
sant mais elle est retenue par la crainte de mal diriger ses bontés,
elle n'aura qu'à demander préalablement des informations à
l'excellent professeur d'anatomie Mascagni dont l'exposant a été
pendant 5 ans l'élève et est toujours l'admirateur.
La place que ledit exposant demande était auparavent occupée
par M. le D'' en chirurgie Filippo Uccelli que V. E. a bien voulu
dernièrement employer en qualité de professeur en chirurgie dans
le susdit hôpital de Florence.
Le pétitionnaire fondant son espoir dans le grand homme et
dans l'ami de l'humanité dont l'office sublime n'a d'autre but que
de rendre heureux celui qui l'implore, espère pouvoir obtenir
l'emploi qu'il demande sans témérité et sans inaptitude pour bien
accomplir les fonctions qu'il requiert. J'ai l'honneur...
François Antommarchi.
Dès sa réception ce pathos était transmis par Fontanes
à Cuvier, membre de la Commission Universitaire, « pour
examiner et donner son avis ». A quoi Cuvier répondit :
(( Il paraît convenable, avant de nommer à cette place de
prosecteur, que S. E. demande par les voies ordinaires
l'avis du professeur auquel ledit prosecteur doit être attaché. »
Ainsi la demande, suivant les voies régulières, serait exa-
minée tout à loisir par les compétences officielles. Fontanes
écrivit donc le 4 février 1813 au Recteur de l'Académie de
Pise, lui demandant de « prendre près du professeur d'à-
ANTONMARCHI ÉTAIT-IL MÉDECIN 59
natomie, M. Mascagni, les renseignements nécessaires à
l'effet de se mettre à portée de lui faire connaître si le sieur
Antonmarchi réunit toutes les conditions requises pour
remplir les fonctions de prosecleur ».
Sur ces entrefaites, un certain docteur Mazzoni qui,
depuis six ans, occupait, sans honoraires, une place ana-
logue de prosecteur dans un autre hôpital de Florence, celui
des Enfants trouvés, qui était chirurgien en cheî" à l'hôpital
de Saint-Jean-de-Dieu et chirurgien suppléant à S. Maria
Nuova, fit également sa demande pour obtenir la place
postulée par Antonmarchi et il eut le soin de la faire apos-
tiller par le comte Corsini, dont tout le monde connaissait
l'influence à Florence. Le concurrent était sérieux. Derechef
Fontanes dut écrire au Recteur de Pise, le 28 février, lui
demandant encore de prendre l'avis de Mascagni « et de le
lui transmettre avec le sien dans le plus court délai possi-
ble ».
A Pise les choses n'avaient pas traîné. Le 15 mars, l'Ins-
pecteur d'Académie, Santi, faisant fonctions de Recteur en
l'absence de M. Sproni, répondait à Fontanes : « Monsei-
gneur, en conformité des ordres que vous m'avez fait l'hon-
neur de me donner par votre lettre du 4 février dernier, j'ai
demandé à ]\L le professeur Mascagni, à Florence, les ren-
seignements nécessaires sur le compte de M. Antonmarchi.
M. Mascagni, par sa réponse, m'assure que ce docteur réu-
nit toutes les qualités les plus désirables pour remplir avec
honneur la place de prosecteur à l'hôpital de Florence ; il
me fait même un récit des préparations les plus difficiles
qu'il a su lui présenter dans le cours des années qu'il a
passées à son Ecole, et il prie votre bonté de lui donner la
préférence pour la place vacante par la promotion de M. le
professeur Uccelli.... » Un désir de Mascagni, aussi nette-
ment formulé, semblait ne devoir rencontrer aucune oppo-
sition.
Mais lorsque, quelques jours plus tard, on lui demanda
son avis sur Mazzoni, dont on fit valoir les mérites, ap-
60 RIÎVLE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
puyés par le comte Corsini, Mascagni intervint personnelle-
ment dans le débat et c'est sans bienveillance qu'il fit le
procès de l'intrus : il avait, il est vrai, suivi ses cours, mais
sans s'occuper des dissections anatomiques, en sorte qu'il
ne pouvait apprécier ses talents. De plus, Mazzoni, très oc-
cupé par ses différentes fonctions chirurgicales à St.-Jean-de-
Dieu, à S. Maria Nuova et dans sa clientèle, ne pourrait
guère trouver le temps matériel de faire les quatre prépara-
tions d'anatomie hebdomadaires qu'exigeait le service ;
d'instruire les élèves dans l'art de la dissection ; d'aider le
professeur d'anatomie dans ses cours toujours accompagnés
d'opérations sur le cadavre. Et lui-même ne pouvait plus,
comme par le passé, être constamment à l'hôpital. Il était
absorbé par « tout ce qui concernait la partie définitive et
l'explication des planches de son ouvrage ». Aussi travail-
lait-il toujours chez lui, ne passant plus à l'hôpital que la
matinée. Il avait donc besoin plus que jamais d'un prosec-
teur sérieux. « Dans Antonmarchi, écrivait-il à Sproni en
terminant, il me semble trouver réunies les qualités néces-
saires pour faire un bon prosecteur et je vous prie de favo-
riser sa nomination. »
Cette intervention clôturait le débat. En joignant la lettre
de Mascagni, écrite le 22 mars, à la sienne du 24 au Grand
Maître, l'Inspecteur Santi se contentait d'ajouter : « M.
Mascagni persiste toujours à donner la préférence à M. An-
tonmarchi et il est digne que ses vœux soient accueillis de
vous avec bonté. » Mais F'ontanes, tenant sans doute à être
agréable à Corsini, insistait auprès de l'Académie de Pise.
Le 5 avril, il demandait un supplément d'informations au-
quel Santi ne put que répondre, le 21 avril, par les mêmes
arguments : <.< Monseigneur, j'ai eu tout l'empressement de
m'informer exactement quel serait, parmi les aspirants à la
place de prosecteur à Florence, celui qui pourrait mieux en
remplir les fonctions. M. le professeur Mascagni, que j'ai
consulté, donne la> préférence à M. le docteur Antonmarchi,
le recommande et en répond. Ainsi, en nommant à la place
ANTONMARCHI ÉTAIT-IL MÉDECIN 61
de prosecteur M. Antonmarchi, V. E. donnerait une satisfac-
tion très flatteuse à M. Mascagni et serait assurée d'avoir
fait un choix utile pour le public. »
Fontanes n'avait plus qu'à signer. Toutefois épuisant les
moyens qui s'offraient à lui, il renvoya, encore une fois, tout
le dossier de l'affaire à Cuvier, qui était alors en Italie,
toujours « pour examiner et donner son avis ». Le scrupu-
leux Cuvier partit pour Florence et sa réponse fut catégo-
rique : « D'après les renseignements que j'ai pris à Florence,
écrivait-il, la présentation de M. Mascagni est convenable et
il me paraît que S. E. peut y accéder et nommer M. An-
tonmarchi. »
Ainsi, M. le Conseiller titulaire de l'Université, lui-même,
après enquête personnelle, déclarait Antonmarchi capable
de bien tenir le poste. Le candidat n'était donc pas sans
consistance, vide de titres et de science, car il n'en eût guère
imposé à Cuvier. La conclusion était de poids. Aussi Fon-
tanes, fort de cette dernière appréciation, n'hésita-t-il plus à
éliminer définitivement le candidat de Corsini. Après un
rapport, daté du 6 juillet, du chef de la division du personnel
des Facultés, il prit le 7 juillet l'arrêté définitif :
Nous, Louis de Fontanes, sénateur, grand maître de l'Uni-
versité Impériale, avons nommé et nommons M. Antonmarchi,
docteur en chirurgie, à la place de préparateur d'anatomie à Flo-
rence en remplacement de M. Uccelli appelé à d'autres fonctions.
M. le Recteur de l'Académie de Pise est chargé de l'exécution du
présent arrêté. Fait à Paris au chef lieu de l'Université Impériale,
le 7 juillet 1813.
Fontanes
Contre signé : le Chancelier Villaret.*
Antomarchi l'emportait donc. Ses titres profesionnels
1. M. Masson (Autour de Sainte- Hélène, III, 228) écrit : « Il est fâcheux que
cette nomination n'ait été enregistrée nulle part ». Les pièces précédentes ont
montré combien elle avait été régulièrement effectuée. Quant à l'original de
l'arrêté de Fontanes on le trouve aux Archiues Nationales sous la cote F 102.645
n" 3076. Il en fut fait deux expéditions.
62 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
étaient reconnus, ses connaissances officiellement constatées,
il prenait enfin place parmi les membres de l'Université Im-
périale. L'installation du nouveau prosecteur fut rapide. Le
15 juillet Fontanes écrivait au recteur Sproni à Pise :
Je vous adresse ci-joint l'arrêté par lequel j'ai nommé M.
Antonmarchi préparateur d'anatomie à Florence en remplace-
ment de M. Uccelli. Je vous invite à faire part de celte décision
à M. Mascagni, professeur d'anatomie, et à prendre les mesures
nécessaires pour que M. Antonmarchi soit installé le plus tôt
possible dans ces fonctions.
A la réception de cette lettre, le recteur Sproni invita, le
28 juillet, le professeur Mascagni à installer Antonmarchi
dans son poste, ce qui fut fait le premier août. A partir de
ce jour le nouveau fonctionnaire émargeait au budget de
l'Académie de Pise. Le 5 août, Mascagni informait officiel-
lement les membres de la Commission Administrative de
l'hôpital de S. Maria Nuova de l'installation d'Antonmarchi,
et la Commission en avisait le Préfet de l'Arno, le 10 août.
Enfin, le 11 août, le Recteur de Pise en faisait part au
maire de Florence. Ainsi tout était officiel et régulier.
Voilà donc notre docteur casé. C'est à Florence qu'il
doit, semble-t-il, poursuivre désormais le cours d'une exis-
tence paisible, mi officielle à l'hôpital, mi particulière dans
sa clientèle. Il s'est installé dans le Borgo dei Greci ^ et
consacre à ses malades le temps que lui laissent son dur
travail à l'hôpital ou l'aide qu'il donne à Mascagni pour
ses ouvrages. Aussi, pour établir sa valeur chirurgicale,
adresse-t-il, le 15 septembre 1813, une requête aux membres
de la Commission des hôpitaux : « François Antonmarchi
demande à être admis en qualité de chirurgien-adjoint à l'hô-
pital impérial de S. Maria Nuova, dans le poste même que
1. Cette vieille rue existe encore. Elle va de la piazza délia Sigiioria à la
piazza di Santa Croce.
ANTOXMARCHI ÉTAIT-IL MÉDECIN 63
S. M. le Roi Louis a concédé le 30 août 1802 à M. le Doc-
teur Filippo Uccelli comme prosecteur de cet hôpital. » Mais
Mascagni n'est point « persona grata » à l'Administration.
Elle trouve qu'il fait dans l'hôpital de « coûteuses recher-
ches » pour ses ouvrages personnels, et son protégé pàtit de
cet antagonisme. A la demande d'explications de la Com-
mission, le surintendant Bolli répond que la demande du
prosecteur n'est pas fondée puisque Uccelli n'a nullement
obtenu le titre de chirurgien adjoint à S. Maria Nuova parce
qu'il était dissecteur anatomique, mais parce qu'il était déjà
chirurgien à l'hôpital de Pise lorsqu'il fut nommé prosecteur
à Florence. Son successeur ne pourrait donc être nommé
que par une faveur spéciale de la Commission, faveur jus-
tifiée d'ailleurs par ses études antérieures. Mais la Com-
mission doit considérer le nombre déjà trop considérable
des chirurgiens adjoints « qui atteint actuellement le nom-
bre de douze alors qu'il était primitivement de deux ». Se
rangeant à cet avis la Commission fait donc écrire à Bolli,
le 27 septembre, « que dans sa séance du 23 septembre,
n'ayant pas trouvé dans la demande de M. Antonmarchi,
dissecteur anatomique de cet hôpital, un titre fondé pour
le nommer chirurgien adjoint, et, d'autre part, ne voulant
pas augmenter le nombre des adjoints qui est aujourd'hui
de douze au lieu de deux, elle a déclaré sa demande irrece-
vable ». Et voilà notre postulant évincé.
Jusqu'à la fin du régime français la carrière d'Anton-
marchi s'est poursuivie dans le calme d'une vie d'études et
sans incident notable. Mais que va-t-il se passer à la chute
de l'Empire ? Conservera-t-on les fonctionnaires de l'Uni-
versité nommés par le gouvernement de Buonaparte, dont
Antonmarchi ? La réponse est d'autant plus incertaine que
déjà, à partir du mois de juillet 1814, on a voulu ôter à celui-
ci une partie de son traitement. Aussitôt il proteste et expose
les faits : Le 30 août 1802, son prédécesseur Filippo Uccelli
a été nommé prosecteur avec un traitement annuel de 140
écus à fournir par l'Académie de Pise et la jouissance de la
64 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
maisun de l'ex-prosecleur. Le 28 novembre de la même
année, « S. M. le Roi Louis s'est déterminé à accorder une
augmentation de 9 écus par mois audit Uccelli, mais Elle a
déclaré en même temps que cette augmentation devait être à
la charge de la caisse de l'hôpital, restant entendu que le
traitement annuel à fournir par l'Université de Pise est
toujours de 140 écus ». Le 23 août 1805, un mota proprio a
ôté à Uccelli la jouissance de la maison, mais a augmenté
d'un écu par mois le traitement à payer par l'hôpital. Uccelli
touchait donc annuellement 140 écus de l'Université de Pise
et 120 écus de la Caisse Royale. A l'arrivée des Français,
l'Université Impériale a pris à sa charge les 140 écus de
l'Université de Pise et la ville de Florence les 120 écus
payés par l'ex-gouvernement toscan. Ainsi Uccelli émargeait
de 823 fr. 20 au budget de l'Académie de Pise et de 705 fr.
60 à celui de la ville de Florence.
Au moment de la nomination d'Antonmarchi la question
s'est posée de savoir s'il convenait de faire payer par l'Aca-
démie de Pise le traitement d'un maître employé à Florence
et l'inspecteur Santi avait envoyé à Fontanes un rapport
négatif. Mais Cuvier, consulté à ce sujet par le Grand
Maître, a répondu que « le prosecteur étant pour le service
du cours d'anatomie perfectionnée, on est fondé à soutenir
qu'il doit continuer à être payé par l'Académie ». Anton-
marchi a donc reçu la totalité du traitement ancien.
Mais à partir du mois de juillet de 1814, le Gouverne-
ment Granducal a supprimé l'indemnité accordée jadis par
le Roi Louis, ne laissant plus au prosecteur que le traite-
ment de l'Université de Pise. Aussi le 7 septembre Anton-
marchi « implorant de S. E. la justice qui lui est due »
adresse-t-il une réclamation au prince Rospigliosi avec les
pièces officielles éclairant les diverses phases de l'affaire.
Comme ses prétentions sont trop justifiées pour tenter de
les méconnaître, le commissaire de l'hôpital, comte Capponi,
« croit devoir apostiller sa demande ». Et le 5 octobre « S.
A. L et R. a nommé François Antonmarchi au poste de
ANTONMARCHI ÉTAIT-IL MÉDECIN 65
dissecteur anatomique vacant par la promotion à un autre
emploi du Docteur Filippo Uccelli, avec le traitement men-
suel de 10 écus à fournir par la « Depositeria » Royale, trai-
tement commençant à courir du l^'' juillet 1814, avec les
devoirs et obligations attachés à ce poste. »
Ainsi le décret de Ferdinand détruit toute équivoque et
rassure Antonmarchi. Le voilà fonctionnaire toscan et c'est
avec une certaine satisfaction que, le 27 octobre, il reçoit du
Commissaire de l'hôpital l'avis de sa nomination et du suc-
cès de sa réclamation. Il n'était que temps. Car le chevalier
Simon Colonna vient d'arriver de l'Ile d'Elbe, le 22 octobre,
et, depuis ce jour, ses visites constantes à Antonmarchi,
ses relations quotidiennes avec lui, que la police toscane
note soigneusement au jour le jour, auraient probablement
modifié, au grand détriment du chirurgien, les sentiments
du gouvernement granducal. Antonmarchi n'en payera pas
moins, deux ans plus tard, tous les soins que la police a
mis à accoler son nom à celui du personnage que l'on sait
être le mandataire officieux de l'importun voisin Buona-
parte.
Quand Paolo Mascagni mourut, le 10 octobre 1815, à
l'âge de 60 ans, ce fut pour Antonmarchi la perte la plus
sensible qu'il pût faire. Les liens avec Mascagni, formés en
1810, au moment où le professeur avait rencontré chez le
jeune homme cette prédisposition particulière à l'anatomie
qui l'avait fait distinguer, s'étaient resserrés. Une collabo-
ration plus étroite avait mis les deux hommes en un contact
presque journalier. Antonmarchi avait travaillé avec le
maître à la préparation de ses grands ouvrages anatomi-
ques, il avait sa confiance, presque ses secrets profession-
nels. Avec lui il perdait son protecteur immédiat ; il perdait
aussi l'espoir de lui succéder plus tard, quand le vieux
maître fatigué, occupé uniquement de ses publications,
passerait à son protégé cette chaire de professeur, désir
RKV. UIST. I)K LA RKVOL. 5
66 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
suprême du jeune chirurgien. La mort de Mascagni anéan-
tissait pour jamais les projets et les espoirs. Car Antonmar-
chi était trop jeune, trop désarmé pour lutter avec avantage
contre des confrères plus anciens, plus titrés, plus patronnés.
Du reste, son attente ne fut pas longue. Le 16 décembre
1815, le Grand Duc « voulant, à l'occasion de la mort du
professeur Paolo Mascagni, systématiser complètement
l'instruction donnée dans l'hôpital de S. Maria Nuova » fit
une série de nominations ou de mutations, et ce fut l'ex-pro-
secteur Uccelli, le protégé du Roi Louis, qui échangea sa
chaire de clinique externe contre celle d'anatomie.
Antonmarchi n'avait rien. Livré désormais à lui-même,
découragé par la nomination d'Uccelli avec lequel il entre-
tenait des rapports assez froids, dûs, sans doute, à leurs
divergences politiques, il ne voyait plus pour lui à S. Maria
Nuova qu'une situation de sous-ordre et il s'en détachait.
Les héritiers Mascagni, trop heureux, à ce moment, de
trouver en lui le collaborateur qui avait été tout près de la
pensée du Maître, n'avaient point hésité à lui demander son
concours pour éditer les œuvres du professeur, et il consa-
crait volontiers son temps à ces travaux qui, en associant
son nom à celui de Mascagni, feraient rejaillir sur lui une
partie de la notoriété qui s'attachait au défunt. Dans le
premier semestre de l'année 1816 il fit donc paraître le
premier ouvrage posthume de la série ; c'était YAnatomia ad
iiso degli studiosi di scultura e di pittura.
La publication était à peine terminée qu'il apprit, par
une circulaire adressée le 21 juin aux membres du corps
médical enseignant à Florence par le Directeur de la Faculté
de Médecine de Padoue, que la chaire d'anatomie de l'Uni-
versité de Pavie était vacante et qu'un concours pour ce
poste aurait lieu en octobre à Padoue. La place était ten-
tante. Elle lui permettrait, en outre, de continuer l'édition
des œuvres de Mascagni dans des conditions encore plus
favorables. Le 11 juillet 1816 il écrivit au Grand Duc pour
obtenir l'autorisation de se présenter : « François Anton-
ANTONMARCHI ÉTAIT-IL MÉDECIN 67
marchi, dissecteur anatomique de la Faculté de Pise au
Grand hôpital Royal de S. Maria Nuova, a l'honneur de de-
mander à V. A. I. et R. la permission de se présenter au
concours de Padoue pour la chaire d'anatomie vacante à
l'Université de Pavie, sans que, toutefois, il subisse un
préjudice pour ses fonctions actuelles au cas où il ne serait
pas choisi par S. M. l'Empereur et Roi d'Autriche pour
occuper ladite chaire. » L'autorisation lui fut accordée par
rescrit du lendemain, et dès que le comte Capponi l'en eut
informé, le 13, il se mit sur les rangs.
Le 5 octobre 1816 eut lieu à Padoue ce concours dont
Antonmarchi attendait la possibilité d'un changement dans
son existence. Comme titres scientifiques il avait présenté
cette Anatomia ad uso degli stiidiosi di scultura e di pittura
qui venait d'être publiée. 11 avait offert un exemplaire des
planches et pouvait espérer. Mais l'ombre de Mascagni ne le
protégeait point et il n'avait plus affaire au gouvernement
napoléonien. La Faculté, avec quelque dédain pour Masca-
gni, avait écarté cette œuvre » insignifiante... et loin de lui
faire le même honneur que lui avait fait son ouvrage sur la des-
cription des lymphatiques ». Mais surtout les notes qui pour-
suivaient Antonmarchi étaient peu favorables à la nomination
d'un homme qui ne pourrait faire un w honnête professeur».
On saisit quel devait être le sens de cet adjectif appliqué à
un Français Napoléonien par le Gouvernement Autrichien
de 1816. La vérité est qu'Antonmarchi payait aujourd'hui
son amitié et ses relations avec Colonna, l'agent de l'infâme
Buonaparte.
Découragé, le prosecteur reprit le chemin de Florence.
Rien ne l'attirait plus à S. Maria Nuova où, depuis la
mort de son maître, il ne faisait plus que du métier; où la
nomination d'Uccelli, soupçonné de faire partie des « indi-
cateurs » de la police toscane, lui faisait la vie difficile. Il de-
manda alors à passer quelque temps dans sa famille, et, le
31 mars 1817, le Grand Duc l'autorisa à quitter son poste
pour deux mois « pour se rendre en Corse, sa patrie, où l'ap-
68 REVUE HISTORIQUE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE
pellent quelques affaires de famille ». Mais au retour sa vie
avait recommencé monotone. Les travaux de l'hôpital ou
ceux de la clientèle n'étaient ni distrayants ni passionnants.
Seule la perspective de la publication des œuvres de Mas-
cagni jetait quelque flamme dans l'àme de notre chirurgien
et il y consacrait ses loisirs. Ainsi s'était terminée l'année
1817 et passée une partie de l'année 1818. Le Prodrome
de la Grande Anatomie était entièrement prêt ; la Grande
Anatomie elle-même était très avancée. Les héritiers Masca-
gni, satisfaits de la collaboration de 1816, avaient passé avec
Antonmarchi un traité en forme le nommant directeur des
éditions Mascagni. Brusquement une nouvelle incroyable
bouleversa ce train-train quotidien : on proposait à Anton-
marchi d'aller soigner l'Empereur Napoléon à Sainte-Hélène.
Tout ce que cette proposition offrait d'attrait irrésistible
pour un médecin jeune et inconnu fut immédiatement saisi
par Antonmarchi. Mais elle n'était pas définitive et il fallait
causer. Pour cela, le 28 novembre, il demanda un congé au
Grand Duc :
Le professeur Antonmarchi, très humble serviteur et sujet de
V. A. I. et R. et dissecteur anatomique dans le Grand hôpital
Royal de S. Maria Nuova à Florence, ayant une prompte occasion
de faire un voyage à Londres pour des circonstances très urgen-
tes et utiles à son propre intérêt, sollicite respectueusement de
V. A. I. et R. la grâce de pouvoir s'absenter pour six mois seule-
ment du poste qu'il occupe et de la charge qui lui a été confiée
par l'Université de Pise, au rôle de laquelle il est inscrit, promet-
tant que, pendant son absence, il installera à ses frais un habile
dissecteur qui mérite l'entière confiance soit du Gouvernement,
soit du professeur d'anatomie qui fait ses cours au théâtre anato-
mique du grand hôpital susnommé.
Le 28 novembre, le Gouvernement fit demander l'avis de
la Commission de S. Maria Nuova. Celle-ci répondit, le 3 dé-
cembre, que le remplaçant du pétitionnaire serait le Docteur
Lippi, sur le compte duquel ni elle ni le professeur d'anato-
ANTONMARCHI ÉTAIT-IL MÉDECIN 69
mie n'avaient rien à objecter. Elle proposait d'accorder le
congé, ce qui fut fait le 5 décembre. Le 7, le Surintendant des
Infirmeries était chargé d'informer le postulant de la déci-
sion souveraine ; il pouvait quitter la Toscane pendant six
mois pour aller à Londres.
Mais les choses prenaient une tournure plus décidée. Le
19 décembre, Fesch annonçait à Antonmarchi son choix
définitif: il le nommait officiellement médecin de l'Empe-
reur. N'ayant plus rien à faire à Florence, Antonmarchi de-
manda alors sa radiation définitive des registres de l'hôpital
de S. Maria Nuova et de ceux de l'Université de Pise. Le 29
décembre, le ministre Corsini donnait sa réponse à la Com-
mission de l'hôpital :
S. A. L et R., à qui l'on a présenté les instances du professeur
Antonmarchi, Corse, tendant à obtenir sa démission définitive
du poste de dissecteur anatomique dans cet hôpital L etR., a dai-
gné lui accorder sa démission le dispensant de tout service ulté-
rieur. J'ai l'honneur de vous communiquer cette décision pour
que vous la fassiez connaître audit professeur.
CORSIM
Ainsi le petit chirurgien de Florence entrait dans l'his-
toire.
Voilà les documents et les faits. Il reste à étudier à leur
lumière la valeur médicale d'Antonmarchi, à peser les griefs
d'ignorance qu'on lui a faits, à admettre ou à écarter les ac-
cusations dont il a été l'objet.
En dehors des phrases générales, des épithètcs malveil-
lantes de « barbier corse », d' « apothicaire de comédie »,
d' « anatomiste envoyé exprès pour l'autopsie», qui aigrissent
la discussion sans l'éciairer, quelles sont les charges profes-
sionnelles précises relevées contre lui? Dans l'ordre des
faits: de n'avoir point été reçu docteur en chirurgie de l'Uni-
versité Impériale; de n'avoir pas été nommé par le Grand
Mailre, F'ontanes, prosecteur de l'Académie de Pise avec
70 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
résidence à Florence ; de n'avoir « pratiqué sur vivants ni
Florentins ni Pisans ». Dans l'ordre des affirmations: de
n'avoir point apporté de preuves de son titre de docteur en
médecine et en philosophie de l'Université de Pise ; de s'être
dit « professeur d'anatomie » à l'Université de Pise. Telle est,
semble-t-il, la totalité des griefs articulés contre lui avant
son départ pour Sainte-Hélène *. Quelle en est la valeur?
Les documents publiés ici ont répondu d'avance à l'ac-
cusation de n'avoir pas été nommé directement prosecteur
de l'Académie de Pise par le Grand Maître. Pour sa vie chi-
rurgicale, elle date du 27 janvier 1812 et s'est continuée à
Livourne et à Florence jusqu'au départ pour Sainte-Hélène.
Si nous n'avons pas ici, comme pour sa vie officielle, des
documents officiels constatant la plus ou moins grande af-
fluence de clientèle — et pour quel médecin pourrait-on pré-
senter de semblables documents? — nous avons, dans les
notes de la police qui l'a surveillé, l'affirmation très nette
de sa pratique chirurgicale. Quant à supputer l'importance
de la clientèle du Borgo dei Greci, c'est bien impossible. On
a pu supposer que sa profession d'anatomiste à S. Maria
Nuova tenait x\ntonmarchi éloigné de la « chair vivante»;
que c'était là profession d'homme de laboratoire, non de
chirurgien pratiquant telle que nous la concevons aujourd'hui.
Il n'en était pas ainsi à une époque où les connaissances
anatomiques poussées beaucoup plus loin que les études de
pathologie ne nuisaient point à la réputation et à l'habileté
professionnelles, mais où, au contraire, la qualité d'anato-
miste renforçait la valeur du chirurgien. Le professeur
Andréa Vaccà, si estimé des Bonaparte et une des lumières
de la chirurgie italienne de l'époque, était appelé « chirur-
gien anatomiste à Pise ». Au point de vue de sa clientèle,
1. Je ne parle pas, bien entendu, de la ridicule accusation portée par
Hoefer, dans la Biographie générale, à savoir que les deux ouvrages d'Antonmar-
chi, l'un sur le choléra, l'autre sur les vaisseaux lymphatiques, n'existent pas.
Il suffit de se présenter dans une bibliothèque publique pour y trouver le Mé-
iitoirc sur la non existence de la communication normale des vaisseaux lymphati-
ques et des ueines (publié en 1829), et les Mémoires et observations sur le cho-
luré ntorbus régnant à Varsovie (publié en 1831).
ANTONMARCHI ÉTAIT-IL MÉDECIN 71
son titre de prosecteur à S. Maria Nuova ne pouvait donc
qu'être utile à Antonmarchi.
Restent les affirmations non suivies de preuves. Anton-
marchi a dit à Napoléon (Mémoires, I, 85) qu'il avait été
reçu docteur en médecine et en philosophie de l'Université
de Pise, et, chose très probable, il ne lui a pas montré son
diplôme. Mais les Archives de l'Université n'en certifient
pas moins qu'il l'avait acquis, à la date du 13 mars 1808.
Enfin, il y a l'a affirmation » d'Antonmarchi d'avoir été » pro-
fesseur d'anatomie ». Cette accusation, formulée pour la pre-
mière fois en 1823 par les héritiers de Mascagni à la fin de
leur lettre au Comte de Lasteyrie, a été reprise depuis, no-
tamment par la Biographie Générale, et, en dernier lieu, par
M. Masson (Autour de Sainte-Hélène, III, 228, 229). Ici il
convient de discerner ce qu'Antonmarchi a dit tui-même et
ce qu'on a dit à son sujet. Lui n'a jamais écrit avoir été pro-
fesseur d'anatomie : a En 1812 j'obtins de l'Université Impé-
riale le diplôme de docteur en chirurgie. Le Grand Maître
me nomma prosecteur d'anatomie, attaché à l'Académie de
Pise ». Voilà ce qu'il dit à Napoléon (Mémoires, I, 85). En-
tre professeur et prosecteur il y a une différence appréciable,
même pour ceux qui sont peu versés dans les sciences mé-
dicales, et il eût été bien simple de transcrire le texte d'An-
tonmarchi.
Pour l'accusation des héritiers Mascagni, elle ne le touche
point. Il est bien vrai que le mot <( professeur d'anatomie» se
trouve dans le premier prospectus par lequel le Comte de
Lasteyrie annonçait l'apparition des planches anatomiques
d'Antonmarchi. Mais, en bonne justice, il est impossible de
mettre au compte de celui-ci l'affirmation de son éditeur. Il
y avait alors entre les héritiers Mascagni et Lasteyrie un
conflit matériel qui suffit à expliquer le désir de l'éditeur
français de faire «valoir» son auteur, et celui des éditeurs
italiens empressés à dénigrer une concurrence. Mais Anton-
marchi n'a rien à voir dans ce débat. Sur le prospectus
qu'il inséra à la suite de ses Mémoires il fit imprimer : « Les
72 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
planches que publie le docteur Antonmarchi, ex-prosecteur
d'anatomie à l'hôpital de S. Maria Nuova à Florence, atta-
ché à l'Université de Pise... » Ce qui était rigoureusement
vrai.
Ainsi tout ce qu'il a écrit dans ses Mémoires, relatif à
ses titres ou à ses travaux à Florence, est exact, tout est com-
firmé par les documents. Il n'était donc point sans «aucune
connaissance », comme, le 18 décembre 1819, l'affirmait si
dédaigneusement au Roi Louis Bonaparte, Planât, exaspéré
de l'insuccès de son ami Foureau de Beauregard {Vie de
Planât de la Faye, I, 366). Et il ne perdait rien à être com-
paré à O'Méara, à Stokoë ou à Arnott, tous praticiens mé-
diocres, uniquement formés à la rude école des guerres d'un
moment où le diagnostic n'avait guère le temps de s'affiner.
D'ailleurs, sans prétendre discuter ici la question si com-
plexe de la maladie de Sainte-Hélène, un médecin de plus
grande notoriété, tel Foureau, ou même Corvisart, n'aurait
probablement pas mieux réussi à traiter un cas récemment
encore qualifié de « compliqué et très difficile » S et pour
lequel il aurait fallu les ressources du laboratoire moderne.
Encore ne s'agit-il que du diagnostic, car le traitement, à sup-
poser qu'il fût possible, nécessitait le consentement de Na-
poléon, et l'on sait, parla répugnance que l'Empereur marqua
à obéir aux prescriptions d'Antonmarchi relatives à la marche
et à l'exercice, combien le Malade était difficile.
Par ses études premières, par ses travaux d'hôpital et
par sa pratique de clientèle, Antonmarchi méritait donc le
cas que Fesch faisait de lui comme chirurgien. Mais pourquoi
Fesch envoyait-il un chirurgien ? Ce n'est point ici le lieu
d'en discuter. Il suffit de constater que la valeur scientifique
d'Antonmarchi sort grandie de l'examen détaillé de ses titres
et de la mise en lumière de sa vie médicale. Et cela doit
donner à toute la partie médicale de ses Mémoires un regain
de force et de valeur qu'on ne lui avait guère attribué jus-
1. Henri de Varigny, Journal des Débats, 14 janvier 1913.
ANTONMARCHl ÉTAIT-IL MÉDECIN 73
qu'ici. S'il n'a point réussi à guérir son illustre malade, c'est
que celui-ci était inguérissable à son époque. Il le serait
probablement aussi à la nôtre. Car la médecine, comme la
plus belle fille du monde, ne peut donner que ce qu'elle a.
Albert Espitalier.
ROYÈRE
ACQUÉREUR DU COUVENT DE GEXTILLY
A SORGUES
La Revue, dans le numéro de juillet-septembre 1914, a
publié quelques documents relatifs à l'acquisition, par le
conventionnel Rovère, du domaine de la Coste appartenant
au marquis de Sade.
Pour nous conformer à l'ordre chronologique, nous au-
rions peut-être dû faire paraître d'abord l'acte d'adjudication
du domaine de Gentilly à Sorgues ; ce fut la première acqui-
sition immobilière de Rovère et la première manifestation
d'une fortune assez inattendue et assez surprenante pour qui
connaît la détresse à laquelle se trouvait réduit, en 1789 *,
l'ex-capitaine de la garde suisse du vice-légat.
Nous donnons aujourd'hui cet acte, d'après une copie
ancienne.
Extrait du registre cotté A'" 1 fol. ikA des ventes faites par le
directoire du district d'Avignon déposé aux archives Générales de la
préfecture de Vaucluse.
Du quinzième jour du second mois de l'an second (5 9 '"'•^ 1793)
à la poursuite et diligence du citoyen Hipolite Milon délégué par
le procureur général sindic, deux officiers municipaux du lieu de
Sorgues, duement convoqués et ne s'étant point présentés, par
devant les soussignés administrateurs, le citoyen Trie faisant les
1. Cf. Rovère arrêté pour dettes en 1789, dans la Revue historique de la Révo-
lution /"rançatse de janvier-mars 1911, pp. 92-94.
ROVÈRE ACQUÉREUR DU COUVENT DE GENTILLY 75
fonctions de procureur sindic en absence, et nous secrétaire du
district d'Avignon département de Vaucluse. Ensuite des affiches
et annonces dont ù la première enchère du trente du premier mois,
pour la vente dun baliment, couvent et terres du ci-devant Gen-
tily de Sorgues, situés au dit lieu de Sorgucs et en son terroir,
dans laquelle première enchère personne ne se présenta pour
faire des offres et duquel effet la désignation suit :
1° Une terre, bâtiment et couvent des Célestins de Gentilly de
Sorgues, consistant la dite terre en un bosquet au Nord, de deux
saumées, trois eminées, trois cosses ', un grand bassin et plu-
sieurs allées d'arbres tout autour, contenant sept Eminées situées
au midi dudit couvent, un petit parterre entouré de la Sorgue,
dans l'enceinte dudit couvent, une grande basse-cour, dans l'en-
ceinte du susdit couvent un bâtiment pour la ménagerie au midi,
une grande écurie, une grande bassecour entre deux. Plus et enfin
une terre de pâturage, verger, hermas, pré et jardin complanté
d'arbres fruitiers, mûriers, saules, peupliers et ormeaux, confron-
tant au levant le chemin du petit Badaffier, au midi les citoyens
Général, Lamie et Brantes, du couchant le chemin de ponissard,
au Nord le citoyen Bermond et ses autres, contenant tous les
objets ci-dessus quarante sept salmées, quatre eminées et quatre
cosses, le tout estimé septante cinq mille livres, d'après le rapport
estimatif N" 13 fait par les citoyens Félix Combe, Argilier et Jean
Martin experts du district le quatorze octobre dernier (vieux stile)
et déposé à la municipalité de Sorgues au bureau des travaux pu-
blics.
Il a été procédé à la dernière enchère et adjudication définitive
du domaine ci -dessus désigné. — Joseph Xavier fialon trompeté
subrogé du district a annoncé aux assistans ladite adjudication il
a été fait lecture par le secrétaire des articles de la loi concernant
la vente des biens nationaux, celle des articles généraux dressés
et approuvés par le directoire et ceux également approuvés parle
Directoire particulièrement pour l'objet ci-dessus. — Ledit procu-
reur sindic en absence a encore annoncé aux assistans que les
dits objets mentionnés ci-dessus avoient été estimés par les susdits
1. Eiminado, ancienne mesure agraire équivalente à 8 ou 10 ares ;
Cosso, vingtième ou douzième partie de l'eniine ;
Saumado, mesure de superficie équivalente à 70 ares en Provence.
f Mistral, Dictionnaire du filibrige).
76 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
experts à la somme de septante cinq mille livres et qu'il y avait
une soumission égale à l'estime. = Un premier feu a été allumé
Joseph Stanislas Rovère a surdit et en a fait l'offre de septante
six railles livres, Limasset septante sept mille livres, le dit Rovère
septante sept mille cinq cent livres, le dit Limasset septante huit
mille livres, le dit Rovère quatre- vingt mille livres, le dit Limasset
huitante un mille, le dit Rovère huitante deux mille livres, le dit
Limasset huitante deux mille cinq cent livres.
Un second feu allumé Georges Dahry en a offert huitantetrois
mille livres, le dit Limasset huitante quatre mille. = Un troisième
feu allumé Jean-Joseph Bertet en a fait l'offre de huitante quatre
mille cinq cent, le dit Rovère huitante cinq mille, Agricol Moreau
nouante mille, André Brunet nouante mille cinq cent, Jean Julian
nonante un mille livres, le dit Rovère nouante un mille cinq cent
livres.
Un quatrième feu allumé personne n'a surdit.
Enfin une cinquième et dernière bougie franche ayant brûlé et
s'étant éteinte sur l'offre de nonante un mille cinq cent livres,
l'adjudication définitive du domaine ci-dessus désigné a été pro-
clamée par le dit procureur sindic en absence en faveur du citov'en
Joseph Stanislas Rovère propriétaire et natif de Bonnieux, lequel
a promis sous obligation de tous ses biens d'entretenir le bail, de
remplir les conditions portées parles articles mentionnés ci-dessus
et notamment de se conformer à l'art. V titre trois de la loi du 14
Mai 1790 pour le payement dudit domaine, savoir douze pour cent
comptant dans la quinzaine à dater de ce jour et le restant du
payement en douze payements égaux d'année en année et ont
signé à Avignon les an et jours susdits. — Trie, ad., Julljan, ad.,
Mercier, ad., Darmagnac, ad., Milon, délégué, J.-S. Rovère,
Bourges, secrétaire, ainsi signés. — Collationné conformée l'ori-
ginal. Pour l'archiviste Bérard. Le secrétaire général de la
Préfecture, Chevalier de l'ordre Royal et Militaire de St-Louis :
Fléchier.
Malgré leur sécheresse administrative, les indications
contenues dans le procès-verbal d'adjudication permettent
de se rendre compte de la grandeur et de la richesse du
couvent des Célestins. Courtet, dans son Dictionnaire des
communes du département de Vaucîuse, lui consacre une
ROVÈRE ACQUÉREUR DU COUVENT DE GEXTILLY 77
notice assez étendue : « Le couvent des Célestins de Gen-
tilly, situé à peu de distance de Sorgues, datait du milieu du
14^ siècle. C'était un séjour délicieux à cause des belles eaux,
des jardins et de l'édifice en lui-même Ce magnifique
domaine fut adjugé à vil prix au représentant Rovère '.»
Actuellement, les jardins sont occupés par des fabriques,
les bâtiments conventuels ont été morcelés et appartiennent
à plusieurs propriétaires. Malgré cette dévastation les débris
des édifices sont encore imposants.
M. Arnaud, ancien secrétaire de la Mairie d'Avignon,
m'écrivait récemment : « Je connais des fractions de l'ancien
domaine de Gentilly. Je les ai visitées entre les mains de
leurs divers propriétaires. D'après ce qui en reste, parcs,
ombrages, sources, bâtiments, cloîtres en ruines, etc., on
peut juger de l'importance du domaine des Célestins ; ces
débris ont conservé, bien que divisés, une telle grandeur
qu'ils imposent à notre esprit une impression de puis-
sance. »
Cet achat fit scandale par suite de la disproportion entre
la valeur attribuée à Gentilly par l'opinion publique, soit
500.000 francs, et le montant de l'adjudication qui ne s'était
élevée, comme nous l'avons vu, qu'à 91.500 livres en assi-
gnats.
« Cette acquisition, dit M. le D"" Laval, fut souvent
reprochée à Rovère par ses ennemis politiques commentant
une immense escroquerie. » *
MM. Jouve et Giraud-Mangin ^ font observer, en faveur
de Rovère, que les appréciations après coup d'une valeur
aussi aléatoire et aussi changeante que celle des biens na-
tionaux, n'ont en général pas de bases sérieuses et les
reventes faites postérieurement ont démontré souvent leur
inanité.
1. CouRTET, Dict. des conimunex du Départ, de Vancluse, p. 318.
2. D' Laval, Lettres inédites de J.-S. Rovère, p. 70, note 3.
3. Jouve et Giuaud-Mangin, Correspondance intime de Rovère avec Goupilleau
de Montaigu, p. 18, note 2.
78 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
On peut retrouver une trace de l'impression produite en
Avignon par cette affaire, dans une note écrite par Agricol
Moureau, 45 ans après ces événements :
Indigné de la conduite du représentant Rovère, qui eut
l'impudence de venir en personne assister aux enchères d'un
superbe domaine, j'eus l'audace de couvrir Toffre faite en son
nom, il ne me le pardonna pas *, et quelques jours après, il me fit
arrêter par son ancien général Jourdan coupe-têle et traduire à la
conciergerie de Paris. -
L'affaire était bonne. Rovère tenta de la rendre encore
meilleure. Il aurait voulu ne rien payer du tout.
Le 9 Brumaire an III, il écrit à son collègue Goupilleau
(de Montaigu), alors en mission dans le Midi, en parlant
des habitants de Sorgues : « ils m'ont adopté pour leur
concitoyen, et m'offrent en présent le domaine que j'ai acheté
dans leur commune » ^.
En effet, quelques jours après, le 13 Brumaire, le conseil
général de la commune de Sorgues décida qu'il serait fait
une attestation signée des membres du conseil général de la
commune et des autres citoj'ens pour l'envoyer à la Con-
vention nationale en faveur de Rovère, adjudicataire des
ci-devant Célestins de Sorgues, pour prouver l'offre qui lui
fut faite d'accepter cette maison au même prix qu'elle aurait
été vendue aux enchères publiques, en reconnaissance des
services insignes qu'il avait rendus à cette commune *.
La bonne volonté des habitants de Sorgues resta stérile.
Rovère dut continuer à s'acquitter de sa dette, ainsi qu'il
résulte d'une quittance à lui délivrée, le 4 pluviôse an IV,
par le receveur des domaines au bureau d'Avignon :
1. Agricol Moureau était, depuis la fin du mois d"aoùt 1793, membre du Di-
rectoire du nouveau département de \'aucluse.
2. Note inédite.
3. JoLYE et Girauu-Mangin, op. cit., p. 141.
4. Laval, o;j. cit., p. 70, note ; Jovve et GntAUD-MANGix, p. 142, note 1.
ROVÈRE ACQUÉREUR DU COUVENT DE GENTILLY 79
Je soussigné receveur des domaines au Bureau d'Avignon ai
reçu du citoyen Joseph-Slanislas Rovère de Bonnieux acquéreur
du domaine de Genlily des ci-devant Célestins de Sorgues par ad-
judication du 4 9bre 1793 au prix de 91500 fr. la somme de dix
neuf cent trente sep livres en une rescription du cit. Vial caissier
de la trésorerie nationale du 5 nivôse d"^ n" 107 = Savoir : Intérêt
du capital restant 9' 12^ 35
Entier payement 1927 7 9
1937 fr.
A Avignon le 4 pluviôse, an quatrième.
Signé : Croze (?)
Rovère, administrateur habile et vigilant, ne laissa pas,
on peut en être assuré, péricliter entre ses mains le domaine
qu'il venait de se faire adjuger. Il était aidé dans l'exploita-
tion de ses propriétés par son frère Siméon-Stylite, ancien
évêque constitutionnel du département de Yaucluse.
Nous trouvons dans la correspondance avec Goupilleau
de Montaigu une preuve de ses talents à cet égard. Goupil-
leau, invité à aller visiter ce que Rovère appelle sa chaumière,
lui rend compte, dans une lettre du 5 vendémiaire an III,
du plaisir que lui a causé son excursion à Bonnieux '.
Je suis parti, écrit-il, de cette vilaine ville (Apt), pour aller
respirer l'air pur de Bonnieux. J'y étois attendu chez toi et j'en ai
fait les honneurs à ton ancien curé et Dupuy, Magnon et six ou
sept patriotes qui m'y ont accompagné. Ton majordome y a sé-
rieusement officié. Nous avons mangé comme des ogres et bu
comme des Templiers, à la santé de la République d'abord et
ensuite à la tienne, à celle de ta femme, à celle de ton frère, à celle
de Freron. J'en ai compté jusqu'à trente. Je ne me suis pas con-
tenté de ton vin, j'ai voulu boire de ton eau qui sort au pied de ta
maison, comme une seconde fontaine de Vaucluse ; je me suis
promené dans ton jardin, j'ai admiré tes belles prairies, j'y ai vu
une compagnie de paons faire la guerre aux cigales , j'ai vu tes
lapins donner et chercher un asile jusque dans tes caves ; j'ai vu
dans le roc vif la cuve où tu fais ton bon vin blanc ; j'ai diné au
1. Joi'VE et Giraud-Mangin, op. cit., p. 94.
80 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
milieu de tes nièces et de toi ; mais tu n'y étais qu'en peinture et
j'aurais voulu t'y voir en réalité. Ce n'est qu'avec regret, mon ami,
que j'ai quitté ton habitation sauvage et pittoresque ; mais tu le
sais, je ne suis pas ici seulement pour mon plaisir.
Sans mettre en doute la sincérité de cette affirmation, on
peut remarquer que Goupilleau ne laisse pas échapper les
occasions d'oublier les soucis de la politique.
Quelques jours après, le 15 vendémiaire, il est à Cette,
d'où il écrit à Rovère :
Nous sommes ici d'hier, nous avons trouvé le temps dans un
jour et demi d'y faire tout le bien que nous avions à y faire et en
outre d'y boire, d'y manger, et d'y rire tout notre saoul, voire
même de m'y promener sur la mer '.
Rovère avait été satisfait de la visite de son collègue à
Bonnieux, du moins il le lui dit :
Tu ne saurais croire le plaisir que nous avons éprouvé ma
femme, mon frère et moi en lisant ta charmante lettre, concernant
l'herraitage de nos pères ; avec quelle amitié tu descends dans les
plus légers détails pour nous dédommager de la privation de ne
pas te recevoir nous mêmes dans nos antres et nos rochers.
Ah ! mon ami si après notre session, après l'aflermissement de
la liberté et du bonheur, tu voulois accepter un logement à Sor-
gues ou à Bonnieux avec ta femme et tes enfants, en attendant
quêtes possessions soient rétablies dans la Vendée, tu comblerais
tes amis de faveur et tu recevrois chaque jour les témoignages
bien mérités de l'estime et de la reconnaissance. Je suis charmé
que mon ancien domestique ait secondé mes vues en vous dédom-
mageant de la fatigue par la bonne chère. Je lui écris pour lui en
témoigner toute ma gratitude -.
Rovère était-il bien sincère dans ses remerciements et
dans ses offres de service ? Peut-être en l'an III. Mais en
nivôse an V les relations si cordiales entre les deux amis
1. Jouve et GinAiD-MAXGis, op. cit., p. 107.
2. Jouve et Giraud-Mxngin, op. cit., p. 106.
ROyÈRE ACQUÉREUR DU COUVENT DE GEXTILLY 81
sont singulièrement refroidies. L'estime et la reconnaissance
ont fait place à d'autres sentiments. La politique vient, elle
aussi, aggraver le désaccord. Goupilleau reste fidèle aux
idées républicaines et entre même en correspondance avec
Agricol Moureau *, tandis que Rovère accentue l'évolution
qui doit le mener à Sinnamary. On peut lire dans une
lettre adressée à son confident habituel, son frère : a Gou-
pilleau ïivrogne est fort fâché de ce que les terroristes
n'aient pas le dessus dans notre département. »-
L'épithète est vive, surtout venant d'un ancien ami. Est-
elle imméritée ? On n'oserait trop l'affirmer, surtout si l'on
se souvient des trente santés portées lors de la visite de
Goupilleau à Bonnieux.
Lucien Peise.
1. Lavai., op. cit., lettre du 11 ventôse an V, p. 213.
2. Lavai., lettre du 23 nivôse an Y, p. 187.
KI-.V. Illsr. DE L\ RKVOL.
SOUVENIRS INÉDITS
DE J.-P. PICQUÉ
DÉPUTÉ DES HAUTES-PYRÉNÉES A LA CONVENTION
(Suite 9
AU SERVICE DE LA DUCHESSE DE VALENTINOIS
(Suite)
Nous approchions des rives du Lignon. C'était le lieu et
le moment de recevoir une inspiration puissante. On s'attend
à rencontrer ses jolies bergères, les Philis, les Sylvies, les
Sylvandres, les Lycidas, tant célébrés par la riante imagi-
nation de d'Urfé. Qu'on aimerait à croire à ses brillantes
descriptions. Elles ont disparu et laissent des regrets aux
amans passionnés des temps héroïques.
Amour est mort, le pauvre compagnon
Fut enterré sur les bords du Lignon.
0 profanation ! Ce siècle met en vaudevilles l'infortune
d'Abailard, on appelle Bégueles la Laura Petrarca (sic),
Lucrèce, l'Amintafavola. Un amaroso de mon espèce, n'étant
pas un héros de roman, je ne veux pas du palais d'Alcine,
où l'on est esclave parce qu'on est aimé et même captif des
plus gentilles geôlières. L'indépendance est ma première di-
vinité. Je ne vivrai que pour elle. J'oublierai des liens pom-
peux et si importuns.
1. Voir Revue historique de la Révolution française de janvier-mars et avril-
juin 1915.
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-I'. PICQL'É 83
La D... en quittant l'Auvergne n'a remarqué que des
chaudroniers, des ramoneurs et des muletiers ; elle se dé-
domage des contradictions qu'elle a éprouvées en donnant
l'essor à des courses insensées, qu'on tenterait inutilement
de combattre. Avec une absence ridicule de raison, d'un
trait, nous franchissons Lyon, Genève, et de Salanche à
Chamonni (sic) nous arrivons au Montant verd (sic), au
Mont Blanc, ascension périlleuse et sans objet. L'esprit de
cette femme ressemble à la lanterne magique, elle présente
un dérèglement mental, poursuivant le plaisir sans le
trouver.
La rencontre heureuse des savants de Saussure, Senne-
bier et Bourrit, historiens des Alpes, d'une communication
aimable et facile, me dédomage des fatigues d'une ascension
folle et périlleuse, changée au profit des découvertes inté-
ressantes. Nous n'étions pas de ces habiles voyageurs qui
s'enrichissent de connaissances et se guérissent de préjugés
de la sottise. Plongés dans les langueurs de la satiété, la
paresse nous retient dans les chaînes que l'habitude resserre
chaque jour.
Avant de quitter Genève, nous avons visité l'Hôtel de
Ville, S. Pierre, la machine hydraulique qui élève l'eau à
plus de cent pieds de hauteur ; la bibliothèque, les manus-
crits de Calvin, la maison où est né J.-J. Rousseau '. A la
suite d'une promenade sur le beau lac de Genève (Léman)
et les côtes de la Savoye, Evian, Ripaille, dévorés par des
moines, des prêtres et la plus sale misère, nous avons salué
Coppet illustré par Xecker^et sa fille M'"" de Staël.
Un pèlerinage à Ferney était indispensable. Ce lieu de-
venu si célèbre renfermait encore les reliques du grand homme.
Ce nom de Voltaire ira à jamais étonner et instruire les siè-
cles. Sa maison ou plutôt le temple du génie semble faire
partie de son existence. On y cherche partout les traces de
1. La bibliothèque renferme des manuscrits sur des papyrus, un de Térence
du IVt siècle, un autre de Saluste. Les moines ont peint les Sénateurs en habit
des Chartreux. Les tablettes de Philippe le Bel. {Note de Picqué)
84 REVUE HISTORIQUE DE L.V RÉVOLUTION FRANÇAISE
ses goûts, de ses occupations habituelles, pour alimenter la
vénération et la curiosité des amis des lumières, de )a gloire
et de l'humanité! Ils iront à Ferney non comme les dévots
vont à Laurete, à la Mecque, à S. Jacques de Compostelle;
ils iront y abjurer les crimes du fanatisme.
Cette maison bien distribuée et commode n'a ni colonnes,
ni architecture remarquable: à son entrée deux escaliers à
droite et à gauche conduisent à deux grands appartements
et à plusieurs chambres. Au rez-de-chaussée en face, servant
d'antichambre, une assez grande pièce carrée renferme un
billard et des tableaux avec cette inscription donné par
S. As (szc) le duc d'Orléans ; à gauche, la chambre à coucher
et la bibliothèque éclairés par des croisées donnant sur le
jardin conservent à côté d'un lit sans ornement les portraits
de Mme Duchatelet et du roi de Prusse. De l'autre côté du
rez-de-chaussée est l'appartement de Mme Denis, le garde-
meuble, la cuisine etc. Du jardin assez vaste et régulier on
découvre la chaîne des Alpes et le lac de Genève. A côté de
la maison, on trouve la salle de spectacle et l'église. Sur la
porte on lit Deo Soli Voltaire.
Où s'arrêtera la manie de courrir le monde pour
ne rien voir et ne rien apprendre ? C'est trop dire :
je me suis convaincu que malgré leur paresse, leur éloigne-
ment de l'industrie des habitans des Alpes, ceux des Py-
rennées l'emportent par une bonté aimable et familière, des
habitudes douces qu'ils doivent à un climat tempéré. On ne
peut pas dire des Pyrénéens, libres, vifs, enjoués, «peuple
dont l'avide métier est de vendre son sang à qui veut
l'acheter ».
De retour à Paris, les plaisirs qu'il offrait et dont nous
ne jouissions pas, ce perpétuel tète-à-tète dans les longues
soirées d'hiver, les contradictions détruisirent l'empire des
charmes, le seul empire qui restait à la D... au milieu des
caprices et des inconséquences que les hommes sont convenus
d'excuser aux femmes ; les torts d'une éducation négligée lui
faisant oublier le premier art, l'art de plaire qui n'est plus que
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 85
la nature, lorsqu'il embellit pour plaire, mais la femme qui se
croit aimable ne faisant rien pour être aimable, bientôt délais-
sée, est punie de sa négligence. C'est alors que nous sommes
forcés d'admirer l'ingénieuse adresse avec laquelle le sexe
le plus charmant tire parti de tout pour notre intérêt. En ne
se contraignant plus avec moi, la quinteuse Principessa per-
dait en agrément ce qu'elle croyait gagner par un excès d'a-
bandon. Sa beauté disparaissait, je ne voyais plus dans cette
femme commune qu'un égoïsme déguisé ; contente d'appe-
santir mes chaînes, de passer sa vie à table et au lit, tout
le temps qu'elle ne tourmentait pas son existence sur les
grands chemins.... Quel étrange attachement!... elle compta
trop sur ma résignation. Coquette, mais à sa manière, n'ayant
l'àme ni tendre, ni amoureuse, ses faiblesses étaient le be-
soin d'une oisiveté lâche, qui cherche des goûts et ne sait
en analyser aucun. Ne sachant pas se contraindre, elle
ignora le secret de l'ingénieuse Ninon, qui dès ses jeunes
ans sut s'amuser avec raison et jusqu'à son hiver raisonna
ses folies, en conservant ses amis.
Le tourment d'une vie dont je voulais inutilement me
dissimuler la honte se présentait trop souvent devant moi
pour n'en pas éprouver des vives inquiétudes. Dans un de
ces retours naturels aux âmes sensibles, des scrupules s'élè-
vent et peuvent n'être pas avoués par des censeurs prévenus
ou des malins railleurs ; ce n'est pas à eux que je m'adresse.
Je cherche le calme et de bonne foi, en reconnaissant qu'il
est possible à l'homme de faire taire une sorte d'humanité,
de mettre fin à une intrigue aussi facilement qu'il l'a com-
mencée, d'après cette maxime qu honnête homme en amour
est un sot dans le monde. Voj^ons.
En convenant de ma sottise, mon embarras est de maf-
franchir sans danger des liens d'une femme inconséquente,
mais qui reposait son bonheur en quelque sorte sur ma
probité. J'attendais ma délivrance d'elle-même, de son in-
constance, en me persuadant de l'honneur de mon sacrifice.
Des comb'ils de faiblesse et d'honneur (maladie de l'incer-
86 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
titude) venaient détruire une illusion fortifiée par mon
absolu désintéressement, usant sans faste d'un luxe établi
et commandé qui ne m'a pas plus corrompu que mon ha-
bituelle médiocrité ne m'a avili. L'agrément habituel d'une
voiture m'a fait sentir le plaisir et le besoin d'aller à pied ;
incommodé de la bonne chère, des niaiseries journalières
de l'opulence, n'y attachant aucune importance, toujours
prêt à les quitter, ah I c'est bien moi, je n'ai pas changé!
Ma liberté fondée sur l'économie de mes années passées à
Barèges venait au secours de mon indiférance sur l'avenir
et de ma répugnance à toute dépendance. Ce bienfait, je l'ac-
quis encore en renonçant à une profession flétrie, incommode
et rempante, à mon peu d'ambition, maladies dont peu de
gens sont exempts. Elle m'a éloigné des antichambres, ber-
ceaux de la fortune, passion humiliante, sans bornes dans
ses désirs et sans frein dans ses égarements : divinité qu'a-
dorent les héros, les voleurs, les courtisans et rarement la
source des vertus et d'un bonheur durable. Qu'on m'accuse,
si l'on ose.
Pour une entière réconciliation avec moi-même, j'ai
besoin de l'exemple que le stoïcisme et l'évangile des chré-
tiens n'ont pas toujours préservé d'erreurs, et si je trouve
que des hommes d'une trempe forte et particulière ont
succombé, sont descendus de la sublimité et des hauteurs
de la philosophie, (sans oser prétendre à l'éclat de leurs
vertus) comment ne serais-je pas excusable ? Qui suis-je
pour oser imiter les grands hommes dans leurs erreurs ?
Ai-je acquis le droit d'être vicieux ? N'importe, j'érige un
tribunal. Les sages y sont appelés.
Le divin Socrale aime passionément les femmes et se
console des querelles de Xantipe dans les bras d'Aspasie.
Ne dissimulant aucune de ses faiblesses parce qu'il pouvait
s'honorer de ses vertus, il a peu d'imitateurs. Tout le monde
se peint en beau, les hypocrites si nombreux surtout, ceux
qui confondent une abnégation ridicule des sens avec la
vertu, oublient sans doulte que Socrate sculpta les grâces ;
SOUVENIRS INÉDITS DE J,-P. PICQUÉ 87
Erasme et d'autres savans l'ont invoqué et placé dans les
litanies des saints.
Zenon admet une fois sa servante dans son lit, pour
prouver qu'il ne haïssait pas les femmes et ne lui accorde
pas la seconde nuit dans la crainte de passer pour son es-
clave.
Flora, Drusilla, Agripine ont enlevé à Senèque la répu-
tation d'homme chaste et sage dans l'acception vulgaire.
(L'amour de spéculation serait ridicule et d'une observation
impossible ; Amiléon, Mélanippe traitaient l'amour comme
Diogène).
Ces confessions de J.-J. Rousseau, quoique mutilées, en
disent assez sur les goûts d'un sage aussi sincère ami de la
vérité.
Comment ne serais-je pas rassuré si des philosophes je
passe aux saints les plus fameux parmi les chrétiens ?
St. Augustin dans ses Confessions nous apprend ses
amours avec plusieurs de ses maîtresses et sa constance
pour la charmante Zoïlé, sa tendresse pour ses enfants et
son épouse ; son âme douce s'attendrit au souvenir des
amours et des malheurs de Didon.
Jérôme, lui aussi sanctifié, dévoré par ses austérités au
milieu des déserts brulans de l'Afrique, peint avec une
amoureuse et sublime énergie ses souvenirs et sa passion
pour les dames romaines. Est-ce assez ?... Je poursuis. Eru-
dition fastueuse, me dirait-on.
Encore un mot sur les grands exemples de l'antiquité.
Sparte ne manquait pas de mœurs : ses lois permettaient à
l'impuissant de prêter sa femme. Le vertueux Caton prêta
sa femme à Hortentius.
Voulez-vous des maximes sévères des catholiques, dont
les prêtres savent s'affranchir; au IX""" siècle, un chanoine
de Beauvais ayant volé une femme, le théologal, sur la
réclamation du mari, ordonna qu'elle lui serait rendue
dans quinzaine.
Ma conscience se rassure à mesure que j'écris. Jouir
88 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
n'est pas corrompre. La vertu ne dépend ni des capricieuses
idées des hypocrites, ni d'un vice heureux, la vertu et le
vice n'ayant pas assez de force pour résister à l'opinion.
Après tout, ces liaisons que je n'avais pas sollicitées ne
faisaient couler des larmes à personne ; souvent je ramenais
entre deux époux la paix qui s'éloigne souvent des ménages
des princes
Cette belle félicité aura-t-elle un terme ?... J'ose enfin le
concevoir ; mais avant de m'en rendre compte, je dois parler
de mes relations avec le prince duc.
Il n'était pas l'amant de sa femme (elle supportait à peine
ses complaisances). N'étant ému ni du bien ni du mal, beau
jeune homme froid, avare, paresseux et dissimulé, avec un
peu de bon sens, il s'était introduit entre nous une certaine
confiance, sentiment mutuel d'intelligence, reconnaissance
muette, réciproque, elle écartait de ma pensée et trop légère-
ment les dangers cachés sous des apparences trompeuses.
Ces deux époux avaient passé les deux premières années
de leur mariage dans des alternatives de petites que-
relles et de courtes amitiés. Le duc ne croyant pas que
je pouvais trahir la justice de mon jugement en appelait
souvent à mes décisions et souvent elles me commandaient
de prendre ses intérêts contre sa femme ; je le plaignais
franchement; trop dissimulé, trop vain pour être jaloux, je
n'eus jamais à me plaindre du Prince Duc. Je me rappelle
une nuit : échappé du château de Ch... à la surveillance
ordinaire, arrivé à Paris, prêt à fuir, le duc, accompagné de
l'ancienne gouvernante de la duchesse (Mlle Camus, per-
sonnage qui mérite un souvenir), ont suivi mes traces :
« Venez, me disent-ils, nous rendre la tranquillité, ma
femme se désespère ; venez, je vous en conjure. » Comment
résister à un mari solliciteur,, et, sous un gouvernement ar-
bitraire, à la crainte de la Bastille ? C'était admirable. Quelle
séduction ! qu'aurait fait un autre homme à ma place?
La gouvernanle jouissant d'une demie faveur et des
honneurs de la retraite, la Duchesse de M. pour la plus riche
SOrVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 89
héritière de Fiance destinée au prince de Conty, avait-elle
choisi une institutrice à la taille, comme ses grands laquais,
ou dans les Petites Affiches pour leur bon marché ? Cette
grosse espèce de femme de chambre de la plus grossière
ignorance possédant le ridicule sérieux d'une stupide gravité
avait donné à son élève l'éducation des princes, celle de
Pantagruel, manger, dormir, boire, dormir, boire et manger.
L'archevêque de Lj^on, Montazet, passait pour être son père,
et donna lieu à une épigramme dont on se souvient
encore :
Pour la stérile Elisabeth,
Dieu remplit les oracles.
Vous nous rappelez, Montazet,
Le siècle des miracles.
Par vous aujourd'hui Mazarin
Est mise au rang des mères.
Vous n'avez qu'à devenir saint ,
Pour être un des saints pères !
On célèbre le retour du transfuge et pour s'en assurer on
prépare un nouveau voyage en Suisse. Nous revoyons Pro-
vins, Troyes, Langres, Besançon, Genève, le Valais.
Je ne veux rien cacher: cette vertu des sages et des sots,
la patience, mise encore à l'épreuve, comment la concevoir?
Quoi, souffrir, dissimuler après tant d'épreuves? Vouloir
tout expliquer, tout connaître... Moralistes, l'expérience est
souvent aveugle; les femmes en général nous étant soumises,
lorsqu'elles ne sont pas nos maîtres, je veux régner, dut mon
empire s'écrouler, ne durer qu'un jour. L'imagination de la
Duchesse, exercée dans le vide, voulait conserver l'autorité
qu'elle perdait dans le repos. Nous cherchons les peuples
de l'antique Helvétie. Mais inutilement; on ne les trouve ni
à Lauzane, à Payerne, à Bievre, encore moins à Berne, ville
si tristement belle avec ses ours et ses baillis importans, de
nombreux mandians, des aubergistes fripons, et des officiers
décorés des signes des gouvernements despotiques qu'ils ont
servis, rapportant dans leur pays les maximes des esclaves
les plus soumis. Certes ils ne rapi)eiient pas rillustie (iuil-
90 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
laume Tell. Zurich, l'Athènes de la Suisse, nous retient
deux jours. Cette préférence est-elle due à la bonne auberge
de la couronne plutôt qu'aux savans Lavactier (sic) et Ges-
ner, dont la princesse redoute la science. Il me tardait de
connaître le prêtre philosophe. Célèbre métoposcopite, ses
opinions olygarchiques lui ont été funestes. Le second pos-
sède la simplicité de ses idiles ; les voyageurs sont curieux
de voir la promenade de Gesner au milieu des noirs sapins.
On ne peut se dispenser d'aller à Schafouse à la belle chute
du Rhin. Après ces beautés naturelles et sauvages dont on
se lasse, nous allons aborder les hauts cantons, con-
naître enfin les démocrates, au milieu des précipices, des
rochers, des neiges et des glaces de Schwist et d'un Derval
(sic). L'épreuve est trop forte. La D... prend subitement le
chemin de Colmar et de Strasbourg; nous sommes en Alle-
magne, à Khel, dans la principauté de Bade, à Lon (?), et
toujours sans guides, sans projets. Les postillons nous des-
cendent à Fribourg en Brisgau, bientôt dans le Valais, à
Lucerne, à la vallée du Rhône, à Chambéry et à Grenoble,
bien fatigués, ne sachant plus où aller. Mais je me trompe,
il nous reste à voir
Du fortuné Mogol les campagnes fertiles,
L'Egjpte, ses tombeaux avec ses crocodiles,
Boston, Batavia, l'isle de Ceylan
Et le détroit du Sud nommé par Magellan.
Pour m'attacher plus fortement, la D... abat son vol aux
Pyrénées, voulant, disait-elle, partager les douces commu-
nications de ma famille, jouir des innocens plaisirs des
bons Pyrénéens auxquels j'allais présenter une femme frivole,
inamusable. Nous marchons donc nuit et jour pour arriver
à Bagnères et à Lourdes. La D... fut reçue par ma mère avec
une dignité et une profusion qu'elle n'attendait pas ; elle lui
faisait connaître mon indépendance des vaines grandeurs.
Une des manies de la duchesse était de me retenir par
les besoins. Je n'ai reçu d'elle ni argent ni bijoux : un seul
cadeau, son portrait sur une boète commune. Je payai à l'hô-
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 91
tel de V. les gages et l'entretien de mon domestique Jupiter
et j'avais conservé la dépense d'un logement au quay Voltaire.
Voilà quant à la fortune qu'on croyait que j'avais cherchée
parmi les grands dont on a pu connaître l'élévation de ca-
ractère.
Ce serait peine perdue de vouloir rechercher l'origine
des idées, leur réunion bisarement assortie et comment on
peut s'en affranchir? Nous revenons à Paris.
Le pressentiment, qui n'est souvent qu'une observation
calculée des faits, joie secrète si longtemps bannie de mon
cœur, me laisse entrevoir mon affranchissement et même
assez prochain *, sans savoir comment il se terminera. Ce ne
sera pas à la Bastille. L'inquisition française est menacée par
l'humanité, en attendant que la liberlé commande la des-
truction de ce palais de la vengeance royale.
Des symptômes précurseurs annoncent quelque grand
événement.
Je fus toujours un peu républicain
C'est un travers dans une monarchie
Pour hâter un changement dans ma position je n'ai donc
qu'à laisser un libre cours aux évènemens ; la loi des des-
tins prononcera ; ni mes pressantes instances, ni la cons-
cience de son propre honneur ne peuvent arrêter l'effet
d'une résolution méditée avec une inconcevable perfidie ;
l'indolence de la D... devait l'en rendre incapable; elle pré-
para dans l'ombre les prétextes les plus frivoles d'une sépara-
tion en accusant l'administration de son mari.
Le Duc ne savait pas se ruiner noblement. Il savait per-
dre et ne savait pas donner. Quoiqu'avare et minutieux à l'ex-
cès, il payait ses dettes, celles de sa femme; volé par ses in-
tendants et ses valets, il n'avait que quelques embarras dans
les restes scandaleux de l'opulente succession du cardinal
1. Les (mbarras du gouvernement de Louis XVI l'obUgèrenl de convoquer
les notables et plus tard les Etals généraux. Un premier élan de la liberlé com-
primée rendait moins despotique Lenoir, lieutenant général de police ; le maré-
chal de Duras n'existait plus ; les actes arbitraires dans les mains de l'arislo-
cratie, paralysés. (Note de Picqiié)
92 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Mazarin causés en partie par la duchesse tout à la fois avare
et prodigue. Leur revenu était encore de plus de 1.800.000
francs.
Dans ce désordre, il m'était pénible, je l'avoue, de laisser
avec autant de honte celle qui, malgré l'ennui de l'indifé-
rence, m'interdisait jusqu'à la pitié pour ne voir qu'une de
ces femmes hardies audacieusement aguerries sous la sau-
vegarde de l'avocat de Bonnières.
Qu'on ne me parle pas de ces âmes fortes à qui rien ne
coule pour rompre une chaîne attachée de si loin et en finir
d'un seul coup. Je m'y préparai depuis longtemps, mais avant
de jouir des grâces du repentir, je devais épuiser encore tou-
tes les amertumes, les caresses, l'habitude et ce que les fan-
taisies avaient de plus exigeant, cette lâche faiblesse combat-
tant une force surnaturelle. 0 vie déplorable ! (lu'on accorde
cela comme on pourra.
Enfin le moment est arrivé où de concert avec ma noble
geôlière les portes d'un magnifique palais changé en prison
vont s'ouvrir après cinq années de détention !
Nous sommes au .Jardin des plantes dans une belle soirée
d'été. Je ne dois pas être témoin des débats ; la malveil-
lance oubliant mon rare désintéressement, ne manquerait
bas de me les imputer. Les yeux baignés de larmes, l'accent
des plus vives douleurs s'opposent à un éloignement dont
la D... craint les dangers : deux mois me rendront à toute
la tendresse d'une femme fidèle, je dois la défendre contre
elle-même. Dès le lendemain de cette protestation on lut les
vers suivans dans le Journal de Paris :
Venez Monsieur mon successeur.
Ah venez !...
Prendre les effets au porteur
Que m'avait confiés la belle.
Je vous remettrai ses cheveux
Ses traits, ses billets amoureux
Et son serment d'être fidèle.
Ainsi finit cette longue liaison qui commença par la
folie et que termina le mépris. Rarement les femmes quit-
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 93
tent leurs amans pour ne rien aimer. C'est toujours pour en
aimer un autre ; la simple infidélité serait insipide sans l'as-
saisonnement de la perfidie. La D... vo3^ant les dangers de
la Révolution et m'ayant fait demander d'oublier ses erreurs..
« Je ne me venge de l'infidèle qu'en m'en faisant regretter »,
réponse d'une dignité comique qu'envierait Talma. Je suis
sur le chemin de Bordeaux. Voyage agréable, nuits tran-
quilles ; Alcibiade (on se plait dans les comparaisons les
moins raisonnables) passe du luxe de la Perse à l'austérité
du Spartiate.
[A partir de la p. 326 du manuscrit de PIcqué, c'est-à-dire à partir
du moment où s'ouvrent les événements de 1789, nous transcrivons son
récit, sans aucune modification ni suppression, jusqu'à la p. 452. Nous
respectons également les divisions et les titres qu'il a adoptés.]
RÉVOLUTION DE 1789
La patrie m'appelle. Patrie ! Ce nom le premier que
prononce les enfants, prononcé avec enthousiasme par nos
ancêtres, au Champ de Mars ; ce mot affaibli, perdu, désho-
noré, envahi par les tyrans.
Dans ces premiers tems on était furieux de liberté et de
bien public ; l'amour du pays ne laissait rien aux mouve-
mens de la nature. L'homme se dérobait à lui même. Tantôt
par une justice farouche, par une superstition cruelle, il se
dévouait lui-même. L'opiniâtreté des combats tenait lieu de
la science de la guerre : la société semblait dévouée à la
mort. Vivre libre ou mourir était le cri de force, de ral-
liement. Longtemps on se contenta de peu pour ne rien ima-
giner de plus ; on se passa de plaisirs aux sociétés popu-
laires, aux assemblées de sections, de districs d'instructions
militaires. La cour et les femmes contribuèrent à la révo-
lution et à lui donner une direction violente d'opposition.
La reine passait sa vie chez la comtesse de Polignac sa fa-
vorite : là se tenait un comité de femmes, de courtisans, ca-
marilla d'ignorans, présomptueux, sans prévoiance qui gou-
94 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
vernaient la reine. Leurs décisions portées au roi aveuglé-
ment livré à la reine expliquent le singulier mélange d'audace
et de faiblesse, les contradictions, les parjures qui favorisèrent
la marche constante des constituans dont l'imprévoyance,
l'ingratitude et la lâcheté amenèrent le fatal événement du
21 janvier.
J'aurais voulu laisser à l'histoire le soin de transmettre
les événements placés pour jamais dans la mémoire des
hommes. Tous les moyens sont en mouvement, toutes les
vertus sont en valeur, la nation devient la toute puissance
que la résistance des esclaves, des lâches et l'opposition des
privilégiés osent irriter et combattre. Je me borne ici, et c'est
beaucoup trop, à ce qui est parliculièreriient lié ' à ma vie
publique ! Les lois de Solon déclaraient infâmes ceux qui
ne prenaient point part dans les troubles civils ; je de-
vançai lappel de la nation aux citoyens.
On a beaucoup écrit, on s'agite encore pour connaître
les causes secrètes de la révolution ; on voudrait en vain se
les dissimuler. Ceux même qui accusent l'immoralité de la
nation et son indifférence pour une religion dont le dogme
de ses prêtres ne lui en impose plus, sont forcés de convenir
de la circulation générale des lumières sur les gouverne-
ments et sur toutes les branches des connaissances. Ils ne
contestent plus que les longs et désastreux règnes de Louis
XIV et de Louis XV, suivis de banqueroutes et d'un énorme
déficit, n'aient mécontenté la nation éclairée par des commu-
nications journalières et l'émancipation de l'Amérique septen-
trionale. Ce n'est pas encore assez pour les hommes faibles.
Depuis longtemps la France gardait dans son sein des ger-
mes qui à des époques plus ou moins éloignées devaient
l'arracher à un despotisme insensé. Qu'aurait-on pu attendre
du sultan? Qui osa dire l'état cest moi ? La faiblesse crapu-
leuse du long règne de Claude son successeur, l'inexpérience
de Louis XVI, la nonchalente indiférence, caractère le plus
1. Voir dans mes ins. les notices sur la révolution française. (Note de Picquc)
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUE 95
saillant de Louis, s'abandonnant à des conseillers, changè-
rent enfin les destinées de la France . Le roi mal élevé ne
manquait pas d'un gros bon sens. Le choix de la serrurerie
dans ses délassements les jours qui n'allait pas à la chasse
n'était pas un indice de goût et de délicatesse.
Rien n'était stable, dans cette monarchie qui date de 800
ans, que le scandale des mœurs, des guerres funestes et des
déprédations inouïes des ministres.
Despotisme des courtisans, des maîtresses, des confes-
seurs.
Despotisme ministériel, nobiliaire, militaire, du clergé.
Despotisme de la magistrature, des intendans, des sub-
délégués.
Une des manies des courtisans attribue la cause de la ré-
volution à l'affaiblissement, à l'oubli de l'étiquette de la cour ;
les grands personnages n'exposant plus leurs décorations au
mépris du peuple en avaient pris le costume commode. Ces
incroyables rêveurs de la monarchie de Louis XIV, incorri-
gibles pour la plupart, ne peuvent comprendre quelle fut
l'influence d'un siècle commerçant, éclairé sur le caractère,
les usages, les caprices, la corruption, la mauvaise foy du
gouvernement. Eteignez les lumières, ayez des esclaves, vous
rappellerez toutes les humiliations, l'étiquette, le culte du
despotisme royal et religieux, la dîme, les trois ordres.
Un peuple folâtre a pu supporter tant d'atrocités et de
misère ! Ce peuple d'enfants, de singes et de renards, riait
de ses fers, se consolait avec des vaudevilles des pertes de
batailles, des continuelles défaites, durant sept années de
la guerre honteuse du Hanovre ; des humiliations d'une paix
désastreuse qui livrait le commerce aux Anglais ; on embas-
tillait ceux qui osaient se plaindre de l'arbitraire, de la
surcharge des impôts, de la nullité de la France dans le
partage de la Pologne et la politique européenne.
La noblesse, le haut clergé, les parlements ajoutaient à
ces maux les jouissances fastueuses des cours etdesfiiveurs
du trône. Divisés dans leurs prétentions, se réunissant
96 REVUE HISTORIQUE DELA RÉVOLUTION FRANÇAISE
toujours contre le bien général, incompatible avec des privi-
lèges odieux, des corporations funestes, après avoir dév..ré
toutes les ressources et par la plus noire ingratitude, la
noblesse, le clergé et les parlements s'opposèrent à deux
édits réparateurs sur le timbre et Fimpôt territorial. Enfin
les progrès rapides des lumières et l'esprit philosophique
mirent au grand jour une grande anarchie sous la fausse
apparence d'ordre. Les services allaient manquer ; malgré
sa répugnance, Louis XVI est forcé d'assembler les états
généraux ; ressource tardive, retour à la confiance, qui
n'en imposa à personne ^ .
Grâces éternelles soient rendues à Necker insulté après
sa mort ; genevois, controlleur général pour son compte-rendu
et les dispositions qu'il prit pour les premières délibérations
des états généraux, destructives des trois ordres. On doit lire
les mémoires contemporains avec discernement, le Moni-
teur, les historiens connus pour leur impartialité, l'amour du
bien public, leur indépendance et les talens nécessaires
pour tracer cette grande époque nouvelle dans les fastes du
monde. Il ne s'est montré jusqu'à l'an 1829 que des hommes
au-dessous de cette tâche.
Au lieu d'une vaine cérémonie, d'humbles et inutiles do-
léances offertes à genoux par le tiers état, il réclama du roi
les droits imprescriptibles de la nation, la vente des biens du
clergé, la suppression des droits féodaux et de la dîme, la
liberté individuelle et de la presse. Interprête des vœux bien
prononcés de toute la France, ne voulant plus se confier aux
promesses du gouvernement et dans le souvenir de ses
outrageans mépris aux derniers états de 1614, le tiers état
s'éleva à la hauteur de sa mission, se constitua en assemblée
nationale et prend l'honorable résolution de ne [se] séparer
qu'après avoir donné une constitution à la France.
J'avais assez longtemps apprécié les grands et petits
1. Ouverture des Etats généraux, 5 mai 1789 ; 19 juillet, le Comte d'Artois
quitte la France ; il l'abbandonne pour Gand ; une 3« fois il en est chassé pour
toujours. (Note de Picqué)
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 97
seigneuriseurs, mélange bisarre de bassesse, d'opulence et de
misère, d'ambition et d'indolence présomptueuse ; grands à
l'aide de romans généalogiques, d'usurpations durant le long
abrutissement du peuple pour attendre avec indifférence le
résultat de la crise violente qui devait changer un gouverne-
ment gothique tombant en ruines.
Les contradictions, les folies, les criminelles trahisons
des émissaires et des complices des tyrans sont du domaine
de l'histoire moderne. On ne dira plus que les vérités sur les
fautes et les crimes des princes sont un scandale ; la bonté
d'un gouvernement est dans l'observation des bonnes lois.
Le roi trompé par d'imprudens conseillers trouva par-
tout une résistance insurmontable pour conserver l'ancien
état de la France. L'amour de la liberté éclate sous le chaume,
dans le silence des forêts, au fond des vallons paisibles,
comme dans les cités et jusqu'au château de Versailles. J'ar-
rive à Paris au bruit du toscindu 14 juillet 1789. Les cour-
tisans fuyards et nombreux se dispersent; la vanité, les jac-
tances, la bassesse distinguèrent toujours les émigrés combat-
tant pour la conservation de leurs privilèges en prenant les
noms de royalistes, monarchistes, ultra, soutiens du trône et
de l'autel, fanatiques... La Cour plongée dans l'ivresse de l'or-
gueil n'opposait que le vain simulacre d'une grandeur usép, avi-
lie, dépouillée des illusions qui l'avaient soutenue. Le Roi
devait céder aux lumières, voir désormais son autorité éclairée
et partagée, ou devenir un tyran. Il prit le dernier parti et se
plaça sur un volcan toujours prêt à s'ouvrir sous ses pas.
Les fonctions que j'ai remplies avant 1789 et des circons-
tances dont je rappelle ici une partie m'ont rapproché des
grands personages avant la révolution. Je n'ai pas à m'en
plaindre. Je citerai un petit nombre à la vérité qui se distin-
guait par la noblesse de leurs sentimens. Le système nobi-
liaire, mélange d'extravagance, d'orgueil, de despotisme,
exercé par des hobereaux et les anoblis nouvellement était
insultant et devenu insuportable, ridicule au sein d'une
nation éclairée sur les origines d'une féodalité abrutissante
RKV. HIST. DK I.A REYOI..
98 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
qui a déshonoré ceux qui l'onl si longtemps supportée et
dont nous écoutons si complaisamment les regrets des oly-
garques encore menaçants existans sous les lois constitu-
tionnelles. N'ont-ils donc rien à craindre d'une témérité
opposée à l'intérêt des peuples ?
Les droits et la souveraineté du peuple proclamés par
l'Assemblée nationale, les crimes de la tyrannie dévoilés au
grand jour, tous les trônes ébranlés, les rois ne voyaient
que des assassins, des émissaires de la propagande jaco-
bite. Le Sultan trembla dans son sérail, les préjugés et les
anciennes haines cédèrent tellement à la crainte commune
que les vaisseaux du grand Turc furent accueillis avec trans-
port à Civita-Vecchia, les intérêts et les banières de Christ
et de Mahomet sont confondus dans un même sentiment,
toutes les rivalités ayant cessé. La tyrannie s'occupa de com-
plots homicides, elle prépara les manifestes du despotisme
et cette alliance sacrilège appelée Sainte contre la liberté des
nations ; confédération et croisade de toute l'Europe qui
ouvrit la France en 1815 aux vengeances de 1,800.000 escla-
ves du Nord.
La nation française dans le premier exercice de sa sou-
veraineté manquant d'expérience, d'instruction politique,
comme tous les rois avait des flatteurs, de faux amis, apô-
tres d'une liberté exagérée et sans règles fixes, émissaires
de Londres, de Madrid, de Vienne et de Berlin, se disant
victimes des gouvernements oppressifs. Ces empiriques
occupaient les tribunes des Sociétés populaires. Le bon
peuple trompé savait gré d'un dévouement sans bornes aux
suisses Marat et Pache, à l'autrichien Proly, à l'espagnol
Gusman, au prussien Cloots, au polonais Lazowski, à
l'italien Bonnarotti, au prince Charles de Hesse, à Miranda,
à Marchenna, Westermann, Wimpfen, intrigans, espions,
bien salariés.
Malgré les malheurs qui ont terni l'éclat d'une révolu-
tion qui n'a d'exemple dans les fastes d'aucun peuple, quelle
époque plus glorieuse, quelle période historique réunit un
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 99
enthousiasme à des vues aussi grandes, aussi élevées, aussi
générales.
J'abandonnai ces Aristides, ces Publicolas, ces Brutus à
leurs déclamations aux Jacobins, le faste d'exagération
d'un républicanisme sauvage et grossier excitant patrioti-
quement les méfiances entre les meilleurs citoyens. L'in-
fluence des étrangers eut les résultats les plus déplorables.
On devait s'y attendre ; le vertige d'ambition s'étant emparé
de toutes les tètes.
La protection accordée depuis la restauration au men-
songe, à l'indifférence, la contre-révolution enfin retrace
sans cesse les crimes de 1793 sans qu'il soit permis de
parler des forfaits monarchiques qui ont précédé ceux de
1815. Mais la conscience nationale a jugé tous les événements;
l'opinion des cœurs vraiment français se sont séparés des
ennemis d'une régénération qui ne devint violente que par la
folle résistance que les fureurs, l'hypocrisie, la bassesse de
l'aristocratie nobiliaire et sacerdotale opposèrent à toutes les
époques. Encore aujourd'hui les hommes les plus sages sont
forcés de justifier le dernier siècle et de repousser les plus
injustes reproches.
La France manquant d'institutions, l'autorité arbitraire
les redoutte, elle les lui refuse après trente années de com-
bats et les promesses les plus solennelles, mais au point où
elle était arrivée, qui pouvait arrêter sa régénération? La
nation réclamait hautement une réforme générale, ne se
douttant pas que la vertu tient à une simplicité naturelle,
qu'on la met en pratique par sentiment et qu'on ne la com-
mande pas avec des décrets. Elle la réclamait de ses législa-
teurs, mais la vertu est l'ignorance de la corruption. Une
nation est vertueuse indépendament des règles de la morale
dont souvent elle ignore l'existence.
On aurait voulu improviser l'esprit public alors que la
France sortait pour la première fois depuis (iOO ans d'un
abrutissement dont on ne trouve pas d'exemple chez les peu-
ples les plus sauvages. Ainsi que la religion, la politique,
100 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
la morale étaient des sanctuaires dans lesquels il ne fut pas
permis aux profanes d'entrer. Nos bons aj^eux n'eurent d'au-
tre morale que celle que leurs prêtres firent descenare du
ciel. L'homme fut une machine dans les mains des tyrans
et des prêtres. Toujours conduit en esclave, il en eut en tout
temps le caractère et les vices. La religion n'opposa jamais
à la corruption générale que des digues avilissantes comme
le rachat des crimes pour de l'argent. L'ignorance et la ser-
vitude en privant l'homme de la raison et de la liberté, tout
conspira à son aveuglement et à fortifier ses égarements. La
tyrannie fut et sera toujours la vraie source de la déprava-
tion des mœurs et des calamités habituelles des peuples.
Les particularités et les personnalités sont des tableaux
du genre de la peinture historique. Louis XVI d'un caractère
brusque, mal élevé, manquait de bonne grâce, trait carac-
téristique du roi. Louis XVI possédait assez de jugement et
même d'instruction ; il connaissait l'histoire d'Angleterre
et la punition de Charles I" ; ses occupations étaient la
chasse et un atelier de serrurerie. Fuyant au 10 août l'at-
taque du château des Tuileries au sein de l'Assemblée
Nationale, elle le relégua dans une loge d'où il entendait les
discussions sur sa déchéance ; sa famille était dans la plus
grande affliction ; environnée d'une immense population, la
chaleur de cette journée était grande ; Louis demanda des
fruits. 11 mangea douze pêches fort tranquilement.
Cependant aux premiers jours de 1789 la nation offrit
l'enthousiasme le plus éclatant. Du Midi au Nord, de nom-
breux volontaires désertent la charrue, les ateliers, les
académies, les professions lucratives et marchent gaiement
aux frontières en chantant des hymnes patriotiques : allant
combattre, aux ordres des généraux sortis des rangs plébéiens,
avec l'audace et des talens et l'amour de la gloire, les
troupes les mieux disciplinées de l'Europe, campées dans
les plaines de la Champagne.
(A saivre)
LETTRES INÉDITES
DE
MARIE-CAROLINE
REINE DES DEUX-SICILES
AU MARQUIS DE GALLO
(1789-1806)
(Suite et fin ')
cccx
Notes de la main de la Reine sur la lettre de Napoléon
du 21 février -
Quand on fouille partout, il faut
se laisser plaire quand on y trouve
des choses désagréables.
Au mois d'octobre ou novembre,
deux lettres de Ruffo à Vienne ont
été volées. J'ignore par qui.
Il est difficile avec une armée
chez soi et des péremptoires de ne
pas conserver ses sentiments. Je
n'ai jamais vu justice et encore
moins modération.
Notre ambassadeur n'a pu qu'être
embarrassé quand je lui ai fait con-
naître la nature des pièces qui sont
entre mes mains et qui n'ont pu
me laisser aucun doute, il y a plu-
sieurs mois, sur ses intentions so-
ciales.
Mais Dieu me garde de penser
qu'elles ne puissent changer.
Et même, quoique votre lettre
contienne quelques expressions
obligeantes pour moi, elle conserve
presque toujours les premières im-
pressions de Votre Majesté, et la
1. \'oir Revue hisloriijiie de la liéuoliitiau française de janvier- ni;irs 1!)11 et
numéros suivants.
2. (]f. Correspondance, T. X, 8343, Napoléon à la reine de Xaples, La Mal-
maison, 21 février 180Ô.
Je crois que dans le moment où
Sa Majesté m'écrit, il est dans le cas
de cette dissimulation.
102 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Cela me paraît un persiflage. modération et la justice, qu'elle veut
bien voir dans mon administration
n'ont pas réussi à me concilier en-
tièrement son amitié.
La seule chose qui m'étonne,
c'est reconnaître qu'une reine....
ne sait pas que le malheur attaché
à la condition des rois est d'avoir
à dissimuler fréquemment des sen-
timents que, simples particuliers,
ils auraient le plus de peine à maî-
triser.
Si je puis un jour me vanter d'a-
voir obtenu ce changement ce sera
une conquête que je tiendrai à hon-
neur soit par l'estime particulière,
soit par le chemin qu'il aura
fallu regagner dans votre cœur qui
ne peut cependant être entièrement
fermé à une nation dont vous aimez
la langue et la littérature et dont
vous avez souvent prisé l'amabilité.
Le séjour des Français est une
conséquence du traité de Florence
qui a rétabli les relations de nos deux
Etats. C'est donc un malheur pour
elle, mais un malheur indispensable
qu'elle doit considérer comme une
suite des événements qui l'avaient
précipitée de son trône.
Cela est larmojant, touchant,
mais je voudrais des faits, non des
paroles.
Ce chemin est bien long encore.
Je conçois toute l'étendue de cette
phrase.
Cela est faux, de toute fausseté.
Le traité de Florence fait évacuer
quand l'année fut révolue. Ils le
furent de 13 mois : car Murât vou-
lut se mettre en poche un mois. Il
soutint l'année être de 13 mois que
nous paj'âmes. La nouvelle entrée
fut une violation complète. — Je
n'ai jamais ^té précipitée. 5 mois
dura l'anarchie, la plate singerie
aux événements français et le Direc-
toire même ne voulut jamais recon-
naître la République Parténopienne
et chassa les Ambassadeurs.
L'allégement du fardeau n'est pas
grand. Quand cela nous coûte la
Icrt' année 1.600.000 ducats et cette
2'ne année 1.900.000, enj tout 3 1/2
millions.
J'ai, autant qu'il a dépendu de
moi, allégé ce fardeau. Sur une sim-
ple demande et contre une disposi-
tion précise du traité de Florence,
j'ai consenti à faire supporter la
solde par mon trésor.
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE
103
Il pouvait être sûr. Nous ne mas-
sacrons, ni ne mitraillons et faire
une guerre en attaquant ses troupes
ne nous convient point. Nous dé-
fendre s'ils veulent nous écraser,
jusqu'à la dernière goutte de notre
sang.
C'est encore une fausseté in-
signe.
Menace pour intimider.
Qui n'en a que pour 2 mois, par
manque d'argent, au lieu de 6 mois
qui est régulier.
Aucun chef d'insurrection n'a
été appelé. Nous craignons ce moyen
connaissant tout le mal et ce n'est
que le désir pour qui nous le fera
faire.
Les hommes appelés qu'il favorise
au pluriel, au lieu de dénommer
sauvages, ce qu'il faut pour se tenir
la porte ouverte à d'autres pré-
tentions, n'ont ni haine forcenée ni
rien contre leur patrie. Ils sont hu-
miliés. La majeure partie de ceux
qui servent sont naturalisés Napo-
litains, sujets du Roi.
L'affaire de l'escadre, la neutra-
lité de terre ayant été rompue, il
fallait au moins tâcher de soutenir
celle de mer.
Ici Sa Majesté Impériale se laisse
un peu aller à son ton ordinaire et
oublie l'amical.
Si ce premier acte de condescen-
dance m'avait valu quelque confiance
et si j'avais pu penser que 3 ou
4.000 Français fussent en sûreté à
Tarente, il n'j' a nul doute que je
n'eusse réduit nos troupes à ce
nombre
Ce n'est certainement pas dans
une correspondance directe que
je m'amuserai à discuter le but de
l'arrivée des Russes à Corfou.
Le patronage de la Russie. .
et peut être il
sera plus funeste à votre illusion
que la Révolution même.
Les approvisionnements du fort
Saint-Elme, la direction donnée à
différents chefs d'insurrection, l'af-
fectation d'appeler au service du
RoideNaples des hommes étrangers
à ce pays, connus par leur haine
forcenée pour leur patrie et portant
partout leur portefeuille et leur
épée.
L'inconsidération marquée, il y
a peu de jours, lorsqu'on apprit que
l'escadre était partie de Toulon.
Tout cela ne démontre-t-il pas
que Votre
Majesté attire les orages au lieu de
les conjurer.
104 REVUE HISTORIQUE DE LA
C'est mon unique souhait que la
tranquillité ; mais les autres ne
nous y laissent point. Nous étions
parfaitement tranquilles lorsqu'en
pleine paix 18.000, puis 21.000
hommes sont venus s'établir chez
nous. Si l'Empereur entend rester
tranquille, de se laisser gober sans
remuer, comme cela est arrivé à
d'autres, c'est ce que je ne ferai
jamais. Cette menace m'honore et
me plait. C'est un signe qu'on ne
veut pas que nous nous remuions.
Nous ne voulons pas le faire pour
mille raisons ; mais la menace
m'honore.
Je désire moi aussi la paix géné-
rale, mais ne sais si elle sera pos-
sible.
Cette phrase qui mord à juste
titre la cour de Vienne me prouve
qu'on n'est pas sûr d'elle.
Ce qui est bien mon intention
par propre conviction, non par la
menace de l'Empereur.
Menace de nouveau.
Je ne trouve pas sermons. J'ai
trop peu de confiance dans le Pré-
dicateur, mais je les trouve mena-
ces d'un homme tout puissant.
Quelle bonté ! quels charitables
soins.
L'intérêt qu'a subi le reste de
l'Italie.
C'est à dire, se plier à être préfet.
RÉVOLUTION FRANÇAISE
Est-il donc si difficile de rester
tranquille, de ménager les puissan-
ces, de ne pas ruiner son peuple
pour soulever avec effort un grain
de sable à jeter dans la balance du
monde ?
Quoi qu'on fasse, le mouvement
général des idées est pour la paix.
Si cependant la guerre venait à
se rallumer. Votre Majesté elle-
même qui fut victime et abandon-
née sentirait que
lui font un besoin de vivre
en repos, de s'occuper de prospérité
intérieure
Car le moindre orage pourrait
causer sa ruine
Votre Majesté trouvera sans
doute que ma lettre est pleine de
sermons
Je n'ai d'autre
but que sa tranquillité personnelle.
Quel intérêt puis-je avoir à bou-
leverser ses Etats ? . . .
La seule chose qui puisse m'im-
porter c'est que le cabinet soit di-
rigé par les vrais intérêts du peuple
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 105
Ce n'est pas 20 ans. Dire 27. Il
a oublié de calculer la chose.
Mille grâces pour les soins pour
nous et nos peuples. Qu'il nous
laisse en paix notre neutralité et
indépendance, et nous et nos peu-
ples, nous serons heureux.
que le roi et la nation
prennent pour la France les senti-
ments qu'ils avaient, il y a 20 ans
Voilà ce qui peut
seul assurer la prospérité.
. des pays qui sont sous
votre domination.
CCCXI
Naples, le 15 Mars 1805, n° 12.
Le duc de San Teodoro est arrivé hier soir en bonne
santé. Il m'adonne votre lettre du 26 février. Je lui ai à peine
pu parler étant déjà tard, et ce matin lui étant allé à Caserte
voir le Roi. Mais je le ferai mieux au futur, — Comme le
courrier était parti le 13, je n'ai pu suivre votre insinuation,
mais je n'y manquerai point au futur. — Je désirerais bien
que cette lettre vous trouvât déjà parti pour l'Italie. Car je
le crois de la plus grande importance que vous y soyez.
J'ai appris par cette occasion avec le plus vif intérêt que
votre épouse se croit enceinte. Il ne vous arrivera jamais
rien d'agréable que je n'y prendrai le plus vif intérêt.
Rien de nouveau chez nous. — Nous végétons tristement
sans pouvoir calculer sur aucun avenir..
Adieu, mes compliments à votre épouse. — Je vous in-
clus un petit billet pour la duchesse San Teodoro et croyez-
moi avec tout espoir dans votre zèle, intelligence confiance
dans votre attachement et éternelle reconnaissance.
Votre sincère amie,
Charlotte.
CCCXII
Naples, le 30 Mars 1805, n« 13.
C'est uniquement pour vous annoncer le reçu de votre
lettre du 2 Mars et vous inclure une lettre de la princesse
Vintimille pour sa mère que je profite du courrier d'Espa-
gne pour vous écrire ce peu de lignes.
106 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
J'ai reçu vos dépêches du 2 et du 8 Mars. J'attends à cha-
que moment le courrier que \ous annoncez bientôt envoyer.
Nous sommes dans un total oubli et silence de toutes lettres
nouvelles du Nord. Nous sommes à la pointe de l'Europe
et totalement oubliés. Puissions-nous l'être entièrement !
Vous saurez que la dette de la France, la 1"^^ année, a été
de 1.600.000 ducats et cette seconde année est et sera de
1.900.000, en tout en 2 ans, trois millions et demi, et cela
sans compter éliminations de douanes, rentes non perçues
dans les provinces déjà obérées par le séjour des troupes.
L'Empereur et ses ministres ont promis les payements.
Tâchez qu'ils s'exécutent.
Nous avons un froid à trembler, sommes tout entourés
de neige. Même les saisons ont été révolutionnées.
Tâchez qu'on ne nous envoie pas un mauvais sujet ou
nommé Cacault. Vous vous rappelez que ce fut le premier
qui corrompit, elle, Montemileto, alors Popoli et Compagnie,
lui, intime avec tous les vrais enragés démocrates, non avec
les modestes polissons, avec les profonds coquins de cette
espèce, un intriguant. Et je vous déclare que toute la police
de Naples s'occupera de ce mauvais sujet si on nous le déco-
che. Ainsi évitez-nous le. Car je connais Cacault bien et tou-
tes ses liaisons.
Adieu, mon cher Gallo, j'espère que les espérances de
la chère Marquise se consolident pour votre réciproque con-
tentement. Faites lui mes compliments ainsi qu'à la bonne
duchesse de San Teodoro.
Portez-vous bien. J'attends vos nouvelles avec impatience
et croyez moi pour la vie votre bien attachée et reconnais-
sante.
Charlotte.
Naples, le 8 avril 1805.
Commissions
Des livres nouveaux.
Les tablettes chronologiques de l'abbé Langlet (D'une
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 107
édition). — Précis de l'histoire u,niverselle ou tableau histo-
rique par le citoyen Anquetil (2 éditions).
Du coton blanc à broder, gros et fin.
Quelques bijouteries nouvelles de peu de valeur, telles
que bagues, épingles, etc.
Le nécessaire d'argent complet pour Amélie.
Une dame russe, la princesse Dolgorouki m'a dit avoir
écrit que le fournisseur de dentelles vous envoie des échan-
tillons avec les prix pour les faire venir et moi en pouvoir
choisir.
Des modes, surtout choses brodées en blanc, bonnets,
chemises, etc., etc.
CCCXIII
Le 15 avril 1805, n» 15.
J'ai reçu votre lettre par le courrrier Panico le 13
et vous suis bien obligée pour tout ce que vous me dites.
J'y reconnais votre désir de notre bien-être. Comme par
le courrier Gomez, que vous aurez déjà reçu, par anticipa-
tion, j'ai à peu près répondu à toutes les choses que vous
me demandez, je m'abstiens d'en parler. — Je vous recom-
mande vivement nos intérêts et de continuer à pousser à
la réalisation et sans aucune condition le projet qui vous a
été annoncé.
Je vous prie de remercier votre chère épouse pour la
peine qu'elle se donne pour mes commissions. Mais du
nécessaire en argenterie, vous ne m'en parlez plus et j'en
désespère pour le 26 avril, jour où cela était destiné pour
Amélie. Au moins que je le reçoive plus tard.
J'aurais encore à vous parler de bien des objets ; mais
je me réserve à meilleur temps. Croyez que je suis bien.
Arrangez nos affaires. Je fie en vous.
Nous avons un temps affreux. Toutes les montagnes
couvertes de neige et je suis convaincue qu'au Nord il ne
fait pas plus froid qu'ici. Tout, même le climat, est changé.
108 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Adieu, ne me faites pas manquer de vos nouvelles et croyez
moi pour la vie votre reconnaissante amie.
Charlotte.
Post scriptum. — Faites mes compliments et mes remer-
ciements à votre épouse pour les peines qu'elle se donne
pour les commissions. Je voudrais un nécessaire d'homme
destiné au prince François, avec chiffre P. F., à lui donner
le jour de sa naissance le 19 août et vous prie de m'envoyer
le compte de tout ce que je vous dois.
CCCXIV
Portici, le 30 avril 1805, n'' 16.
Je profite du courrier d'Espagne pour vous écrire ce
peu de lignes. J'ignore où elles vous trouveront, mais selon
ce que j'entends et que vos dépêches du 5 août nous annon-
cent, je devrais vous écrire à Paris. — J'ai été bien affligée
pour votre épouse et je crois qu'il y a un dérangement
de santé auquel les bains des eaux minérales pourraient
être très utiles. Cela me ferait d'autant plus de plaisir que
cela me procurerait pendant un couple de mois, temps du
voyage de l'Empereur des Français, le plaisir de vous revoir.
Vous voyez que je me fais des idées très gaies. Demain,
nous avons un dîner à la Favorite offert au général Saint-
Cyr et son épouse et l'Ambassadeur Alquier, qui tous en-
suite partiront pour se retrouver à Milan où malgré la
vasleté de la ville on ne trouve plus de logement. Tel est
le concours de tous les Italiens qui ont retrouvé force et
richesse qu'ils croyaient perdues pour courir aux fêtes de
Milan.
Ma santé n'est pas bonne. J'ai une petite fièvre journa-
lière qui m'oblige à prendre trois fois par jour le chinchina
et m'abat beaucoup.
Léopold a depuis aujourd'hui la fièvre scarlatine avec
maux de gorge. J'espère qu'avec des soins cela n'aura
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 109
aucune suite mauvaise. C'est un enfant qui m'est bien cher
et promet beaucoup.
Nous sommes actuellement tous végétant à Portici et crai-
gnant d'un moment à l'autre que quelque orage ou nuage
politique ou despotique ne nous trouble.
Ne me laissez point manquer de vos nouvelles. Ayez nos
intérêts bien à cœur et croyez-moi à jamais votre sincère
et reconnaissante amie.
cccxv
Portici, le 27 mai 1805, n» 19.
Je vous écris cette lettre pour ne pas vous faire man-
quer de nos nouvelles, pour vous accuser réception des
vôtres et enfin pour ne pas vous laisser sans courrier.
Nous avons reçu votre courrier expédié le 17 de ce mois.
J'étais dans mon lit où je suis restée près d'une semaine
avec fièvre, mal à la gorge, malaise *. J'ai dû me faire tirer
du sang, prendre des remèdes. Je ne sors pas encore, je suis
faible au suprême degré, je n'ai pas d'appétit et je souffre
d'insomnie. J'espère que la fièvre sera coupée par la qui-
nine que je continue à prendre et que le reste aussi passera.
Je n'ai rien de nouveau à écrire. J'attends de vous toutes
les nouvelles. Il me semble que l'univers entier est en sus-
pens. Qu'en adviendra-t-il ? A mon avis, rien.
Buonaparte sera déjà couronné roi d'Italie -, il visitera
tous ses champs de bataille et si personne ne souffle mot, il
aura peut-être la grandeur d'âme de ne rien faire ; mais il
'aissera six mois, un an deux armées, sans y compter celle
que depuis deux ans nous possédons en Italie aux frais et
dépens du royaume d'Italie selon toute probabilité et il re-
tournera tranquillement, paisiblement en France en se
1. « La Reine est malade depuis huit jours et avec son indisposition s'est
arrêté le mouvement général des affaires. » (Lefebvre au Ministre des Uelations
Extérieures. Naples, 31 mai 1805).
2. Le couronnement avait en effet eu lieu à Milan.
110 HEVCE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION' FRANÇAISE
moquant des plats pieds, courbettes et bêtises d'Italie. Il a
trop d'esprit pour ne pas en attribuer la cause à la peur, à
ce mot déshonorant, mais le seul qu'il convienne d'appli-
quer en ce cas, la peur. A peine sera-t-il arrivé en France,
il reprendra son projet d'expédition en Angleterre ou celui
de dicter la paix générale. Quel beau rôle, quel heureux
rôle pourra jouer Buonaparte en présence de la ferme vo-
lonté de toute l'Europe de ne rien faire. Vu qu'elle n'est pas
dans le cas de bouger, cet homme jouera le rôle de bien-
faiteur généreux, et il publiera avec quatre phrases du
dictionnaire qu'il a à sa disposition qu'il veut être le pacifi-
cateur général, qu'il se contentera modestement de la
France et de quelques arrondissements pour lui et pour sa
famille et laissera aux anciens princes, qui en étaient titu-
laires, les autres conquêtes, en les morcelant de telle sorte
qu'il lui suffira du moindre geste pour les annihiler à
nouveau et donner au monde une paix durable. On en se-
rait dans l'enchantement et tout le monde admirerait sa
modération. Il me semble que le fait d'être Empereur des
Français est déjà quelque chose et qu'en agissant de la sorte
il arriverait pour lui au comble de la gloire.
Mais sans entrer dans le détail de ce qu'il fera ou ne
fera pas et que nous apprendrons par l'expérience, venons-
en à nos affaires.
Je suppose que vous aurez expédié un courrier après le
couronnement qui devait avoir lieu le 23, que vous aurez
rapporté tout ce qui vous est arrivé d'important et que vous
aurez répondu à nos lettres du 16 courant. Nous désirons
vivement obtenir de l'Empereur des Français le départ com-
plet de ses troupes stationnées ici contre toute justice, ainsi
que le remboursement des quatre millions de ducats que
leur séjour nous coûte, somme dont l'Empereur dès le com-
mencement nous a promis le versement par un engagement
solennel. Ces deux conditions, surtout la première, sont très
intéressantes, parce que l'on aura, ou la paix (comme je le
suppose) et alors la demeure de ces troupes n'a aucune rai-
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 111
son d'être, ou la guerre (ce que je ne crois pas) et alors leur
séjour ne nous vaudra que d'avoir la guerre chez nous. Par
conséquent je vous conjure d'obtenir l'exemption de ce poids.
Lorsque ces deux conditions seront remplies par l'éva-
cuation complète et le payement des 4 millions qu'on nous
doit, on pourra penser au reste, sous réserve de nos droits
et de tout ce qui nous appartient. Comme le Roi est un
souverain indépendant en Italie, tout autre acte serait de sa
part une bassesse, une lâcheté dont les manifestations in-
cessantes et répétées doivent avoir déjà dégoûté l'Empereur,
auquel je reconnais tant d'esprit et de talent et qui doit être
révolté de tant de bassesses. A lui de voir que des caractères
tels que les nôtres, quoique petits, ne se laissent pas avilir,
même au milieu de mille dangers, par l'adversité, et n'en
sont pas moins des caractères sur lesquels il est bon de
compter et qu'il vaut mieux ajouter foi à nos paroles et à nos
assurances qui démontrent que nous ne voulons ne nous
mêler de rien, mais que nous voulons tout faire pour con-
server notre indépendance et notre liberté. C'est un raison-
nement aussi simple que net. Car, tandis que toutes les
grandes puissances ne songent qu'à s'agiter pour satisfaire
leur avidité et pensent à s'agrandir par des usurpations,
le Roi de Naples, qui pourrait prétendre à des compensa-
tions pour les Présides qu'il vient de perdre, n'en parle
même pas et se tient tranquille, mais maintient ferme le
droit qu'il a de revendiquer son indépendance.
Puisque l'Empereur n'a pas répondu à ma dernière lettre
et que je ne sais plus quel titre lui donner, je m'abstiens de
lui écrire.
Quant aux décorations, à quoi bon en parler encore ?
L'Empereur aura celles de toute l'Europe et ne saurait faire
attention aux nôtres. Aucun membre de notre famille, et
même aucun de nos sujets, n'accepterait et ne porterait la
Légion d'Honneur.
Comme nous sommes les maîtres chez nous, ni l'Espagne
et la Prusse à présent, ni Vienne et la Russie un jour et
112 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
peut-être aussi l'Angleterre ne nous feront pas changer
d'avis. La force de Buonaparte pourra nous déterminer un
jour, mais jamais elle ne pourra modifier notre opinion à
ce sujet. Quant à Beauharnais et le reste avec, c'est tout sim-
plement à la suite du délire que cette pompe factice et ces
grandeurs vous ont valu que vous avez pu y penser. Mais
jamais et puis jamais nous ne nous déshonorerons à un tel
point. Nous serons malheureux, sacrifiés, on dira de nous
que nous sommes des dupes pleins de préjugés; mais nous
garderons notre propre estime. Des lettres nous apprennent
que son Altesse Beauharnais n'est pas au mieux avec son
beau-père, son père putatif, à cause de sa mauvaise conduite
et que cela a refroidi les amours de la Reine d'Etrurie. Vous
devez le savoir en somme mieux que moi à qui tout cela au
fond n'importe guère. Du reste du monde, j'ignore tout.
Quant à l'escadre dans la Méditerrannée, on ignore jus-
qu'à présent son existence.
Voilà bien des mois que je ne sais plus rien ni de la
Russie ni de Vienne ; mais grâce à votre dernière lettre, j'ai
lieu de croire qu'un voile épais s'étend sur leurs doubles
opérations et qu'on craint là-bas que nous n'en sachions
quelque chose.
L'Angleterre se plaint de nous, de nos faiblesses, soit pour
Damas, soit pour avoir tâché de nous débarrasser d'Elliot.
Elle parle de l'Espagne qui en a fait tout autant et déclare
que si nous continuons de la sorte, elle se verra obligée de
s'assurer de la Sicile. Jugez d'après cela en quelle agréable
situation nous nous trouvons. Le despotisme de Napoléon,
qui nous interdit absolument de procéder au recrutement et
de compléter nos régiments, nous met dans l'impossibilité de
nous défendre. Tâchez de faire sentir tout cela ainsi que
l'impérieuse nécessité pour nous de faire des recrutements
indispensables pour que nous ne soyons pas exposés aux
coups de tous ceux qui veulent nous faire du mal. S'ils ne
veulent pas se dédire ouvertement par excès d'amour-propre,
qu'on vous assure du moins d'une façon certaine qu'on lais-
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 113
sera faire des recrutements sans nous faire des chicanes. Au-
trement nous ne saurons plus par qui faire monter la garde,
tant les effectifs de nos troupes fondent de jour en jour.
Ma santé est misérable ; toute ma famille va bien, grâce à
Dieu, et forment ma chère et bien aimée compagnie. Je vous
remercie, vous et votre femme, des commissions que vous
vous donnez la peine de faire et j'attends avec impatience
le nécessaire. Je vous prie de ne rien commander d'autre
jusqu'à ce que je ne me sois fait une idée de cela après
l'avoir vu et vous avoir écrit à ce sujet. Des livres nou-
veaux, voilà ce que je puis me permettre par économie,
ainsi qiio des commissions d'objets dont je charge votre
femme par la liste ci-incluse. Ce dont je vous prie encore,
c'est de m'envoyer tous les comptes de mes dettes, soit pour
les dernières robes, soit pour le nécessaire afin que je puisse
out régler.
La mort de la Princesse de Vintimiglia m'a fait beau-
coup de peine ; ses filles se trouvent à Palerme en proie
à la désolation ! La princesse de Hesse a terminé sa vie
à Munich . On cherche à présent de retrouver sa malheu-
reuse fille et de la faire revenir pour son éducation.
Je ne sais rien de nouveau; nous vivons dans l'attente de
ce que vous pourrez nous mander. J'espère que votre femme
s'est rétablie et qu'elle a pu vous rejoindre.
Faites moi savoir ce que dit et fait Alquier et rappelez-
vous bien que je désire qu'il revienne ici dans la crainte
d'avoir pire que lui.
Reynier a pris le commandement ; on loue généralement
cet homme comme étant moins avide et comme étant aussi
un bon général. Il est allé au quartier général ; peu de jours
après, il passa sous nos fenêtres ; sa physionomie très rébar-
bative m'inspira de la crainte ; bref, lorsqu'il arriva encore
au quartier général le 23, jour du couronnement, il voulut
lairc faire des évolutions suivies d'une fête, mais il tomba
de cheval au premier coup de canon et se cassa la clavicule,
chose peu agréable.
hKV. IIWST. »Il la RÉVOL. 8
114 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Dieu veuille qu'on nous laisse tranquilles en nous épar-
gnant d'autres malheurs ! Je compte autant sur votre zèle
que sur vos bons services et sur votre attention à nous tenir
au courant de tout ce qu'il nous faut savoir. Adieu. Je vous
prie de ne nous laisser rien ignorer et de nous faire part de
vos idées et de vos appréciations en des moments aussi
critiques que ceux d'à présent. Adieu, soignez-vous et croyez-
moi avec une vraie éternelle reconnaissance
Votre vraie amie
Caroline
CCCXVI
Portici, le 10 juin 1805, n" 21.
Je ne puis vous e.xprimer la vive et sensible peine que
m'a fait éprouver votre lettre et dépêche du 2 et 3 de ce
mois '. Elles m'ont été d'autant plus pénibles que je n'avais
aucun motif de m'y attendre, notre conduite depuis deux
ans prouvant bien notre désir sincère de maintenir la paix
et la bonne harmonie. Nous soufTrons le poids d'une armée
injustement stationnée chez nous. C'est à ma demande et
instances que les Anglais n'ont pas usé de représailles en
s'emparanl de la Sicile. Que n'avons-nous pas soufTert pen-
dant ces deux ans en frais, dépenses au delà de nos forces,
en oppression, actes arbitraires ? Tout a été supporté par
amour de la Paix. — Actuellement le titre générique de roi
d'Italie ne pouvait que nous alarmer. L'explication très
vague donnée et par le fait déjà enfreinte n'est pas propre à
nous tranquilliser. — On dit rester dans les limites, et la
République Cisalpine, et au même moment Gênes, Lucques,
1. Dans sa lettre conGdentiellc du 2 juin, Gallo ne cachait pas à la Reine
l'irritation de l'Knipereur causée, non pas par les rapports et les conversations
d'Alquier et de Saint-Cyr, mais par les correspondances et les intempérances
de langage de la Reine elle-même. 11 l'informait du refus absolu de l'Empereur
de retirer ses troupes, lui conseillait de se hâter de le reconnaître et de s'abste-
nir de toute manifestation et toute démarche dont les conséquences seraient irré-
parables (Archives particulières Gallo. Le Marquis de (îallo à S. M. la Reine.
Milan, b ;^ juin 1805).
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 115
Parme, Plaisance sont envahies, ou sous quelle dénomi-
nation on veut, volontaire ou forcée, sont agrégées. — Vous
sentez bien que cela doit beaucoup nous faire réfléchir.
Nous avons depuis deux ans une armée chez nous que
rien n'a voulu éloigner. Nous avons solennellement promis,
de vive-voix, par écrit, qu'une fois délivrés de ce poids in-
supportable nous serons entièrement neutres et ne permet-
trions à personne d'entrer dans nos Etats.
L'Empereur a une force telle à faire repentir, s'il fut
possible que notre loj'al caractère se démentit. Ainsi pour-
quoi ne nous point délivrer ? C'était à négocier cette déli-
vrance que tendaient nos vœux et laquelle portait à sa
suite notre reconnaissance du Roi Italique, ce qui, en le
reconnaissant avec une armée chez nous, était une soumis-
sion, non une reconnaissance et nous exposait à des re-
présailles des Anglais en Sicile. C'est pour -éviter des maux
plus violents encore que nous avons tâché de négocier le
départ des troupes et en devenant neutres, indépendants, et
offert de reconnaître le roi d'Italie. Mais rien ne s'étant
fait sur cela, la chose en est restée là et il y a deux cour-
riers que vous-même écriviez Talleyrand vous avoir dit que
l'on ne s'en souciait plus. Comment est donc né tout ce
fracas ? Je m'y perds ; mais ne voulant pas risquer le
bonheur de nos Etats et sujets, nous souhaitons reconnaître
l'Empereur comme ro: d'Italie. C'est ce motif qu'invoquait
celui des princes en Italie, comme nous en bonne harmonie
et correspondance avec l'Empereur, comme vous l'assurez
dans votre dépêche d'un parent qui pourra faire sentir
notre position aux autres puissances. C'est pour ces motifs
que nous avons aujourd'hui expédié à Vienne en ordonnant
à notre Ministre d'exposer notre situation à l'Empereur, notre
beau fils, de lui exposer la nécessité urgente des dernières
dépèches reçues en le priant d'entremettre ses bons offices,
afin que les autres Puissances ne le trouvent mauvais et ne
nous causent aucun dommage et (pi'il n'en résulte aucun
incendie général.
116 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
J'espère de votre prudence et du bonheur que vous avez
d'être bien vu de l'Empereur des Français que, quelque peu
de jours de délai, (les lettres de créance étant allées à
Vienne d'ici, par RufTo, elles nous seront envoyées au plus
vite) ce peu de jours de délai ne feront pas commettre un
acte de violence contre un Etat déjà depuis si longtemps
victime. J'espère que vous ferez comprendre ces justes
raisons.
Je vous le répète pour la millième fois. Que l'Empereur
des Français nous ôte ses troupes, qu'il paye ce qu'il doit
et a promis de payer, qu'il nous laisse dans notre indé-
pendance et qu'il compte sur notre parole sacrée qu'aucune
troupe étrangère ne mettra le pied dans les Deux-Siciles et
qu'oubliant tout le passé nous lui serons bien reconnaissants
de nous avoir remis en liberté et préservé des maux dont
son actuelle conduite nous menace. Nous ne désirons entrer,
ni entrerons dans aucune condition, mais voulons être in-
dépendants et pour cela délivrés d'une armée qui, outre les
maux qu'elle nous cause depuis deux ans, pourra encore en
entraîner d'autres.
Je ne vous parle pas des accusations qu'on porte contre
moi, des propos envenimés qu'on me prête. L'âge, les mal-
heurs ont beaucoup diminué ma vivacité. D'ailleurs les
personnes que vous me citez, Madame de Staël dont la ré.
putation a devancé depuis longtemps la connaissance, je
ne l'ai jamais vue que devant des témoins de mes discours,
craignant son caractère, le Prince de Wurtemberg de même.
Le jeune prince Electoral de Bavière ne m'aurait ni entendu
ni compris, beaucoup moins répété, étant bègue et sourd.
Mais en général, je suis trop honnête pour répéter des anec-
dotes, bons mots qui m'ont été dits. Mais je crois que mes
sentiments, je ne les ai jamais manifestés avec personne.
D'ailleurs l'Empereur Buonaparte a trop d'esprit pour savoir
que quand on est heureux et grand comme lui on est tou-
jours loué et mettre à sa juste valeur les louanges comme
les méchancetés qui sont comme le bourdonnement de
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 117
petits insectes. — Je vous assure que, si je voyais l'Empe-
reur, je ne lui ferais aucune basse adulation dont il doit
être dégoûté, et lui dirai les louanges qu'il mérite comme
nos justes doléances et plaintes qu'il mérite aussi avec
cette franchise que, s'il a le grand caractère que je lui sup-
pose, il ne pourra trouver mauvaise.
La récolte promet d'être médiocrement bonne. Dieu
veuille qu'aucun malheur ne survienne.
J'ai reçu le nécessaire. Je l'ai trouvé superbe et du meil-
leur goût et ai ordonné à Lalo de vous le payer selon la note.
Amélie en a eu un plaisir extrême.
Adieu, je finis cette triste expédition vous recomman-
dant de veiller à nos intérêts, de bien dire et faire com-
prendre qu'un délai de peu de jours ', et seulement pour
nous éviter d'ultérieurs malheurs, ne doit pas nous valoir
d'être traités avec rigueur. — Tâchez, je vous conjure, d'é-
viter des malheurs incalculables à votre patrie, à vos
bons souverains et à tous vos amis. Une fois la chose
commencée, on ne peut calculer où et comment elle s'achè-
vera. Je vous conjure donc de tout employer pour persua-
der, calmer l'Empereur. Renvoyez-moi bien vite un courrier
avec des nouvelles plus consolantes et croyez-moi pour la
vie votre reconnaissante.
Charlotte.
Une feuille en chiffres.
Une de commissions.
Une lettre à la Marquise de Gallo.
CCCXVII
Portici, le 14 juin 1800, n» 23.
J'ai lieu de croire que la venue du négociateur Russe -dé-
cidera le fait quoiqu'on m'ait assuré qu'il ne vient pas du
tout ici pour négocier, mais pour poser une (jueslion caté-
1. Gallo remit ses lettres de créance l'accréditant auprès du roi d'Italie, le
2.3 juin, à Bologne.
2. Le Général Lascv.
118 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
goriqueà laquelle il faudra répondre immédiatement. Je crains
à en juger d'après moi qu'avec un caractère comme celui de
Bonaparte tout cela n'aboutisse à un éclat, à une rupture.
Comme personne n'est prêt et n'a pris aucune mesure, ce
sera une terrible, une sombre fatalité pour nous qui, à cause
du fameux convoi anglais qui vient de débarquer à Lisbonne
et dont il n'est plus par conséquent question pour la Méditer-
rannée, avons chez nous ces maudites troupes. Aujourd'hui
encore nous avons appris par le courrier d'Espagne que la
flotte Gallo-Espagnole vient d'appareiller pour tenter un
coup sur la Jamaïque.
Bref, voilà que nous en sommes déjà au moment de la
grande explosion. Pour moi, je ne désire que tranquillité,
neutralité et indépendance ; mais je ne me déciderai jamais à
faire des bassesses à un pareil usurpateur, moi qui n'en ferai
pas à un souverain légitime. Je crois et vois que Buonaparte
ne veut pas la guerre continentale ; il aura déjà calculé que
deux batailles perdues tourneraient tout le monde contre lui.
Bien qu'il croie au fond que cela ne pourrait arriver, il
nosera en courir les chances ; mais si on le met au pied du
mur, il la fera ; vu son caractère, j'en suis tout-à-fait con-
vaincue, et je parierais même que tous les avantages seront
de son côté. Si ce maudit homme avait seulement évacué
notre Royaume, nous aurions été tranquilles et nous aurions
assisté en spectateurs indifférents à ces grands événements.
Au point où en sont les choses, nous en voilà les victimes,
ne pouvant éviter qu'on cherche l'ennemi là où il se trouve,
ce qui finira par rendre notre malheureux pays le théâtre
de la guerre. Je vous assure que je ne suis pas du tout
tranquille à ce sujet.
Le pays l'est pourtant, on y boit, on y joue, on s'y amuse
sans songer à rien. Un tel état de choses ne saurait durer
davantage et j'ai grand peur que le réveil ne soit terrible.
Nous n'avons même pas assez de troupes pour contenir nos
peuples et nos sujets : nous n'avons pas de quoi fournir les
gardes, les postes, les sentinelles. Nous avons beaucoup de
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 119
déserteurs que nous songeons à réclamer aux localités d'où
ils dépendent en leur accordant pleine amnistie. Il est
certain que les Français ne sauraient rien y trouver à dire,
puisqu'il ne s'agit pas d'un recrutement, mais d'une simple
rentrée dans les rangs. Je vous en donne la nouvelle à l'a-
vance afin que vous puissiez répondre si on vous ques-
tionne à ce sujets qu'il ne s'agit point de recrutement, mais
de restitution forcée de déserteurs au cas où ils ne se déci-
deraient pas à rejoindre volontairement leurs régiments à la
suite de l'amnistie du Roi. Tout cela nous procurera la
possibilité de renvoyer dans leurs foyers 2.000 hommes qui
ont fini leur temps de service et qu'on a dû retenir, parce
qu'autrement on n'aurait pas pu assurer les services de
gardes qu'il faut fournir en ville. Voilà à quel état nous ont
réduits la méchanceté d'un côté. et notre quasi-anéantis-
sement de l'autre.
Je vous assure qu'il faut mon enthousiasme et le désir
que j'ai de faire le bien pour ne pas en être dégoûtée par tout
ce qui m'arrive. J'ai juré de faire l'impossible, même de
perdre la vie pour conserver la couronne sur la tête du Roi et
de mes enfants dans la situation aussi difficile et scabreuse
que celle où nous nous trouvons. Mais, une fois la paix assu-
rée, aucune force, ni divine, ni humaine ne me fera rester aux
affaires. Je veux d'abord assurer la situation financière de
mes trois enfants, la mienne ensuite, afin de vivre tranquille,
toute seule, loin de tout et de tous. J'ai vu et éprouvé trop
de choses pour ne pas penser de cette manière.
J'ai été interrompue par des lettres et je ne sais où j'en
étais restée. — Vous me ferez le plaisir de me dire si Alquier
est en grâce auprès de Buonaparte ou de Talleyrand seule-
ment et ce qu'il dit de moi ; quant à moi je l'aime encore
mieux qu'un autre, quoique son humeur atrabiliaire soit
des plus dangereuses et que les mensonges ne lui coûtent
rien. Dites-moi ce qu'on pense du secrétaire d'ambassade.
Le Fèvre, qui se trouve maintenant ici et qui paraît moins
méchant, bien que je n'aie confiance en personne. Et je le
120 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTIOM FRANÇAISE
comprends, il faut que tout le monde danse au son d'une
musique de commande.
En un mot, nous approchons du dénouement du drame,
long, larmoyant, avec un peu de comique, comme le sont toutes
ces Altesses, ces Princes de nouvelle fabrication ainsi que
toutes les cérémonies avec une cour de gens qu'on n'aurait pas
même admis dans les antichambres, il y a quelques années.
Voilà le monde ! mais cela fait faire de sombres réflexions.
Pour moi, le seul bonheur que je désire, c'est une retraite
tranquille, quelques modestes commodités et assez de moyens
pour bien vivre et pouvoir obliger de nouveaux ingrats.
Adieu, mes réflexions me mèneraient trop loin. Je crois
à la paix parce que tous, Buonaparte inclus, la désirent.
Quelles pourront en être les conditions ? Je l'ignore, mais j'ai
lieu de croire que Napoléon habile en tout saura bien jouer
ses cartes. Si on le contrecarre, il fera la guerre et je parie-
rais un contre mille, pour les meilleures raisons du monde,
qu'avec 100.000 hommes il en battra 300.000 ! Quelles en
seront les conséquences ! Je tâche de m'étourdir et de ne
pas y penser ! Adieu, écrivez-moi souvent et parlez-moi en
toute liberté ainsi que j'en use avec vous. Brûlez mes lettres.
Adieu, croyez-moi avec une vraie confiance estime et gra-
titude, votre reconnaissante éternelle amie.
CCCXVIII
Portici, le 8 juin 1805, n' 24.
Quoique je vous aie écrit hier par un courrier, je ne puis
m'empêcher de le faire aujourd'hui par la poste pour vous
charger expressément, par ordre du Roi, de faire toutes les
démarches nécessaires auprès de l'Empereur et Roi pour
empêcher l'augmentation des troupes chez nous, les appro-
visionneurs écrivant qu'on en attend en nombre. — Je laisse
à vous à juger quelle explication nous devons donner à cette
augmentation de violences et de vexations et quels senti-
ments, quelles idées, cela nous doit faire prévoir. Il est donc
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 121
de votre absolu devoir, comme Ambassadeur du Roi, de
demander la suspension de toute nouvelle troupe à entrer
chez nous, ou au moins à quel nombre cela se fixera. Pensez
à votre Patrie et à vos maîtres et sauvez-nous de ces
malheurs incalculables et que la reconnaissance faite ôte
même tout prétexte.
Adieu. Je compte sur votre zèle. Comptez sur ma sincère
reconnaissance.
Charlotte.
CCCXIX
Naples, le 15 juillet 1805, n» 25.
J'ai reçu votre lettre du 25 juin de Bologne et du 5 juillet
de Gênes et j'ai vu avec bien de la reconnaissance tout ce
que votre zèle vous y fait dire. Je suis très fâchée que les
circonstances ne vous aient pas permis de venir. Cela aurait
été bien utile. On se dit plus en une heure qu'on n'en écrit
dans trois courriers.
Ma santé est toujours souffrante. Actuellement nous som-
mes toute la famille réunie en ville. C'est un séjour que le
Roi n'aime point.
Adieu, mille et mille compliments à votre épouse. Je
charge de cette lettre le courrier d'Espagne. Adieu, plaignez
nous, écrivez-moi toujours sincèrement et croyez-moi pour
la vie, votre bien attachée et reconnaissante amie.
Charlotte.
cccxx
Naples, le 5 juillet 1804, n» 26. 1
Je me crois obligée devons prévenir par le courrier d'Es-
pagne de la scène réellement incroyable et abominable
qu'Alquier a osé me faire hier -. J'étais très disposée à une
1. Lettre presque effacée ; difficile à déchiffrer et dont on n'a pu faire repa-
raître les mots niar<(ués par des points.
2. E. Alquier au Ministre des Kelations Extérieures, Naples 9 juillet 1805. —
H.Elliot à lord Mulgrave, Naples 6 et 23 juillet 1805. (Citées par Al itioL, II, ;iO(i,
367-:}C9).
122 REVUE HISTORIQUE UE E.V RÉVOLUTION FRANÇAISE
patience d'ange et à tout l'esprit de conciliation quand le di-
gne ambassadeur a jugé à propos de me traiter, moi Reine
de Naples, comme je me ferai scrupule de traiter une ser-
vante. L'homme avait étudié son rôle et probablement le
Sénatoriat en sera la récompense. Il avait le rire des Comi-
tés de sang. Il n'est pas d'insolence qu'au nom de son digne
maître il ne m'ait pas dit : que j'étais le malheur du pays
excluant tous les fidèles serviteurs du Roi de tout, excepté
Acton, CJrcello, Serracapriola, Castelcicala, Médici, le cardi-
nal Huffo et Alvaro Ruffo et vous aussi Enfin me mena-
çant des choses incroyables et finissant par semer la zizanie
en famille en disant qu'on proclamerait le prince roi, que
tout le public le souhaite, que s'il forme le désir En un
mot, comblant la mesure des insolences, disant que le roi
rassemble son conseil d'Etat, leur dicte la langue qui déci-
derait si je ne suis pas nuisible par ma permanence aux
affaires, menaçant mais du ton d'un bourreau. En un mot
c'est mon de parler à ces Messieurs qui, comme je n'en
doute point, ont l'ordre de passer les bornes. J'ai manqué
d'en mourir et ai cru avoir un coup de sang tant plus que
je m'étais préparée à la plus grande modération.
Le Roi est furieux et voulait partir pour la Sicile, disant
que jamais il se pliera à être le préfet de S. M. Buonaparte
et qu'en le limitant sur tout, ministres, généraux et qu'il ne
lui reste plus qu'à aller en Sicile. J'ai eu toutes les peines à
le retenir pour éviter les plus grands désastres. Il est furieux.
Je ne reviens point de la petitesse du Corse de prendre
tant de pique contre une femme. Je lui donne ma parole de
ne plus proférer son nom. Mais la conversation d'Alquier a
été un peu hors de tout, même d'insolence Buonapartienne
Il a essayé de mettre la zizanie entre père et fils, mais
il n'y réussira point, père et fils étant honnêtes gens. Il a
versé le poison dans nos cœurs contre nos ingrats sujets
disant qu'il parlait par leur bouche. Enfin sa conversation
a été infâme et a duré deux heures. J'ai manqué d'en étouffer
et d'en mourir. Aussi est-ce la dernière. Je n'en aurai jamais
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 123
plus et je ne m'exposerai point qu'un Alquier m'insulte. Je
ne sais quelles sont les intentions de Napoléon : Alliance,
bonne intelligence, soumission. Certes ce n'est pas le moyen
de l'obtenir avec une pareille insolence. Alquier m'a sou-
tenu, écumant de rage, qu'il avait lu ma lettre au maréchal
Berthier pour le faire chasser et malgré ce que je lui ai as-
suré il ne m'en a pas cru. J'ignore quelle autre imposture et
infamie cela est ; ce qui est certain, c'est que très mal vo-
lontiers j'ai écrit à cet Empereur de nouvelle fabrique et que
sûrement je n'ai jamais écrit à aucun de ses satellites, fus-
sent des altesses, maréchaux ou quelconque de leurs prag-
matiques emplois.
Mandez-moi si vous avez pu lire cette lettre. J'écris de
nuit et crains que cela ne sera point intelligible L'Em-
pereur des Iiois qui.... La haine, il rentre en lui, je
lui donne parole sur la vie Le roi et ma famille
indépendants dans les deux royaumes, ôté l'armée et l'af-
freuse dépense qu'elle coûte ;.... que je suis prête à me
mettre pour jusqu'à la paix générale en otage dans la France
méridionale, où il voudra me garder, jamais à Paris. Je lais-
serai tous mes enfants à Naples, voulant seule en courir le
risque et je ne sais plus que leur offrir de plus pour calmer
les fureurs impériales et rendre service à ma famille et
pays que j'aime et à qui je désire faire du bien. Vous me
trouverez enthousiaste, je l'avoue, mais je voudrais prouver
à l'univers entier mes sentiments et que le seul désir du bien
m'anime. Calmez la fougue de cet Empereur moderne. Je
suis bien fâchée d'être femme, sans cela je lui offrirais un
duel en champ clos, ou qu'il me tue, ou qu'il périsse, puis-
qu'il m'honore tant de sa haine. Assurez-le bien que son
sacré nom ne sera plus par moi prononcé et calmez-le en
m'apprenant ce que je dois faire pour lui complaire et ac-
quérir ses bonnes grâces
Adieu, ma santé est misérable, tant de choses l'ont
ruinée ? Mandez-moi si vous avez pu me lire. Plaignez-moi,
je le mérite bien. Parlez-moi et tout sincèrement. Adieu,
124 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
croyez-moi jusqu'au tombeau votre éternelle, bien triste
amie.
L'armée de Fouille commet des folies et horreurs. Elle
arrête tout, lit toutes les lettres. Les patrouilles de 4
hommes du Procaccia ', Ils sont ridicules à
force de folies, mais cela finira mal. Adieu, je suis recon-
naissante à vos soins. Avisez-moi de tout et parlez-moi
librement. Adieu.
CCCXXI
Naples, le 7 août 1805, n* 27.
Le Roi a ordonné de vous expédier le courrier pour vous
communiquer nos justes alarmes d'une marche de 12.000
hommes annoncés par toute l'Italie - et que nos agents nous
écrivent être employés pour nos Etats, Cela serait opposé à
ce que l'Empereur vous a promis lors de notre reconnais-
sance de Roi d'Italie et serait d'un poids insoutenable, sur-
tout dans un moment où tant de fléaux nous accablent.
Tâchez donc d'éviter ce surcroît de malheur qui nous met-
trait au désespoir. Renouvelez à l'Empereur et Roi notre
solennelle promesse et parole sacrée que s'il nous ôte jus-
qu'au dernier homme l'armée injustement stationnée chez
nous, nous conservons la plus stricte neutralité dans tous
les cas et guerres qui peuvent agiter l'Europe. Il faut que
l'évacuation soit complète. Sans cela nous ne pourrons
jamais empêcher que nous n'ayons le malheur d'avoir le
théâtre de la guerre chez nous. — Et pour prouver que nos
sentiments et envie de conciliation, bien éloignés des senti-
ments furieux qu'on nous attribue et qui ne sont que le
juste ressentiment de quiconque a de l'âme et se sent
opprimé, même que nous ne souhaitons que conciliation,
1. Délégui' du commissaire de police.
2. Le Ministre des Relations Extérieures à l'Ambassadeur de France à Na'plcs.
Gênes, 3 juillet 1805 (Démenti opposé à l'envoi de nouvelles troupes dans le
royaume de Naples) (Cf. Auriol, II, 371).
LETTRES INÉUITES DE MARIE-CAROLINE 125
comme les négociations avec Novossiltzoff sont rompues et
que la cour de Russie a pour nous amitié et protection, si
l'Empereur désire que nous leur passions quelques proposi-
tions, idées à la Russie, nous sommes prêts à le faire et à
communiquer ce qui nous sera proposé.
Ceci n'est point pour jouer un rôle, ou nous mettre en
avant comme médiateurs. Nous sommes trop petits pour cela.
Mais c'est pour prouver notre désir de la Paix dont tout le
monde et nous en particulier avons si grand besoin. Mais je
vous en conjure, obtenez qu'on nous ôte l'armée et qu'on
nous paye nos 4 millions de ducats. Rien ne se fait malgré
les promesses et cela nous détruit. Unissez à cela le fléau
d'un tremblement de terre qui a ruiné 44 villes, bourgades
et villages, endommag«3 tous les édifices publics de la ville
et jugez notre état.
Je ne puis nullement me louer de l'Ambassadeur Alquier.
Après qu'il m'a joué l'impudente scène qu'il a été si péni-
ble à vous et à Cardito d'entendre de l'Empereur et qu'un
Alquier a répétée avec la morgue et le ton d'un Alquier de
l'Assemblée Nationale à une reine de Naples et qui m'a fait
tomber malade, il a depuis lors dénaturé et menti sur cela.
Il ne se gêne point pour jouer toute cette scène à tout le
monde.
Il ne voit personne des Ministres, vit en hibou au Vomero,
voit de la canaille à nous, rapporteurs et espions, croit tout
et écrit des choses qui sont impossibles et n'ont pas le sens
commun. Enfin il est fou, irrité par l'inquiétude de ses
crimes. Si, comme il l'annonce, on le fait sénateur au mois
d'octobre, je désirerais bien un homme sage et tranquille.
Son secrétaire de légation Lefebvre est un bon jeune
homme, aimé dans le pays, bien reçu et bien traité. Mais
Alquier prié par moi d'aller dans le monde et d'en recevoir
invité par mes insinuations ne veut aller nulle part pour
s'en plaindre. Mais Lefebvre est un homme bien plus décent
et conciliant et je souhaiterais ou lui Lefebvre ou un dans
ce genre.
126 BEVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Ma santé est entièrement mauvaise depuis la dernière
fièvre. Il m'est resté une violente toux. Je crache quelque-
fois du sang, maigris et ai mauvaise mine. Ecrire me fait
mal. Je souffre beaucoup, et ce courrier expédié je vais
aujourd'hui pour une quarantaine de jours à Castellammare
avec mes trois chers enfants pour essayer de me remettre.
J'ai choisi-cet endroit qui autrefois m'a fait du bien et pour
son éloignement de la ville et des affaires desquelles je suis
outrée. Je n'ai d'autre but que de faire le service du Roi, de
l'Etat. Et de me voir déchirée par les Français comme vendue
aux Anglais, par les Anglais comme sous l'influence des
Français, quand je ne suis que Napolitaine et que je ne veux
que le bien de ma patrie, tout cela, uni à ma mauvaise santé,
me fait désirer quelques semaines de retraite et de repos.
Tâchez, mon cher Gallo, d'éviter à votre patrie le théâtre
de la guerre ; tâchez de me faire délivrer du poids de cette
armée et des malheurs qu'elle entraînera sur nous.
Pour les offertes de parler à la Russie, faites bien com-
prendre que c'est pour le bien que nous le disons et pour
prouver notre désir de paix. Enfin je me fie à votre zèle.
Ma chère famille se porte très bien. Le roi, mon fils,
femmes et enfants vont à Portici, la maison de Naples étant
bien lésionnée, moi à Castellammare avec mes filles pour jouir
un peu de la solitude. — Aucune autre nouvelle. On en dit
tant et si contradictoires qu'on ne sait quoi croire. Je me
borne aux miennes, à ce qui m'intéresse. On ne parle ni ne
répand que la haine personnelle de l'Empereur Bonaparte
contre moi.
Je suis tachée surtout pour l'influence que ce sentiment
uni à sa Puissance peut avoir contre ma famille et mes Etats;
mais je sens que s'il me déteste, il me doit pourtant estimer.
Je dis de plus: Si je lui parlais, expliquais les sentiments de
seul principe de devoir qui me font agir, il devrait m'ap-
prouver. Il voit tant de bassesses qu'il a trop d'esprit pour
n'en être point dégoûté et sentir qu'il ne les doit qu'à
sa puissance et qu'une louange de ma part (et il en mérite
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 127
plusieurs) sont un vrai et sincère hommage et non une
basse adulation. En un mot, je suis sûre que s'il connais-
sait le fond de mon cœur et mes principes, son injustice
provoquée par les méchants et turbulents, sa haine si for-
tement prononcée lui passerait aussitôt.
Tâchez de nous faire ôter cette injuste armée qui nous
ruine, d'éviter surtout toute augmentation. Adieu, je compte
sur votre zèle et vous prie de continuer à écrire bien sincè-
rement sur tout. Adieu, portez-vous bien et croyez-moi de
cœur et d'àme jusqu'au tombeau.
Votre bien attachée amie,
Charlotte.
Une feuille en chiffre.
Une lettre à votre épouse.
Une feuille de commission de moi et mes enfants.
Une lettre à Versailles.
CCCXXII
Castellanimare, le 'M) Août 1805, n" 30.
J'ai reçu votre lettre du 10 août et vous remercie pour
tout ce que vous me dites et votre obligeante attention pour
mes commissions et vous en suis infiniment obligée. Comme
je crois que ma fille ne tardera guère d'accoucher ', je suis
encore sur ma chère solitaire montagne de Castellammare,
l'air m'y fait grand bien et ma santé qui était très délabrée
a beaucoup gagné. Mes chers enfants se portent bien. Pour
les affaires, nous sommes dans un moment de crise et de
stagnation. Il faudra voir ce qui arrivera.
Adieu, mille et mille compliments à votre épouse. Pen-
sez à moi, plaignez-moi et croyez-moi pour la vie votre
reconnaissante amie.
[Vient une feuille en ehiffrc prcsqu'entic-renient effaeée et dont je n'ai
pu rétal)lir que les tVagnicnts suivants :|
1. L'Itnpcralrice Tlicrcse était en cfi'ct accouchée la veille d"un fils, Jean
Nepoaiuk Charles François Joseph Félix, qui mourut le 19 février 1899.
128 REVLE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
« Combien notre position est embarrassante
et toujours on soupçonne sur nous. L'armée en Fouille
croit toutes les bêtises qu'on lui dit. On a demandé un
approvisionnement bien fort pour cette année. Cela fait
30.000 ducats Moi je soupçonne
une abominable volerie
le désirerais que la Russie ou l'Autriche
ou qui que ce fût fit une honnête, solide paix qui donnât
un juste équilibre et que l'on pût vivre en repos, car on a
a bien besoin de tranquillité. Pour moi si l'air de Castel-
lammare ne m'eût remise complètement, je serais morte.
Actuellement je souffre encore un peu de fièvre. Jugez que
les chagrins de toutes les couleurs m'ont tuée.
J'attends avec impatience vos courriers. Si Buonaparte
réussit dans son expédition maritime, il a bien du bonheur.
Si l'Angleterre voulait la paix, les puis-
sances continentales y consentiraient toutes, mais.
En vérité on ne sait même
pas que souhaiter. Pour moi je ne désire que le repos. Si
on nous enlevait cette maudite armée française, je serais
contente et nous devrions être neutres. Aussi longtemps
qu'elles nous restent, on les attaquera ici
travaillez dans le sens de la vérité
contre tous les mensonges qu'Alquier, fou enragé, boute-
feu entouré de mauvaises gens.
On écrit de Fouille que les Français parlent de partir.
Dieu le veuille ! Ce serait un grand bonheur ; mais cela
devrait être sans exception. Ainsi nous n'aurons pas le
malheur du théâtre de la guerre chez nous. Je vous remercie
de tout ce qu'avec tant d'exactitude vous m'écrivez dans
votre lettre du 10 courant. J'attends toujours vos nouvelles
avec impatience.
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 129
Pardonnez encore ma sécature. Je vous prie de m'en-
voyer deux belles paires de manchettes d'homme en belle
dentelle avec leur jabot pour en avoir été priée, sûre qu'à
Paris on les trouve neuves et belles. Adieu, plaignez-moi,
je le mérite à bien des égards, mais suis et serai jusqu'au
tombeau votre aimable amie. Adieu.
CCCXXIIl
Naples, 13 janvier 1806, n» 2. 1
Je vous ai dit par le courrier du 8, écrit et chiffré si
au long que par San Teodoro je n'ai plus rien à expliquer.
C'est votre ami, parent, un honnête homme. Il vous expli-
quera le tout de vive voix mieux que je ne pourrai vous le
décrire. Je fie en vous que vous mettrez toute votre connais-
sance des personnes avec qui vous vous trouvez et votre
zèle en mouvement pour sauver vos maîtres et votre patrie.
Car l'invasion ne se passera pas tranquillement. Je vous
assure que mes chers enfants qui me font saigner le cœur
prient Dieu pour qu'il vous fasse réussir. Promettez, assurez
que nous sommes changés d'opinion qu'agissant avec gé-
nérosité, ce serait le moyen de nous attacher en vrais amis.
Assurez, et cela positivement, que nous nous retirons entiè-
rement ne pouvant plus vivre dans ce tourment et dans le
système actuel étant trop vieux pour cela.
Je me recommande à votre zèle. Ne me laissez pas
sans vos nouvelles qui sont d'un si grand intérêt pour
moi. Autant que j'existerai, comptez sur mon éternelle re-
connaissance. San Teodoro vous informera de tout de vive
voix. Je n'ai ni la force, ni la santé. Nous l'avons choisi
comme un ami et parent à vous et pour sa parfaitement
1. Suite et fin de la dépèche dont je n"ai donné que la première moitié aux
pages 661-667 du tome II de la Correspondance inédite de Marie-Caroline avec
le Marquis de Gallo.
h>,V. I»ST. DK LA RÉVOI.. 9
130 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
honnête manière de penser. Adieu, plaignez-moi, aidez-
nous et croyez-moi pour la vie votre reconnaissante amie.
Charlotte.
A votre épouse, mille et mille compliments. J'aurai
bien des désirs et commissions mais notre triste situation
et l'incertitude de notre existence m'impose tous les sacri-
fices et croyez-moi pour la vie votre sincère amie.
CCCXXIV
[Bien que, profondément découragé par Fattitude de son gou-
vernement et par les procédés employés à son égard, Gallo ait
dès le 13 décembre 1805 adressé sa démission à sa cour et demandé
à être relevé de ses fonctions, attristé par les malheurs qui allaient
fondre sur sa patrie et qu'il se savait impuissant à conjurer, ému
par le désespoir tardif de la Reine, il avait eu à cœur de donner
aux souverains qu'il croyait avoir loj'alement et fidèlement servi
une nouvelle preuve de son dévouement et pris sur lui d'adresser
à Joséphine la lettre qu'on va lire et que nous avons cru indispen-
sable de publier.]
Le Marquis de Gallo à l'impératrice Joséphine.
Paris, le 27 janvier 1806.
A Sa Majesté l'Impératrice et Reine.
Dans la situation la plus critique de ma vie, j'ose me
jeter aux pieds de 'Votre Majesté Impériale pour implorer ses
bontés. Si je ne connaissais pas depuis longtemps combien
son àme est grande et généreuse et combien Elle daigne
m'honorer de sa protection et de sa bienveillance, je n'oserais
prendre la liberté de Lui adresser cette prière.
Votre Majesté Impériale connaît les malheureuses cir-
constances où se trouve la cour de Naples depuis les der-
niers événements qui ont attiré sur elle le plus vif ressenti-
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 131
ment de S. M. l'Empereur et Roi *, son auguste époux.
Depuis cette époque et après être resté deux mois sans
aucune communication de ma Cour, je viens de recevoir
depuis quatre jours par un courrier du 18 janvier une
lettre de Sa Majesté la Reine pour Sa Majesté l'Empereur et
Roi, laquelle devait lui être présentée par M. le cardinal
Rufïo que Sa Majesté avait chargé de se rendre auprès de
Sa Majesté l'Empereur et Roi pour avoir cet honneur, mais
qui s'est arrêté à Rome croyant de ne pouvoir plus arriver
à temps à Milan.
Par cette lettre Sa Majesté la Reine, entièrement revenue
de toutes les préventions qui ont pu lui attirer le ressenti-
ment et l'inimitié de Sa Majesté Impériale, cherche en
avouant ses torts de calmer l'esprit de Sa Majesté l'Empe-
reur et réclame en sa faveur et en celle de la famille royale
toute sa magnanimité et sa générosité.
Malgré toutes les preuves que j'ai du caractère noble et
généreux de Sa Majesté l'Empereur qui ne refuse jamais
ceux qui s'abandonnent loyalement à lui avec une entière
confiance, je connais trop tout ce qui s'est malheureusement
passé depuis un an entre les deux cours et je suis telle-
ment effrayé de l'état des choses et du ressentiment où je
vois Sa Majesté l'Empereur que je n'ose pas espérer de
pouvoir moi-même obtenir l'honneur de lui présenter cette
lettre, ni celui de la lui faire parvenir d'aucune manière
officielle. Mais réfléchissant d'un autre côté combien en
pouvait dépendre le salut de la famille royale et de l'Etat
que j'ai servi pendant 30 ans, j'ose implorer la médiation
du cœur sensible et bienfaisant de Votre Majesté Impériale
et Roj^ale pour qu'elle daigne accorder son intercession afin
de faire parvenir cette lettre sous les yeux de Sa Majesté
l'Empereur et Roi et de l'appuyer de ses bons offices en
1. Cf. Correspondance, T. XI, n» 968, 37'' bulletin de In grande armée,
Seh(enbrunn, 26 décembre 1805, et proclamation à l'armée du 27 décembre
publiée dans le Moniteur du 1'^' février.
132 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
faveur de la famille Royale de Naples qui en sera toujours
redevable à Votre Majesté Impériale et Royale.
Je me confie entièrement pour cette grâce à la bienfai-
sance et à la sensibilité de Votre Majesté Impériale et
Royale et je La supplie d'ajouter le comble à ses anciennes
bontés pour moi en daignant, dans la malheureuse cir-
constance où je me trouve, m'accorder un moment d'au-
dience particulière, dans laquelle je puisse avoir l'honneur
de réclamer son auguste protection auprès de Sa Majesté
l'Empereur et Roi.
En attendant je supplie Votre Majesté Impériale et
Royale d'accueillir avec bonté l'hommage très respectueux
de la profonde vénération et du plus humble dévouement
avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc. etc.
[L'impératrice qui, comme Galle le dira dans sa lettre de
Paris le 16 février 1806, la dernière qu'il écrivit à Marie-Caroline
«. avait daigné accueillir ses prières, tenta par grandeur d'âme
d intercéder auprès de l'Empereur et d'obtenir qu'il consentit à
l'ouverture de négociations. » « Mais son intervention a été inutile,
ajouta-t-il, et loin d'obtenir le moindre adoucissement je n'ai
même pas pu parvenir à me faire écouter... »]
cccxxv
Le Marquis de Gallo à Sa Majesté la Reine.
Paris, le 16 février 1806.
Je ne puis déposer aux pieds de Votre Majesté que l'ex-
pression de ma profonde douleur sans avoir même la conso-
lation de pouvoir lui donner le moindre espoir en réponse
aux ordres et aux instructions catégoriques que m'ont ap-
portés ses lettres du 26 janvier apportées par le courrier
Precanico.
Par le courrier Giannini expédié le 4 du courant j'avais
LETTRES INÉDITES DE MARIE-CAROLINE 133
eu l'honneur de l'informer de la rupture des relations diplo-
matiques qui m'avait été notifiée par cette Cour et de l'ordre
de départ qui m'avait été signifié en termes très sévères et
très durs. Je suis donc dans l'impossibilité de pouvoir rien
faire pour le service de Votre Majesté et je ne me trouve
encore à Paris, où je suis ignoré de tous, que pour mettre un
peu d'ordre à mes affaires privées, à ma désastreuse situation
personnelle et pour rassembler ce qu'il me faut afin de pouvoir
entreprendre un aussi long et dispendieux voyage avec ma
famille. Pour grands que soient mes soucis et mes préoccu-
pations particulières, ce n'est pas là ce qui m'afflige le plus.
Ce qui me peine le plus, ce qui me désole le plus, ce sont
les malheurs qui frappent Vos Majestés, la Famille Royale
et ma patrie, ces malheurs que j'aurais voulu prévenir, fût-
ce même au prix de mon sang, que j'ai été malheureusement
impuissant à conjurer et dont je n'ai même pas pu atténuer
la grandeur.
On refuse de m'entendre, de m'écouter; on a rompu toute
communication avec moi. J'ai vainement tenté de faire
prêter loreille à mes ouvertures, à mes propositions. Tout a
été repoussé, rejeté avec une désespérante dureté.
L'Impératrice a été la seule qui ait daigné accueillir mes
prières et qui par grandeur d'àme ait tenté d'intercéder auprès
de l'Empereur et d'obtenir qu'il consentît à l'ouvertur de
négociations. Mais son intervention a été inutile. Loin d'ob-
tenir le moindre adoucissement, je n'ai même pas pu parvenir
à me faire écouter. Le parti qu'on a pris est irrévocable et
Votre Majesté a pu s'en convaincre par les proclamations qu'on
a lancées d'ici et par la façon dont a répondu aux négocia-
tions qu'Elle a essayé d'entamer en Italie.
Je pars donc en peine à la plus grande douleur et au
désespoir le plus profond et j'aspire uniquement au repos
dont mon esprit et ma santé ont le plus urgent besoin après
huit années toutes remplies de peine et de soucis, de fati-
gues, de déboires et de chagrins.
Precanico n'a pu obtenir de passe-port comme courrier
134 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
parce qu'on est décidé à ne plus rien reconnaître à tout ce
qui appartient à notre pays. Il part donc en qualité de
simple voyageur auquel il est interdit de rapporter des let-
tres fermées. Tenant à lui épargner des incidents désagréa-
bles, je lui confie donc cette lettre ouverte et me borne à
déposer aux pieds de Votre Majesté l'hommage du profond
respect et à Lui baiser humblement la main.
A S. M. la Reine à Naples.
MÉLANGES ET DOCUMENTS
UN PROCES-VERBAL DE LA SECTION DE MUTIUS-SC^VOLA
SUR L'EXPLOSION DE LA POUDRERIE DE GRENELLE
(14- fructidor an II)
Le 14 fructidor an II, l'explosion de la poudrerie de Grenelle
causait dans tout Paris un émoi intense. La Convention, réunie
dès que la nouvelle fut connue, prit en toute hâte les mesures
qu'exigeaient les circonstances. Le Comité de salut public fut
chargé de rédiger sur-le-champ une proclamation à la population
pour l'inviter au calme. Vingt-quatre commissaires furent nom-
més pour se transporter dans les ditlerentes sections de Paris et
y prêcher le maintien de l'ordre. Par le procès-verbal qu'on va
lire, on verra les répercussions de l'événement au sein de l'une
des principales sections de Paris, le rôle des commissaires de la
Convention auprès de cette même section, l'efiFort fait pour l'orga-
nisation des secours, et, par ces détails, on pourra se représenter
l'action qu'exercèrent les divers corps populaires pour apaiser
l'agitation publique, agitation d'autant plus dangereuse qu'elle se
manifestait à un moment où les passions politiques étaient parti-
culièrement intenses.
O. Karmix.
Comité Civil de la Section de Midius Scœvola^ assentblé extraor-
dinairement quatorze fructidor l'an II de la République Française
une et indivisible.
Les sept heures et demi du matin le Président dudit Comité s'est
1. Nom de la Section du Luxembourg en 1793 et 1794. Cf. Ernest Mellé,
Les sections de Paris pendant Ja Révolution Française (Paris, 1898), p. 38.
136 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
rendu sur le champ à son poste, d'après l'explosion qui s'est mani-
festé à Grenelle [et] a de suite fait rassembler tous les membres pour
délibérer sur les moyens à prendre en pareille circonstance.
En conséquence le Comité assemblé a donné ordre au Comman-
dant de la force armée, portant invitation aux Citoyens Officiers de
santé de se rendre au Comité Civil afin d'y recevoir les pou-
voirs à l'effet de se transporter sur les lieux pour y porter les
secours nécessaires à nos frères les blessés et y recevoir linges et
charpies, que tous les Citoyens se sont empressés d'apporter, ainsi
que matelas, couvertures et traversins que les différents voituriers se
sont empressés à l'envie ïun de l'autre de conduire à Grenelle pour
arriver en même tems que les Officiers de Santé et nous ont
demandés des pouvoirs à cet effet, et leurs avons adjoints des Officiers
et Volontaires de la force armée de la Section, tant sur l'invitation
des Officiers que sur celle des Voituriers.
A onze heures du matin, on a annoncé le Citoyen Servierre ',
Représentant du Peuple, qui a communiqué audit Comité un Extrait
du Procès Verbal de la Convention Nationale dudit jour 14- fructidor,
dont il nous a donné lecture et laissé un Exemplaire -. 11 nous a
annoncé de plus qu'il parviendrait sous peu de tems à la Section
une proclamation ^ pour tranquilliser les Citoyens, et a invité les
Membres du Comité à la faire dès quelle leur sera parvenue.
Il a assuré en même tems sur les suites de cet Evénement, quil
ne serait pas aussi funeste qu'on aurait lieu de le craindre, attendu
qu'il n'y avoit dans les Magazins que le produit de la fabrication
journalière.
S' Etant informé des mesures qui ont été prises, on lui a répondu
que le Comité avoit invité au son de la Caisse tous les officiers de
Santé à se rendre au Comité pour se transporter à Grenelle, ce qui
a été exécuté sur le champ avec le plus grand zèle et l'empressement
le plus vif de la part de tous les Citoyens de la force armée, ainsi
que des voituriers de toutes les sections indistinctement, qui se sont
empressés d'offrir leurs services pour y transporter les matelas, cou-
vertures, linges et charpies nécessaires pour pouvoir porter des se-
cours à nos frères, les blessés à la Poudrière de Grenelle ; et a aussi
1. Laurent Servière, 1759-1799, député de Lozère.
2. Cf. le Moniteur du 16 fructidor an II (N» 346).
3. Probablement la Proclamation de la Convention nationale, du li fructidor
l'an II, signée par Merlin, Barras et Collombel (Bibl. nat., Lb 41/4031).
MÉLANGES ET DOCUMENTS 137
invité un nombre d'officiers de santé dont deux devaient être conti-
nuellement en permanence au Comité pour subvenir aux besoins des
blessés qui se sont rendus dans leurs Domiciles ; et que, de plus, le
Comité a fait battre la Caisse pour prévenir les Citoyens qu'ils trou-
veraient toujours au Comité deux Officiers de Santé en permanence
pour satisfaire aux besoins de tous les Citoyens indistinctement.
Le Comité a aussi observé au Représentant du Peuple qu'il était
à son poste et qu'il y resterait jusqu'à ce que le danger fut passé. Le
Représentant du Peuple a témoigné sa satisfaction au Comité des
mesures qu'il a prises et lui a annoncé qu'il en rendrait compte à la
Convention Nationale '.
Sur ce que le Représentant a dit aussi que peut-être quelques
malveillans avaient cherchés à exciter un nouveau trouble, le Citoyen
Desborde, Commissaire de Police de la dit te Section, a repris la
parole et a dit au nom du Comité : « Citoyen Représentant, dites à
la Convention Nationale qu'en vain les méchants chercheroient à
nous désunir ; les 4S Sections et la République entière ont leur point
de raliment à la Convention et c'est à la Convention seule où nous
irons tous chercher des ordres pour combattre les Ennemis de la Ré-
publique. »
Avant que le Représentant du Peuple se fut retiré, les Citoyens -
Watbled et Décate, tous deux officiers de la Section Armée, envoyés
par le Comité civil à Grenelle pour y prendre des renseignemens
positifs sur sa situation et les ordres jugés nécessaires par les Repré-
sentants du Peuple, ont rapporté un ordre du Représentant du
Peuple Bochant '^ qui demandoit qu'il fut envoyé un détachement de
Cents hommes armés. Cet ordre a été remis au Commandant en Chef
de la Section pour le mettre sur le champ en Execution.
De suite est arrivé au Comité un ordre du Département de la
Police régénérée, adressé au Commandant de la Force armée, qui
demandoit quil soit fait des patrouilles de surveillances au pourtour
des Etablissements Publics qui se trouvent dans l'arrondissement de
la Section.
En conséquence le Comité a autorisé le Commandant de la sec-
tion de faire battre la caisse pour rassembler les Citoyens en Armes
1. C'est probablement un des N dont parle le Moniteur (N" 346) en rendant
compte de la séance de la Convention du 14 fructidor.
2. Les noms de Viany et de Riobé, précédant celui de Watbled, sont barrés.
3. Sans doute, Joseph Beauchamp, 1761-1842^ député de l'Allier.
138 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
sur la place de Mutins Sctcvola, pour satisfaire a tous ses ordres et à
ceux qui pourraient être Envoyés à la section.
Sur les trois heures de iaprès-midy sont survenus les Citoyens
Moulin et Burard, tous deux officiers de Santé, envoyés par le
Comité de Grenelle, qui nous ont dits qu'ils s'étoient transportés à la
Maison des Invalides, où ils avoient administrés les secours aux
blessés, et nous ont remis leurs pouvoirs visés et signés par le Ci-
toyen Meunier, Médecin en chef des Invalides.
La Proclamation de la Convention Nationale étant arrivée, le
Comité s'est empressé d'en faire la Proclamation dans toutes les
parties de la Section.
Sur des Observations qui ont été faites au Comité par des Citoyens
et des Citoyennes quivenoient des Invalides, et qu'attendu le nombre
des blessés qui y avoient été déposés, il seroit important d'envoyer à
la ditte Maison des Invalides de la Charpie, Linges, Compresses et
bandes, le Comité a aussi tôt envoyé deux citoyens d'ordonnance
pour y satisfaire, avec Invitation de demander que si ion en avoit
besoin d'avantage, que le Comité se feroit un devoir de leur [en] faire
parvenir par la même voix (sic) ; à quoi il leur a été repondu que
toutes les sections en avoient apportés et qu'en conséquence cela étoit
suffisant quant à présent.
Sur les huit heures du soir, s'est présenté au Comité civil de la
Section le Citoyen Doublet, Médecin de l'hospice de Louest •, de-
meurant rue du four -, N° 297. Lequel nous a déclaré qu'il avoit passé
une partie de la matinée au dit hospice, accompagné du Citoyen
Mongenau, Médecin des Armées, son beau fils, ou (sic) ils avaient été
occupés (partie de la matinée) avec les Chirurgiens dudit hôpital à
secourir les blessés qui y ont été amenés au nombre de Trente-cinq,
et nous a déclaré de plus, qu'ayant vu de nouveau les mêmes malades
ce soir, il les avoit trouvés dans un Etat autant satisfaisant qu'on
pouvoil l'espérer, la plupart d'entre eux paraissant dans le cas de
guérir.
Le Comité a[yant] reçu à trois heures après midy une lettre de
l'Agence des Transports Militaires, cinquième Division : Approvi-
sionnemens des subsistances de Paris, avec l'arrêté du Comité de
Salut Public de la Convention Nationale, par lequel il met en
1. Hôpital de l'Ouest, à la barrière de Sèvres, fondé par Mme Necker.
2. La rue du Four était située dans la Section de Mutius-Sctevola.
MÉLANGES ET DOCUMENTS 139
réquisition les voitures existantes dans l'Etendue de cette Commune,
propres à l'Execution du transport des farines, dans le nombre des-
quelles ne sont point comprises celles des Bouliers des Départements
de l'Intérieur qui arrivent journellement à Paris.
Le Comité, aussi-tôt la présente reçue, a donné des ordres au
Commandant de la Force armée pour faire battre la caisse dans
toute l'Etendue de la Section avec la plus grande exactitude, à
l'effet de prévenir tous les Citoyens Propriétaires de Voitures et
Cheveaux, propres au transports des farines, d'en venir faire leur
déclaration au dit Comité avec leurs noms et demeures.
Le Comité a aussi fait battre la caisse pour inviter tous les Ci-
toyens qui auraient trouvés de petites balles propres à la fabrication
des poudres à Grenelle, de venir les déposer au Comité pour de suite
les faire remettre à qui de droit.
ROYER,
président 1.
QUELQUES REMARQUES INEDITES DE FRANCIS D'IVERNOIS
SUR LA POPULARITÉ DE FRÉDÉRIC II DE PRUSSE A NEUCHATEL
ET DANS LE RESTE DE L'EUROPE
La bibliothèque publique et universitaire de Genève conserve,
parmi les papiers de Sir Francis D'Ivernois, quelques feuillets
écrits de sa main, intitulés : Idées détachées sur les circonstances pré-
sentes. Ces pages, écrites pendant l'été 1796, ont traita la situation
politique et économique de la France, aux derniers écrits de Burke,
à l'influence des journaux, au langage à tenir par les partisans
d'une restauration monarchique en France, enfin à la manière de
traiter les gens de lettres pour les rendre favorables à une cause.
C'est cette dernière page que nous reproduisons ici.
O. Karmin.
Lord Chesterfield dit qu'il faut traiter les femmes comme des en-
1. Collection Otto Karmin.
140 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
fants ; on pourrait dire dans le même sens qu'il faut traiter leshom-
mes de lettres comme des femmes.
J'ai eu l'occasion de voir dans une ville de Suisse, où le roi de
Prusse était extrêmement populaire, que sa popularité dans la der-
nière classe de la société avait [ été ] créée à l'occasion d'une miséra-
ble tabatière de porcelaine qu'il avait envoyée en présent à un maître
écrivain dont il avait reçu une pièce bien écrite et qui n'a cessé de-
puis 20 ans de répéter ses louanges. Peut-être s'il est difficile de cal-
culer combien la popularité du roi de Prusse lui a été utile dans sa
carrière, j'hésite bien moins à [l'attribuer à ses actes qu']à quelques
lettres complimentatoires (?) qu'il a adressées de temps en tempsaux
coryphées des gens de lettres et à quelques misérables pensions qu'il
leur a fait distribuer pour aboyer en sa faveur.
Au surplus on se tromperait si l'on pensait que l'intérêt a plus de
prix sur les gens de lettres que l'amour propre. La plupart d'entr' eux
seraient moins flattés d'une pension considérable donnée sans com-
pliments flatteurs que dune pension moindre de la moitié accompa-
gnée de quelques compliments flatteurs qu'ils pourront faire mettre
dans les gazettes, ou de quelques petits présents qu'ils pourront mon-
trer à leurs amis. En un mot, je suis persuadé qu'avec cent pensions
de 100 £ chacune, il y aurait de quoi soudoyer toute la tribu litté-
raire qui amuse les loisirs de 4- ou 5 millions de lecteurs en Europe.
BONAPARTE ET LA REPUBLIQUE DE SAINT-MARIN
Le 19 février 1797, à Tolentino, simple bourg de la marche
d'Ancône, fut signé, entre la République française et le Pape, le
traité de paix en vertu duquel Pie VI renonçait, pour lui-même
et pour ses successeurs, à la ville d'Avignon et au Comtat ve-
naissin, cédait Bologne, Ferrare, la Romagne à la République
cisalpine, etc.'
Cette cession de la Romagne enclavait un petit Etat d'une
1. Rappelons que depuis l'armistice de Cherasco, accordé au roi de Sar-
daigne, Bonaparte avait battu et refoulé quatre armées autrichiennes, soumis
l'Italie du Nord et entamé le Tyrol. Dés le printemps, il reprenait l'offensive
contre l'archiduc Charles, et le 15 avril les préliminaires de la paix entre la
France et l'Autriche, après 33 jours de campagne, étaient signés à Léoben
(15 avril).
MÉLANGES ET DOCUMENTS . 141
soixantaine de kilomètres carrés, d'ailleurs prospère et peuplé
(environ 5000 hab.), la république de San-Marino, ou Saint-
Marin. La capitale, de même nom, est à 226 kil. au N. de Rome,
15 kil. au S.-O. de Rimino, 17 de la mer Adriatique. Elle est
accrochée au pied d'un piton d'origine volcanique, le Monte-
Titano, à plus de 700 mètres d'altitude ; une forteresse, la Roche
(Rocca), touche et domine la ville, enserrée de murailles et de
tours antiques, et qui ne peut guère embrasser plus d'un millier
d'habitants. Un « bourg », le Borgo-Maggiore, et « neuf paroisses »
(communes) complètent le minuscule t^tat, qui, sans étendre ses
limites, a vu doubler sa population depuis une centaine d'an-
nées : 7.900 hab. en 1886 ; aujourd'hui plus de 10.000 ; densité
kilométrique : 175, ou deux fois et demie celle de la France.
Bonaparte — qui témoignait alors le plus profond mépris, non
pour le Catholicisme ou le Christianisme en général, mais pour
le Saint-Siège — fut mis au courant de l'histoire de San-Marino.
C'est au treizième siècle, en 1291, que les montagnards de la
Rocca s'étaient montrés assez forts pour faire reconnaître leur
indépendance par Nicolas IV, puis par Boniface VIII, un des
papes les plus orgueilleux du moyen-âge. Ni César Borgia, ni le
cardinal Alberoni n'en avaient pu avoir raison. La république
maintint son caractère de démocratie, gouvernée et administrée
par des élus, deux capitaines-régents et un Conseil de Représen-
tants du peuple. La force armée se composait en principe — et
se compose encore — de tous les citoyens aptes au service, de
18 à 60 ans.
Au moment d'annexer la Romagne à la Cisalpine, le chef de
l'armée d'Italie crut de son devoir de tranquilliser San-Marino
sur le sort qui l'attendait ; bien plus, de l'honorer comme le mo-
dèle des vertus républicaines, du courage militaire et civique. Il
n'eut pas le temps de se rendre lui-même à San-Marino ; les
Alpes Juliennes le réclamaient. Le citoyen Monge, membre de
l'Institut et de la Commission des arts et sciences en Italie, reçut
l'ordre de présenter à la petite République les témoignages
« d'admiration » de sa grande sœur puînée ; l'assurance d'une
« paix et d'une amitié inviolables » ; et de s'informer si quelque
partie des frontières était en litige, si quelque agrandissement
de territoire n'était pas nécessaire.
On a lieu de croire que ces offres étaient de pure courtoisie.
142 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Quoi qu'il en soit, les républicains ne se laissèrent pas tenter,
et firent sagement. Les guerres ultérieures leur eussent valu bien
des dangers, et leur indépendance n'eût pas survécu à l'effondre-
ment des constructions napoléoniennes en Europe et en Italie. Ils
mirent cependant à profit la bienveillance de Bonaparte, Il
aplanit les difficultés de leur commerce extérieur, et facilita leurs
relations avec les voisins, auxquels ils envoient toujours des
essaims de travailleurs, artisans ou journaliers, et dont ils ne
sauraient se passer pour leurs approvisionnements. Ils deman-
daient d'acheter mille quintaux de blé : Bonaparte les leur fit
passer gratuitement, — aux dépens d'Urbino où il fallut réprimer
une émeute. Il ne négligea pas d'orner la Rocca de quatre canons,
français, selon les uns, enlevés aux Autrichiens, selon les autres ;
et la salle du Conseil, de son portrait, que l'on y voit encore à
la même place. Empereur et roi d'Italie, Napoléon ne désavoua
point Bonaparte : « Respectons Saint-Marin, dit-il, comme un
modèle de la République. ' »
Il informait plus qu'il ne consultait le Directoire. C'est le l*^""
ventôse an V, 19 février 1797, c'est-à-dire le jour même où
Pie VI s'humiliait et se dépouillait, qu'il adressa aux Cinq, avec
un rapport, « le discours de Monge, prononcé devant les deux
capitaines représentants de la République de Saint-Marin » ; la
réponse de ceux-ci et la réponse des députés, l'une et l'autre
pleines de reconnaissance pour la « magnanimité des conquérants
de l'Italie ». Au moment de la révolte d'Urbino, il exempta de
toute contribution les possessions des citoyens de San-Marino en
Romagne.
Les textes figurent au Moniteur - et dans la Correspondance
napoléonienne, qui les y a pris.
Mais ce qui est curieux, c'est de les lire tout au long dans
l'ouvrage (anonyme) du Baron de Pommereul ' : « Campagne du
général Buonaparle en Italie pendant les années /V^' et V'^ de la Ré-
publique française, par un officier général ; Paris, l'an V, 1797 »,
in 8". Sur cet écrit de 355 pages, toutes en citations ou disserta-
tions, la République de Saint-Marin n'en occupe pas moins de six,
1. N'oublions pas que Napoléon P'' était Empereur de la République fran-
çaise, Empereur des Français ; c'était la même idée politique sous deux formes-
2. 16 ventôse et 22 germinal an V (19 février et 11 avril 1797).
3. L'attribution n'est pas douteuse.
MÉLANGES ET DOCUMENTS 143
et c'est beaucoup si l'on réfléchit à la matière que le titre com-
portait 1.
Mais Pommereul, homme d'ancien, de nouveau et de futur
régime, doit être considéré comme le premier publiciste ou tout
au moins l'un des premiers, spécialement investi de la confiance
de Bonaparte et au courant de ses ambitions. Soit que le général
protège les arts et les sciences ; soit qu'il fasse emballer avec
soin, pour Paris, les trophées, statues, tableaaxet même reliques;
soit qu'il terrasse les forts et relève les faibles, il est constamment
présenté comme un chef d'Etat ; et le grand nom de César revient
plusieurs fois dans des éloges qui n'avaient rien d'hyperbolique
pour les contemporains. Le dénouement « de l'anarchie directo-
riale », à laquelle Fructidor ne remédia guère, c'était la restau-
ration des Bourbons si la France était \aincue ; victorieuse, elle
appellerait ou accepterait à sa tête le plus grand de ses généraux,
le plus populaire, le plus capable d'organiser et de réorganiser.
Bonaparte entrevoyait son destin. Il s'agissait d'y préparer l'opi-
nion, et en même temps de ne pas se compromettre. Quoi de plus
convenable à un tel dessein, que de glorifier Saint-Marin comme
le modèle des républiques ?
Bien que le genre « actualité rétrospective » soit étranger au
caractère de cette Revue, nous ne dissimulerons pas qu'un petit
incident de la guerre européenne qui se poursuit a rappelé notre
attention vers la Bocca. Nos journaux ont dit, et répété, que Saint-
Marin, enclave du royaume d'Italie, avait déclaré la guerre à
l'Autriche. Saint-Marin ne se serait donc souvenu ni des velléités
annexionnistes de Crispi, ni de la singulière tentative d'en faire
un Monte-Carlo. Le Conseil de la Bépublique, en réalité, a publié
un manifeste recommandant aux citoyens de mettre toutes leurs
forces au service d'une cause sacrée : « Au cri de Vive l'Italie !
dit ce manifeste (7 juin), nous vous lançons le chaleureux appel
de concourir aux initiatives qui ont pour objet de soulager les
victimes de la guerre. » — L'Autriche a déjà, en 1851, violé la
neutralité de la petite république. Si quelque hydravion ou diri-
geable austro-hongrois, sous prétexte de poste de T. S. F., vient
]. Bib. liât. Lh. 4/108, p. .307 à p. 312.
144 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
à survoler ou bombarder la Rocca, nul doute que ce cri de Vive
ritaîie ! ne prenne un autre accent. Mais alors, Saint-Marin n'a
pas à déclarer la guerre; la fière république n'est pas une princi-
pauté de Lichtenstein *. Il lui suffira d'autoriser ses citoyens-
soldats à s'enrôler sous le drapeau du roi d'Italie ; ils y fraternise-
ront avec d'autres républicains, la noble lignée de Garibaldi.
H. MONIN.
1. On sait que cette principauté « souveraine », le plus petit Etat de l'an-
cienne confédération germanique, déclara la guerre à la Prusse en 1866, tout
comme l'Autriche son énorme voisine ; et depuis lors n'a pas signé la paix, —
pour cause.
NOTES ET GLANES
Un hommage de Fabre d'Eglantine à J.-J. Rousseau. — La Biblio-
thèque de Genève (Gf315, tome 176, pièce 45) conserve une
feuille in-4°, imprimée d'un seul côté, et portant les deux men-
tions manuscrites suivantes : (en haut) 1785 ; (en bas; don de
l'auteur, domicilié à Genève en USô. 'Sous reproduisons ci-dessous
le texte complet de celte pièce. — O. K.
Inscription
en style lapidaire
pour mettre sous le buste de J.-J. Rousseau.
Jean-Jacqles Rousseal"
né
Citoyen de Genève en 1712,
depuis
par une noble abdication de ce titre
devenu Cosmopolite.
Le plus éloquent,
le plus parfait Ecrivain
du monde connu ancien et moderne;
Philosophe
Persécuté par les soi-disant tels.
Ami
de la vérité.
Apôtre
de la vertu.
Restaurateur
des droits et des plaisirs de l'enfance.
Religieux
dans la simplicité de l'Kvangile et de son cœur.
Cinique
envers les vices,
envers les faussetés du siècle.
Patient
dans l'adversité ;
«lEV. IllST. DE I.A BïVOL. 10
146 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
admira])le
dans la pauvreté ;
bon Homme
devant les petits;
Homme
devant les grands.
D'un esprit paeifique,
d'une âme sensible et ardente.
Politique
lumineux et profond.
Implacable ennemi
de l'oppression et de la tyrannie.
Républicain
comme Caton,
Citoj'en
comme Aristide.
Amant
de la Nature.
Ingénieux
dans la culture des sciences,
sur-tout
dans l'art de la Musique.
Doux
dans la société privée :
enfin
pur
d'âme, d'esprit, de cœur
et digne
d une meilleure race d'Hommes.
Il est mort
le 2 Juillet 1778.
Par M. Fabrd d'Eglantine.
BIBLIOGRAPHIE
A. Lavoine, La famille de Robespierre. Arras, Irapr. Bouvrj^
1914. In-8 de 7 pages à 2 colonnes.
Cette petite brochure n'est qu'un fragment détaché d'un tra-
vail plus considérable que M. L. se propose de publier ultérieu-
rement sous le même titre. Mais, telle qu'elle est, elle apporte
déjà une utile contribution à l'histoire des ancêtres du grand
conventionnel.
C'est en 1452 que le nom des Robespierre apparaît pour la
première fois dans les textes que nous connaissons. Il s'agit, à
cette date, d'un Willame de Robespierre, cité dans une charte
comme homme cottier de Jacques du Bos, bailli du sire de
Maries. M. L. mentionne ensuite toute la série des Robespierre
jusqu'au grand-père du conventionnel, qui mourut le 17 avril
1762, laissant plusieurs enfants, parmi lesquels Maxim)lien-
Barthélemy-François, qui fut le père de Maximilien-Marie-
Isidore. M. L., au cours de ses recherches, a découvert un
document intéressant qui met fin aux discussions relatives à la
disparition du père de Robespierre et au lieu de sa retraite. Ce
document, daté du 8 juin 1770, prouve que c'est à Mùnnheim que
le malheureux avocat, désespéré par la mort de sa femme et le
trouble de ses affaires, s'était retiré. Il revint cependant à Arras
en 1771, reparut même aux audiences du Conseil d'Artois, puis
disparut de nouveau vers le milieu de l'année 1772, et cette fois
pour toujours.
M. L. termine son intéressant travail par quelques détails
tirés de l'inventaire des meubles et effets de Jacques Carrant,
père de la mère de Robespierre, inventaire dressé en 1778, et,
de la liquidation, en 1780, de ces mêmes biens, dont une part
148 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
évaluée à 1142 livres, échut à Maximilien Robespierre, et une
part égale à son frère et à sa sœur.
C. V.
Lettres de Madame Roland, publiées par Claude Perroud. Nou-
velle série, 1767-1780. Paris, Imprimerie Nationale, 1913 et
1915. Deux vol. in-8de lxi-556 et xx-589 pages.
On sait avec quel zèle infatigable M. Claude Perroud a re-
cherché, publié et commenté tout ce qui touche aux principaux
personnages du parti girondin, et à Madame Roland en parti-
culier. Il complète aujourd'hui ses travaux antérieurs par la
publication d'une nouvelle et importante série de lettres, qui
s'échelonnent sur une période de quatorze années, de 1767
à 1780. Presque toutes ces lettres sont adressées par Marie
Phlipon à ses amies les sœurs Cannet, et avaient déjà été publiées
par MM. Breuil et Dauban, en 1841 et 1867, mais dans des con-
ditions si défectueuses qu'une nouvelle édition, plus attentive et
plus exacte, était devenue nécessaire. A cette partie principale
de la correspondance de Marie Phlipon, M. P. a ajouté quarante
autres lettres qu'il a puisées à diverses sources. L'ensemble ainsi
obtenu constitue tout ce que Ton connaît de la correspondance
de Madame Roland avant son mariage. Enfin, l'éditeur a com-
plété son travail par des notices sur les correspondants de Madame
Roland, par quelques documents divers, par un appendice conte-
nant des lettres postérieures à l'année 1780 et qu'il n'avait retrou-
vées qu'après la publication de son premier recueil, enfin par
une table de toutes les lettres de Madame Roland de 1767 à
1793.
Des lettres elles-mêmes nous dirons peu de chose. La lecture
n'en est pas très attachante. Les digressions, les récits sans
suite, l'absence de toute simplicité, le bavardage fastidieux qui
remplit ces longues pages, la pédanterie qui s'étale dans la plupart
d'entre elles, ont quelque chose de puéril et de fatigant. Néan-
moins, elles forment un document psychologique non négligeable
pour l'histoire d'une femme dont on a démesurément enflé la
valeur et le rôle, et qui, en fait, ne paraît pas avoir dépassé le
niveau d'une petite bourgeoise sentimentale, à laquelle les évène"
ments ont donné une influence momentanée, mais qui, par elle-
BIBLIOGRAPHIE 149
même, resta médiocre, et montra plus d'esprit d'intrigue que de
véritable intelligence politique.
C.V.
Commandant Jean de La Tovr, Les prémices de Talliance franco-
russe. Deux missions de Barthélémy de Lesseps à Saint-Péters-
bourg (1806-1807), d'après sa correspondance inédite. Paris,
Perrin, 1914. In-16 de 319 pages, avec portrait.
On retrouve dans ce livre les qualités de l'auteur, la méthode,
la précision, l'art de présenter les documents inédits trouvés dans
les archives de famille ou de l'Etat avec une manière bien per-
sonnelle et très vivante.
La correspondance de Barthélémy de Lesseps, en mission à
St-Pétersbourg, d'abord seul en qualité de consul en 1806, puis
avec le général Savary en 1807, met en lumière bien des points
d'histoire encore trop peu connus et précise les premières bases
de l'alliance franco-russe.
M. H.
Pietro dei Marchesi Arezzo. Quattro Personnagi delîa Famiglia
Arezzo (Giacomo, Claudio-Mario, Orazio e Tommaso). Appunti
Biografîci. 1 vol. in-4, 174 pages, avec armes et portraits. Pa-
lerme, Giannitrapani, 1910.
Mieux vaux tard que jamais, et, sans des circonstances indé-
pendantes de notre volonté, des circonstances que l'auteur sera
le premier à nous pardonner, il y a longtemps déjà que nous
aurions appelé lattention sur les intéressantes notices biographi-
ques qu'il a consacrées à quatre de ses plus illustres ancêtres.
En raison même du cadre de notre Revue, il est malheureuse-
ment impossible de parler ici des deux premiers d'entre eux, qui
sont précisément ceux que nous connaissons le moins, Jacques
d'Arczzo, grand protonotaire et régent du Royaume de Sicile
(1345-1410) et Claude-Marie d'Arezzo (1560-1575), l'historiogra-
phe de Charles-Quint.
Le troisième, Horace d'Arezzo, le capitaine-général du royaume
de Naples, né en 1709, était déjà bien vieux, bien près de la fin de
sa carrière, au moment où les hostilités commencèrent entre les
Deux-Siciles et la République Française. Il importe toutefois de
faire remarquer qu'après avoir eu la sagesse de conseiller à Fer-
150 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
dinand IV de s'incliner devant les exigences de la France, de cé-
der devant la menace du bombardement de Naples en décembre
1792, il ne manqua pas, aussitôt après le départ de la flotte fran-
çaise, de travailler de son mieux à la mise en état de défense du
royaume et à la formation du petit corps expéditionnaire napo-
litain, qui combattit en Piémont et en Lombardie en 1794-1795.
C'est au Cardinal que le Marquis Pietro a réservé, et nous
aurions mauvaise grâce de nous en plaindre, plus du tiers de son
livre. La grande et intéressante figure de ce prince de l'Eglise, de
l'habile diplomate qui, si Paul I*^"^ avait vécu quelques semaines
de plus, aurait eu la gloire de réussir dans l'entreprise, vainement
tentée à plusieurs reprises, de la réunion de l'Eglise grecque, de
l'homme d'Etat, que 1 Empereur fit appeler auprès de lui à Berlin
au lendemain d'Iéna et qui ne craignait pas d'attirer sur lui la
colère et la vengeance du maître du monde pour rester fidèle à
son devoir et à ses convictions, les épreuves qu'il supporta
avec autant de courage, d'énergie que de résignation et de sang-
froid, son emprisonnement à Florence, Novare, puis à Bastia, les
péripéties de sa fuite en Sardaigne, enfin le beau rôle qu'il joua
pendant les longues années qu'il passa à Ferrare en qualité de
Légat méritaient assurément le juste hommage que l'auteur a tenu
à rendre à son illustre ancêtre en lui faisant la part du lion dans
ses Appunti.
Il suffira du reste, pour se faire une idée du soin que le mar-
quis Pietro Arezzo a apporté à son travail, de la méthode qu'il
n'a cessé de suivre, de remarquer que, non content de se servir
des précieux et nombreux renseignements que lui fournissaient
les riches archives de sa famille, il n'a pas hésité à consulter et,
ce qui est plus utile encore pour le lecteur, à citer les archives
d'Etat ou municipales, les manuscrits comme les livres qui lui
ont permis de compléter sa documentation. Espérons qu'il ne
s'arrêtera pas en si bonne route et qu'un de ces jours nous aurons
la bonne fortune de le voir publier les mémoires que le cardinal
passe pour avoir écrit pendant ses années de captivité et d'exil.
M. H.
Vincenzo Mellini, L'îsola d'Elfca durante il GoYerno di Napoleone I.
Florence, Stab. Tip. del Nuovo Giornr.le, 1914. In-8 de xvi-
373 pages, avec deux portraits.
Comme a bien voulu nous l'apprendre le savant et aimable
BIBLIOGRAPHIE 151
directeur de l'Archivio Storico Cittadino de Livourne, Pietro
Vigo, dans les belles et éloquentes pages qui servent de préface à
ce livre, le commandeur Giacomo Mellini, directeur général des
Mines de fer de l'Ile d'Elbe, encouragé par ses concitoyens et
plus particulièrement par l'auteur même de cet avant-propos,
vieil ami de la famille Mellini. a eu 1 heureuse idée de profiter du
centenaire de l'arrivée de l'Empereur dans l'île pour livrer à la
publicité une partie des écrits et des notes qu'il a trouvés dans
l'héritage de son père. Née à Rio-Marina en 1819, élevé par son
père Giacomo, lieutenant-colonel du génie qui, après s'être dis-
tingué en défendant Bastia contre les Anglais d'Elliot, avait servi
dans les rangs de nos armées en Italie sous Scherer, Kellermann,
Bonaparte, Grenier, Despoles et Brune, Vincenzo Mellini avait
grandi au milieu des récits des campagnes auxquelles son père
avait pris part, des souvenirs qui s'étaient gravés dans le cœur et
dans l'esprit de deux de ses parents, sa tante Rosa Mellini qui
avait été l'une des lectrices de Madame Mère et son oncle mater-
nel Dominique Ponce de Léon qui avait été un des officiers d'or-
donnance de l'Empereur pendant son séjour à l'île d'Elbe. Aus-
si, tout en consacrant sa vie entière à assurer et à augmenter le
bien-être de ses concitoyens et la prospérité de son pays natal,
Vincenzo Mellini n'a-t-il pas un seul instant cessé de rassem-
bler les éléments du travail que son fils n'a plus eu qu'à mettre
en ordre.
Dénué de toute espèce de prétentions, l'auteur de ce livre,
comme l'a justement fait remarquer M. Pietro Vigo, n'a eu d'autre
but que de faire connaître plus complètement et en les montrant
sous tous leurs aspects, l'action exercée par l'Empereur sur la
situation économique et financière de l'île, les modifications, les
transformations qu'il avait fait subir à l'ancien état de choses, les
améliorations qu'il a apportées à Ihygiène des villes et des cam-
pagnes et à la vie matérielle des Elbains, l'utilité et l'importance
des mesures qu'il adopta, les travaux qu'il fit entreprendre et
qu'on continua après lui en s'inspirant du plan qu'il avait tracé.
Les pages, que Vincenzo Mellini a consacrées aux événements qui
précédèrent l'arrivée de l'Empereur et qui amenèrent et sui-
virent son départ, ne pouvaient nous apprendre rien de nouveau
après tout ce qu'en tout pajs on a écrit sur l'île d'Elbe. Mais en
revanche on trouvera dans le livre que nous devons à la piété fi-
liale du directeur actuel des Mines de l'île d'Elbe un exposé
complet et exact de toutes les mesures administratives prises par
152 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Napoléon, de toutes les lois et règlements dont il dota l'île d'Elbe
pendant son règne de 10 mois.
M. H.
Hans Barth, Bibliographie der Schweizer Geschichte enthaltend die
selbstàndig erschienenen Druckwerke zur Geschichte der Schweiz
bis Ende 1913. (Bd. III. Qucllen und Bcarbeilungen nach sach-
lichen und formalen Gesiclitspunkten geordnct.) Basel, Verlag
der Basler Buch- und Antiquariatshandlung vormals Adolf
Geering. In-8 de xvii-961 pages ; 24 fr. 60.
Ce volume termine l'important ouvrage de M. Barth, dont les
deux tomes précédents ont été annoncés ici lors de leur appari-
tion * . Aux 23.618 titres déjà enregistrés, l'auteur vient d'en
ajouter 9.546 autres, sans parler des addenda aux volumes déjà
parus qui mettent l'ouvrage entier à jour jusqu'à la fin de 1914,
et même jusqu'à l'été de 1915.
Ce tome III donne la bibliographie des sujets suivants : Cons-
titution, droit, administration. — Histoire militaire. — Beaux-arts
et arts industriels. — Science et enseignement. — Langues et
dialectes. — Imprimerie, édition, histoire littéraire, théâtre et mu-
sique. — Histoire de la civilisation et histoire économique.
Ce volume contient également la table alphabétique de tous les
ouvrages cités et un registre géographique pour les localités men-
tionnées au tome I de l'ouvrage. Ces répertoires, joints à des tables
assez détaillées, donnent une valeur très grande à cette bibliogra-
phie historique suisse, particulièrement compliquée par le fait du
fédéralisme helvétique.
Ces tables permettent également une appréciation générale de
l'œuvre entreprise par M. Barth. Il est impossible qu'une biblio-
graphie réunissant plus de 33.000 titres soit parfaite. Mais on
peut dire que celle-ci est aussi bonne qu'un pareil recueil peut
l'être. Les omissions sont rares - , les erreurs très clairsemées, et
la seule critique qu'on a peut-être le droit de formuler, c'est que
le classement des titres sous les différentes rubriques n'a pas tou-
jours été heureux. Mais c'est là une affaire d'appréciation.
Somme toute, il convient de féliciter hautement YAllgemeine
1. T. V, p. 374, ef t. VII, p. 316.
2. Les tables nous ont permis de retrouver au t. I l'ouvrage de G. Gautherot
sur la Révolution à Bâie. Nous l'avions cherché en un autre endroit, le premier
volume ne dépassant pas l'année 1793.
BIBLIOGRAPHIE 153
geschichtsforschende Gesellschaft der Schweiz de son initiative et de
remercier chaleureusement M. Hans Barth d'avoir mené à si
bonne fin un travail aussi ardu. L'étude de l'histoire suisse tant
intérieure qu'extérieure se trouvera beaucoup facilitée grâce à cette
bibliographie. Que l'auteur donne bientôt la suite de son réper-
toire des périodiques ' , et la Suisse n'aura plus rien à envier aux
pays les mieux dotés au point de vue de la bibliographie histori-
que.
O. Karmin
LIVRES NOUVEAUX
A. Aulard, La paix future d'après la Révolution française et
Kant. Paris, Colin, 1915. In-16 de 32 p. ; 0,50 cent. — Wilhelm
Behrends, Reformbestrebungen in Chursachsen im Zeitalter der
franzôsischen Révolution. Leipzig, Quelle und Meyer. In-8 de
xii-110 p. ; 4 mk. — L. F. Benedetto, Madame de Warens, d'après
de nouveaux documents. Paris, Pion, 1914. In-16 de 328 p. —
Alex. Bérard, Les invasions de 1814 et de 1815 dans le départe-
ment de l'Ain. Bourg, Imp. du « Courrier de l'Ain », 1914. In-8
de 96 p. — Capitaine L. Blaison, Une ville de garnison sous la
Restauration : Le complot militaire de Belfort, 1822. Paris, Ber-
ger-Levrault, 1914. In-16 de 116 p. ; 2 fr. — Bliicher's Briefe.
Vervollstândigte Sammlung des Gênerais E. v. Colomb, hgg. v.
W. V. Unger. Stuttgart, Cotta. In-8 de xi-357 p. ; 4 mk. 50. —
Ch. Borgeaud, Un professeur patriote de la Restauration : Pelle-
grino Rossi, genevois et suisse. Genève, Jullien, 1914. In-8 de
11-32 p. et fig. ; 1 fr. — L. Bramsen, Médaillier Napoléon le
Grand, ou description des médailles, clichés, repoussés et mé-
dailles-décorations relatifs aux affaires de la France pendant le
Consulat et l'Empire. Copenhague, Gyldendal, 1913. In 4 de 166
p. ; 22 fr. 50. — T. Casini, Il senato del regno italico. Roma, Tip.
Unione éd., 1914. In-8 de 29 p. — M""^ Chevalley, La Déclara-
tion du droit des gens de l'abbé Grégoire, 1793-1795. Le Caire,
Barbey. In-8. — J. Corcelle, Les Volontaires de Belley en 1792.
Belley, Impr. Chaduc, 1914. In-8 de 20 p. — Oskar Criste, Der
Wiener Kongress. Wien, Verlag fur vaterlàndische Literatur.
In-8. — Chanoine A. Durand, L'abbé Bonhomme, doctrinaire et
1. Hans Barth, Repertorium iiber die in Zeit- und Samniehchriflen der Jahrr
ItiOl-WOO enthaltenen Aiifstrlze und Milleiliingen schu'eizerficschiihtlichcn Inhullrs
(Fortsetzung zu Brandstetters Repertorium, 1812-1890). Basel, 1906.
154 REVUE HISTORIQUE DE L\ RÉVOLUTION FRANÇAISE
curé de Saint-Charles (1759-1844). Nîmes, Imp. Gellion, 1914.
In-8 de 109 p. et fig. — Claude Faure, Les protestants de la
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Patriotische Volksbuchhandlung. In-8. — Gertrude Kircheisen,
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1912. In-8 de 310 p. et fig. — J.-L. Reichlen, Genève et la Con-
vention : les incidents de la tutelle franco-helvétique sur Genève
en 1792 et leur répercussion dans le paj^s de Porrentruy. Lau-
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1 56 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
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relli, Vilerbo dal 1789 al 1870. I. Viterbo, Tip. Minissi e Bor-
ghesi, 1914. In-8 de 713 p. ; 4 fr. — S. Stern, Anacharsis Cloots,
der Redner des Menschengeschlechts; ein Beitrag zur Geschichte
der Deutschen in der franzôsischen Révolution. Berlin, Ebering,
1914. In-8 de xx-262 p. ; 9 fr. — Giuseppe Tarozzi, Gian-Giacomo
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pontificio ; elenco compilato su documenti a cura dell' Archivio
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1 fr. 50. — J. Vernier, Répertoire numérique des archives dépar-
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de xiii-489 p. ; 9 mk. — Ern. Widmann, Die religiosen Anschau-
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de VIII- 105 p. ; 2fr. — William W. Wight, Louis XVII ; a biblio-
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Frankreichs, 1814. Wien, Patriotische Volksbuchhandlung. In-8.
PÉRIODIQUES
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sung Breisachs durch die Franzosen, September 1793 ; Engelbert
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Deutschland zur einmûtigen Vergeltung itraduction de l'original
latin, 17931.
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Zur Verstiindnis der Kriegsgeschichte von 1789 : der Soldat in den
Heeren der auf Schweizerboden kàmpfenden Armeen.
Altpreussische Monatsschrift. — LU (1915), 1 : E. Jacobi, Eine
Kant-Rede.
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22 août 18151 ; Un curieux billet de Joséphine.
American political science Review. — IX(1915), 3 : Carpenter,
Repeal of the judiciar}^ act of 1801.
Anjou historique (L*). — Mars-avril 1915 : M. Quincé, vicaire
général d'Angers (1759-1845) ; Le clergé de Cheviré-le-Rouge
pendant la Révolution ; La famille de Jacques Cathelineau, géné-
ralissime de l'armée catholique et royale de la Vendée ; Les pri-
sonniers d'Angers transférés à Doué-la-Fontaine (1793-1794) ;
L'application du Concordat dans le diocèse d'Angers ; Une nomi-
nation ecclésiastique sous le gouvernement de Juillet. — Mai-
juin : Les hôtels Campagnolle, Maquillé et Lantivy, à Angers,
pendant la Révolution ; Gauvillier et les débuts de la guerre de
Vendée ; La bataille du Mans (12 décembre 1793) ; M. Hernault
de Montiron, guillotiné à Angers (25 janvier 1794) ; Le clergé
insermenté à Angers sous le Directoire ; La mort de Stofflet et
de Charette (1796) ; La démolition des remparts d'Angers ; Le
passage de la Grande Armée à Saumur (1808) ; Le collège de
Chalonnes-sur-Loire (1809-1818) ; Les trois sons-préfets d'Angers
(1811-1815) ; Les prisonniers prussiens en Maine-et-Loire (avril
1814).
158 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
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cher, La Révolution à Loriol, 1788-1790.
Anzeiger fiir schweizerische Geschichte. — XIII (1915), 2 :
Eduard Wymann, Ein Brief ùber die Septembermorde in Paris
[lettre de Marie-Anne Bessler, veuve du comte de Salis, maréchal
de France, à un de ses cousins], — 3 : Frédéric Barbey, La fa-
brique d'horlogerie genevoise à Versailles, 1795-1801.
Apuîia. — V(19U), 2-3 : N. Testini, Il 1799 in Ruvo.
Archiv des historischen Vereins des Kantons Bern. — XXII (1915),
3 : W. F. von Mûlinen, Die schweizerische Grenzbesezung des
Jahres 1809.
Archiv des historischen Vereins von Unterfranken und Aschalîen-
burg. — LVI (1914-) : Th. Henner, Zur Jahrhundertfeier der
Vereinigung der frànkisch-wûrzburgischen und der aschaffen-
burger Lande mit dem Kônigreich Baj'ern.
Archives héraldiques suisses. — XXIX (1915), 1 : Ex-libris de
François-Louis Russilion, capitaine au service de la France,
1751-1821. — 2 : E. Wymann, Ein Vorschlag zum neuen Bundes-
siegel von 1815.
Archiv fiir Geschichte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung.
— V (1915), 1-2 : Ed. Bernstein, Wie Fichte und Lassalle natio-
nal waren.
Archiv fiir Rechts- und Wirtschaftsphilosophie. — VIII (19H), 1 :
Theobald ZiEOLER.Der Charakter der Hegel'schen Rechtsphiloso-
phie.
Archiv fiir systematische Philosophie. — A'A' (1914), 3 : Paul
Stahler, J.-G. Fichte, ein deutscher Denker.
Archivio per l'Alto Adige. — IX (1914), 3, 4 : L. Onestinghel,
Inaugurazione del teatro vecchio di Bolzano nel 1805 ; L. Ones-
tinghel, Un arcade a Bronzolo nel 1812.
Archivio storico délia Calabria. — /// (1915), 1-2 : E. Capialbi,
Il re Gioacchino Murât.
Archivio storico italiano. — LXXII (1914), 4: Roberto Palma-
ROCCHi, L'Italia méridionale dalla Rivoluzione francese alla Res-
taurazione : ras'segna critica.
Archivio storico lombardo. — XLII (1915), 1-2 : E. Bellorini,
Frammenti e documenti pariniani inediti, 1776-1798.
Archivio storico siciliano. — XXXIX (1914), 1-4 : G. Pitre, I
Cronici e gli Anticronici in Sicilia e la loro poesia (1812-1815) ;
N. Niceforo, La Sicilia e la Costituzione del 1812.
Archivum franciscanum historicum | Florence]. — VII (1914), 4 :
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1 : A, Camilucci, Gli « insorgenli » del Ferrarese da cronaca
inedita (1799).
Bankfield Muséum Kotes [Halifax]. — 1915 : Ling Roth and J.
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Beitràge zur osterreicbischen Erziehungs- und Schulgeschichte.
— 1914, n° 15 : A. Gubo, Angelegenheiten der Elementar- und
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Gœthe und seine Beziehungen zur Kunst der Médaille.
Bética. — 15 janvier 1915 : Simon de la Rosa, Las Cortes de
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TENBACH, Von Schlettstadt nach St. Blasien im Jahre 1791.
Blàtter fur das Gymnasialschulwesen | Munich]. — LI (1915),
7-8 : K. Hammerschmidt, Gedanken ùber den Zugang Kriegsfrei-
williger aus den Gymnasien vor hundert Jahren ; A. Schleussin-
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n" 3 : Der « ewige Friede » im Sinne Kants.
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160 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
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Jugendzeit des ehemaligen Fûrstlich Schwarzenberg'schen Ver-
walters Simon Scherer von Munzingen, 1774-1789.
Bremisches Jahrbuch. — XXV (191i) : Fr. Wellmànn, Der
bremische Domkantor D'^ Wilhelm Christian Mûller, 1752-1831.
Brixia. — / (19H), 14 : Tonni Bazza, Per il centenario délia
congiura bresciano-milanese, 1814.
Brixia sacra. — VI (1915), 2 : G. Sommi-Picenardi, Per la
nomina di un nuovo prevosto a Chiari nel 1790.
Bulletin de la Commission historique et archéologique de la
Mayenne. — XXX (1914-), n^ 103 : Queruau-Lamerie, Correspon-
dance de Dupont-Granjardin avec son fils (1791-1793).
Bulletin de la Société archéologique du Finistère. — XL! {1914) :
L. Ogès, La période révolutionnaire à Gouesnac'h ; P. Hémon,
La Révolution en Bretagne : les derniers montagnards, 1795 ; J.
Savina, Audierne à la fin de l'Ancien Régime.
Bulletin de la Société d'archéologie et de statistique de la Drôme.
— Juillet 1914 : Jules Chevalier, L'Eglise constitutionnelle du
département de la Drôme (suite en octobre 1914 ei janvier 1915).
Bulletin de la Société de géographie de Toulouse. — XXXIII
(1914), 1 : E. Litre, Claret de Fleurieu, 1738-1810, et son influence
sur la marine et la géographie au XVIII' siècle. — 2 : M. Adher,
Les colons réfugiés d'Amérique, à Toulouse, pendant .la Révolu-
tion ; M. Plassard, La bataille de Toulouse, 10 avril 1814.
Bulletin de la Société de géographie de Rochefort. — XXXVI
(1914), 1 : J. S., Notes touchant la guerre d'Espagne. — 2 : J. S.,
De la numismatique française, maritime et coloniale [médailles
frappées entre 1784 et 1826| ; A. de Brachel, Embarquement de
Napoléon à l'île d'Aix, 1815.
Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de
l'Yonne. — LXVII (1913) : G. Petit, La terre et seigneurie épis-
copale de Charbuy à la veille delà Révolution. — LXVIII(1914) :
Camille Rouyer, L'invasion de 1814 à Tonnerre.
Bulletin d'histoire économique de la Révolution. — 1913, n° 1 :
Ch. Ballot, Procès-verbaux du bureau de consultation des arts
et métiers ; P. Caron, Une enquête sur la récolte de 1792 ; Ch.
Schmidt, La réglementation du travail agricole à la fin du XYIII**
siècle ; P. Caron, Le commerce lyonnais et la dépréciation des
assignats. — N° 2 : H. Prentout, Les tableaux de 1790, en réponse
à l'enquête du Comité de mendicité, et leur utilité ; G. Laurent,
Les cahiers de doléances des corporations de la ville et des com-
munautés d'habitants du bailliage de Reims ; P. Caron, La
PÉRIODIQUES 161
recherche et la publication des documents relatifs aux biens
nationaux ; T. Bazeille, Un partage de biens nationaux dans le
canton de Mesle-sur-Sarthe (Orne) ; L. Schwab, La valeur et le
payement des biens nationaux dans les Vosges ; Ch. Porée, Des
documents qui permettent d'obtenir rapidement une vue d'en-
semble sur la vente des biens nationaux ; Ch, Schmidt, La
recherche et la publication des documents relatifs à l'industrie et
au commerce ; Levainville, Les recherches de la houille dans la
Seine-Inférieure pendant la Révolution; R. Anchel, Une enquête
du Comité de salut public sur la draperie, en l'an III ; H. Sée, La
recherche et la publication des documents relatifs à l'agriculture ;
G. Lefebvre, L'application du maximum général dans le district
de Bergues ; A. Denis, L.'oeuvre de la municipalité de Toul pour
assurer les subsistances nécessaires à la population de cette ville
pendant la Révolution ; G. Laurent, Les subsistances à Reims
pendant la Révolution.
Bulletin historique de la Haute-Loire. — /// (1913) : R. Jouanne,
L'Hôtel-Dieu et l'hôpital général du Puy pendant la Révolution
française ; R. Jouanne, Les hospices du Puy sous le Directoire et
le Consulat ; U. Rouchon, Procès-verbal sur la cérémonie funè-
bre qui a eu lieu au Puy, le 1^"^ brumaire de l'an VI, en mémoire
du général Hoche ; P. Le Blanc, Lettres inédites du sculpteur
Pierre Julien à Dominique Brunel, au Puy (1789-1790).
BuIIettino senese di storia patria. — XXII (1915), 1 : G. Cecchini,
Un biannio di storia senese (1799-1800).
BuUettino storico pistoiese. — XVII (1915), 1 : R. Giovacchini
Rosati, Intorno ad un articolo del « Monitore Diocesano » sulla
venula di Pio VII a Pistoia.
Cahiers vaudois. — 1915, n« 5 : Babelon, Napoléon au lende-
main d'Iéna.
Carinthia. — CIV (19U), 1-U : Artur Breycha, Aus dem
Tagebuch eines Kàmpfers von Leipzig ; Martin Wutte, Prophe-
tische Andeutungen aus Kârnten, 1814.
Centralblatt des Zofinger-Vereins. — LV (Wli), 3 : R. Horni,
La perle par la Suisse de Domo d'Ossola et de la Valteline (1814).
Chênois (Le) iGenèveJ. — 1(1915), 1 : Egraont d'ARcis, La
commune de Chêne-Bougeries (de 1798 à l'an XII). — 2 : Egmont
d'ARcis, La commune de Chêne-Bougeries (ans XII et XIII).
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freunde in Wien ; Graf, Goethe ûber seine Werke.
Chronique médicale (La). — 15 février 1915 : D"^ M. Perron,
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162 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
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françaises et les évacuations par eau de 1743 à 1832 (suite le 15
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Quelques anecdotes sur Blûcher.
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empGndsamer Reisender : Georg F^orster. — Mars : Fr. Meusel,
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sein Verhâltnis zu Preussen ; W. Schmidt, Fichles Einfluss auf
die altère Romantik.
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l'archichancelier Cambacérès ; M. Citoleux, Vignj' et l'Allema-
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PÉRIODIQUES 163
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à Neufchatel en 1815 ; G. Vautoier, Manuels et recueils pour les
écoles centrales. — P'^ mai : A. Chuquet, Fanfaronnades prus-
siennes d'autrefois ; Les Prussiens à Varennes en 1792 ; La nou-
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Geschichtsblàtter fur Stadt und Land Magdeburg. — XLIX-L
{1915), 1, 2 : F.. Neubauer, Magdeburg in der Franzosenzeit,
1806-1814.
Glasgow Médical Jourml — LXXXIV {1915), pp. 161-176 : A.
J. Ballantyne, Médical conditions in Glasgow one hundred
years ago.
Historische Monatsbiàtter fiir die Provinz Posen. — XV {19U),
5 : J. Jacobson, Zur Geschichte des jûdischen Handwerks in
sùdpreussischer Zeit, 1793-1802. — 6 : H. Kochendorffer, Die
Gefangenschaft des ehemaligen Kalischer Kammer- und Accise-
Direktors Geheimrat Serre in Glogau, 1808-1809. — 7 ; Friedrich
KocK, Die Bromberger Kaufmannschaft von 1772 1806. — 11 :
R. Prumers, Der widerspenstige Schulze von Dronzno, 1807.
Historisches Jahrbuch der Gôrresgesellschaft. — A'A^YV {19U),
3 : E. Reinhard, Priiludien zu einer Biographie Karl Ludwigs
von Haller. — 4 : J. v. Pflugk-Harttung, Der Oberbefehl 1813.
Histcrisch-politische Blàtter fiir das katholische Deutschiand. —
XLI1I{1914), 8 : G. Meier, Placidus a Specha, ein Pionnier des
Alpensports vor 100 Jahren. — 12 : A. Doberl, Montgelas'Kir-
chenpolitik, 1800-1808 (suite dans le tome CLIV, 2).
Illustrated London News (The). — 12 juin 1915 : J. Holland
Rose, Waterloo and the warfare to-day (suite le 19 juin).
Intermédiaire des chercheurs et curieux. — 10 janvier 1915 :
Comment s'appellent les membres de la famille de Napoléon :
Bonaparte ou Napoléon ? — 20-30 janvier : Les Marie-Louise
(suite le 20-30 mars) ; Le général Bonaparte à Nice ; La duchesse
de Berry à Marseille en 1816 (suite le 10 mars). — 10 février : « Ce
n'est pas une émeute, c'est une Révolution » (suite le 20-28 février);
164 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Stendhal et Lord Byron (suite le 20-30 mars). — 20-28 février :
Arrivée de Napoléon à Paris, le 20 mars 1815 : Lettre d'Armand
de Gontaut-Biron. — 10 mars : Charles X quitta-t-il Cherbourg
sur un navire appartenant à Joseph Bonaparte ? Les dîners de
Madame de Staël ; Le retour de Napoléon ; Le cardinal Fesch.
— 20-30 mars : L'arrestation de Stofflet. — W avril : Le comte
de Savary, chouan. — 10 juin : Où est la statue de Barnave ?
Internationale Kirchliche Zeitschrift | Berne]. — V (1915), 1 : M.
Menn, Johann Michael Sailers Geistesarbeit, 1751-1832 (suite
dans le n°2). — 2 : Adolf Kury, Die Durchfûhrung der kirchli-
chen Verordnungen (1802) des Konstanzer Generalvikars J. H.
von Wessenberg in der Schweiz.
Internationale Monatsschrift. — Février 1915 : K. Th. von Heigel,
Eine Auflehnung Europas gegen England vor 100 Jahren.
International Journal of Ethics. — XXVI (1915), 1 : Norman
Wilde, The conversion of Rousseau.
Jahrbuch der deutsch-amerikanischen historischen Gesellschaft
von Illinois. — 19H : O. Lohr, Das Deutsch-Amerikanertum vor
hundert Jahren und der Krieg von 1812.
Jahrbuch des Geschichtsvereins fiir das Herzogtum Braunschweig.
— XIII (19H) : F. Schneider, Aus den Schicksalsjahren der Uni-
versitât Helmstedt, 1792-1805 ; H. Gâus, Geschichte der Braun-
schweigischen Staatspost bis 1806 ; H. Mack, Zur Regierungsge-
schichte Herzog Friedrich Wilhelms von Braunschweig, 1813-
1815.
Jahrbuch fiir Geschichte, Sprache und Literatur Elsass-Lothrin-
gens. — A'A'A' (19H) : Emil Wendling, Zur Biographie Georg
Daniel Arnolds [professeur à Coblenz à partir de 1806J ; Ernst
Marckwald, Beitràge zur Lebensgeschichte G. D. Arnolds ; Emil
Wendling, Gôrres'Reise ins Elsass, 1818 ; Wolfgang Kramer,
Ein « Frantzosen-Vatterunser » aus dem Jahre 1790.
Jahresbericht der deutschen Mathematiker-Vereiuigung. — XXI
(1913) : E. Haentzschel, Johann Andréas Christian Michelsen,
1747-1797.
Jahresberichte fiir neuere deutsche Literaturgescbichte. — XXIV
(1913 [paru en 1915]), 2 : Franz Leppmann, Gœthe ; HugoBiEBER,
Zu Gœthes Leben ; Ernst Mùller, Schiller.
Jurnal ministerstva narodnago prosvesceniia. — Mai 1915 : P. N.
JuKOvic, Les classes de la population de la Russie orientale sous
Catherine II. — Juin : Lucickii, Les réquisitions agricoles à la
veille de la Révolution aux environs de Paris ; N. Likin, L'Uni-
versité de Moscou à Nijni-Novgorod en 1812.
PÉRIODIQUES 166
Kimstchronik. — XXVII (1915), 7 : H. Machowsky, Franz
Zauner | sculpteur, 1746-1822].
Lectura (La). — Février 1915 : Cartas de Bolivar, 1799-1822.
— Avril : Julian Juderias, Simon Bolivar, libertador de la Ame-
rica del Sur.
Légitimité (La). — Avril-juin 1915 : Le vœu de Louis XVI ;
OsMOXD, L'idée de Barras et des Thermidoriens ; Osmond, Liste
civile des serviteurs de Louis XVI ; Y. Chantelys, Naundorff et
les anciens serviteurs de Louis XVL
Linzgau-Chronik. — 19U, n"^ 1-15 : Maier, Badens Anteilnahme
an den Franzosen- und Freiheitskriegen.
Literary Guide (The). — Juin 1915 : E. S. P. Haynes, Lady
Hamilton.
Lombardia (La). — 20 avril 19U : La morte del Prina.
London Magazine (The). — Juin 1915 : Clifford Hosken, Stories
of the Iron Duke : the human side of the great soldier ; William
Bateman, The field of Waterloo.
Lyzeum (Bas). — II (19U), 7 : P. Ostwald, Von der Marwitz,
der Gegner der Stein-Hardenbergschen Beforra.
Mannheimer Geschichtsblatter. — XVI (1915), 1 : Friedrich
Walter, Die Uebergabe der Bheinschanze an die Franzosen, 24.
December 1794 ; Gustav Christ, Der abgesàgte Freiheitsbaum in
Zweibrùcken. — 3-A : Friedrich Walter, Der Musikverlag des
Michael Gôtz in Mannheim, 1776-1810 ; Die Mitgliederder Mann-
heimer Handlungs-Innung 1791.
Mathematisch-naturwissenschaftliche Blàtter. — A7 (19U), 1 :
Rudolf Zaunick, Goethe und Vicq-d' Azyr, 1784(suite dans leno 2).
Mémoires de la Société Royale du Canada. — VII (1913) : E. A.
Cruikshank, From Isie aux Noix to Chateauguay : a study of the
military opérations on the frontier of Lower Canada in 1812 and
1813 (suite dans le tome VIII, 19U-1915).
Mitteilungen zur Geschichte der Medizin und der Naturwissen-
schaften. — XIV (1915), 2: Schmutzer, Eine Chirurgenrechnung
aus dem Jahre 1789. — 5 : J. Wittmann, Ein Brotrezept aus dem
Jahre 1817.
Modem Philology. German section. — XII (19U), 8: Ch. Hand-
SCHIN, Gœthe und die bildende Kunst.
Monatsschrift fiir hôhere Schulen. — XIII (19U), 11-12: Frie-
drich Heggen, Wieland und das Drama.
Monatsschrift fur Ohrenheilkunde und Laryngo-Rhinologie. —
XLVIII (19U), pp. 358-368 : H. Schrôder, Jean M. G. Itard,
1775-1838 [continuateur de l'abbé de l'Epée et de Sicard].
166 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Monistische Jahrhundert (Das). — IV (1915), 1-2 : Robert Rie-
MANN, 1815 : Ein Rûckblick.
Musée neuchâtelois. — // (1915), 3 : Marcel Godet, Lettres
de l'avoyer Nicolas-Frédéric de Steiger à Louis de Marval, de
1777 à 1798 ; Léopold de Rougemont, Le gouverneur de Béville
et le procureur général de Rougemont à propos du bail emphy-
téotique du Domaine de Colombier, 1801-1804.
Musical Times (The). — Juin 1915 : Scrutineer, Germany's
claim to « La Marseillaise ».
Nature (La). — 6 mars 1915: A. Chaplet, L'industrie française
pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire.
Naturwissenschaftliche Wochenschrift. — XIII (191A), pp. 577-
519 : A. Hansen, Gœthes naturwissenschaftliche Sammlungen
im Neubau des Gœthehauses zu Weimar.
Neue Bûndner Zeitung. — 191^, n° 127-139 : Das Prâtigau vor
125 Jahren.
Neue Heidelherger Jahrbucher. — XIX (1915), 1 :U. Vôlter,
Die grundherrschaftlich-bâuerlichen Verhâltnisse im nôrdlichen
Baden bis Ende des 18. Jahrhunderts.
Neue Jahrbucher fiir das klassische Altertum, Geschichte... und
Pàdagogik. — 19H, n" h : Félix Kuberka, Die Freiheitskriege
im Lichte der systeraatischen Entwicklung ; Paul Johann Arnold,
Gœthes « Novelle ».
NeuesArchiv fur Sâchsische Geschichte. —XXXWI(1915), 1-2 :
W. Friedensburg, Die sâchsische Landwehr bei Courtray (31.
Mârz 1814) ; P. A. Merbach, Aus dem Leben eines sâchsischen
Staatsbeamten : Johann Daniel Merbach, 1777-1861 ; L. Berg-
strasser, Nochmals Theodor Kôrners Tod.
Neue Zeit (Die). — P^ janvier 1915 : N. Rjasanow, Die eng-
lische Arbeiterklasse und der Antijakobiner-Krieg. — 12 février:
Fr. Mehring, Die napoleonische Strategik.
Neue Zeitschrift fiir Musik. — 19U, n°^ W-41 : M. Unger, Neue
Beethoven-Studien.
Neujahrsblatt herausgegeben von der Stadtbibliothek Zurich. —
1915 : W. Oechsli, Eine ungedruckte Kriegszeitung vor hundert
Jahren, 1813-1815.
Nieuw Theologisch Tijdschrift. — IV (1915), 1 : P. Feenstra
jr., De Godsdienst in de Fransche Revolutie.
North American Review (The). — Avril 1915 : G. Bradford, Por-
trait of a lady : Mme du DefFand.
Nouvelles étrennes fribourgeoises. — XL VIII (19U) : Dom
Grangier d'Estavayer, Noies prises en 1817.
PÉRIODIQUES 167
Oesterreichische Rundschau. — 15 septembre 19H : Fr. Rosen-
THA.L, Iffland. — 1" novembre : Eisa von Klein, Ein Kriegsbûro
im Jahre 1813.
Pàdagogisches Archiv. — LV (1914), 10: Richard Groeper,
Goethe 1813.
Pàdagogisches Magazin. — 19H, Heft 524- : Georg Helleb,
Pestalozzis Verhaltnis zu den Philanthropen und ihrerPâdagogik.
Pâdagogische Studien. — 1914, Heft 5 : W. Schmidt, J. G.
Fichte und seine Enlwicklung zum Philosophen der deutschen
Befreiung. — 1915, Heft / : E. v. Sallwûrk, Rousseaus Stellung
in der Pâdagogik und in der Geschichte der Piidagogik.
Patria e colonie [Milan] — /// (1914), 10 : G. Nurra, Contrasti
internazionali nell'Adriatico all'epoca Napoîeonica.
Pearson's Magazine. — Juin 1915 : Hilaire Belloc, The battle
of Waterloo.
Petrus-Blâtter. — Janvier 1915 : Alfons Lauter, Wessenberg
gegenûber der franzôsischen Fremdherrschaft.
Pharus. Katholische Monatsschrift. — VI (1913), 11 : W .
Scherer, Eine Théorie der Jugendkunde aus dem Aufang des
19. Jahrhunderts.
Philosophical Review (The). — XXIV (1915), 1 : Becker, The
dilemma of Diderot.
Preussische Jahrbiicher. — CLIX (1915), 2 : H. Scholz, Fichte
als Dichter.
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1820.
Publications of the modem language association of America. —
XXX (1915), 2 : Me Burney Mitchell, Gœthe's theory of the
novelle, 1785-1827.
Rassegna bibliografica délia letteratura italiana. — 1915 : G. Fer-
RETTi, Intorno al « Panegirico di Napoleone» di Pietro Giordani.
Rassegna contemporanea. — VI (1913), 16 : L. Callari, Un
amore del Canova. — 19 : G. Cucchetti, Il rifugio di madame
de Staël.
Réforme sociale (La). — P'-15 février 1915 : Hubert- Valle-
Roux, Opinion d'un Anglais contemporain |Burke| sur notre
Révolution de 1789. — P^-15 mars : Hubert- Valleroux, Le
Journal d'un volontaire de 1791.
Religion und Geisteskultur. — VHI (1914), 4 : G. Wehrung,
Zum Streit um Schleiermacher.
Revista de filosofia ( Buenos- Ayres|. — Janvier 1915 : José
168 REVUE HISTORIQUE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE
Ingenieros, Le contenu philosophique de la culture argentine
[l'influence de l'Encyclopédie et delà Révolution].
Révolution française (La). — Avril-mai 1915 : A. Aulard, Pa-
trie, patriotisme avant 1789 ; L. Dubreuil, Les origines de la
chouannerie dans le département des Côtes-du-Nord.
Revue canadienne. — Juin 1915 : L. Groulx, Nos luttes cons-
titutionnelles (1791-1840).
Revue chrétienne. — Janvier-avril 1915 : J.-E. Neel, Kant
contre l'Allemagne d'aujourd'hui.
Revue de Hongrie. — P' janvier 1915 : Pensées de Napoléon I"
sur la guerre. — 15 avril : Une lettre de Napoléon I" au sultan
Sélim.
Revue de l'Agenais. — Mars-avril 1915 : J.-R. Marhoutin,
Notes historiques sur l'expédition de Leclerc à Saint-Domingue
et sur la famille Louverture (suite en mai-juin) ; R. Donnât,
Cryptographie agenaise, ou Journal secret d'Agen depuis le l*""
mars 1814 jusquesà pareil jour 1817, de Jean-Florimond Boudon
de Saint-Amans (suite en mai-juin). — Mai-juin : P. Lauzun, Pro-
fils militaires : le contre-amiral baron de Lacrosse (1760-1829).
Revue de Paris (La). — 15 juin 1915 : Commandant Weil,
Les Cent-Jours.
Revue de Saintonge et d'Aunis. — P^ avril 1915 : Chanoine
Lemonnier, La déportation ecclésiastique à Rochefort ; Les Cent-
Jours en Charente-Inférieure.
Revue des colonies françaises. — 2^ trimestre 1915 : G. Desde-
vises DU Dézert, La Louisiane à la fin du XVIII^ siècle.
Revue des Deux-Mondes. — P' mars 1915 : G. Faure, Napoléon
à Laffrey (7 mars 1815). — 15 avril : L. Bertrand, Goethe et le
germanisme. — P^ juin : H. Welschinger, Les préliminaires
d'Iéna.
Revue des études napoléoniennes. — Janvier-février 1915 : E.
Driault, Une conception nouvelle de la politique extérieure de
Napoléon ; P. Mai-.mottan, Le voyage de la Grande-Duchesse
Elisa à Paris en 1810 (suite en mars-avril) ; G. Rudler, Le vrai
« Journal intime » de Benjamin Constant, 1814-1815. — Mars-
avril : A. LiPiNSKA, La Lithuanie en 1812 ; H. Chouet, Ney à
Lons-le-Saunier, 14 mars 1815 ; G. Vauthisr, L'installation de
Pie VII au pavillon de Flore ; M. Dunan, Un adversaire du sys-
tème continental ; L. Batcave, Espagnols réfugiés en France en
1813.
Revue des sciences politiques. — 15 avril 1915 : E. d'EicpTHAL,
Kant et la guerre.
PÉRIODIQUES 169
Revue d'histoire littéraire de la France. — Janvier-juin 1915 : H.
MoNiN, Les œuvres posthumes et la musique de Jean-Jacques
Rousseau aux « Enfants-Trouvés » ; L. Morel, L'influence ger-
manique chez Benjamin Constant : Benjamin Constant à la cour
de Brunswick ; Raoul Bonnet, Quelques lettres de Collin d'Har-
leville (1788-1806) ; Jean Ducros, Notes sur une épopée révolu-
tionnaire « Les Helvétiens » (1800), par Ch.-Ph. Masson.
Revue du Bas-Poitou. — Janvier-mars 1915 : Lieutenant-colo-
nel d'ELBÉE, Missions d'émigrés en Vendée : le colonel d'An-
gély (suite en avril-juin) ; E. Bourloton, Le Clergé de la Vendée
pendant la Révolution : Les Sables d'Olonne. — Avril-juin :
Abbé Poirier, L'affaire de la Proustière (juin-septembre 1791).
Revue du mois. — 10 mai 1915 : Les troupes noires sous la'
Révolution.
Revue historique. — Mai-juin 1915 : W.-M. Kozlowski, Kos-
ciuszko et les légions polonaises en France (1798-1801).
Revue historique de Bordeaux. — Janvier-février 1915 : M. de
L., Le blocus des côtes de France et la disette à Bordeaux en
1793-1795. — Mars-avril : Abbé A. Gaillard, Un ami des Giron-
dins I Nicolas Paris, 1756-1821]. — Mai-juin : Michel Lhéritier,
La Révolution à Bordeaux de 1789 à 1791 ; André Vovard, La
défense navale de la Gironde en mars-avril 1814 ; E. Rousselot,
Cagliostro à Bordeaux (1784).
Revue militaire suisse. — LIX (19H) : Hintermann, Le combat
du 8 septembre 1798, au Nidwald : une étude de la guerre en
montagne.
Revue savoisienne (La). — Janvier-mars 1915 : Marc Le Roux,
Exposition des trophées de guerre à l'Hôtel-de-Ville d'Annecy :
I, Souvenirs de 1814-1815.
Revue suisse de musique instrumentale. — IV (1915), 5 : L.
Waeber, Joseph Haydn, 1732-1809 (suite dans le n» 6').
Revue suisse de numismatique. — XX (1915), 1 : F. Hans-Zum-
BÛHL, Die Tàtigkeit der Mûnzstâtte in Luzern, 1803-1848.
Rheinische Zeitschrift fiir Zivil- und Prozessrecht. — VII (1914),
1 : W. Silberschmidt, Die Grûndung der rheinischen Oberge-
richte vor 100 Jahren.
Rivista araldica. — XIII(1915), 3 : C.-A. Bertini, Gioacchino
Murât e l'Ordine délie due Sicilie. — 5 : R. Baldi, La controri-
voluzione Cavese del 1799 e il capitano don Vincenzo Baldi.
Rivista di storia e d'arte délia provincia di Alessandria. — XXIII
(1914) : F. Valerani, L'imperatore Napoleone I a Casale (1805| ;
Doçuinento délia Loggia massonica di Alessandria all'epoca
170 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
napoleonica. — XXIV (1915) : G. Pochettino, Diario dell'anno
1800 cotnposto da un aristocratico torinese.
Rivista italiana di numismatica. — 1915, fasc. 1 : Roberto
Cramer, Duc medaglie dell' epoca napoleonica forse uniche ed
inédite.
Rivista musicale italiana. — XXII (1915), 2 : E. Celant, Musica
e musicisti in Roma, 1750-1850 ; F. Barbiero, G. Paisiello tra le
ire di un copista e di un innovatore, 1796.
Sammelbânde der internationalen Musikgesellschaft. — XV
(1914), 2: Otto RiESS, Johann Abraham Peter Schulz' Leben, 1747-
1800.
Sammelblatt des Historischen Vereins Eichstâtt. — XXIX (19U-
1915) : W. WiDMANN, Christof Willibald Ritter von Gluck.
Sammler (Der). — 1914-, n"^ 26 et 27: Ferdinand Eckert, Das
pariser Theater wâhrend und nach der Schreckensherrschaft.
Schau-ins-Land. — LXI (19U), 1 : H. Mayer, Freiburg vor
hundert Jahren.
Schmollers Jahrbuch. — XXXVIII (19 U), 1 : Hermann Mauer,
Wilhelin von Humboldt und die Entschuldung des làndlichen
Grundbesitzes. — 2 : Eugen Tarlé, Deutsch-franzôsische Wirt-
schaftsbeziehungen zur napoleonischen Zeit.
Schweizerische Blàtter fiir Wirtschafts- und Sozialpolitik. —
XXII (1915), 3 : Paul Steiner, Die Mililârpflichtersatzsteuer
iFrance, 1800 ; Zurich et Berne, 1804 ; St-Gall, 1805 ; ^ucerne,
1806 ;etc.|.
Schweizerische theologische Zeitschrift. — XXXII (1915), 1 : O.
Moppeut, Vom Geist der Erhebung Preussens vor hundert
Jahren.
Schweizer Monatsschrift fur Offiziere aller Waffen.— JXVi (1914) :
R. Marti, Verteidigung in den Ormonts und im Saanetal im
Frûhjahr 1798 ; Ein ôsterreichisches Soldatendenkmal in Kling-
nau in der Schweiz, 1815.
Schweizer Studien zur Geschichtswissenschaft. — VIII (1915), 3 :
Ernst Oppliger, Neuenburg, die Schweiz und Preussen, 1798-
1806.
Scientia. — Avril 1915 : A. Mieli, La posizione di Lavoisier
nella storia délia chiraica.
Secolo XX (II) iMilan].— XIII (19U), U: A. Pedrazzoli,
Marescialli francesi. — 12 : A. Curti, La battaglia del Mincio
(1814).
Sendero teosofico (El). — VI (19U), 5 : El conde de Saint-
Germain en la corte de Francia (suite dans le n" 6).
PÉRIODIQUES 171
Sitzungsberichte der kgl. preussischen Akademie der Wissenschaf-
ten. — 19U, n° 16 : F. Schillmann, Der Anteil Kônig Friedrich
Wilhelm IV an der Berufung der Brûder Grimm nach Berlin.
Sozialist (Der). — VJ (WU), 9: Friedrich August Hahnrieder,
ein Genosse des Sozialistischen Bundes aus der Aufklàrungszeit.
— 2t : Georg FoRSTER, Belgien und die Scheldemûndung.
Stimmen aus Maria-Laach. — LXXXVI(19U), / : R. v. Nostiz-
RlENECK, 1813.
Taschenbuch der historischen Gesellschaft des Kantons Aargau
fur das Jahr 1914. — A. Brugger, Politische Schicksale der
Aargauer Presse von 1814 biszum Eingehen der Aarauer Zeitung
(1825).
Tauernpost. — 17 janvier 19H : J. Steiner-Wischenbart,
Obersteirische Trachten vor 100 Jahren.
Teachers Guild (The). — 1913, n° 1 : M.-W. Smertz, Goethe as
an educationist.
Theologisch-praktische Quartalsschrift. — 5" trimestre 1914 : J.
HôLLER, Pie VII et Napoléon I«^
Thurgauische Beitrâge zur vaterlândischen Geschichte. — 19H,
Helft 54 : Albert Leutenegger, Der erste thurgauische Erzieh-
ungsrat, 1798-1805.
Thiiringisch-sâchsische Zeitsnhrift fur Geschichte und Kunst. — V
(1915), 1: Th. SoMUERLKD, Der Provinz Sachsen zum 100. Ge-
burfstag.
Turmer (Der). — Avril 1914 : D' Joh. Haberkant, Napoléons
Zustand im April 1814. — Juillet : Sufragetten iui 18. Jahrhun-
dert.
Ungarische Rundschau. — Janvier 1914 : A. Weber, Theodor
Kôrner und seine Beziehungen zu Ungarn ; E. Molden, Vom
Wiener Kongress ; E. Paloczi, Napoléon in Ungarn.
University of California. Publications in modem philology. — IV
(1915), 2 : G. Chinard, Notes sur le voyage de Chateaubriand en
Amérique, 1791.
Vierteljahrschrift fur Sozial- und Wirtschaftsgeschichte. — XII
(1914), 3 : Victor Hofmann v. Wellendorf, Die Sonderbesteu-
erung der jûdischen Bevôlkerung in Galizienund der Bukovina,
1774-1848 ; Sigismund Gargas, Staszyc als Statistiker (1807).
Vierteljahrschrift fur Wappen-, Siegel- und Familienkunde. —
1914, n" 1 : Auszùge aus den Militarkirchenbûchern des chema-
ligen Infanterieregiracnts von Zeuge (n° 24) von 1723 bis 1806.
Viglevanum. — VIII (1914), 1, 8, 9 : G. Ambrosini, Le due
odi di Ugo Foscolo [1800 et 1802).
172 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Wûrttembergische Vierteljabrhefte fùrLandesgeschichte. — A'X///
(19H), 2 : WiNTTERLiN, Die altwûrttembergische Verfassung ara
Ende des 18. Jahrhunderts ; Fr. Thiess, Moritz Rapp und Goethe.
Zeitschrift der Gesellschaft fur die Befôrderung der Geschichts-,
Altertums- und Volkskunde von FreiburgunddemBreisgau. — XXX
(191A) : Karl Metzger, Die Entwicklung der Beamten- und
Wirtschaftsorganisation der Universitât zu Freiburg i. B. von
den Anfângen ihres Bestehens bis 1806 ; Richard Krauel, Tage-
buch-Aufzeichnungen des Prinzen Wilhelm von Preussen ûber
seinen Aufenthalt zu Freiburg i. B. [janvier 1814| ; Fr. Hefele,
Anekdoten von Kaiser Joseph II als er in Jahre 1777 dahier in
Freiburg war.
Zeitschrift der Gesellschaft fiir Schleswig-Holsteinische Geschichte.
— XLIV (19H) : K. G. Rockstroh, Ereignisse und Verhâltnisse
in den Herzogtûmern Schleswig und Holstein wàhrend der
Invasion 1813-1814.
Zeitschrift des Harz-Vereins fiir Geschichte und Altertumskunde.—
XLVII (19U) : W. Stammler, Gleim und Claudius, 1775-1794 ;
D'" Strassburger, Aschersleben in den Jahren 1814 und 1815.
Zeitschrift des Vereins fur thùringische Geschichte und Altertums-
kunde. — XXII (19U), 1 : W. MûLLER, Die Kriegsleiden und
Kriegskosten des Herzogtums Sachsen-Weimar-Eisenach von
1806 bis 1814 (nach Aufzeichnungen des Freiherrn von Fritsch);
Hans Knoll, Friedrich Hildebrand von Einsiedel, ein Liebhaber
der schônen Wissenschaften und Kûnste, 1750-1828. — 2 : Gurt
Fischer, Eine Erinnerung an 1813: das «Banner derfreiwilligen
Sachsen ».
Zeitschrift fiir Biicherfreunde. — 19U, Heft 3 : J. Kôrner,
Briefe von August Wilhelm und Friedrich Schlegel ; K. v.
RozYCKi, Unbekannte Besuche bei Gœlhe. — S : G. Schumann,
Gœlhes Reinecke Fuchs vom Jahre 1814.
Zeitschrift fiir die gesammte Neurologie und Psychiatrie. —
XXV {i91J^), 1 : Fritz Taubert, Kants Beziehungen zur Psycho-
logie und Psychiatrie.
Zeitschrift fur die Geschichte des Oberrheins. — XXIX (Î9U)
2 : Hermann Haering, Die Organisierung von Landwehr und
Landsturm in Baden in den Jahren 1813 und 1814 ; Paul Wentzke,
Josef Gôrres und das Elsass.
Zeitschrift fiir die œsterreichischen Gymnasien. — LXV (19U),
6 : Olto Demuth, Der Lyriker Millevoj^e : ein Literaturbild aus
der Glanzzeit Napoléons (suite dans le n° 7). — 8 : Josef Kôrner,
A. W. Schlegel und sein Heidelberger Verleger (1810).
PÉRIODIQUES 173
Zeitschrift fur Philosophie und Pâdagogik. — XXI (1913), 1 :
O. Conrad, Fichtes Idée derNationalerziehung und die deutsche
Lehrerschaft.
Zeitschrift fur Philosophie und philosophische Kritik. — CLVI
(1914), 1 : E. DosENHEiMER, Fichtes Idée des deutschen Volkes ;
H. Kleinpeter, Goethe, Kant und Schiller.
Zeitschrift fiir Rechtsphilosophie inLeben und Praxis. — I (1914),
1 : E. V. Syuow, Die Bedeutung des « Volkes » im System
Hegels.
Zeitschrift fiir Sexualwissenschaft. — / (1914), 1 : J. Bloch,
Zwei unverôffentlichte Originaldokumente ûber den Marquis de
Sade.
Zoologische Annalen. — // (1914), 1 : F. Bruce Commings, A
biographical sketch of colonel George Montagu, 1755-1815.
CHRONIQUE
A travers les journaux. — Parmi les articles d'histoire publiés,
au cours de ces derniers mois (du 1"' février au 30 avril î915),
dans les journaux quotidiens, nous relevons les titres suivants ;
Kant et la paix, par M. H. Vaugeois, dans l'Action française
du 27 avril ;
Napoléons Kontinentalsperre, par M. Ottokar Nemecek, dans
VArbeiter-Zeitung (Vienne) du 5 mars ; Necker und der
« Mehlkrieg », par M. Ludo M. Hartmann (ibid., 21 mars) ;
L'auteur de la « Marseillaise », par M. Georges Montorgueil,
dans l'Eclair du 26 avril ;
L'hymne de guerre (la Marseillaise), par M. le général Zur-
linden, dans le Gaulois du 19 mars ; Napoléon, par M. Georges
Ohnet (ibid., 29 mars) ;
Il y a cent ans : Prussiens et Russes à Vitry-le-François en 1815,
par M. le comte de Sérignan, dans la Gazette de l^ausanne du
14 mars ;
Le soldat français et la guerre de mines : un épisode des guerres
du premier Empire, par M. R. Pej-re, dans le Journal des Débals
du 18 février ; Kant et la guerre, par M. E. d'Eichthal (ibid., 26
février) ; Madame de Staël et les Allemands, par M. M. Spronck,
(ibid., 19 mars) ; Les Amazones de 1815, par M. le baron Marc de
Villiers(/7>jd., 2 avril) ; Les Français à Berlin en 1806, par M. R.
Peyre (lèzcf., 13 avril) ;
« La Marseillaise », par M. Charles Richet, dans le Petit
Journal du 28 avril ;
La légende de « la Marseillaise », par M. P. Adam, dans le
Temps du 16 février ;
Le Théâtre patriotique (sous la Révolution), par M. A. Aderer
(ibid., 7 avril).
Autographes et documents. — Comme nous l'avons fait précé-
demment, nous continuons à signaler les principaux documents
CHRONIQUE 175
mentionnés dans les catalogues mensuels de la maison Noël Cha-
ravay. Les indications que nous donnons ci-dessous sont tirées
des catalogues 459 et 460 (janvier-février et mars-avril 1915) :
— Une lettre (en français) de Lord Dorsel, ambassadeur
d'Angleterre à Paris, au comte de Montmorin, datée de Paris,
26 juillet 1789.
Il défend son gouvernement, accusé d'avoir fomenté les troubles de
Paris et d'armer une flotte qui devait coopérer avec les mécontents. Il le
prie de donner connaissance de sa lettre au président de l'Assemblée
Nationale. « Il importe infiniment que l'Assemblée nationale connaisse
mes sentiments, qu'elle rende justice à ceux de ma nation et à la conduite
franche qu'elle a toujours eu envers la France depuis que j'ai eu l'hon-
neur d'en être l'organe. »
— Une lettre du conventionnel Hentz, signée aussi par son
collègue Francastel, adressée au Comité de salut public, et datée
de Doué, 22 germinal an II :
Ils font le récit des défaites infligées aux troupes républicaines par les
Vendéens.
— Un arrêté du Comité de salut public, signé par Carnot,
J.-F.-B. Delmas, Cambacérès, Thuriot, Pelet, Merlin (de Douai),
et Prieur (de la Marne), et daté du 15 brumaire an III :
Arrêté organisant une expédition de douze mille hommes pour la con-
quête de la Corse.
— Six lettres de Sotin, ministre de la police générale, aux
administrateurs municipaux du 7^ arrondissement du canton de
Paris, s'échelonnant du 19 brumaire au 21 nivôse an VI :
Visa des passeports et formalités pour la résidence à Paris, mesures
pour la surveillance des cercles constitutionnels, distinctions à faire entre
les Français qui résidaient à l'étranger avant la Révolution.
— Une lettre du marquis de Bouille à Malouet, datée de La
Martinique, 18 juin 1798:
Il se déclare de son avis : l'Europe et le monde social courent un
grand danger. Leur sort dépend de l'Angleterre ; il espère qu'elle résis-
tera à ce torrent de crimes (la Révolution) et ralliera encore une fois les
autres nations avec plus de succès que par le passé. Il attend avec im-
patience la nouvelle de l'insuccès du projet d'invasion en Angleterre (la
seconde tentative d'invasion commandée par le général Humbert) pour
former de nouvelles espérances. « C'est là, il me semble, que viendra
s'écrouler ce colosse effrayant que les différents peuples réunis par la
sagesse de l'Angleterre et rassurés par son exemple, détruiront ensuite.
176 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
mais j'aperçois une longue série de maux encore pour nous autres, pre-
mières victimes de cette révolution. Je ne saurais, en vérité, quel conseil
vous donner pour vous faire éviter les suites affreuses de notre malheur
actuel, qui sont — il faut trancher le mot — la misère et la faim. »
Bouille expose ensuite la difficulté d'un établissement aux colonies et
prévoit son retour en Europe.
— Une lettre de David à la citoyenne Peyre, datée du 27'"^
jour du l^^' mois de l'an 11(18 octobre 1793) :
En réponse à sa demande de mise en liberté de son mari, adressée
au Comité de sûreté générale de la Convention, David informe la citoyenne
Peyre que c'est au Comité révolutionnaire, qui l'a fait mettre en état
d'arrestation, à demander sa relaxation ; le Comité de sûreté générale ne
peut prononcer que sur le désistement du Comité révolutionnaire. David
fait prévoir en ces termes l'issue de la réclamation : « Je profite de l'occa-
sion pour vous prévenir qu'en général ceux qui ont tenu à des académies
sont fort mauvais patriotes et que si notre révolution éprouve des re-
tards c'est à eux principalement à qui il faut en attribuer la cause. »
— Une promesse de mariage, signée par Dufriche-Valazé, sa
fiancée, et leurs parents, datée d'Aunou, l^'" septembre 1777.
— Une lettre de Desmousseaux, procureur de la Commune de
Paris, au procureur-général syndic, datée de Paris, 24 janvier
1792:
Il lui annonce que tout est tranquille, autant que cela est possible
après les événements qui venaient de se passer (le pillage des épiceries,
suscité par le renchérissement de certaines denrées). La garde et la
gendarmerie nationales sont toujours sur pied. « On a cependant entendu
dire aux environs du faubourg Saint-Antoine que ce serait demain le
grand jour. C'est peut-être un désir plus qu'une certitude. »
Le Directeur-Gérant : Charles Vellay.
Largentière. — Imprimerie Mazel & Plancher
ni
LES FINANCES RUSSES EN 1812
ET LA
MISSION DE SIR FR4NCIS DIVERNOIS
A SAINT-PÉTERSBOURG
On ne connaît encore que d'une manière très imparfaite l'his-
toire de la mobilisation financière russe lors de la guerre de 1812.
Les documents publiés ci-dessous permettront peut-être de
s'en former une image plus précise.
Ces pièces sont conservées soit au British Muséum, soit à la
Bibliothèque de Genève. Nous nous sommes borné à les ranger
par ordre chronologique et à les accompagner de notes. Nous
comptons en tirer les conclusions dans un travail ultérieur.
Otto Karmin.
D'IVERNOIS A VaNSITTART *
Je viens vous consulter, mon cher Vansittart-, sur un
projet qui vous surprendra peut-être. Depuis que la guerre
est prête à se rallumer sur le Continent, je me sens une vive
velléité de renouveller l'excursion que j'y fis en 1805 et 1806 ^ ,
et ce ne serait pas un objet de curiosité. D'abord, j'y rece-
1. Bibliothèque de Geaève. Papiers D'Ivernois. Correspondance, t. II.
Brouillon. « expédié le 10 juillet 1812 »
2. Nicolas Vansittart, 176(5-1851, entré au parlement anglais, comme député
tor3', en 1796 ; envoyé extraordinaire à Copenhague en 1801 ; 1804, secrétaire
de la trésorerie ; 1805, secrétaire principal pour l'Irlande ; 1806-07, de nouveau
secrétaire de la trésorerie; 1812-1823, chancelier de l'échiquier. Quittant ce poste
on février 1823, il fut nommé Lord Bexley et chancelier du duché de Lancaster.
3. D'Ivernois, alors, avait fait un voyage en Suéde et en Allemagne.
178 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
vrais beaucoup plus vite qu'ici le nouveau budget F'rançais
ainsi que les comptes de 1811 qui raccompagneront, et je
désire profiter de ces pièces pour une nouvelle édition de
mon dernier écrit ', qui, à ce que j'ai le plaisir d'apprendre,
a eu sur le Continent plus de succès que je ne l'avais espéré.
Or l'occasion serait d'autant plus favorable que Bonaparte
est certainement à la veille de ses plus grands embarras
pécuniaires, si le pillage de la Prusse se trouve épuisé cette
automne, avant qu'il ait réussi à y suppléer par celui de la
Livonie et de la Courlande.
En second lieu, je regarde toujours ses décrets commer-
ciaux comme devant durer autant que son règne. Or au-
jourd'hui que cette question se trouve dégagée des Ordres
du Conseil qui la compliquaient et l'embrouillaient, j'ai
quelque envie de reprendre sous œuvre et de mettre au jour
ïhistoire des décrets anti-commerciaux de Bonaparte et de leurs
effets sur l'appauvrissement des divers peuples qui y ont été
soum/s. Mais quoique j'aie déjà rassemblé à ce sujet beaucoup
de matériaux, autant je me crois fort en principes, autant je
me trouve encore faible en faits positifs- . Ce n'est qu'à Pé-
tersbourg ou à Riga que je pourrai recueillir des documents
détaillés et authentiques sur les résultats du système conti-
nental, tant en Russie que dans les principales contrées de
l'Allemagne. L'époque toute récente de leurs souCFrances me
paraît [être] le moment le plus opportun pour traiter ce sujet
de manière à y produire [une] impression durable.
En troisième lieu, je crois savoir de bonne part qu'en
1811 les recettes de la trésorerie Russe ont été de 80 millions
de roubles inférieures à ses dépenses, et quoique pour cou-
vrir ce déficit on y ait établi, entr'autres nouvelles taxes,
celle d'un dixième sur le revenu des propriétés foncières, il
1. Son Napoléon administrateur et financier, p:iru à Londres, en avril 1812.
2. La Hibliothèque de Genève conserve, tirée en épreuves, une plaquette de 72
pages in-8°, intitulée : F'ragment. Histoire des décrets anti-commerciaux de Bona-
parte etdeleurs effets xur l agriculture, les manufactures, leconimerce et lesfînances
delà France, pour faire suite aux Effets du hlocus continental sur le commerce, es
finances, le crédit et la prospérité des Iles Britanniques. Par Sir Francis D Iver-
nois. London, \'ogel et Schulzi', août 1811.
LES FINANCES RUSSES EN liSl'i 179
n'est pas difficile d'entrevoir que l'insuffisance des ressour-
ces financières sera le plus grand obstacle au succès de cette
nouvelle lutte, et qu'on ne peut guère espérer ce succès
qu'autant qu'elle se prolongera quelques campagnes. En ma
qualité d'écrivain financier ceux de Pétersbourg me feront
l'honneur de me consulter. Peut-être leur proposerai-je une
opération fiscale d'un genre nouveau et qui me semblerait
de nature à leur fournir un subside additionnel et annuel de
40 à 50 millions de roubles. Elle consisterait à prolonger
d'avance le nouvel impôt sur le revenu des biens fonciers une
année de paix pour chaque année que durera la guerre, d'en
faire anticiper le payement en promesses portant intérêt, et
de dépenser celles-ci à l'aide de quelque billet d'Etat h3'po-
thequé sur ces mêmes promesses qui serviraient de gages à
son remboursement graduel après la paix. Mais encore faut-
il être sur les lieux pour juger si ce nouveau genre d'emprunt
sur les contribuables serait pratiquable en Russie.
Finalement, je voudrais aussi voir sur les lieux mêmes,
si, le cas avenant où vous jugeriez indispensable d'ac-
corder des subsides pécuniaires à la Russie, à la Suède et à
l'Autriche, il ne serait point possible de leur prêter, non des
métaux précieux, mais votre crédit, à l'aide duquel ces gou-
vernements emprunteraient, en votre nom, chez eux et à
leurs propres sujets, les sommes convenues.
Tels sont, en abrégé, les motifs qui m'ont fait naître
l'idée de cette excursion, et j'entrevois du reste que, si je
l'entreprends, elle se prolongera autant que la guerre. Main-
tenant, et pour peu que vous la jugiez utile, il faudra, mon
cher Vansittart, que vous veuilliez bien la seconder, car
vous — qui connaissez mieux que personne avec quel dé-
sintéressement je fais ici, depuis vingt ans, la guerre de
plume — devez savoir aussi que mon petit revenu serait tout
à fait insuffisant aux dépenses de voyage et de résidence, à
Pétersbourg surtout, où ces dépenses sont beaucoup plus
fortes que partout ailleurs.
Je demanderai donc que le Gouvernement couvrit mes
180 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
frais et qu'ils fussent fixés d'avance pour que j'eusse l'esprit
pleinement tranquille sous ce rapport. C'est ainsi qu'en
agirent en 1805 M. Pitt et Lord Liverpool. Or j'ai tout lieu
de croire que si vous voulez bien communiquer mon projet
à ce dernier, ainsi qu'à Lord Castlereagh, ils y donneront
volontiers les mains comme l'aurait fait très certainement
M. Perceval si je lui en eusse témoigné le désir.
Bien entendu que je ne me présenterais à Pétersbourg
que comme simple voyageur, que je n'aurai ni d'autre mis-
sion que mon zèle, ni d'autres instructions que celles que
je vous [prie] de me tracer, et que, si je reviens sans avoir
accompli ni même tenté d'accomplir aucun des projets ci-
dessus, vous voudrez bien ne l'attribuer qu'à ce que des
considérations de prudence m'en auront détourné.
Vansittart a D'Ivernois*
Ce mardi 14 juillet [1812]
Mon cher Chevalier
J'ai parlé aux Lords Liverpool et Castlereagh de votre
projet de voyage et ils l'approuvent fort, et m'ont autorisé à me
concerter avec vous sur les détails. Je ne puis pas espérer à
vous donnera dîner pendant quelques jours : je vous prierai
donc de déjeuner demain ici à neuf heures et un quart.
Tout à vous
X. Y.
Sir Francis Ulvernois
Duke Street
S t- James' s
Vansittart a D'Ivernois -
Private
Great George Street, 31 july 1812
My dear Sir
I hâve communicated to Lord Liverpool and Lord Cas-
1. Bibliothèque de Genève. Papiers D'Ivernois. Correspondance, t. II.
2. Ibid.
LES FINAN'CES RUSSES EN 1812 181
tlereagh the motives and objets of your intended journey to
Russia of which they highly approve. With respect to the
expences of your journey we think the most couvenient
arrangement will be that they should be settled by the
Foreign Office by a payment of three hundred Pounds (300)
in advance and to be continued every quarter till your
retourn or till notice shouldhave been given to the contrary.
Lord Castlereagh will give the necessary directions for ma-
king such payments to Messrs Coutts Se C° on your account.
I am ever my dear Sir
very sincerely yours,
N. Vansittart.
Sir Francis Ulvernois.
Vansittart a D'Ivernois ^
Vous aurez la bonté de me rendre la lettre confidentielle
que je vous envoie aussitôt que vous l'aurez lue . Elle me
parait intéressante et tout à fait conforme à votre manière
de penser. Adieu, bon voyage et une heureuse campagne
contre les armées et les finances de Bonaparte.
Ce 1 août 1812. Vous ne pouvez l'entreprendre dans un
jour de meilleur augure que sur l'anniversaire de la victoire
d'Aboukir.
[sans signature 3 ]
D'Ivernois a Vansittart*
Pétersbourg, ce 16 septembre (1812)
Me voici depuis six jours à Pétersbourg, et c'est cepen-
dant de la Suède uniquement que je me propose de vous
parler, quoique je n'aie passé (jue 48 heures à Stockholm.
1. ihid.
2. Nous ignorons do quelle lettre il s'agit.
8. L'écriture de celte pièce est indubitablement celle de \'ansitlart.
4. Hritish Muséum, Add. 31230. Hexley Fapers, f"^ 242-24.-).
182 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Ce n'est guère là un temps suffisant pour y rassembler des
observations qui vaillent la peine de vous être communiquées.
Mais le hasard a voulu ([ue je me trouvasse adressé à un
homme qui, par la place qu'il occupe, par sa capacité obser-
vatrice et par la confiance qu'il a bien voulu me témoigner,
m'en a plus appris dans une heure que je n'en eusse appris
sans lui dans six mois de séjour. Voici l'abrégé de ses con-
fidences.
Sans être encore absolument impopulaire en Suède, le
Prince Royal ' n'y est nullement populaire. Son autorité,
quoique ferme en apparence, y est si chancellante qu'elle
ne résisterait pas à deux revers militaires et peut-être pas
même au premier. Le gros de la nation y paraît assez indif-
férente à la marche des affaires publiques ; mais la partie
saine eut désiré qu'on se fut ménagé une paix commerciale
avec l'Angleterre sans se compromettre militairement avec
la F'rance. La noblesse n'ose pas encore en murmurer trop
hautement, mais elle reste française au fond du cœur, et les
projets guerriers du Prince déplaisent d'autant plus qu'ils
menacent la France qu'on aime et sont en faveur de la
Russie contre qui la haine est plus profonde que jamais,
depuis la perte de la Finlande -.
Mais voici ce qu'il y a de plus curieux dans les confiden-
ces de mon informateur. A l'en croire (et je le crois) une
grande partie de la noblesse n'a donné jusqu'ici son assenti-
ment aux projets guerriers du Prince que dans la persuasion
que c'était de sa ])art une politique destinée à jeter la Russie
dans une guerre dont les revers amèneront des chances fa-
vorables pour que la Suède rentre en possession de la Fin-
lande. Cette opinion est enracinée au point que le service
éminent qu'a rendu le Prince à la Russie en contribuant
éminemment à sa paix avec les Turcs ' , paraît à ces mêmes
1. Bernadette.
2. Cédée par la Suéde à la Russie Icrs de la paix de Fredrikshf.mn, le 17
septembre 1809.
3. Paix de Bucarest, 28 mai 1812.
LES FINANCES RUSSES EN 1812 183
nobles Suédois une preuve de son ascendant sur les Turcs
qu'il saura lâcher sur la Russie au moment opportun.
Ce qu'il y a de bien certain, c'est que le prince a été la
cheville ouvrière de la résolution qu'a prise Alexandre de
résister à Napoléon, que cette résolution a été prise il y a
treize mois et que les encouragements du Prince l'y ont tel-
lement confirmé à Abo que, quoiqu'il sût déjà la prise de
Smolensk et qu'il eut alors les plus justes anxiétés sur celle
de Moscou qui aurait coupé son Empire en deux, il n'a pas
laissé échapper un mot qui ait pu faire soupçonner ceux
même qui se défient de sa fermeté, qu'il en manquât en
pareil cas.
J'ai joué de guignon à l'occasion de cette conférence
d'Abo. J'arrivai à Stockholm pour y apprendre le départ du
Prince que j'aurais beaucoup désiré connaître et dont on
m'a dit que j'aurais été bien accueilli. Le désir de me rap-
procher des grands personnages qui assistaient à cette fa-
meuse entrevue me fit prendre la résolution de m'embarquer,
et j'eus le chagrin d'arriver à Abo au moment où la frégate
du Prince partait et où l'Empereur et ses ministres s'étaient
remis en route pour Pétersbourg. J'ai cependant eu l'avan-
tage de rencontrer un des traîneurs qui m'a pris dans sa
voiture et dont je tiens quelques anecdotes qui vous intéres-
seront peut-être.
B[ernadotte] a montré à A[lexandre] une lettre récente
et très affectueuse de sa belle-sœur, femme du Roi Joseph,
qui se terminait à peu près par ces mots : « Vos amis vous
rendent la justice de croire que vous ne sacrifierez point les
intérêts de vos sujets à ce qu'on appelle les convenances de
ce pays-ci. »
Tout en assurant qu'il était déterminé à se mettre à la
tête d'une diversion, il a laissé échapper que l'acte de porter
les armes contre les Français pourrait lui ôter la chance de
remplacer Napoléon au besoin. N'a-t-il jeté cette idée en
avant que pour se donner plus d'importance aux yeux
d'Alexandre, ou germerait-elle vraiment dans sa tête ? En
184 REVCE HISTORIQUE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE
ce cas je m'étonne qu'il ait chargé l'aide de camp de Moreau
de le presser vivement de venir dans le Nord, commission
dont je connais toutes les particularités et que je puis vous
garantir.
Dans les derniers moments de cette conférence, où il
paraît complètement avoir réussi à s'attirer la confiance
d'Alexandre, il a achevé cette œuvre en lui disant, mais dans
un tête à tête : (( Sire, vous devez me trouver la franchise
d'un Béarnais et je vais vous en donner une nouvelle preuve.
La satisfaction que j'éprouve en vous connaissant person-
nellement est d'autant plus vive que Napoléon nous avait
fait de vous un portrait entièrement contraire à la vérité. Il
vous présentait comme un Monarque plein de bonnes in-
tentions, mais faible et facile à en convenir. Je me suis
assuré par moi-même que V. M. est pleine de fermeté,
qu'elle apprécie à dominer les hommes qui l'environnent et
je me félicite plus que jamais d'avoir associé mon sort et
celui de la Suède, à celui de votre personne et de votre
empire. » — Cette confidence, fausse ou vraie, a réussi, car
Alexandre la rapporta d'abord après à la personne de qui je
la tiens en se plaignant de la fausseté de Bonaparte qui
s'est permis à Paris un langage si différent de celui qu'il a
tenu à Tilsitt et à Erfurt. Le temps seul nous apprendra si,
au cas que la Russie éprouvât de grands revers, Bernadotte
n'en profiterait pas pour se tourner contr'elle, ouïes Suédois
contre lui, en recevant des mains de Napoléon le fils de
Gustave IV * avec la Finlande et Pétersbourg pour apanage.
D'après toutes les données que j'ai pu rassembler, je per-
siste à croire Bernadotte sincère. Si quelque chose m'inspi-
rait encore des doutes, ce sont les épithètes dont il se sert
en parlant de son ci-devant héros. Celle de brigand est du
nombre.
D'Abo à Pétersbourg j'ai vu à Helsingfors l'armée du
général Steinhel mettre à la voile pour Revel, et j'ai appris
1. Gustave, 17')9-1877, connu comme prince de ^^ asa.
LES FINANCES RUSSES EN 1<S12 185
de son quartier-maître, le général Folle, un fait qu'il m'a
certifié et qui vous consolera peut-être du haut prix que
vous coule le pain à l'armée de Lord Wellington. ]J embar-
quement de chaque cheval, pour un passage de 36 à 48 heures,
a coûté 1500 Roubles au Gouvernement Russe ! Il est vrai
que cette dépense est due en grande partie à ce que cette
cavalerie est restée à bord près de deux mois et demi dans
l'attente du corps Suédois qui devait la joindre.
A mon arrivée ici, j'ai appris que l'Empereur avait
chargé il y a quatre mois le général D'[Armfelt]* de m'écrire
une lettre que je n'ai point reçue et où il témoignait le désir
que je fusse consulté sur l'état de ses finances. Dès le len-
demain de mon arrivée il a fait donner l'ordre à l'un de ses
conseillers d'Etat de passer chez moi pour me dire que
j'aurai à cet égard tous les éclaircissements que je peux
désirer. A la première entrevue, S. E. m'a promis monts et
merveilles, mais quoiqu'on me le représente comme la per-
sonne la plus éclairée en finances, toutes les fois que j'ai
voulu en venir à des faits, elle s'est jetée dans des généralités,
dans les grands principes et dans les théories à perte de vue.
Elle a repassé hier chez moi pour me renouveler ses offres,
me dire de préparer mes questions, et m'annoncer qu'on
me soumettra les budgets des sept dernières années. Puis
elle a ajouté que n'ayant encore qu'un ordre verbal pour
une chose aussi inusitée qu'une pareille révélation faite à un
étranger, il lui faut à cet effet un rescript de la Chancellerie,
mais ce n'est qu'une affaire de forme et qu'elle ne tardera
pas à en être nantie. Je suis presque tenté de croire qu'on
préférerait ne point me laisser voir le dessous des cartes.
Mais j'espère que l'Empereur, auquel je n'ai point encore
eu l'honneur d'être présenté, tiendra bon. Il m'a fait non
seulement celui de lire mon dernier ouvrage, mais d'en
1. Gustaf-Maurilz Armfelt, IT.'iT-lSH, le favori d'Alexandre I. Nous avons
publié, en collaboration avec feu Henry Biaudet, six lettres inédites de lui à
D'Ivernois, dans Annules academiae scienliurunt fcnnicac, Ser. H., t. \'III, N* 3.
186 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
extraire les morceaux qui lui paraissent propres à être mis
sous les yeux du publie Russe, et il croit que je pourrai lui
indiquer quelque moyen d'arrêter la dépréciation de ses
billets de banque, dépréciation qui est la principale et peut-
être l'unique plaie de ses finances, car grâce aux nouveaux
impôts ses revenus sont beaucoup plus considérables que je
ne le pensais. Ils s'élèvent, me dit-on, à près de 300 millions
de roubles, mais il se prélèvent tous en papier, et en papier
tellement déprécié qu'il faut près de 4 roubles en billets
pour acheter un rouble en argent. Si j'obtiens les documents
qu'on me promet, ou plutôt qu'on m'offre. Monsieur le
Chancelier de l'Echiquier Britannique ' peut s'attendre à ce
que ma première missive sera un long mémoire.
Je ne vous parle point de la grande bataille du 26 passé
(vieux style) 2 , parceque vous aurez déjà reçu des détails
plus circonstanciés et plus vrais que ceux que j'ai pu re-
cueillir dans le public. Je l'envisage comme une seconde
bataille de Prussian Eylau (sic), mais beaucoup plus meur-
trière. Mr. de St-Priest ^ écrit que la première n'était qu'une
miniature de la seconde, et Koutousow écrit de son côté à
sa femme : « Bonaparte ne dira plus qu'il n'a jamais été
battu, je te garantis que je l'ai battu et bien battu. »
Je soupçonne que j'avais eu grande raison de vous de-
mander les deux billets que vous avez eu la complaisance
de me remettre à votre départ et je ne suis pas même sûr
qu'ils aient en tout l'effet que j'en attendais. Mais je puis me
tromper et j'en jugerai mieux dans quelques jours.
Agréez mon entier dévouement.
F. D'I.
1. \'ansittart.
2. Bataille de Borodino, du 7 septembre 1812.
3. Giiillaunie-Eininanuel, comte de Salnl-Priest, général-major au service
de la Russie, 1770-1814 ; fils du comte de Saiiit-Priest, ministre de Louis
XVIII.
LES FINANCES RUSSES EN 1812 187
[Suit, dans les papiers de Vansittart, un brouillon de réponse
(f" 246), remerciant de la lettre du 16. Le ministre s'y félicite
d'avoir pu contribuer à la nomination de D'I. « sur la scène la
plus importante de l'Europe ». — Il ajoute : « Tout ce que vous
me dites sur la position de la Suède s'accorde parfaitement avec
ce que j'ai pu accueillir de plus précis ou pour mieux dire de
plus probable. »]
D'IvERxois A Vansittart ^
9
St-Pélersboiiriï, ce — — octobre 1812.
" 21
J'espère, mon cher Vansittart, que vous avez reçu mon
n° 1 que je vous adressai, il y a quelques semaines, par un
courrier espagnol, dès les premiers jours de mon arrivée ici,
je vous y mandais ce que m'apprit le général D'[Armfelt] en
Finlande : que l'Empereur m'avait fait écrire pour me té-
moigner son désir de savoir quelles mesures fiscales j'aurais
à lui proposer pour développer ses ressources en grand pen-
dant la guerre. Cette lettre (que je n'ai point reçue) tenait à
l'impression favorable qu'a fait sur lui mon dernier écrit, qui
a été beaucoup lu à Wilna, où il aurait mieux valu, sans
doute, étudier les progrès des armées de Bonaparte que ceux
de la décadence de ses finances. — Bref, en apprenant mon
arrivée ici, l'Empereur me dépêcha l'un de ses Conseillers
d'Etat pour me dire qu'il était chargé de me fournir tous les
documents officiels que je désirerais. Après avoir reçu la liste
de ceux qui m'étaient le plus nécessaires et en tète desquels je
plaçai les budgets, il revint le surlendemain m'annoncer que
ces papiers étaient d'une telle nature et leur exhibition à un
étranger une chose si inusitée qu'il croyait de son devoir de
mettre avant tout sa responsabilité à l'abri en se procurant
à cet efïet un rescript de la Chancellerie. — En vous faisant
part de tout ceci, je vous mandai qu'au cas que je reçusse
ces papiers, vous deviez vous attendre incessament à une
longue dépêche et je vous la transmettrai ouverte par Lord
1. Brilish Miiscimi, I.c, r ' 247-2.').S.
188 RKVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLLTION FRANÇAISE
Cathcait ' , afin de mettre tout à la fois sous les yeux de l'un
et de l'autre l'extrait des renseignements que j'aurai obtenus.
A vous dire le vrai, je pris le second message du Con-
seiller d'Etat pour une défaite et cru qu'on avait donné des
scrupules à l'Empereur en lui présentant que me remettre
de pareils papiers serait faire connaître aux Anglais le fort
et le faible de ses finances. Je vis le général D'[Armfelt], par
l'entremise duquel tout ceci s'était arrangé et lui observai
que ce rescript de la Chancellerie, en éventant l'objet de mon
travail, me mettrait d'avance à dos R. - et d'autres individus
qui me croiseraient assez après coup, sans qu'il fut néces-
saire de leur donner ainsi l'éveil. Le résultat en fut une
nouvelle visite du même Conseiller d'Etat, porteur d'un
ordre privé de me fournir tous les papiers qu'il serait en
son pouvoir de me procurer, sans toutefois qu'aucun des
ministres en fut informé, ce à quoi le chef mettait la même
importance que moi. Le dépôt qu'on m'a confié (en exigeant
un reçu en forme) ne m'a point fourni, ni tant s'en faut,
tous les renseignements que j'aurais désirés ; mais chaque
fois que j'ai demandé des explications ou des faits précis,
l'informateur qu'on m'avait donné pour un aigle en finances
s'est jeté dans des généralités qui m'ont bien vite montré
qu'il était théoriste {sic) aussi faible que praticien ignorant.
Des immenses paperasses qu'il m'a fallu parcourir j'ai ce-
pendant extrait les huit pages f" incluses ^. Je présume qu'a-
près les avoir lus, vous jugerez ainsi que moi que l'essai de
toutes ressources fiscales artificielles qu'on pourrait indiquer
à la Russie serait superflu et même dangereux, tant qu'on
n'aura pas remonté, sinon au pair, du moins à peu près au
pair, le papier-monnaie qui depuis deux ans perd environ
4 contre L C'est évidemment ce dont il s'agit de s'occuper
avant tout. Quoique difficile, la chose ne me paraît pas
1. William Shaw, vicomte Cathcart, 17.').")- 1843. Alors ambassadeur de
George III auprès d'Alexandre I.
2. Sans doute Xikolai Petrovilch RoumianzofV, 17.')4-182G, alors chancelier de
la Russie.
3. Ne semblent pas avoir été conservées.
LES FINANCES RUSSES EN 1812 189
impossible, et lorsque l'Empereur m'accorda, il y a quinze
jours, la faveur de lui être présenté dans son cabinet, je
m'attachai de très bonne foi à lui donner une idée encoura-
geante de ses finances, surtout si l'on s'applique à remonter
la valeur nominale des 300 millions de Roubles qui consti-
tuent ses recettes présumées de 1812,
Il me fit avec beaucoup de candeur son confiteor sur le
regret qu'il avait d'avoir suivi les errements de ses prédéces-
seurs en multipliant les émissions du papier, et après m'avoir
tracé l'histoire de ses finances avec une facilité d'élocution
et une netteté d'idées qui ferait honneur même à l'un de vos
bons orateurs parlementaires, il me pressa de mettre mes
idées sur le papier en m'assurant de l'attention immédiate
et sérieuse qu'il y donnerait.
J'ai quelques raisons de croire que l'accueil que j'en
reçus, tient, en grande partie, à la précaution que j'avais
eue de lui faire dire par le général D"[Armfelt] que je me re-
connais et me déclare absolument impropre à toute espèce
d'emploi (vue que ses ministres ne manqueront pas de me
prêter), que pour rien au monde je ne renoncerais soit à mon
indépendance, soit à la patrie que j'ai adoptée, et qu'ayant
d'ailleurs une pension de S. M. Britannique je ne saurais
entrer au service d'aucun souverain ; mais que plus j'ai
d'obligations à l'Angleterre, plus je me croirais acquitté en-
vers elle si j'avais le bonheur d'aider Messieurs les financiers
Russes à découvrir quelque nouvelle ressource fiscale propre
à prolonger la lutte actuelle pendant plusieurs campagnes.
J'ai eu le plaisir d'apprendre qu'au sortir de ce premier
entretien, l'Empereur s'est exprimé sur mon compte avec
autant de confiance que de bonté. Malgré les agitations que
lui donne en ce moment la situation si critique de ses affaires
militaires, dès qu'il a appris que mon travail était achevé,
il a bien voulu m'accorder une audience qui a duré près de
deux heures et pendant lesquelles nous avons lu et com-
menté le long mémoire qu'on s'occupe en ce moment à
transcrire. L'idée fondamentale, celle de repomper immé-
190 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
datement les 3 .") de son papier en le fondant en rentes à 5 "'„
différées lui a paru d'abord assez difficile à saisir, et comme
il lui a fallu quelques explications verbales pour la conce-
voir nettement, il m'a exprimé la crainte qu'il ne soit pas si
facile de la faire comprendre aux intéressés, crainte que je
partage jusqu'à un certain point.
D'après ce premier aperçu il a paru approuver également
le but, l'ensemble et les détails de mon projet. Puis, lors-
qu'il fut question de savoir à qui le soumettre, nous tom-
bâmes l'un et l'autre sur le même choix. Le Baron de
Stein * que j'ai eu le plaisir de retrouver ici, qui, ayant été
lui-même ministre des finances prussiennes et ayant vécu
en Allemagne et en Autriche au milieu des convulsions du
papier-monnaie, est mieux à même que personne déjuger,
soit à quel point il est urgent d'en secouer les chaînes soit
les meilleurs moyens à embrasser pour y réussir. Dans le
fait, je ne connais ici aucun meilleur juge de tout plan sem-
blable, et j'ai vu avec grand plaisir qu'il jouit de la confiance
entière de l'Empereur.
Mais ce juge ne me suffit point, mon cher Vansittart,
car mon plan — en supposant qu'on l'adopte et qu'on l'exé-
cute — doit avoir des résultats si utiles, mais peut aussi
rencontrer dans l'exécution des obstacles si fâcheux pour la
Russie et par cela même pour la cause générale, que j'ai
prié l'Empereur de m'autoriser à vous le soumettre, en lui
observant que j'entends vous consulter non comme ministre
anglais mais comme l'homme de l'Europe qui, ayant le plus
fondé (après M. Pitt), entend le mieux à fond cette matière.
J'ai eu grand soin de prévenir S. M. que comme vous ne con-
naissez, ni ne pouvez connaître les obstacles locaux qui pour-
raient rendre facile ou difficile l'exécution de mon projet, je ne
prétens, ni ne réussirais même à obtenir votre avis sur ce point;
mais que je mettais un prix infini à savoir de vous si, au cas
que les ministres russes reconnussent l'opération bonne dans
1. Henri-Frc-déric-Charles, baron de Stein, 1757-1831, venu, en mai 1812, de
Prague à Fétersbourg, invité par Alexandre h'.
LES FINANCES BUSSES EN 1812 191
son ensemble et exécutable dans ses détails, vous ne m'indi-
querez pas différents moyens de l'améliorer en simplifiant
les rouages, en évitant les frottements, etc. etc. Voici mot à
mot la réponse de S. M. : « J'ai l'honneur de connaître de-
puis longtemps M. Vansittart par la réputation de ses lu -
mières en finances et n'entrevois en effet personne dont
l'opinion soit plus désirable. Mais en vous autorisant plei-
nement à lui communiquer ce travail, il me semble que pour
ne pas perdre de temps on pourrait toujours procéder ici
au même examen, ne fut-ce que pour préparer les moyens
d'exécution. »
Observez donc, mon cher Vansittart, qu'en sollicitant
votre critique ou votre approbation sur mon travail, il
n'est pas question de vous associer le moins du monde à sa
responsabilité, car je prétends bien la prendre tout entière
sur moi et sans me faire illusion sur les contrariétés et sur
les dégoûts de plus d'un genre qu'elle me prépare. Mais
j'attends de vous que vous voudrez bien jeter en marge du
long mémoire qui, je l'espère, pourra partir avec le Comte
de Lieben \ toutes les observations critiques que vous sug-
gérera cette opération fiscale d'un genre nouveau, de bien
examiner si — comme je le crois — elle sera éminem-
ment et immédiatement profitable au fisc, et d'avoir surtout
en vue qu'il s'agit de s'assurer que la Trésorerie impériale
ne souffre ni retards, ni gênes durant le passage des anciens
billets aux nouveaux, car nous ne sommes pas dans des cir-
constances où elle puisse et doive courir la chance possible
d'embarras présents pour la perspective même assurée d'une
aisance future.
Les 60 pages de mon Mémoire où j'ai voulu bien mâ-
cher toute la besogne pour MM. les financiers russes peu-
vent se réduire à très peu de lignes pour M. le Chancelier
de l'Echiquier britannique -.
1. Christophe André je witdi, prince de Lieven, 1774-1839, ambassadeur russe
à Berlir., duis, de 1812 à 1834, à Londres.
2. Une copie de ce Mémoire est conservée à la lîibhothèque de Genève : Pa-
piers D'Ivernois. Il porte la date du 1/12 octobre 1812.
192 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Je propose de fonder les 3/5 des 575 millions Roubles de
billets émis, et dont il ne se retrouvera vraisemblablement
pas pour plus de 500 millions, en inscrivant les 3/5 fondés
en rente de 5 7o qui ne commenceraient à courir que du
second mois de Janvier qui suivra les ratifications de la paix.
Je propose d'associer immédiatement à cette mesure (et
par de nouveaux impôts créés ad hoc) 8 à 9 millions Rou-
bles pour un fonds d'amortissement destiné : en partie au
rachat de ces nouvelles rentes, avant même qu'elles com-
mencent à courir ; en partie à brûler des nouveaux billets
jusqu'à la concurrence d'environ 80.000 Roubles par semaine,
aussi longtemps qu'ils n'auront pas repris toute leur valeur
nominale.
Comme on peut présumer que l'échange des anciens
billets contre les nouveaux prendra au moins quatre mois,
durant lesquels la Trésorerie percevra environ 100 millions
en vieux billets, qu'il s'agirait d'échanger contre 40 millions
de nouveaux et 3 millions de rentes différées en 5 7o, je
propose que ces rentes, da:it elle ne saurait que faire, lui
soient immédiatement achetées à 20 fois la rente par une
émission de 60 millions de nouveaux billets, et que les 3
millions de rentes ainsi paj^és soient inscrits sur le Grand
Livre au nom de la Chambre d'amortissement qui en jouira
du jour où elles commenceront à courir.
En supposant que celles-ci ne commencent à courir qu'en
l'année 1817 et que la chambre d'amortissement les rachète,
d'abord à 7 fois la rente, puis à 8 fois, puis à 9 et ainsi de
suite, d'année en année — le fond d'amortissement aura tout
racheté dans une dixaine ou douzaine d'années, et sera alors
un revenu libre et disponible, ainsi que les rentes.
Les (50 millions de billets additionnels surajoutés aux 2/5
à émettre, porteront vraisemblablement la masse des nou-
veaux billets à 260 millions, un peu plus de moitié en sus
de ceux qu'on peut supposer aujourd'hui en existence.
Je développe au long dans mon mémoire les motifs qui
me font conjecturer
LES FINANCES RUSSES EN 1812 193
1° que ce retranchement relèvera peu à peu la valeur du
papier au même taux qu'en 1804, où il y avait précisément
260 millions de billets émis et où le Rouble argent qui coûte
aujourd'hui 4 Roubles en papier, ne se payait que 1 Rouble
26 Kopèkes,
2° que le prix du travail et des productions Russes qui
depuis douze ans a un peu plus que doublé, ne baissera
point, ni tant s'en faut, dans le même rapport que haussera
la valeur des nouveaux billets et ne diminuera vraisembla-
blement pas de plus de l/7^
3° que si le prix du travail et des denrées diminue de
1/7% les profits du journalier et le revenu du proprié-
taire foncier, leurs dépenses seront réduites dans la même
proportion et que l'impôt étant le seul article de celles-ci
qui n'aura pas diminué, on peut se flatter que — du moins
pendant la guerre — il sera possible d'obtenir des contri-
buables, en nouveaux billets, les mêmes recettes qu'on
perçoit aujourd'hui en papier déprécié des trois quarts.
L'avantage qu'y trouvera le fisc sera, non une augmenta-
tion de revenus, mais la triple épargne résultante : d'une
réduction de 1/7^ dans le prix des achats qui constituent
entre le tiers et la moitié de ses dépenses; — d'une réduc-
tion beaucoup plus forte dans le prix de l'argent dont il a
besoin pour ses dépenses tant du dehors que du dedans ; —
et de la cessation des gratifications qu'il accorde à une foule
de fonctionnaires en indemnités de la perte qu'ils éprouvent
sur son papier.
Je ne dois pas oublier de vous dire que S. M. m'a con-
firmé ce qu'on m'avait dit que, sinon Napoléon, du moins
ses dignes compagnons, viennent d'émettre à Moscou des
billets russes admirablement bien contrefaits, émission qui
me paraît rendre plus urgente la convenance de retirer tous
ceux qui existent. L'empereur m'a déjà demandé un projet
d'Ukase pour l'organisation législative de mon plan. Je vais
m'en occuper et si S. M. adopte l'usage que je me propose
de faire de cette scandaleuse émission, dans le préambule
194 REVL'E HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION" FRANÇAISE
du manifeste, j'espère que le faux-monnayeur ne le lui par-
donnera pas de longtemps.
Il y a vingt cinq ans que l'accueil dont l'Empereur et les
deux Impératrices ont daigné m'honorer, m'aurait fait tourner
la tète, mais l'âge l'a si bien rassise ' que j'entrevois des obs-
tacles et des déplaisirs de plus d'un genre dans le service que
je viens d'entreprendre comme volontaire. N'importe, me
voilà résolu à les braver, tant que j'aurai l'espoir de réussir,
et si j'ai le bonheur d'aider les financiers Russes à recruter
leurs finances de manière à pouvoir faire face à plusieurs
campagnes, je croirai avoir bien mieux servi la cause sociale
qu'en me consumant à attaquer les finances de Bonaparte.
Du premier jour où le Conseiller d'Etat passa chez moi,
j'eus soin de communiquer à Lord Cathcart et à Lord Wal-
pole- que j'allais m'occuper de l'examen des finances Russes,
et que je ne manquerais pas de leur fournir copie de l'extrait
raisonné que je vous en préparais. Et en reparlant ensuite
à Lord Cathcart pour lui dire que j'entrevoyais déjà la pos-
sibilité de relever la valeur des assignats Russes, et que je
travaillais sur cette idée, je crus devoir, par délicatesse, ne
point l'ennuyer des détails de mon plan, afin que si celui-ci
vient à être rejeté et même blâmé (ce qui est très possible
et n'est nullement improbable) votre Ambassadeur puisse
dire avec vérité que tout ce dont je l'avais informé d'avance,
c'est qu'à la demande expresse de S. M. I., je m'occupais de
quelque travail de ce genre ; que du reste, et quoiqu'il
puisse répondre des intentions qui m'animent, que mon
plan soit bon ou mauvais, c'est à moi seul à en répondre
ou à le défendre. Je le lui ai exposé hier sommairement en
attendant que je puisse lui soumettre, ainsi qu'à vous, le
long mémoire qu'on transcrit.
J'ai reçu la semaine passée une longue et excellente
lettre de Walsh ^ où il y a de grands éloges sur certain
1. D'Ivernois avait alors 7)6 ans.
2. Lequel ?
3. Robert Walsh, 1784-1858. Ecrivain et journaliste américain.
LES FINANCES BUSSES EN 1<S12 195
envoi que vous m'aviez chargé de lui faire. En le lui trans-
mettant, je lui avais grièvement reproché le découragement
qu'il risque de répandre dans le Nord de l'Europe, en per-
sistant à déprécier les ressources de la Russie et à exagérer
celles de la France. Voilà que, sans me savoir ici, il m'y a
fait passer fort à propos son poeniteor, en m'assurant que
mon dernier écrit l'a fait changer d'opinion sur plusieurs
points, et qu'il partage, en grande partie, mes espérances,
pourvu que l'Empereur Alexandre ait le courage de prolonger
la lutte et d'en faire une guerre d'épuisement. Le général
D'[Armfelt] à qui je lus ce passage, me le demanda pour le
montrer à l'Empereur sur qui certains passages du premier
écrit de Walsh avaient produit une impression qu'il serait
bon d'effacer. Vous ne sauriez croire combien cette récan-
tation d'un écrivain converti paraît avoir fait plaisir, surtout
à l'Impératrice mère. Mais il est temps de finir cette longue
épitre qui sera bientôt suivi par un envoi plus long encore.
Cependant, je n'ai pas plus de temps qu'il ne m'en faut, car
imaginez que je suis obligé de travailler, pour ainsi dire,
en cachette et d'aller dans le monde, afin que personne ne
soupçonne ce dont je m'occupe, j'apprends néanmoins que
le Président du Conseil d'Etat a dit hier qu'il croyait que
je me mêlais ici de finances. Ceci, si je ne me trompe, vient
de mon informateur en chef, mécontent de ce que je ne lui
ai point communiqué le contenu de mon travail, de ce que
S. M. ne l'en fera pas juge et de ce qu'elle lui a pris tem-
porairement son premier secrétaire pour me le donner.
Certes, je vous ferais bien rire si je vous disais le plan de
réforme qu'il avait soumis avant mon arrivée au Conseil
d'Etat et sur lequel on avait gravement délibéré, tant de vive
voix que par écrit.
Adieu, mon cher Vansittart, prenez patience sur cette
longue épitre et agréez l'expression bien sincère de tous les
sentiments d'estime et d'attachement que je vous ai voués,
F. D'IVERNOIS.
196 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
P. S. En voyant que tout mon édifice de rentes différées
repose sur un fonds d'amortissement, vous direz, sans doute,
comme Lord Cathcart, que ce fonds risque bien de recevoir
son coup de mort longtemps avant d'avoir amorti la dette à
laquelle je l'associe. A dire le vrai, j'en pense assez de même
et c'est aussi pour parer de mon mieux au coup, et pour
inspirer plus de confiance dans ce fonds, que je me suis appli-
qué à rendre sa marche trois ou quatre fois plus rapide que
celle du vôtre. Après tout, veuillez considérer que puisqu'il
s'agit pour la Russie de trouver de nouvelles ressources de
guerre, elle ne peut les prendre que sur le présent ou sur
ïavenir. — Sur le présent, ce ne serait que de deux ma-
nières : 1*^ par de nouveaux impôts, mais les additions re-
doublées qu'[ils] ont éprouvé depuis trois ans sont telles que
je crains que la difficulté d'en lever d'additionnelles pour
8.500.000 Roubles ne soit l'une des principales pierres
d'achoppement de mon plan. — 2" par des réquisitions en na-
ture ; mais celles-ci ne pourraient se lever et se prolonger qu'en
renonçant aux contributions régulières, ce qui ne tarderait
guère à tout désorganiser. — Sur l'avenir, c. a. d. sur les
revenus de la paix. Mais s'il est possible d'anticiper ceux-ci,
ce ne peut être que par le crédit. Or je ne vois aucune per-
spective de crédit s'il n'est pas appuyé sur quelque caisse
d'amortissement qui, par sa marche active et prompte,
compense les risques que ne manquera pas de courir ici sa
dot à mesure qu'elle grossira. Si ce fonds est une fois en
pleine activité et qu'à la paix les ministres de l'Empereur
actuel ou ses successeurs y portent une main violente, j'en
aurai regret, mais ce sera leur affaire, et je n'en aurais pas
moins atteint mon but principal, celui de trouver, pour la
guerre actuelle, quelques ressources effectives prises sur les
revenus de la paix future. Le fonds d'amortissement ne
coûterait chaque campagne que 8.500.000 Roubles et amè-
nerait dans les dépenses actuelles une épargne immédiate et
effective que j'évalue entre 60 et 70 millions.
En relisant cette lettre, j'ai jugé convenable d'en trans-
LES FINANCES RUSSES EN 1812 197
crire ce qui vous concerne, pour pouvoir, s'il est nécessaire,
le montrer à l'Empereur, afin que S. M. ne puisse point se
méprendre sur ce que je demande votre avis en droit, non
comme Chancelier de l'Echiquier Anglais, mais précisément
comme je vous consultais avant votre ministère sur certains
chapitres de mes écrits financiers.
p S_ Ce 11/23 octobre 1812
Un entretien de six heures que j'ai eu hier soir avec le
Contrôleur général m'a appris, entr'autres choses, pourquoi
les produits présumés de l'impôt du 10" des revenus ne sont
pas portés sur le dernier budget. C'est que cet impôt, ainsi
que tous ceux de 1812, devait être versé dans une prétendue
caisse d'amortissement qui n'a rien amorti, parce que les
Ministères s'en sont partagés le fonds, évalué à environ 50
millions.
Voilà donc, allez-vous dire, un autre revenu à ajouter
aux 300 millions des recettes publiques. Fort bien ; mais
quoiqu'on l'ait pris et dépensé, la dette arriérée de l'année
courante s'élèvera, à ce qu'on croit, entre 40 à 60 millions,
et ce qu'il y a de pire, c'est que le déficit, auquel il s'agit
de pourvoir pour l'année prochaine, s'évalue déjà à une cen-
taine de millions. Ceci parait assez naturel, si l'on considère
que les provinces occupées par l'ennemi rapportaient environ
50 millions. Mais voici ce qui est extraordinaire. Malgré les
nouvelles levées de milices équipées et entretenues par plu-
sieurs provinces, le ministre de la guerre demande pour
l'année prochaine 200 millions au lieu de 150, et celui de la
marine 'M) au lieu de 18. Cette dernière augmentation me
paraît si inconcevable, surtout à la suite de la paix avec
l'Angleterre, (ju'il m'est entré dans l'esprit — à tort peut-être —
que certains ministres se coalisent pour montrer à l'Empe-
reur, par des chiflres, l'impossibilité d'aller en avant, et
par cela même la nécessité de songer à la paix, conjecture
dont Lord Cathcart saura bien démêler le fondement, en
supposant qu'elle soit fondée.
198 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Le Contrôleur général — une des deux personnes à qui
l'Empereur avait référé mon projet, ne m'a fait jusqu'ici que
deux objections, mais elles sont passablement découra-
geantes.
La l'"'^ est que son exécution, en la supposant couronnée
d'un succès complet, ne couvrirait guère encore que la
moitié du déficit.
La 2^, qu'il ne se trouvera personne d'assez hardi pour
y mettre la main, et que lui, comme étranger (on le consi-
dère ici comme tel à titre de Livonien) ne pourrait s'en
charger qu'avec la certitude d'être croisé et de s'exposer,
s'il échouait, à des accusations de trahison. Il n'y a qu'un
Russe, m'a-t-il dit, qui put l'entreprendre. Or, où le trou-
ver ?
Je suis sorti de chez lui avec l'impression que les finan-
ces sont dans un état plus fâcheux que je ne le croyais, et
avec la pleine conviction qu'il n'y a point de gouvernements
plus faibles que les gouvernements despotiques.
Il y a eu hier à la bourse, dans le prix de l'argent et
dans le taux du change, une révolution qui vous étonnera.
Le Rouble argent qui coûtait, il y a huit jours, 3 Roubles 80
kopèques en papier, s'est vendu à 3 Roubles- 15 kopèques,
et le change a, en même temps, tourné d'environ 8% contre
la Russie. Tout singulier que paraisse ce phénomène, je
crois pouvoir l'expliquer et vous annoncer qu'il y aura,
avant la fin de ce mois, un autre soubresaut en sens con-
traire.
J'espère, mon cher Vansitlart, que ce gros volume m'ar-
rive à temps pour vous l'expédier avec le courrier qui doit
vous porter mon n° 2 et mon P. S. du 9 oct. — Depuis
les tristes révélations que m'a faites le Contrôleur général
sur l'étendue des besoins de 1813, et sur celle des dettes ar-
riérées de 1812, il m'est venu dans l'esprit qu'on pourrait, à
l'aide de mon plan, balayer presqu'entièrement celles-ci. —
Je vous laisse à deviner par quel moyen, mais vous le com-
prendrez, je crois, si je vous dis qu'en pareil cas, et en sup-
LES FIXAN'CES RUSSES EN 1812 199
posant que les arrérages s'élèvent à 50 millions (ce qui en
est sûrement le minimum) il s'agirait de laisser en circula-
tion 250 millions de nouveaux billets et par conséquent d'y
en trouver en décembre prochain 625 millions d'anciens.
Mon Mémoire est dans les mains de l'Empereur qui, à
ce que je crois, va le référer à quelque commission, si ce
n'est pas déjà fait.
Je n'ai pas le temps de fermer ce paquet dans la crainte
que Lord Walpole ne le reçoive pas à temps pour l'expédier.
Recevez l'assurance de mon entier dénouement.
F. D'I.
Ce 13 2ô octobre 1812.
{A suivre)
FÉLIX DE WIMPFFEN
ET LE SIÈGE DE THIONVILLE
EN 1792
I
La petite et belliqueuse cité de Thionville revêtait, à la
fin du XVIIP siècle, l'aspect grave et imposant des places
fortes ^ Entourée de remparts et de bastions, elle se dessi-
nait vaguement dans le ciel par l'émergement timide de son
beffroi, la masse un peu lourde des tours de la nouvelle
« paroisse » *, et les flèches grêles et ajourées qui surmon-
taient les églises conventuelles. Son enceinte renfermait près
de 8.000 habitants \
Quelques vestiges de la forteresse subsistent encore et se
mirent dans les eaux limpides de la Moselle, comme les
témoins attardés d'un passé qui ne fut pas sans gloire. En
effet, plusieurs des nombreux sièges que la place de Thion-
1. Les travaux de démantèlement de la forteresse ont commencé en 1902. S'il
est vrai que la population étouffait presque dans son étroit corset de pierre, il
faut convenir que la démolition des remparts de la Moselle ne s'imposait pas
nécessairement. Ces remparts, percés d'une porte monumentale avec pont-levis,
donnaient à la ville un cachet militaire qu'elle n'a plus. Plantés de marronniers
séculaires, agrémentés de kiosques d'où l'on découvrait la vallée de la Moselle,
ces remparts étaient pour les Thionvillois le lieu favori de leurs promenades.
2. C'est ainsi qu'on appelait alors l'église paroissiale pour la distinguer sans
doute des églises conventuelles. Il existe aujourd'hui encore une « rue de la
paroisse ». L'église paroissiale, sous la dénomination de Saint-Maximin, venait
d'être reconstruite en 1756, non loin de l'emplacement de l'ancienne.
3. Un dictionnaire de l'époque (R. de Hesseln, Dictionnaire de la France ;
Paris, 1761 ; VL 313) n'attribue à Thionville que ,").6()0 hab., probablement sans
tenir compte de la garnison, car les registres de l'Hôtel de S'ille, à la date du 10
janvier 1791, attestent une population totale de prés de 8.000 habitants.
WIMPFFEN ET LE SIÈGE DE THIONVJLLE 201
ville eut à subir sont restés célèbres. L'histoire militaire de
l'Europe y fait allusion parfois, la chronique locale les
rappelle toujours avec complaisance.
Depuis la conquête de cette ville par le grand Condé, en
1643, conquête qui « était le digne prix de la victoire de
Rocroy », selon la parole de Bossuet \ les Thionvillois
avaient joui d'une paix profonde et continue.
Les peuples heureux, a-t-on dit, n'ont pas d'histoire.
L'intéressant historien de Thionville - paraît convaincu de
cet axiome, puisque, parvenu à la fin du règne de Louis XIV
il dépose la plume pour ne plus la reprendre que d'une
façon irrégulière et intermittente...
Sans doute, aucun fait marquant ne devait mettre de
longtemps en relief le nom de Thionville, mais ce que Teis-
sier n'a pas relaté, c'est la lente et réelle évolution qui se
poursuivit dans les esprits à partir de l'annexion de la ville
à la couronne de France.
Le gouvernement royal avait sagement profité de cette
longue ère de paix pour acclimater dans le Luxembourg
français '^ les institutions du royaume. Le petit peuple de
Thionville s'était prêté sans mauvaise grâce aux efforts per-
sévérants de son nouveau maître, il y avait même apporté
d'autant plus de bonne volonté que « la seconde conquête
de Thionville * par les Français en 1643 ne fut point marquée
par des mesures violentes, comme l'observe très judicieuse-
1. Bossi'ET, Oraison funèbre de Louis de Bourbon, prince de Condé.
2. G. -F. Teissier, sous-préfet de l'arrondissement de Thionville de 1819 à
1830. Auteur de l'unique histoire de Thionville qui ait été publiée (Metz, Ver-
ronnais, 1828) et qui reste comme le livre de chevet, le bréviaire que les vieilles
familles thionvilloises se transmettent de génération en génération. Cet ouvrage
est intéressant, bien écrit, d'une lecture facile et agréable, mais ne répond plus
aux exigences de l'histoire documentaire d'aujourd'hui. Les phases les plus im-
portantes de l'histoire thionvilloise ont été écrites à nouveau et par des auteurs
différents. Il serait facile de les relier ensemble et d'en former une nouvelle
histoire de la cité, plus développée et plus exacte que celle de Teissier.
3. Le gouvernement de Thionville, établi aussitôt après la conquête, était
appelé communément « Luxembourg françois » en souvenir du pays auquel il
avait appartenu jusqu'alors.
4. La ville, prise une première fois par le duc de Guise en 1558, fut restituée
l'année suivante à Philippe II, roi d'Espagne, par le traité de Cateau-Cam-
brésis.
202 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
ment un historien belge ', mais par un travail lent et d'autant
plus sûr. Les mœurs, les idées reçues se modifièrent de
génération en génération. »
Un siècle plus tard, cette évolution paraissait achevée et
toutes les classes de la population s'unissaient dans un ma-
gnifique élan de reconnaissance et de loyalisme pour célébrer
avec éclat le centenaire de l'incorporation de Thionville à la
monarchie française -.
A lire la relation de cette fête commémojative, on éprouve
le sentiment intime de la sincérité de cet enthousiasme ;
toutefois, il est à remarquer qu'on y parle plutôt de la -France
que du roi, et cela peut-être avec une insistance voulue.
Cette indifférence à l'égard de la dynastie régnante n'est pas
pour étonner ceux qui connaissent le tempérament thionvil-
lois, très indépendant et parfois même frondeur. Déjà en
1545, le conseiller Scepperus écrivait dans un rapport adressé
à l'empereur Charles-Quint ^ que « le peuple (de Thionville)
était de nulle obéissance ». Il n'y a pas lieu de s'étonner
que ce sentiment d'indépendance ait été en germe parmi ces
bourgeois qui avaient joui, dès le XIIP siècle, des libertés
communales ^. Ce sentiment, tour à tour encouragé et com-
primé, allait enfin pouvoir s'épanouir pleinement pendant la
période révolutionnaire \
1. Ch. Raiilknbixk, Metz et Thionville sous Charles-Quint (Bruxelles, 1881),
p. 294.
2. <( Toute la ville en général, et chacun en particulier, a donné des
marques publiques d'une joie véritablement sincère de ce qu'il a plu à Dieu de
mettre cette ville et nos pères sous la domination delà France et avons redoublé
nos vœux pour qu'il nous y maintienne et ne permette pas que nous en sortions
jamais... C'est pour laisser à la postérité des preuves convaincantes que toute
la bourgeoisie en a données, que la chambre a dressé le présent acte sur les
registres de l'hôtel de ville. » (Arch. Th.)
3. Achiues gén. de Belgique, Liasse 18. Rapport de M" Corneille Scepperus sur
la situation des affaires au pays de Luxembourg.
4. La charte d'affranchissement des bourgeois de Thionville est du 15 aotit
1239. L'original se trouve heureusement encore aux archives municipales ; voir
aussi Teissiek, Op. cit., pp. 448 à 4(52.
5. Les quatres députés thionvillois à la Convention nationale, Bar, Hentz,
Merlin et Thirion, siégèrent sur les bancs de la Montagne. Bar et Thirion
votèrent pour la mort de Louis XVI. Hentz vota pour la mort « sans sursis ».
Merlin, qui n'était pas soumis au vote puisqu'il était enfermé dans Mayence, où
il était représentant auprès des armées, écrivit cependant à la Convention pour
WIMPFFEX ET LE SIEGE DE THIONVtLLE 203
L'annonce de la convocation des Etats-Généraux fut pour
les électeurs une occasion de s'agiter dans les réunions pré-
paratoires et dans les assemblées primaires ^ de discuter
sur le choix des députés avec une hardiesse de langage
jusqu'alors inconnue.
Deux députés seulement avaient été admis à siéger aux
Etats-Généraux pour y représenter le bailliage de Thionville :
Mathias Brousse, curé de Volckrange, et Wolter de Neur-
bourg, seigneur de Cattenom. Comme ces deux députés
appartenaient aux deux ordres privilégiés, la ville de Thion-
ville et son bailliage voulurent avoir un troisième représen-
tant pour le tiers-état, sans préjudice du droit particulier de
la ville d'avoir un député spécial, droit dont elle avait Joui
aux Etats du duché de Luxembourg, lorsqu'elle faisait partie
de cette province.
Ces prétentions ne furent pas accueillies -, et le parti
novateur, qui, depuis quelques années déjà, soutenait l'hon-
neur du tiers contre les audaces des officiers de la garnison,
eut ainsi l'occasion de s'apercevoir que son heure n'avait
pas encore sonné.
Sur ces entrefaites, on apprit la nouvelle de la prise de la
Bastille.
voter « pour la mort de Capet et la prompte exécution du jugement » (6 janvier
1793).
1. Jacques-Barthélémy Bleuet, conseiller du roi, lieutenant général civil et
criminel au bailliage de Thion\illc, à défaut de bailli, avait convoqué l'assemblée
préliminaire pour le 10 mars (1789). J.-B. Blouet, Schweitzer, Bolly, Mathias
Klelîert, Probst, J.-B. Tailleur, furent élus par la ville de Thionville députés au
bailliage. Tous les six prirent part à l'assemblée des trois ordres, qui eut lieu le
12 mars. A part Blouet, ils concoururent à la rédaction du cahier des doléances.
Le lendemain, 13 mars, il fut procédé à l'élection des députés envojés à Metz, à
l'assemblée de réduction. Mathias Brousse, curé de \'olckrange, et François
Jacobi, curé de Kédange, furent élus pour le clergé ; Wolter de Neurbourg,
seigneur de Cattenom, et Turlure de Vellecour, commissaire ordonnateur des
guerres à Thionville, pour la noblesse ; J -B. Blouet, Nicolas Schweitzer, Le
Dure et Durbach, pour le tiers-état.
Pour de plus amples détails sur cette procédure bizarre et très compliquée,
le lecteur pourra utilement consulter l'article de M. Lesprand, sur les Cahiers
lorrains de 1189, paru dans le Jahr-Bnch dcr Gesellschaft fur lolhringische
(ifxchichte und Allerliimskitnde (Metz, 1904).
'2. Tkissiku, Op. cil., p. ;;23.
204 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Cet événement, on le sait, fut le signal de graves désor-
dres dans toute la France.
Taine, dans un des chapitres les mieux documentés de
son ouvrage sur les Origines de la France contemporaine,
souligne la simultanéité surprenante delémeute dans presque
toute l'étendue du royaume.
Thionville, quoique sur la limite extrême de ce royaume,
ne resta pas en dehors du mouvement.
Le 22 juillet 1789, les employés de la ferme générale
étaient mis en fuite, et leurs baraques démolies par la popu-
lace ; le 25, c'était le pillage de la boutique d'un boulanger ;
le 26, c'était la mise en liberté, exigée par le peuple, de trois
contrebandiers de tabac.
Affolée par ces premiers troubles qu'elle n'avait pas su
prévoir, l'Assemblée municipale résolut de faire cesser im-
médiatement la perception du pied-fourché \ et supprima,
avec les maîtrises, la chambre syndicale des marchands.
Le maire, les officiers municipaux et les notables de la
ville n'étaient pour la plupart ni des novateurs ni des déma-
gogues. Animés des sentiments les plus respectables, ils
n'avaient, surtout après cette première panique, qu'une seule
préoccupation, celle de ramener la paix dans les esprits par
une administration sage, mais ferme et dénuée de toute
équivoque.
La garde bourgeoise, formée à la hâte, le 25 juillet au
soir, fut, peu de temps après, régulièrement organisée sous le
nom de régiment municipal. Ce corps qui n'était, après tout,
qu'une sorte de résurrection des anciennes milices urbaines,
devait devenir le germe de la future garde nationale -.
1. Le pied-fourché se faisait au profit de la ville comme l'octroi actuel.
2. François Petit (1716 à 1793), maire de la ville, avocat au bailliage et pourvu
du titre de conseiller de la maison du margrave de Bade, était le cclonel-né de
ce régiment. Le comte Charles-Gabriel de Gévigny, ancien maire, en était le
commandant effectif. Le 27 septembre 1789 eut lieu en grande pompe la béné-
diction du drapeau de ce corps. Les officiers prêtèrent le serment, entre les
mains du comte de Gévigny, dans l'église même ; les bas-officiers ainsi que les
fusiliers le prêtèrent à l'issue de la messe, sur la place du marché, entre les
mains du maire, « le tout conformément au décret de l'.^ssemblée nationale du
dix aoust dernier sanctionné par le Roi. » (Arch. Th.)
WIMPFFEX ET LE SIÈGE DE THIOWILLE 205
Si d'une part, il fallait à tout prix contenir les fauteurs
de troubles, de l'autre, il importait de rassurer la partie
saine de la population qui était justement émue des bruits
qui circulaient et qui annonçaient comme prochaine la sup-
pression des maisons religieuses.
Les élus de la ville se réunirent et adressèrent une sup-
plique à l'Assemblée nationale pour demander le maintien
de ces maisons, qui rendaient aux habitants les services les
plus signalés '.
Ces mesures, et d'autres encore de moindre importance,
étaient bien faites pour calmer les appréhensions des plus
timorés. Malheureusement, cette accalmie devait être sans
lendemain, car les lois des 14 et 22 décembre 1789 sur les
nouvelles municipalités allaient réveiller des passions mal
éteintes en suscitant des compétitions sans nombre.
Des hommes nouveaux, acquis aux idées révolutionnaires,
vinrent siéger à l'hôtel de ville.
Le renouvellement de la municipalité n'était pas un fait
1. Il s'agissait des couvents des Pères Augustins et des dames du St- Esprit
(Clarisses) ainsi que de la Chartreuse de Rettel-lès-Sierck.
Les Augustins, établis à Thionville dès le XIV" siècle, tenaient un collège très
apprécié de la population. Le personnel ne comprenait que 5 pères, 2 novices et
1 frère (les PP. Bacholt, Mick, Leutin, Fleuriche et Fritche, presque tous
originaires de Thionville). On ne tint pas compte, à l'Assemblée nationale, de cette
pétition, et malgré le serment prêté sans discussion par Bacholt, Mick et Leutin,
et en dépit de toutes leurs concessions lamentables, de Mick en particulier, le
couvent des Augustins était fermé le 16 août 1791, la messe 3' était interdite et la
vie conventuelle purement et simplement supprimée.
Les religieuses du St-Esprit, ou Clarisses, donnaient l'enseignement gratuit
aux jeunes filles de la ville. Il y avait 1 abbesse et 13 religieuses. Médiocrement
Tentées, elles vivaient dans un état voisin de la gêne.
Il n'en était pas de même des Chartreux de Rettel qui employaient leurs
richesses en d'abondantes aumônes. Dans la susdite pétition, on rend particuliè-
rement hommage aux très grands services rendus par eux aux pauvres pendant
l'hiver si rigoureux de 1788-1789. Dans leurs cahiers de doléances, le clergé et la
noblesse de Thionville avaient déjà instamment demandé le maintien de cette
chartreuse (V . Archiiies parlementaires, III, p. 775 et suiv.). Dans celui du tiers-
état, où il eut dû figurer en tête, il n'en est pas fait mention. — « La Chartreuse,
disent les notables de Sierck, est à tous égards pour nous l'arche du Seigneur ;
c'est la principale ressource de plus de douze à quinze cents personnes qui
viennent tous les jours de la semaine. Cette année les moines leur ont distribué
leur propre provision de grain à 16 livres au-dessous du cours. » ^Archiv. Nat.,
D. XIX).
Dans la pétition, il n'est pas question des capucins (14 pères, 3 novices et 2
frères), sans doute parce qu'ils n'étaient pas affectés à un service public.
206 REVL'E HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
isolé. Comme partout, il marquait le début d'une longue
série de transformations qui devaient s'opérer à coups de
lois, dans tous les domaines de Tordre administratif.
De chef-lieu de subdélégation, Thionville s'était vu
transformé en chef-lieu de district. Le subdélégué, Robert
du Château ', était remplacé par un directoire et un conseil
général élus. Christophe Merlin, Trotyanne, Schweitzer et
Simminger devaient être les membres les plus influents
et les plus actifs de cette nouvelle administration.
Le très respectable bailliage royal se voyait supplanté
par un tribunal de district aidé d'une justice de paix.
Si l'institution et les charges changeaient de nom, les
magistrats restaient en place, confirmés dans leurs fonctions
par les suffrages des électeurs. Le lieutenant -général civil
et criminel au bailliage, Jacques-Barthélémy Blouet, deve-
nait président du tribunal ; Jean-Baptiste Tailleur, lieute-
nant particulier, devenait juge. Robert du Château échangeait
l'appellation d'avocat du roi contre celle de commissaire du
gouvernement. Joseph-Antoine Collas, de procureur du roi,
devenait juge de paix.
De semblables changements s'opéraient jusque dans l'or-
ganisation militaire de la bourgeoisie.
Le régiment de la ville se transformait en garde nationale.
Celle-ci se composait tout d'abord de dix compagnies, dont
huit recrutées parmi les habitants de la ville, et deux parmi
ceux de la banlieue. Deux autres furent formées peu après,
l'une par des jeunes citoyens non mariés, et l'autre par des
vétérans, qui tous s'étaient enrôlés volontairement -.
1. Jean-Mathias-Robert du Château fut subdélégue* à Thionville de l'intendant
de la généralité de Metz, de 1779 à 179<l, avocat du roi au bailliage jusqu'à
l'époque de sa suppression. Il signa le c;ïhier de doléances du tiers-état, le 9
mars 1789, et consentit à faire partie du tribunal de district, comme il a été dit
plus haut. Il semble avoir accueilli sans répugnance le nouvel état de choses. Il
fut élu lieutenant-colonel de la garde nationale, mais en juin 1791 il était rem-
placé dans ses fonctions militaires par un certain Morcl. Enfin, en août 1792, il
émigrait avec ses deux fils. (Arch. Th. et Lis/c cjén. des Emigrés).
2. La garde nationale a été formée à Thionville, en février 1790. L'ancien
maire. Petit, en était le colonel, Robert du Château, lieutenant-colonel, Girar-
din, major ; dans la liste des capitaines, nous lisons les noms de Merlin et
d'.\bel. On remarquera que le comte de Gévigny est tenu ou s'est tenu à l'écart.
WIMPFFEN ET LE SIÈGE DE THIONVILLE 207
Tous ces changements, dans l'ordre communal, admi-
nistratif, judiciaire et militaire, s'étaient opérés sans secousse
apparente, d'une façon régulière et normale. Il n'en devait
pas être de même de l'application de la constitution civile
du cierge. Les prêtres thionvillois qui avaient paru tout
d'abord s'y prêter, d'assez mauvaise grâce, il est vrai, lui
opposèrent dans la suite une force de résistance que l'exil ou
la mort devaient seuls briser '.
1. Pour apprécier la conduite des prêtres qui habitaient Thionville, il convient
de faire une distinction entre le clergé séculier et le clergé régulier. Daniel-Henri
Tinot, curé, Rolly, primissaire, Munier, second vicaire, Fendl et Médinger,
prêtres-sacristains, Pàquin, vicaire-résident à Guentrange, La Motte, ci-devant
prébende à la cathédrale de Metz, les Pères de Millj% religieux cordelier, direc-
teur des dames du St-Esprit, Bacholt, Mick, Leutin et Mer, religieux augustins,
les trois premiers professeurs au collège, et le dernier aumônier du régiment
d'Armagnac, Hermand, Félix et Honoré, religieux capucins, ce dernier aumô-
nier de l'hôpital régimentaire, ont chacun individuellement prêté le serment, sans
aucune restriction, entre les mains du maire, assisté d'officiers municipaux et de
notables, le 23 janvier 1791, à l'issue de la masse paroissiale, en présence d'un
grand nombre de fidèles. (Arch. Th.)
Soit que leur bonne foi ait été surprise, soit qu'ils aient été victimes d'une
crainte excessive, toujours est-il que Tinot et ses vicaires s'empressèrent de
rétracter leur serment. A une sommation d'avoir à le réitérer, Tinot s'y refuse
catégoriquement (20 février). Le 16 avril, il donne sa démission d'officier muni-
cipal ; le 7 mai, la cure est considérée comme vacante, mais Tinot ne s'en va
pas ; le 6 août, il est remplacé par Mick qui prend le titre d'administrateur en
attendant l'élection du nouveau titulaire de la cure (J.-C. Dumère). L'ex-curé
Tinot avait accepté l'hospitalité chez une demoiselle Latouche. Le 30 janvier
1792, l'affiche suivante fut apposée sur la maison de cette personne : « Dernier
avis aux habitants de cette maison pour choisir entre le feu et l'éloignement du
J... f... de curé aristocrate. Prenez votre parti d'ici au l^"^ février. «L'affiche fut
arrachée et le fait dénoncé à l'accusateur public. Tinot parait être resté à Thion-
ville jusqu'en mai 1792. Peu de temps après, il a été déporté sur les pontons, en
rade de Rochefort. Il est mort, :\gé de 64 ans, à bord du « Washington », et a
été inhumj à l'île Madame (Charc>nte-Inférieure) le 19 septembre 1794.
Rolly est cité comme n'ayant jamais prêté le serment (31 décembre 1792).
Munier l'avait rétracté en même temps que Tinot. Fendt le rétracta publique-
ment à l'église (28 avril 1791). Il est révoqué de ses fonctions en même temps que
Médinger, qui, semble-t-il, a dû aussi rétracter le serment, car, autrement, sa ré-
vocation ne s'expliquerait pas. Si on ajoute à ces noms celui de Pàquin, le vicaire-
résident de Guentrange, qui fut expulsé de son presbytère, manu mililari, le 9
juillet 1791, nous aurons cité tous les membres du clergé séculier.
Les religieux des couvents de Thionville avaient « juré » pour la plupart.
Leur attitude soumise contrastait étrangement avec celle des prêtres de la
paroisse, lesquels cependant, par leur vocation, étaient appelés à une moindre
perfection. L'un des leurs, le P. Mick, alla jusqu'à s'égarer au club des jacobins^
dont il fut même élu président, le 12 février 1792, par 34 voix sur 61 votants.
Il gravit le siège présidentiel aux applaudissements — ironiques sans doute — des
tribunes, ("/est ainsi que sombraient dans le mépris public les derniers repré-
sentants à Thionville de cet ordre des Augustins qu'on }' avait tant apprécié durant
cinq siècles !... (Arch. Th. : Djli'o. du Cous. (jt'u. de la commune, Délib. de la
Société populaire).
208 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Conformément au décret du 21 janvier 1791, le texte de
cette loi devait être lu, à l'église, en présence des fidèles.
Le curé refusa de le lire ; le maire de son côté, se récusa ;
c'était donc à Antoine Merlin, premier officier municipal,
qu'incombait cette mission. Il ne s'y déroba point.
Le 20 février 1791, pendant qu'à l'issue de l'office, le
curé Tinot et ses vicaires se retiraient ostensiblement de
l'église, Merlin gravissait les marches de la chaire pour y
déclamer avec emphase le « mandement » de l'Assemblée
nationale. Ce spectacle pouvait paraître étrange : il n'était
encore que le premier pas du futur conventionnel.
La situation du clergé devenait de jour en jour plus dif-
ficile. Tenaillé d'un côté par le besoin, si impérieux à cette
époque, d'éviter toute suspicion relative au patriotisme et à
l'obéissance aux lois, et de l'autre, par la nécessité de rester
dans les limites de l'orthodoxie, on s'imagine sans peine
l'embarras cruel dans lequel il se débattait. Le parti avancé
ne pouvait pas, ou plutôt ne voulait pas comprendre cette
dualité de sentiments en perpétuel conflit, et c'est pourquoi
il mit tout en œuvre pour obliger les prêtres à se prononcer.
L'arrivée prochaine de l'évêque constitutionnel devait le
servir à souhait.
L'ex-curé de Koenigsmacker n'avait ni la pourpre ni le
grand nom de celui auquel, de bonne foi peut-être, il croyait
succéder. Il était 1' « intrus » pour la très grande majorité
des prêtres de l'ancien diocèse de Metz, restés fidèles au
cardinal duc de Montmorency-Laval.
Cette situation humiliante était-elle connue, ou plutôt
avait-elle été devinée par les corps élus de Thionville ? On
serait tenté de le croire, si l'on s'en rapporte aux comptes-
rendus très suggestifs que nous ont gardés les registres de la
municipalité sur la première visite de l'évêque du départe-
ment à Thionville.
Il fut reçu avec des honneurs exceptionnels. Les repré-
tants de la cité allèrent au-devant de lui, en grand costume,
jusqu'au dehors de la porte de Metz. Il fut harangué en
WIMPFFEN ET LE SIÈGE DE THIONVIl.LE 209
bonne et due forme, escorté d'une double haie de gardes
nationaux, et conduit processionnellement à l'église, où il
donna sa bénédiction.
On comprend sans peine que la tête de l'évêque n'ait pu
résister aux assauts répétés d'aussi chaudes démonstrations.
Toutefois, il y avait une ombre au tableau. Les cloches
étaient restées silencieuses, et le curé Tinot avec ses vicaires
avaient brillé par leur absence.
Cette attitude devait être bientôt le point de départ d'une
recrudescence de haines et de violences de la part des élus
de la cité à l'égard du clergé réfractaire ^
Pendant que tous ces faits passionnaient l'opinion pu-
blique à Thionville, le marquis de Bouille méditait l'évasion
du roi et s'enquérait de l'esprit des populations pour assurer
un refuge à la famille royale.
Metz était « une ville trop grande, trop mal peuplée, et
d'un trop mauvais esprit » - pour que la famille royale y
pût être en sûreté. Il la jugeait d'ailleurs « trop éloignée
de la frontière » ^ Pourquoi n'a-t-il pas proposé la place de
Thionville ? Elle ne présentait pas les mêmes inconvénients,
elle était de beaucoup plus petite que celle de Metz, elle
passait pour imprenable, et puis elle n'était qu'à deux pas
de Luxembourg, l'une des citadelles de l'Empire.
Bouille ne pouvait douter des sentiments du commandant
supérieur de Thionville — ce fameux baron de Klinglin *,
qui devait être l'un de ses plus fidèles lieutenants lors de la
formation du camp de Montmédy — ni même de ceux de la
garnison, puisque le Nassau-Infanterie et le Dauphin-Dra-
1 . L'évêque Francin est venu deux fois à Thionville. En tournée pastorale
d'abord, le 15 avril 1791, et ensuite le 5 mai suivant, à l'occasion du service célé-
bré à la mémoire de Mirabeau. Il est question plus haut de sa première visite. La
seconde dont il « honora » les partisans du nouveau régime ne fut guère plus
heureuse. Tinot s'abstint encore de paraître, et avec lui non pas ses prêtres
seulement, mais encore ses séminaristes (Schousten, Grandmange et Klébert). On
les assigna tous devant le tribunal civil. (Arch. Th.)
2 et 3. Ces paroles sont rapportées dans une lettre de Marie-Antoinette au
comte de Morcy, du 3 février 1791 (Feiillet di; Conçues, Louis XVI, Marie-An-
toinette et Madame Elisabeth, Lettres et documents inédits, 1, p. 446).
4. Il en sera question plus loin.
liLV. I11^T. Itt. LA liliVOl,. 3
210 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
gons qui tenaient garnison * à Thionville, avaient été choisis,
à cause de leur persévérante fidélité à la monarchie, pour
protéger le roi dans son évasion et lui servir d'escorte. Le
seul obstacle qui subsistait ne pouvait être autre que la popu-
lation civile, cette population de plus en plus indépendante et
frondeuse, dont l'intuition et l'imminence du danger exal-
taient chaque jour davantage le patriotisme.
Bouille ne s'était pas trompé. Dès que la municipalité
thionvilloise eût appris la fuite du roi, elle dépêcha aussitôt
200 gardes nationaux et 50 dragons, pourvus de munitions,
pour se porter sur Varennes par la traverse et concourir à
l'arrestation des fugitifs.
Le lendemain, 23 juin 1791, la procession traditionnelle
de la Fête-Dieu se déroulait paisiblement à travers les rues,
quand un officier du 1" hussards vint se présenter à l'une
des portes de la ville qui toutes trois étaient fermées. Cet
officier s'étant refusé à montrer ses dépêches fut aussitôt
désarmé et conduit en prison avec son ordonnance.
L'une des lettres qu'il portait était à l'adresse de Bouille
à Montmédy. Elle était datée de Sarrelouis et signée du
maréchal de camp Heyraann. Cet officier général annonçait
le passage de 240 hussards de Bercheny qu'il assurait avoir
trouvés bien disposés pour le lendemain, et celui du régi-
ment de Saxe à la tête duquel il devait marcher lui-même
1. La garnison de Thionville a été souvent renouvelée ou modifiée depuis
1789 jusqu'au début du siège. Les régiments de Brie et de Bretagne étaient partis
en 1789, laissant un excellent souvenir. Une députation de la municipalité avait
vainement sollicité à Paris leur retour. {Arch. Th., 9 mars 1790).
Le régiment Nassau- Infanterie, dont il est question plus haut, avait même été
dénoncé comme suspect à l'Assemblée constituante par les « citoyens-soldats » de
la garde nationale de Thionville. Les chefs de ce corps (Petit, colonel, et Morel,
lieutenant-colonel) se sont empressés de désavouer leurs hommes, et d'affirmer
que ce régiment, au contraire, s'était jusqu'alors montré l'ami de la constitution
{Journal des départements de la Moselle, Meurthe... du 7 juillet 1791). Les événe-
ments de Varennes devaient jusqu'à un certain point confirmer l'appréciation des
premiers. « Lorsque le traître Bouille fit marcher le Nassau-Infanterie de Thion-
ville à Montmédy, pour y favoriser la fuite du perfide Louis, j'avais été envoyé
en avant, à Sedan, où le régiment devait arriver en garnison. » (Kriey aux véri-
tables républicains. Factum in-iS", .^0 pp.). Krieg, alors sous-lieutenant au Nassau-
Infanterie, devait revenir à Thionville et jouer un rôle très actif pendant le
siège, à propos duquel nous aurons occasion de reparler de lui.
WIMPFFEN ET LE SIÈGE DE THIONVILLC 211
le surlendemain pour se rendre en toute hâte à Mont-
médy '.
Le soir, vers 5 heures, ce fut Turlure de Vellecour - qui
demandait à entrer ou plutôt à rentrer dans la place.
L'absence du commissaire-ordonnateur des guerres de la
place de Thionville n'avait pas dû passer inaperçue. Son
retour fit sensation.
Malgré son titre et ses qualités, il fut conduit devant les
corps élus pour être interrogé sur le motif de son voyage. Il
avoua revenir de Montmédy où il s'était i encontre avec
Bouille et Klinglin. Il fut arrêté séance tenante et reconduit
dans sa maison qui fut gardée militairement. Puis, dans la
crainte de violences de la part de la population, il fut transféré
à la prison militaire.
La municipalité, justement émue de toutes ces défec-
tions, comprit qu'il fallait prendre de suite les mesures les
plus énergiques pour mettre la place à l'abri d'un coup de
main.
Les postes de garde nationale furent immédiatement ren-
1. Arch. Thionu., Rég. délih., 23 juin 1791. — Après l'affaire de Varennes,
Heymann émigra avec Bouille et Klinglin, et accepta le grade de général-major
dans l'armée prussienne. Bouille parle, dans ses mémoires, du fait dont il est
question plus haut. « J'envoyai le général Heymann chercher deux régiments de
hussards cantonnés sur la Sarre, dit-il, dans la crainte que le mouvement que
je prévoyais devoir être excité par la fuite du roi, parmi les troupes des diffé-
rentes garnisons, et parmi le peuple, ne l'cmpéchàt de gagner Monlmédj'. Je
lui enjoignis de prendre une route de traverse que je lui indiquai, par laquelle
il éviterait Metz, Thionville et Longwy, qu'il eût fallu traverser en suivant la
route ordinaire. » (Marquis de Boltllé, Mémoires ; Londres, 1797 ; II, 62, 63).
Pourquoi Heymann u'avait-il pas indiqué le même itinéraire à son officier d'or-
donnance qui est venu sottement se laisser prendre à Thionville comme dans
une souricière ?
2. François Turlure de Vellecour, seigneur de Blettange, commissaire-ordon-
nateur des guerres à Thionville, a été député de la noblesse à l'assemblée pro-
vinciale pour le district de Thionville, de 1787 à 1789. Les commissaires de
l'Assemblée nationale, venus à Thionville le 4 juillet 1791, ordonnèrent son
transfert à la prison de Metz. Son incarcération n'a pas dû être de longue durée,
car il est inscrit pour avoir émigré le 13 octobre 1793. Il est donc vraisemblable
qu'il avait quitté la France avant cette date. Le nom de T. de Vellecour réap-
paraît en mai 1814, à propos d'une députation thionvilloise envoyée à Paris pour
complimenter Louis XVIII « le Désiré ». (Archiu. Thionv.)
Aussitôt après l'arrestation de T. de Vellecour, la municipalité fit procédera
l'inventaire des papiers de l'cx-commandant supérieur, baron de Klinglin. Une
semblable perquisition fut faite au domicile de l'ingénieur de place Chauvelau
qui avait également pris la fuite.
212 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
forcés. La Moselle fut particulièrement surveillée, surtout
dans ses endroits guéables. Tous les bateaux furent sub-
mergés depuis Metz jusqu'à Sierck. Le commandant supé-
rieur de la place, le baron de Klinglin ', étant considéré
comme émigré, la municipalité le remplaça par le lieute-
nant-colonel de Guibert, du 7*" dragons. Il fut proclamé
comme tel à une parade commune de la garde nationale et
des troupes de ligne, le 25 juin 1791 - .
Chateaubriand et les émigrés croyaient sincèrement à
l'existence d'un parti royaliste à Thionville.
Si ce parti a pu exister, après le départ de Klinglin et
l'arrestatian de Turlure de Vellecour, il ne pouvait plus en
être question.
On identifiait alors la noblesse avec les tenants de la
monarchie. Or, à part quelques très rares exceptions ■', tous
les nobles qui habitaient Thionville n'étaient autres que des
fonctionnaires et surtout des officiers de la garnison. La
plupart de ces officiers avaient prêté le serment à la consti-
tution de 1791 '*. Pouvaient-ils avoir quelque hésitation
quand ceux qui étaient venus pour le leur faire prêter s'appe-
1. Klinglin entra au service de l'Autriche.
2. Guibert ne fut commandant supérieur que par intérim, du 25 juin au 17
juillet. Il fut remplacé par le m^' de camp de Plantade, nommé par de Belmont,
commandant en chef du département. Celui-ci fut lui-même remplacé par le m"'
de camp de Paignat, un vieux brave qui sortait de la gendarmerie, et qui,
effraj'é du commandement lourd et précaire de la place de Thionville, demanda
et obtint d'être relevé de son commandement. Il fut remplacé par le m*' de
camp Rivé, dont le séjour à Thionville fut, lui aussi, des plus éphémères. C'est
lui qui fut le prédécesseur immédiat de Wimpffen.
3. Les nobles originaires de Thionville qui émigrèrent furent Gabriel- Fran-
çois Boudet de Puymaigre, qui combattit dans l'armée de Condé avec le grade
de lieutenant-général ; son fils Jean-François-Alexandre B. de Pu^'maigre, qui
fit partie de la même armée et laissa des souvenirs intéressants sur l'émigration;
le comte de Jaubert, le baron de Boek, La liste générale des émigrés cite
environ 50 habitants de Thionville, ayant quitté le sol national de juin 1792 à
juin 1793.
4. Cette prestation du serment eut lieu le 3 juillet 1791, au (^hamp de Mars.
En dehors de l'état-major de la place et des corps royaux du génie et de l'ar-
tillerie, la garnison était alors composée d'un détachement du hb" de ligne
(ex-Condé) ; du 2« bataillon du 2" de ligne (ex-Picardie) ; d'un détachement du
99^ de ligne (ex-Deux-Ponts) et du 7^ dragons (ex-Dauphins).
Parmi ceux qui avaient refusé de prêter le serment se trouve un certain M.
de Nangeville « cy-devant lieutenant du roy et commandant dans la ditte place. »
II s'était retiré à Metz le 26 juin.
WIMPFFEN ET LE SIÈGE DE THIONVILLE 213
laient le marquis de Montesquieu et le comte d'Hunolstein?
Plusieurs d'entre eux se sont sincèrement ralliés au nouvel
ordre de choses, il en est même qui, soit pour dissiper toute
méfiance de la part des hommes du jour, soit pour s'attirer
leurs faveurs, allèrent jusqu'à s'inscrire au club, qui le 20
juillet 1791 s'était affilié à la Société des Jacobins de Paris.
Aux côtés d'Antoine Merlin, qui en avait été élu prési-
dent le 17 juillet, on voyait s'asseoir le lieutenant-colonel de
Guibert en qualité de vice-président. Parmi les membres, on
pouvait rencontrer un de Valcourt, un de Brécourt, un de
Gasparin * et d'autres noms encore figurant sur l'armoriai.
Le parti de l'émigration pouvait-il compter sur tous ces
nobles qui pactisaient avec les patriotes et les démagogues ?
Evidemment non. Malheureusement pour lui, il ne connais-
sait pas la situation, et cela seul explique son attitude molle,
faible et indécise, pendant toute la durée du siège auquel il
allait être appelé à prendre part.
Une bourgeoisie nombreuse, ambitieuse et envahissante
s'était subsituée, à Thionville, à la classe de la noblesse.
Cette bourgeoisie avait tout d'abord applaudi des deux
mains aux grandes réformes réalisées par l'Assemblée sou-
veraine, mais ses initiatives de plus en plus hardies devaient
peu à peu calmer ce premier enthousiasme.
Parmi ces bourgeois, il y avait les avancés et les mo-
dérés. Ceux-ci préféraient à des espérances problématiques
une situation acquise, assurée et de tout repos. Ceux-là
subissaient avec une remarquable docilité l'influence nou-
velle. Si cetle docilité était souvent la résultante d'une réelle
et sincère évolution, elle n'allait pas cependant jusqu'à
exclure toujours le calcul et l'intérêt.
Pour n'en citer qu'un exemple, il suffit d'évoquer le
souvenir de Merlin, le père du futur conventionnel.
1. Thomas- Augustin de (iasparin, capitaine au 'i*" régiment d'infanterie, fut
admis au club le 15 août 1791. Il quitta Thionville le 30 septembre pour aller
représenter le département des Bouches-du-Rhône à l'Assemblée législative.
Elu à la (Convention, il fit partie du fameux Comité de salut i)ublic. Il mourut à
Orange, le 11 novembre 179,'5, pendant sa mission à l'armée de Toulon.
214 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Il appartenait à une famille bourgeoise par excellence,
établie à Thionville dès avant la conquête française en 1643.
Il avait été procureur du roi au bailliage ^ et avait repré-
senté comme notable, à l'assemblée municipale antérieure
à 1790, la communauté des procureurs et notaires.
Au début de 1792, Merlin s'était rendu à Metz, devenu
le chef-lieu du nouveau département de la Moselle, pour
prendre part à l'élection - de son fils connu dans l'histoire
sous le nom resté célèbre de « Merlin de Thionville ».
Cette élection fut un triomphe. « Te voilà immortel
dans toute la France, lui écrit son père dans un transport
d'orgueil, il ne faut pas reculer. Si la Convention se lève,
nous serons heureux ; si nous avons le dessous, nous sommes
perdus ! » ^
Ce parti bourgeois, composé des Merlin, des Rolly, des
Hentz, etc., dominait un peu partout. Avant la révolution,
il avait su accaparer les honneurs de l'hôtel de ville et les
charges du bailliage ; depuis 1789, il avait su se maintenir
aussi bien à la mairie qu'au tribunal. En fait, il était le
maître de la situation et semblait devoir le rester longtemps
encore.
Sans doute quelques meneurs s'agitaient dans l'ombre,
impatients de jouer un rôle, au lendemain d'une révolution
qui était loin d'avoir satisfait tous leurs désirs. La salle du
club * retentissait des échos de leurs harangues enflammées,
mais ces impatiences devaient être contenues, sinon répri-
mées, par l'élément modérateur du club, les hommes de loi,
les fonctionnaires et les officiers, qui s'étaient égarés dans
cette assemblée disparate qui portait depuis peu le nom
très anodin de « Société des amis de la Constitution ».
1. Avant J.-A. Collas, dernier titulaire de cette charge.
2. Il s'agit ici de son élection à la Convention, en septembre 1792.
3. Jean Reynaud, Vie et correspondance de Merlin de Thionirille, II, p. 298.
4. Le Club de Thionville fut créé en juillet 1791. Il a porté tour à tour les
noms de « (!lub patriotique « affilié à la Société des .lacobins de Paris, de « So-
ciété des amis de la (Constitution » et de <f Société populaire ». Il fut présidé par
trois futurs conventionnels : Merlin, Thirion et Bar. Un autre, Hentz, en était
membre. Les séances eurent lieu d'abord dans la salle de l'ancien bailliage,
puis dans « le temple des ci-devant capucins ». Le club comptait 90 membres.
WIMPFFEN ET LE SIÈGE DE THIONVILLE 215
Les questions les plus étranges, voire même les plus
burlesques, y étaient traitées avec un sérieux imperturbable.
Un membre demandait un jour si l'absolution d'un
prêtre non assermenté était bonne. « Il n'y a que la foi qui
sauve », lui fut-il répondu. Cette brève réponse fut jugée in-
suffisante, sans aucun doute, car plusieurs membres décidè-
rent d'envoyer une adresse à l'Assemblée nationale pour que
les prêtres assermentés portassent une ceinture... tricolore!
Une autre fois, un membre demandait que dans l'envoi
d'une lettre les mots « agioteurs, infâmes » fussent substitués
à celui de « juifs ». La société y accéda volontiers. C'était
pour elle peut-être moins une question de convenance qu'une
preuve de son respect à l'égard de toutes les lois, voire même
à l'égard de celle qui venait si généreusement d'octroyer
l'égalité civile aux juifs K
Les séances se déroulaient de plus en plus dans la dis-
cussion de ces futilités, dans une atmosphère de lassitude
et de désespérante monotonie. Les rangs des clubistes
s'éclaircirent peu à peu. Le 17 juillet 1792, le « déficit » des
membres ne permit pas au président d'ouvrir la séance.
Le 23 juillet, le « refroidissement » de ces mêmes membres
aboutit au même échec. La perspective d'un siège prochain
devait servir de prétexte aux quelques têtes chaudes de Thion-
ville pour interrompre les séances et pallier les mauvais effets
d'une lamentable défaite.
Si la plupart des Thionvillois étaient indépendants et
frondeurs, altérés de libertés et de justice, ils n'étaient ni
exaltés, ni fanatiques. Les agitateurs étaient le petit nombre,
et ils terrorisaient plus qu'ils ne convertissaient les employés
1. Les bourgeois de Thionville étaient plutôt antisémistes. Nous en trouvons
la preuve dans le «Cahier des doléances du tiers-état du bailliage de Thionville».
L'article XXVIllf, en eflet, est ainsi conçu : « D'après les lois du duché de Luxem-
bourg, dont l'usage a été conserve à Thionville, les juifs sont exclus de la province.
Un seul ménage avait été, par tolérance, établi à Thionville. On a surpris de la
religion de votre Majesté l'établissement d'un second ménage en cette ville, de
cette nation. Les officiers municipaux ont protesté contre cet établissement, et en
suppliant Sa Majesté de maintenir la ville dans ses franchises et privilèges, elle
ose demander qu'il n'y ait qu'un ménage de la nation juive à Thionville, et que
la permission accordée à Mayer LéTy de s'y établir soit révoquée. »
216 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
modestes et les ouvriers besogneux qui formaient à Thion-
ville le véritable tiers-état K
C'est au beau milieu de cette effervescence populaire
qu'arriva à Thionville — le 18 mai 1792 — le nouveau
commandant supérieur de la place.
Louis-Félix de Wimpffen -, quoique jeune encore, avait
déjà fourni une très brillante carrière militaire.
Né à Minfeld, dans l'ancien duché des Deux-Ponts, de
Jean-Georges de Wimpffen, chambellan du roi Stanislas, et
de Dorothée, baronne de Fouquerolles, Félix, comme ses
six frères, embrassa la carrière des armes. Dès l'âge de douze
ans, il entra dans le régiment que le duc Maximilien de
Deux-Ponts avait levé au service de la France. Son avan-
cement fut rapide pour l'époque : lieutenant en 1759, capi-
taine en 1766 au régiment de la Marck, lieutenant-colonel
et chevalier de Saint-Louis en 1770, il obtint avec le grade
de colonel en 1776 le commandement du régiment Bouillon-
Infanterie. Entre temps, il avait pris part à la guerre de
Sept ans, à la campagne de Corse, aux sièges de Mahon et
de Gibraltar. Il accompagna Rochambeau et Lafayette en
Amérique en qualité de brigadier des armées du roi, et fut
enfin promu maréchal de camp, le 9 mars 1788. Pourvu
d'une pension de mille écus, Félix de Wimpffen s'était
retiré dans une terre qu'il possédait en Normandie. Sa
retraite ne fut que de courte durée, car la noblesse du
bailliage de Caen l'envoya peu après aux Etats-Généraux.
Aristocrate de naissance, royaliste par sentiment, par
devoir, par reconnaissance, la monarchie devait espérer le
compter parmi ses défenseurs... Cette attente de la part de
ceux qui l'avaient élu ne fut pas entièrement réalisée. Il
s'avança dans la voie des innovations au-delà des espérances
1. Le 22 juillet 1791, un nommé Pichenet, journalier, était dénoncé à l'accu-
sateur public, pour avoir menacé d'aller, avec 500 autres citoyens de la ville,
mettre le feu au château de Lagrange. Ce chifi're est évidemment exagéré, et ne '
peut pas servir de base à une évaluation sérieuse des forces de cette populace.
2. Les armes de la famille de Wimplién étaient : de gueules à un bélier d'ar-
gent grimpant sur trois monticules, le bélier tenant dans ses pattes de devant
une croix d'argent.
WIMPFFEN ET LE SIÈGE DE THIONVILLE 217
OU des opinions de la majorité dont il avait reçu le mandat.
Le général de Wimpfifen avait fait la guerre d'Amérique ;
il retrouva sur les bancs de l'Assemblée beaucoup de ses
compagnons d'armes. Partis de F'rance roj^alistes, beaucoup
alors étaient revenus sinon républicains, du moins influencés
par les idées et l'enthousiasme du Nouveau-Monde '.
Faut-il s'étonner qu'il ait entraîné la minorité de son
ordre à se réunir au tiers-état et qu'il ait rédigé lui-même
l'adresse remise au roi par cette même minorité ?
Son influence était alors très grande, sinon retentissante,
à l'Assemblée nationale, mais elle devait être de courte
durée.
Justement inquiet de la tournure que prenaient les évé-
nements, WimpflFen se rapprocha de ses anciens amis, et l'As-
semblée ne fut pas peu surprise de le voir prendre publi-
quement la défense de Bouille et s'associer aux 298 signa-
taires de la protestation du 29 juin 1791 en faveur du prin-
cipe monarchique et des droits de la royauté.
Le 30 septembre 1791, l'Assemblée constituante déclarait
sa mission terminée et se séparait, après avoir décidé que ses
membres ne pourraient être réélus à l'Assemblée nouvelle. Dès
lors, le rôle parlementaire joué par Wimpfl'en était définiti-
vement terminé. A nouveau il se retira dans ses domaines de
Normandie où la confiance du gouvernement girondin devait
venir le trouver, quelques mois plus tard, pour lui confier
l'important commandement de Thionville.
Dubois-Crancé, qui connaissait Wimpffen de très près,
fait de lui un portrait rien moins que flatteur. <( Sous la
bonhomie d'un Allemand, dit-il, cachant toute la forme d'un
Gascon, Wimpfl'en n'a jamais eu que son intérêt personnel
en vue. Il n'était ni aristocrate ni patriote... Elevé au régime
allemand, dans l'état militaire qu'il connaissait bien, son
cœur penchait secrètement pour le despotisme, et il avait
1. Pezet, Bayeux à la fin du XYIII" siècle. (Ment. Soc. agr., sciences, arts et
btlles-leltres de Bai/eu.r, V, 1859, p. 107 et suivj
218 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
pour les choses qui ne lui étaient pas personnelles, cette
insouciance des esclaves. » ^
La place qui était confiée à Wimpffen passait pour l'une
des meilleures de la frontière française -.
Ses fortifications se composaient de 11 bastions couverts
par quelques travaux avancés. Un grand ouvrage à cornes
défendait la porte qui s'ouvre sur la route de Luxembourg.
Un solide rempart se développait le long de la rive gauche
de la Moselle. La rive droite, reliée à l'autre bord par l'ar-
chaïque pont couvert, était protégée par une couronne et
par un fort qui commandait les routes de Sarrelouis et de
Trêves.
En 1792, cette place risquait beaucoup de ne plus jus-
tifier la réputation que lui avaient value et les assauts du
passé et les travaux relativement récents de Vauban et de
Cormontaigne. « Elle n'état pas en état de défense », écrit le
légitimiste Teissier ^ , mais bien vite, il s'empresse d'ajouter,
et cela pour excuser l'inertie de l'ancien régime, que c'était
« l'effet de la sécurité qu'inspire une longue paix ».
Bouille, qui connaissait toutes les places de la frontière,
avoue qu'elles étaient dans le plus mauvais état. « Toute-
fois, dit-il '*, elles étaient bien approvisionnées en subsis-
tances de tout genre, bien fournies en artillerie et en muni-
tions de guerre. » Cela même n'était pas vrai pour ce qui
concerne la place de Tliionville. Au dire de Wimpffen \
lorsqu'il y arriva, elle était dénuée de tout. Elle n'avait ni
vivres, ni hôpital de siège, ni agents, pas même de commis-
1. Jung, Dubois-Crancé, I, 96. — Edmond Biré, et avant lui plusieurs com-
pilateurs, ont prétendu que F. de Wimpffen avait laissé des mémoires. Les
« Mémoires du général baron de Wimpffen écrits par lui-même » (Paris, Didot),
sont d'un frère de- notre héros.
2. " La place de Thionville est des plus fortes. » (Las-Cases, Mémorial de Sainte-
Hélène, V); « ... place régulièrement fortifiée et l'une des plus fortes de la fron-
tière » (Marcillac. Souvenirs de l'émigration ; Paris, 1825 ; p. 52). « L'une des
meilleures et des plus fortes places de France » (Reuss à Spielmann, dans Vivenot,
Die Politik des oesterr. Vice-Staatskanzlers ; Wien, 1874 ; I, 207).
3. Teissier, Op. cit., p. 462.
4. Bouille, Mémoires, II, p. 291.
5. Lettre de Wimpffen aux citovens ministres, 10 décembre, l'an I de la Répu-
bique. (Arch. nat.. A F II, 281)."
WIMPFFEN ET LE SIÈGE DE THIONVILLE 219
saire des guerres *. Elle ne comptait que 84 artilleurs pour
136 bouches à feu, et pas une seule pièce de 4 pour la
défense des avancées. Le 18 juillet 1791, il manquait encore
10.000 palissades pour achever le tour de l'enceinte exté-
rieure ^. Le 23 juillet 1792, il n'y avait que 5000 fusils dans
l'arsenal •^ Les casernes étaient insuffisantes pour contenir
la garnison. Elles devaient l'être encore bien plus par la suite,
puisqu'une partie des troupes dut s'abriter dans les cou-
vents désaffectés, ou camper sur les glacis ''.
Depuis 1789, cette garnison avait été fréquemment mo-
difiée. En voici la composition au 3 septembre 1792 ' :
103^ régiment d'infanterie (ex-gardes françaises), colonel
Mautpertuis ; les dépôts des
2" rég. d'inf. (ex-Picardie), lient. -colonel Bourcier ;
6^ — (ex-Armagnac), lient. -colonel Bertaux ;
58' — (ex-Rouergue), capitaine-com. Colombe ;
13' dragons (ex-Monsieur) ;
12" chasseurs (ex-Champagne) ;
un bataillon de grenadiers et 5 bataillons de volontaires
le P"" de la Creuse, lieutenant-colonel Nallèche ;
l^"" des Ardennes, id. Moreaux ;
S"" de la Moselle, id. Duprat ;
4^ de la Meurthe, id. Poincaré '' ;
1. On a vu plus haut que le dernier commissaire-ordonnateur des guerres,
Turlure de \'elIecour, avait été arrêté, puis incarcéré, en juin 1791, pour avoir
connivé avec Bouille et Klinglin, lors de la fuite du roi.
2. et 3. Arch. dép. Metz, L. 29. 3.
4. Le 21 septembre 1791, la municipalité cherchait un emplacement pour
loger le 2"= bat.de la Meurthe (Arch. Th.). Le 4<= iiat. du même département
campa sur les glacis lors du siège. (Général Pouget, Souvenirs de guerre, p.
13)._
.). .4rc/i. Guerre. Armée du Centre. Etats de situation des places du 3 septem-
bre 1792. « Le 103e est un régiment enragé, écrit Esterhazj- à Spielmann, son
arrivée à rendue douteuses la position du commandant et l'espérance du succès. »
(VivEXOT, Quellen, II).
6. Amé- François Poincaré, capitaine-réformé aux ci-devant chasseurs à che-
val des Vosges. Commandant en chef de la garde nationale de Nancy, le 6 juin
1790, premier lieutenant-colonel du 4' bataillon de la Meurthe, le 18 août 1791.
L'ne proposition davancement pour le grade de général de brigade (datée du
bivouac devant Mayence, le 18 frimaire an III) porte qu'il avait 48 ans de ser-
vice. D'un civisme très connu, sa complexion était usée par les campagnes de
220 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
2^ de Seine-et-Marne, lieutenant-colonel Lequoy * ;
2 compagnies d'artillerie. En tout : 5400 hommes.
Parmi les officiers de cette garnison, il s'en trouve plu-
sieurs qui devaient acquérir par la suite une réputation
militaire justement méritée.
Il convient de citer, en première ligne, le futur pacifica-
teur de la Vendée.
Lazare Hoche était alors lieutenant au 2^ bataillon du
58^ (ex-Rouergue). Il reçut le baptême du feu sous les rem-
parts de Thionville, et accomplit durant le siège, dit son
biographe, «des prodiges de valeur - ».
Après lui, il faut citer le lieutenant-colonel René Mo-
reaux, du 1" des Ardennes, l'adjudant-major Semelle, du
S'' de la Moselle, le lieutenant-colonel Krieg, chef des com-
pagnies franches, et le lieutenant Pouget, du 4^ de la
Meurthe.
René Moreaux ^ comme Hoche, devait mourir jeune,
à l'apogée d'une carrière aussi rapide sinon aussi brillante.
Semelle * et Pouget ^ allaient prendre part, sous peu, à la
merveilleuse épopée napoléonienne où leur bravoure leur
mérita, avec le grade de général, la noblesse d'empire.
la guerre de Sept ans et de la Révolution. Il démissionna le 2 mai 1795. C'est
sans doute à titre de dojen d'âge des lieut.- colonels de volontaires qu'il signa
les réponses aux sommations dont il sera question plus loin.
î. Lequoy devint général de division le 30 juillet 1793, fut suspendu le 23
brumaire an III.
2. RorssELiN, Vie de Lazare Hoche (Paris, an VIII), pp. .30, 31. — Hoche
revint à Thionville, deux ans plus tard, avec le grade de général en chef, pour
y épouser Adélaïde Dechaux, l'une des filles du garde-magasin des vivres de la
place. Voir sur cette question : Teissier, Op. cit., pp. 470-473; Lorédan Larche^-,
La Lorraine illustrée, pp. 132 et suivantes.
3. René Moreaux, qu'il ne faut pas confondre avec le vainqueur de Hohen-
linden, naquit à Rocroi en 1758. Général en chef de l'armée de la Moselle, il
faisait le siège de Luxembourg (1795) quand il tomba malade. Transporté à
Thionville, il y mourut quelques jours après.
4. Semelle, né à Metz en 1773, mort à Urville en 1839. Baron de l'Empire
en 1808, général de division en 1811, continua de servir sous la Restauration et
fut élu député de la Moselle.
5. Pouget, né à Haroué en 1767, général de brigade et baron de l'Empire en
1809, mort en 1851. Il a laissé des « Souvenirs de guerre » publiés en 1894 par
sa fille, M"<' de Boisdefl're. Il y consacre quelques pages intéressantes au siège
de Thionville.
WIMPFFEX ET LE SIÈGE DE THIONVILLE 221
Kiieg ^ seul devait voir sa carrière prématurément brisée
et mourir dans une obscure disgrâce que son passé n'avait
pas fait prévoir.
L'état-major de la place était composé d'un commandant
supérieur, le maréchal de camp Félix de Wimpffen ; d'un
commandant de place, le lieut. -colonel Duprat père, com-
mandant le 3^ bataillon de la Moselle, nommé par Wimpf-
fen ; de 3 adjudants de place. L'officier municipal Dumère
remplissait les fonctions de commissaire-ordonnateur des
guerres. Le colonel de St-Hillier commandait le génie de la
place. L'artillerie était sous les ordres du lieutenant-colonel
de Percy.
Malgré sa bravoure et la valeur professionnelle de ses
chefs, la garnison de Thionville était incapable de surveiller
efficacement le périmètre très considérable de la forteresse.
En admettant même qu'elle le fût, pouvait-on compter sur
tous ces volontaires fraîchement incorporés qui formaient
la partie la plus imposante de l'effectif ?
D'innombrables compilateurs ont fait de cette campagne
— la guerre en sabots ! — - un poëme épique dont les volon-
taires furent les héros.
L'histoire, aujourd'hui plus sévère, a rectifié cette opi-
nion et rétabli la vérité. L'honneur d'avoir résisté à l'inva-
sion revient presque exclusivement aux troupes de ligne, et
non pas à ces « citoyens-soldats » dont l'indiscipline, la
méfiance vis-à-vis des chefs et l'inexpérience du métier ont
trop souvent abouti à des manifestations déplorables.
Appelé à défendre une place sans défense, trop étendue,
avec une garnison numériquement insuffisante, et au milieu
d'une population divisée, que les troubles de l'intérieur et
l'approche de l'ennemi avaient surexcitée et rendue défiante.
1. Krieg, né à Lahr-en-Brisgau, en 1739, mort à Bar-sur-Ornain en 1803. Il
fut nommé au commandement provisoire de la place de Thionville par le
général en chef Houchard, le 12 juin 1793. Peu après, il devint général de divi-
sion. Il fut réformé le 25 fructidor an V. Il a publié pour se justifier une petite
plaquette intitulée : « Krieg aux véritables républicains ». On y trouve quelques
détails très précis sur le siège, et notamment sur le rôle joué par Wimpffen.
222 REVUE HISTORIQUE DE LA. RéVOLUTION FRANÇAISE
le maréchal de camp Félix de Wimpffen recevait une tâche,
il faut l'avouer, des plus difficiles et des plus ingrates.
Le lieutenant-colonel Galbaud, nommé au commandement
supérieur de Verdun, demanda, après quelques semaines de
présence dans celte place — délabrée elle aussi — , à être
relevé de son commandement, préférant s'enrôler comme
simple soldat dans un bataillon de volontaires, disait-il à
La Fayette, plutôt que de se déshonorer par une capitula-
tion inévitable.
WimpfiFen, lui, préféra rester à Thionville.
Etait-ce pour livrer la place aux émigrés, ou pour la
défendre désespérément ? Telle est la question à laquelle
nous essaierons de répondre.
Paul Heckmann.
(A suivre)
L^ENSEIGNEMENT A NICE
sous LE CONSULAT
DE L'ECOLE CENTRALE AU LYCEE
(13 BRUMAIUE AN XI GEKMINAL AN Xlll)
Dans l'étude si vivante et si substantielle que le regretté
érudit niçois, Victor Emanuel, a consacrée à l'Instruction
Publique à Nice, de 1580 à 1830 * , quelques points ont
lalalement été laissés dans l'ombre.
C'est ainsi que quelques lignes à peine font allusion aux
curieuses tentatives faites par l'édilité niçoise pour suppléer
au manque d'établissements d'enseignement secondaire, dans
le chef-lieu de l'ancien comté, pendant la période, où, l'Ecole
Centrale ' ayant été supprimée par l'autorité supérieure,
aucune organisation scolaire constituée ne subsista plus
jusqu'au jour où le Lycée de Nice ouvrit ses portes à la
jeunesse studieuse du pays.
C'est cette lacune que nous nous proposons de combler
à l'aide des registres de délibérations municipales insuf-
fisamment dépouillés par notre estimé confrère ^ .
1. Victor Emanvki,, Notes sur l'Instruction Publique A Nice. Le régime Sarde.
La Résolution. L'Empire. La Restauration. 1580-ÎS'MJ (}iïce, 1902).
2. Pour l'Ecole Centrale des Alpes-Maritimes voir la brochure sus-indiquée
et nos ouvrages : La RéDolution à Nice (Paris, 1912) et La Révolution dans les
Alpes-Maritimes et la principauté de Monaco (sous presse).
;S. Les documents ayant trait à cette étude proviennent des Archives Munici-
pales de Nice : Délibérations : XIII et XV.
224 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Lorscfue la loi du 11 floréal an X (1" mai 1802) eût sup-
primé les Ecoles Centrales, Nice se trouva subitement privée
de tout établissement d'enseignement secondaire. Aussi,
lorsque, conformément à la loi, le préfet, le général Chateau-
neuf-Randon, eût, le 13 brumaire an XI, décidé la fermeture
de l'Ecole Centrale, de nombreuses doléances se firent en-
tendre venant aussi bien des familles que des professeurs.
Le conseil municipal et le conseil général émirent alors
un vœu en faveur de l'ouverture rapide du Lycée dont la
fondation était annoncée par le décret de floréal.
En attendant qu'il fût ouvert, le conseil municipal de-
manda instamment par une délibération en date du 21 plu-
viôse an XI la création d'une école intérimaire qu'il appela
« Ecole de l'arrondissement de Nice », et le préfet exauça
cette demande, le 1" germinal an XI, en publiant un arrêté
qui en autorisait l'ouverture.
Le 23 floréal an XI (13 mai 1803) paraissait le « Règle-
ment de l'Ecole d'Arrondissement de Nice », suivi, le 25,
du « Règlement de l'école primaire de Nice ».
Le 1" prairial, le maire * annonçait l'ouverture des
écoles nouvelles par un avis au public dans lequel il résu-
mait l'organisation des écoles « dont l'ouverture est fixée
au 3 du courant à 10 heures du matin ».
Le conseil « effrayé de la nullité presque totale de l'ins-
truction publique dans la commune et des suites que doit
amener cet état de choses qui laisse la génération présente
dénuée de connaissances indispensables pour communiquer
avec celles qui la précèdent et qui doivent la suivre » a
décidé la création de ces écoles dont « le plan a été adopté
par le préfet ».
L'instruction particulière — ajoute le maire — sera tolé-
rée mais soumise à des épreuves, des formalités et étroite-
ment surveillée « pour ne pas voir élever la jeunesse dans
l'erreur et l'ignorance. Il faut se métier des concurrents
1. Le maire était alors Deily. Comme il était absent il fut suppléé par le l"""
adjoint Torrini.
L ENSEIGNEMENT A NICE SOUS LE CONSU LAT 225
sachant un peu de latin et d'italien et possédant une mau-
vaise écriture ».
L'ouverture de l'école primaire eut lieu le 6 prairial, et
non le 3, comme il avait été fixé, dans le local choisi : l'hô-
pital de la Croix, rue de la Vertu, isle 59 '.
L'adjoint, le second adjoint, le secrétaire en chef, les
instituteurs de l'école primaire, les professeurs de l'école
d'arrondissement, le conservateur de la bibliothèque se ren-
dirent, à 11 heures du matin, rue de la Vertu. Dans l'une
des salles de l'hôpital ils trouvèrent « une foule de person-
nes, surtout de jeunes gens qui attendaient impatiemment
l'ouverture ». L'adjoint Torrini ouvrit l'école « par un dis-
cours analogue à la cérémonie ». Scudéry, professeur de
4', Glérico, instituteur de 5^, prononcèrent aussi une ha-
rangue. Les assistants manifestèrent leur satisfaction « de
l'établissement et de la cérémonie » et l'on retourna en cor-
tège à la mairie.
L'école d'arrondissement fut transformée quelques jours
plus tard, le 14 prairial an XI, par décret gouvernemental,
en école secondaire préparatoire au Lycée.
Le 1^"" vendémiaire an XII (24 septembre 1803) une
école primaire de garçons et de filles fut instituée. Les
maîtres devaient subir devant le jury d'instruction un exa-
men probatoire.
L'école secondaire s'ouvrit le 15 brumaire an XII. Un
discours fut prononcé par le directeur. Les professeurs et le
bibliothécaire étaient présents et prêtèrent serment de fidé-
lité à la constitution. Ils signèrent au procès verbal, ainsi
que Jean-Baptiste, évêque de Nice, et du Bouchage, préfet,
qui assistaient à la cérémonie.
Le 25 vendémiaire an XIII (17 octobre 1804), enfin, vu
l'ouverture prochaine du Lycée -, dont l'établissement avait
1. L'hôpital de la Croix était situe entre les rues actuelles Pierre Sola, St-
Augustin et Pairolière.
2. Le Lycée fut installé dans les locaux de l'ancien couvent des Augustins
au Pont Vieux qui est resté sous l'Empire, sous la domination sarde et la S"""
REV. IIIST. Dli l.A RKVDI.. 4
226 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
été décrété le 1*"^ vendémiaire an XII, l'école secondaire,
étant donné le petit nombre de ses élèves, fut réformée et
devint une sorte d'école primaire supérieure.
Comment furent organisés ces divers établissements,
quel fut leur personnel, comment fonctionnèrent-ils, tels
sont les points qui restent à déterminer. Organisation et
fonctionnement sont des plus curieux.
L'école secondaire, préparatoire au Lycée, dont l'établis-
sement avait été approuvé par décret préfectoral du 5 com-
plémentaire an XI, comprit 5 professeurs et un maître de
dessin. L'enseignement comportait l'étude des langues fran-
çaise et latine, l'histoire et la géographie, les belles-lettres,
l'éloquence, les mathématiques et la philosophie. Le profes-
seur de philosophie, qui était de droit directeur de l'école,
enseignait non seulement l'art de penser et de raisonner et
la morale, mais encore les éléments de la physique.
Les professeurs furent : Scudéri, prêtre, ci-devant moine,
pour le latin et le français (traitement : 800 fr.) ; Raibaud,
prêtre, pour le latin, le français, l'histoire ancienne, moderne,
sacrée et profane et la géographie (traitement : 900 fr.) ;
Pierrugues, prêtre, pour les belles-lettres, l'éloquence, la
poésie française et latine (traitement : 1000 fr.) ; Giraudi, prê-
tre, pour les mathématiques (traitement : 1000 fr.) ; Fodéré,
docteur, pour la philosophie (traitement : 1.200 fr.) ; Flo-
rence, officier de santé, pour le dessin (traitement : 000 fr.,
plus 3 francs par mois par élève sauf un cinquième des
élèves pauvres). Borelli, prêtre, docteur en théologie, fut
nommé conservateur de la bibliothèque de la ville aux
appointements de 600 francs. Il devait tenir la bibliothèque
ouverte pendant 5 heures tous les jours non fériés. En cas
de maladie il suppléait les professeurs et en cas de démis-
sion ou d'absence volontaire de leur part il ajoutait leur
traitement au sien.
République le Lj'cée de Nice jusqu'à la construction de l'établissement actuel.
Les travaux furent mis en adjudication le 2 pluviôse an XIII, mais le Lycée ne
fut réellement inauguré qu'en frimaiie an X\'II.
l'f,NSEIGXEMENT a NICE SOUS LE CONSULAT 227
Le 30 prairial an XII, le ministre de l'intérieur (qui est
alors chargé de l'instruction publique) ayant arrêté que l'art
de la natation ferait partie de l'éducation de la jeunesse
dans les lycées et écoles secondaires, on dût à Nice adjoin-
dre au personnel des maîtres nageurs. Ils devaient donner
leurs leçons sous les yeux des maîtres d'études et des garçons
de salle. Les élèves devaient être « vêtus d'un caleçon de
bain ».
Le concierge de l'école Lazarot recevait 300 francs avec
le logement. Un crédit de 300 francs était affecté aux dépen-
ses, au chauffage et à l'éclairage.
L'année scolaire est de 10 mois et demi pour le français,
le latin, l'histoire et la géographie ; de 10 mois pour les
belles lettres, l'éloquence et les mathématiques ; de 9 mois
et demi pour la philosophie. Il n'y a d'autres vacances dans
l'année que les jeudis, dimanches et fêtes. Les leçons durent
2 heures pour les langues, l'histoire, la géographie et le
dessin ; 1 heure et demie pour les belles lettres, l'éloquence
et les mathématiques ; une heure pour la philosophie.
Le directeur surveille l'enseignement. Il rend « compte »
au maire tous les mois. Il visite les écoles primaires et
assiste aux compositions dans toutes les écoles. Il doit pré-
senter au maire « un projet de règlement pour les détails »,
autrement dit un plan d'études ou un tableau de service.
Il est en outre décidé que toutes les places qui devien-
dront vacantes seront à l'avenir données au concours.
L'école primaire annexe, qui ouvrit le 1" vendémiaire
an XII, comprenait 3 instituteurs pour les garçons, deux
institutrices pour les filles. Ces maîtres devaient être exami-
nés par le jury d'instruction auquel on adjoignit deux
femmes. Le programme d'enseignement des garçons était
le suivant : lecture, écriture, les 4 premières règles de
l'arithmétique, l'obligation de parler correctement le français,
les devoirs de la religion. Aux fiiles on devait enseigner, en
sus, à tricoter, coudre, filer, les devoirs d'épouses et de
mères.
228 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Les classes duraient du 15 vendémiaire au dernier com-
plémentaire, ce qui donne, en plus des jeudis, dimanches et
fêtes, 15 jours de grandes vacances. Il y avait 5 heures de
classe par jour, dont 3 le matin. Pour exciter 1 émulation
des élèves la municipalité mettait à la disposition des maî-
tres 5 médailles d'argent, qui devaient être portées chaque
lundi par les premiers.
Le traitement était de 300 francs avec le logement. En
plus chaque instituteur recevait 1 fr. 50 par mois et par
élève. Cette rétribution, dont étaient exempts les enfants
pauvres, à raison d'un cinquième, était payée d'avance.
Le 7 vendémiaire an XII (30 septembre 1803), le maire,
Defly, avisait les postulants que les places d'instituteurs et
d'institutrices seraient mises au concours le 17 à 11 heures
du matin. L'examen devait être public. Il avait lieu devant
le maire et le jury d'instruction, dont un membre, le citoyen
Capelle, secrétaire général de la préfecture, absent, était
suppléé par le chef du 3^ bureau, de Butel.
Les conditions requises étaient : 1° savoir parler, lire,
écrire correctement le français tant sur les livres que sur
les manuscrits, posséder les 4 règles de l'arithmétique ; 2°
pour les institutrices, outre les notions demandées aux ins-
tituteurs, savoir coudre toutes sortes d'ouvrages et tricoter ;
3° présenter un certificat de bonne vie et mœurs délivré par
les voisins et signé par le maire.
L'examen se passa le 20 vendémiaire devant le maire,
les adjoints, le secrétaire en chef, le jury d'instruction aug-
menté de Mmes Mieulle et Fodéré.
Les candidats étaient : Giles François Ruftel Montreuil
et Barthélémy Bailet, « instituteur actuel » ; Mmes Margue-
rite Montel, épouse Parent ; Victoire Didier, épouse Patrice;
Suzanne Labori, épouse Tomati. Leur aptitude fut reconnue
et les membres du jury d'instruction : Fodéré, Giraudi, de
Butel, leur délivrèrent un certificat qui fut contresigné par
le maire, Defly, et le secrétaire en chef, Grivel.
Le 3'" poste d'instituteur fut pourvu le 26 vendémiaire.
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 229
Le candidat, Giraudi, passa son examen à la préfecture et
fut reconnu apte.
Quant à l'école secondaire de l'an XIII, elle ne fut, au
fait, qu'une école primaire supérieure.
On y enseigna gratuitement la lecture, l'écriture, la gram-
maire, l'orthographe, le français, le latin, les éléments de la
géographie et de la mythologie, l'histoire sainte, les prin-
cipes de la littérature française et latine, les mathématiques.
Elle était « régie » par un professeur de mathématiques,
deux professeurs de latin, un instituteur primaire et un
maître écrivain.
Les parents devaient faire inscrire leurs enfants à la
mairie. Les élèves devaient aller à l'école décemment vêtus,
avoir leurs livres, cahiers et autres ustensiles et se confor-
mer au règlement.
Plus intéressantes furent les Ecoles d'arrondissement
et primaire de Nice qui ont été une curieuse tentative d'or-
ganisation du Lycée avant le Lycée et que nous connais-
sons par l'original règlement que la municipalité élabora,
pour chacune d'elles, au moment de leur création * .
Les deux établissements sont dans la dépendance étroite
l'un de l'autre. Ils se complètent mutuellement. L'une pour-
rait s'appeller — avant la lettre — le Petit, l'autre le Grand
Lycée.
Les programmes correspondent avec ceux de nos deux
cycles actuels d'enseignement. L'Ecole primaire n'est, en
effet, pas autre chose que notre 1^"^ cycle et l'Ecole d'arron-
dissement est identique à notre 2^ cycle.
Tout a été minutieusement prévu : inscription des élèves,
discipline, classes, interclasse, auteurs à expliquer, devoirs,
compositions, conseil d'administration et de discipline,
vacances.
La comparaison avec l'élat présent ne laisse pas que
d'être assez suggestive.
1. Nous publions en appendice ces deux règlemenls et la délibération très
importante du 21 pluviôse an XI.
230 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Les deux écoles sont placées sous l'autorité du maire et
du préfet dont les avis sont prépondérants en cas d'exclu-
sion des élèves. Ils ont ainsi, en partie, les attributions des
inspecteurs d'académie et des recteurs actuels. L'école pri-
maire est sous la surveillance et direction du directeur de
l'école d'arrondissement qui, tout en participant à l'enseigne-
ment, dirige de haut les deux établissements. Il joue de la
sorte, simultanément, le rôle d'un proviseur, d'un censeur
et d'un principal de collège chargé de classe de nos jours.
Les deux établissements furent au début ce que nous
appelons aujourd'hui un Lycée d'externes. Cependant la
municipalité se réserva le droit d'établir un « pensionnat ».
Le directeur du (( Petit Lycée » fut J. Scudéri aîné, ex-ins-
tituteur de l'école de Contes, professeur de 4*^. L'école pri-
maire comprenait 4 classes : 7^, 6^, 5^ et 4^. dont les profes-
seurs furent : Vignal, Jouffroy (bientôt remplacé par Bailet),
Clérico et Scudéry, ces deux derniers, abbés. Ces profes-
seurs ont un traitement de 600 fr. en 7" et & ; de 700 fr. en
en 5^ ; de 800 fr. en 4''. Ce traitement est payé « échu » tous
les mois. Les professeurs devaient avoir, pour enseigner,
été examinés par un jury composé de deux professeurs de
l'Ecole d'arrondissement. Ils sont soumis à la même surveil-
lance que les élèves « car il n'y a rien de plus essentiel et
de plus délicat que l'instruction ».
L'enseignement est « progressif ». Les élèves ne peuvent
être admis dans une classe que s'ils sont jugés capables de
la suivre. Pour être admis en 7", il est nécessaire de con-
naître l'alphabet et de savoir épeler. Les examens de pas-
sage sont présidés par le directeur. Chaque élève ne peut
être reçu dans une classe sans un billet d'entrée signé par
le directeur. Il doit être inscrit sur un registre tenu par
chaque professeur. Les élèves sont présentés par leurs
parents au chef de l'établissement. Ils sont examinés, avant
leur entrée, par le professeur de 5'' et le directeur de l'école
d'arrondissement. Leur conduite doit être décente et ils
sont tenus d'obéir à leurs maîtres. Les heures d'entrée en
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 231
classe sont les mêmes qu'à l'école d'arrondissement et elles
sont annoncées par la cloche de la ville. Il y a, le matin,
un « interclasse » d'une demi-heure. Chaque professeur, à
son tour, est chargé pendant ce temps de veiller à la disci-
pline. La discipline était toute paternelle. Les punitions
consistent « en des peines qui affectent l'àme et le cœur de
l'élève et jamais le physique ». La seule peine sévère est
l'exclusion. Elle est « temporaire ou perpétuelle », mais elle
ne peut être prononcée qu'après l'avis du maire.
L'année scolaire dure 11 mois, du l*'" vendémiaire au
30 thermidor. Les grandes vacances ne durent qu'un mois :
30 thermidor — 5 complémentaire. Dans l'année, les vacan-
ces sont les mêmes qu'à l'école d'arrondissement.
Il y a classe matin et soir. La durée de chaque classe
est de deux heures. L'enseignement comprend : en 7^, la
lecture et l'écriture ; en 6*, les déclinaisons, conjugaisons
et concordances ; en 5^, les concordances, la grammaire,
l'histoire sainte, des traductions de latin en français, l'expli-
cation des Colloques d'Erasme, de VAppendix de Diis de
Juvency, les 2 premiers livres de Phèdre, le Selectœ. Deux
fois par semaine le professeur donne une leçon d'italien.
En 4^, continuation des traductions, compléments d'histoire
sainte, explication des 3 derniers livres de Phèdre, du De
Viris, des Epitres fameuses de Cicéron, notamment le De
Offîciis, des Eglogiies de Virgile et de Sévère Sulpice. Le
professeur rendra familier à ses élèves l'abrégé de Wailly.
Les langues vivantes commencent à être étudiées dès la
6^. Les professeurs, qui, dans ces trois classes, doivent exer-
cer la mémoire des élèves, sont dans l'obligation, afin qu'il
y ait concordance avec l'Ecole d'arrondissement, d'user
uniquement comme li'^e de langues des Rudiments de Bis-
tac et ne peuvent en suivre d'autres. Il y a des compositions
dans les classes de 6^, 5' et 4^ seulement. Elles ont lieu aux
mêmes jours qu'à l'école d'arrondissement. Ces compositions
sont générales et particulières. Les compositions générales
sont le lot du directeur du grand Lycée. En 5* et en 4^^ il y
232 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
a des « exercices littéraires ». Les élèves expliquent les
auteurs qu'ils ont suivi et ceux qui se sont distingués peu-
vent recevoir des prix.
Le « grand Lycée », l'école d'arrondissement de Nice,
est placé sous la « surveillance immédiate » du préfet. Son
directeur était Bernardin Clericy. Les professeurs, dont
nous n'avons pas les noms, furent vraisemblablement ceux
de l'ancienne Ecole Centrale qui enseignèrent ensuite, sans
nul doute, à l'école secondaire * .
Le directeur est assisté d'un conseil d'administration qui
tient quatre séances par an au moins. Il reçoit les comptes
du chef d'établissement et les plaintes contre les élèves et
aussi contre les professeurs. Pour ces derniers le «dossier»
est communiqué à l'intéressé et la réponse de celui-ci trans-
mise au préfet. Les élèv^es sont admis dans les mêmes con-
ditions qu'à l'Ecole primaire.
L'année scolaire va du 1" brumaire au 15 thermidor.
Les « vacances » durent donc, comme aujourd hui, deux
mois et demi. Dans l'année; il y a congés « réguliers » les
jeudis, dimanches, fêtes nationales et concordataires. Des
congés « extraordinaires » sont, comme de nos jours,
prévus. Le conseil d'administration les fixe sur la pro-
position du directeur, sans recours à l'autorité supérieure.
Les jours de fête il y a exercice spirituel et un « discours
moral » est adressé aux élèves. L'office est prévu pour
le moment où il y aura une chapelle et la création d'un
poste d'aumônier est demandée au préfet. L'ouverture des
classes, le 1" brumaire, se fait par un discours en français
ou en latin prononcé par le professeur de 3^ ou de belles-
lettres, qui a le choix de son sujet. L'un des membres du
conseil d'administration prononce aussi une harangue. De
1. La délibération du 21 pluviôse an XI proposait comme professeurs : pour
la 3', Loques ; pour la seconde, Raybaud ; pour l'éloquence, Pierrugues ; pour
la logique, morale et mathématiques, Travagna ; pour la physique, chimie,
histoire naturelle, Fodéré ; pour le dessin, Florence. Le professeur surnumé-
raire et bibliothécaire devait être Giraudi. Il est vraisemblable qu'ils furent
acceptés. Ces professeurs étaient payés « trimestres expirés ». Leur traitement
n'excédait pas 1200 fr.
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 233
même, l'année se termine sur un discours prononcé par le
professeur de rhétorique qui, lui aussi, choisit son sujet-
La distribution des prix a lieu le 13 thermidor. Un « pal-
marès » est établi et adressé aux familles ainsi qu'au minis-
tre de l'intérieur. Le 14 thermidor, le directeur « annonce »
les vacances et un membre du conseil d'administration fait
le « discours d'usage ». Les classes ont lieu matin et soir et
leur durée est différente. Les « séances » sont de deux heures
pour la 3*", la 2" et le dessin ; d'une heure et demie pour la
rhétorique, la logique et la physique.
L'entrée des classes, qui a lieu le matin à 8 heures, est
annoncée par la grande cloche de la ville. Le concierge
sonne la cloche. Il est aux ordres des professeurs et du
bibliothécaire. Il doit maintenir la propreté partout et ne
pas s'absenter sans autorisation. Pendant les cinq premiers
mois de l'année, les classes ont lieu le matin de 8 heures 1/2
à 10 heures 12 et le soir de 1 heure 1/2 à 4 heures. Pen-
dant les autres mois on rentre une demi-heure plus tôt le
matin, une demi-heure plus tard le soir. Il y a toujours, le
matin, « interclasse » de 8 heures à 8 heures 1/2, sous la
surveillance d'un professeur.
La discipline n'est guère plus sévère qu'au Petit Lycée.
L'élève qui « manque à son devoir » est d'abord admonesté
par son professeur. Vient ensuite l'admonestation directo-
riale devant le conseil d'administration et les élèves. C'est
le blâme avant l'exclusion. Il y a en troisième lieu « l'affi-
chage public » à l'intérieur de l'établissement avec la dési-
gnation du motif, ce qui n'existe plus maintenant. Enfin
on a le renvoi pour « choses graves » surtout « en matière
de mœurs » après jugement du conseil d'administration qui
possède ainsi, en partie, les attributions de nos conseils de
discipline, et après approbation préfectorale. L'autorisation
accordée aux professeurs de faire appel à la « force coactive »,
c'est-à-dire à la force armée (même faculté avait été laissée
aux maîtres de l'Ecole Centrale), en dit long sur les résultats
de cette discipline « paternelle ».
234 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
L'instruction est « graduelle » et chaque élève est astreint
à un examen de passage devant un jury comprenant les
professeurs et présidé par le directeur.
Chaque professeur suit dans son enseignement « la
méthode qu'il connaît être la meilleure d'après son expé-
rience ». C'est le système de la liberté.
L'enseignement correspond à notre second cycle. Il y a
quatre divisions, plus le dessin.
Le professeur de 3^ perfectionne la connaissance du
français par la grammaire de Wailly et les Synonymes de
Girard. En latin il explique Ovide Tristium, le De officiis de
Cicéron, Cornélius Nepos, les 2 premiers livres de l'Enéide,
Quinte Curce, les Commentaires. 11 exerce la mémoire des
élèves par la récitation de morceaux choisis dans ces auteurs.
Il se sert pour la grammaire et pour les règles de la quan-
tité en poésie latine de la Nouvelle Méthode de Port Royal.
Il apprend la poésie latine, dont l'étude doit être continuée
dans les classes supérieures, exerce ses élèves à la traduc-
tion du latin en français et réciproquement. Il donne en
plus — ce qui est déjà méritoire — les éléments de la géo-
graphie et fait tous les jours une demi-heure d'histoire.
Enfin — ce qui est mieux — il enseigne en outre l'anglais.
Les professeurs — comme nous Talions voir — doivent
être des encyclopédies vivantes.
Le professeur de seconde ou de belles-lettres « suit la
même marche ». Il explique les livres III et lY de l'Enéide,
les Odes d'Horace, Salluste pour l'histoire, les Géorgiques,
les Commentaires ou Quinte Curce, les « Oraisons » de
Cicéron : Pro Lege Manilia, Pro Archia, Pro Marcello. Il fait
réciter aux élèves des morceaux choisis de ces auteurs. Les
auteurs français sont représentés par les fables de La Fon-
taine. Il perfectionne l'exercice de la traduction et accou-
tume les élèves à la composition des fables et des narra-
tions. Il donne les règles de la poésie française, enseigne la
poésie latine. Il est « de plus » chargé d'un cours de mytho-
logie, ce qui est naturel en somme. Mais par contre, ce qui
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 235
l'est moins, c'est l'obligation où il se voit d'enseigner le
calcul « tant de l'ancien que du nouveau système » et la
« géométrie jusqu'à la trigonométrie ».
Le professeur de rhétorique est le professeur d'éloquence.
Il donne les règles de l'éloquence et exerce ses élèves à l'élo-
quence du barreau et de la chaire. Il explique les Odes
d'Horace, VEncidc, le Pro Milone, Tite Live, pour l'histoire,
les Odes de Rousseau. Il est chargé d'enseigner l'histoire et
la diction. Il doit habituer ses élèves à une diction « courte,
simple et laconique ». Il les exerce au genre épistolaire et
à la composition de petits discours dits « amplifications »,
ainsi qu'à la poésie française. Enfin il fait apprendre par
cœur l'Art Poétique de Boileau afin de le comparer avec
celui d'Horace.
Le professeur de logique, physique expérimentale, chimie,
histoire naturelle s'applique à perfectionner l'art de raison-
ner. Il enseigne la dialectique et l'idéologie. En physique il
étudie les principaux phénomènes de la nature, il applique
la chinîie aux arts cultivés dans le département, il analyse
les métaux.
Le professeur de dessin fait l'application de cet art à
toutes les professions qui en ont un besoin direct : architec-
ture, génie, serrurerie, maçonnerie. Il donne à ses élèves la
théorie de la figure et de la perspective linéaire et les divise
en deux classes : les peintres et les autres.
A ces professeurs est adjoint un « démonstrateur » de
botanique dont les cours ont lieu dans la « saison propice »
et qui durent le temps nécessaire. Le « lieu de ses séances »
est le jardin botanique. Il conduit les élèves en promenades
aux environs pour la connaissance des plantes.
Le professeur de seconde donne ses leçons d'arithméti-
que, de calcul décimal et de géométrie pendant les trois
derniers mois de l'année, les jours pairs, de 10 heures à
midi. Il est dispensé de toute autre classe le matin.
Le bibliothécaire, professeur suppléant, enseigne la tri-
gonométrie et l'algèbre pendant les trois derniers mois de
236 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
l'année, lui aussi, mais les jours impairs, de 10 à 12. Durant
ces journées la bibliothèque est close. Il y a donc, durant
le dernier trimestre, prédominance de l'enseignement mathé-
matique.
Les professeurs ont à leur disposition la bibliothèque
de l'ancienne Ecole Centrale. Elle est ouverte tous les jours
pairs de 10 heures à midi et de 3 heures à 5 heures. Le
prêt des livres leur est consenti à condition qu'ils prennent
la responsabilité de leurs emprunts.
Il y a dans toutes les classes des compositions. Les
compositions particulières ont lieu, dans les classes d'huma-
nités, tous les vendredis. Les places doivent être données
le samedi ou au plus tard le lundi. Les compositions géné-
rales sont du ressort du Directeur. L'une est au commence-
ment du Carême, les autres à la fin de l'année scolaire.
Pendant les douze premiers jours de thermidor ont lieu les
examens de passage, des exercices littéraires et des explica-
tions d'auteurs.
L'exercice littéraire donné par le professeur de rhétori-
que et le discours qu'il prononce à cette occasion précèdent
la distribution des prix.
Telle fut l'organisation — ingénieuse — que la munici-
palité niçoise, avec le concours zélé des anciens professeurs
de l'Ecole Centrale, donna à l'instruction publique durant
les deux années qui s'écoulèrent entre la disparition des
créations scolaires de la RévoluHon et l'avènement de
l'Université napoléonienne. Elles permirent à la ville et au
département de ne pas êlre complètement privés de cet
objet, « qui est l'un des plus importants pour le bonheur
de l'humanité : l'instruction » et ils purent attendre — sans
impatience — le moment où Nice put enfin jouir de « son »
Lycée.
A juste titre, la municipalité niçoise pouvait, le 29 ven-
démiaire an XIII, en annonçant l'ouverture, « pour germi-
nal prochain », de cet établissement, dire en termes excel-
lents : « Les élèves y deviendront utiles à l'Empire et prou-
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 287
veront au gouvernement qu'en plaçant un Lycée dans cette
ville, il vient d'assurer à la France une foule de citoyens
qui se distingueront dans la suite par leurs lumières et par
leur zèle pour le bien public ».
Joseph Combet.
APPENDICES
I
DÉLIBÉRATION RELATIVE A L'ÉTABLISSEMENT
DE l'école SECONDAIRE
(Nice: Arch. Municipales : 21 pluviôse an XI, D : XV, p. 203 etsq.)
En vertu de l'article 15 de la loi du 28 pluviôse an 8^, le
conseil municipal de cette ville s'est assemblé et réuni aujourd'hui
21 pluviôse à la mairie et dans la salle ordinaire de ses séances
composé des citoyens Torrini, adjoint faisant les fonctions de
maire, président du dit conseil, Bernard, Cléricy, Pierrugues,
Simon, Cauvin, Roux, Cougnet, Serrât, Guigo, Négrin, Avigdor,
Mabil et Martin secrétaire, lequel sur l'invitation du président a
donné lecture du dernier procès verbal qui a été adopté. La
séance étant ouverte. Un membre a dit que la suppression de
l'Ecole Centrale nécessitait le prompt établissement d'une Ecole
Secondaire et qu'il faisait la motion expresse que le conseil s'oc-
cupât des moyens de l'établir, de la quantité des professeurs à
nommer, du local pour y placer la dite école ainsi que des
moyens de subvenir aux frais tant de premier établissement que
d'entretien et de rétribution à accorder aux professeurs.
Sur quoi, le conseil après s'être occupé sérieusement de l'im-
portance de la motion et après une lumineuse discussion,
Considérant que l'instruction publique est un des objets les
plus importants pour le bonheur de la société.
Que le gouvernement sage, philosophique et paternel dont la
Providence a enfin favorisé la République française, a par la
dernière loi sur cet objet remédié aux inconvénients attachés à
l'ancienne méthode d'enseignement, — que les écoles primaires,
écoles secondaires, Licées et écoles spéciales, une fois établies
démontreront la sagesse et la prévoyance du chef suprême de la
nation qui en a provoqué la loi et que le peuple français grand à
238 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
tant d'égards deviendra encore le plus^ instruit, si les autorités
locales en secondant ses grandes vues, se hâteront d'organiser
les écoles, dont l'établissement est à leurs soins, à mesure que
les Licéeset Ecoles spéciales s'établissent sur les différents points
de la république.
Considérant que le préfet qui a plu au gouvernement de nous
donner est si justeet si porté pour le bien du pays confié à sonad-
ministration et qu'il employera avec zèle et son autorité pour l'exé-
cution de ce point si iraportantet sa médiation efficace pour obtenir
du gouvernement ce dont on pourrait lui demander pour cet objet.
Considérant que la loi accorde des places gratuites dans les
Licées aux élèves qui se seront distingués dans les écoles secon-
daires et qu'il en résulterait un tort infini pour nos enfants, si
faute d'établir l'école secondaire, ils vennaicnt à être frustrés
d'un si grand bienfait.
Considérant que le gouvernement a manifesté la bienfaisante
intention d'accorder des bâtiments nationaux pour servir d'em-
placement aux écoles secondaires.
Considérant que l'école secondaire doit embrasser assez de
branches d'instructions, afin que celui, qui ne gagnant point de
places aux Licées, et ne pouvant faire la dépense pour y aller à
ses frais, puisse y recevoir assez d'instruction pour être familia-
risé avec les éléments des dilTérentes sciences.
Considérant que la langue française devenue notre langue a
besoin d'être familiarisée dans ce département que la langue
latine étant la langue de convention entre les nations doit être
conservée, que la langue italienne est très nécessaire dans ce
pays soit par la proximité de l'Italie soit pour comprendre les
anciens actes écrits en cette langue, que la géographie, l'histoire,
les belles-lettres, l'éloquence, la poésie, la logique, la morale, la
grammaire, les éléments des mathématiques, la phisique, la chi-
mie, l'histoire naturelle du département et le dessin sont des
points indispensables pour une bonne éducation.
Considérant que quoique le traitement des professeurs ne
puisse être dans un pays pauvre, ruiné par l'effet de la dernière
guerre, par les épidémies et dernièrement encore par les ravages
de l'inondation, ne puisse être analogue à l'importance de leur
emploi, doit cependant être dune telle donnée, que le professeur
en retire un salaire qui suffise à son entretien.
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 239
Considérant que ce traitement ne doit point être le produit
d'une rétribution prise sur les élèves, mais qu'ils doivent trouver
l'instruction gratuite, afin que quelque citoj^en peu fortuné ne
puisse être privé par une rétribution quoique modique, du bon-
heur de donner de l'instruction à ses enfants et la société perdre
par ce moyen quelque génie.
Considérant enfin que quoique l'école secondaire établie sur
les bases ci-dessus énoncées soit en effet un collège qui servira
pour tout le département et que sous ce rapport le département
devrait contribuer à ces fraix, cependant le conseil municipal est
disposé à les faire supporter tous provisoirement à la ville de
Nice plutôt que de voir ou entraver ou retarder sa mise en acti-
vité par les difficultés à faire concourir les autres communes.
Délibère
Art. 1. If sera demandé au gouvernement le même local de
l'école centrale suprimée pour servir à l'école secondaire de cette
ville et à cet effet le préfet sera prié d'appuj'er cette demande.
Art. 2. II sera demandé au préfet l'autorisation de la lui établir
provisoirement.
Art. 3. Dans cette école on y enseignera sans obliger les élèves
à aucune rétribution la langue française, la latine et l'italienne,
la géographie, l'histoire, les belles-lettres, l'éloquence, la poésie,
la logique, la morale, la grammaire, les éléments des mathémati-
ques, la phisique, la chimie, l'histoire naturelle du déparlement
el le dessin. Q en conséquence il y aura les classes ci-après.
Cinquième, dans laquelle on expliquerait les deux premiers
livres de Phèdre, les Colloques d'Erasme, les Selectœ è veteri
testamento, on exercerait la mémoire des élèves, en leur faisant
réciter le nouveau testament et les rudiments des langues fran-
çaise et latine et deux fois par semaine on donnera une leçon de
langue italienne.
Quatrième, dans laquelle on commencerait par expliquer les
trois derniers livres de Phèdre, les épitres familières de Cicéron
et à enseigner la mithologie, et les éléments de la géographie,
ensuite on expliquerait le Cornélius Nepos, les Eglogues de Vir-
gile, et le Cicero d'officiis, on continuerait à exercer la mémoire
des élèves en leur faisant réciter par cœur au commencement de
la classe, une portion donnée des livres ci-dessus, il serait bien
240 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
de donner aussi dans cette classe la nouvelle méthode de Port
Roj'^al pour apprendre la quantité.
Troisième, on expliquera dans cette classe les deux premiers
livres de l'Enéide, le Quinte Curse, les Commentaires de César
et quelques Oraisons de Gicéron ; on obligera les élèves à réciter
les meilleurs morceaux de ces auteurs et à les traduire de latin
en français ; on commencera aussi à exercer les élèves à la poésie
latine et chaque jour on enseignera pendant demi-heure la partie
de l'histoire qui serait désignée.
Seconde ou Belles-Lettres. Le professeur devra aussi exercer
les élèves à la traduction, il leur fera connaître les différents
poètes français, et leur expliquera les troisième et quatrième
livres de l'Enéide, les Odes d'Horace, les Oraisons de Cicéron et
Salluste pour l'histoire.
Eloquence ou Rhétorique. On s'appliquera à cette classe à
faire composer aux élèves des petits discours, dits amplifications,
on les exercera à la poésie française, et à l'éloquence, on expli-
quera les derniers livres de l'Enéide, l'art poétique d'Horace et
de Boileau pour les comparer et Tite Live pour l'histoire.
Logique et Morale. Dans cette classe on enseignerait la gram-
maire générale, la Logique et la morale pour la leçon du matin
et donnerait pour la leçon du soir les éléments des mathémati-
ques savoir tout ce qui a rapport, à l'arithmétique, la géométrie,
jusqu'à la trigonométrie et l'algèbre jusqu'aux équations du
second degré.
Phisique. Dans cette classe on enseignera la phisique et chi-
mie autant que les moyens du pays le permettraient, les objets
d'histoire naturelle du département seraient préférés pour les
expériences.
Dessein. Dans cette classe on s'appliquera de préférence aux
objets utiles aux arts mécaniques.
Art. 4. Il y aura un professeur surnuméraire qui en cas de
maladie de quelque professeur le remplacera et il sera en même
temps chargé de la bibliothèque.
Art. 5. Il y aura aussi un concierge qui aura soin d'ouvrir
et fermer les classes, les balayer ainsi que les corridors et fera
tout ce qui lui sera ordonné par les professeurs pour le service
de l'école.
Art. 6. On fera les démarches nécessaires pour obtenir du
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 241
gouvernement la bibliothèque de l'école centrale, le préfet sera
de même prié d'employer ses bons offices pour cet objet.
Art. 7. Les professeurs jouiront d'un traitement de douze cent
francs par an, payé par trimestres expirés ; le concierge aura
trois cent francs et le logement.
Art. 8. Le conseil fera provisoirement les fonds au budget de
l'an douze et ainsi d'année en année et pour les six mois de l'an-
née courante il y sera pourvu par tous les moyens possibles.
Art. 9. La phisique, la chimie, et le dessein nécessitant des dé-
penses journalières : le conseil fixe la somme de cinq cent francs
par an à cet objet qui seront aussi comprises dans le budget
annuel.
Art. 10. L'année scolastique commencera au l^"" brumaire et
terminera au 30 thermidor, mais les derniers quinze jours seront
employés à l'examen des élèves pour reconnaître s'ils sont dans
le cas de passer d'une classe à l'autre.
Art. 11. Toutes les classes auront deux séances d'instruction
par jour, une le matin, l'autre l'après midi. La cinquième, qua-
trième, troisième, seconde et rhétorique resteront deux heures en
séance. La logique, la phisique, ne resteront qu'une heure, le
dessein ne donnant qu'une leçon le soir, elle sera de deux heures.
Le professeur donnera dans la même leçon les principes de l'or-
nement, de l'architecture, de la perspective, de sculpture, de
dessein et de peinture selon que les élèves se destineront à quel-
qu'une de ces différentes matières. Il n'y aura de jour de vacance
que le jeudi et le dimanche et les fêtes nationales et autres recon-
nues par le concordat.
Art. 12. Le conseil se réserve à prendre les moj'^ens d'établir
un pensionnat après avoir obtenu du gouvernement le tout
demandé et après la mise en activité de l'école.
Art. 13. Les trois écoles primaires établies dans cette ville se
tiendront dans un local qui puisse les réunir et il sera établi une
gradation dans l'enseignement afin que le premier enseigne sim-
plement à lire et écrire correctement le français, le second ensei-
gne à lire le français et le latin et commence à exercer la mémoire
des élèves ; le troisième enseigne les déclinaisons et les conjugai-
sons, qu'il exerce la mémoire en faisant réciter les noms et les
verbes en latin et français, enfin qu'il enseigne les concordances
pour que ses élèves puissent passer en cinquième en état d'y
IIKV. mST. UE L.\ KkVOL. 3
242 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
profiter. Ces instituteurs auront un traitement de six cent francs
chaque par an et ne retireront aucune rétribution des élèves. Le
conseil leur fournira en outre le local pour leurs classes.
Art. 14. Le conseil propose pour professeurs les citoyens
ci-après.
Jaume pour professeur de cinquième ; Scudéry ex moine, de
quatrième; Loques, de troisième ; Raybaud, de seconde et belles-
lettres ; Pierrugues, éloquence et rhétorique ; Travagne, Logique,
morale et Mathématiques ; Foderé, physique, chimie, et histoire
naturelle ; Florence, pour le dessein ; Giraudi, bibliothécaire et
surnuméraire ; Loigerot, concierge.
Art. 15. Le maire est invité de vouloir avant l'époque de la
mise en activité de l'école, faire imprimer une circulaire qui
annonce toutes les parties de l'enseignement et le nom des profes-
seurs pour être envoj'ée dans toutes les communes du départe-
ment et environnantes tant dans le département du Var que de
la Ligurie.
Art. 16. La présente délibération sera sans délai envoj'ée au
préfet pour être soumise à son approbation.
Art. 17. Une commission de trois membres du conseil sera
chargée de la lui présenter,
Fait et délibéré en séance, à Nice, les jours, mois et an que
dessus.
F. ToRRiNi, adjoint.
II
RÈGLEMENT DE l'ÉCOLE PRIMAIRE DE NICE
(Nice. Arch. M'" : D : XfH. 25 floréal an XI, p. 269 el sq.)
Chapitre I
Art. 1. L'enseignement est divisé en 4 parties sous la déno-
mination de 7*. 6*^, 5- et 4^.
Art. 2. L'instruction est progressive, les élèves seront seule-
ment admis dans les classes qui sont à leur portée. Le directeur
de l'école secondaire conjointement avec deux instituteurs de la
dite école primaire fairont des examens pour juger de leur capa-
cité et de la classe à laquelle ils pourront être admis.
Art. 3. Chaque instituteur tiendra le nom de ses élèves dans
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 243
un registre où il sera inscrit, il ne pourra refuser un élève qui lui
présentera un billet d'admission du directeur.
Chapitre II
Enseignemenl
Art. 4. La lecture, l'écriture, les déclinaisons, les conjugai-
sons, les langues latine et française, et l'histoire sainte seront
enseignées à l'école primaire.
Art. 5. L'instituteur de 7« est chargé d'enseigner à lire et
écrire correctement le français.
Art. 6. L'instituteur de 6*^ enseignera les déclinaisons, les
conjugaisons et les concordances et commencera à faire réciter
les élèves.
Art. 7. L'instituteur de h'^ donne les premiers éléments de la
grammaire de Wailly et continue à faire faire les concordances ;
il explique les colloques d'Erasme et l'Appendix de Diis de
Juvency, il faira traduire du latin en français, l'histoire faira
partie de sa classe.
Art. 8. L'instituteur de 4'-' suivra la méthode qui sera la plus
convenable à ses élèves, il leur rendra familier l'abrégé de
Waill}', il exercera ses élèves à la traduction du latin en français,
il expliquera Phèdre, De Viris illustribus, le Sévère Sulpice,
l'étude de l'histoire sainte sera complétée dans cette classe.
Art. 9. Les rudiments des langues par Bistac seront adoptés
et suivis dans ces 3 dernières classes ; on ne pourra en suivre
d'autres, attendu l'uniformité qui doit régner entre l'école pri-
maire et l'école d'arrondissement. On exercera la mémoire des
élèves dans ces 3 classes, au moyen des déclinaisons, des conju-
gaisons et de tout ce qu'il appartient aux règles des grammaires
latine et française.
Chapitre III
Des leçons et des éludes
Art. 10. Toutes les classes auront deux séances par jour.
Art. IL La durée des leçons est de deux heures par séances
indistinctement pour chaque classe.
244 REVUE HISTORIQUE DE LA. RÉVOLUTION FRANÇAI SE
Chapitre IV
De l'ouverture des écoles et des vacances
Art. 12. L'ouverture de l'année scholastique primaire est fixée
au 1^'^ vendémiaire. Pour le temps qui reste de l'année courante,
elle s'ouvrira au l'^'" prairial prochain.
Art. 13. Les vacances commenceront au 30 thermidor de
chaque année, et finissent le 5" jour complémentaire.
Art. 14. — Les vacances pendant l'année scholastique sont les
mêmes qu'à l'école d'arrondissement.
Chapitre V
Des compositions
Art. 15. Il y aura des compositions particulières et générales
pour les classes de 6*^, 5'' et 4<=.
Art. 16. Les jours et époques pour ces compositions seront
les mêmes qu'à l'école d'arrondissement. Le Directeur de cette
école est chargé en outre des compositions générales.
Art. 17. Il y aura pour la 5'= et 4® des exercices littéraires, les
élèves expliqueront les auteurs qu'ils ont suivi.
Art. 18. Des prix seront distribués à ceux des élèves qui se
seront distingués dans ces deux dernières classes.
Chapitre VI
De l'entrée et sortie des classes
Art. 19. L'heure d'entrée et sortie des classes est la même
qu'à l'école d'arrondissement, elles seront annoncées par le son
de la cloche.
Art. 2J. Il y aura une demi-heure d'attente. Chaque institu-
teur se rendra à son tour au local destiné à l'école primaire pour
faire observer pendant cette demi-heure la discipline et y mainte-
nir la décence et la concordance.
Chapitre VII
Des élèves
Art. 21. Nul élève ne sera reçu à l'école primaire sans se
présenter au Directeur, qui l'examinera de concert avec l'institu-
teur de ô** et en présence du Directeur de l'école d'arrondisse-
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 245
ment ; l'élève sera ensuite admis dans la classe pour laquelle il
aura été jugé capable.
Art. 22. Les élèves se conformeront au règlement ; ils sont
tous sous la police immédiate du Directeur, et des Instituteurs,
ils se comporteront avec décence dans l'école.
Art. 23. Les instituteurs ont chacun en ce qui les concerne
la force coactive.
Chapitre VIII
Des punitions
Art. 24. Tout élève qui manque à son devoir est puni.
Art. 25. Les punissions consistent à des peines qui affectent
l'âme et le cœur de l'élève et jamais le phj'sique, les punitions
peuvent s'élever jusques à l'exclusion de l'école.
Art. 26. L'exclusion temporaire ou perpétuelle de l'Ecole ne
peut avoir lieu qu'après avoir été prononcée par le directeur et
approuvée par le maire.
Art. 27. La surveillance immédiate de l'école primaire appar-
tient au directeur de l'école d'arrondissement sous l'inspection
du maire.
Art. 28. Pour prévenir tout abus dans l'instruction, pour
tâcher d'obtenir cette uniformité, de laquelle résulte le progrès
de la jeunesse, nul individu, autre que les instituteurs primaires,
ne pourra enseigner, s'il n'a subi un examen donné par deux
professeurs de l'école d'arrondissement en présence du conseil
d'administration et s'il n'a obtenu l'autorisation du préfet.
Art. 29. Comme on ne saurait trop s'assurer de la moralité
d'une personne qui se destine à l'éducation de la jeunesse,
comme il n'y a rien de plus essentiel, et de plus délicat que l'ins-
truction, que c'est par elle que l'on forme des citoyens vertueux,
honnêtes, probes, et attachés au gouvernement, des bons fils, de
bons pères, de bons amis, de bons époux; que par conséquent le
Magistrat ne peut user trop d'attention et de vigilance; !es institu-
teurs qui obtiendraient la faculté d'enseigner seront tant eux, que
leurs élèves soumis à la même surveillance, que celle qui est
exercée pour l'école primaire.
Art. 30. Le présent règlement sera imprimé, publié et affiché
dans les lieux accoutumés dans cette commune ; des exemplaires
246 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
en seront envoyés aux instituteurs et au directeur, qui est chargé
d'en surveiller l'exécution.
Art. 31. Le présent sera adressé au préfet pour avoir son
approbation. Fait à la Mairie de Nice, en conseil d'administra-
tion le 23 floréal an 11^ rép". Signé : F. Torrini, adjoint faisant
les fonctions de Maire, Joseph Scudéry aîné directeur de l'école
primaire, Joseph André Clerico professeur de grammaire.
Vu el approuvé
Nice le 25 floréal an onze. Le préfet du département des
Alpes-Maritimes.
Signé : Chateauneuf-Randon.
III
REGLEMENT DE l'eCOLE d'aRRONDISSEMENT DE MCE
(Nice. Arch. Af^^ D. XIII. 23 fioréal an XI, p. 273 et sq.)
Chapitre I
Du mode de l'Enseignement
Art. 1. L'instruction est graduelle ; les élèves ne fréquente-
ront que les classes qui sont à leur portée, ils ne sont admis et
ne passent à des classes d'un degré supérieur qu'après en avoir
été jugés dignes par un examen.
Art. 2. Cet examen est fait par le directeur de l'école et les
professeurs.
Art. 3. Chaque professeur est chargé de prendre le nom et
l'âge de ses élèves et d'en tenir registre, chaque professeur rece-
vra et admettra dans la classe tout élève qui lui présentera un
billet dadmission signé du Directeur pour la classe dont il est
chargé.
Chapitre II
Objets de l'enseignement
Art. 4. Le professeur de 3^ suit la méthode qu'il connoit être
la meilleure d'après son expérience ; il perfectionnera la connais-
sance de la langue française ; et pour y parvenir il fera lire la
grammaire de Wailly, les Synonimes de Girard, Ovide Tristium,
les Offices de Ciceron et Cornélius Nepos. Il fait réciter pour for-
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 247
mer la mémoire des jeunes élèves des morceaux choisis de ces
auteurs et il se sert de Fabrégé de la nouvelle méthode de Port
Royal pour approfondir les règles de la grammaire et apprendre
celles de la quantité pour la Poésie latine. Il donne de plus les
éléments de la géographie, il exerce ses élèves à la composition
et à la traduction du latin en français et du français en latin. On
apprendra dans cette classe la poésie latine qui sera continuée
dans les classes supérieures. Dans cette classe il sera donné égale-
ment des leçons d'anglais.
Art. 5. Le professeur de seconde ou belles-lettres suit la même
marche ; il explique les Géorgiques de Virgile, les Commentaires
de César ou Quinte Curce, les Oraisons de Cicéron pro lege Ma-
nilia, pro Archia poeta, pro Marcello etc. Il fait réciter aux élè-
ves des morceaux choisis de ces auteurs auxquels il joindra les
fables de la Fontaine, il donnera les règles de la poésie française;
on perfectionnera dans cette classe les élèves pour la traduction ;
on les exercera dans la composition des fables et des narrations ;
le même professeur est chargé du calcul tant de l'ancien que du
nouveau système ainsi que de la géométrie jusqu'à la trigonomé-
trie, il enseignera de plus la mythologie ; la poésie latine faira
aussi partie de cette classe.
Art. 6. Le professeur de rhétorique donnera les règles de
l'éloquence ; il expliquera les odes et l'art poétique d'Horace,
l'Enéide, les discours de Cicéron pro Millon, Tite Live et il y
joindra les Odes de Rousseau ; il est chargé d'enseigner l'his-
toire ; il accoutumera ses élèves à une diction courte, simple et la-
conique ; il les exercera dans le genre épistolaire et à la composi-
tion de petits discours, dits amplification, de même qu'à la poésie
française. C'est surtout dans cette classe que le génie des élèves
doit être stimulé et formé par la citation et les comparaisons des
meilleurs auteurs soit anciens, soit modernes, soit latins ou
français. Il les exercera à l'éloquence du barreau et de la chaire.
Il ne manquera pas de faire apprendre par cœur l'Art poétique de
Boileau, afin d'être dans le cas de le comparer avec celui
d'Horace, les autres leçons seront tirées des auteurs qu'il expli-
quera.
Art. 7. Le professeur de Logique, Physique expérimentale,
Chimie et histoire naturelle, s'applique à perfectionner l'art de
raisonner, il donne un traité d'idéologie et de Dialectique, il
248 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
expose en physique tous les principaux phénomènes de la nature;
en chimie il tâche d'appliquer cette science aux arts en général et
particulièrement à ceux qui sont cultivés ou qui peuvent l'être
dans ce département de même qu'à l'analyse de ses minéraux et
au parti qu'on peut en tirer.
Art. 8. Le professeur du dessein fait l'application de cet art à
toutes les professions qui en ont un besoin direct comme l'archi-
tecture, le génie, la serrurerie, la maçonnerie et autres branches
de mécanique. Après avoir achevé de donner à ses élèves la
théorie du Genèse, de la figure et de la perspective linéaire, il les
divise en deux classes, en ceux qui se destinent à la peinture pro-
prement dite et en ceux qui désirent embrasser une autre profes-
sion. Il insiste pour ces derniers dans la théorie des genres de
l'ornement, de la fleur, de la feuille et dans la touche comparative
des solides et des fluides etc.
Chapitre III
Des leçons et des classes
Art. 9. Toutes les classes auront deux séances par jour.
Art. 10. La durée des leçons est de deux heures le matin et au-
tant le soir pour les classes de 3^, belles-lettres et dessein ; d'une
et demi pour les classes de rhétorique, de logique et physique.
Art. IL Dans ces deux heures n'est point comprise la demi-
heure d'entrée.
Art. 12. La bibliothèque est ouverte tous les jours pairs pen-
dant l'année scholastique depuis 10 heures du matin jusqu'à midi
et depuis 3 heures après-midi jusqu'à cinq ; il ne sera remis qu'aux '
professeurs des livres pour lire chez eux, ils en feront un reçu
qu'ils signeront. Dans les jours impairs le bibliothécaire donnera
des leçons de trigonométrie et d'algèbre jusqu'aux équations
du 2°.
Chapitre IV
Ouvertures et vacances des Ecoles
Art. 13. L'ouverture de l'école a lieu au 1«' brumaire.
Art. 14. Un discours en français ou latin est prononcé à cette
occasion alternativement par le professeur de 3'^, de belles-lettres;
le sujet est indéterminé, un discours sera également prononcé par
un des membres du conseil d'administration de l'école.
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 249
Art. 15. A la clôture de l'année scholatique le professeur de
rhétorique prononcera un discours en français dont le sujet est
aussi indéterminé.
Art. 16. Les vacances commencent au 15 thermidor de chaque
année et finissent au 30 vendémiaire suivant.
Art. 17. Pendant l'année scholatique il n'y a d'autres vacances
que le jeudi, le dimanche, les fêtes nationales et autres détermi-
nées par le concordat.
Art. 18. On pourra dans des circonstances extraordinaires
accorder d'autres vacances ; dans ce cas, elles seront déterminées
par le conseil d'administration sur la proposition du directeur.
Art. 19. Tous les jours de fête il y aura exercice spirituel dans
lequel on adressera aux élèves un discours moral, et on y célé-
brera l'office divin lorsque l'on aura pu obtenir un local pour cet
objet.
Art. 20. Pour l'exécution de l'article précédent il sera demandé
au préfet l'autorisation d'obtenir un aumônier de l'école et il lui
sera fait invitation pour l'établissement d'une chapelle particu-
lière.
Chapitre V
Des compositions
Art, 21. Il y aura des compositions particulières et des com-
positions générales.
Art. 22. Les compositions particulières auront lieu dans cha-
que classe d'humanité une fois toutes les semaines. Les profes-
seurs feront cette composition le vendredi de préférence, ils as-
signeront les places le lendemain, ou pour le plus tard le lundi
suivant.
Art. 23. Le directeur fera faire une composition générale au
commencement du carême, et plusieurs autres à la fin de l'année
scholastique.
Art. 24. Il sera donné des exercices littéraires où les élèves
expliqueront et rendront compte des auteurs qu'ils auront suivis ;
les douze premiers jours de Thermidor seront employés à ces
exercices, qui seront accompagnés des examens particuliers pour
s'assurer des progrès et de la capacité des élèves et leur servir de
titre pour passer à une classe supérieure.
Art. 25. L'exercice littéraire donné par le professeur de rhéto.
250 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
rique et le discours qu'il prononcera seront suivis de la distribu-
tion des prix.
Art. 26. Des prix seront solennellement distribués le 13 ther-
midor ; les noms des élèves qui les ont obtenus seront proclamés,
il sera dressé procès-verbal de cette distribution et copie en sera
envoyée au ministre de l'intérieure, au conseiller d'état chargé de
l'instruction publique, au préfet du département et aux parens des
élèves qui auront remportés les prix.
Chapitre VI
Des heures d'entrée et de sortie des classes
Art. 27. Pendant les cinq premiers mois de l'année scholasti-
que on ira à l'école le matin à huit heures, et on entrera en classe
à huit heures et demi précises, pour en sortir à dix heures et
demi, on retournera à l'école à urje heure et demi après midi et on
en sortira à quatre heures précises. Pendant les autres mois on
entrera en classe demi-heure plutôt le matin et demi heure plus
tard l'après midi, la séance durera toujours deux heures.
L'ouverture des classes sera annoncée par la grande cloche de
la ville.
Art. 28. Les séances des classes de rhétorique et de philoso-
phie ne dureront qu'une heure et demi.
Art. 29. Le professeur de belles-lettres étant chargé aussi des
leçons d'arithmétique, du calcul décimal et de géométrie, il don-
nera ces leçons dans les jours pairs des trois derniers mois de
l'année scholastique depuis dix heures du matin jusqu'à midi et
pendant ce tems il ne fera point d'autre classe le matin des jours
pairs.
Art. 30. Le bibliothécaire étant pareillement chargé des leçons
de trigonométrie et d'algèbre, il les donnera dans les jours impairs
depuis dix heures jusqu'à midi et pendant ce temps la bibliothè-
que sera fermée le matin.
Art. 3L Une cloche placée dans l'intérieur de l'école annoncera
l'entrée et la sortie des classes, le concierge est chargé de cette
opération.
Art. 32. Chaque professeur à son tour se rendra à l'école
pour veiller au maintien du bon ordre pendant la demi-heure
d'attente.
l'enseignement a NICE SOUS LE CONSULAT 251
Chapitre VII
Des Elèves
Art. 33. Pour être admis à l'école, les élèves doivent se pré-
senter au directeur, en obtenir un billet portant déclaration que
par l'examen subi ils ont mérité d'être admis à la classe désigné
dans ledit billet. Les professeurs rempliront ensuite les conditions
portées par l'article 3.
Art. 34. Les élèves une fois admis devront se conformer au rè-
glement, ils sont sous la police immédiate du professeur et du direc-
teur, ils doivent se comporter avec décence dans l'enceinte de l'école
et ils ne peuvent y entrer qu'aux heures fixées pour les leçons.
Art. 35. Les professeurs ont chacun en ce qui les concerne la
force coactive.
Art. 36. Tout élève qui manque à ses devoirs est pour la pre-
mière fois admonesté par son professeur, pour la seconde fois il
l'est par le directeur en présence du conseil d'administration de
l'école et des autres élèves. S'il récidive son nom est affiché
publiquement dans l'enceinte de l'école avec la désignation des
manquements auxquels il s'est livré, et pour des choses graves,
surtout en matière de rnœurs, il est renvoyé de l'école après un
jugement du conseil d'administration et après en avoir obtenu
l'approbation du préfet.
Chapitre VIII
De la Botanique
Art. 37, Le démonstrateur de botanique donnera ses leçons
dans la saison propice, son cours durera tant qu'il sera nécessaire.
Le Jardin botanique est le lieu de ses séances, il fera en outre des
observations dans les environs de Nice pour faire connaître aux
élèves particulièrement les plantes marines et subalpines qui sont
dans ce climat très fécond dans cette production.
Chapitre IX
Du Concierge
Art. 38. Le concierge est aux ordres des professeurs et du
bibliothécaire pour tout ce qui concerne l'école, il maintient la
propreté dans l'intérieur des salles et des corridors ainsi que dans
la salle de la bibliothèque, il ne peut jamais s'absenter sans en
avoir prévenu les professeurs et obtenu la permission.
252 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Chapitre X
Administration de l'Ecole
Art. 39. Les fonctions du conseil d'administration de l'école
seront gratuites ; il s'assemblera quatre fois par an et plus souvent
s'il le juge convenable ou si le directeur de l'école l'invite. Le
directeur rend compte au conseil d'administration, il y porte les
plaintes relatives aux fautes graves qui pourraient être commises
par les professeurs dans l'exercice de leurs fonctions et par les
élèves dans leur conduite. Dans le premier cas la plainte sera
communiquée au professeur contre lequel elle sera dirigée, elle
sera ensuite adressée ainsi que la réponse au Préfet. Dans le cas
d'inconduite ou d'indiscipline l'élève pourra être exclu de l'école
par le conseil à la charge par celui-ci d'en rendre compte au pré-
fet, auquel appartient la surveillance immédiate de l'école.
Art. 40. Le directeur de l'Ecole dans la séance publique du
14 thermidor annoncera les vacances après avoir proclamé le nom
de tous les élèves qui auront mérité par leur application et leurs
progrès de passer à une classe supérieure, il sera prononcé dans
cette circonstance un discours par un des membres du conseil
d'administration.
Art. 41. Le présent règlement sera imprimé, publié et affiché
dans toutes les communes du département. Des exemplaires en
seront envoyés au Ministre de l'intérieure, au conseiller d'état
chargé de l'instruction publique, aux professeurs de l'école et au
directeur qui est spécialement chargé d'en surveiller l'exécution.
Fait à Nice, en conseil d'administration pour être soumis à
l'approbation du préfet, le 23 floréal an onze de la république
française une et indivisible.
Signé fs ToRRiNi, adjoint faisant les fonctions de
maire. Bernardin Clericy directeur de l'école et Caravel
chef de la 3'' division de la préfecture.
Vu et approuvé
Nice le 25 floréal an XI de la république française
une et indivisible.
Le préfet du département des Alpes-Maritimes.
Signé : Chateacneuf-Randon.
François Torrini adj' f' f''" de maire.
LES PRODROMES DE LA REVOLUTION
DANS L'ARDÈCHE ET LE GARD
UNE RELATION INÉDITE
DE LA
RÉVOLTE DES MASQUES ARMES
DANS LEBAS-V[VARAIS
PENDANT LES ANNÉES 1782-1783
Les troubles graves qui éclatèrent dans le midi du Vivarais
et dans le nord de l'Uzège en 1782-1783 paraissent avoir été
provoqués en grande partie par les abus des hommes d'affaires.
Les écrits du temps ne sont pas tendres pour les procureurs, les
praticiens et autres gens de loi. Théodore Chomel nous signale
les agissements repréhensibles des praticiens du Vivarais dans
leurs rapports avec la Cour des Conventions deNimes ^ Qu'en-
tendait-on au juste par praticien et par procureur à la fin de
l'Ancien-Régime ? Guyot, dans son Répertoire de Jurisprudence ^,
nous donne du praticien la définition suivante : « C'est celui qui
entend l'ordre et la manière de procéder en justice et qui suit le
barreau. Et quand on parle d'un praticien simplement, on en-
tend quelqu'un qui n'a d'autre emploi que de postuler dans une
petite juridiction seigneuriale. Les juges absens peuvent être
1. Mémoire sur l'administration de la justice en Viuarais. Toulouse, 1778, iu-
4*. p. 85-6.
2. Tome XLVI (1781), p. 524.
254 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
suppléés par desimpies praticiens à défaut de gradués. Les pro-
cureurs sont regardés comme les premiers praticiens. « *
Quant au procureur postulant, ou simplement procureur * ,
« c'est un officier établi pour agir en justice au nom de ceux qui
plaident dans quelque juridiction... A l'audience, le procureur
assiste l'avocat qui plaide la cause de sa partie. » Le juriscon-
sulte Guyot, bien qu'il ne traite que la question de droit, ne
nous laisse pas ignorer « ces chicanes ou subtilités qui compo-
sent toute la science de la plupart des procureurs, et par le
moyen desquelles ils savent si bien pour leur profit et à la ruine
de leurs parties, multiplier les actes et éterniser les procès - .»
Un autre contemporain, très bien placé pour relever les exac-
tions des hommes de loi, puisqu'il remplissait l'office de lieute-
nant-criminel au bailliage de Villeneuve-de-Berg, M. de Ta-
vernol, a laissé un mémoire manuscrit « sur les abus et malver-
sations des procureurs et gens d'affaires du Vivarais et des Cé-
vennes ^ ».
Les faits qui se rattachent à la révolte des masques armés sont
pour la plupart connus. Comme au temps des Camisards, on vit
des hommes grimés, le visage recouvert d'un masque ou bar-
bouillé de suie, pénétrer inopinément dans les officines de pro-
cureurs, de praticiens ou même de notaires ; ils enlevaient tous
les papiers, les brûlaient séance tenante dans les cheminées de
la maison, ou si la quantité en était trop considérable, les empor-
taient dans des draps de lit et y mettaient le feu en rase campagne.
Les exploits de ces bandes, leur composition et leur allure
mystérieuses, ont fortement frappé l'imagination populaire et de
nombreux écrivains en ont recueilli les échos dramatiques dans
leurs publications. Notre dessein n'est pas d'en reconstituer au-
jourd'hui les épisodes sanglants. Le sujet est trop considérable ;
la révolte est d'ailleurs liée à la question de la réforme judiciaire,
— une des grandes causes de la Révolution, — et l'ensemble de
ces faits sera amplement étudié ailleurs ^ . Il nous suffira pour
le quart d'heure d'apporter au volumineux dossier -* de l'affaire
1. TomeXLVIII (1781), p. 428-38.
2. Ibid., p. 431.
3. Archives de M. Hevraud, à Villeueuve-de-Herg ; cite par l'abbé Mollier,
p. 284.
4. Histoire du Viuarais, t. III.
5. Sources manuscrites : Archives de l'Hérault, C 47 ; Archives de la Haute-
LA RÉVOLTE DES MASQUES ARMÉS 255
des masques armés une relation inédite fournie précisément par
l'un de ceux qui furent appelés à disperser les infernales bandes:
le commandant de Dampmartin.
L'historien de la petite ville des Vans, Marins Talion, a con-
sacré tout un chapitre de son tome II aux masques armés. Il a
utilisé, entre autres sources, l'ouvrage de M. Anne-Henri Cabot,
vicomte de Dampmartin , le fils de ce même commandant qui
avait été chargé de la répression des troubles.
Talion note l'arrivée aux Vans de la petite troupe du régiment
de Périgord commandée par M. de Dampmartin. Il constate que
ce dernier dut se donner beaucoup de mal pour parvenir à sur-
prendre une trentaine de brigands. Le comte de Périgord, com-
mandant en chef de la province de Languedoc, écrivit à M. de
Dampmartin pour lui transmettre les félicitations du ministre,
mais en ajoutant que les éloges et les récompenses qui lui seraient
décernés ne pourraient avoir aucun éclat : « il faut même que
vous secondiez le désir qu'a la cour de présenter ces attroupe-
ments comme trop méprisables pour avoir jamais menacé de
produire quelques conséquences fâcheuses - » .
En réalité, la révolte des masques armés ne fut pas enrayée ;
l'incendie n'était que momentanément maîtrisé ; le feu couvait
sous la cendre ; il allait se raviver au premier souffle de la tour-
mente révolutionnaire et sous couleur de représailles accumuler
bien des ruines.
Jean Régné.
Garonne, C 242fi ; Archives de l'Ardèche, G 1084 ; — Fonds Mazon, Encja-lo-
pédie de l'Ardèche, suh verho Masques armés ; Ghronologie de l'Ardèche, année
1783 ; Manuscrits de Délichères ; Notes et pièces sur l'histoire du canton des
Vans ; Notes et documents sur les Masques armés, dossier formé par Firmiu
Boissin.
Bibliographie : Soulavie, Mémoires sur le règne de Louis XVI, t. \' (1801), p.
199 ; Abbé Mollier, Recherches sur Villeneuue-dc-Bcry, Avignon, 1866, in-S», p.
284-6; Védel, Une excursion dans le passé, dans Annuaire de l'Ardèche. de 1868, p.
311-2; Journal de l'Ardèche, 20 avril 1873; Mazon, Petites notes ardéchoises, 2" série
(1874), p. 54-61) ; Histoire de Languedoc, t. XIII (1877), p. 1310-3 ; Boissin, Le
Vivarais et leDauphiné aux jeux florau.v de Toulouse, Vienne, 1878, in-8", p. 101 ;
Mazon, Voyage autour de Priuas (IHH2), p. 460-1 ; Talion, Histoire des Vans,
t. II (1885), p. 181-96 ; P. d'Albigny, La criminalité dans l'Ardèche, Privas.
1887, in-4', lettre de M. F. Boissin sur la criminalité dans le Vivarais, p. 9-10 ;
Mazon, Notice historique sur Jaujac, La Souche, etc. Privas, 1898, in- 16, p.
236-40.
1. La France sous ses rois, Paris, 1810, 5 vol. in-8", t. V, p. 195.
2. M. Talion, Histoire des Vans. t. II, p. 181, 185, 187, 195-6.
256 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Journal de ce quisest passé en Cévennes et en Viuarais, lors
des attroupemens masqués et armés, dissipés par M. de Damp-
martin, commandant de la ville et département d'Uzès et de
St-Ambroix *.
Il est nécessaire de prévenir que la misère des temps, le man-
que de récolte dans tous les genres, l'exprit processif qui règne
dans ce pays-là, la conduite des procureurs et des gens d'af-
faires, qui ont réussi à s'enrichir aux dépens des paysans, sont
les premiers et seuls motifs des troubles qu'il y a eu en 1783.
Dez le mois de juin 1782, il parut une bande de mas-
que[s] au Malpas, sur le chemin des Vans- à Bannes ^ , qui
arrêtèrent un diné, que fesoit porter un avocat, nommé par
M. le comte du Roure * pour être juge de Bannes ; ils firent
signe au juge et aux procureurs de s'en retourner, ce qu'ils
firent et les masques mangèrent le diné.
Environ huit jours après, deux procureurs des Vans
allant à l'audience à Bannes, furent au même lieu accueillis
de quelques coups de fusil, toujours par des gens masqués ;
ils retournèrent bien vite sur leurs pas.
On ne fit pas grand cas de ces deux levées de boucliers ;
tout paroissoit tranquile ; maisdaas le mois de janvier 1783,
on tenoit des propos, on disoit qu'il faloit brûler les papiers
des procureurs et on les enmenaçoitdans toutes les occasions.
Le 30 de janvier, à neuf heures du matin, trente trois
masques armés entrèrent dans la ville des Vans ; ils fu-
rent directement chez le S*^ Monteil, procureur, mirent des
sentinelles aux avenues de sa maison, deux à la porte, et
montèrent à son cabinet ; ils lui demandèrent 2000 1. et
ses papiers ; celui-cy leur dit qu'il n'avoit que 12 1., qu'il
1 . Saint-Ambroix, Gard, arr. d'Alais. — Nous avons rectifié l'accentuation
par trop rudinientaire du Journal ; mais nous avons cru ne devoir en corriger
que très légèrement l'orthographe.
2. La localité des \'ans, aujourd'hui chef-lieu de canton de l'arrondissement
de Largentière, faisait partie autrefois du diocèse d'Uzès ; elle fut réunie au
département de l'Ardèche en 1790.
3. Banne, Ardèche, arr. de Largentière, cant. des Vans.
4. Sans doute, Denis Auguste de Grimoard de Beau\oir du Roure, lieutenant
général des armées du roi, seigneur de Banne et autres terres.
LA RÉVOLTE DES MASQUES ARMÉS 257
leur donna et les conduisit dans son étude ; ils y trouvè-
rent un louis qu'ils prirent et tous les papiers qu'ils em-
portèrent dans des draps hors de la ville et y mirent le
feu ; pendant ces expéditions les exprits se remirent un peu
de leur peur ; on ferma les portes de la ville et ils ne pu-
rent entrer après le déjeuné qu'ils firent sur la promenade
de la Grave, exactement à la porte de la ville ; en se retirant,
ils passèrent devant chez le S"^ Roure, procureur, qui habite
le fauxbourg ; ses portes étant fermées, ils ne tentèrent pas
de les enfoncer et se bornèrent à tirer quelque coup de
fusil à balles dans ses fenêtres.
Pendant huit jours on n'entendit plus parler de rien,
mais on sut qu'il y avoit des gens qui cherchoient à ameu-
ter le peuple, à faire des recrues, qu'ils qualifioient leur
bande du nom de troupe bonnette du Vivarais et qu'on en-
rôloit tout ce qu'on pouvoit ; ils s'assemblèrent enfin et
nommèrent des chefs et envoyèrent dans les meilleures
maisons de la paroisse de Banne et aux environs avec une
lettre portant : n Le Sr X X X. donnera au porteur la somme
de X X. pour fournir à Ventretient et la subsistance de la
troupe anglaise \ qui a pris les armes contre les procureurs ».
Chacun donna ce à quoi il avoit été taxé. L'argent fut em-
ployé à acheter de la poudre et des balles, et le 6 février
leurs courses commancèrent ; une bande de 23 hommes
furent chez le S' Thomas, brûlèrent ses papiers sous ses
fenêtres, brisèrent les armoires, les garderobes, lui enle-
vèrent son linge, ses habits, ceux de sa femme, s'empa-
rèrent de toutes les provisions de bouche et répandirent
dans la cour toute son huile.
Le 7', cette bande doublée fut aux Salles 2 de Gravières ^,
chez le S'' Masméjan, notaire ; ils firent l'éloge de sa pro-
bité, l'assurèrent qu'il ne lui arriveroit rien ni à ses papiers,
1. C'est sans cloute cette lettre qui a fait croire à Giraud Soulavie que l'or
anglais n'avait pas été étranger à l'apparition des masques armés {Mémoires du
règne de Louis XVI, t. V, p. 198).
2. La Salle, dans la commune et au sud de Gravières.
3. Gravières, commune du canton des Vans.
HKV. IllST. l)K LA RkVOL. n
258 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
lui dirent qu'ils venoient pour recevoir ce qu'il leur vou-
droit donner pour la subsistance de la troupe ; celui-cy les
fit boire et manger et leur donna 12 1. ; de suite ils se trans-
portèrent chez le S'^ Ginoux, voisin du premier, se con-
tentèrent de 24 s., et lui proposèrent de prendre parti avec
eux, n'ignorant pas qu'il avoit été ruiné par les procureurs,
mais celui-cy leur marqua son indignation et les renvoya.
En allant des Salles au Masbousquet i, ils rencontrèrent
un nommé Costé, qui courroit à ce hameau pour avertir le
S"^ Castenier, procureur, de leur arrivée ; les masques s'en
doutèrent, lui crièrent d'arrêter ; celui-cy n'en faisant rien,
il lui fut tiré plusieurs coups de fusil, dont l'un le renversa ;
ils le laissèrent sans le regarder, le croyant mort, et conti-
nuèrent leur chemin ; arrivés chez Castenier, ils lui de-
mandèrent sa vie ou cent louis et ses papiers ; il sacrifia
ces derniers, qui furent brûlés et s'emparèrent ensuite de
tout le comestible de sa maison qu'ils trouvèrent et empor-
tèrent tout le linge et les habits qu'ils purent.
Le 8 février, les masques furent inombrables ; on en
rencontroit par tout ; ils en passa plus de cent dans la
barque du Chapiscol ^ , dont partie prit le chemin du Vi-
varais et partie celui de Chambonnas •* ; ils furent à
Ponge *, chez le S"^ Morier, procureur ; sa maison fut in-
vestie ; ils le fouillèrent, lui prirent l'argent qu'il avoit sur
lui, brûlèrent ses papiers et enlevèrent, selon leur usage,
les provisions, le linge, habits, etc.
De chez le S' Morier, ils furent chez le S"" Deschanel,
notaire et procureur; celui-cy va au chef, lui donne quelque
argent, invite la bande à déjeuner, les fait servir avec pro-
fusion et demande grâce pour ses papiers, ce qu'il obtint ;
et ils se séparèrent très contents les uns des autres.
1. Le Mas, dans la commune et au sud de Gravières.
2. Chabiscol, bac et moulin dans la commune et au nord-ouest de Chas-
sagnes.
.3. Chambonas, avant 1790, paroisse de l'Uzège ; aujourd'hui commune du
canton des Vans.
4. Ponges, hameau dans la commune et au nord de Chambonas.
LA RKVOLTE DES MASQUES ARMÉS 259
Cette bande arrive le soir au rendés-vous et se trouve
forte de l40 hommes armés, couverts d'une chemise sur leur
habit, nouée par une ceinture de corde, le visage barbouillé
ou couvert d'une gase ou d'un filet noir ; elle se rend à
neuf heures du soir à la Blachère ' et va à la maison du
S"" Salel, procureur ; [ils] enfoncent les portes, le détè-
rent caché dans du foin, lui enlèvent sa montre et cent un
louis, brisent ses armoires, enlèvent son linge, ses habits,
les provisions de bouche et brûlent ses papiers.
Le lendemain neuf, se trouvant trop nombreux pour
vivre ensemble, et ne voulant pas émeuter contre eux le
peuple, ils se séparèrent, firent encore des recrues et cou-
rurent le pays, où ils commirent les mêmes excès, en se
vantant d'être assés nombreux pour attaquer même les
villes fermées, ce qui fit prendre des précautions aux
maires et consuls pour se mettre à l'abri de toute surprise.
M. le comte de Périgord permit à ceux-cy de faire armer
les bourgeois.
Les bandes des masques qui étoient aux environs de
St-Ambroix écrivirent le dix à M. Toulouse, 1" consul ; ils
luiexposoient la misère qui les accabloit, les griefs qu'ils
avoient contre les gens d'affaire et les marchands de bleds,
et le prévenoient que, si les uns et les autres ne leur fai-
soient passer deux mille cinq cens livres, ils viendroient
500 ravager les greniers, les études et la ville. Le maire
leur fit répondre que ce n'étoit pas ainsi qu'ils obtiendroient
des secours, qu'il ne les craignoit pas et qu'ils s'exposoient
à courir les plus grands risques.
Le 10 au matin, 50 grenadiers du régiment de Piémont
arrivèrent à St-Ambroix ; demi-heure après, les masques
s'approchaient pour insulter la ville ; l'apparition des soldats
les fit bien vile fuir, surtout les voyant venir au devant
d'eux, suivis de la majeure partie de la bourgeoisie ; ils se
retirèrent du côté de St-Brest - ; ce fut là que le vicaire
1. La Hlachcrc, :ut. de Lagentière, cant. de Joycus<;.
2. Saint-Brès, (iaril, arr. d'Alais, caiil. de Sl-Ainl)roix..
260 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
de St-Aml)roix, nommé Geneston, fut les cathéchiser ;
ils le reçurent avec respect et lui retracèrent leurs do-
léances ; celui-cy les exhorta à se retirer et à mettre bas les
armes ; il leur offrit sa bourse et sa montre qu'ils ne vou-
lurent pas accepter.
Le onze, 25 grenadiers des 50 arrivés à St-Ambroix
partirent pour les Vans ; ce même jour, les masques furent
à St-André de Cruzières *, y rançonnèrent les S'^^ Lèbre et
Grafaud, notaires et procureurs, sans aller à leurs maisons,
crainte (dirent-ils) d'épouvanter leurs femmes ; ils les en-
voyèrent chercher au cabaret et les forcèrent de capituler
avec eux : Lèbre pour 36 1. et Graffaud pour 48 1. ; ils assu-
rèrent l'un et l'autre que, quant même ils auroient été chez
eux ; ils n'auroient pas touché à leurs papiers, les recon-
naissant pour des très braves et bonnettes gens.
Le 12 à minuit, un courier de M. le Comte de Périgord
arriva à M. de Dampmartin à Uzès et lui porta l'ordre de
prendre 150 hommes de sa garnison du régiment de Pié-
mont et d'aller joindre les 50 grenadiers de ce régiment,
arrivés le 10 et le 11 à St-Ambroix et aux Vans ; cet offi-
cier partit le 13 à 7 heures du matin et arriva le même
jour à St-Ambroix, Sa marche ne fut que pénible ; ils ne
rencontrèrent pas un masque ; ceux-cy le même jour furent
chez le S"^ Channac au nombre d'environ cinquante ; le fils
de la maison, qui étoit avec ses ouvriers, les quitte, va au
devant d'eux, tâche de calmer leur fureur ; ils lui deman-
dent 25 louis ; il n'en avoit qu'un qu'il leur donna ; fu-
rieux, ils le font mettre à genoux, lui disent de se recom-
mander à Dieu, le couchant en joue, par réflexion le font
relever, se font conduire à son étude, lui permettent d'en
retirer les papiers les plus essentiels, prennent les autres,
les brûlent devant lui, enfoncent les armoires, y prennent
tout ce qui leur convient en linge, habits, meubles, etc., et
s'emparent de toutes les provisions comestibles ; de là, ils
1. St-André-de-Cruziùrcs, autrefois paroisse du diocèse d'Uzès ; aujourd'hui
commune ardéchoise du canton des Vans.
LA RÉVOLTE DES MASQUES ARMÉS 261
vont chez le S'" Bérard, notaire du môme lieu, qui croyoit
ses papiers en sûreté, n'étant pas procureur ; ils lui deman-
dèrent quatre louis qu'il n'avoit pas ; il court les chercher
dans le village et, pendant ce iems, on brûle ses papiers
et ses registres.
Ce même jour 13, une bande d'environ 15 capitulèrent
et posèrent leur armes au moyen de 54 1. qu'on leur
donnât ; ce fut au moment que M. de Dampmartin arrivoit
à St-Ambroix ; mais, quelques heures après, on fut instruit
qu'en se retirant ils avoient rençonnés plusieurs parti-
culiers.
Le 14, M. de Dampmartin, ayant laissé 50 hommes à
St-Ambroix, en partit à 6 heures du matin avec 125 pour se
rendre aux Yans ; il faisoit un tems affreux, une pluye à
verse ; arrivé à Banne, il y prit des renseignemens et sût
que, ce même jour, cinq cens hommes dévoient se rassem-
bler pour forcer et piller la ville des Vans, afin de punir les
habitans de ce qu'ils avoient fermé les portes lors de l'ex-
pédition qu'ils avoient faite chez le S' Monteil ; cette
nouvelle hâta sa marche ; la pluye cesse ; le tems se lève
et, vers onze heures, il arrive au haut de la descente des
Vans sans rien voir ni rien appercevoir qui aye trait à ces
gens-là, qui dans le même instant se rassembloient dans la
prérie de M, de Casteljoux ' , à une portée de fusil des Vans,
mais située de façon qu'on ni voit ce qui s'i passe
que lorsqu'on y est dedans ; c'est là où les prétendus chefs
les mettaient en bataille, donnant à chacun ses ordres, et
[on] finit en leur disant : Courage mes amis, bientôt la ville
des Vans sera en notre pouvoir : je vous la livre au pillage et
je ne me réserve que les maisons des M^^ Chambon, Lahondcs et
Colomb. Il se met à leur tète et marche. M. Muttel, lieu-
tenant de grenadiers du rt'giment de Piémont, fait prendre
1. Nous relovons le nom de Castelj.TU parmi les principaux contriluialiles dos-
Vans, de 1747 à 1780 (Talion, II, 337). Il existait aux Vans une l'amille de
Fagot, qui, à la suite d'une alliance avec les Lahaunie-Casteljau, ajouta ce
dernier nom au sien (Revue du Virarais, t. X, lilO'i, p. 542).
262 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
les armes à ses 25 grenadiers, en place six à la petite porte
du côté de Chauves, avec ordre de faire feu sur ces [gensj
là, s'ils veulent y entrer et se place quelques pas en arrière ;
les masques s'i présentent ; mais voyant les grenadiers, ils
tournent la ville pour gagner celle de La Grave ' . M. de
Muttet laisse là ses six grenadiers, traverse la ville, va sortir
par ladite porte et marche au devant des masques, qui
s'arrêtèrent, voyant venir à eux les grenadiers, auxquels
s'étoient joints deux soldats invalides, qui se sont conduits
avec la plus grande valleur et intrépidité ; cet officier envoya
son tambour demander aux masques qu'est-ce qu'ils vou-
loient ; ils répondirent qu'il leur falloit 4 procureurs qu'ils
nommèrent. — « Qu'en voulez vous faire ? » — « Nous les
pendrons et nous nous retirerons. » — Cet officier leur
répondit qu'il étoit là pour les deffendre et il chercha à ga-
gner du tems, instruit que M. de Dainpmartin, commandant
d'Uzès, arrivoit avec 125 hommes du régiment de Piémont.
Son attente ne fut pas déçue ; cet officier parut au moment
où ses gens l'attendoient le moins ; il eût pu tomber sur
eux et en faire une boucherie, mais il préféra les laisser
sauver ; ils gravirent avec une rapidité étonante la mon-
tagne voisine et virent défiler la troupe, sans oser l'in-
sulter. Deux heures après, ils écrivirent à M. Chalmeton,
juge des Yans, pour lui demander les quatre mêmes pro-
cureurs ; celui-cy leur fut envoyé avec M. Muttet par M.
de Dampmarlin pour les engager à se retirer et à poser les
armes ; ils promirent le premier article et non le second ;
ils se séparèrent effectivement, mais se mirent par petites
bandes, de 15 à 20 ; une d'entre elles tira plusieurs coups
de fusil chez le S' Gautier, marchand quincallier d'Alais,
qui partoit des Yans pour Joyeuse ; le sifflement des balles
l'effraya tellement qu'arrivé, il' fut obligé de se faire
saigner.
Environ 100 de ces masques passèrent, le même soir,
1. La porto (lo° La (îravc.
LA RÉVOLTE DES MASQUES ARMÉS 263
la barque du Chapiscol, et 15 d'entre eux se firent donner à
manger et à boire chez ledit Salel, où précédemment ils
avoient été.
Un pareil nombre fut à Banne chez le S' Marron, pro-
cureur ; ils brûlèrent ses papiers, pillèrent sa maison et
l'accablèrent d'injures et d'invectives.
Le samedy 15, malgré la promesse qu'ils avoient faite,
les masques s'attroupèrent de nouveau ; mais instruits que
M. de Dampmartin marchoit contre eux, ils se divisèrent
bien vite et se répandirent dans le pays ; ils tombèrent
chez les particuliers pour avoir des vivres ou de l'argent ; 45
furent chez ledit Salel, de Montel, paroisse de St-Jean
des Bancs ^ , riche ménager ; celui-cy leur offrit à boire et
à manger ; ils lui prirent 78 1. en argent, toutes les pro-
visions et pillèrent tous ses effets.
Quinze d'eux furent dans le même tems chez le S' Bois-
son, de Vagnas - , notaire et féodiste, dansl'intention.de brûler
ses registres et papiers. Le curé de la paroisse en étant ins-
truit, s'i rendit et les pérora pour tâcher de les dissuader ;
ils demandèrent 300 1. ; cet homme ne les avoit pas ; le
curé leur donna 4 louis ; ils obligèrent encore le notaire à
payer la dépense qu'ils furent faire au cabaret de ce village ;
leur intention étoit d'aller à Barjac ^ , dont ils prirent le
chemin ; mais M. de Dampmartin avoit mis, ce même jour,
cette ville en sûreté ; il y avoit euAoyé un lieutenant et 30
hommes. Voyant des troupes, ils filèrent le long de la ville
et gagnèrent Pierregras, hameau de St-André-de-Crusières ;
ils alloient enfoncer la porte du S»" Lèbre ; la Dame la leur
ouvrit bien vite et leur représenta qu'ils étoient déjà venus
chez elle ; ils se bornèrent à manger ce qu'ils trouvèrent
dans le buffet ; une autre bande de 20 se transportèrent
encore le même jour à Ponge, et, instruits que le S"^ Moriés
avoit acheté et mis chez un de ses voisins 20 salmées de
1. Los Bancs, dans la commune et au nord de Chambonas.
2. Vagnas, commune du canton de \'alloii.
;i. Haijac, (iard, arr. d'Alais.
264 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
grains, ils les voulurent, se les firent remettre et les empor-
portèrent. Une autre bande d'environ 20 fut le 16 à Dor-
bons, paroisse de St-Ginés^ , chez le nommé Joanneur, et lui
enlevèrent l'argent d'un troupeau de moutons qu'il avoit
retiré la veille.
Ce même jour, M. de la Boissonnade, revenant chez lui,
fut attaqué par deux masques, qui lui demandèrent la
bourse ou la vie et lui prirent neuf livres qu'il avoit dans
sa poche ; ceux-cy l'avertirent qu'ils alloient en grande
bande arriver chez lui, ce qui le détermina d'envoyer à
Berrias - , chez M. de Malbos ^ , le prier de venir à son se-
cours et de lui mener des habitans pour le deffendre, ce
que celui-cy fit ; il arriva avec 20 hommes armés ; ils se
mirent en état de deftense. Mais personne ne parut. M. de
Malbos retourna chez lui avec la majeure partie des habi-
tans de Berrias. Vers les onze heures du soir, M. de la Bois-
sonnade fut instruit que 2 masques s'étoient réfugiés dans
une maison voisine ; il prit trois hommes avec lui et les
reconnut pour ceux qui l'avoient attaqué ; il les prit, les fit
lier et garoter et mener chez lui, d'où il renvoya de suite à
M. de Malbos, qui vint avec tous ses gens ; ces MM. con-
clurent de les traduire aux Vans ; ils partent après minuit,
se font escorter par douze hommes, passent par des che-
mins détournés, mais arrivés au pont de la Bane, à demi
quart de lieue des Vans, ils y trouvèrent environ 60 mas-
ques, qui leur enlevèrent les prisonniers. M. de Dampmar-
tin envoya le lendemain un détachement d'un sergent et 20
soldats à Berrias.
Le 17, une bande de quinze à vingt furent chez le S'"
Castanier, de Bedous, paroisse d'Aujac ^ , brûlèrent les pa-
1. St-Geniès-de-Claissc, paroisse su{}priméf ; faisait partie du diocèse d'U-
zès ; c'est aujourd'hui un hameau de St-Sauveur-de-Cruzières.
2. Berrias, commune du canton des \'ans.
.3. Louis Bastide de Malbos, maire de Berrias ; véritable organisateur des
camps de Jalès, il mourut, peut-être étrangle, dans sa prison au Poni-Sainl-
Esprit, en février 1791.
4. Aujac, Gard, arr. d'Alais, cant. de Génolhac. Le hameau des Bedousses
.ï e trouve enclavé aujourd'hui dans la commune de Sénéchas.
LA RÉVOLTE DES MASQUES ARMÉS 265
piers de ce féodiste, brisèrent les armoires et pillèrent tout
ce qu'ils peurent ; le S"" Deleuze, avocat habitant le même
lieu, craignant qu'ils ne se conduisissent de même chez lui,
fut les trouver au cabaret, leur fit donner à boire et à man-
ger et 48 1., que le cabaretier lui prêta.
Ce même jour, M. de Malbos étant chez M. de la Bois-
sonnade ' , on vint lui dire que des masques le deman-
doient ; il y va armé de son fusil ; 4 masques viennent au
devant de lui armés aussi, le saluent et lui disent : « Nous
avons apris que M. de la Boissonnade a été arrêté et volé
hier au soir par deux masques. Cette nouvelle nous a mis
au désespoir ; nous pouvons vous assurer que, quant nous,
nous sommes armés contre les procureurs à cause de leur
injustice ; nous n'avons jamais prétendu faire la moindre
peine aux bonnettes gens ; nous savons cependant que,
parmi les recrues que nous avons été forcés de faire pour
nous seconder dans notre entreprise, nous avons enrôlés
beaucoup de mauvais sujets, qui ne se sont pas toujours
conformés à notre intention. Aussi, nous les avons toujours
blâmés et nous sommes indignés contre ceux qui attaquè-
rent votre ami. Nous venons de leur habitation où nous
avons été pour les punir ; bien leur a valu d'avoir pris la
fuite ; ils ne seroient pas à présent en vie ; leur perte étoit
jurée. »
M. de Malbos les exhorta à poser les armes, à se retirer
chez eux, ce qu'ils promirent de faire ; ils étoient là au
nombre de 35 ou 40. Dès le 16, M. de Dampmartin avoit
fait enlever trois masques dans la paroisse de Gravières ;
le 17 - , une bande va chez le S*" Bourdagier, paroisse de Pei-
remale ■' , et, quoique octogénaire, il n'essuya pas moins
leurs brigandages ; ils l'assaillirent d'injures et dévastèrent
1. 11 y a un hanu'au de la Boissonadc dans la commune de Ponteils-el-
Brézis, canton de Génolhac. Mais les anciens registres des tailles montrent
qu'il y avait aux \'ans une famille de La Boissonnade (Talion, Histoire des
Vans, H, :VM).
2. On lit en inaige : " Le 20, M. de Dampmartin reçut nn renfort de 60 hommes
commandés par un capitaine et deux lieutenans. »
3. Peyremale, Gard, arr. d'Alais, cant. de Bcssèges.
266 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
sa maison, brisèrent portes et fenêtres, et emportèrent tous
ses meubles. Cet homme fait courir après et, à force de
prières, on lui en rend partie moyennant quatre louis. Ils
passèrent ensuite chez le S"^ Coste. procureur et voisin de
Bourdagier ; il s'i contentèrent de quelque argent qu'il leur
donna et lui demandèrent des papiers qui lui fussent
inutiles ; et ils les brûlèrent. Ce même jour, M. le chevalier
de Vernède vint avertir M. de Dampmartin qu'une bande
d'environ 20, qui dévastoient sa contrée, dévoient souper
dans un cabaret, au millieu de ses bois, et qu'il se faisoit
fort de les faire arrêter, s'il vouloit lui donner un détache-
ment d'un sergent et douze grenadiers, qui investirent la
maison où cette troupe soupait. Le brigadier s'avance à la
porte, qui étoit fermée, il frape ; au qui va là, il répond
ami. L'hôte refuse d'ouvrir, dit qu'il n'a personne et, comme
on se dispose à enfoncer la porte, on entend crier aux armes;
et le moment d'après, on tirra par la fenêtre trois coups de
fusils sur les soldats, qui le leur rendirent avec usure. La
porte enfoncée, on ne trouva personne ; ils s'étoient cachés
sous le lit, dans les greniers à foin, où on les prit, ainsi
que ile maître de la maison ; le chef, procureur fiscal de
Malbos ' , s'étoit caché dans le tuyeau de la cheminée ; ils
furent liés et garrotés et conduits aux Vans, où ils n'arri-
vèrent qu'à huit heures du matin du 18. Ce même jour,
une autre troupe fut chez le S' Martin, procureur,
pillèrent et dévastèrent sa maison. L'enlèvement de cette
bande fit assez d'impression pour faire poser les armes à la
majeure partie de ces gens et, sous peu de jours, il ne fut
plus question de masques dans le pays, que M. de Damp-
martin parcouroit et lesoit parcourir par les troupes et
maréchaussée qui étoient sous ses ordres. Le 15 de mars,
M. de Dampmartin, allant à Bagnols - pour y voir M. le
comte de Périgord, reçut une affiche, qui avoit été posée
dans divers villages autour de St-Ambroix, quiindiquoit au
1. Malbosc, comimine du canton des \'ans.
2. Bagnols-sur-Cèzc, (îard, arr. d'Uzès.
LA RÉVOLTE DES MASQUES ARMÉS 267
peuple pauvre et qui a voit besoin de bled de se trouver
sans armes, le 21 ou le 26, à St-Ambroix, munis de sacs
seulement, et qu'on leur en donneroit. M. de Dampmartin
si rendit à cette époque, après en avoir rendu compte à M.
de Périgord. 11 vit effectivement nombre de paysans, qui
avoient eut la bonne homie d'y croire ; il les calmât, fut
assez heureux pour leur en faire donner à crédit à plusieurs
d'entre eux et tout se passa tranquilement. Les secours, que
M, l'évèque d'Uzès obtint du gouvernement, ayant permis
de placer deux attelliers de charité, un aux Vans et l'autre
à St-Ambroix, calmèrent les exprits, en fournissant au peuple
de quoi subsister jusques à l'ouverture des travaux de la
campagne, qu'une sécheresse a voit empêché d'ouvrir. Enfin,
la pluye vint seconder les vœux du gouvernement, et tout
rentra dans l'ordre accoutumée. Des nouvelles imprudences
des gens d'affaire ont failli le troubler et ont forcé le gou-
vernement à envoyer sur les lieux une commission du
Parlement, qui achèvera sans doute de l'y consolider.
Le 17 octobre, M. de Dampmartin reçut les ordres de
^L le vicomte de Cambis pour se rendre aux Vans.
Le IcS, la compagnie de grenadiers du régiment de
Soissonnois est partie d'Alais pour St-Ambroix, le 20 à
Vallon ', le 21 à Villeneuve-de-Berg - , où elle séjourna le
22 ; elle en partit le 23 avec les trois prévenus condamnés
à mort et vint coucher à Joyeuse, le 24 aux Vans.
La compagnie des chasseurs de ce même régiment partit
d'Alais le 20 pour St-Ambroix, le 21 aux Vans ; la moitié
de cette compagnie fut le 22 à Joyeuse au devant des gre-
nadiers ; elle y séjourna le 23 et le 24 ; le 25 elle battit
l'estrade entre Joyeuse ^ et les Vans ; le 24, je fus avec la
demi compagnie des chasseurs à une lieue au devant des
criminels.
Le 25. on lut la sentence de ces malheureux à neuf
1. \'allon, chof-licu de canton de l'arr. de Largentièrc.
2 Villeneuve-de-licrg, chei-lieu de canton de l'arr. de Privas.
3. Joj-euse, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Largentière.
268 REVUE HISTORIQUE DE LA. RÉVOLUTION FRANÇAISE
heures du matin. Je fis prendre les armes à deux heures et,
après avoir placé des petits postes de la garnison sur les
hauteurs et aux avenues des divers chemins pour découvrir
s'il ne paroissoit point de gens armés, je donnai un sergent
et douze grenadiers pour, avec les 4 brigades de maré-
chaussée, escorter les criminels. Je fis entourer par lesdits
grenadiers l'échaffaud et je plaçai les chasseurs en bataille à
150 pas en arriére, à la tète desquels je me plaçai pour, en
cas de désordre, pouvoir les porter où j'en aurais besoin.
On amena les malheureux faire amende honnorable à la
porte de la paroisse et, arrivés au lieu du suplice, on com-
mença par y pendre La Billerie, procureur fiscal de
Malbos ; on y roua Combe, des Assions ' , et Favant, de
Malbos ; ils furent avant étranglés ; les troupes restèrent
une demi-heure en place pour donner le tems à la populace
de se retirer, et les douze grenadiers y demeurèrent jusques
à ce que les bourreaux fussent été esposer sur les divers
chemins les cadavres.
Il y avoit plus de 6.000 âmes à ces exécutions ; tous
avoient l'air triste et consterné ; les procureurs et gens
d'affaire de la ville et des environs, qui s'i étoient rendus
en très grand nombre, avoient l'air de la satisfaction ré-
pendue sur leurs visages. Je fis séjourner toutes les troupes
et la maréchaussée le 20.
Le 27, la maréchaussée partit, chaque brigade pour sa
résidence, et la compagnie des chasseurs pour St-Ambroix.
Le 28, elle rentra à Alais et y joignit son régiment.
Le 28, je partis avec les grenadiers pour St-Ambroix et
je les ramenai le 29 à leur régiment. Jai séjourné le 30 à
Alais pour arrêter et voir les comptes de l'étapier et je suis
rentré à Uzès le 3L
(Arcliines de l'Hcraull. C. 47, petit cahier de 37 pages)
1. Malbosc, les Assions ; communes du canton des \'aus.
SOUVENIRS INEDITS
DE J.-P. PICQUÉ
DÉPUTÉ DES HAUTES-PYRÉXÉES A LA CONVENTION
(Suite ')
RKVOLUTION DE 1789
(Suite)
Il y a des époques où il n'est pas permis d'être plus sage
que son siècle ; il est des moments où prudent est syno-
nime de vil. J'avois à choisir entre l'armée où j'aurais pro-
bablement été un pauvre soldat, une maison d'arrêt, ou la
mission de représentant du peuple. Dans la confiance d'une
àme pure, voulant moins pour moi que pour la nation la
liberté pour laquelle elle s'était si fortement prononcée et
sans trop prévoir les dangers qui m'attendaient, je devins
membre d'une assemblée assassinée par tous les partis,
occupée au milieu d'un grand incendie à sauver l'Etat, résis-
tant à tous les forfaits, restant debout après la perte de
cent cinquante de ses membres, comme des chênes dans
une forêt où l'on a porté la cognée.
Cette ville si frivole, si tumultueuse, Paris, couvert d'un
crêpe, livré à la stupeur, à tous les dangers ; la famine orga-
nisée par l'Angleterre au sein de l'abondance ; le fond des
caisses dispersé n'offrant aucune ressource contre l'Europe
entière coalisée ; les Autrichiens maîtres de plusieurs places
1. Voir Revue Iiisti>rique de la Béiioluiion française de janvier-mars 1915 et
numéros suivants.
270 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
fortes, marchant à grandes journées pour se joindre à l'ar-
mée prussienne ; enfin le 10 août (1792) si fatal à la cour
imprudente, laissant dans les esprits des craintes les plus
allarmantes pour l'avenir. C'est en présence de tant de dan-
gers que la Convention nationale ouvrit sa mémorable ses-
sion, en proclamant la République.
Quel sera mon premier soin, en entrant dans cette
assemblée ? Elle appela mon attention sur les chefs direc-
teurs des mouvements, divisés déjà à la fin de l'assemblée
constituante et durant la première législative, tous les élé-
ments de discorde préparés ; dès lors se livrent les combats
redoutables de vanité, le pouvoir servant puissamment les
royalistes pour entretenir des préventions et des haines
cruelles. On ne se communique entre députés qu'avec une
méfiance extrême ; les noms de fédéralistes, de girondins,
brissotins, de royalistes, de factieux, de modérés, de maratistes,
de ventrus se donnaient aux hommes les plus estimables paf
les talens de la tribune et par de grandes réputations de
probité, divisés seulement par quelques nuances d'opinion.
Eloigné de toutes les intrigues, n'ayant pas le secret des
honteuses menées des cabinets et des ambitions particu-
lières, forcées de combattre bientôt à découvert, cependant
je n'ai rien perdu de la liaison des événements et de leur
sens naturel. Modéré et républicain parmi des furieux, con-
vaincu que les factions des tems anciens et modernes étaient
des jeux d'enfans auprès des intrigues secrètes qui se compli-
quaient ; les vaincus étaient sans pitié précipités, dévoués
à la mort.
Ma vie dévouée à la liberté, je tenais par goût à la mon-
tagne et par quelques répugnances à tous les partis. D'abord,
ceux qui ne trouvaient point Robespierre assez révolution-
naire me prirent pour un royaliste. A la Convention, cha-
que séance était une bataille ou une tragédie ; chaque ora-
teur portait sa tête comme caution de son opinion, comme
dans cette république de Charondas où l'on ne pouvait
demander une modification de la loi que la corde au cou.
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PiCQCÉ 271
Les Girondins en possession de grands talens, l'un d'eux
Vergniaud, orateur, rappelait le célèbre Mirabeau; il opposa
souvent et avec succès ses improvisations au pouvoir de
Robespierre, placé à la tête des républicains par son élo-
quence sombre, apportant de l'Assemblée Constituante le
surnom d'Incorruptible, jouissant d'une confiance étendue
aux Jacobins et dans les sections de Paris.
Les Indépendans reprochaient avec raison aux Girondins,
trop sophistes, un défaut de plan fixe, d'anciennes commu-
nications avec les prisonniers du Temple, une grande osten-
tation de patriotisme, des liaisons avec le général Dumou-
riez qui avait osé menacer la Convention et de marcher
avec son armée sur Paris ; qui depuis livra aux ennemis
les commissaires de cette assemblée. Les malheurs des Giron-
dins ont prouvé leur imprévoyante incertitude sur les résul-
tats du 10 août. Brissot avait acquis aux Etats-Unis d'excel-
lens principes de gouvernement. Accusé faussement sans
doute d'intelligence avec l'Angleterre, associé aux Girondins,
éprouva leur infortune.
Marat, enfant perdu des ultra-démocrates, méprisé de
tous les partis, n'en imposa longtemps qu'à ceux qui étaient
étrangers à la Révolution ; Charlotte Corday devança le
supplice que lui préparait Robespierre.
Suivant l'opinion la plus accréditée, Pitt, cet implacable
ennemi de la France, ne pouvant pardonner au gouverne-
ment français les secours accordés aux Américains, résolut
de s'en venger ; profita des circonstances de l'avilissement
delà Cour à la suite du procès du Collier 'de la Reine, de
l'impossibilité où se trouvait le gouvernement de combler le
déficit par les moyens ordinaires et du mécontentement de
la nation. Il fonda son projet et presque tout le système
révolutionnaire sur le duc d'Orléans ' lié au prince de Gal-
1. La faction d'Orléans, peu dangereuse, le chef inanqu;int d'audace, à une
époque où elle auroit été anéantie par l'enthousiasme républicain, eût-il eu en
opposition le chef militaire le plus célèbre du siècle, Bonaparte. Philippe Ega-
lité ne manquait pas d'esprit. (S'oie de Picqué)
272 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
les, partisan des mœurs anglaises et qui avait un hôtel ' à
Londres - . Il compta sur l'ambition et le crédit du duc
mécontent de la cour, dont je sais qu'il reçut des mortifica-
tions du roi et de la reine, et qu'il aggrava par sa protesta-
tion au Parlement dans le lit de justice, dernière représenta-
tion parlementaire. Il fut véritablement le chef invisible ou
visible d'un parti directeur des mouvemens et d'un change-
ment opposé au gouvernement. Le caractère de ce prince
le rendait peu redoutable ; ami de tous les plaisirs, formé
aux habitudes populaires ; avec de l'esprit et de l'instruc-
tion, il manquait de l'audace d'un chef de conspirateurs ;
mais il pouvait favoriser les espérances de quelques courti-
sans, les Genlis, les Biron. La part qu'il prit à la Révolu-
tion le conduisit à l'échafaud ; Robespierre, auquel il
demanda de passer en Amérique, refusa de le voir la veille
de son supplice, qu'il subit avec fermeté.
Une faction plus dangereuse, encore inaperçue aux yeux
de beaucoup de Français, à l'aide des vieilles habitudes,
des superstitions monarchiques, religieuses et de la corrup-
tion anglaise, travailla d'abord dans l'ombre et se manifesta
ensuite par des insurections à Paris et dans les grandes
villes. User la Révolution par ses excès fut toujours son
affreux calcul suivi avec obstination et une grande adresse
en divisant les républicains. La commune de Paris sous
Pache et Chaumette ne fut pas étrangère à des projets roya-
lement anarchistes et de domination municipale, romaine,
dont les Français auraient été les ilotes.
Les ennemis de la Révolution ont toujours compté sur la
légèreté et l'esprit de changement des français. Louis XVIII,
pressé de donner des interprétations attachées à la consi-
dération nécessaire à la charte, la laissait avilir par ses
courtisans, ses ministres, sa famille... Une faction la brullait
dans un comité près des Tuileries. Butte des Moulins, des
1. Acheté pour ses fréquents voyages. {Note de Picqiic)
2. On le crut partisan des idées libérales ; il fut du moins indépendant.
(Note de Picqué)
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 273
missionnaires violens prêchaient la contre-révolution, pu-
bliaient dans toute la France que l'auteur de la charte était
damné. Des congrégations de moines se sont organisées
sous ses yeux ; elles le pressaient d'adopter plus de mouve-
ment à certaines opérations illégales ; l'auteur du parti
sacré répondait : il n'est pas tems. On marchait ouvertement
en 1815 à la contre-révolution. Bonaparte paraît; on jure le
maintien de la charte qu'on viole et qu'on jure encore à
l'ouverture des chambres.
Vaincus ou dispersés, les émigrés plus coupables, les
Français dans leur honteuse neutralité ; ceux qui ont fait
la révolution comme ceux qui l'ont soufferte l'accusaient et
calomniaient déjà ouvertement la Convention, affectant ainsi
de confondre les malheurs inévitables dans un aussi grand
changement, provoqués par les ennemis de la prospérité
publique de la France, avec les immenses bienfaits d'un inté-
rêt général, la justice et l'honneur de la patrie.
Tels furent à peu près les résultats de mes observations,
puisées dans la société intéressante de Vergniaux, de Gen-
soné, de Guadet, de Diicos, de Pétion, maire de Paris.
J'avais connu Brissot et Robespierre aux premières journées
de 1789. Ne leur étant nullement suspect, j'approchai d'eux
avec confiance. Pour la fortifier je publiai mon opinion sur
la Xécessité de conserver nos relations avec l'Espagne. Le projet
du Comité de défense générale prévalut. Je doute qu'il ait
lu mon opinion. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'elle eût empê-
ché, si on l'eut adoptée, les frais inutiles d'une guerre glo-
rieuse à la vérité pour nos armées, mais sans aucun autre
avantage. La guerre, on devait s'y attendre, réunit tous les
Espagnols. L'explosion projettée contre le Bourbon de Ma-
drid n'a éclaté qu'en 1820. Honneur aux immortels Quiroga
et Riegos.
Les partis veulent de la haine, et moi je ne sais pas haïr.
Placé par mes opinions au rang des républicains, sincè-
rement dévoué à la patrie, les succès du nouveau gouver-
nement me consolaient des privations et des dangers, des
nEV. IIIST. DK LA RKVOL. 7
274 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
journées et des nuits entières passées sous le couteau des
égorgeurs. Je ne quittai pas le poste le plus périlleux pour
les proconsiilats recherchés avec empressement et que j'ai
constament refusés.
Je dois faire connaître la députation des Hautes-Pyré-
nées, mes honorables collègues. Barère, avec un talent facile,
avide de gloire, la rechercha dans tous les partis, avec tous
les dangers qui suivirent la chute des Girondins et des Jaco-
bins ' . Membre du Comité de Salut public, il dédaigna des
modestes collègues ; ses rapports à la tribune sur les succès
éclatans de nos armées lui donnèrent cette grande réputa-
tion dont il jouit. Entraîné dans la perte de Robespierre, et
ses calculs politiques en défaut, il sut éviter la déportation
et conserver la confiance des patriotes de son département,
dont il fut le représentant en 1815. Réfugié dans la Belgi-
que, il doit se consoler et trouver des souvenirs dans sa
renomée. Dupont de Barèges, ancien professeur h Pau, mou-
rut durant la session, républicain, assez instruit, il laissa
des regrets. Mon parent Gertoux possédait tout juste le pa-
triotisme d'un négociant intéressé au soutien du nouveau
gouvernement. Lacrampe d'Argellez, cinquième député,
réunissait tout ce qu'on peut imaginer d'oppositions. L'or-
gueil de sa richesse, l'ostentation de figurer avec une bour-
geoisie se disant nobiliaire ; attaché aux hochets monarchi-
ques ; cependant il vote la mort du roi ; avec sa figure
niaise et ses manières frivoles, il acquit des grands biens
nationaux et mourut aveugle. Les députés qui remplacèrent
Dupont et Barrère, Féraud tué au sein de la Convention par
son imprudence et ses folies, les suppléans Guchan et Dau-
phaule ne méritent aucune mention. Quant à moi il m'a
toujours manqué ambition et hypocrisie ; le désir de con-
server ma tète m'a retenu ; sa chute à quoi aurait-elle servi?
L'imprudence de mon collègue Féraud causa sa mort et
1. Comme il égaiait les mesures les plus acerbes, Pitt l'appela l'Anacréon
de la (luillotine. Four connaître la vie pulilique et politique de Barrère, on doit
lire l'Hist. de F'rance de Montgaillard, t. 3 et 4. (Note de Picqué)
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 275
sa funeste renommée ; ce député né à Arreau vallée d'Aure,
faisant aujourd'hui partie des Hautes-Pyrénées, revenait de
l'armée le jour qu'une faction qui se rattachait à quelques
membres de la Convention, en brisa les portes, s'empara de
la salle, délibéra pêle-mêle avec les députés insurgés. La
foule armée prodiguait les menaces et ivre de vin tenait la
représentation nationale captive. Elle attendait sa délivrance
du Comité de Sûreté générale ou une mort inévitable. Dans
ce tumulte effroyable, le calme des députés commençant à
dissiper un désordre aussi dangereux pour la représentation,
Féraud en costume militaire ordonne aux brigands de se
retirer. Un de ces assassins lui trancha la tête. Il avoua
avant de monter à l'échafaud qu'après avoir été réuni à ses
complices et avoir bu largement, il avait reçu trente sous
pour marcher contre la Convention, Journée déplorable qui
entraîna la perte des députés, le valeureux Soubrani, le
docte Rome,
L'histoire conservera la constante unanimité de la Con-
vention, malgré quelques dissentimens élevés dans son sein
par les despotes coalisés. Elle adopta tous les moyens de
garantir la France des maux d'une invasion ; elle ne fut
divisée pour la première fois que sur le jugement du Roi,
A cette époque il n'était au pouvoir d'aucune espèce hu-
maine d'éviter les conjurations formidables de tous les rois
de l'Europe. Durant quatre mois occupée à établir les ques-
tions préliminaires à ce jugement, l'assemblée menacée par
l'ascendant de la Commune de Paris et celui des sociétés po-
pulaires eut à se défendre encore des insurrections journa-
lières d'assassins à main armée, émissaires des rois.
L'Angleterre avait à Baie et à Paris ses confidens et ses
banquiers ; des agents répandus, bien stylés, ayant le tarif
des insurrections : leur correspondance saisie portait l'ordre
de Pitt de ne pas compter les millions pour réussir.
On demande froidement aujourd'hui aux républicains
quel pouvoir devait prononcer sur le sort du roi ? devait-il
être renvoyé à une commission, moyen toujours odieux à
276 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
tout le monde. Par qui donc sera-t-il jugé? est-ce par la
réunion de trente millions de Français en assemblées pri-
maires ? Existe-t-il un tribunal assez élevé par son indépen-
dance pour juger une cause à laquelle étaient attachées les
destinées d'une grande nation, agitée par des ennemis puis-
sants en guerre avec la république au dehors aux portes
de son gouvernement occupant plusieurs points de la
France.
L'aristocratie restée avec sa puissance sur les bords du
Rhin, n'était pas étrangère à ces questions. Toutes les his-
toires, et particulièrement celle de la France, dévoilent à
différentes époques les entreprises ambitieuses de la classe
de ceux qu'on appelait grands, auteurs de tous les troubles,
égarant la multitude paisible qui ne demande que la paix,
du travail et du pain. Les nobles deffenseurs du trône ont à
leur gré changé les dinasties héréditaires, immolant des rois,
vivant aux dépens du peuple. On doit remarquer que per-
sonnellement Louis XVI n'avait aucun ennemi dans l'assem-
blée ; d'assez nombreux partisans se déclaraient en sa
faveur. On n'accusera pas un seul député de la folie de vou-
loir régner à sa place. Le duc d'Orléans, avec son nom adop-
tif à'Egalité, pouvait avoir cette ambition ; mais César ou
Bonaparte eussent tenté inutilement à cette époque de rele-
ver la monarchie des Bourbons, monarchie avilie s'appuyant
sur le droit divin, illusion qui disparaissait devant la sou-
veraineté nationale.
Uappel au peuple, idée vraiment grande, sublime, ne fut
rejettée qu'à la vue du danger de tout un peuple excité à
tous les excès par les émigrés auxiliaires des factieux et
des ennemis extérieurs, annonçant des projets d'exterminer
tous les fonctionnaires publics et même les prisonniers du
Temple, au moment où dans l'attente d'un jugement les
départemens accusaient hautement de lenteur les représen-
tans bien embarrassés dans des circonstances aussi extraor-
dinaires.
Le bannissement ou la détention pouvaient-ils rassurer et
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 277
satisfaire la nation ? questions politiques soumises à la
postérité...
Au sein de tant de dangers une assemblée de républi-
cains conservera-t-elle le trône au Roi, appellant par ses
parjures, ses manifestes, ses protestations, son adhésion au
partage de la France et aux vengeances les plus étendues ?
Quelle sécurité peut obtenir un grand peuple contre tant
d'actes de mauvaise foi ?
On a publié les qualités privées du roi : inutiles au bien
général, sa faiblesse pour sa femme laissa la corruption et
la frivolité s'établir avec plus de mépris pour la cour que
sous ses prédécesseurs les plus scandaleux.
Le supplice de Louis et de Marie-Antoinette son épouse
firent peu de sensation. On avait placé des canons à l'entrée
des rues qui mennent à la place Louis XV ; aucune affluence
de spectateurs ne se fit remarquer. Les Parisiens se livrè-
rent comme à l'ordinaire à leurs occupations, et, à voir
l'indifférence et la tranquillité qu'on aperçoit dans les rues
et dans les lieux publics, on ne se serait pas douté que le
21 janvier et le 17 octobre voyaient tomber les têtes d'un
roi et d'une reine qu'on avait ennivrés d'adulations et d'hom-
mages honteux. Toutes les salles de spectacle furent rem-
plies. Les félicitations à la Convention arrivèrent de tous
côtés.
Des censeurs amers, si courageux aujourd'hui, si lâches
lorsqu'il fallait seconder les amis de la patrie contre tous
les oppresseurs, décident ces questions d'Etat avec un rare
talent et une admirable impartialité. Mais les faits sont au-
dessus des raisonnemens des esclaves, de la faiblesse, et des
ennemis de la révolution.
Qu'on se transporte à ces tems et {{u'on demande aux
hommes de celte époque si l'Assemblée Constituante ne
porta pas la première le décret de suspension du Roi après
sa fuite et son arrestation à Varennes ? Mais l'autorilé du
monarque ? il l'avait abdiquée par sa fuite, son adhésion
au traité de Pilnitz et ses manifestes ; l'histoire reprochera
278 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
à l'Assemblée Constituante, la revision de la constitution et
de n'avoir opposé aucun obstacle aux trahisons de la cour
en livrant la France à tous les hasards des factions anar-
chiques, de l'abandon des places fortes, des traités avec les
ennemis extérieurs pour la cession du territoire.
Qu'on demande à VAssemblée législative en butte à
toutes les factions, au mépris de la cour, le compte de tous
les décrets qu'elle prononça pour la déchéance et l'arresta-
tion du Roi ! Alors on verra tous les malheurs légués à la
Convention nationale tant calomniée dont personne ne prend
la défense. Son courage prévint les plus grands malheurs,
ne craignant pas de s'exposer à toutes les vengeances, aux
persécutions ; elles ne lui ont pas manqué.
Le Roi déclaré unanimement coupable ; s'il y eut diffé-
rence dans le vote du jury, tel que les annales d'aucun
peuple n'en offrent de si grand, la conviction fut unanime.
L'histoire pèsera toutes les causes antérieures au jugement
de sept cent cinquante mandataires du peuple, investis de
tous les pouvoirs.
Les massacres des prisons aux mois d'août et de sep-
tembre, par une funeste ressemblance, rappellent ceux des
Armagnacs en 1418 ; ils ont été la suite des émeutes excitées
par les ennemis de la France ; les émigrés et les Anglais
pour décrier la Révolution secondèrent et payèrent les révol-
tes de germinal, prairial, vendémiaire, fructidor ; leurs
agens présidèrent aux massacres. Les tyrans populaires, on les
a vus sous la Convention en 1793, devenus seigneurs impé-
riaux, pachas titrés en 1804, et en 1814 ultra bourboniens.
Fouché, Rarras, Savari, Merlin. Dans des circonstances à peu
près semblables, la princesse Lambale, des é\èques, des
prêtres missionnaires furent enlevés à la justice qu'on doit
aux conspirateurs. Le 12 juin 1418, le peuple de Paris,
excité par les Anglais comme il le fut en 1793, se porta
aux prisons, y massacra le connétable Armagnac, le chan-
celier, quatre évoques, deux présidens du parlement et
2000 partisans.
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 279
Acteur, spectateur, durant ce grand orage, souvent en
présence de la mort, je dois rappeller une conversation
dont le souvenir n'est ni une justification sollicitée par les
républicains ni une anecdote inutile pour les écrivains. Je
voyais Danton jouissant de toute la force populaire. Je lui
demandai ce qui convenait aux circonstances. Danton, avec
l'énergie et la franchise qu'on ne lui dispute pas, répond :
« Capet plus dangereux parmi nous qu'à Coblens où l'on
préfère son frère, doit y semer la discorde. Donnons-le aux
émigrés qui le détestent. »
On apprit vers ce tems là que Fox, Shéridan, Grey, lord
Landswon, demandent que l'on intervienne au nom de l'hu-
manité ; plusieurs membres de la chambre des pairs du
parlement d'Angleterre, et l'illustre Fox, de celle des Commu-
nes, avaient proposé cette intervention pour adoucir le sort
de Louis XVI. L'implacable Pitt s'opposa à des sentimens
généreux qui auraient honoré l'humanité et sa nation ; pour-
suivant son système, d'accord avec Coblens, les émigrés et
leurs émissaires, il multiplia les troubles et les réclamations
de la France entière pour provoquer un jugement sévère.
S'il existait le moindre doute sur cet accord pour la perte
du Roi, concertée à Coblens et à Londres, le traité trouvé
dans les papiers du royaliste conventionnel Duran de Mail-
lane, imprimé et avoué de leurs auteurs ', explique le vote
des Girondins eux-mêmes pour la peine capitale. Ce qu'il
y a de certain, c'est que ce vote entraîna celui de plusieurs
républicains disposés à voter l'expulsion. Dans ces moments
décisifs, l'ambassadeur d'Espagne à Paris proposa des com-
munications favorables à l'accusé mais aussitôt désavouées
par son maître. Louis, abandonné de sa famille et des Rois
ses alliés, poursuivi par ses lâches courtisans, il fallait une
victime aux ennemis de la révolution pour la rendre plus
odieuse. D'après cet affreux système, la Convention ne reçut
aucune proposition, l'orgueil, dit-on, n'en permettant aucune
1. La correspondance de Louis XVI avec le Roi de Prusse trouvée dans
l'armoire de fer. (Note de Picqné)
280 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
avec des plébéiens qui dispersaient leurs nombreuses armées
et faisaient trembler l'Europe.
Le jour qu'on apprit à la Cour d'un grand prince d'Alle-
magne la mort de Louis XYI, il donna un grand bal ; les
émigrés y dansèrent avec toute la Cour. On ne cessait de
dire à Coblenz : « Périsse plutôt le roy que la royauté ; il
nous faut un roy féodal, chevalier. » C'est leur même lan-
gage en 1830. Charles X justiffiera les espérances de ses
courtisans atteints de monomanie. Polygnac, aventurier fol
et imbécille, se place à leur tète.
On a vu bientôt les rois de Prusse et d'Espagne, le duc
de Florence, conclure des traités avec la République Fran-
çaise, l'empereur d'Autriche (sic) et l'Angleterre, établir avec
elle des communications commerciales et politiques.
Il ne me resta plus que d'attacher mon vote à la suspen-
sion du jugement jusqu'à la paix. Elle aurait laissé un libre
cours aux sentimens, à la pitié d'une nation souveraine,
généreuse, fière et libre. Cette opinion et quelques autres
pouvaient conduire à l'échafaud. Il n'y a qu'heur et malheur.
J'échapai par miracle comme au 31 mai et aux conspira-
tions contre Bonaparte auxquelles j'étais étranger.
On a vu dans ces circonstances extraordinaires, ce qu'on
pouvait soupçonner à peine. Ceux qui avaient paru le plus
attachés à l'infortuné monarque, ou plutôt à sa liste civile,
se montrèrent les plus empressés pour le perdre ou les plus
lâches à le défendre. Dès lors les émigrés dissimulèrent
encore moins leurs espérances de reprendre sous une dy-
nastie nouvelle leur ancienne domination féodale avec un
roi de leur choix désigné, voué au despotisme des privilè-
ges et comme eux émigré, implorant la colère des armées
de tous les despotes intéressés à leurs vengeances. Cette
situation violente devait avoir un terme. On accusait
Louis XVI publiquement à Coblens d'être jacobin. Les
émigrés ne voulaient ni de lui, ni de son fils, ni de la reine
pour régente. Ils combattaient pour la royauté absolue de
Louis XVIII.
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 281
La Convention n'eut pas à se défendre contre l'éloquence
de Desaise, avocat de Bordeaux. Il plaida la cause du Roi
comme s'il eut parle pour un mur mitoyen, sans énergie,
sans dignité et sans talent. Capet (on appela Louis XVI de
ce nom depuis sa déchéance) ne fut défendu que par les
larmes du vertueux Malesherbes. Triste et déplorable néces-
sité ; acte de justice rigoureuse. On ne justifiera jamais le
funeste aveuglement du Roi. Il dédaigna un trône constitu-
tionnel, lui qu'on savait se plaire dans agrémens d'une vie
simple, se plaindre des fonctions pénibles de la royauté
et les abandonner à des ministres pervers, à Calonnc, au
card' de Brienne, à Maurepas, successeurs de St Floren-
tin, parjure et religieux, humain et appellant tous les maux
de la guerre sur une nation qui ne voulait plus être gouver-
née comme elle l'avait été durant sa longue oppression. Phi-
sionomie de Louis XVI dans la circonstance la plus impor-
tante... Le 10 août 1792 le roi avait rassemblé un bataillon
soldé disposé à le defîendre ; il le passa en revue l'épée au
côté en habit violet, les yeux humides, sans prononcer un
seul mot, chapeau sous le bras. Ce n'était pas la contenance
de celui dont il se disait le successeur et qui voulait cjue
dans les plus grands dangers on se ralliât à sa cornette
blanche. Louis XVI découragea ses partisans par sa versa-
lité (sic), n'accordant sa confiance à aucun ministre, à Laro-
chefoucault-Lyancour, constitutionel et dévoué ; sa femme
seule, inspirée par d'autres femmes et par son orgueil autri-
chien, implacable ennemi, transmis à sa fille la duchesse
cV Angoulème qui a gouverné Louis 18 et Charles X dont
elle a amené la chiite ; présidente de la Camarilla Villèle,
Peyronet, Polignac ; elle a peu d'esprit, des passions som-
bres, religieuses, de la morgue, une haine profonde contre
la France.
Il se résigna dévolieusement, n'ayant ni prévoj'ance, ni
forces, ni sagesse, ni politique, manquant de dignité, délica-
tesse. Il chargea de ses fautes ses ministres les plus dévoués.
Beaucoup de députés, profondément versés dans la science
282 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
des temps anciens et même enthousiastes des grands noms
de l'antiquité, voulaient prévenir le retour des grands maux.
Le jugement du roi, exemple d'une justice incontestable
selon les uns, d'un crime horrible selon les autres, doit être
considéré sous deux points de vue. N'était-il pas juste et
nécessaire ? L'exemple était-il pernicieux ou salutaire ?
Hume a présenté ce qu'il y avait de plus capable de justi-
fier cet acte en disant qu'il fallait ou que Charles I" pérît
ou renoncer au projet d'une république. L'emprisonnement
ou le banissement de Louis eut-il suffi pour donner à la
France un degré de sécurité tel que le gouvernement eût dû
s'en contenter? Cet acte de publicité solemnelle ne fut pas
sans magnanimité et consommé dans les ténèbres comme
tant d'autres exemples de flétrissure qu'on trouve pour de
pareils personnages dans nos anales, saisi, livré à la haine
de l'aristocratie. Cet exemple n'a pas été profitable puisque
le successeur de Louis ne craignit pas d'enfreindre les
libertés qu'il avait reconnues et de courir de semblables
hasards dans une période d'oppression et de calamités.
Quelque soit le jugement de ceux dont le sentiment pour le
courage et la piété attachèrent à la mémoire de Louis (sic),
son jugement dans leur esprit même a laissé une impression
qui est plutôt celle de l'admiration que celle de l'horreur.
Cinq millions quatre cent mille français ont sanctionné par
écrit le jugement de la Convention ; adhésion d'un plus
grand nombre ne sachant pas lire.
J'ai plaint Louis XYI, tombé des grandeurs d'un roi de
France dans la plus grande infortune ; mais enfin ne s'appi-
toyera-t-on jamais que sur le sort des rois ? Celui des peu-
ples ne sera-t-il rien auprès de l'usurpation de quelques
familles longuement occupées d'elles et des esclaves qui les
trompent, toujoburs avides d'argent et d'honneurs ? Les peu-
ples sensibles vexés de mille manières, trahis dans leurs
droits naturels, seront-ils éternellement voués à l'esclavage,
à la misère, aux fureurs du fanatisme de la cour des Rois ?
Le peuple français, celui de tous les peuples qui cède le
SOrVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 283
plus facilement aux sentimens élevés, qui attache le plus de
prix à la vertu, à l'honneur, à l'instruction, mériterait, si
l'on écoutait des hypocrites détracteurs, les qualifications de
barbares, de régicides? Ils forcent à des raprochemens entre
de vils mandians partisans du gouvernement despotique et
les amis d'une liberté fondée sur des lois positives, elles en
ont justice. Chaque page de notre histoire prouve les abus
de la puissance, la confiance généreuse et trompée d'une
nation sensible et belliqueuse.
On peut dire avec Fénelon que dans tous les pays du
monde presque tous les honnêtes gens sont peuple. Ecarté
des sources d'instruction, il ne puise que dans lui-même
l'amour de la vertu, de la patrie et de la société. On ne perd
aucune occasion d'avilir ses mœurs et de le fanatiser pour
des choses qu'il n'entend pas et ne veut entendre, au degré
d'instruction et de civilisation auquel il est parvenu. Assez
insensé pour méconnaître sa dignité et pour se distinguer
par les ridicules d'une caste qui le méprise et des prêtres
qui le pillçnt. Les auteurs de tous ses maux, tous les fléaux
physiques et les calamités humaines, la guerre, la famine,
la peste ayant amené dans des tems d'ignorance les gouver-
nemens héréditaires confiés à toutes les chances des rois,
enfans, vieillards, foux, imbéciles, guerriers, insensés, pares-
seux, nous supportons ces dynasties ineptes et dégradés,
divines, soutiens de la tyrannie royale et presbitérale enne-
mies ou secrètes ou déclarées des nations tranquilles et
éclairées possédant tous les moyens de corruption du gou-
vernement absolu. Les plus dangereux de ces tyrans, les
ministres-rois, la police et les gensdarmes s'étant hardi-
ment placés au-dessus de toutes les loix, la raison, l'équité
s'indignent de ne trouver aucune punition infligée dans
l'immense succession des ministres eff"rontés liberticides qui
ont élevé des fortunes colossales, trafiqué du sang du peu-
ple et de son existence. Les plus odieux obtiennent des pen-
sions et des titres ; la loi s'étant toujours appesentie sur les
indigens. Avant Sully, Colbert, Malesherbes, Turgot, Neker,
284 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
seuls dépositaires du pouvoir exceptes, on est honteux de
n'avoir à citer que des voleurs.
ÉTAT DE LA FRANCE APRÈS LE 21 JANVIER 1793
Sans empiéter sur les droits de l'histoire, je me hâte de
reprendre et de terminer le plus promptement possible la
suite des événements de cette époque à laquelle je me
trouve associé. Les ennemis de la Convention ne lui par-
donnèrent pas d'avoir détruit les derniers rameaux de l'op-
pression féodale. Dès la première campagne le succès de
nos armées assurant le sort de la république elle n'a plus
d'ennemis dangereux : les intrigans s'agitent inutilement ;
les phalanges des coalisés dispersées, l'Europe étonnée, avilie,
menacée * par les lumières et la proclamation de la souve-
raineté du peuple, reconnut enfin son gouvernement et lui
demanda la paix. Ces événements glorieux, la Convention
les dut en grande partie à l'énergie de ses représentans, à
ceux, il faut en convenir, pris dans les rangs des républi-
cains audacieux montagnards en opposition ouverte avec
les Girondins plus éloquens, mais moins intrépides. Dans
les circonstances aussi difficiles, les montagnards glorieux
de leur nom de sans-culottes forçaient inconsidérément le
char de la révolution, livré souvent à des mains inhabiles.
La Convention n'en posa pas moins les limites naturelles
1. Dans celte guerre, si les ennemis triomphaient avec le roi parjure,
qui ne dissimulaient pas leurs projets de vengeance, quelle catastrophe ! Louis
subit la loi du vaincu... La Convention n'avait de salut pour la France et pour
elle-même que dans l'audace et dans le secours des masses du peuple et dans
son élan... Seul moyen de salut... Secours des niasses... Quatorze armées sont
mises en mouvement, sans expérience, avec la ressource des assignats. La baïo-
nette arme terrible de l'impétuosité française substituée à l'ancienne impétuosité
par l'enthousiasme et à la vieille tactique. Les généraux n'avaient qu'à entonner
la M.^RSEiLi-AiSK pour voir au même instant courir sur l'ennemi des novices vo-
lontaires : ils terrassent les phalanges les mieux disciplinées avec des chansons.
300.000 volontaires sans solde rejettent 1 Euroj)e coalisée au-delà de nos fron-
tières : des soupçons de trahison font croire que le roi de Prusse Guillaume et le
duc d'York auraient été prisonniers des républicains après les succès éclatans
des jeunes volontaires dans les plaines de .Jemmapes, de Fleurus et de la
Champagne, à ^'almi. {Xute de Picqtic)
SOUVENIRS INÉDITS DE J. P. PICQUÉ 285
de la France au bord du Rhin. Elle augmenta la population
de la république de celle des Pays-Bas, de Liège, de Luxem-
bourg, de Genève, de la Savoie, de Nice, pays dévoués à la
République, plus de quinze millions d'habitans. Cette assem-
blée accusée pour avoir fait disparaître les signes de servi-
tude, légua à la France une constitution qu'elle ne sut con-
server '. Pour répondre aux reproches de vandalisme, elle
fonda les écoles normale et polytechnique, le Conservatoire
des arts, un muséum enrichi par des traités avec les nations
vaincues. Le génie de la liberté accorda au génie des arts
et des sciences l'unité fixe et invariable, résultat combiné
le plus absolu, la mesure d'une (sic) pendule et du méridien,
unité stable, nouveau lien des nations, conquête de l'égalité,
la base de toutes les mesures. L'équitable postérité dira qu'au-
cune assemblée n'apporta dans aucun siècle plus loin l'en-
thousiasme de la liberté. Divisée d'opinions, toujours réunie
pour sauver l'état du joug de l'étranger ; délibérant sous le
poignard des factions, elles s'envoyèrent de la tribune à
l'échafaud, mais les hommes grandissent avec les dangers.
Tout dans tous les partis fut empreint d'un grand caractère.
Sincèrement attaché aux ardens défenseurs de la répu-
blique je m'éloignai au 31 mai des furieux ultra-révolution-
naires. Jour funeste du 31 mai où la Convention livrée à
1. La Terreur a laissé de cruels souvenirs. Dirigée contre cent mille étran-
gers réunis aux conspirateurs, aux mécontens de l'intérieur ; les lois reçurent
une application forcée, exagérée, confiée à des fanatiques, à des hommes peu
instruits. La Convention comme tous les gouvernemcns même les mieux cons-
titués dans les temps le plus pacifiques devait opposer impérieusement son pou-
voir aux actions menaçantes et hardies qui l'attaquèrent jusques dans son sein
au nombre desquelles il faut compter 80.000 hommes armés des sections de
Paris et toute la population de la \'^endée. Les nobles dames femmes agens
puissans en France où elles commandent et les prêtres formèrent une ligue
redoutable, religieuse, intolérante qui se reproduisait sous mille et mille arti-
fices ; il exista de véritables et dangereux coupables. Leur suplice s'étendit
malheureusement sur des hommes faibles, trompés, sur des femmes imprudentes,
crédules, ambitieuses, fanatiques, folles, qu'il suffisait peut-être d'enfermer, qui
dans cette tourmente généralle furent immolées. Leur suplice a fourni aux
royalistes ces relations, ces anecdotes touchantes et criminelles sans doute, mais
qu'ils provoquèrent par leur imprévoyante audace ; les vengeances particulières
d'après les listes de In Conciergerie conduisirent à l'échafaud plus de révoiutio-
naires que de roj'alistes ennemis conspirateurs pris les armes à la main. (Note
de Picqué)
286 KEVLE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
l'oppression de quelques montagnards associés à la force
armée de la Commune de Paris, la proscription des Giron-
dins fut la suite de cet insolent et horrible attentat. Ver-
gniaud, Gensoné, Duco's périrent avec une dignité républi-
caine — d'autres députés, Pétion, Buzot, furent dévorés par
les chiens en fuyant vers le Midi. Condorcet mourant de
faim aux environs de Paris, privé d'asile chez des prétendus
amis, ne trouve que du poison pour terminer sa carrière '
que tant de travaux et de sacrifices à la liberté avaient
rendue- célèbre -.
5 avril 1794, Robespierre n'ayant pas encore accompli
son système d'épuration osa attaquer le colosse de la révo-
lution d'Anton (sic) et son ami l'intéressant Camille Des-
moulins. Malheureux ! le premier en 1789 il prit la cocarde
nationale ^. An 4, 13 juin, Rabaud, Rome, Soubrany, Bour-
bote, Duquesnoy, Gougeon, Leroi, Yalazé se donnèrent la
mort, se dévouant eux-mêmes en sacrifice à leurs propres
vertus. Mourrir n'est rien quand on se croit grand sur
l'échafaud ^. Soixante-douze députés protestant contre le
résultat de l'affreux 31 mai languirent deux ans dans les
prisons de Paris. Menacé des mêmes peines pour avoir
dénoncé à mon département ces crimes et ceux du 2 juin
les projets de la faction usurpatrice qui devaient être suivis
du massacre de la Convention, par un bonheur singulier
j'évitai leur captivité.
1. Deux jours avant le 9 thermidor et le supplice de Robespierre, craignant
d'être arretto, manquant d'asile, de pain, il prit le parti de se détruire dans la
plaine de Montrouge. (Xote de Picqiié)
2. Il avait conservé dans un anneau le mélange d'estramonium (sic) et
d'opium dont il se servit. Déniosthènes eut le même sort. Socrate but la ciguë.
(Xote de Picquc)
3. Les députés Soubrani, brave et savant, Rome, savant, Roi, fanatique,
périssent de leurs propres mains. Disciple d'Aristide et de Démosthènes, Danton
à la voix de stentor tomba sous la hache du bourreau. (Xote de Picqiié)
4. La Convention h'épargna aucun de ses membres coupables. Elle accusa
deux tigres couverts d'énormes forfaits. Ses décrets furent unanimes contre
Carrier, ancien procureur, et contre le prêtre Lebon condamnés à la peine de
mort le premier le 9 août 1795. Fouquier-Tinville et quinze juges de l'ancien
tribunal révolutionnaire tombèrent sous le fer de la guillotine. Pitt et l'Angle-
terre mécontens du retour à la justice et à la modération, affligés de la mort
de Robespierre, exécuté le 9 thermidor. (Note de Puqiié)
SOUVENIRS INÉDITS DE J.-P. PICQUÉ 287
Le même bonheur m'a préservé des plus grands dangers
dont mon éloignement des factions n'aurait pu me garantir.
Je dois les rappeler comme la preuve qu'en révolution les
événements de notre vie sont au-dessus des calculs de la
prudence et sont souvent le produit des plus minces circons-
tances.
(A suivre)
HIPPOLYTE MONIN
(1854-1915)
Le 10 juillet 1915, après une courte maladie, dont rien
ne permettait de prévoir la rapide et fatale issue, mourait le
professeur Hippolyte Monin.
Monin était né le 18 août 1854 à Besançon, où son père
était professeur à la Faculté des Lettres. Après avoir fait de
brillantes études au Lycée de sa ville natale, il entra à 18
ans, en 1872, à l'Ecole Normale Supérieure ; il en sortait
en 1875 et enseigna successivement comme professeur au
collège de Blois et comme chargé de cours au Lycée de Ve-
soul. Agrégé d'histoire par arrêté ministériel du 8 septembre
1877, il fut nommé professeur au Lycée de Nîmes, où il
enseigna pendant quatre ans ; il passa ensuite à celui de
Montpellier, où il professa de 1880 à 1885. De Montpellier
il fut appelé à Versailles, où il ne resta qu'une année, de
1885 à 1886. A cette dernière date il fut chargé de l'ensei-
gnement de l'histoire au Collège RoUin, où il a laissé à ses
collègues comme à ses élèves le souvenir d'un maître hors
de pair. Pendant 28 ans, il y professa, et, après avoir de-
mandé au mois d'octobre 1914 sa mise à la retraite, il était
nommé, le 8 juin 1915, professeur honoraire. A peine avait-
il obtenu cette retraite que la confiance de ses concitoyens
l'appelait à la Mairie du IX™^ arrondissement où jusqu'à
son dernier jour il excerça les fonctions si absorbantes et
si pénibles d'Adjoint au Maire. Monin, qui était l'homme
de tous les dévouements, accepta, à la Municipalité du IX""^
HIPPOLYTE MONIN 289
arrondissement, la charge la plus pénible, celle qui consistait
à présider aux œuvres spéciales d'assistance dont les événe-
ments avaient exigé la création : allocations militaires, se-
cours de chômage, envois de tous genres aux soldats du front,
aux prisonniers de guerre, et il n'est pas téméraire de croire
que l'ardeur avec laquelle il se voua à son œuvre de charité,
et la besogne formidable à laquelle il se consacra, n'ont pas
été étrangères à sa fin prématurée.
Son activité pédagogique ne se borna pas d'ailleurs à
l'enseignement secondaire. Déjà, en 1883, à Montpellier, des
arrêtés des l^"" et 16 décembre l'avaient chargé d'une confé-
rence de géographie. Plus tard, à peine arrivé à Paris, il
obtenait l'autorisation de faire à la Faculté des Lettres un
cours libre en 13 leçons sur « l'Etat des Généralités compo-
sant le ressort du Parlement de Paris pendant les dernières
années de l'ancien régime ».
Mais il allait bientôt pouvoir donner sa mesure dans un
ordre d'enseignement aujourd'hui disparu et où Monin s'ac-
quit une haute et juste renommée. Quand, il y a vingt-cinq
ans, le Conseil Municipal de Paris créa à l'Hôtel de Ville
des cours d'enseignement populaire supérieur, Monin fut
chargé d'enseigner l'Histoire de Paris. Ce cours fut professé
par lui de 1890 à 1901. Il y traita surtout l'Histoire politi-
que de Paris et le rôle de la capitale dans la formation na-
tionale. Si les vicissitudes de la politique n'avaient pas mis
fin, après dix ans, à cet enseignement, il eut sans doute
consacré son cours à l'étude des divers aspects de l'Histoire
parisienne. Tel qu'il est cependant, son travail est sans
doute le plus considérable qu'un savant ait consacré jusqu'à
présent à l'Histoire parisienne mise à la portée de tous.
Si l'on ne peut songer à publier ce grand ensemble, qui
apporterait pourtant bien des révélations sur le passé de la
grande ville, il serait à désirer que tout au moins on pût
donner au public la partie qu'il a consacrée au XVIII"'^ siè-
cle, et ce serait rendre service à l'histoire à la fois de la
ville et de la littérature que de publier les chapitres si
r.Ev. msr. ue la révoi.. 8
290 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
remarquables et d'un enseignement si nouveau qu'il avait
intitulés « Voltaire et Paris » et « Montesquieu et Paris ».
A côté de ses études d'histoire générale, de ses vastes
travaux sur la Révolution Française et sur la Révolution
de 1848, Monin aimait — et c'était pour lui une sorte de
délassement — à écrire dans des revues de spécialité ou
dans les revues d'histoire locale, dans ces revues histori-
ques de quartier qui se sont multipliées à Paris depuis vingt
ans. La liste des articles qu'il a donnés dans ces fascicules
trouvera sa place dans la bibliographie qui suit ces quel-
ques pages. Mais, là encore, l'originalité de son esprit, cette
extraordinaire perspicacité qui eut fait de Monin le plus
merveilleux des juges d'instruction, et celte faculté de géné-
raliser des faits d'histoire locale et de les rattacher à l'évo-
lution du pays entier, ont pu se donner libre carrière. Rien
n'est à cet égard plus curieux que la série des articles qu'il
a publiés dans la revue Le Vieux Montmartre.
Cette revue est éditée par un société fondée il y a trente
ans, à Montmartre, pour essayer de protéger les jardins et
les sites pittoresques de la Vieille Butte, en même temps
que pour écrire l'histoire de cet antique village auquel se
rattachent quelques-unes des plus glorieuses traditions du
passé de la France : introduction du christianisme dans
les Gaules, luttes contre les Normands et les invasions ger-
maniques du VHP au XP siècle, combats sanglants des
guerres religieuses du XVP siècle, naissance de l'ordre des
Jésuites ; séjour d'Henri IV au cours de sa lutte contre la
Ligue, et enfin, à l'aurore du XIX^ siècle, travaux de Cuvier
dans les carrières de Montmartre, qui ont donné à la France
et au monde cette science nouvelle, la Paléontologie. Très
attaché à ce groupement, Monin fut membre de son comité
directeur depuis 1894 jusqu'à sa mort, et il n'a pas donné
à la Revue moins de 11 articles. Nous ne dirons un mot
que de ceux où il a écrit l'histoire de la Révolution de 1848
à Montmartre. Le Banquet de Saint-Denis, Le Banquet du
Château-Rouge, longue étude de 50 pages où est racontée
HIPPOLYTE MONIN 291
l'histoire de la plus importante des manifestations prélimi-
naires aux journées de Février. Puis viennent Les Murailles
Révolutionnaires de 18^8 à Montmartre, curieux ensemble
d'affiches, la plupart inédites ; Montmartre en novembre et
décembre 18^8 ; pour aboutir à un article intitulé Le Coup
d'Etat du 2 décembre 1851 à Montmartre, sur lequel je de-
mande la permission d'insister quelque peu.
On sait qu'il n'y a guère d'espoir de jamais pouvoir écrire
une histoire réellement documentée de ce coup de force.
Par un accident qui n'est peut-être pas entièrement dû au
hasard la fraction des archives du Ministère de l'Intérieur
qui concerne cette période a disparu. On sent donc tout le
prix d'une de ces études de détail, qui, dans une petite ville,
présente le tableau de la lente préparation de l'attentat. A
cet égard le travail de Monin est un modèle. A l'aide de
quelques dossiers conservés aux Archives de la Seine et
provenant de la sous-préfecture de Saint-'Denis, et de quel-
ques révélations dues aux complices, il a pu reconstituer
toute l'élaboration du coup d'Etat dans une petite localité
de la banlieue parisienne, le rôle de l'homme à tout faire,
Piémontézi, que l'on avait chargé de la besogne, et les pro-
cédés qui durent être les mêmes partout et qui aboutirent
au second empire. C'est surtout quand on parle d'un homme
comme Monin, qui fut la modestie même, qu'il faut éviter
l'enflure et l'exagération. Mais ce n'est pas trop s'avancer
de dire que ce petit travail de 15 pages apprend plus au
lecteur sur l'état des esprits à cette époque, et sur la prépa-
ration du coup d'Etat, que bien des gros volumes. Cet article
dépasse les limites de l'histoire locale et sera pour les his-
toriens de la seconde moitié du XIX* siècle un vrai modèle.
La conclusion qui s'impose est la suivante : le 18 brumaire
avait été presque improvisé, le deux décembre 1851 fut len-
tement et savamment préparé, et réussit pour cette raison
même.
La dernière œuvre à laquelle Monin s'était consacré
reste malheureusement inachevée. Depuis plus de 10 ans,
292 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
avec un de ses amis, il travaillait à la publication du Som-
mier des Biens Nationaux Parisiens, c'est à-dire des regis-
tres où, en Tan VII, on a résumé l'opération de la vente des
biens des communautés, des corps, des congrégations et des
émigrés que la Révolution avait déclarés biens nationaux.
Ces registres indiquent, pour chacun des maisons ou domai-
nes de l'intérieur de Paris, la situation, l'origine, l'estimation,
le montant des locations et la liste des locataires, le prix de
vente, les noms et qualités des acquéreurs. De la sorte ces regis-
tres tiennent lieu des procès-verbaux originaux accompagnés
de plans et que l'incendie du 24 mai 1871 a fait disparaître à
l'Hôtel de Ville, où ilis étaient conservés. Des éclaircissements
étendus, et dont beaucoup sont dus à Monin, suppléent
aux lacunes ou rectifient les erreurs des registres, et Monin
se proposait, dans une introduction, qu'il voulait faire très
développée, d'étudier l'histoire du régime des biens nationaux
à Paris, régime assez différent de celui des biens ruraux du
reste de la France.
Ce serait presque faire injure à la mémoire de Monin
que de ne voir en lui que le professeur et l'historien. Jamais
personne ne fut moins que lui « l'homme de cabinet » ren-
fermé égoïstement dans sa littérature ou son érudition. Tou-
tes les manifestations de la vie et de la solidarité étaient
assurées de son concours. Aux Commissions historiques de
la Ville, au Comité des Inscriptions Parisiennes, au Comité
des Recherches sur l'Histoire de Paris pendant la Révolution
Française, il prêta un large et utile concours. Soldat dans
la Garde Nationale de Besançon en 1870, il fut, au cours de
la dure guerre actuelle, la cheville ouvrière de toutes les
œuvres d'aide sociale à la Mairie du IX^ arrondissement.
S'il ne fut pas un homme politique au sens précis du mot,
ce républicain à l'àme chevaleresque luttait contre le 16 mai
à Vesoul, collaborait à de nombreux journaux tels que le
Siècle ou la Dépêche de Toulouse, siégeait pendant 30 ans au
Comité Radical du IX"", et acceptait par devoir une candi-
dature aux élections législatives de 1914. sachant bien qu'elle
HIPPOLYTE MONIN 293
ne devait avoir d'autre succès que de faire entendre dans
ces quartiers aux opinions vacillantes une voix réellement
républicaine.
L'ami fidèle, l'époux tendre, l'homme au désintéresse-
ment antique ont été appréciés de tous ceux qui ont pu l'ap-
procher. Le Maître en histoire sera estimé de plus en plus
dans l'avenir et jouira un jour de la juste renommée que
mérite son labeur considérable et perspicace.
Lucien Lazard.
Aux pages qu'on vient de lire, et où M. Lucien Lazard a
si bien marqué le caractère, l'importance et l'intérêt de l'œu-
vre historique qu'a laissée notre cher collaborateur H.
Monin, qu'on nous permette d'ajoutet quelques lignes pour
retracer brièvement ce que furent pour nous son amitié sin-
cère, son dévouement de tous les instants et son érudition
toujours si vigilante et si sûre.
Comme J.- Félix-Bouvier, comme L.-G. Pélissier, si pré-
maturément enlevés, eux aussi, à notre affection, il parti-
cipa, dans les dernières semaines de 1909, à la fondation de
la Revue historique de la Révolution française. Il concevait,
comme nous, la nécessité d'une grande revue historique qui
ne fût ni l'organe d'un groupe fermé, ni l'instrument d'une
ambition personnelle, mais, au contraire, un large champ
de discussions et d'études, un recueil documentaire où ne
régnât que la seule passion de la vérité. Il s'attacha à notre
œuvre avec un zèle qui, pendant plus de six années, ne se
démentit jamais. On trouvera plus loin, dans la bibliogra-
phie de ses travaux, la longue liste des études qu'il publia
dans notre Revue, depuis le premier numéro, et même,
peut-on dire, depuis la première page, puisque ce fut lui qui
nous apporta le fragment inédit d'Edgard Quinet qui servit
de préface à ce recueil. Dès ce numéro aussi, il commença
la publication de son histoire des relations de Quinet et de
Chassin, étude capitale pour la biographie de ces deux
294 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
hommes. Sans nous arrêter à chacun des travaux, si variés
et si vivants, qui parurent successivement ici même, rappe-
lons, en raison de leur importance particulière, sa critique
serrée et précise de l'œuvre de la Commission des documents
relatifs à la vie économique de la Révolution (numéro d'oc-
tobre-décembre 1911), son étude sur la Montansier (numéro
de janvier-mars 1914), et la discussion des témoignages
relatifs à la mort du tsar Paul P*" (ibicL). Rappelons aussi,
puisqu'on n'en trouvera pas la mention dans la liste de ses
travaux, les nombreux articles bibliographiques qu'il a
donnés dans les divers fascicules de la Revue historique de
la Révolution française, et dont quelques-uns dépassent de
beaucoup le ton ordinaire des comptes-rendus et ajoutent
aux volumes qui en font l'objet de véritables études com-
plémentaires.
Incapable de délaisser, même pour un temps, le cher
domaine de l'histoire, il poursuivait, malgré sa collaboration
à plusieurs journaux quotidiens, malgré aussi les fonctions
administratives dont il était chargé depuis le début de la
guerre, des recherches dont il se plaisait à nous raconter les
étapes, et qui devait, dans sa pensée, aboutir à un travail
très complet et très nouveau sur la vaste et complexe ques-
tion du transfert en France des objets d'art prélevés en
Italie par Bonaparte au cours de la campagne de 1796-1797.
Malheureusement ce travail est resté inachevé dans toutes
ses parties. Nous espérons du moins pouvoir recueillir dans
les divers manuscrits que Madame V'" Monin a bien voulu
mettre à notre disposition quelques pages qui seront pour
nos lecteurs une occasion nouvelle d'admirer celte noble
intelligence, et d'en regretter, comme nous, la disparition
prématurée.
Charles Vellay.
Bibliographie des travaux historiques d'H. Moxin
[L'œuvre historique d'H. Monin se trouvant dispersée dans un grand
nombre de publications périodiques, nous n'avons pas la prétention d'en
HIPPOLYTE MONIN 295
donner ici un tableau complet. Nous avons simplement réuni, avec le
précieux concours de M. Lucien Lazard, tout ce qu'il nous a été possible
de retrouver, et nous en donnons, sans commentaire, la nomenclature, en
nous excusant par avance des lacunes qu'on pourra y trouver et qui sont
presque toujours inévitables en pareil cas. — C. V.]
1. — Essai sur l'histoire administrative du Languedoc pendant Vin-
tendance de Basinlle (1685-1719). Paris, Hachette, 1884. Un vol. in-8 de
430 p. (thèse).
2. — De Unitate Religionis homericœ in Iliade. Paris, Hachette, 1884.
Un vol. in-8 de 73 p. (thèse).
3. — Etat du ressort du Parlement de Paris en 1789 (dans la Révo-
lution française, tome XL année 1886, pp. 104 et sq.).
4. — Les élections et les cahiers de Paris en 1789 (dans la Revue bleue,
tome XLL année 1888, pp. 591-594).
5. — Institutions de Paris en 1789 (dans la Révolution française,
tome XVL année 1889, pp. 301 et sq.).
6. — La séance du 16 juin 1789 d'après un témoin oculaire (dans la
Révolution française, tome XVL année 1889, pp. 536 et sq.).
7. — Journal d'un bourgeois de Paris pendant la Révolution française,
année 1789. Paris, Colin, 1889. Un vol. in-8 de 435 p.
8. — L'Etat de Paris en 1789. Etudes et documents sur l'Ancien Ré-
gime à Paris. Paris, Jouaust, 1889. Un vol. in-8 de iv-689 p.
9. — La province du Languedoc en 1789. S. 1. n. d. In-8 de 176 p.
10. — Etudes révolutionnaires : La chanson historique pendant la
Révolution, de 1787 à 1791 (dans la Revue bleue du 8 février 1890, pp.
173-180).
11. — Les archives révolutionnaires de Paris (dans la Revue bleue du
23 août 1890, pp. 253-256).
12. — La chanson historique pendant la Révolution. Période de 1789
à 1792 (dans la Revue bleue, tome XLV, année 1890).
13. — Philippe-Egalité (dans la Révolution française, tome XX, année
1891, pp. 442 et sq.).
14. — Les Juifs de Paris à la fin de l'ancien régime (dans la Revue
des études juives, tome XXIH, année 1892, pp. 95 et sq.).
15. — Catherine Pochetat (dans la Révolution française, tome XXH,
année 1892, pp. 83 et sq.).
16. — Chansons historiques de 1792 (dans lu Révolution française,
tome XXII, année 1892, pp. 385 et sq.).
17. — La Chanson et l'Eglise sous la Révolution (dans la Révolution
française, tome XXIII, année 1892, pp. 234 et sq.).
296 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
18. — La fête nationale du 52 septembre 1892 et ses précédents histo-
riques (dans la Révolution française, tome XXIII, année 1892, pp. 289 et
sq.),
19. — Le discours de Mirabeau sur les fctes publiques (dans la Révo-
lution française, tome XXV, année 1893, pp. 214 et sq.).
20. — Notes sur la famille de Raffet (dans la Révolution française,
tome XXV, année 1893, pp. 527 etsq.).
21. — Les Bourbons franc-maçons (dans la Revue bleue, 4c série, tome
III, année 1893, pp. 653-658).
22. — Les derniers corps de métiers en France, 1776-1791 (dans la
Révolution française, tome XXVI, année 1894, pp. 326 et sq.).
23. — Bibliothèque d'histoire illustrée (dans la Révolution française,
tome XXVII, année 1894, pp. 379 et sq.).
24. — Les dernières années de la Restauration, d'après les Mémoires
du baron d' Haussez (dans la Revue Meue, année 1894).
25. — Une épidémie anarchiste sous la Restauration (Extrait de la Re-
vue de Sociologie). Paris, Giard et Brière, 1894. Une broch. in-8.
26. — La Pairie sous la Restauration (dans la Revue politique et par-
lementaire de mai 1895).
27. — La Justice de Montmartre en 1775 (dans le Vieux Montmartre,
tome I, années 1895-1896, p. 181).
28. — Le Mur de la Ferme générale et le Bas Montmartre (dans le
yieux Montmartre, tome I, années 1895-1896, pp. 184-185).
29. — Le banquet de Saint-Denis, /4 décembre 18¥I (dans le Vieux
Montmartre, tome I, années 1895-1896. p. 193).
30. — Les Murailles révolutionnaires de Montmartre en 184^8 (dans
le Vieux Montmartre, tome I, années 1895-1896, pp. 253-258).
31. — Le banquet du Chateau-Rouge (dans le Vieux Montmartre,
tomel, années 1895-1896, pp. 277-325).
32. — La translation de Voltaire au Panthéon a-t-clle été un simula-
cre ? (dans la Révolution française, tome XXX, année 1896, p. 193 et
sq.).
33. — L'histoire de la Révolution aux salons de peinture en 1896 (dans
la Révolution française, tome XXX, année 1896, pp. .554 et sq).
34. — Lamartine et la campagne des banquets (dans la Révolution
française, tome XXXI, année 1896, pp. 548 et sq.).
35. — Le Lord de Montmartre (dans le Vieux Montmartre, tome II,
années 1897-1900, pp. 29-32).
36. — Montmartre en novembre et en décembre 1848 (dans le Vieux
Montmartre, tome II, y nnées 1897-1900, pp. 90 101).
HIPPOLYTE MONIN 297
37. — Montmartre en 1865 (dans le Vieux Montmartre, tome II, an-
nées 1897-1900, pp. 218-220).
38. — Le Coup d'Etat du 2 décembre 1851 à Montmartre (dans le
Vieux Montmartre, tome II, années 1897-1900, pp. 245-261).
39. — Une médaille commémorativc de la Commune de 1871 (dans le
Vieux Montmartre, tome II, années 1897-1900, p. 287).
40. — Piémontési, avant-der.nier maire de Montmartre (dans le Vieux
Montmartre, tome II, années 1897-1900, p. 291).
41. — L'original de la musique du « Ça ira » (dans la Révolution
française, tome XXXV, année 1898, pp. 481 et sq.).
42. — George Sand et la République de février 18i8 (dans la Révolu-
tion française, tome XXXVII, année 1899, pp. 428 et sq., 543 et sq., et
tome XXXVIII, année 1900, pp. 53 et sq., 166 et sq.).
43. — Un discours peu connu de Danton (dans la Révolution française,
tome XXXVIII, année 1900, pp. 551 et sq.).
44. — Charles-Louis Chassin (dans la Révolution française, tomeXLI,
année 1901, pp. 97 et sq.).
45. — Les sommiers de la vente des biens nationaux (dans la Révolu-
tion française, tome L, année 1906, pp. 91 et sq.).
46. — Etude critique sur le texte des <( Lettres d'exil » d'Edgar Qui-
net (dans la Revue d'histoire littéraire de la France de juillet-septembre
1907, de juillet-septembre 1908, et de juillet-septembre 1910).
47. — Pujol et George Sand (dans la Révolution de 1848 de novem-
bre-décembre 1907).
48. — Devant la statue d'Edgar Quinet (dans la Révolution de 1848
de septembre-octobre 1907).
49. — Rapport sur le concours Ténicheff (dans les Annales de l'Listi-
tut international de sociologie, 1907).
50. — Procès-verbaux du Comité du Travail à l'Assemblée consti-
tuante de 1848 (en collaboration avec MM. Moysset et G. Renard). Paris,
Cornély, 1908. Un vol. in-8 de 328 p.
51. — Histoire extraordinaire des papiers Baudot et de leur publica-
tion (dans les Anna/es révolutionnaires d'avril-juin 1909, pp. 180-200).
52. — Deux historiens de la Révolution : Edgar Quinet et Charles-
Louis Chassin, d'après leur correspondance originale (dans la Revue his-
torique de la Révolution française de janvier-mars 1910, pp. 51-80, d'avril-
juin, pp. 199-218, de juillet-septembre, pp. 380-403, d'octobre-décembre,
pp. 528-544, de janvier-mars 1911, pp. 76-89, d'avril-juin, pp. 228-245,
de juillet-septembre, pp. 405-424, d'octobre-décembre, pp. 572-591, de
298 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
janvier-mars 1912, pp. 90-109, d'avril-juin, pp. 276-293, de juillet-septem-
bre, pp. 447-460, de janvier-mars 1913, pp. 100-113, et d'avril-juin, pp.
291-307).
53. — Le magasin des « Trois Pigeons » (dans la Revue historique de
la Révolution française d'avril-juin 1910, pp. 240-243).
54. — La prise de la Bastille, histoire et légende (dans la Revue histo-
Jique de la Révolution française d'octobre-décembre 1910, pp. 547-549).
55. — Un bail de dîmes en 1789 (dans la Revue historique de la Révo-
lution française de janvier-mars 1911, pp. 94-96).
56. — Les républicains français et l'unité italienne (dans la Révolu-
tion de 18^8 de mars-avril 1911, pp. 11-20).
57. — C'est la faute à Voltaire, c'est la faute à Rousseau (dans la
Revue historique de la Révolution française de juillet-septembre 1911,
pp. 425-430).
58. — L'œuvre de la Commission des documents relatifs à la vie éco-
nomique de la Révolution (dans la Revue historique de la Révolution
française d'octobre- décembre 1911, pp. 592-597).
59. — Un éducateur alsacien : Joseph Willm (dans la Révolution de
18^8, tome VIII, année 1911, pp. 409-414).
60. — Histoire du siège et de l'occupation de Saint-Denis par les Alle-
mands en 1870-1871. Saint-Denis, Impr. H. Bouillant, 1911. Un vol.
in-8 de vi-377 p.
61. Le refrain de Gavroche dans une chanson inédite de la Restaura-
tion (1817). Paris, 1911. In-8 de 8 p. (Tirage à part de l'article paru dans
la Revue historique de la Révolution française sous le titre : C'est la faute
ù Voltaire, c'est la faute à Rousseau ; cf. plus haut, n» 57).
62. — Pourquoi ? En marge de la pétition de Naundorff et du rapport
de M. Boissg d'Anglas au Sénat. Paris, Figuière, 1911. In-8 de 15 p.
63. — Une lettre de Victor Schœlcher à Edgar Quinet, 1862 (dans la
Révolution de 18^8 de septembre-octobre 1911).
64. — Une lettre d'Arnold Scheffer à Edgar Quinet (dans la Révolution
de 18i8 de novembre-décembre 1911).
65. — François-Désiré Bancel, représentant de la Drôme, proscrit,
professeur à Bruxelles, député de Paris. 1822-1871, d'après ses lettres iné-
dites. Paris, Cornély, 1911. Un vol. in-8 de 148 p.
66. — Le chapitre 78 du Projet de budget de llnstruction publique
(dans la Revue historique de la Révolution française de janvier-mars
1912, pp. 121-123).
67. — Théophile Dufour. représentant du peuple en 18i8 pour le dé~
parlement de l'Aisne (dans la Révolution de 18^f8 de mars-avril 1912).
HIPPOLYTE MONIN 299
68. — Une lettre d'Edgar Qinnet à Henri Brisson (dans la Révolution
de 18iS de mars-avril 1912).
69. — Les Rapports des observateurs dans les « Petites Archives pari-
siennes » de G. Saint-Joanny (dans la Revue historique de la Révolution
française d'avril-juin 1912, pp. 298-301).
70. — La rupture de Michclet et de Quinet (dans la Revue d'histoire
littéraire de la France d'octobre-décenibre 1912).
71. — Le nom révolutionnaire du socialiste Saint-Simon (dans la
Revue historique de la Révolution française de janvier-mars 1913, pp.
115-118).
72. — Le problème méditerranéen (dans la Vie du l«^r mars 1913).
73. — Nicolas-Eugène Paute-Lafaurie (dans la Révolution de 18^8 de
mars-avril 1913).
74. — A propos de chansons (dans la Revue historique de la Révolution
française d'avril-juin 1913, pp. 310-312).
75. — Cinq lettres de Sainte-Beuve à Edgar Quinet, 1831-1839 (dans la
Revue d'histoire littéraire de la France de juillet-septembre 1913).
76. — Le Collège Louis-le-Grand, séminaire de la Révolution (dans la
Revue historique de la Révolution française de juillet-septembre 1913,
pp. 503-507).
77. — La Montansier, fondatrice et directrice de théâtres sous l'ancien
régime et pendant la Révolution, 1730-18W (dans la Revue historique de
la Révolution française de janvier-mars 1914, pp. 42-98).
78. — A propos de la mort du tzar Paul /e'', 11/23 mars 1801) dans la
Revue historique de la Révolution française de janvier-mars 1914, pp.
149-158).
79. — La Montansier, femme galante et femme d'affaires, directrice et
fondatrice de théâtres (1730-18W). Paris, aux bureaux de la Revue histo-
rique de la Révolution française, 1914. Une broch. in-8 de 61 p. (Tirage
à part ; cf. plus haut, n» 77).
80. — Blanqui et la police, lSi7-18i8 (dans la Révolution de 18i8 de
mars-avril 1914).
81. — Les papiers de Boissg d'Anglas (dans la Revue historique de la
Révolution française d'octobre-décembre 1914, pp. 288-293).
82. — Une leçon de Michclet sur Rome, 1830 (dans la Revue histo-
rique de la Révolution française de janvier-mars 1915, pp. 134-139).
83. — Les a'uvres posthumes et la musique de Jean-Jacques Rousseau
aux (( Enfants-Trouvés » (dans la Revue d'histoire littéraire de la France
de janvier-juin 1915).
300 BEVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
84. — Bonaparte et la République de Saint-Marin (dans la Revue
historique de la Révolution française de juillet-septembre 1915, pp. 140-
144).
85. — La Géographie de la Guerre, dans la Dépêche de Toulouse (1914-
1915) ; — Questions historiques, comptes-rendus et analyses d'articles,
dans la Grande Revue ; — Articles divers dans la Grande Encyclopédie,
le Siècle, la Dépêche, la France de demain.
MÉLANGES ET DOCUMENTS
DEUX LETTRES DE SYLVAIN MARECHAL
CONTRE L'ÉTAT DES RUES PARISIENNES EN 1786 ET 1787
Deux fois Sylvain Maréchal s'est servi du Journal de Paris
pour exprimer son mécontentement contre l'état des rues parisien-
nes et pour proposer des moyens d'obvier à certains inconvé-
nients constatés par lui.
La première de ces lettres, relative à la vente des fleurs, parut
dans le Journal de Paris du 13 juin 1786 * ; la seconde, protes-
tant contre regorgement des agneaux dans la rue, le 25 mai 1787 * .
Voici ces deux lettres, curieuses autant comme contribution à
la connaissance du « vieux Paris » qu'à celle du caractère du fu-
tur auteur du Jugement dernier des rois.
O. K.
I
PROJET d'un marché AUX FLEURS
Aux Auteurs du Journal
Paris, mai 1786.
Messieurs,
Les marchés publics d'Athènes et de Rome portoient l'empreinte
d'élégance et de grandeur qui caractérise les monumens 3 de ces deux
premières villes de l'antiquité.
Rempli de ces souvenirs, un des matins du mois de Mai, je visitai la
rue au Fer, dont je suis le voisin. Des deux côtés d'un ruisseau fétide,
1. Pp. 678, 679.
2. P. 633.
3. Voyez mes explications des Antiquité (sic) d'Herculanum, T. III, in-4'' fig.
(Note de Sylvain Maréchal)
302 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
cette rue étroite était occupée par quantité de villageoises chargées de
plusieurs paquets de fleurs entassées sans ordre, et dont elles ne pou-
vaient étaler les beautés faute d'espace.
Ce spectacle me fit naître l'idée d'un marché aux fleurs à construire
sur l'un des nouveaux emplacements que le Bureau de la Ville vient de
se procurer.
Une rotonde, d'un style léger, recevant le jour par un dôme de vitrage,
rafraîchie d'une fontaine placée au milieu, pourroit être consacrée uni-
quement au commerce des fleurs : on yréuniroit celui des arbres et arbus-
tes qu'on met en vente deux jours de la semaine sur le quai dit de la
Féraille i . Cet (sfc) petit établissement serviroit en même tems de parure
à la Capitale. Nos Parisiennes paresseuses le seroient bientôt moins,
attirées par le spectacle riant qui les attendroit au lever de l'aurore. Les
Amateurs de la belle nature, retenus au centre de la ville par leurs affai-
res, déroberoient volontiers une heure au sommeil pour se récréer par
des images fraîches et aimables. La vue journalière d'un parterre de fleurs,
au centre de Paris, pourroit avoir plus d'influence qu'on ne se l'imagine.
J'ai pensé. Messieurs, que ce petit projet patriotique pourroit obtenir
une place à la suite des plans plus vastes que vous avez offerts dans vos
Feuilles consacrées tout à la fois à 1 utilité et aux plaisirs du Public, dont
vous êtes devenus les Confidens.
J'ai l'honneur d'être, etc.
Signé, Silvain Maréchal.
Il
Aux Auteurs du Journal
Au mois de Mai.
« Vous n'égorgerez point l'agneau sous les yeux de sa mère », a dit
Moj'se dans son Deuteronome.
Ce passage de la Bible m'autorise à vous dénoncer un usage dont je
suis le témoin journalier. Depuis les Pâques jusqu'aux Fêtes de la Pente-
côte, tous les jours, sous les fenêtres - de la maison de mon père, des
gens, qu'on appelle Rjtisseurs-Traiteurs, se placent dans le milieu de la
rue pour enfoncer le coutelas dans le gosier d'un agneau bêlant, qu'on ne
se donne pas même la peine de lier ; puis on abandonne le pauvre animal,
qui, après avoir perdu son sang goutte à goutte, expire dans une longue
agonie. Cette scène, qui se renouvelle à toutes les heures de la journée, a
pour spectateurs tous les enfans du voisinage, qui, déjà aussi intrépides
que le Victimaire, insultent à l'agneau immolé, et se font un jeu de ses
convulsions mortelles.
1. Il est assez singulier que le marché des fleurs et des arbres se tienne pré-
cisément dans deux endroits destinés jadis à un tout autre objet ; comme il
appert par les noms de ces deux locals (sic) : la rue an Fer et le quai de la Féraille,
(Sote de Sylvain Maréchal)
2. Rue des Prêcheurs, proche les Halles. {Note de Sylucun Maréchal)
MÉLANGES ET DOCUMENTS 303
S'il n'existe aucun règlement qui défende aux Rôtisseurs-Traiteurs de
faire leurs exécutions sous les yeux du Public, ne seroit-il pas convena-
ble d'y pourvoir et de soustraire aux regards de l'enfance des tableaux
révoltans, capables d'émousser ce caractère compatissant que la nature
nous a donné pour de bonnes raisons, et dont la société a tiré de si grands
avantages ?
Signé, Sylvain Maréchal.
ROBESPIERRE ET LES TROUBLES DE SOISSONS
{U février 1790)
Le 11 février 1790, Target appelait l'attention de l'Assemblée
constituante sur des incidents tumultueux qui s'étaient produits à
Soissons à propos de la fixation du prix de la journée de travail.
« Les citoyens, dit-il, se sont assemblés par quartier pour procéder
eux-mêmes à cette fixation ; vos décrets avaient cependant prévu
toutes les difficultés : par celui du 15 janvier vous avez fixé le
maximum du prix des journées à 20 sous ; et par celui du 2 du
présent mois, vous avez confié l'exécution des formalités à suivre
pour les élections aux comités librement élus, aux municipalités
où il n'y a point de comités établis, et aux uns et aux autres dans
les lieux où ils administrent conjointement •. »
En réalité, les troubles de Soissons n'avaient pas eu la gravité
que semblait leur attribuer Target. Ils se réduisaient à un dissen-
timent, d'ailleurs passager, entre la municipalité et les trois dis-
tricts, celle-là ayant fixé à 20 sous la taxe des journées et ceux-ci
ayant demandé qu'elle fût réduite à 12 sous afin d'étendre les
droits de citoyens actifs à un plus grand nombre de citoyens.
L'entente se fit assez rapidement entre les districts et la munici-
palité, sur la base de 12 sous réclamée par les districts.
Quoi qu'il en soit, les paroles de Target provoquèrent despro-
testations immédiates. Le 17 février, on écrivait de Soissons au
Moniteur : « Le comité de constitution a été mal informé ; il n'est
pas une ville du royaume où le décret de l'Assemblée nationale
ait été plus respecté relativement à la disposition (jui confère aux
1. Moniteur du 12 février 1790, Rcimpr., tome III, p. 344.
304 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
municipalités le droit de faire cette fixation des journées de travail.
Depuis le commencement des assemblées à Soissons, c'est sous
les formes respectueuses d'un vœu, que les trois districts ont de-
mandé la réduction de la taxe des journées à 12 sous, fixée à 20
sous par la municipalité, parce que, d'après cette fixation, sur
mille quatre cents citoyens, plus de cinq cents étaient privés des
droits de citoyens actifs. Nul trouble, nul mouvement même n'a
accompagné cette réclamation, et la diversité d'opinions sur cet
article n'a point altéré la paix. Nous étions à la veille de nommer
un maire ; mais on a suspendu l'activité des districts pour vérifier
les listes des électeurs et des éligibles, d'après la fixation à 12 sous,
convenue entre la municipalité et les trois districts. ' »
Dans une autre protestation, adressée au Moniteur par le pro-
cureur du roi au bureau des finances de la généralité de Soissons,
Goulliart, et publiée dans le numéro du 27 février^ , on trouve un
récit succinct des événements. Ce fut le 9 février que les districts
adressèrent un voeu à la municipalité pour demander que la taxe
fût abaissée de 20 sous à 12 sous. La municipalité 3' consentit ;
mais, le 14, elle prorogea les séances des sections. Il y eut des
plaintes, et, selon les expressions même de Goulliart, un mécon-
tentement extrême, mais pas de désordres.
D autre part Goulliart affirme nettement que « des calomnia-
teurs ont surpris la religion du comité de constitution », ce qui
laisse supposer qu'il y eut, autour de ces incidents, beaucoup
d'intrigues. Les éléments aristocratiques de Soissons profitèrent
vraisemblablement de ces circonstances pour exciter contre la
municipalité et la commune de Soissons le Comité de constitution
de l'Assemblée constituante. Il est également vraisemblable que
Goulliart donna, à ce sujet, des détails plus précis et plus complets
dans la lettre à laquelle Robespierre répondit le 14 février, puisque
Robespierre, en lui répondant, parle, lui aussi, des manœuvres
de « l'aristocratie soissonnoise ».
Voici le texte complet de cette lettre de Robespierre :
Monsieur
Votre patriotisme est au dessus de tout éloge. Les entreprises de
l'aristocratie soissonnoise contre les droits des citoiens sont un scan-
1. Moniteur du 21 février 1790, Réimpr., tome III. p. 49.
2. Réimpr., III, p. 475.
MÉLANGES ET DOCUMENTS 305
dale pour tous les amis de la patrie et de la liberté. Une cause aussi
juste que la votre doit infailliblement triompher, si elle est défendue
avec toute la fermeté qu'elle mérite. C'est un crime d'en manquer,
quand il s'agit de la cause du peuple. Vous pouvez compter sur mon
zèle, autant que sur la haute estime et le sincère attachement avec
lequel j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très
obéissant serviteur.
DE ROBESPIE/iriE
Paris, le U fev. il 90
A Monsieur
Monsieur Goidliart
procureur du roi à Soissons. l
Nous ignorons si Goulliart continua à tenir Robespierre au
courant de la marche des événements. Nous savons seulement,
par l'article de Goulliart lui-même dans le Moniteur du 27 février,
que les trois districts de Soissons décidèrent de « s'adresser à
l'Assemblée nationale ». Le 23 février, l'un d'eux demanda que,
d'un commun accord avec la municipalité, une démarche fût faite
auprès du président de l'Assemblée constituante pour obtenir de
lui une lettre désavouant les accusations dont la ville de Soissons
avait été l'objet. Il ne semble pas que, sur cette question-là du
moins, les manifestations et les réclamations se soient prolongées
au-delà de cette date.
Charles Vellay.
UN ESSAI DE BALLON DIRIGEABLE EN 1793
Le lendemain du jour où s'éleva dans les airs le premier
ballon, on chercha à tirer des avantages pratiques de la nouvelle
invention.
Des esprits chimériques se donnèrent carrière. Deux projets
de construction furent présentés ; l'un avait pour objet de faire
1. Nous devons la communication de cette lettre à lobligeance de M. Noël
("ha ravay, entre les mains duquel se trouve actuellement l'original autographe
de cette pièce. A notre connaissance, elle n'a jamais été publiée intégralement.
On en trouve seulement deux ou trois lignes citées dans une communication de
M. de la Prairie publiée dans le Bulletin de la Société archéologique de Soissons,
2*= série, tome V'IIl (année 1877), p. 282.
lîEV. UIST. I)K LA Rl;V. 9
306 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
les plus longs voyages, (rmême au-dessus des mers et dans les
climats peu connus ; ce projet est l'image de ce que pourrait
devenir un jour la navigation aérienne. Cette machine porterait
trente hommes avec des vivres pour soixante jours, et son exé-
cution coûterait plus de trois millions ». Dans le second, un
aérostat, portant six hommes, aurait été destiné à faire sur le
continent une campagne, une sorte de « croisière d'observations
et d'expériences ».
Le roi, en janvier 1784, par l'intermédiaire du baron de Bre-
teuil, s'adressa à l'Académie des sciences, en priant quelques-uns
de ses membres de s'occuper « de la construction propre à rendre
les machines aérostatiques utiles ». Les premières recherches
eurent pour but d'obtenir des enveloppes imperméables à l'air.
Fortier, constructeur d'instruments de mathématiques, présenta
la composition d'un vernis qui donna d'excellents résultats.
« On voyait déjà la direction des ballons trouvée », dit le
comte de Ségur en racontant l'ascension que firent, le 4 juin 1783,
dans le jardin des Tuileries, les physiciens Charles et Robert.
Dès lors, ce problème hante les esprits ; il est, dit Tissandier,
résolument abordé, mais sans succès, par l'Académie des
sciences de Dijon. Les inventeurs ne se découragent pas ; les
projets succèdent aux projets II en est un que nous n'avons
vu mentionné nulle part, et qui attira l'attention de Monge et de
Guyton de Morveau. Ils le crurent assez réalisable pour présenter
à son sujet, le 29 août 1793, un rapport adressé à la Convention.
Nous demandons la permission de le reproduire en entier, car il
n'est pas possible de couper ou de résumer un travail technique.
Les citoyens Marre et Desquimare ont présente le 28 mai der-
nier un mémoire dans lequel ils annoncent qu après de longues
recherches sur le vol djs oiseaux et la natation des poissons, ils
étaient parvenus à trouver le moyen de diriger les aérostats en
temps calme, et demandent qu'il leur fut accordé un emplacement
dans lequel ils pourraient démontrer leur mécanique aux commis-
saires chargés de l'examiner et de rendre compte des avantages que
la République pourrait en retirer.
Ces citoyens proposaient en même temps des vues sur l'appli-
cation du cerf-volant ; cette partie sera traitée dans un rapport
séparé. Il n'est ici question que de la direction des aérostats.
MÉLANGES ET DOCUMENTS 307
La demande de ces citoyens ayant été renvoyée par la Com-
mission an Ministre de l'Intérieur pour qu'il indiquât un local dans
l'un des édifices nationaux% il leur a fait ouvrir la partie de la ga-
lerie qui tient au pavillon de l' Egalité.
Les machines que les citoyens Marre et Desquimare y ont
montées par rapport à la direction, consistent principalement en de
grandes ailes composées chacune de plusieurs parties qui ont la forme
de plumes de 16, 19, 22 et 25 décimètres de longueur, de 22, 27, Ai,
4-9 centimètres de largeur, et qui sont emmanchées et réunies à la
façon des plumes des ailes d'un oiseau. Chacune de ces plumes est
formée d'une membrure qui en fait la charpente et divise en deux
parties inégales leur face qui est en taffetas tendu sur des nervures
légèrement arquées, formées de roseau et terminées dans son pour-
tour par des cordes dont la tension détermine d'un côté un peu de
convexité, de l'autre, un peu de concavité, et, par conséquent, de
flexibilité, de sorte que cette imitation est aussi rapprochée de la na-
ture qu'il est possible, et que l'exécution réunit en même temps la
solidité et la légèreté nécessaires.
Les avantages que les inventeurs se promettent de cette structure
est qu'en élevant et abaissant ces ailes alternativement et par un
mouvement rapide et continu, il n'y aura aucun temps perdu, parce
que la partie large de la plume s'inclinant au premier instant dans
chaque position tantôt en haut, tantôt en bas, frappe l'air de manière
à porter en avant le corps auquel elle est fixée, ce qu'on ne peut
obtenir que successivement et par intervalles avec des rames. Ils
pensent encore que l'air continuement poussé à l'arrière par le plan
oblique de ces plumes, détermine à l'avant une raréfaction qui
diminue la résistance et favorise la marche. Pour rendre ces effets
sensibles, les citoyens Marre et Desquimare prennent par le manche
une de ces plumes artificielles ; ils en frappent l'air de bas en haut,
et l'on voit que quelqu'effort qu'on fasse pour l'abaisser verticale-
ment, elle se porte du côté du tranchant avec une force proportion-
nelle à l'impulsion et qui va jusqu'à faire tourner celui qui la tient.
D'autre part, ils ont construit un petit chariot porté sur quatre
roulettes de 22 centimètres de diamètre. Deii.v hommes montés sur
ce chariot l'ont fait marcher en élevant et baissant successivement
deux ailes en longues plumes de la structure ci-devant décrite, qui
avaient chacune 6 décimètres de longueur depuis l'axe porté sur la
balustrade du chariot ù .îi centimètres de largeur dans leur milieu.
308 KEVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Pour la démonstration du second effet, ou de la raréfaction de
l'air en avant, ils ont abaissé rapidement une de leurs plumes arti-
ficielles à la proximité de plusieurs chcmdelles allumées ou récem-
ment éteintes (le tranchant de la plume du côté de la chandelle), et
l'on a vu la flamme ou la fumée manifestement entraînée de ce côté
par le courant qui détermine le déplacement subit de l'air frappé.
S'il est vrai de dire que, dès les premiers temps de l'invention
des ballons, on avait pensé à imiter pour la direction le vol des oi-
seaux, il n'est pas moins certain que personne n'avait mis dans un
jour aussi frappant l'observation de ce mécanisme et l'application
qu'on peut en faire aux aérostats. En principe général, il est évident
que tout ce que l'on peut imaginer et tenter en ce genre, se réduira
toujours à des ailes, des pales, des nageoires ou des corps semblables
sous diverses formes qui, en frappant l'cùr, portent l'aérostat en
avant avec une force égale à la résistance que le fluide opvose à son
déplacement, et qui est, par conséquent, en raison de la surface qui
résiste et de la vitesse avec laquelle il est frappé, mais ce serait une
erreur de penser, parce que quelques-uns des moyens connus de
remplir cette condition n'ont pas eu un succès complet, que tous les
autres sont jugés. La solution du problème dépend précisément du
choix ou de la découverte des moyens qui, en produisant cet effet,
soient en même temps susceptibles d'une application facile à une
machine d'une construction aussi légère, qui se prête aux mouve-
ments que l'on veut lui imprimer en divers sens, et surtout que l'on
puisse multiplier asse: pour obtenir une somme de forces capable
de vaincre la résistance du fluide extérieur, d'accélérer la marche
dans le calme et de nmintenir enfin la direction dans un vent
modéré.
C'est sous ce point de vue que les citoyens Marre et Desquimare
sont véritablement dignes d'attention. Les ailes qu'ils proposent sont
légères et solides ; elles pourront être fixées sur l'équateur : leur jeu
pourra être réglé par des ressorts ; il sera à volonté simultané pour
porter en avant ou inégal pour aider au changement de direction ;
la continuité de leur action sera très avantageuse ; leur multipli-
cation ne présente aucun inconvénient ; enfin, leurs dimensions, leur
nombre et, par conséquent, leurs effets n'auront de limites que
celles des forces des hommes que l'aérostat pourra porter. Or, il est
bien connu qu'en donnant au ballon une forme allongée, on le
rendra capable de porter trois ou quatre fois autant d'hommes, sans
MÉLANGES ET DOCUMENTS 309
augmenter la surface exposée au choc du fluide dont il faut vaincre
la résistance. Cependant, pour ne pas accorder une confiance pré-
maturée ou trop étendue aux moyens indiqués par les citoyens
Marre et Desquimare, il serait convenable de les soumettre à une
expérience préliminaire qui se ferait à très peu de frais, et qu'il
serait facile de rendre décisive P sur la valeur de ces moyens, sur
l'estimation rigoureuse de leur produit et sur la meilleure manière
de les employer ; 2" pour l'évaluation précise de la résistance à
vaincre dans un air non agité, ainsi que sur la forme à donner à
l'aérostat pour qu'elle fût la moindre possible : 3° pour la compa-
raison de l'effet des rames et des ailes avec le même effort et dans le
même temps, soit en les faisant jouer sur la nacelle, .^oit en les
posant sur ïéquateur. Cet essai, quelqu'en fût le résultat, aurait
toujours l'avantage de donner des bases fixes à des spéculations qui
jusqu'ici n'ont porté que sur des suppositions vagues et liasardées.
Voici comment l'expérience pourrait être ordonnée, et ce détail
mettra à même d'estimer les petits frais qu'elle occasionnera. On
prendrait des cercles de bois et de fil, tels que ceux qu'on emploie à
relier les cuves, et en les rentrant, on en formerait deux grands
cercles de 97 décimètres de diamètre. Ces cercles seraient réunis
parallèlement à 65 centimètres de distance l'un de l'autre par
quatre ou six traverses clouées sur les deux cercles. Deux de ces
traverses placées dans la ligne horizontale du centre de ces cercles
représentera une portion de ïéquateur d'un globe entier. Sur ces
traverses, on établirait une des ailes ou des grandes plumes pro-
posées, de manière que son manche fût solidement attaché à un
barillet sur lequel on aurait placé un ressort en spirale, de l'espèce
de ceux qu'on emploie dans les pendules, et qui étant tendu, eût la
force de relever jusqu'à la ligne verticale supérieure l'aile qui aurait
été abaissée, d'environ 12,5 degrés au dessous de la ligne Ixorizon-
tale. Cet appareil étant suspendu au plafond de la portion de la
galerie où sont déposées les machines des citoyens Marre et Desqui-
mare (elle a la hauteur et la largeur nécessaires), on y adapterait
une nacelle soutenue comme si c'était un ballon, et de là on ferait
jouer les deux ailes par des cordons attachés à un petit bras saillant
de 16 cerdimètres du manche de l'aile et fi.vés à même distance de son
axe de révolution, pour que l'effort ne se porte pas sur cet axe
même. On parviendra aisément à prévenir cet effet et à rendre en
même temps les mouvements plus réguliers en arrêtant le retour de
310 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
l'aile en haut à un même nombre de degrés que celui précédemment
indiqué pour rabaissement par le moyen d'une ficelle attachée à la
galerie de la nacelle.
Sur l'un des cercles qui représenterait l'avant de l'aérostat on
tendrait une toile légère sur laquelle on collerait encore du papier,
afin qu'elle ne tamisât pas l'air et que la résistance du fluide choqué
fût absolument égale à celle de l'axe du grand cercle d'un ballon de
même diamètre. Deux cordes attachées aux extrémités postérieures
des deux portions du cercle équatorial et se réunissant pour passer
sur une poulie de renvoi fixée au mur porterait un plateau de ba-
lance destiné à recevoir des poids. Enfin, une rondelle de cuir
coulant sur la corde à frottement dur et retenue près de la poulie
par un anneau fixe, servirait d'index pour mesurer le mouvement
imprimé. Un coup d'œil sur l'esquisse ci-jointe fera connaître par-
faitement l'ensemble de cet appareil.
Il est évident que par ce moyen on aura une évaluation exacte de
la résistance de l'air choqué par l'avant de l'aérostat de l'excès de
la puissance des ailes sur cette résistance, car l'expression de cette
valeur sera l'espace parcouru à chaque révolution des ailes par un
poids donné et le temps qu'il aura mis à le parcourir. Or, si l'on
observe de n'appliquer au mouvement de ces ailes que la force qu'un
homme peut entretenir plusieurs heures de suite, il sera prouvé
qu'elle suffit pour diriger la marche d'un aérostat dans un temps
calme ou d'un vent faible, et cela ne paraîtra pas surprenant à ceux
qui ont vu deux hommes remorquer sans efforts et pendant plusieurs
heures sans quitter la route, un ballon portant une nacelle dans
laquelle étaient deux voyageurs. L'expérience indiquée sera d'autant
plus concluante qu'elle met l'aérostat dans la condition la plus
défavorable, celle où la résistance de son avant serait égale à celle
de la surface entière de son grand cercle, et les géomètres démon-
trent que le volume de fluide déplacé est en raison de la surface
antérieure du corps qui se meut, tellement que la résistance d'un
triangle isocèle qui présente sa base, est à la résistance du même
triangle qui présente la pointe comme le carré de l'un de côtés est
au carré de la moitié de la base.
Jl y aurait donc déjà une grande différence à l'avantage de la
puissance quand on conserverait à l'avant la forme hémisphérique.
Mais l'appareil précédemment décrit servira encore à faire connaître
jusqu'à quel point on peut faire aux aérostats l'application de ce
MÉLANGES ET DOCUMENTS 311
principe et même à déterminer par des résultats comparés, celle des
formes de l'aérostat de l'avant qui, sans trop ajouter au poids de
l'enveloppe, la disposera de manière à éprouver moins de résistance.
Il suffira pour cela de couvrir le cercle antérieur d'une pyramide,
d'un cône, d'un prisme, ou de tout autre solide plus ou moins
allongé, ce qui se fera aisément par le moyen d'un léger bâtis cou-
vert de toile et de papier. Les ailes étant mises en mouvement après
la substitution de chacun de ces solides, la différence des poids et
leur élévation dans le même temps donnera l'échelle des résistances
éprouvées par l'aire du grand cercle et par chacun des solides dont
cette base aura été successivement couverte. En faisant également
dans toutes ces positions la substitution des rames aux ailes, il sera
facile d'en évaluer comparative ment l'effet, non seulement d'une
manière absolue, mais aussi relativement à la facilité avec laquelle
les unes et les autres pourront être organisées pour remplir les con-
ditions de légèreté, solidité, régularité et aisance des mouvements.
Ainsi, la résolution de ces questions ne peut manquer d'avancer
l'art de V aérostation, de fixer du moins les idées d'après lesquelles
on peut y travailler utilement, les frais de ces expériences ne pou-
vant s'élever au dessus d'une somme de 3.000 livres. Ce sera une
faible mise dans la perspective des avantages que l'on pourrait se
promettre en cas de succès, de l'application de ces machines à la
défense de la liberté contre la ligue des despotes.
Monge et Guj'ton de Morveau apportent dans ce rapport tout
ce que pouvait donner la science de leur époque. Que pouvait-on
espérer de cette machine lourde et compliquée ? On cherchait,
mais il fallait laisser faire le temps qui réservait au siècle suivant
de si rapides et de si belles découvertes, et qui les couronnait par
la conquête de l'air.
Gabriel Vauthier.
QUELQUES NOTES ET DOCUMENTS INEDITS
POUR LA DEUXIÈME ÉDITION DU RAPPORT DE COURTOIS
SUR LES PAPIERS TROUVÉS CHEZ ROBESPIERRE
Courtois avait annoté l'exemplaire personnel qu'il conservait
de son Rapport fait au nom de la commission chargée de l'examen
des papiers trouvés chez Robespierre et ses complices..
312 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Ces annotations, que nous reproduisons ici, paraissent avoir
été faites en vue de la seconde édition de son Rapport, que Cour-
tois préparait. Elles sont écrites au crayon au bas des pages et
correspondent à un renvoi marginal ' .
P. 5, 1. 16. — Voyez les anecdotes sur St-Jnst.
P. 10, 1. 6. — Lettre écrite par Lehon en réponse.
P. 14, 1. 32. — Brûlure des feuilles de Maral au Nord. De là
peut-être leur excessive rareté.
P. 15, 1. 3. — Réponse de Bouchotte dans mes papiers.
P. 17, 1. 5. — Notes sur tous ces hommes 2 pas assez connus.
Anecdotes.
P. 20, 1. 32. — C'est cet article qui m'a aliéné Lindet que je suis
loin d'assimiler aux scélérats qui composaient alors le Comité, etc.
P. 22, 1. 6. — Lettres de Worms et Sneider (sic).
P. 23, 1. 7. — Anecdote relative à son obscurité de commande .
— Anecdotes sur Camille Desmoulins, le bon et honnête Desmoulins.
P. 29, 1. 5. — Tribut à payer aux mânes de cet excellent répu-
blicain •' . Sa lettre à sa femme.
P. 33, 1. 5. — Barère se proposait de réfuter cet article *. De-
lille de Salles m'a avoué qu'il devait lui prêter sa plume.
P. 41, 1. 39. — Lettre supposée écrite par Danton au législateur.
Robespierre voulait envelopper dans cette proscription Duh. Cr. ^
P. 43, 1.4. — Gobel. Anecdote relative à son avilissement. Per-
fidie du Comité de Salut public.
P. 44, 1. 17. — Je vengerai les mânes de cet énergique républi-
cain ^. Anecdotes relatives à lui et à Danton.
Ce Bourdon de l'Oise ! Oh exécrable homme.
P. 46, 1. 5. — Historique plaisant fourni par un des éclaireurs
de la police ' . — Pièce curieuse.
P. §2, 1. 16 — L'imprimeur Nicolas. Anecdotes sur sa conduite
relativement aux 17 prisonniers de Troyes .
1. L'exemplaire original est l.a propriété de M. L. Mausscnet, de Chàlons.
2. Dumas, Flcuriot, Payan, Col'finhal, Nicolas.
.3. Philippeaux.
4. Le mot de Robespierre : « Il faut une volonté une. »
5. Dubois-Crancé.
6. Westerman.
7. Sur l'affaire Catherine Théot.
MELANGES ET DOCUMENTS
313
P. 61, 1. 9. — Coupeur croreilles de morts *.
P. 64, 1. 13. — Lebas, sa mission dans le Bas-Rhin, curieuse. —
Partage de Luiza fait en présence de Gâteau. — Anecdotes.
P. 69, 1. 33. — Voyez le rapport du 9 Thermidor. Anecdotes de
la préface.
P. 74, 1. 32. — Anecdote curieuse sur ce personnage émigré -
par suite des persécutions de Lebon et aide de camp de Dampierre.
P. 76, 1. 33. — Dorfeuille natif de Sézanne. Son nom était Go-
bet. J'ai étudié avec lui au collège de Troyes. Anecdotes sur.
P. 78, 1. 10. — Achard. 2 lettres de lui où il affecte de la philo-
sophie. Son opinion sur le père de Darcé, de la République.
P. 79, 1. 26. — Voyez les révolutions de Lyon. Anecdotes patri-
culières. Sa lettre à Renaudin.
P. 87, 1. 17. — Anecdotes de la femme Meyer sur Danton.
Robesp. ne lui avait jamais pardonné le mot ultra-révolution.
P. 89, 1. 20. — Maignet. Ses menaces et celles de ses amis. At-
taqué le lendemain du rapport par lA députés. Mon courage à les
repousser lui
P. 91, 1. 21. — Agricola Moreau ^. L'un des plus terribles agi-
tateurs du Midi. Anecdotes.
P. 93, 1. 29. — Guillotiné * depuis à Oranges.
P. 99, 1. 21. — Je ne me repens point de cet éloge malgré les
torts qu'il ' eut depuis avec moi. Anecdote relative à la croix du
Calvados.
Voici maintenant deux documents conservés par Courtois dans
ses papiers et qui lui furent évidemment adressés en manière de
justification par Donneau, l'auteur de la lettre à Claude Payan
publiée dans \e Rapport de Courtois (Pièces justificatives, p. 407,
pièce n° CXXI).
Le premier de ces documents est un « Certificat de justice et
d'humanité délivré le 22 ventôse an III par Esprit-Joseph Castel-
lane à Louis-Ignace Donneau. » En voici le texte :
1. Cousin.
2. Compcrc.
3. Agricol Moureau.
4. Roman-Fonrosa.
5. Robert Lindet.
314 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Je soussigné Esprit Joseph Castellane, commandant la Garde
nationalle de St-Paul trois Châteaux, district de Montélimar, dépar-
tement de La Drôme, certifie que le citoyen Louis Ignace Donneau,
membre du cy devant comité révolutionnaire de cette commune, s'y
est toujours conduit en homme d'honneur et de probité, que dans les
moments les plus difficiles j'ay épprouvé de sa part tout ce que l'on
pouvait attendre d'un citoyen humain autant que juste ; et qu'il a
fait tout ce qui était en son pouvoir pour me mettre à l'abri et nom-
bre de nos citoyens ; de la vexation et de la persécution de nos enne-
mis. En témoignage de quoy ; et pour rendre hommage à la vérité,
je fais la présante déclaration. A St-Paul trois Châteaux, le vingt
deux ventôse an troisième de la République française une et indivi-
sible.
Esp. Jos. Castellaxe *
Le second des deux docujnents est un certificat du même
genre, délivré à Louis Ignace Donneau par Marie Gabriel Lau-
rent Arnaud (de Lestang). Il est ainsi conçu :
Je soussigné Marie Gabriel Laurent Arnaud habitant cette com-
mune de St-Paul trois châteaux district de Montélimart département
de la Drôme, après avoir pris lecture de l'article du Mercure qui
inculpe le citoyen Louis-Ignace Donneau qui y est représenté comme
un des agents des scélérats payans voulant donner à ce citoyen les
témoignages de justice qui lui sont dus certifions que pendant tout le
temps qu'il était membre du cy devant comité révolutionnaire de cette
commune il n'a cessé de donner des preuves de son humanité de jus-
tice, et de probité qu'il était le seul et unique espoir des honnêtes
citoyens qu'il a garanti de la vexation, et de la persécution des scé-
lérats que quoique j'aye été détenu, néanmoins il n'a contribué en
rien à ma détention et qu'il n'a pas dépendu de lui si je n'ai pas
obtenu ma liberté. En foy de ce je lui' ai délivré le présent au dit
St-Paul ce vingt six ventôse an trois'^ de la Rep. f^.
Alt y AT D -
1. A ce cerliGcat est jointe une note ainsi conçue : « Cette décloi^ ^l'a été
donnée par Castellanne désigné dans ma lettre à Paj'an. »
2. Note jointe au certificat : « Cette déclaration m'a été donnée par Arnaud
de Lestang qui se trouve désigné dans nia lettre à Claude Paj-an. »
MÉLANGES ET DOCUMENTS 315
Telles sont les notes et pièces que nous avons pu retrouver en
ce qui concerne la seconde édition du Rapport de Courtois. Si elles
n'apportent pas de lumières nouvelles sur les parties principa-
les de ce Rapport, elles indiquent du moins quels sont les points
que Courtois se proposait de développer, et ce qu'il comptait
ajouter, soit en arguments, soit en anecdotes, à sa première ré-
daction.
P. -M. Fâvret.
UNE LETTRE INEDITE DE MALTHUS A FRANCIS D'IVERNOIS
RELATIVE AUX EFFETS DE LA RÉVOLUTION
SUR LA NATALITÉ FRANÇAISE
(29 octobre 1813)
Dans son ouvrage sur la population, Malthus avait appuyé sa
théorie sur des statistiques prises un peu partout et dont il tirait
des conclusions parfois fantaisistes. Sir Francis D'Ivernois, un de
ses plus fervents disciples, procédait de la même manière. Mais
comme ni l'un ni l'autre ne disposait de données exactes, ils arri-
vaient facilement à se contredire mutuellement, et Malthus avait
attaqué D'Ivernois *, notamment pour avoir prétendu que le nom-
bre annuel des naissances françaises avait diminué d'un septième
pendant la Révolution -, tandis que, d'après la théorie malthu-
sienne, il aurait dû, au contraire, augmenter d'autant.
La lettre que nous publions ci-après semble faire partie d'une
correspondance plus étendue qui s'engagea entre les deux hommes
à propos de cet incident '.
Otto Karmin.
1. T. R. Mai.tiivs, An essaij on thc principle of pvpiilalicn (4" étlil., Londres,
1807), tome I, p. 48.3.
2. Sir Francis D'Ivkhxois, Tableau des perles... Tome II, p. 14.
!5. Bibliotlièque <!e (ïenèvc. Papiers D'Ivernois. (lorrespondance. Tome II.
316 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Sir -Francis D'Jvernois
Bi iinet's Holel
Leicestcr Square.
East Iiidia Collège 1
Oct. 29lh, 1813.
Sir,
I am much flatlered by your obliging communication, and the
first lime I am in Town, will certainly hâve the honour of calling
uponyou to thank you in person ; and avail myself ofthe permission
you sa kindly offer of seeiny the last population returns for France.
I hâve long suspectcd that Xeckers multiplier - for the birth was
too small, and indeed one of the returns made by the constituent
Assembly in which the population is given at nearly its présent
amount seemed abundanlly to shoiv it. At the same time I should not
perhaps take it quitc so high as 30, although I am not surprised that
this should he the présent proportion, as I always thought and I believe
expressed in a note to my chapter on France ^, that if the conditions
ofthe lower classes of people mère in any way improved by the
révolution, a smaller proportion of birth would be the conséquence *.
You are aware that the population of this country has been in-
creasing most rapidly during the last 10 years, with a decidely
smaller proportion of birth than that which is taking place in France
at présent. I should not however hâve expected so great an absolute
1. Malthus était, depuis 1805, professeur d'économie politique et d'histoire
au Collège de la East India (>ompagny, à Haileybury (Hertfordshire).
2. Necker avait prétendu que le rapport des naissances à celui de la popula-
tion totale était de 1 à 25,75.
3. Mallhus fait probablement allusion au passage suivant de son Essai on tlic
Principle of Population C4'' édit. ; Londres, 1807), tome I, p. 437 : « Si la situa-
tion de la partie agricole de la population [française] a été améliorée par la
Révolution, j'incline fortement à croire qu'on trouvera une diminution de la
proportion des décès et des naissances. Dans un climat aussi beau que celui de
la France, seule une très grande misère des classes inférieures pourrait occa-
1 . . 13
sionner une mortalité de — , et une proportion des naissances de , d'après
30 ' *^ 45 '^
les calculs de Necker. Suivant cette supposition, les naissances [indiquées] pour
l'année IX peuvent élre exactes, et à l'avenir les naissances et les décès n'engen-
dreront probablement pas une si large proportion [par rapport] à la population.
Le contraste entre la France et l'Angleterre, à ce point de vue, est tout à fait
miraculeux. »
4. C'est-à-dire qu'il y aura une naissance pour un nombre inférieur à 25,75
personnes vivantes.
MÉLANGES ET DOCUMENTS 317
diminution of them as yoii state to hâve heen the case in the gear
IX * ; and I cannot help still thinking that there was a période
subséquent to the revohition, before the conscription attached the
married men, when there was a greater number both of mar liages
and births than there has been since.
If that retnrn [of\ the constituent Assembly be correct, it would
appear that the population of France during the last W years had
not essentiallg uaried, while our population had increased nearlg
2 lj2 millions. This would bc allowing something considérable for
the effects of the Révolution.
I hâve been so particularlg busy the last 2 or 3 days, that I hâve
not yet leisure to look over gour Exposé, but I propose myself that
pleasure tomorrow, or the day after, and am sure that I shall readit
with great intcrest and instruction.
I congratulate you on your présent prospects on the Continent,
and am Sir with great respect
Your very obed^ humble s'.
T. R. Malthus -.
The account you mention of La Vendée is ver y curions and ex-
traordinary indeed.
Traduction
Monsieur,
Je suis très flatté de votre obligeante communication, et la première
fois que je serai en ville, j'aurai certainement l'honneur de vous rendre
visite pour vous remercier en personne, et pour profiter de votre permis-
sion, si aimablement offerte, de voir les derniers rapports sur la popula-
tion en France.
Depuis longtemps je me suis douté que le multiplicateur de Necker
pour les naissances était trop petit et, en effet, un des rapports faits par
l'Assemblée Constituante, dans lequel la population est indiquée à peu
près avec le même nombre qu'à présent, le prouve abondamment. En
même temps je ne le prendrais peut-être pas aussi élevé que 30, quoique
je ne serais pas surpris si cela était la proportion actuelle, comme je l'ai
toujours pensé, et comme je crois l'avoir dit dans une note de mon cha-
pitre sur la France, savoir, que si les conditions de vie des basses classes
du peuple étaient, de n'importe quelle manière, améliorées par la Hévo-
1. D'apri's les rapports adressés au gouvcrnoment consulaire à la suite d'en-
quêtes ordonnées par lui, au comnienceuient de l'an I\.
2. La signature et le posl-scriptum ont été découpés par Dlvernois. et rem-
placés par une bande de papier.
318 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
lution, cette amélioration aurait pour conséquence une moindre propor-
tion des naissances.
Vous savez que la population de ce pays [l'Angleterre] a augmenté très
rapidement dans les 10 dernières années, avec une proportion sûrement
plus faible de naissances que celle qui se produit actuellement en France.
Cependant je ne me serais point attendu à une diminution absolue aussi
grande que celle que vous me signalez pour l'an IX ; et je ne peu.x m'em-
pêcher de penser qu'il y a eu une période après la Révolution, et avant
que la conscription ait saisi les hommes mariés, où il y a eu un plus
grand nombre et de mariages et de naissances qu'il n'y en a à présent.
Si le rapport de l'Assemblée Constituante était exact, il prouverait que
la population française n'a pas varié sensiblement dans les vingt dernières
années, tandis que notre population a augmenté d'environ 2 1/2 millions.
Ce qui serait un heureux et considérable effet de la Révolution.
J'ai été si particulièrement occupé ces 2 ou 3 derniers jours, que je
n'ai pas encore eu de loisir pour regarder votre exposé, mais je me propose
ce plaisir pour demain, ou le jour après, et je suis sûr que la lecture en
sera pour moi très intéressante et instructive.
Je vous félicite de vos perspectives actuelles sur le Continent, et je
suis. Monsieur, avec un grand respect, votre très obéissant serviteur.
T. R. Malthus.
Les calculs que vous donnez relativement à la Vendée sont très curieux
et tout à fait extraordinaires.
NOTES ET GLANES
La situation agricole dans le Bordelais en juillet 1814. — « Bau-
rech, le 6 juillet 1814 Les blés viennent d'essuyer une baisse
considérable, ils sont à 15 et 16 francs la l^'^ qualité. La paix va
faire retomber cette marchandise aux prix de 14 et 15 francs ; il
faut en conséquence que par la culture bien ordonnée des terres
une quantité plus considérable balance les prix élevés que la guerre
nous a donnés pendant quelque temps. Et je répéterai qu'heureux
sont ceux dont les troupeaux et principalement les vignes sont en
état, que c'est le vin dorénavant qui augmentera le plus, comme
un exemple sensible nous en ont fourni les preuves pécuniaires
en temps de paix ; mais quoique je sois bien convaincu qu'on ne
peut aujourd'hui apporter trop de soin à cette culture, négligée
par les circonstances et le malheur des temps, je ne prétends pas
pour cela qu'on doive négliger tous les autres genres d'industrie
qui ne font, au contraire, que tendre une main secondaire (sic) à
toutes les branches d'une exploitation conséquente » (Extrait
d'une lettre de Victor Desgardis à sa mère, M'"^ Desgardis, à Mé-
ric, en Bas-Médoc ; conservée dans les papiers de famille de Ma-
dame Louis Reutter de Rosemont, à Genève). — O. K.
Benjamin Constant prophète. — « Si une race purement mili-
taire se formait actuellement, comme son ardeur ne reposerait
sur aucune conviction ^ , sur aucun sentiment ^ , sur aucune pen-
sée ; comme toutes les causes d'exaltation, qui, jadis, annoblis-
saient le carnage même, lui seraient étrangères, elle n'aurait d'ali-
ment ou de mobile que la plus étroite et la plus âpre personna-
1. Religieuse ou de propagande des idées de liberté.
2. De la gloire.
320 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
lité. Elle prendrait la férocité de l'esprit guerrier, mais elle
conserverait le calcul de l'esprit commercial. Ces Vandales res-
suscites n'auraient point cette ignorance du luxe, cette simplicité
de mœurs, ce dédain de toute action basse, qui pouvaient carac-
tériser leurs grossiers prédécesseurs. Ils réuniraient à la bruta-
lité de la barbarie les raffinements de la molesse, aux excès de
la violence les ruses de l'avidité Ce qu'ils auraient de con-
naissances pratiques leur servirait à mieux rédiger leurs arrêts
de massacre ou de spoliation. L'habitude des formes légales don-
nerait à leurs injustices l'impassibilité de la loi. L'habitude des
formes sociales répandrait sur leurs cruautés un vernis d'insou-
ciance et de légèreté qu'ils croiraient de l'élégance. Ils parcour-
raient ainsi le monde, tournant les progrès de la civilisation
contre elle-même, tout entiers à leurs intérêts, prenant le meurtre
pour moyen, la débauche pour passe-temps, la dérision pour
gaîté, le pillage pour but, séparés par un abîme moral du reste
de l'espèce humaine, et n'étant unis entr'eux que comme les ani-
maux féroces qui se jettent rassemblés sur les troupeaux. » (Ben-
jamin Constant, De l'esprit de conquête et de l'usurpation ; 1814 ;
pp. 14-16). — O. K.
BIBLIOGRAPHIE
François Laurentie, Le cas de M. Aulard. Paris, Librairie Bar-
bou, 1914. In-16de76 p.
Nous avons signalé, à plusieurs reprises, les graves défectuo-
sités des publications documentaires de M. Aulard. Cfes défec-
tuosités sont à la fois si nombreuses et si essentielles qu'elles
vicient le travail tout entier, auquel aucun historien ne peut
désormais se reporter avec con6ance, et qui, dès lors, n'est plus
qu'une œuvre inutile, stérile, et dangereuse.
M. François Laurentie a rassemblé quelques exemples carac-
téristiques de la méthode — ou plutôt de l'absence de méthode
— de M. Aulard, et des conséquences qu'elle entraîne. Son petit
volume, venant après celui de M. Augustin Cochin S constitue
un réquisitoire si précis, si abondant, si décisif, qu'il servira à
éclairer quelques-uns de ceux qui, de moins en moins nombreux,
s'illusionnent encore sur la valeur exacte de l'œuvre de M. Aulard.
Après avoir fait remarquer qu'il ne prétend pas donner la
liste complète des erreurs de M. Aulard, car, dit-il, « toute la
publication de M. Aulard étant à refaire, on ne saurait, sur le
chapitre des inexactitudes, des fausses lectures, des bévues et des
coquilles, viser à être complet », M. Laurentie s'attaque résolu-
ment à l'énorme Recueil des Actes du Comité de salut public.
Les noms propres y sont souvent orthographiés de la façon
la plus fantaisiste et de tant de manières différentes que le person-
nage ou le lieu deviennent méconnaissables, que les confusions
les plus inattendues déroutent le lecteur, et qu'en fin de compte,
il n'est plus possible de mettre un peu de clarté dans ce chaos,
^L Aulard ayant dû renoncer lui-même à donner, sous forme de
tables générales et d'index, le seul fil d'Ariane qui pourrait per-
mettre de traverser ces ténèbres.
1. La crise de l'histoire rcuoliitionnairc : Taine et M. Aulard, Paris, 1909.
r.EV. !i;ST. UE mA klvol. '■>
322 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
En ce qui concerne l'exactitude matérielle des textes, M. L.
a procédé à l'expérience suivante :
Ayant pris au hasard, dit-il, une des plaquettes où sont reliés les
arrêtés, nous avons comparé ces textes manuscrits aux textes imprimés
par le Président de la commission supérieure des Archives [M. Aulard].
Voici le résultat de cette collation. M. Aulard peut nous en croire, lorsque
nous assurons que des juxtapositions semblables donnent des résultats
analogues.
Il s'agit de la plaquette 1834 du carton AF^ii 214. Elle est formée de
43 pièces, numérotées de 1 à 43, et donne 24 arrêtés.
De ces 24 arrêtés, qui devraient se trouver au Recueil de M. Aulard,
2 y manquent (nos 3^ 27).
Sur les 22 arrêtés transcrits, 17 accusent 54 erreurs de copie (sous les
no« 3, 6, 7, 10, 14, 15, 17, 19, 21, 29, 31, 33, 35, 36, 40, 42, 43).
Parmi ces 54 erreurs relevées, 15 faussent le sens du texte ou amè-
nent des non-sens.
Et, après avoir cité les versions extravagantes données par
M. Aulard, M. L. ajoute :
Si l'on veut bien s'imposer l'examen sérieux de la collection Aulard,
c'est à la pelle qu'on y ramassera l'inintelligible. A d'innombrables
reprises, le lecteur est arrêté par des billevesées inouïes qui n'ont pu
échapper qu'à un correcteur inattentif, pressé, superficiel, aussi étranger
à la langue française qu'à la langue révolutionnaire.
Et les exemples défilent de nouveau : M. Aulard écrit Manche
au lieu de Marne (tome IX, p. 253), millions au lieu de milliers
(tome XII, p. 72), francs au lieu de voitures (tome XII, p. 147),
chevaux au lieu de livres (tome XIII, p. 599), bois taillés au lieu de
bois taillis (tome XIII, p. 464), à portée des résines au lieu de à
portée des usines (ibid.) Et ainsi de suite, inépuisablement.
Le classement des matériaux eux-mêmes aboutit à un désordre
inexprimable, où M. Aulard est aussi incapable de s'orienter que
son lecteur. Là encore, les exemples abondent :
Tome XI, p. 44, n" 4 (10 février 1794), renvoi à un arrêté non daté.
« Nous n'avons pas retrouvé cet arrêté», dit M. Aulard (note 4). Il l'a
publié, t. X, p. 634, n° 10 (du 3 février 1794).
Ibid., p. 693, n" 11 (14 mars 1794), renvoi à un arrêté du 6 mars. —
« Je ne trouve pas, à cette date, d'arrêté sur cet objet », dit M. Aulard
(note 4). Il y est bien, et à cette date (p. 567, nf"* 8, 9, 10 ou 11), mais en
analyse et méconnaissable à son éditeur même : car l'analyse est à con-
tre-sens, si vague qu'elle soit, et on ne peut reconnaître l'arrêté qu'en
se reportant à la cote, donnée par M. Aulard.
Tome XIV, p. 56, n» 8 (l'^'" juin) ; p. 327, n" 3 (15 juin) ; p. 576, n" 8
BIBLIOGRAPHIE 323
(28 juin), etc., renvois à un arrêté du 21 avril. — « Nous n'avons pas
à cette date d'arrêté sur cet ol)jet », écrit, p. 327, note 3, et ailleurs, à
l'occasion, M. x\ulard, toujours précis. Voici l'affaire. Les références à
cet arrêté sont nombreuses, car il est très important : il s'agit d'une levée
de 3.000 voitures pour l'armée du Nord, sur les départements de Seine-
Inférieure, Eure, Oise, Seine-et-Marne. Les textes renvoient toujours à
la date du 21 avril, qui est la bonne évidemment. Mais M. Aulard ayant
publié l'arrêté (t. XII, p. 755, W^ 16) à la date du 22, — parce qu'il se
sert du brouillon de l'AF n, qui porte bien en effet cette date, — n'a
pas su le retrouver dans son propre ouvrage à un jour de distance. No-
tons pourtant que cet arrêté (vaste règlement pour la levée des voitures)
compte vingt articles et remplit à lui seul trois pages du Recueil.
Ibid., p. 534, n'^ 6 (26 juin 1794), renvoi à un arrêté du 16 floréal (5
mai). — « Nous n'avons pas retrouvé, à cette date, d'arrêté du Comité
de salut public sur cet objet », dit M. Aulard, note 3. — Or on peut le
lire dans son Recueil (tome XIII, p. 292, n" 16), à cette date et in extenso!
ibid., pp. 614-615, n° 22 (30 juin 1794), renvoi à un arrêté du 9 mes-
sidor (27 juin). — (( Nous n'avons pas à cette date d'arrêté sur cet
objet », dit M. Aulard, note 3. C'est vrai. Mais il le donne le lendemain,
10 messidor (28 juin), p. 571, n^ 1. Et c'est un arrêté très important, —
l'arrêté organique créant l'agence de la navigation intérieure. Onze arti-
cles, près d'une page et demie du Recueil.
T. XV, p. 401, n*^ 11, renvoi à un arrêté du 2 thermidor. — « Cet
arrêté nous manque », dit M. Aulard, note 1. Or il l'a donné, mais au 3
thermidor (p. 326, n" 7), etc.
On comprend qu'avec une telle ignorance de son propre
ouvrage, M. Aulard soit amené à reproduire plusieurs fois le
même texte, sans s'apercevoir de son erreur. M. L. en cite quel-
ques exemples caractéristiques.
Ainsi, peu à peu, à mesure qu'on avance dans l'examen de
cette œuvre touffue, inextricable, on constate que l'éditeur, inca-
pable de se plier à une sévère méthode historique, n'a abouti qu'à
une confusion désordonnée. La correspondance des représentants
en mission, qu'il a voulu joindre, on ne sait pourquoi, aux actes
du comité de salut public, pourrait donner lieu, elle aussi, aux
plus humiliantes critiques. Là encore, M. Aulard n'a ni compris
ni mesuré le caractère et l'étendue de la publication qu'il entre-
prenait ; il n'a pas su procéder à une exploration sérieuse des
sources ; il n'a pas su respecter les textes qu'il publiait, et dont
quelques-uns sont impudemment tronqués et déformés.
On sait que M. Aulard a placé en tête du tome XVIII du
Recueil des Actes duCoinité de salut public unerratum. Cet erratum
est l'aveu manifeste de la faillite de toute son œuvre, parce qu'il
ne révèle pas seulement au lecteur une liste de pièces omises,
324 REVUE HISTORIQUE DE LA. RÉVOLUTION FRANÇAISE
mais, chose infiniment plus grave, une série de sources inexplo-
Tout le monde, dit M. L., excuse les omissions isolées, même nom-
breuses. Mais il ne s'agit pas de cela. Il s'agit de séries entières, qui
fournissent à bien des égards les textes les plus sûrs. Il s'agit de la
source capitale. Ce sont ici les éléments les plus clairs, les plus légitimes,
les plus considérables de la collection entreprise, qu'on a négligés depuis
dix-huit ans. après les avoir soi-même signalés, énumérés comme essen-
tiels !.... Pour ne citer que les principales, 37 séries d'arrêtés, formées
de plus de 69 registres, cahiers ou liasses, et dont la plupart contien-
nent des centaines d'articles, affalaient l'éditeur, lui révélant des lacunes
Innombrables, des omissions de documents essentiels.
Mais cet erratum lui-même est prodigieusement incomplet ;
d'autre part, il regorge d'erreurs. »
Le seul énoncé des sources donne au moins sept cotes fausses. Quant
à la liste des pièces, rien de moins sûr. Par exemple, sur les 275 pre-
miers arrêtés du registre AF n* 221, M. Aulard avoue 236 omissions ;
mais il se trompe en trop et en moins. Il accuse 5 omissions qu'il n a
pas commises et en omet 17 qu'il a commises. Mêmes erreurs en ce dou-
ble sens dans AF ii' 121, 123, 130, etc. Est-il besoin cependant de dire
que les erreurs en moins prévalent ? MM. Ch. Charpentier et A. Cochin
ont vérifié, pour la seule année de la Terreur (août 1793-août 1794) et
pour les seuls registres du fonds AF n*, un millier d'arrêtés, au hasard. •
En établissant, d'après ces vérifications, des moyennes par registre, il
.faudrait élèvera 1000 le chiffre de lacunes — 629 — donné par M. Aulard
pour ce fonds et pour cette période 1. Où va donc le total général des
omissions, avouées ou non ? Ce chiffre sans doute, monte à l'Himalaja.
Que dire encore ? On pourrait prolonger à l'infini, sans
l'épuiser jamais, la liste des omissions, des bévues, des erreurs
de toute nature qui font du Recueil des Actes du Comité de salut
public une sorte de contrefaçon historique, une véritable mystifi-
cation, dont les deniers publics, hélas ! payent les frais. Et si
jamais, à force de courageuse patience, on parvenait un jour à
dresser l'erratum formidable de cette entreprise scandaleuse, il
]. Quant au reste de son erratum (fonds des Commissions et ministères), M.
Aulard avoue pour cette période 96 omissions d'arrêtés. Que penser de ce
chiffre ? Nous ferons seulement les remarquas suivantes : l'éditeur ignore un
cahier d'analyses d'arrêtés sur la Marine (Marine BB 2 547) qui, sur 119 arrêtés
vérifiés, lui aurait révélé 62 lacunes à son Recueil ; — il ignore un recueil du
ministère de la guerre ( — - — j qui, sur ses 31 premiers arrêtés, en contient 20
qui manquent à son Recueil. Enfin, sur les 100 premiers arrêtés recueillis et
numérotés par la Commission dagriculture, il y a 54 lacunes, et seulement 44
aveux. (Note de M. Lanrentie)
BIBLIOGRAPHIE 325
resterait encore à soumettre au même examen méthodique tous
les autres recueils dus à M. Aulard : la Société des Jacobins ;
Paris pendant la réaction thermidorienne et le Directoire ; Paris
sous le Consulat ; Paris sous le premier Empire. Et quand tout
cela serait terminé, il resterait encore à passer au même crible
les autres ouvrages de M. Aulard, et notamment cette Histoire
politique de la Révolution française, qui a fait tant de dupes, et
où la vérité historique est, presque à chaque page, submergée
par une passion puérile et haineuse, où les faits les plus certains,
les plus évidents, sont audacieusement dénaturés, où le prodi-
gieux pédantisme de Tauteur remplace la science et l'impartialité
qu'on y chercherait en vain.
Charles Vellav.
William W. Wight, Louis XVII ; a bibliography. Boston, Marvin,
1915. In-8 de 159 p.
Ayant réuni un ensemble assez important d'ouvrages relatifs
à Louis XVII et à toutes les discussions qui se sont élevées
autour de ce nom, M. Willian W. Wight a eu l'heureuse idée de
publier l'inventaire de cette collection. Il est regrettable qu'il
n'ait point élargi son effort, et qu'il n'ait point essayé de nous
donner une bibliographie complète. Même en supposant que cet
essai eût présenté quelques lacunes, il eût été plus utile et plus
méritoire que la liste, nécessairement restreinte, qu'il nous offre
aujourd'hui.
Néanmoins, telle qu'elle est, cette bibliographie est intéres-
sante et rendra de grands services à ceux qui auront l'occasion
de la consulter. Elle ne comprend pas seulement les volumes,,
brochures, pamphlets, périodiques qui ont trait à Louis XVII ou
à la « question Louis XVII » ; elle mentionne aussi les simples
articles de journaux, et c'est peut-être dans cet ordre d'idées
qu'elle apportera aux chercheurs le plus d'indications nouvelles,
parce que c'est précisément le domaine qu'il est le plus malaisé
d'explorer.
Si M. W. a laissé hors de son travail ce qui ne figurait pas
dans sa bibliothèque personnelle, on peut lui reprocher d'avoir»
par contre, fait entrer dans cette bibliographie des ouvrages qui,
par leur nature ou leur objet, ne paraissaient pas destinés à y
prendre place. Xi le Dictionnaire des ouvrages anonymes de Bar-
bier, ni le catalogue de la Bibliothèque de l'Université Cornell, ni
326 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION ERANÇAISE
le Manuel pratique pour r élude de la Révolution française de M.
Caron, ni le Dictionnaire de la Révolution fvançaisc dcDécembreet
Alonnier, ni vingt autres ouvrages du même genre, n'appartien-
nent, à proprement parler, à la bibliographie de Louis XVII,
et une bibliographie ainsi comprise n'a plus de limites et dépasse
démesurément son but.
Mais, ces réserves faites, le recueil de M. W., qui fournit un
total de 478 numéros, accompagnés d'un index des noms pro-
pres, constitue un ouvrage d'une valeur et d'un intérêt indiscu-
tables, et auquel il sera souvent utile de se reporter.
C. V.
Jehan d'IvRAY, Bonaparte et TEgypte. Paris, Lemerre, 1914.
In-18 ; 3 fr. 50.
Le titre de ce petit livre ne correspond guère à sa substance,
car des rapports de Bonaparte avec l'Egypte et les Egyptiens ou
les Turcs il n'est guère question. Sauf quelques citations d'Abd er
Raman Gabarti, le fond du récit est bien mince. Quelques anec-
dotes et quelques faits divers — historiettes, mais pas même
petite histoire — émaillent ce volume, d'ailleurs point consacré
uniquement à l'époque de Bonaparte, puisqu'il empiète assez lar-
gement sur les commandements de Kléber et de Menou.
J. A.
LIVRES NOUVEAUX
Philippe Benoît, Souvenirs d'un Ardéchois, prisonnier de
guerre en Russie, 1812-1814. Aubenas, Impr. Habauzit, 1913.
In-8 de 72 p. — Simon Bolivar, libertador de la America del Sur.
Madrid, Tip. editor., 1914. In-8 de xvi-542 p. ; 4 fr, — Charles
Borgeaud, Les promotions de 1814 (à Genève). Genève, Jullien.
In-8 de 14 p. ; 0 fr. 75. — Armand Brette, Recueil de documents
relatifs à la convocation des Etats généraux de 1789. Tome IV.
Paris, Leroux, 1915. In-8 de 707 p. ; 15 fr. — Edouard Chapuisat,
La restauration de la République de Genève. Genève, Atar.
In-8 de 48 p. ; 1 fr. — D^ P. Chatin, A. -M. Ampère
(1775-183G). Lyon, Rey, 1914. In-8 de 32 p. — Lucien Cramer,
BIBLIOGRAPHIE 327
Genève et les traités de 1815 : Correspondance diplomatique de
Ch. Pictet de Rochemont et de Francis D'Ivernois (1814-1816).
Genève, Kiindig, 1914. In-8 de xlviii-753 et viii-642 p. et pi. ; 20
fr. — M. A. Dubois, Necker économiste. Paris, Rivière. In-8 de
316 p. ; 8 fr. — Lettres inédites du général G. -H. Dufour (1807-
1810), publiées et annotées par Otto K.\rmin. Largentière, Impr.
Mazel et Plancher, 1915. In-8 de 39 p. — Chanoine A. Durand,
L'abbé Bonhomme (1759-1844). Nîmes, Imp. Gellion, 1914. In-8
de 109 p. — Wilhelm Ermann, Jean-Pierre Ermann, 1735-1814 ;
ein Lebensbild aus der berliner franzôsischen Kolonie. Berlin,
Mittler. In-8 de viii-122 p. ; 4 mk. — Karl Esseborn, Die Hessen
in Spanien und in englischer Gefangenschaft, 1808-1814. Darm-
stadt, Schlapp. In-8 de 273 p. ; 1 mk. 50. — Alfredo Flores y
Caamaiio, Don José Mejia Lequerica en las Cortes de Cadiz de
1810 a 1813. Barcelona, Maucci. In-8 de 567 p. — J. Gass, Erleb-
nisse eines elsiissischen Jesuiten wâhrend der Révolution.
Strasbourg, Le Roux. In-8 de 72 p. ; 0 mk. 60. — Paul Geiger,
Volksliedinteresse und Volksliedforschung in der Schweiz vom
Anfang des 18. Jahrhunderts bis 1830, Berne, Francke. In-8
de 137 p. ; 3 fr. 50. — Henryk Grossmann, Oesterreichische
Handelspolitik mit Bezug auf Galizien in der Reformpe-
riode 1772-1790. Wien, Konegen ; gr. in-8 de xvii-510 p. ; 12
mk. — George Guigue, Un faux décret de Napoléon I^f (3 juil-
let 1806). Lyon, Rey, 1914. In-8 de 40 p. — Félix Haase, Die
katholische Kirche Schlesiens im Befreiungskriege 1813.Breslau,
Gôrlich. In-8 de 60 p. ; 1 mk. — Julian Juderias, Don Gaspar
Melchor de Jovellanos ; su vida, su tiempo, sus obras, su influ-
encia social. Madrid, Ratés. In-8 de 136 p. — Georg Lang, Aus
dem Volksleben der Hessen vor 100 Jahren. Darmstadt, Winter.
In-8 de 196 p. ; 1 mk. 20. — Hermann Loening, Johann Gottfried
Hoflmann und sein Anteil an der staatswirtschaftlichen Gesetz-
gebung Preussens. Erster Teil : 1785-1813. Tûbingen (thèse de
doctorat, 1914). — Paul Marmottan, Le voj^age de la Grande-
Duchesse Elisa à Paris en 1810. Paris, Alcan, 1915. In-8 de 43
p. — T. Massereau, Documents d'archives sur l'histoire écono-
mique de la Révolution française ou Recueil de documents iné-
dits et d'ordre économique contenus dans les registres des déli-
bérations de la ville et des quatorze communes rurales du canton
d'Amboise de 1788 à frimaire an VIL Orléans, Impr. moderne,
1915. In-8 de xiv-263 p. — Sir Herbert Maxwell, The life of Wel-
lington : the restoration of the martial power of Great Britain.
London, Low, 1914. In-8 de 446 p. et fig. ; 20 fr. — J.-B.-S.
328 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Morritt, Letters, descriptive of journeys in Europe and Asia Minor
in the years 1794-1796. London, Murray. In-8 de 332 p. ; 10 sh.
6 p. — Henryk Moscicki, Dzieje porozbiorowc Lihvy i Rusi. I
(1772-1800). Wilno, nak. « Kuryera Litewskiego », 1913. In-8 de
476 p. et pi. ; 12 fr. — Charles Oman, A History of the Penin-
sularwar. V(oct. 1811-aug. 1812). London, Milford, 1914. In-8
de 648 p. et pi. ; 17 fr. 80. — G. Petit, La terre et la seigneurie
épiscopale de Charbuj' à la veille de la Révolution. Auxerre,
Impr. Gallot. In-8 de 21 p. — Georg Friedrich Preuss, Die Quel-
len des Nationalgeistes der Befreiungskriege.Rerlin, Mittler. In-8
de 74 p. ; 1 mk. 20. — A. Puis, Les lettres de cachet à Toulouse
au XVIIP siècle. Toulouse, Privât, 1914. In-8 de 333 p. et fig. ;
5fr. — Nicola Ratti, Il processo di Giovanna Bonanno (avvelena-
trice), Palermo 1788-1789. Palermo, Boccone del Povero. In 8
de 83 p. — D. Enrique G. Rendueles, Jovellanos y las cientias
morales y politicas. Madrid, Ratés. In-8 de 82 p. — A. RuplingeF,
Un contradicteur de J.-J. Rousseau: le Lyonnais Charles Bordes.
Lyon, Rey, 1915. In-8 de 19 p. — Dorothea und Friedrich
Schlegel, Briefe an die Familie Paulus (1801-1819). Hgg. v. Ru-
dolf Unger. Berlin, Behr. In-8 de xxviii-192 p. ; 4 mk. — Otto
Eduard Schmidt, Aus der Zeit der Freiheitskriege und des Wiener
Kongresses : 87 ungedruckte Briefe und Urkunden aus sâchsi-
schen Adelsarchiven. Leipzig, Teubner. In-8 de viii-186 p. ; 3
mk. 80. — Maryan Szyjkowski, Mysl Jana Jakôba Rousseau w
Polsce XVIII wieku. Krakow, Gebethner, 1913. In-8 de 270 p. ;
6 fr. 30. — Alexandre Tuetey, Répertoire général des sources
manuscrites de l'histoire de Paris pendant la Révolution fran-
çaise. Tome XI (Convention nationale, 4« partie). Paris, Champion,
1914. In-4 de c-9l6 p. à 2 col. ; 10 fr. — F.Uzureau, Andegaviana
(16^ série). Angers, Siraudeau, 1915. In-8 de 503 p. et une carte.
— F. Uzureau, Le mouvement religieux en Maine et-Loire après
le 18 brumaire. Angers, Grassin, 1915. In-8 de 139 p. — F. Uzu-
reau, La Société ro^'ale d'agriculture d'Angers (1761-1793). An-
gers, Grassin, 1915. In-8 de 42 p. — A. Vorberg, Die sittlich-reli-
giôsen Kràfte der Volkserhebung von 1813. Rostock, Kaufungen-
Verlag. In-8 de 32 p. ; 0 mk. 50.
PERIODIQUES
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juillet 1915 : N. Iorga, Lettres inédites de Tudor Vladimirescu
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pacification de Hoche (1796) ; Angers au mois de juillet 1815 ;
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TANi, Les armoiries et couleurs de la République et Canton du
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330 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
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Briefe von Thérèse Forster an ihre Stiefmutter, 1785-1786 ; Max
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Unbekannte Briefe Ifflands, 1801-1814 ; Albert Leitzmann, Zu
Rudolf Hayms Biographie Wilhelm von Humboldts.
Archiv fiir hessische Geschichte und Altertumskunde. — X(1915),
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lato pugliese ; V. Durante, Gli Anglo-Corsi De Broccheciampe
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PÉRIODIQUES 331
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prince Charles de Clarj^ et Aldringen à Paris en 1810 ; M.
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PÉRIODIQUES 333
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334 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
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PÉRIODIQUES 335
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Mémoires et documents de la Société savoisienne d'histoire et
d'archéologie. — LV (191^) : C. Bouvier, La bibliothèque des
Charmettes ; J. Cochon, Le général Songeon, sa vie militaire et
civile, 1771-1834 ; F. Vermale, Journal d'un pajsan de Mau-
rienne pendant la Révolution et l'Empire.
Mémoires et documents publiés par la Société d'histoire et d'ar-
chéologie de Genève. — IV (191'}) : Charles Borgeaud, La chute,
la restauration de la République de Genève, et son entrée dans
la Confédération suisse, 1798-1815 ; Eugène Demole, Les mé-
dailles rappelant les anciennes relations de Genève et des cantons
suisses, 1584-1815.
Miscellanea di storia patria. — XVII (1915) : Giovanni Sforza,
Gli antenati di Xapoleone I in Lunigiana.
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Bezirke im Jahre 1809 ; J. Friedrich, Die Russen im Deutsch-
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Mois littéraire et pittoresque (Le). — Août 1915 : J. Carvalho,
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Monatshefte der Comenius-Gesellschaft. — Mai 1915 : Adolphe
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Musique populaire (La) [Genève]. — IV (1915), 5 et 7 : « La
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Neue Jahrbiicher fur das klassische Altertum, Gescbichte und
deutsche Literatur. — 1915, n" ,5 : Ernst Maass, Gœthes Geheira-
nisse und Wahlverwandschaften. — 6' : Paul Ortlepp, Schillers
Bibliothek und Lektûre. — 5 : Richard Lixder, Rousseau und
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336 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
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Le mouvement pour la réforme électorale (1838-1841) ; Ph.
MoRÈRE, L' Ariège avant le régime démocratique ; Emile Dagnan,
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trie, patriotisme sous Louis XVI et dans les Cahiers ; R. Bonnet,
Le conventionnel Baudot et la « Biographie nouvelle des con-
temporains » ; L. DuBREUiL, Les origines de la chouannerie dans
le département des Côtes-du-Nord (suite en août-septembre-
octobre). — Aoùt-septembre-octobre : E. Lintilhac, La défense
posthume de Vergniaud, d'après son manuscrit ; A. Aulard,
Patrie, patriotisme, au début de la Révolution française ; P.
Mautouchet, Carnot et l'w Union sacrée » en 1815.
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Plaintes de Jacobins en Alsace, 1792.
Revue catholique de Normandie. — 15 juillet 1915 : J. Porquet,
Les Prussiens à Vire en 1815.
Revue de l'Agenais. — Juillet-août 1915 : P, Lauzun, Profils
militaires : Le général Lafon-Blaniac (1774-1833) ; R. Bonnat,
Crj'ptographie agenaise, ou Journal secret d'Agen depuis le 1«'
mars 1814 jusques à pareil jour 1817, de Jean-Florimond Bou-
don de Saint-Amans ; Isaac Louverturs, Notes historiques sur
l'expédition de Leclerc à Saint-Domingue et sur la famille Lou-
verture.
Revue de Paris (La). — P' juillet 1915 : Commandant Weil,
Les Cent-Jours.
Revue de Saintonge et d'Aunis. — P" août 1915 : Abbé Lemon-
nier, La déportation ecclésiastique à Rochefort (suite le /•'' sep-
tembre).
Revue des études historiques. — Juillet-septembre 1915 : L.
Misermont, Joseph Lebon, membre de la Convention ; A. Au-
zoux. Lettre d'un chirurgien de l'expédition de Linois (1803).
Revue des études napoléoniennes. — Mai-juin 1915 : C. Ballot,
Les banques d'émission sous le Consulat ; R. Simon, Un lycée
sous l'Empire : le lycée de Poitiers (1802-1815) ; E. Le Gallo,
Le Waterloo de Henry Houssaye ; F. Dutacq, Le duc de Persi-
gny, d'après une notice de son ancien secrétaire ; P. Marmottan,
Les logements de cours à Erfurt lors du congrès de 1808 ; G.
RuDLER, Une créance de Talleyrand. — Juillet-août : R. Lévy, La
disette au Havre en 1812 ; J.-H. Rose, Wellington dans la cam-
pagne de Waterloo.
Revue des Facultés catholiques de TOuest. — Juin 1915 : F.
HKV. Ill>ï. IIK LA Iii;V. 1 1
338 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
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généraux Cordellier et Crouzat. — Août : F, Uzureau, Les écoles
secondaires à Angers sous le Consulat et l'Empire.
Revue d'histoire littéraire de la France. — XXII (1915), 3-A : F.
Baldensperger, a propos de Chateaubriand en Amérique, 1813.
Revue du Bas-Poitou. — Jaillet-seplemb re 1915 : E. Bourloton,
Le Clergé de la Vendée pendant la Révolution : Les Sables d'O-
lonne.
Revue du Vivarais. — XXII {191ï) : Cahier des doléances de
la communauté du Pouzin ; J. Régné, Situation économique et
hospitalière du Bas- Vivarais à la veille de la Révolution ; Quel-
ques fêtes et cérémonies civiques à Privas pendant la Révolution;
Une lettre du général Rampon (15 frimaire an VI) ; Correspon-
dance administrative du citoyen Robert, commissaire du gouver-
nement dans l'Ardèche (1799-1800).
Revue historique. — Seplembre-oclohre 1915 : R. Reuss, Le
sac de l'Hôtel de Ville de Strasbourg (juillet 1789) ; W. M. Koz-
LOWSKi, Kosciuszko et les légions polonaises en France (1798-1801).
Revue historique de Bordeaux. — Jaillet-aoûl 1915 : Michel
Lhéritier, La Révolution à Bordeaux, de 1789 à 1791 (suite en
septembre-octobre). — Septembre-octobre : J. Woevre, Les indus-
tries de guerre à Bordeaux pendant la Révolution.
Revue historique vaudoise. — Janvier 1915 : E.-L. Burnet, La
Révolution genevoise, 1789-1797, d'après une correspondance
privée (suite en février et mars) ; Eugène Ritter, Une lettre de
Théodore Jouffroy, 30 mai 1822. — Mars : Othon Guerlac, Une
Vaudoise aux Etats-Unis, 1794-1827. — Mai : L. Mogeox, Les
arbres de la liberté en 1798.
Revue pédagogique. — LXVI (1915), 4 : André Boudier, Un
essai d'éducation morale sous la Révolution.
Revue philosophique de la France et de l'étranger. — XL (1915),
8 : L. Proal, Les lacunes intellectuelles et morales de J.-J.
Rousseau.
Revue politique et littéraire (Revue bleue). — H-21 août 1915 :
A. Chaboseau, Un projet de colonie d'émigrés en Russie, 1792-
1799 (suite le 28 août-4 septembre).
Revue universitaire. — XXIV (1915), 6 : Jean Giraud, Alfred
de Vigny écrivain militaire. — 8 : Charles Adam, Encore Rouget
de Lisle et la « Marseillaise ».
Rivista abruzzese di scienze, lettere ed arti. — A'A'iA" (19U), 9 :
G. Ferretti, Melchiore Delfico e P. Giordani, 1809.
PÉRIODIQUES 339
Rivista délie Biblioteche e degli Archivi. — XXV (19U), 10-12 :
L. Fasso, Una Jettera inedita di V. Monti, 1805.
Rivista di Roma. — VI(19H), 4-7 : G. Pecchio, Ugo Foscolo
professore.
Rivista d'Italia. — 31 juillet 1915 : G. -P. Clerici, Contorni
napoleoaici.
Rivista ligure di scienze, lettere ed arti. — XLII (1915), 2 : G.
Natali, Un traduttore genovese del Candido : Gaetano Marré,
1772-1825.
Rivista militare italiana. — LX (1915), 2, 3 : A. V. Vecchi, La
virtu bellica abruzzese nel 1798-99. — 4, 5 : Napoleone I.
Rivista musicale [Turin]. — XXII (1915), 2 : F. Barberio,
Giovanni Paisiello tra le ire di un copista e di un innovatore.
Schweiz (Die). — XIX (1915), 3 : H. Reinacher, E. G. von
Kleist. — 7 : Mia Liebreich-Landolt, Aus dem Tagebuche des
Zûrchers J.-H. Landolt vom Jahre 1783.
Scuola cattolica (La). — ■ 1^'' août 1915 : E. Galli, Il congresso
di Vienna del 1815.
Séances et travaux de l'Académie des sciences morales et politi-
ques. Compte-rendu. — Avril 1915 : E. d'EicHTHAL, Kant et la
guerre. — Septembre-octobre : H. Welschinger, Les prélimi-
naires d'Iéna.
Schweizerische theologische Zeitschrift. — XXXII (1915), 3 :
O. MopPERT, Vom Geist der Erhebung Preussens vor hundert
Jahren.
Sozialist (Der) [Berlin]. — VII (1915), 5 : Ernst Moritz Arndt,
Nach der Befreiung — vor der Befreiung (1818).
Sphinx. — XIX (1915), 3 : E. Akmar, Letters of Champollion
le jeune and of Sej'ffarth to Sir William Gell.
Stimmen der Zeit. — LXXXVIII (1915), 2 :.]. Fischer, Eine
Heldentat der ôsterreichischen Artillerie vor hundert Jahren. —
6 : D. WoLFiNGER, Wie Frau von Staël Deutschland entdeckt
hat. — 7 : A. Stockmann, Klemens Brentano als vaterlandischer
Dichter.
Tat(Die). — VII (1915), 7 : H. Ullmann, Das Id«al der deut-
schen Gemeinschaft heute und vor hundert Jahren.
Theologische Studien und Kritiken. — 1915, n» 3 : Fr. Loofs,
Zum Gedàchtnis des Wandsbecker Botens (II).
Tiirmer (Der). — Mai 1915 : V. Ardenne, Die geistige Bedrùk-
kung Deutschlands zur Zeit Napoléons I. — Septembre : H.
Geffers, Ausbildung des tûrkischen Heeres durch Napoléon I.
340 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Ungarische Rundschau. — IV (1915), 1 : E. Karacson, Die
Pforte und Ungarn ira Jahre 1788 ; J. Peisner, Das deutsche
Theater in Budapest bis 1812 ; A. Weber, Zur politischen Lyrik
des Kriegsjahrs 1809. — 2 : L. v. Thalloczy, J. Chr, v. Engel
und seine Korrespondenz, 1770-1814 ; L. Racz, Montesquieu in
Ungarn.
University of California Publications in History. — // (1915) :
T. M. Marshall, A history of the western boundar}' of the
Louisiana Purchase, 1819-1841.
Velhagen und Klasings Monatshefte. — Septembre 1915 : Carry
Brachvogel, Gœthes letzte Liebe : Ulrike von Levetzow ; Georg
Biermann, Heinrich Friedrich Fûger als Miniaturenmaler (1770-
1798).
Vergangenheit und Gegenwart. — V (1915), A : Max Grùnbaum,
Das preussische Zivil- und Militarkabinett, 1714-1810.
Vierteljahrshefte fiir Truppenfiihrung und Heereskunde. — 191 A,
Heft 1 : V. ZiMMERMANN, Die Kârapfe der schlesischen Armée im
Februar 1814.
Vita internazionale (La). — AT/// (1915), 5 : M., I trattati del
1815 e la Santa Alleanza.
Vrede door Recht. — Mai-juin 1915 : Hans Wehberg, Het
Rush-Bagotverdrag van 1817.
Western Reserve Historical Society. — N" 95 (1915) : Letters
from the Samuel Huntington Correspondence, 1800-1812.
Wissenund Leben ^Zurich]. — VIII (1915). 20 : Otto Karmin,
Der heutige Stand der Revolutionsforschung im franzôsischen
Sprachgebiet. — IX (1915), 1 : R. Meyer, Die Politik Englands
Und die europaischen Kleinstaaten. 1792-1848.
Zeitschrift des Bernischen Juristenvereins. •— LI (1915), 5 : R.
Wagner, Ueber die Alpgenossenschaften von Grindelwald [«Tal-
einungsbrief » de 1805].
Zeitschrift des Vereins fur Volkskunde. — XXV (1915), 1-2 :
Adolf Hauffen, Deutschbôhmische Volkslieder aus der Zeit der
napoleonischen Kriege ; John Meier, Volkslieder von der Kôni-
gin Luise.
Zeitschrift fur Bùcherfreunde. — VII (1915), 1 : G. Wagner,
Napoléon I in der Lithographie.
Zeitschrift fiir die Geschichte des Oberrheins. — XXX (1915), 1 :
Franz Schnabel, Ludwig von Liebenstein und der politische
Geist vom Rheinbund bis zur Restauration.
Zeitschrift fur historische Waffenkunde. — VII (1915), 2-3 : K.-
K. Meinander, Finnische Fahnen vor 1808.
PÉRIODIQUES 341
Zeitschrift fur die ôsterreichischen Gymnasien. — LXVI {1915),
5 : F. V. Lentner, Helmina v. Chezy und die grâfliche Familie
Wickenburg.
Zeitschrift fiir Geschichte der Erziehung und des Unterrichts. —
IV (1915), 4 : H. Schwanold, Gesetzeskunde in den lippisclien
Volksschulen am Ende des 18. Jahrhunderts.
Zeitschrift fur Politik. — VIII (1915), 3-4 : A. Bhûckner, Die
leitenden Ideen in der polnischen Politik, 1795-1863.
Zeitschrift fiir schweizerische Kirchengeschichte. — IX (1915),
2 : U. Lampert, Der Collaturhandel in Riscli (Kanton Zug),
1798.
Zeitschrift fiir Vôlkerrecht. — IX (1915), 1 : V. Kirchenheim,
England unter falscher Flagge, 1800.
CHRONIQUE
A travers les journaux. — Parmi les articles d'histoire publiés,
au cours de ces derniers mois (du 1*^'' mai au 31 juillet 1915), dans
les journaux quotidiens, nous relevons les titres suivants :
Rouget de Liste aux Invalides : Les origines de « la Marseil-
laise », dans la Croix du 15 juillet;
Metternich et les provinces rhénanes, par M. F. de Nion, dans
le Gaulois du 7 mai ; Un Wellington peu connu (A propos du 18 juin
1815), par M™^ Jenny Baissac (ibid., 18 juin) ; Rouget de Lisle et
« la Marseillaise », par M. L. Schneider (i6jd., 14 juillet);
Waterloo, par M. le comte de Sérignan, dans la Gazette de
Lausanne du 20 juin ;
Waterloo, dans l'Indépendance belge du 18 juin ;
Waterloo, par M. Georges Gain, dans le Journal du 16 juin ;
Le centenaire de Waterloo, par M. Henri Welschinger, dans
le Journal des Débats du 19 juin ;
Le centenaire de Waterloo, par M. Edouard Drumont, dans
la Libre Parole du 18 juin ;
Danton et Gamhetta, par M. H. Galli, dans le Matin du 14
juin ;
The centenary of Waterloo : where tlie Prussians failed, dans
le Morning Post du 18 juin ; Waterloo described in an old letter :
D' John Davij to Mrs Fletcher, Paris, July 26, 1815 (ibid. et
même date) ;
Un Dieu de rOlgmpe prussien LBlûcher", par M. G. Lenôtre,
dans le Temps du 2 mai ; Les secours aux victimes civiles de la
guerre pendant la Révolution, par M. M. Gabion (ibid, 4 mai) ;
IJ Allemagne de Madame de Staël, par M. P. Souday (ibid., 26
mai) ; Service militaire et fabrication d'armes (1793-179^), par M.
P. Caron (ibid., 10 juin); Une fête des poudres et salpêtres en l'an
II, par M. J. Lortel (ibid., 8 juillet); David d'Angers chez Rou-
get de Lisle, par M. J. Bertaut (ibid., 12 juillet) ; « Allons, enfants
de la Patrie ! » Comment le chant de guerre de l'armée du Rhin
devint « la Marseillaise » grcice au médecin Ltienne-François
Mireur. par M. le D"^ F. Helme(j7)ù/., 15 juillet) ; David d'Angers
CHRONIQUE 343
et Rouget de Lisle, par M. L. Delabrousse (ibid., 16 juillet) ; Le
miracle de « la Marseillaise », par M. G. Lenôtre (ibid., 17
juillet) ; Rouget de Lisle et « la Marseillaise », par M. Brada {ibid.,
18 juillet);
« La Garde meurt », par M. Mackworth-Drake, dans le Times
du 18 juin ; « La Garde meurt » [réponse à l'article précédent],
par M. George E. Whatley (ibid., 22 juin).
Autographes et documents. — Voici quelques indications pui-
sées dans les catalogues 462 et 463 (juillet et août 1915) de la
maison Noël Charavay :
— Une lettre de Pauline Bonaparte à Madame de Montholon,
datée du 11 juillet (1820) :
Lettre écrite à une époque où la princesse Pauline songeait à rejoindre
sou frère, détenu à Sainte-Hélène. La princesse Pauline remercie M. et
M"^^ Montholon de leur attachement envers l'Empereur. « Je l'aime.
Madame, l'Empereur, plus que ma vie ; je vais le lui prouver d'une
manière non équivoque. »
— Une lettre du général Championnet au général Grenier,
commandant l'aile gauche de l'armée d'Italie, datée de Coni, 7
brumaire an VIII :
L'ennemi a abandonné Bcnette et le général Victor s'en est emparé.
Grenier doit se tenir sur ses gardes parce que si l'ennemi abandonne
Victor il fera retomber la majeure partie de ses forces sur Grenier. Il lui
demande de lui envoyer 25 chevaux, moitié chasseurs, moitié hussards,
parce que tous les chevaux des guides de l'armée sont morts ou agoni-
sants.
— Une lettre de Daunouà la Commission nationale des admi-
nistrations civile, police et tribunaux, datée de Paris, 2 brumaire
an III.
Il leur accuse réception de l'expédition du décret de la Convention
qui l'autorise à se retirer dans son domicile.
— Une lettre du général Duhesme au général Grenier, datée
de Chaumont, 10 vendémiaire an VIII :
Lettre relative à l'organisation de la défense des Alpes.
— Une lettre de Jourdan au général Grenier, datée de Dentz,
2 vendémiaire an IV :
344 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Il le prévient que le général Beurnonville prendra le commandement
de l'armée à la date du lendemain. Il lui prescrit certaines mesures de
précaution et lui recommande de le prévenir de tout ce qui pourra sur-
venir afin que, de concert avec le général Beurnonville, il puisse se porter
sur les points menacés.
— Ordres de Kléber, datés d'Ober-Hadamar, 19 prairial an IV :
Ordres donnés en qualité de commandant le corps d'armée sur la
rive droite du Rhin. Il donne ses instructions pour occuper le débouché
de la Lahu, cette garde incombera à la division Championnet. La divi-
sion Colaud prendra position sur les hauteurs derrière la rivière d'Els ;
l'avant-garde aux ordres de Lefebvre prendra position en avant de la
rivière d'Els, etc.
— Une lettre du général Lahorie au général Grenier, datée de
Steyer, 3 nivôse an IX :
Il l'informe des mouvements des troupes aux ordres de Richepance et
de Decaen. Le général Grouchy reste encore pour la journée sur Steyer.
« J'espère que demain vous pourrés arriver sur l'Erlaph. Le centre s'y
portera. Notre ligne sera alors bien tracée pour s'appuyer à Leoben. Il
faut nous dépêcher de jetter l'archiduc sous Vienne pour se porter sur
les derrières de l'armée d'Italie. »
— Une lettre du général Legrand au général Grenier, datée
de Straubing, 20 brumaire an IX :
Il lui fait part des mouvements des troupes ennemies qui paraissent
s'être retirées à Muhldorf et aux environs sur l'Inn. Les officiers autri-
chiens annoncent que la campagne ne commencera qu'au mois de mars.
« Ils disent également que l'envov'é de la Bavière à Paris a été fort mal
reçu par Buonaparte et qu'il est certain que les Bavarois n'obtiendront
pas une paix particulière. »
— Une lettre du général Moreau au général Grenier, dalée de
Conegliano, 28 fructidor an VII :
Il lui donne des conseils pour l'occupation du Piémont, où il pourra
faire vivre plus aisément ses troupes et empêcher l'ennemi de nous atta-
quer. Les succès de Lecourbe en Helvétie rendront impossible toute
tentative de l'ennemi si l'on manœuvre bien. « Je crains plus la guerre
du pain et celle de l'argent que celle des austro-russes. »
— Une lettre de Madame de Staël à Louis XVIII, datée de
Coppet, 28 juillet 1814 :
Elle lui demande avec une vive insistance de la comprendre au nom-
bre des personnes qui verront le paiement de leurs dettes. « Mes enfants
CHRONIQUE . 345
et moi nous regarderons cet acte de justice comme un bienfait et des
sentiments profonds et animés rempliront à jamais nos cœurs de dévoue-
ment et de reconnaissance. »
— Une lettre de Talleyrand à Frochot, datée de Paris, 6
décembre 1804 :
Lettre relative à l'organisation d'une fête donnée par la ville de Paris
à Napoléon I''' ; il conseille à ce sujet de consulter le grand-maître des
cérémonies. « Ce n'est pas que l'Empereur ne m'ait paru disposé à
approuver qu'on se rapprochât à cet égard autant qu'il sera possible des
formes et des usages qui étaient suivis en pareille circonstance par le
prévôt des marchands et la ville de Paris. »
— Une lettre de Baudot à l'éditeur de la Nouvelle biographie
des hommes vivants, datée de Liège, 2 juillet 1820 :
Il signale que les biographies qui se sont occupées de sa personne ont
commis des erreurs. Il en relève quelques-unes et les rectifie, particu-
lièrement en ce qui concerne sa mission dans le midi de la France En
1816 il fut contraint de se réfugier en Suisse où de nouvelles persécu-
tions l'attendaient. Enfin il trouva un abri comme médecin dans un
asile d'aliénés, puis, après un séjour de cinq mois, il parvint avec beau-
coup de peine jusqu'à Liège.
— Une lettre du conventionnel Gamon à Fouché, datée de
Paris, 30 août 1815 :
Il se plaint que les royalistes aient pillé et dévasté sa maison de
Nîmes, louée depuis un an au général Gilly. C'était presque toute sa
fortune. Il compte sur une réparation en des temps plus heureux, parce
qu'il a servi sa patrie avec fidélité et dévouement depuis vingt-cinq ans.
« En l'an 15 [1815], mes concitoyens de l'Ardèche me voyant à regret
éloigné des fonctions publiques,* me nommèrent, quoiqu'absent de leur
collège électoral, membre de la dernière chambre des représentants.
Dans cette chambre je n'ai pris la parole qu'une seule fois et j'ai pro-
noncé un discours qui m'attira des suffrages publics, le suffrage de tous
ceux qui sentaient la nécessité de maintenir un bon système monarchi-
que, de se rallier au roi, qui devait donner à la charte constitutionnelle
le mouvement et la vie, enfin d'amener la réconciliation des partis, seul
et dernier moyen peut-être de préserver du plus affreux naufrage l'hon-
neur et l'indépendance nationale. »
— Une lettre du conventionnel Niou, datée de Londres, 8
frimaire an VIII :
Niou, qui était à Londres pour négocier la mise en liberté de 6.500
prisonniers, se félicite des événements du 18 brumaire précédent. « Il y
346
REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
a longtemps que la fluctuation des mouvements politiques qui avait lieu
en France désolaient les bons citoyens et tous les vrais amis de la patrie.
Le gouvernement acquérant plus de fixité, la prospérité publique, la
paix tant désirée en seront vraisemblablement la suite. Enfin, les
citoyens Buonaparte, Scies et Roger Ducos étant à la tête du gouverne-
ment, mon cœur s'ouvre doublement à l'espérance. »
TABLES
tome: tlTJITIIilA^IE
Juillet-Décembre 1915
TABLE DES MATIÈRES'
Pages
CoMBET (Joseph) : L'enseignement à Nice sous le Consulat. De
l'Ecole centrale au Lycée (13 brumaire an Xl-germinal an
XIII) 223
EspiTALiER (Albert) : Antonmarchi était-il médecin ? . . r • 51
Hautefort (Comtesse d') : La Duchesse de Berrj' à Blaye. Journal
de sa compagne de captivité (1832-1833) >i
Heckmann (Paul) : Félix de Wimpffen et le siège de Thionville en
1792 200
Karmin (Otto) : Les finances russes en 1812 et la mission de Sir
Francis d'Ivernois à Saint-Pétersbourg 1''
Lazard (Lucien) et Vellay (Charles) : Hippolvte Monin (1854-
1915) ' 288
Marie-Caroline, reine des Deux-Siciles : Lettres inédites au mar-
quis de Gallo (1789-1806) 101
Peise (Lucien) : Rovère acquéreur du couvent de Gentilly à Sorgucs 74
PiCQUÉ (J.-P.), député des Hautes-Pyrénées à la Convention :
Souvenirs inédits "-» 2oJ
Régné (Jean) : Les prodromes de la Révolution dans l'Ardèche et le
Gard. Une relation inédite de la révolte des masques armés
dans le Bas-Vivarais pendant les années 1782-1783. • • -o3
1. Les articles de fond sont rangée par ordre alphabétique des noms des
auteurs, les inéhinges et documents j>ar ordre chronologique des matières, les
notes et glanes par ordre alphahélique des litres, la bibliographie par ordre
alphabétique des noms des auteurs des ouvrages, les notes de chronique par
ordre alphabétique des litres.
348 REVUE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Mélangées et documents
Deux lettres de Sylvain Maréchal contre l'état des rues parisiennes
en 1786 et 1787 (Otto Karmin) 301
Robespierre et les troubles de Soissons, 14 février 1790 (Charles
Vellay) 303
Un essai de ballon dirigeable en 1793 (Gabriel Vauthier) . . . 305
Un procès-verbal de la Section de Mutius Scœvola sur l'explosion
de la poudrerie de (îrenelle, 14 fructidor an II (Otto Karmin) 135
Quelques notes et documents inédits pour la deuxième édition du
Rapport de Courtois sur les papiers trouvés chez Robespierre
(P.-M. Favret) 311
Quelques remarques inédites de Francis d'Ivcrnois sur la popula-
rité de Frédéric II de Prusse à Neuchâtel et dans le reste de
l'Europe (Otto Karmin) 139
Bonaparte et la République de Saint-Marin (H. Monin). . 140
Une lettre inédite de Malthus à Francis d'Ivernois relative aux
effets de la Révolution sur la natalité française, 29 octobre
1813 (Otto Karmin) 315
Notes et glanes
Bordelais en juillet 1814 (La situation agricole dans le). . . 319
Constant prophète (Benjamin) 319
Fabre d'Eglantine à J.-J. Rousseau (Un hommage de). . . . 145
Bibliographie
(Les noms placés entre parenthèses à la suite des titres sont ceux
des auteurs des comptes-rendus)
Arezzo (Pietro dei Marchesi), Quattro personnagi délia famiglia
Arezzo (M. H.) 149
Barth (Hans), Bibliographie der Schweizer Geschichte enthaltend
die selbstandig erschienenen Druckwerke zur Geschichte der
Schweiz bis Ende 1913, Tome III (Otto Karmin) .... 152
Ivraij (Jehan d'), Bonaparte et l'Egypte (J. A.) 326
La l^our (Commandant Jean de). Les prémices de l'alliance franco-
russe : Deux missions de Barthélémy de Lesseps à Saint-
Pétersbourg (1806-1807), d'après sa correspondance inédite
(M. H.) 149
Laurentie (François), Le cas de M. Aulard (Charles Vellay) . . 321
Lavoine (A.), La famille de Robespierre (Charles Vellaj-) . . 147
Mellini (Vincenzo), L'Isola d'Elba durante il governo di Napolconc I
(M. H.) ... 150
Perroiid (V. Roland).
Roland (Madame), Lettres, publiées par (Jaudc Pcrroud. . . 148
Wight (William W.), Louis XVII ; a bibliography (Charles Vellay). 325
Livres nouveaux 153, 326
Périodiques 157, 329
TABLES
Chronique
Autographes et documents
Journaux (A travers les)
349
174, 343
174, 342
II
INDEX ALPHABÉTIQUE
Antonmarchi : — était-il méde-
cin ? p. 51 ; Lettre d' — à la
Commission de 1 hôpital de Santa
Maria Nuova (13 janvier 1812),
p. 56 ; Lettre d' — à Fontanes
(17 décembre 1812), p. 58; Lettre
d' — au grand-duc de Toscane
(28 novembre 1818), p. 68.
Ardèche : Les prodromes de la
Révolution dans 1' — et le Gard :
Une relation inédite de la révolte
des masques armés dans le Bas-
Vivarais pendant les années 1782-
1783, p. 253.
Autographes : — et documents, pp.
174, 343.
Ballon : Un essai de — dirigeable
en 1793, p. 305.
Berry (Duchesse de) : La — à
Blaye : Journal de la comtesse
d'Hautefort, sa compagne de
captivité (1832-1833), p. 5.
Bibliographie : — des travaux his-
toriques d'H. Monin, p. 294.
(Pour les comptes-rendus biblio-
graphiques, voir le détail supra,
à la Table des matières.)
Blaye : La Duchesse de Berry à
— : Journal de la comtesse
d'Hautefort, sa compagne de cap-
tivité (1832-1833), p. 5.
Bonaparte : — et la République
de Saint-Marin, p. 140.
Bordelais : La situation agricole
dans le — en juillet 1814, p. 319.
Brissac (De) : Lettre du général
Bugeaud à M. — et à M™"
d'Hautefort (3 mai 1833), p. 40.
Bugeaud (Général) : Lettre du —
à M. de Brissac et à Mme d'Hau-
tefort (3 mai 1833), p. 40.
CoMBET (Joseph) : L'enseignement
à Nice sous le Consulat : De
l'Ecole centrale au Lycée (13 bru-
maire an Xl-germinal an XIII),
p. 223.
Constant (Benjamin): — prophète,
p. 319.
Consulat : L'enseignement à Nice
sous le — : De l'Ecole centrale au
Lj'cée (13 brumaire an Xl-ger-
minal an XIII), p. 223.
Convention : Rapport de Monge et
de Guyton de Morveau à la —
sur le projet de ballon dirigeable
des citoyens Marre et Desqui-
mare (29 août 1793), p. 306.
CoRSiNi : Lettre de — à la Com-
mission de l'hôpital de Santa
Maria Nuova (29 décembre 1818),
p. 69.
Courtois : Quelques notes et do-
cuments inédits pour la deuxième
édition du Rapport de — sur les
papiers trouvés chez Robespierre,
p. 311.
350
REVUE HISTORIQUE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE
DampMartin (De) : Journal de ce
qui s'est passé en Cévenncs et en
Vivarais, lors des attroupemens
masqués et armés, dissipés par
M. — , commandant de la ville et
département d'Uzès et de S'-
Ambroix, p. 256.
Desquimare : Rapport de Monge et
de Guyton de Morveau à la Con-
vention sur le projet de ballon
dirigeable des citoyens Marre et
— (29 août 1793), p. 306.
DoNNEAU (Louis-Ignace) : Certifi-
cats délivrés à — (22 et 26 ven-
tôse an III), p. 314.
Enseignement : L' — à Nice sous
le Consulat : De l'Ecole centrale
au Lycée (13 brumaire an Xl-ger-
minal an XIII), p. 223.
EspiTAMER (Albert) : Antonmarchi
était-il médecin ? p. 51.
Fabre d'Egl.4NTine : Un hommage
de — à J.-J. Rousseau, p. 145.
Favret (P.-M.) : Quelques notes et
documents inédits pour la deu-
xième édition du Rapport de
Courtois sur les papiers trouvés
chez Robespierre, p. 311.
Finances : Les — russes en 1812 et
la mission de Sir Francis d'Iver-
nois à Saint-Pétersbourg, p. 177.
Fontanes ; Lettre de François An-
tonmarchi à — (17 décembre
1812), p. 58 ; Lettre de — au
recteur Sproni (15 juillet 1813),
p. 62.
Frédéric II : Quelques remarques
inédites de Francis d'Ivernois
sur la popularité de — de Prusse
à Xeuchâtel et dans le reste de
l'Europe, p. 139.
Gallo (Marquis de) : Lettres iné-
dites de Marie-Caroline, reine des
Deux-Siciles, au — (1789-1806),
p. 101 ; Lettre du — à l'impéra-
trice Joséphine (27 janvier 1806) ,
p. 130 ; Lettre du — à la
reine Marie-Caroline (16 février
1860), p. 132.
Gard : Les prodromes de la Révo-
lution dans l'Ardèche et le — :
Une relation inédite de la révolte
des masques armés dans le Bas-
Vivarais pendant les années 1782-
1783, p. 253.
Gentilly : Rovère acquéreur du
couvent de — à Sorgues, p. 74.
GoL'LLiART : Lettre de Robespierre
à — (14 février 1790), p. 304.
Grenelle : Un procès-verbal de la
Section de Mutius-Sca?vola sur
l'explosion de la poudrerie de —
(14 fructidor an II), p. 135.
GuYTOx de Morveau : Rapport de
Monge et de — à la Convention
sur le projet de ballon dirigea-
ble des citoyens Marre et Des-
quimare (29 août 1793), p. 306.
Hautefort (Comtesse d') : La
Duchesse de Berry à Blaye :
Journal de la — , sa compagne
de captivité (1832-1833), p. 5 ;
Lettre du général Bugeaud à M.
de Brissac et à M'"'' la — (3 mai
1833), p. 40.
Heckmann (Paul) : Félix de Winpf-
fen et le siège de Thionville en
1792, p. 200.
Ivernois (Francis d') : Quelques
remarques inédites de — sur
la popularité de Frédéric II de
Prusse à Neuchâtel et dans
le reste de l'Europe, p. 139 ;
Les finances russes en 1812 et
la mission de Sir — à Saint-
Pétersbourg, p. 177 ; Lettres de
— à Vansittart (10 juillet, 16
septembre et 21 octobre 1812),
pp. 177, 181, 187 ; Lettres de
Vansittart à — (14 juillet, 31
juillet et l'"' août 1812), pp.
180, 181 ; Une lettre inédite de
TABLES
351
Malthus à — , relative aux effets
de la Révolution sur la natalité
française (29 octobre 1813), p.
315.'
Joséphine : Lettre du marquis de
Galle à l'impératrice — (27 jan-
vier 1806), p. 130.
«Journal DE Paris )) : Lettres de
Sylvain Maréchal au — (mai 1780
et mai 1787), pp. 301, 302.
Journaux : A travers les — , pp.
174, 342.
Karmin (Otto) : Un procès-verbal
de la Section de Mutius-Scrcvola
sur l'explosion de la poudrerie de
Grenelle (14 fructidor an II), p.
135 ; Quelques remarques inédites
de Francis d'Ivernois sur la po-
pularité de Frédéric II de Prusse
à Neuchâtel et dans le reste de
l'Europe, p. 139 ; Les finances
russes en 1812 et la mission de
Sir Francis d'Ivernois à Saint-
Pétersbourg, p. 177 ; Deux let-
tres de Sylvain Mai'échal contre
l'état des rues parisiennes en
1786 et 1787, p. 301 ; Une lettre
inédite de Malthus à Francis
d'Ivernois, relative aux effets de
la Révolution sur la natalité
française (29 octobre 1813), p.
315.
Lazard (Lucien) : Hyppolyte Mo-
nin (1854-1915), p. 288.
Malthus : Une lettre inédite de —
à Francis d'Ivernois, relative aux
effets de la Révolution sur la na-
talité française (29 octobre 1813),
p. 315.
Marché aux fleurs : Projet d'un
— par Sylvain Maréchal, p. 301.
Maréchal (Sylvain) : Deux lettres
de — contre l'état des rues pa-
risiennes en 1786 et 1787, p. 301.
Marie-Caroline, reine des Deux-
Siciles : Lettres inédites de —
au marquis de Gallo (1789-
1806), p. 101 ; Lettre du mar
quis de Gallo à — (16 février
1806), p. 132.
Marre : Rapport de Monge et de
Guyton de Morveau à la Conven-
tion sur le projet de ballon diri-
geable des citoyens — et Des-
quimare (29 août 1793), p. 306.
Masques : Les prodromes de la
Révolution dans l'Ardèche et le
Gard : Une relation inédite de
la révolte des — armés dans le
Ras-Vivarais j^endant les années
1782-1783, p. 253.
Monge : Rapport de — et de Guy-
ton de Morveau à la Convention
sur le projet de ballon dirigeable
des citoyens Marre et Desqui-
mare (29 août 1793), p. 306.
MoNiN (Hippolyte) : Bonaparte et
la République de Saint-Marin,
p. 140 ; — (1854-1915), p. 288 ;
Bibliographie des travaux histo-
riques d' — , p. 294.
Morveau (Voir Guyton de Mor-
veau).
MuTius-Sc.EVOLA : Uu procès-ver-
bal de la Section de — sur l'ex-
plosion de la poudrerie de Gre-
nelle (14 fructidor an II), p. 135.
N.^TALiTÉ : Une lettre inédite de
Malthus à Francis d'Ivernois,
relative aux effets de la Révolu-
tion sur la — française (29 octo-
bre 1813), p. 315.
Neuchatel : Quelques remarques
inédites de Francis d'Ivernois
sur la popularité de Frédéric II
de Prusse à — et dans le reste
de l'Europe, p. 139.
Nice : L'enseignement à — sous le
Consulat : De l'Ecole centrale au
Lvcée (13 brumaire an Xl-ger-
mnial an XIII), p. 223: Délibéra-
tion du Conseil municipal de —
relative à l'établissement de
352
REVUE HISTORIQUE DE LA. RÉVOLUTION FRANÇAISE
l'Ecole secondaire, p. 237 ; Rè-
glement de l'Ecole primaire de
— , p. 242 ; Règlement de l'Ecole
d'arrondissement de — , p. 246.
Peise (Lucien) : Rovère acquéreur
du couvent de Gentilly à Sorgues,
p. 74.
PiCQUÉ (J.-P.) : Souvenirs inédits
de — , député des Hautes-Pyré-
nées à la Convention, pp. 82, 269.
Régné (Jean) : Les prodromes de
de la Révolution dans l'Ardèche
et le Gard : Une relation inédite
la révolte des masques armés
dans le Ras-Vivarais pendant les
années 1782-1783, p. 253.
Robespierre : — et les troubles
de Soissons (14 février 1790), p.
303 ; Quelques notes et docu-
ments inédits pour la deuxième
édition du Rapport de Courtois
sur les papiers trouvés chez — ,
p. 311.
Rousseau (Jean-Jacques) : Un
hommage de Fabre d'Eglantine
à —, p. 145.
Rovère : — acquéreur du couvent
de Gentilh' à Sorgues, p. 74.
Saint-Marin : Bonaparte et la Ré-
publique de — , p. 140.
Saint-Pétershouug : Les finances
russes en 1812 et la mission de
Sir Francis d'Ivernois à — , p. 177.
Section : Un procès-verbal de la
— de Mutius-Scîevola sur l'ex-
plosion de la poudrerie de Gi-e-
nelle (14 fructidor an II), p. 135.
Soissons : Robespierre et les trou-
bles de - (14 février 1790), p. 303.
Sorgues : Rovère acquéreur du
couvent de Gentilly à — , p. 74.
Sproni : Lettre de Fontanes au rec-
teur — (15 juillet 1813), p. 62.
Thionville : Félix de Wimpffen et
le siège de — en 1792, p. 200.
Toscane : Lettre de François An-
tonmarchi au grand-duc de —
(28 novembre 1818), p. 68.
Uzureau (F.) : La Duchesse de
Berry ù Blaye : Journal de la
comtesse d'Hautefort, sa compa-
gne de captivité (1832-1833),
publié et annoté par — , p. 5.
Vansittart (Nicolas) : Lettre de
Francis d'Ivernois à — (10 juil-
let, 16 septembre et 21 octobre
1812), pp. 177, 181, 187; Lettres
de — à Francis d'Ivernois (14
juillet, 31 juillet et !«■ août 1812),
pp. 180, 181.
Vauthier (Gabriel) : Un essai de
ballon dirigeable en 1793, p. 305.
Vellay (Charles) : Hippolyte Mo-
nin (1854-1915), p. 293 ; Robes-
pierre et les troubles de Soissons
(14 février 1790), p. 303.
ViVARAis (Bas-) : Les prodromes
de la Révolution dans l'Ardèche
et le Gard : Une relation inédite
de la révolte des masques armés
dans lé — pendant les années
1782-1783, p. 253.
Weil (Commandant) : Lettres iné-
dites de Marie-Caroline, reine
des Deux-Siciles, au marquis de
Gallo, publiées et annotées par
le—, p. 101.
Wimpffen (Félix de) : — et le siège
de Thionville en 1792, p. 200.
Le Directeur-Gérant : Charles Vellay.
Largentière. — Imprimerie Mazel & Plancher