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Full text of "Société d'archéologie lorraine et du Musée historique lorrain, Nancy"

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I  SitAH  VRictMt  BtïNNïNG  i 

1^  BEQUESr 

UNIVERSHY  .fMICHIGANI 
.  • ,      GENERAL  LIBRARY  --^ 


Il  i'  I 


MÉMOIRES 


DE    LA 


Société  d'Archéologie  lorraine 


ET    DU 


Musée  Historique  lorrain 

TOME  LUI-  (4^  Série,  3^  Volume) 


1003 


NANCY 
AU    SIÈGE    DE    LA    SOCIÉTÉ 

PALAIS    DUCAL 
GRANDE-RUE    (  VILLE-VIKILLE) 

I  903 


NANCY.  —   IMP.    A.    CIIKPIN  LEBLOND,    21,    RUE   SAINTDIZIER 


^ 


■<^M^#>^»»^>«»*»^M 


CHALIGNY 

SES    SEIGNEURS,    SON    COMTÉ 


Avant-Propos 

Celle  étude  comprend  deux  parties.  Dans  la  première 
esl  exposée  rhistoire  proprement  dite  de  Chaligny,  de  ses 
seigneurs  et  de  son  comté.  La  seconde  est  consacrée  à 
l'organisation  civile  et  ecclésiastique  de  la  seigneurie. 
L'une  et  l'autre  partie  s'arrêtent  à  l'époque  de  la  Révolution 
française. 

Au  cours  de  mon  travail,  j'ai  éprouvé  plus  d'une  fois  la 
grande  obligeance  de  divers  érudits  lorrains  :  je  prie  tous 
ceux  qui  m'ont  secondé  d'agréer  l'expression  de  ma  vive 
gratitude.  Je  dois  des  remercîments  particuliers  à  M.  Ch. 
Guyot,  directeur  de  l'Ecole  nationale  des  Riux  et  Forêts, 
qui  a  bien  voulu  présenter  mon  œuvre  à  la  Société  d'ar 
chéologie  lorraine  ;  j'en  dois  aussi  à  la  Société  qui  l'a 
gracieusement  accueillie,  à  son  Secrétaire  M.  L.  Germain 
de  Maidy,  à  M.  Ptîster,  professeur  d'histoire  à  l'Université 
de  Nancy,  à  M.  Duvernoy,  archiviste  de  Meurthe  et-Moselle, 
à  M.  Favier,  conservateur  de  la  Bibliothèque  publique  de 
Nancy,  et  à  M.  André  Lesorl,  archiviste  de  la  Meuse. 


PREMIÈRE    PARTIE 


HISTOIRE    DE   CHALIGNY 

De  ses  Seigneurs  et  de  son  Comté 


CHAPITRE  PREMIER 
La  souveraineté  de  révoque  de  Metz. 

SOMMAIRE 

I.  —  Chaligny  avant  le  xi'  siècle.  —  Chaligny  dépendant  du  temporel 
de  Metz.  —  Inféodation  de  Chaligny  aux  comtes  do  Vaudémont.  — 
ImportaQce  do  Chaligny  pour  les  Vaudémont.  —  L'évèque  de  Metz 
cède,  sous  forme  d'engagement,  la  suzeraineté  de  Chaligny  au  duc  de 
Lorraine  (1346). 

II.  ~  Gouvernement  des  Vaudémont  à  Chaligny.  —  Leurs  libéralités 
envers  les  églises.  —  Exercice  des  droits  seigneuriaux. 

I 

La  philologie^  qui  reconnaît  dans  la  racine  du  nom  de . 
Chaligny  un  gentilice  romain  (i),  laisse  ainsi  entrevoir  qu*à 
l'époque  de  TEmpire  la  terre  de  ce  nom  formait  un  de  ces 
grands  domaines  si  nombreux  en  Gaule.  Sans  doute  en 
était-il  de  même  d'une  terre  voisine,  celle  de  Chavigny, 

(1)  Gentilice  Calinius;  cf.  de  Vit,  Onomasticum  totius  latinitatù,  et 
d'Arbois  do  Jubain ville,  Rechercher  sur  Vorigine  de  la  propriété 
foncière  en  France,  p.  20:').  —  Voici  une  liste  dos  formes  diverses, 
latines  et  françaises,  du  nom  de  Chaligny,  rencontrées  dans  les  textes: 

Caliniacum^  1050  ;  bulle  de  Léon  ÏX  cilre  ci-dessous,  p.  11.  —  Che~ 
linetum,  xii«  siècle  ;  Archives  de  M.-et-M.,  H,  475  et  491.—  Chelineium, 
avant  1168;  H,  474.  —  Chalinetum,  1179;  Lcpage,  ïabbaye  de  Clair- 


—  7  — 

dont  le  nom  décelé  une  origine  analogue  (1).  Que  Tun  et 
Tautre  de  ces  villages,  dont  Thistoire  est  étroitement  liée, 
procèdent  d'une  villa  romaine,  cela  n'est  pas  pour  étonner 
ceux  qui  savent  à  quel  point  les  rives  de  la  Moselle  reçu- 
rent l'empreinte  de  la  civilisation  de  l'Empire.  Au  surplus, 
pour  la  région  voisine  de  Chaligny,  les  découvertes 
modernes  attestent  l'influence  de  cette  civilisation  (2).  A 

lieu,  dans  les  Mémoires  de  la  S.  A.  L.,  LV,  année  1855,  p.  \QO.—  Cheli- 
gnetum,  li97;  Archives  de  M. -et-M.,  H, 475.  —  Chaligneium,  1249  ;  H, 
i087. 

Chalinei,  1150  ;  H,  473  —  Môme  forme  avant  1168  ;  H,  474.  —  Cha- 
lignei,  1174;  H,  340.  —  Chelennei,  1182;  H,  476.  —  Chaleinei,  1183; 
Lepage,  op.  cil.,  p.  167.  —  Chelinei,  1184  ;  Bibliothèque  Nationale 
Lorraine,  977,  série  des  chartes  de  Saint-Vincent  de  Metz,  n*  5.  •• 
Ckalinné,  1197  ;  Archives  do  M.-et-M.,  H,  1087.  —  Chalegney  et  Cha- 
legnei,  1212  ;  H,  1087.  —  Challegney,  1242  ;  H.  488.  —  Challigney, 
1280  et  1291  ;  Archives  de  M.-et-M.,  B,  599,  n»  3,  et  B,  399,  fol.  41.  — 
Même  forme  en  1363,  1410,  1413,  etc.  ;  Archives  de  la  Meuse,  B,  1130; 
dénombrement,  cité  ci-dessous,  du  domaine  de  Chaligny  en  1410  et 
testament  d'Alice  de  Joinviile-Vaud^mont,  morte  en  1413.  Cette  forme 
parait  avoir  été  assez  répandue.  —  Challegnei,  1284  et  1410  ;  Archives 
de  M.-et-M.,  H,  492;  dénombrement  de  1410.  -  Chaligney,  1321.  1337 
et  1382  ;  Archives  de  M.-et-M.,  B,  399,  H.  493,  et  arrêt  du  Parlement 
de  Paris  cité  ci-dessous,  p.  51).  —  Chaillegney,  H,  492.  —  Chailligney, 
1491  ;  H,  497.  —  ChaUlegny,  1563;  B,  599,  n«  3i.  Ensuite  la  forme  la 
plus  usitée  est  Challigny  ;  on  emploie  concurremment,  mais  peut-être 
moins  souvent,  la  forme  Chaligny.  —  La  prononciation  populaire,  do 
nos  jours,  se  rapproche  plutôt  de  Chaligney  que  de  Chaligny.  Cf.  Lepage, 
Dictionnaire  topographique  de  la  Meurthe,  v*  Chaligny. 

(1)  Gentilice  Calvinius;  cf.  de  Vit,  Onomasticum.  La  forme  ancienne 
fut  Calviniacunif  d'où  l'adjectif  Calviniacensis.  (Diplôme  do  l'évêque 
de  Toul  Riquin,  de  1117,  voir  ci-dessous,  p.  12,  n.  3).  —  On  rencontre  les 
formes  :  Chivinné,  1197  ;  Archives  de  M.-et-M.,  1087.  —  Chevinei, 
Bibl.  Nat.  Lorraine,  944,  série  des  chartes  de  Saint- Vincent  de  Metz, 
n«  5.  —  Chavenei,  xii'  siècle  ;  Archives  do  M.-el-M.,  H,  474.  —  Cha- 
vegney,  1329  ;  H,  498.  —  Chavegney,  1410  ;  dénombrement  servi  par 
Alice  de  Joiiivillo-Vaudémont.  —  Chavegny,  1456  ;  B,  3932.  —  Chau- 
vigney,  1477;  B,  1,  fol.  296. 

(2)  J'emprunte  les  observations  qui  suivent  à  l'ouvrage  de  M  F.  Bar- 
thélémy :  Recherches  archéologiques  sur  la  Lorraine  avant  rhistoire 
(Nancy,  1889),  et  au  Répertoire  archéologique  pour  le  déparlement  de 
Meurthe-et-Moselle,  dressé  par  M  le  comte  Beaupré  (Nancy,  1897). 
Je  dois  ajouter  «juelquos  renseignements  tirés  do  ces  ouvrages,  qui 
paraissent  concerner  l'époque  préromaine.  M.  l'ingénieur  Schlumberger 
a  découvert  une  hache  polie  en  trapp  des  Vosges  dans  une  galerie 
abandonnée  de  la  mine   du   Val-de-Fer  au-dessus    de    Chaligny  et  de 


-  8  — 

Chavigny,  existe  une  source  ferrugineuse  qui  fut  placée 
sous  le  patronage  d*Hercule  (i);  au  temps  de  l'Empire,  les 
malades  qui  en  éprouvaient  les  effets  bienfaisants  y  jetaient 
des  pièces  de  monnaie  en  manière  d'cx-t?o^o;  dans  les  envi- 
rons, on  a  trouvé  des  fragments  de  poteries.  A  Messein  on  a 
mis  au  jourdes débris  détours,  des  fragments  de  colonnes, 
des  portions  d'enduits  peints  à  fresque,  qui  permettent 
de  croire  que  le  village  occupe  la  place  d'un  établisse- 
ment romain.  A  Pont-Saint-Vincent,  le  lit  de  la  Moselle  a 
livré  aux  érudits  quelques  objets  de  l'époque  romaine.  Non 
loin  de  là,  à  Sexey  aux-Forges,  la  grande  ferme  des  Gymées 
a  tiré  son  nom  d'un  bas-relief  représentant  Castor  et  Pol- 
lux  (2)  :  des  pt)teries  et  des  médailles  des  temps  romains  y 
ont  été  découvertes.  A  Maron,  à  Chavigny,  à  Sexey,  on  croit 
avoir  reconnu  les  vestiges  d'antiques  ateliers  métallurgi- 
ques. Il  serait  invraisemblable  que  Chaligny  eût  échappé  à 
la  romanisation  et  que  les  ffancs  de  ses  collines,  si  riches 
en  minerais,  n'eussent  pas  été  exploités. 

Toutefois  nous  ne  pouvons  [formuler  là-dessus  que  des 
conjectures.  Un  voile  épais  recouvre  jusqu'au  Moyen  Age 
l'histoire  de  Chaligny.  11  ne  nous  est  pas  permis  de  deviner 
les  vicissitudes  que  subit  ce  village,  ni  de  déterminer 
l'origine  de  la  paroisse  qui,  au  xi®  siècle,  existait  sûre- 
ment depuis  plusieurs  centaines  d'années.  Ce  que  nous 
savons,  c'est  qu'au  xii*  siècle,  et  vraisemblablement  à  une 
époque  antérieure,  la  terre  de  Chaligny  (qui  comprenait 
aussi  le  territoire  de  la  commune  actuellement  connue 

Chavigny.  Cet  afïïcureincnt  do  minerai  de  fer,  ajoule  M.  Barthélo.my 
(p.  260)  parait  avoir  élé  exploité  dès  la  plus  haute  antiquité.  On  a 
signalé  un  groupe  de  tumuli  dans  la  ptirtie  do  la  forêt  de  Haye  qui 
avoisine  Maron  et  Chaligny ^  et  des  éclats  do  silex  sur  les  hauteurs  qui 
dominent  Chavigny  et  Neuves-Maisons,  'a  l'extrémité  occidentale  du 
haut  de  Chatel. 

(1)  On  y  a  retrouvé  un  bas-relief  assez  grossier  représentant  Her- 
cule  (Comte  Beaupré,  v"  Chavigny). 

(2)  «  In  grangia  sua  de  Gemellis  ».  Acte  de  1184.  Lepage,  Vabbaye 
de  ClairlieUy  dans  les  Mémoires  de  la  S.  A.  L.,  LV,  année  1855,  p.  16. 


-  9  - 

sous  le  nom  de  Neuves  Maisons)  et  celle  de  Chavigny 
étaient  unies  sous  la  domination  d'un  même  seigneur,  sans 
que  nous  puissions  savoir  quand  et  comment  cette  union 
s'est  réalisée. 

Lorsqu'en  14101a  dame  de  Chaligny,  Alice  de  Joinville- 
Vaudémont,  servit  à  son  suzerain  le  dénombrement  de  ses 
domaines,  elle  y  rangea  sans  hésiter,  outre  les  trois  vil- 
lages qui  viennent  d'être  mentionnés,  les  fiefs  de 
Maron  et  de  Messein  avec  toutes  leurs  dépendances  (1).  On 
verra  plus  loin  qu'en  réalité  Maron  et  Messein  n'appirais- 
sent,  ni  au  xv^  siècle,  ni  plus  tôt,  comme  des  membres  de 
la  seigneurie  de  Chaligny  (2).  Toutefois  certains  faits  ont 
pu  être  considérés  comme  fournissant  des  arguments  à  la 
thèse  indiquée  dans  le  dénombrement  do  1410.  Ainsi  les 
seigneurs  de  Chaligny  exercèrent  de  tout  temps  le  droit  de 
passage  et  de  pêche,  non  seulement  sur  la  partie  de  la 
Moselle  comprise  dans  le  finage  de  Chaligny,  mais  encore 
depuis  Messein  en  amont  jusqu'à  un  lieu  sis  au  delà  de 
Maron  en  aval.  En  outre,  dès  le  xr  siècle.,  et  probable- 
ment à  une  époque  antérieure,  l'église  de  Chaligny  était 
l'église  mère  de  la  région,  dont  dépendaient  les  terri- 
toires de  Maron  et  de  Messein,  aussi  bien  que  ceux  de  Neu- 
ves Maisons  et  de  Chavigny  (3).  Cependant  ces  indices  ne 
suffisent  pas  à  démontrer  que  Maron  et  Messein  aient,  aux 
premiers  siècles  du  Moyen-Age,  appartenu  à  la  seigneurie 
de  Chaligny.  Notamment,  en  ce  qui  concerne  Messein, un  fait 
incontestable  s'accorde  mal  avec  cette  opinion  :  il  est  cer- 
tain qu'au  xii"  et  qu'au  xiir  siècle,  les  comtes  de  Vaudé- 
mont  y  possédaient  un  bien  important,  qui,  à  raison  de  sa 

(1)  Je  connais  cet  acte  par  un  vidimus  qu'en  a  donné  le  28  août  ii4i7 
le  duc  Jean  do  Calabre:  Bibliot.  Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  2.')-37. 

(2)  Nous  possi'dons  dos  comptes  de  la  seigneurie  de  Chaligny  pour  le 
xv%  le  XVI*  et  le  xvii'  siècle.  Ils  ne  mentionnent  aucun  droit  seigneu- 
rial perçu  sur  Maron  et  Messein. 

(3)  Ce  fait  sera  mis  en  lumière  dans  la  portion  de  cette  étude  con- 
sacrée à  l'histoire  religieuse  de  Chaligny. 


—  10  — 

qualité  d'alleu,  ne  dépendait  nullement  de  la  seigneurie 
de  Cbaligny  (1).  En  Tétat  de  nos  connaissances,  la  thèse 
présentée  par  Alice  de  Vaudémont,  contraire  aux  faits 
lorsqu'elle  fut  énoncée  au  commencement  du  xv^  siècle, 
n'est  que  très  insuffisamment  étayée  par  les  témoignages 
des  siècles  antérieurs. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'à  l'époque  où  la  terre  de  Cha- 
ligny  entre  dans  l'histoire,  c'est-à-dire  au  milieu  du  xi'  siè- 
cle, cette  terre  faisait  partie  de  la  principauté  temporelle  de 
l'évéque  de  Metz.  On  sait  que  cette  principauté,  largement 
accrue  au  x*  siècle  par  l'action  d'évôques  énergiques,  au  pre- 
mier rang  desquels  se  place  Adalbéron  T'  (928-964),  s'éten- 
dait bien  loin  au-delà  des  limites  du  diocèse  de  Metz  (2),  sur 
les  rives  de  la  Moselle  et  dans  les  régions  voisines  ;  c'est 
ainsi  que  le  successeur  d'Adalbéron,  Thierry  I*^*",  proche  pa- 
rent des  empereurs  de  la  maison  de  Saxe,  put  fonder  dans 
les  domaines  de  son  église  la  ville  et  la  seigneurie  d'Epi 
nal  (3).  Dans  la  longue  ligne  de  possessions  qui  reliaient 
au  domaine  de  Metz  ces  dépendances  lointaines,  se  plaçait 
très  avantageusement  le  Mont,  ou  comme  dit  une  charte 
du  xip  siècle  (4),  le  «  Promontoire  wde  Cbaligny,  non  seule- 
ment parce  que  cette  position  commandait  la  vallée  de  la 
Moselle,   mais  parce  qu'elle   permettait  de  surveiller  la 


(i)  En  126&  le  comte  de  Vaudémont  possédait  à  Messein  une  terre 
qui  était  a  de  son  propre  héritage  »  (Voir  ci-dessous,  p.  i,note  2)  ;  elle 
se  confond  sans  doute  avec  Valodium  comitis  des  chartes  deClairlieu  de 
la  fin  du  XII'  siècle  (Lepage,  rAbbaye  de  Clairlieu,  p.  164),  qui  s'éten- 
dait jusqu'à  Houdemont. 

(2)  Cf.  Saucrland,  die  Immunitat  von  Metz,  p.  29  et  passim.  —  Ckît 
auteur  considère  Adalbéron  I*'  comme  le  rénovateur  do  la  vie  ecclésias- 
tique et  le  réformateur  des  monastères.  Voir  aussi  Vichmann,  Adal- 
bero  l,  dans  le  Jahrbuch  der  Gesellschafl  fiir  Lothringische  Ge- 
schichte,  IIÏ  (1893),  p.  150. 

(3)  Sur  Thierry  I",  cf.  Saucrland,  p.  59  et  s. 

(4)  «  Promontorium  Chalineti  »,  dans  la  charte  de  Pierre  de  Brlxey, 
évéque  de  Toul  (1108-1103),  confirmant  les  biens  deClairlieu  (Archi- 
ves de  M.  el-M.  ;  H,  474,  original  ;  cf.  Lepage,  l'Abbaye  de  Clairlieu, 
p.  164). 


-  11  - 

vallée  du  Madon,  route  naturelle  d'une  grande  importance 
puisque  elle  met  en  communication  la  Lorraine  et  la  Bour- 
gogne. C'est  non  loin  du  Madon  que  devait  se  constituer 
et  grandir,  à  la  fin  du  xi""  siècle  et  au  commencement  du 
xii«,  la  seigneurie  des  sires  de  Vaudémont,  issus  d'un  fils 
cadet  de  Gérard  d'Alsace,  le  chef  de  la  maison  de  Lorraine; 
on  sait  que  les  Vaudémont  furent  les  rivaux,  souvent 
redoutables  et  parfois  heureux,  de  leurs  atnés  Lorrains. 

Si  nous  ignorons  comment  Chaligny  devint  la  propriété 
des  évéques  de  Metz,  nous  connaissons  au  moins  quelques 
manifestations  non  équivoques  de  leur  puissance.  La  pre- 
mière est  l'acte  confirmé  en  1050,  par  le  pape  Léon  IX  (1), 
par  lequell'évêque  Thierry  II  disposa  d'une  partie  de  ses 
biens  de  Chaligny  pour  contribuer  à  la  fondation  d'un 
prieuré  qu'établit  dans  les  limites  de  cette  seigneurie  l'ab- 
baye messine  de  Saint-Vincent,  fille  privilégiée  des 
évêques  de  Metz.  Ce  prieuré,  dont  l'histoire  sera  expo- 
sée plus  loin,  fut  naturellement  dédié  au  patron  de 
l'abbaye  ;  c'est  ainsi  que  le  lieu  où  il  fut  érigé  prit  d'abord 
le  nom  de  Saint- Vincent,  qu'il  perdit  dès  le  xiv®  siècle  pour 
recevoir  celui  de  Neuves  Maisons,  tandis  que  le  vocable 
de  Saint-Vincent  franchissait  la  Moselle  pour  aller  se 
substituer  au  nom  du  village  de  Conflans,  où,  sous  la 
forme  Pont-Saint-Vincent,  il  apersistéjusqu  anos  jours(2). 


(1)  Bulle  du  2  novembre  lOoO  ;  fragment  de  l'original  k  la  Bibl. 
Nat.,  Lorraine,  977,  série  des  chartes  de  Saint- Vincent,  n"  i  ;  im- 
primée dans  dom  Calmet,  Histoire  de  Lorraine,  1,  Preuves,  p.  438  et 
439;  cl.  JafTé-Waltenbach,  Regesta  Pontificum  Romanorum,  no  4242. 
On  verra  que  parmi  les  droits  concédés  aux  moines  par  l'évoque  figu- 
raient des  droits  sur  le  pont,  le  port  et  la  pèche  de  la  Moselle,  droits 
qui  dès  le  xi'  siècle  et  sans  doute  auparavant  formaient  partie  intégrante 
de  la  seigneurie  de  Chaligny. 

(2)  Kn  1183,  confirmant  des  libéralités  faites  à  Clairlicu,  l'évèquc 
Pierre  de  Brixey  mentionne  la  villa  sancti  Vincenlii  (Lcpage,  op.  cit., 
p.  167),  qui  n'est  certainement  pas  le  Pont-Saint- Vincent  actuel,  encore 
appelé  Conflans,  comme  l'indique  une  charte  de  Gérard  II,  comte  de 
Vaudémont  (Ibld.  p.  170  ;  et  Dom  Calmet,  Histoire  de  Lorraine,  II, 


—  V2  - 

I^  seconde- des  manifestations  de  la  souveraineté  messine 
qui  soit  parvenue  à  notre  connaissance  est  la  concession 
faite  en  1150  par  l'évêque  de  Metz,  Etienne,  à  l'abbé  et 
aux  religieux  cisterciens  de  Tabbaye  de  Bithaine  en  Comté, 
de  la  terre  de  Perrière,  sise  dans  la  seigneurie  de  Chali- 
gny,  pour  y  établir  une  maison  religieuse  ;  on  verra 
plus  loin  que  cette  maison  fut,  après  quelques  années, 
transportée  dans  une  clairière  de  la  forêt  de  Haye,  où 
Tabbaye,  dite  désormais  de  Clairlieu,  se  maintint  jusqu'en 
1790.  Deux  siècles  plus  tard,  les  droits  de  l'église  de 
Metz  sur  Chaligny  n'étaient  nullement  périmés  ;  c'est  en 
vertu  de  ces  droits  que,  le  27  octobre  1343,  Tévêque  de 
Metz,  Aymar  de  Monteil,  confirma  la  donation  faite  aux 
moines  de  Clairlieu  d'un  bois,  dit  la  Perrière  (1),  que  leur 
avait  concédé  son  vassal,  le  comte  Henri  UI  de  Vaudémont. 
Toutefois,  à  une  époque  qui  est  certainement  antérieure 
à  1150  (2)  et  que  je  crois  postérieure  à  1117  (3),  l'évoque  de 

Preuves,  col.  373).  Au  contraire,  en  1361,  une  autre  charte  de  Clair- 
lieu  mentionne  Mengin,  fils  de  Simonel  des  Neuves-Maisons  (Lepap^e, 
op.  cit.,  p.  196).  Au  siècle  suivant,  les  mentions  du  nom  de  Neuves- 
Maisons  sont  fréquentes.  Ce  nom  se  trouve  dans  le  dénombrement, 
cité  plus  haut,  fourni  par  Alice  de  Vaudémont  en  1410  ;  on  le  retrouve 
en  1416  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  599,  n*  46),  et  dès  lors,  sous  la  forme 
de  Nue  frein  aiaon,  Nuefresrnaisnn^,  Nuet'efniaisons,  il  est  d'un  usage 
constant.  Le  nom  de  Pont-Saint-Vincent  est  substitué  à  celui  de  Con- 
flans  dès  le  commencement  du  xiv'  siècle  (Lettre  de  «  Wichars  d'Acre- 
gnes  »,  ôcuyer,  de  1314  :  Archives  de  M.-et-M.,  B,  599,  n*  10  ;  lettres 
du  comte  de  Vaudémont,  citées  ci-dessous,  p.  25,  rendues  en  1322  en 
faveur  des  Lombards)  ;  la  charte  accordée  à  ce  bourg  en  1213  emploie 
encore  le  mot  Conflans  (Archives  de  M.-et-M.,  B.  419,  fol.  291).  C'est 
aussi  au  xiv'  siècle,  comme  on  l'a  vu,  que  quelques  édifices  construits  aux 
environs  du  prieuré  appartenant  à  l'abbaye  de  Saint- Vincent  de  Metz,  en 
l'endroit  jusque  là  connu  sous  le  nom  de  Villa  S.  Vincentii,  prirent  le 
nom  de  Neuves-Maisons.  11  est  à  remarquer  qu'encore  aujourd'hui  la  com- 
mune de  Neuves-Maisons  célèbre  comme  fête  patronale  la  fête  de  saint 
Vincent  :  en  revanche  ce  suint  n'est  pas  le  patron  de  Pont-Saint- Vincent. 
(1^  27  octobre  1343:  Archives  de  M.-et-M.,  H,  488.  Cf.  Lepage,  op.  cit., 
p.  194. 

(2)  A  cette  époque  Hugues  I"  de  Vaudémont  dote  le  couvent  de  Cis- 
terciens (celui  qui  devait  s'établir  à  Perrière,  puis  à  Clairlieu),  au  moyen 
de  biens  sis  à  Chaligny. 

(3)  Dans  l'important  diplôme  rendu  en  1117  par  l'évêque  de  Tout 


-  13  - 

Metz  dut  entrer  en  partage  de  sa  seigneurie  avec  ses  voi- 
sins ambitieux  et  actifs,  les  comtes  de  Vaudémont.  C'est 
sous  la  forme  d'une  inféodation  que  ces  seigneurs  réussi- 
rent à  s'établir  à  Ghaligny.  Dès  la  première  moitié  du  \ir 
siècle,  Hugues  V^  de  Vaudémont  tenait  cette  terre  en  fief 
de  réglise  de  Metz.  Désormais  le  pouvoir  réel  et  eflectil  à 
Ghaligny  est  celui  des  comtes  de  Vaudémont  (1)  ;  ils  sem- 
blent n'avoir  laissé  au  suzerain  que  des  prérogatives  peu 
efificaces  et  en  tout  cas  peu  gênantes  (2). 

Ghaligny,  aux  mains  des  Vaudémont,  était  un  poste 
avancé  qui  prolongeait  leurs  domaines  et  leur  influence  au 
milieu  des  régions  directement  soumises  à  l'autorité  des 
ducs.  On  s'explique  que  ceux-ci,  toujours  inquiets  des  pro- 
grès de  la  branche  cadette,  se  soient  assez  mal  accommodés 

Riquin  en  faveur  du  prieuré  de  Saint-Vincent,  où  sont  énumérés  les 
biens  de  ce  prieuré  (Dom  Calniet,  Histoire  de  Lorraine,  II,  Preuvea, 
p.  279),  il  n'est  fait  aucune  allusion  aux  Vaudémont.  Il  semble  qu'il  n'y 
ait  encore  d'autre  seigneur  à  Ghaligny  que  l'évéque  do  Metz. 

(1)  Voici  l'ordre  des  comtes  de  Vaudémont  qui  furent  certainement 
seigneurs  de  Ghaligny  : 

Hugues  !•'  fut  le  fondateur  des  cisterciens  de  Fcrrière,  vers  1150. 

Gérard  H,  son  fils,  lui  a  succédé  vers  1159. 

A  la  fin  du  siècle,  vers  1197,  il  est  déjà  remplacé  par  son  fils 
Hugues  II.  Gelui-ci  parait  avoir  fait  en  12^  le  partage  de  ses  biens 
(Archives  de  M.-et-M.),  B,  400,  fol.  i. 

Suivent  Hugues  III,  Henri  I"  (mort  en  Italie  vers  li78),  Henri  II, 
Henri  III,  et  Henri  IV,  celui-ci  tué  à  Grécy  (Cf.  dom  Cal  met,  Histoire 
de  Lorraine,  2*  édit.,  II,  col.  I  et  s.).  Il  serait  fort  utile  qu'une  chrono- 
logie précise  des  comtes  de  Vaudémont  fût  dressée  d'après  les  documents 
authentiques. 

(2)  On  rencontre  dans  la  première  moitié  du  xii«  siècle  un  «  Hugo 
de  Ghaligney  »  dans  une  charte  d'Etienne,  évéque  de  Metz  (entre  11120 
et  116^3),  parmi  les  témoins  d'une  donation  faite  à  l'abbaye  de  Beaupré 
par  les  chanoines  de  Saint  Paul  de  Metz  ;  il  s'agit  d'une  terre  sur  le 
ban  de  Chenovièros.  (Archives  de  M.-et-M.,  H,  33^  ;  communication  de 
M.  l'abbé  Ghatlon,  curé  de  Rémônoville.)  —  Au  xiv  siècle,  Lepage  cite 
un  Hugues  de  Ghaligny  (1879-i:^9i)  dans  la  liste  qu'il  donne  des  com- 
mandeurs de  la  Gommandrrie  des  chevaliers  do  Saint-Jean  au  Vieil- 
Altre,  près  Nancyr.  {Notice  sur  quelques  établissements  de  l'Ordre  de 
Saint-Jean,  Annuaire  de  la  Meurlhe,  année  18:)3,  p.  31. j  —  Je  ne  crois 
pas  que,  des  mentions  constatant  l'existence  de  ces  personnages,  on 
doive  conclure  à  l'existence  à  Ghaligny  d'une  famille  seigneuriale. 


—  14  — 

de  cette  situation.  Leurs  inquiétudes  étaient  d'autant  mieux 
fondées  que  Toccupation  de  Chaligny  n'était  point,  de  la 
part  des  Vaudémont,  un  acte  isolé.  Fort  à  Tétroit  dans  la 
principauté  faite  d'un  certain  nombre  de  villages  dont  Vé- 
zelise  était  la  capitale  et  Vaudémont  la  forteresse,  les  maî- 
tres de  cette  contrée  semblent  avoir  systématiquement 
cherché  à  se  donner  de  Tair  du  côté  de  la  vallée  de  la  Mo- 
selle, chemin  fréquenté  par  les  voyageurs  et  route  commo- 
de pour  l'exploitation  des  bois.  Dès  la  seconde  moitié  du 
xii"^  siècle,  possesseurs  de  Chaligny,  ils  acquirent  une  auto- 
rité réelle,  quoiqu'elle  ne  fût  pas  encore  exclusive,  sur  le 
pont  qui  traversait  la  Moselle  à  l'endroit  où  elle  reçoit  le 
Madop  (1).  Vers  le  même  temps,  ils  exerçaient  un  droit  de 

(1)  En  1161,  Gautier,  chevalier,  fils  de  GauUer  d'Epinal,  concède  à 
Guillaume,  abbé  de  Mureau,  pour  lui  et  ses  religieux,  Texemption  de 
tous  droits  au  passage  de  la  Moselle  :  passagium  in  porlu  S.  Vincenlii 
super  Mosellam  fluvium.  Cet  acte  est  corroboré  par  le  consentement 
d'IIildegarde,  sœur  de  Gautier,  mariée  à  Imbert  de  Méréville  et,  du 
comte  Gérard  II  de  Vaudémont,  de  sa  femme  Gertrude,  de  sa  môre  et  de 
SCS  frères.  Aussi,  à  coup  sûr,  le  passage  de  la  Moselle  dépendait  k  cette 
époque  à  la  fols  de  Gautier  d'Epinal  et  du  comte  Gérard,  qui  agit  sans 
doute  ici  comme  suzerain.  (Archives  de  M.-et-M.,  H,  1087,  titres  de  l'ab- 
baye de  Murcau.  Cf.  la  confirmation  d'Alexandre  III,  de  1180:  Docu- 
ments rares  ou  inédits  de  l'histoire  des  Vosges^  III,  p.  7.)  Le  même 
Gautier  d'Epinal  fit  une  concession  analogue  aux  moines  de  Glairlicu, 
mentionnée  dans  une  confirmation  de  Gérard  II,  comte  de  Vaudémont. 
(Dom  Calmet,  Histoire  de  Lorraine,  II,  Preuves,  col.  373  ;  cf.  Archives 
de  M.-et-M.,  H,  504.)  En  1234,  Hugues  II,  comte  de  Vaudémont,  renou- 
velle en  faveur  de  l'abbaye  de  Mureau  l'exemption  de  tout  péage,  sauf 
({uelques  restrictions  pour  les  charges  de  sel  (H,  1087).  Toutefois  il 
n'est  pas  encore  seul  maître  du  passage.  En  1239,  il  concède  l'exemption 
du  péage  per  pontem  qui  dicitur  S.  Vincentii,  à  l'abbaye  de  St-Evre  de 
Toul,  parte  tamen  domini  Wichardi  militis  salva  penitus  et  excepta 
(Archives  de  M.-et-M.,  H,  6).  Il  s'agit  sans  doute  d'un  membre  de  la 
famille  d'Acraignes.  En  1314,  «  Wichars  d'Acregnes,  escuiers,  et  demi- 
selle  Jannate  sa  femme  »  engagent  à  Henri,  comte  de  Vaudémont  «  leur 
très  chier  et  aimé  seigneur,  la  quarte  partie  dou  pontenaige  dou  pont 
k  Saint-Vincent  ».  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  599,  n«  10.)  Ensuite, 
le  passage  de  la  Moselle  semble  être  tout  entier  dans  le  domaine  direct 
et  immédiat  des  comtes  de  Vaudémont. 

Il  faut  noter  d'ailleurs,  qu'en  février  1268,  le  comte  Henri  de  Vaudé- 
mont donna,  au  Temple  de  Xugncy  (Vosges),  une  rente  annuelle  de  20  sous 


—  15  — 

suzeraineté  sur  le  village  de  Conflans,  sis,  comme  son  nom 
rindique,  sur  la  rive  gauche  de  la  Moselle,  au  confluent 
des  deux  rivières  (i).  Pour  la  fin  du  siècle  ils  auront  trans- 
formé cette  suzeraineté  en  une  seigneurie  immédiate,  si 
bien  qu'en  1200,  Hugues  de  Vaudémont  s'efforce,  en  ins- 
tituant à  Conllans  une  ville  neuveà  laquelle  il  accorde  une 
charte  de  libertés,  sur  le  modèle  de  la  loi  de  Beaumont  en- 
Argonne,  de  concilier  l'intérêt  des  habitants  de  ce  lieu  et 
rintérôt  de  sa  maison. 

Les  Vaudémont  obéissaient  encore  à  la  même  tendance 
quand,  soixante  ans  plus  tard,  ils  construisirent  une  for- 
teresse en  face  de  Conflans,  sur  la  rive  droite  de  la  Moselle, 
en  une  terre,  sise  au-dessus  de  Messein  (2),  qu'ils  disaient 

de  forts  provenisiens  à  prendre  à  la  St-Remy  sur  la  recelte  du  passage 
de  Pont-Saint-Vincent.  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  351,  fol.  387,  copie  an- 
cienne.) On  a  dit  plus  haut  qu'au  \i*  siècle,  le  pont  cl  le  passage  appar- 
lenaient  à  l'évftque  de  Metz  qui  les  avaient  donnés  au  prieuré  de  SI- Vin- 
cent. Ck)m  ment  le  prieuré  en  fut-il  dépossédé  au  profil  des  Vaudémont, 
c'est  ce  que  nous  ignorons  complètement. 

(t)  Gérard,  comte  de  Vaudémont,  dès  1159,  conQrma,  dans  un  acte 
sans  date,  la  donation  faite  à  Clairlieu  par  son  vassal,  Régnier  Bisous, 
du  tranaitus  per  totum  bannum  de  Conflans  et  de  la  pasturavana  ad 
omnia  cujuslibet  generis  animalia.  (Archives  de  M.-elM.,  H,  504; 
Lepage,  op.  cit.,  p.  170  ;  cf.  dom  Cal  met,  Histoire  de  Lorraine,  II, 
Preuves,  col.  373.)  Ceci  semble  bien  démontrer  qu'à  celte  époque,  Gé- 
rard II  n'avait  à  Conflans  (plus  tard  Pont-Sl-Vincent)  que  la  suzerai- 
neté et  non  la  seigneurie  immédiate.  Il  n'en  est  plus  de  même  en  1213, 
lorsque  son  successeur,  Hugues  H,  crée  à  Conflans  une  ville  neuve  et 
ui  concède  une  charte  de  liberté.  (Voir  ci-dessus,  p.  12,  note.)  Hugues  est 
seigneur  immédiat  en  1212  quand  il  donne  à  l'abbaye  de  Mureau 
aream  ujiatn  liberam  ab  omni  consueiudine  in  villa  de  Conflans 
super  Mosellam  ad'fabricam  erigendam,  usuariumque  pasture  aque 
et  nemoris  siciit  manentibus  in  eadem.  (La  fabrica  est  peut-être  une 
forge,  car  cet  acte  contient  d'abord  la  mention  d'une  concession  de  droit 
d'extraction  du  minerai  de  fer  dans  les  mines  de  Chaligny.  Archives 
de  M.-et-M.,  H,  1087.)  Il  parait  très  vraisemblable  que  les  Vaudémont, 
après  avoir  inféodé  au  xu*  siècle  le  village  do  Conflans,  sont  arrivés  à 
la  fin  de  ce  siècle  à  la  placer  sous  leur  seigneurie  immédiate. 

(2)  Dès  le  mois  de  janvier  1264,  il  y  a  conflit  entre  Henri  I'%  comte 
de  Vaudémont  et  Ferry  III,  duc  de  Lorraine,  à  propos  de  la  maison  forte 
construite  par  Henri  sur  la  pièce  de  terre  «  qui  siet  desoure  Meciens, 
qui  est  appclei  Chastée,  qui  est  de  l'héritage  le  comte  de  Vaudémont». 


—  16  — 

être  de  leur  héritage.  Mais  cette  fois,  ils  se  heurtèrent  à  une 
résistance  énergique.  Le  duc  de  Lorraine,  Ferry  III,  fit  dé- 
molir, de  sa  propre  autorité,  la  forteresse  bâtie  par  ses 
cousins  et  contraignit  Henri  ^^  de  Vaudémont  à  lui  four- 
nir la  promesse  de  ne  la  point  relever,  sous  quelque  forme 
que  ce  fût.  Cet  incident  éclaire,  à  mon  sens,  d'une  très  vive 
lumière  le  caractère  des  relations  créées  entre  les  deux  bran- 
ches de  la  maison  de  Lorraine  par  les  tentatives  répétées  des 
Vaudémont  en  vue  d'asseoir  leur  influence  sur  les  deux  rives, 
et  plus  particulièrement  sur  la  rive  droite  de  la  Moselle. 

C'est  sans  doute  pour  chercher  un  appui  contre  ses 
parents  de  la  branche  ainée  que,  en  1216,  Hugues  H  de 
Vaudémont  renonça  à  l'indépendance  de  ses  domaines  (qui 
jusqu'alors  ne  relevaient,  tout  comme  le  duché  de  Lor- 
raine, que  de  l'Empereur)  pour  en  faire  hommage  au  comte 
de  Bar  (1)  :  on  sait  que  ce  seigneur  était,  par  la  force  des 
choses,  le  rival  traditionnel  du  duc  de  Lorraine.  Vaudémont 
avait  bien  le  droit  de  disposer  comme  il  l'entendait  de  sa 
terre  patrimoniale  ;  mais  il  ne  pouvait  songer  à  soumettre 
au  même  traitement  le  domaine  de  Chaligny,  dépendant 
des  évoques  de  Metz,  dont  il  fallait  respecter  la  suzeraineté. 
C'est  ainsi  que  rien  ne  fut  changé  à  la  situation  de  ce 
domaine  :  dans  tous  les  hommages  que  les  comtes  de  Vau- 
démont rendirent  aux  comtes  de  Bar,  Chaligny  fut  formel- 
lement excepté  (2). 

Déjà  Ferry  III  avait  (ail  détruire  la  maison  forte  élevée  par  son  cousin. 
Les  deux  parties  convinrent  de  s'en  rapportçr  à  Tarbitrage  de  «  Mon- 
seigneur Renaud  de  Bar  »,  qui,  en  octobre  1264,  déclara  qu'à  Messein, 
le  comte  de  Vaudémont  ne  pourrait  a  fermer  maison  ».  I^  querelle  no 
fut  définitivement  terminée  que  par  un  acte  de  janvier  1270  par  lequel 
Henri,  comte  de  Vaudémont,  renonça  pour  lui  et  ses  héritiers  «  à  faire 
fermeté,  ne  forteresse,  ne  fort  maison  en  la  monta  igné  dessus  Messlen  », 
et  prit,  vis-à-vis  du  duc  Ferry,  l'engagement  de  ne  point  contrevenir  à 
cette  renonciation.  Voir  trois  actes,  l'un  du  12  janvier  1264,  l'autre  du  5 
octobre  1264,  le  troisième  du  29  janvier  l!270,  dans  le  Cariulaire  de 
VaudêmonU  Domnines^io\.  191.  (Arch.  deM.-et-M.,  B,  399;  cf.  Lepage, 
Les  communes  de  la  Meurthe^  v»  Messein.) 

(1)  Cf.  dom  Calmet,  Histoire  de  Lorraine,  2"  édit.,  II,  col.  v  et  vi. 

(2)  CI.  Arch.  de  M.-et-M.,  B,  351.  —  Cf.  dom  Calmet,   Notice  sur  la 


—  17  — 

Jusques  au  milieu  du  xiv^  siècle,  Chaligny  demeura  sou- 
mis à  la  suzeraineté  de  Téglise  de  Metz.  En  1344,  à  la  suite 
de  longues  querelles,  que  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  racon- 
ter, révoque  de  Metz  Aymar  de  Monteil,  et  le  duc  de 
Lorraine  Raoul,  désireux  d'établir  entre  eux  une  bonne 
paix,  convinrent  de  s'en  rapportera  l'arbitrage  du  chef  de 
la  famille  de  Luxembourg,  bien  connu  dans  toute  l'Europe: 
je  veux  parler  du  vieux  roi  de  Bohême,  Jean,  fils  du  cheva- 
leresque empereur  Henri  VII  et  père  du  moins  chevale- 
resque empereur  Charles  IV.  Plusieurs  actes  (1)  nous  font 

Lorraine,  II,  p.  732  ;  abbé  C.  Olivier,  Ckatel-sur- Moselle  avant  la 
Révolution,  pp.  30  et  31.  L'histoire  de  Chaligny  da  xiii*  au  xv*  siècle 
est  étroitement  liée  à  celle  de  Chàtel-sur-Moselle,  qui  appartenait  aussi 
aux  Vaudémont. 

(1)  V  Lettre  du  duc  de  Lorraine  Raoul,  en  date  du  16  septembre  1344, 
mentionnant  la  sentence  arbitrale  rendue  à  Metz  le  23  août  1344  par 
le  roi  Jean.  En  vertu  de  cette  sentence  «  le  dit  esvesques  nous  doibt 
assigner  et  deslivrer  son  chatel  de  Turkestein  avec  le  fié  le  comte 
de  Vaudémont  de  tout  ce  qui  tient  de  l'Eveschié  de  Metz,  soit  à 
Chaîligny,  soit  autre  part,  et  nous  doit  parfaire  trois  cens  livrées 
de  terre  à  petits  tournois  en  la  dicte  chastellerie  de  Turkestein,  et  ceu 
qui  en  fauroitynous  doibt  assigner  en  la  saline  de  Moyen vy(Moyenvic)». 
Par  cette  lettre  du  16  septembre,  Raoul  reconnaît  que  tous  ces  droits 
qui  lui  sont  cédés  pourront  être  rachetés  par  l'évoque  de  Metz  pour  la 
somme  de  dix  mille  livres  de  bons  petits  tournois  vieux,  «  en  escu  d'or 
vaillant  vingt  sols  de  petits  tournois  ».  —  Copie  du  xvii*  siècle, 
f  Extrait  de  la  Chancelerje  du  Trésor  de  Vie  »  ;  Bibl.  Nat.,  collection 
Dupuy,  752,  fol.  33. 

2*  Aymar,  évoque  de  Metz,  ordonne  à  ses  sujets  de  Turkestein  (an- 
cienne commune  de  la  Meurthe,  comprise  dans  la  Lorraine  annexée) 
d'obéir  au  duc  Raoul  comme  ils  lui  obéissaient  à  lui-même.  (Deux  lettres, 
l'une  de  1344,  sans  date  du  mois  ni  du  jour,  l'autre  du  29  septembre 
1344.)  Sans  doute  des  lettres  analogues  furent  promulguées  concernant 
Chaligny  ;  en  tout  cas,  l'existence  de  celles-ci  prouve  que  la  sentence 
arbitrale  fut  mise  à  exécution,  au  moins  en  partie,  dès  1344  (Arch.  de 
M.-et-M.,  B,  424,  fol.  103). 

3*  Nouvelle  sentence  arbitrale  de  Jean  de  Bohême,  rendue  le  25  juil- 
let 1345  :  ((  Premièrement  des  lettres  de  xv*  livres  que  nostres  dis 
cusins  li  dus  demandoit  à  nostre  dit  cusin  l'Evesque  et  des  waigières 
contenues  en  icelles,  nous  rapourtons  que  les^  dictes  lettres  selon  lor 
teneur  demeurent  en  lor  force  et  en  lor  vertu  de  point  en  point  ;  sauf 
tant  que  pour  bien  de  paix  norrir  entre  nos  dis  cusins,  nous  raipour- 
tons  que  li  somme  des  xv"  livres  est  ramenée  à  x*,  et  en  leu  de  l'assi- 

2 


-  18  - 

connaître  les  résultats  de  l'arbitrage  de  Jean  de  Bohème. 
L'une  des  clauses  de  l'arrangement  par  lui  imposé  aux  deux 
parties  (elle  est  constatée  notamment  dans  la  sentence  arbi- 
trale du  25  juillet  1345)  fut  que  l'évoque  abandonnerait  au 
duc  son  droit  de  suzeraineté  sur  Chaligny  et  ses  dépen- 
dances. Au  surplus  cet  abandon  n'était  pas  fait  à  titre 
d'aliénation  définitive  ;  il  résulte  d'autres  actes  concer- 
nant la  même  négociation  que  Clialigny  fut  seulement 
engagé  au  duc  de  Lorraine,  par  le  procédé  fréquemment 
employé  de  la  a  gagière  »,  de  telle  façon  que  l'église  de 
Metz  conservait  la  faculté  de  recouvrer  le  bien  par  elle 
aliéné.  Il  fut  convenu  que  l'évêque  Aymar  jouirait,  tant  qu'il 
vivrait,  du  privilège  de  racheter  Chaligny  pour  quatre 
mille  livres  «  de  bons  petits  tournois  vieux  »  ;  pour  ses 
successeurs,  le  prix  du  rachat  s'élèverait  à  cinq  mille 
livres.  En  exécution  de  la  décision  de  Jean  de  Bohême,  le 
18  mai  1346,  le  comte  Henri  IV  de  Vaudémonl  porta  au 
duc  sa  foi  et  son  hommage  pour  «  Challegney,  le  chastel 
et  la  ville,  le  ban  et  les  appartenances  »  ;  il  s'engagea,  et 
après  lui  ses  successeurs  durent  suivre  son  exemple,  à 
tenir  cette    seigneurie  des  ducs  de  Lorraine  ainsi  qu'il 

gnieurs  des  dictes  waigicres  de  Rambervillers  et  de  Moyens  Dostres 
dis  cusins  de  Metz  délivrerolt  k  nostre  dit  cusin  le  duc  le  chastel  de 
DurbestaÎD  et  toutes  les  apparlcnances  el  appandizes  en  fourteresse  et 
en  terre  plaine,  en  comtés,  haultours  et  signories,  et  avec  ceu  le  fiez 
dou  conte  de  Waudemont  de  tout  ceu  qu'il  tient  do  Teveschié  de  Metz 
de  Challegney  et  des  apartenances  u.  Suie  une  clause  semblable  à  celle 
contenue  dans  l'acte  de  1344  sur  les  trois  cent  livrées  de  terre  à  Tur- 
kestein.  (Archives  de  M.-ctM.,  B,  599,  n»  11,  original). 

4'  Copie  notariée  faite  le  26  juillet  1634,  d'un  acte  trouvé  en  la  chan- 
cellerie de  Vie,  qui  est  une  lettre  de  Mario  de  Blois,  duchesse  douai- 
rière de  Lorraine  et  de  son  fils  Jean,  fixant  les  conditions  du  rachat 
éventuel  de  Chaligny  :  le  capital  à  rembourser  sera  de  4000  livres  de 
petits  tournois  vieux  si  c'est  l'évêque  Aymar  qui  rachète,  et  de  5000 
livres  si  le  rachat  est  cfTectué  par  un  de  ses  successeurs.  (Acte  du 
13  juin  1347:  Bibl.  Nat.,  collection  Dupuy,  752,  fol.  41.)  La  créance  du 
duc  de  Lorraine  contre  l'évêque  étant  de  10000  livres,  il  résulte  de  cet 
acte  que  la  moitié  de  cette  créance  était  représentée  par  Chaligny  et 
l'autre  par  Turkestein. 


—  19  — 

l'avait  tenue  de  Tévéque  de  Metz  (1).  Jamais  le  droit  de 
rachat  réservé  à  Téglise  de  Metz  ne  fut  exercé. 

Désormais  Chaligny,  sans  sortir  de  la  main  des  Vaudé* 
mont,  relèvera,  par  un  lien  sans  doute  assez  lâche,  de  la 
suzeraineté  lorraine,  et  non  plus  de  la  suzeraineté  messine. 
U  est  à  remarquer  que,  des  quatre  personnages  qui  contri- 
buèrent à  ce  changement,  trois,  le  roi  de  Bohême,  le  duc 
de  Lorraine  et  le  comte  de  Vaudémont,  trouvèrent  la  mort, 
au  cours  de  cette  même  année  1346,  en  combattant  pour 
le  roi  de  France  sur  le  champ  de  bataille  de  Crécy  (2). 


II 

Le  château  et  le  domaine  de  Chaligny,  depuis  le  jour  où 
ils  furent  inféodés  aux  comtes  de  Vaudémont  par  Tévéque 
de  Metz,  paraissent  être  demeurés  sans  interruption  —  au 
moins  pour  la  période  qui  nous  occupe  —  entre  les  mains 
du  chef  de  la  famille  de  Vaudémont.  Si,  en  1235,  le  comte 
Hugues  III  mentionne  Chaligny  dans  son  testament,  c'est 
pour  placer  cette  seigneurie  dans  la  part  de  son  fils  aîné 
Henri,  qui  devait  aussi  lui  succéder  dans  le  comté  de 
Vaudémont  (3).  Sans  doute,  en  1280,  après  la  mort  de 
Henri  ^^  intervint  un  arrangement  de  famille  qui  attribua 
certains  droits  sur  Chaligny  à  son  fils  cadet  Jacques  (4)  ; 

(1)  Archives  de  M.-et-M.,  B.  599,  n**  19,  original.  Le  a*  12  est  une 
copie  authentique  faite  en  1543. 

(2)  L'acte  qui  rattacha  Chaligny  et  la  suzeraineté  lorraine  retarda  de 
deux  siècles  l'annexion  de  ce  village  à  la  France,  puisque  Chaligny 
suivit  le  sort  du  duché  de  Lorraine  et  non  celui  des  Trois- Evéchés.  En 
1680,  l'administration  française  se  servit  de  l'engagement  consenti  en 
1344  par  l'évèque  de  Metz  pour  obtenir  de  la  Chambre  de  réunion  du 
Parlement  un  arrêt  (daté  du  30  avril)  portant  réunion  de  Chaligny  aux 
Trois-Evéchés  ;  mais  plus  tard  le  gouvernement  français  renonça  à  se 
prévaloir  de  cet  arrêt. 

(3)  Hugues  III  laissa  à  son  fils  aîné  Henri  le  comté  de  Vaudémont, 
Châtel-sur-Moselle,  baimum  de  Chaligny,  bannum  de  Vutry,  (Arch. 
de  M.-et-M.,  B,  400,  fol.  4.  Cf.  dom  Calmet,  Notice  de  la  Lorraine,  v  Cha- 
ligny).— Vitrey  est  un  village  du  canton  de  Vézelise. 

(4)  Henri  I*'  est  ce  comte  de  Vaudémont  qui  quitta  son  pays  pour 


-  20  - 

sans  doute  aussi  en  1291  un  acte  du  comte  Henri  II  con- 
féra au  même  Jacques  les  deux  moulins  du  domaine  avec 
la  banalité  qui  en  était  le  complément  (1).  Mais  Teffet  de 
ces  arrangements  ne  fut  que  temporaire;  car  la  suite  de 
cette  histoire  nous  montrera  bientôt  le  domaine  reconsti- 
tué dans  son  unité,  qui  d'ailleurs  se  maintint  à  travers 
les  vicissitudes  les  plus  variées.  En  réalitén  du  xn^  au 
xiv«  siècle,  ce  fut  toujours  le  môme  personnage  qui  fut  à 
la  fois  seigneur  de  Vaudémont  et  seigneur  de  Chaligny, 
sans  cependant  que  ce  fait  ait  impliqué  entre  les  deux  sei- 
gneuries une  autre  relation  que  celle  que  les  juristes  appel- 
lent union  personnelle. 
Forcément  la  forteresse  établie  à  Chaligny  à  une  date 


suivre  la  fortune  de  Charles  d'ÂDjou  en  Italie.  11  fut  chevalier  terrier 
de  rhôtel  de  ce  prince,  comte  d'Ariano  à  partir  de  1271,  et  vicaire 
général  de  Charles  en  Toscane.  Il  mourut  en  1278  :  sa  succession  en 
Italie  passa  à  son  flls  Renaud,  comte  d'Ariano.  (Paul  Durrieu,  Les  Ar- 
chives angevines  du  royaume  de  Naples,  fascicules  46'  et  51'  de  la 
Bibliothèque  des  Ecoles  françaises  d'Athènes  et  de  Rome^  II,  p.  394.) 
En  Lorraine,  un  acte  daté  du  26  août  1280,  régla  les  droits  respectifs 
de  Henri  II  et  de  Jacques  ou  Jacquet,  fils  de  Henri  I''.  Henri  II  conserva 
le  Vaudémont,  Chaligny  et  les  principales  possessions  de  la  famille. 
Jacques  eut  pour  sa  part  Bainville-aux-Miroirs  et  divers  autres  biens, 
parmi  lesquels  cent  quarante  «  livrées  de  terre  »  qui  devaient  lui  être 
assignées  provisoirement  à  Chaligny  pour  être  transférées  ensuite  à 
Bainville-aux-Miroirs  (Archives  de  M. -et  M.,  B,  399,  fol.  21).  En  octobre 
12591,  un  nouvel  acte,  pfissé  entre  Henri  II,  comte  de  Vaudémont  et  son 
frère  Jacques,  attribuait  à  Jacques  : 

!•  Une  rente  à  prendre  sur  les  revenus  du  ban  de  Chaligny  ; 

2"  Les  deux  moulins  a  qui  sient  au  ban  de  Challigney  »,  avec  leur 
droit  de  banalité,  à  savoir  :  le  premier  moulin  sis  vers  l'étang  de  Cha- 
vigny,  avec  cet  étang  et  le  petit  bois  voisin  «  c'en  appelle  Chanoy  »  ; 
l'autre  moulin  sis  sur  la  Moselle,  au-dessous  de  Chaligny,  voisin  du 
pré  des  Gemnécs,  non  loin  du  canton  appelé  aujourd'hui  Banvoie.  Ce 
moulin  se  trouvait  situé  sur  le  bord  de  la  Moselle,  alors  que  le  cours 
de  la  rivière  n'avait  pas  été  rectifié  et  qu'elle  venait  battre  le  pied  de 
la  colline  de  Chaligny  (Archives  de  M.-elM.,  B,  599,  n*  3). 

(1)  Dans  l'acte  de  1291,  Henri  concède  les  moulins  «  en  teil  manière 
que  je  doi  faire  que  tuit  cil  dou  ban  de  Challigney  desus  dit  et  de  la 
miene  ville  à  Pont  muellcnt  as  diz  moulins  par  ban,  ne  ne  puent  ne 
ne  dolent  moure  d'autre  part  ». 


—  21  — 

inconnue  (1)  dut  jouer  un  rôle  important  dans  les  luttes 
fréquentes  que  soutinrent  contre  les  ducs  de  Lorraine  leurs 
cousins  de  la  branche  cadette.  Malheureusement  l'histoire 
n'en  a  point  gardé  le  souvenir.  Que  cependant  les  habitants 
de  Chaligny  aient,  dès  cette  époque,  été  éprouvés  par  la 
guerre  et  aussi  la  peste,  sa  compagne  habituelle,  c'est  ce 
qu'atteste  une  phrase  mélancolique  que  je  relève  dans  une 
donation  faite  en  1204  à  l'abbaye  de  Mureau  par  le  comte 
Hugues  m,  seigneur  de  Chaligny.  Il  prévoit  la  destruction 
de  ce  village  par  l'ellet  de  la  peste  ou  d'un  autre  fléau, 
sicut  plerumqae  continjif,  et  prend  des  mesures  en  vue  de 
cette  éventualité  (2).  S'est-elle  réalisée,  et  à  quelle  époque? 
Il  faut  nous  résigner  à  l'ignorer. 

Ce  sur  quoi  nous  sommes  mieux  informés,  ce  sont  les 
libéralités  faites  par  les  seigneurs  de  Chaligny  aux  établis- 
sements religieux.  Si  les  Vaudémont  ne  purent  contribuer 
à  la  dotation  du  prieuré  de  Saint- Vincent  (fondé  du  vivant 
de  Gérard  d'Alsace,  avant  l'érection  du  comté  dont  son  fils 
cadet  fut  le  premier  titulaire),  ils  participèrent,  au  xii* 
siècle,  à  l'établissement  des  Cisterciens  dans  la  région.  On 
a  dit  plus  haut  que  le  comte  Hugues  I^f,  dès  1150,  leur 
avait  assigné  le  domaine  de  Perrière,  dans  les  limites  de 
la  seigneurie  de  Chaligny.  Son  successeur,  Gérard  II,  en 
1159,  compléta  et  confirma  cette  libéralité  (3).  Quand  de 
Perrière  ils  se  furent  transportés  à  Clairlieu,  dans  les  do- 
maines du  duc  de  Lorraine,  les  moines  blancs  éprouvèrent 
encore  les  effets  delà  bienveillance  des  comtes  de  Vaudé- 
mont. Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'énumérer  les  donations  dont 

(1)  Si  cette,  forteresse  n'existait  pas  du  temps  où  les  évèques  de  Metz 
étaient  seuls  propriélaires  de  Chaligny,  sa  construction  a  dû  suivre  de 
près  l'établissement  des  Vaudémont  dans  la  seigneurie. 

[i)  Quod  si  forte  conlingeretf  sicut  plerumque  contingit,  quod  memo- 
rate  ville  interesset  destructio  sceu  [sic]  peste  sive  rébus  aliis....  -— 
Archives  de  M.  et-M.,  H,  1087. 

(3)  Voir  ci-dessous,  dans  la  partie  de  ce  travail  consacrée  à  l'histoire 
religieuse. 


-  22  — 

il  sera  question  dans  la  portion  de  ce  travail  réservée  à 
rhistoire  religieuse  ;  qu'il  me  suffise  dédire  que  du  xif  au 
xiv^  siècle  Clairlieu  reçut  des  seigneurs  de  Chaligny,  non 
seulement  des  terres,  mais  le  droit  de  pêche  sur  la  Moselle, 
avec  des  droits  de  pacage  et  d'usage  dans  les  forêts,  et 
aussi  le  four  banal  de  Chaligny  (conféré  au  monastère  en 
1284).  En  outre,  soit  à  titre  de  suzerains,  soit  à  titre  de  copro- 
priétaires du  passage  sur  la  Moselle,  ils  s'associèrent  aux 
actes  qui  assurèrent  la  franchise  du  passage  au  moines  de 
Clairlieu  aussi  bien  qu'aux  religieux  de  St-Evre  de  Toul 
et  aux  Prémontrés  de  Mureau  dans  les  Vosges  ;  ils  avaient 
accordé  à  la  maison  du  Temple  de  Xugney  une  libéralité 
à  prendre  sur  la  recette  du  passage  (1).  Une  autre  forme 
de  donation  qui  leur  était  familière,  c'était  la  concession 
du  droit  de  prendre  gratuitement  du  minerai  de  fer  dans 
les  mines  de  Chaligny.  L'abbaye  de  Clairlieu  avait  obtenu 
la  faculté  d'en  extraire  autant  qu'il  en  faudrait  pour  ses 
besoins  sans  payer  de  redevance  (2)  ;  une  faveur  analogue 
fut  accordée  aux  Prémontrés  de  Mureau  (3)  et  de  Flabé- 

(1)  Voir  ci-dessus,  p.  14,  note. 

(2)  Voir  ci-dessous,  dans  la  partie  concernant  Thistoire  religieuse. 

(3)  En  faveur  de  Mureau,  acte  de  Gérard  II  de  Vaudémont  (1161),  con- 
cédant aux  religieux  inbannode  Chalinne  liberam  facuUatem  minam 
ferrariam  usibus  eorum  necessariam  extrahendi,  et  ab  extrahentibus 
emendi  et  ad  propria  deportandi.  Cette  concession  fut  renouvelée  en 
1197  par  le  comte  Hugues  II.  En  1212,  le  môme  seigneur  y  ajouta  une 
mesure  de  froment,  une  mesure  d'avoine,  une  mesure  de  vin  et  une 
charretée  de  foin  à  prendre  chaque  année.  (Archives  des  Vosges,  H,  20, 
fol.  168,  172  et  169  :  Cartulaire  de  Mureau,  renseignement  communi- 
que par  M.  Duvernoy,  archiviste  de  M.-et-M.  ;  cf.  Documents  rares 
ou  inédits  de  Vhistoire  des  Vosges,  III,  p.  7,  où  il  faut  Ure  Chalinne,  et 
non  Cassine  Sur  l'acte  de  1161,  cf.  Mémoires  de  l'Académie  de  Stanis- 
las, année  1857,  p.  329  et  347.)  On  trouve  aussi  tous  ces  actes  aux 
Archives  de  M. -et- M.,  H,  1087,  et  en  plus  un  acte  de  1255  par  lequel  le 
comte  Henri  I"  de  Vaudémont  donne  ordre  à  son  villicus  de  Chaligny 
de  payer  les  redevances  dues  au  monastère  de  Mureau.  —  En  ce  qui 
touche  Flabémont,  on  peut  lire  la  traduction  ancienne  d'une  charte  de 
1172  par  laquelle  l'évoque  de  Toul,  Pierre  de  Brixey,  confirme,  entre 
autres  choses,  l'acte  par  lequel  le  comte  Gérard  II  de  Vaudémont,  sa 
femme  Gertrude  et  son  fils  Hugues  donnent  à  ce  monastère  «  l'usayge 


—  23  — 

mont  ;  quant  aux  Cisterciens  de  Beaupré,  il  leur  fut  seule- 
ment permis  d'acheter  chaque  année  six  charretées  de 
minerai  et  de  les  enlever  librement  (1)  En  somme,  c'étaient 
des  libéralités  peut-être  très  utiles  aux  donataires,  mais  à 
coup  sûr  peu  onéreuses  pour  les  donateurs. 

De  ces  documents  on  pourrait  induire  que,  pendant  la 
période  qui  nous  occupe,  les  comtes  de  Vaudémont,  sires 
de  Chaligny,  n'ont  pas  cessé  de  se  montrer  favorables  aux 
monastères.  Cependant,  il  faut  bien  se  garder,  en  pareille 
matière,  d'accordsr  une  foi  aveugle  au  protocole.  Qui  s'en 
rapporterait  uniquement  au  langage  des  actes,  tomberait 
infailliblement  dans  les  mêmes  erreurs  que  l'imprudent  qui 
entreprendrait  d'écrire  l'histoire  de  notre  temps  d'après  le 
Journal  officieL  Entre  les  lignes  des  actes  on  aperçoit  bien 
des  conflits  (2).  Sans  doute  tous  ne  furent  pas  toujours 

de  mine  de  fer  au  ban  de  Challigny,  que  tous  les  fois  et  en  quel  lieu 
qu'ilz  voudront  tirer  du  fer  et  l'emmener  et  charroyep  où  qu'ils  vou- 
dront, et  si  aulcune  fois  en  iceltui  ban  ils  voudront  faire  forge  pour 
ouvrer  du  fer,  leur  a  donnez  l'usaige  et  bois  pour  faire  du  cbarbon  )). 
{Documents  rares  et  inédits  de  l'histoire  des  Vosges,  VII,  p.  9.)  Les 
donations  de  minerai  aux  abbayes  de  Mureau  et  de  Clairlieu  ont  été 
mentionnées  par  M.  J.-B.  Giraud  dans  ses  Notes  pour  servir  à  l'his- 
toire de  la  sidérurgie  en  Lorraine  (Lyon,  1900),  p.  120  et  s. 

(i)  Charte  du  comte  Gérard  II  de  Vaudémont,  accordée  en  1174  à 
l'abbaye  de  Beaupré  :  «  Concedimm  preterea  ecclesiejam  dicte  Belliprati 
in  banno  de  Chalignei  de  mina  ferraria  ut  singulis  annis  fratres, 
emant  si  voluerint,  VI  carratas  de  ipsa  mina,  et  hoc  ubicumque  vo- 
luerint^  quas  carratas  libère  adducant.  »  Gérard  conûrme  ensuite 
toutes  les  libéralités  que  son  père  Hugues  I^'  a  faites  à  l'abbaye.  — 
Archives  de  M.-et-M.,  H,  3iO  (Communication  de  M.  l'abbé  Chatton, 
curé  do  Rémenoville). 

(2)  Voyez,  par  exemple,  la  transaction  de  1197  entre  le  comte  Hugues 
de  Vaudémont  et  l'abbaye  do  Clairlieu,  confirmée  par  l'évéqucde  Toul, 
Eudes,  oncle  du  comte  Hugues  II.  Certains  droits  sont  reconnus  d'une 
manière  très  précise  à  l'abbaye,  mais  il  est  déclaré  que  Clairlieu  n'ac- 
querra désormais  aucun  bien  à  Chaligny  sans  le  consentement  du 
comte.  (Archives  de  M.-et-M.,  H,  475.  Cf.  Lepage,  op.  cit.,  xxxii,  3".) 

C'est  à  titre  d'indemnité  de  dommages  causés  par  lui  que  Henri  II, 
comte  de  Vaudémont,  abandonna  à  Clairlieu  le  four  banal  de  Chaligny  : 
a  pnur  rendre  et  restaubir  à  l'englize  de  Cleirlieu  les  damaiges  que 
Hanris,  cuens  de  Wademont,  avait  fait  ensi  com  dou  molin  do  Geme- 


-  24  — 

aussi  aigus  que  le  fut  la  lutte  ouverte,  vers  1288,  entre 
Jacques  de  Vaudémont  et  son  frère,  Henri  II,  d'une  part, 
et  Tabbaye  de  St-Evre  de  Toul  à  cause  de  son  prieuré  de 
Bainville-aux-Miroirs  d'autre  part  (1),  au  cours  de  laquelle 
les  Vaudémont  furent  excommuniés.  Mais  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  que  plus  d'une  fois  l'étiquette  donation,  placée 
sur  des  actes  consentis  en  faveur  des  monastères,  recouvre 
de  véritables  transactions.  J'aurai  l'occasion  de  revenir  plus 
tard  sur  ces  incidents  de  l'histoire  des  établissements  ecclé- 
siastiques. 

Ce  qu'il  importe  de  dégager  de  l'ensemble  des  actes  qui 
viennent  d'être  mentionnés,  c'est  la  situation  prépondé- 
rante des  comtes  de  Vaudémont  à  Chaligny.  Non  seulement 
ilsjfont  aux  monastères  des  libéralités  qui  pourraient  leur 
être  adressées  par  tout  riche  propriétaire  foncier,  mais  ils 
disposent  en  leur  faveur  des  biens  qui,  destinés  par  leur 
nature  à  l'usage  à  de  la  collectivité,  ne  leur  appartiennent 
qu'en  vertu  de  leur  qualité  de  seigneurs  ;  je  veux  parler  des 
eaux,  des  mines  et  des  pâturages.  De  même  ils  exploitent 
par  eux-mêmes  ou  attribuent  à  d'autres  les  péages  et  les 
banalités.  Enfin,  ce  sont  eux  qui  règlent  le  sort  des  étran- 
gers et  concèdent  ou  retirent  les  monopoles  commerciaux. 
Ainsi  le  comte  Henri  III  de  Vaudémont,  en  1322,  auto- 
rise, moyennant  finances,  les  banquiers  lombards  de  la 
société  des  Buni  à  s'installer  à  Chaligny,  comme  à  Pont- 
Sainl-Vincent,  à  Vézeliseet  à  Vaudémont,  pour  y  exercer 
le  monopole,  qu'il  leur  assure,  des  prêts  et  du  commerce 


nt^l  et  de  leur  usuaire  des  bois.  >  La  transaction  fut  négociée  «  par 
l'acort  de  dame  Elysans,  femme  loudit  comte  »,  et  consentie  par  Ûe- 
baul  de  Bauflremont,  procureur  du  comte.  (Archives  de  M.-et-M.,  H, 
492  )  Le  ((  grand  four  o  banal  de  Chdiigny  appartenait  au  comte  de 
Vaudémont  en  1^77  ;  à  cette  époque  le  comte  avait  concédé  en  fief  à 
Liébautde  BaufTremont  cent  livres  de  tournois  à  prendre  sur  le  village 
de  Maron  et  le  grand  four  de  Chaligny.  (Dom  Calmet,  Histoire  de  Lor- 
rains, 2«  édit.,  II,  col.  vni.) 

(1)  Voir,  sur  ce  conflit,  Archives  de  M.-et-M.,  H,  6. 


-go- 
de l'argent  (1).  Ajoutez  à  cela  que  les  comtes  de  Vaudémont 
rendent  la  justice  à  Chaligny.  A  côté  de  leur  intendant 
(villicus),  qui,  dès  le  xii*  siècle,  joue  un  rôle  important  dans 
la  seigneurie,  et  du  forestier,  préposé  à  la  conservation  et  à 
l'exploitation  de  la  partie  boisée  du  domaine,  on  y  trouve 
dès  les  premiers  temps  de  leur  domination  un  jiuiex,(2). 
C'est  ce  droit  de  justice,  haute  et  basse,  que  continueront 
d'exercer  les  seigneurs  de  Chaligny  ;  comme  nous  ne  trou- 
vons aucune  trace  de  l'origine  de  cette  justice,  il  paraît  cer- 
tain qu'elle  remonte  très  haut,  et  qu'elle  passa  desévèques 
de  Metz  aux  comtes  de  Vaudémont.  En  somme,  les  comtes 
de  Vaudémont,  à  dater  du  xir  siècle,  et  probablement  avant 
eux  les  évéques  de  Metz,  furent,  non  seulement  les  pro- 
priétaires, mais  les  vrais  souverains  de  Chaligny. 

Ces  maîtres  furent-ils  durs  ou  miséricordieux  ?  Il  est 
difficile  de  donner  une  réponse,  et  surtout  une  réponse 
uniforme,  à  cette  question.  Peut-être  le  plus  sage  est  de 
croire  que,  suivant  leur  caractère  et  les  circonstances  où 
ils  se  trouvaient,  ils  se  montrèrent  tantôt  généreux,  tantôt 
intéressés  ;   on  a  vu  plus  haut  que  des  variations  ana- 

(1)  Le  26  mars  1322,  moyennant  cent  livres  par  an,  Henri  I"  et  sa 
femme  Isabelle  concèdent  aux  frères  Alexandre  et  Antoine  Buni  et  à 
d'autres  Lombards  le  droit,  pour  dix  ans,  de  résider  à  Vaudémont, 
Vézeiise,  Pont-Saint- Vincent  (on  a  cessé  de  dire  Conflans)  et  Chaligny. 
Le  comte  leur  laisse  (loue)  Thôtcl  où  ils  demeurent  à  Vézelise,  et 
((  l'hostel  que  nous  avons  édifié  au  Pont-Saint-Vincent  qui  sieu  sur 
la  rivière  ».  Ils  ont  le  monopole  du  prêt  d'argent,  à  rencontre  de  tous 
autres  Lombards  ou  Caorcins,  jouissent  de  diverses  franchises  et  privi- 
lèges, prennent  l'atlouage  dans  les  bois  du  ban  do  Chaligny  et  du  ban 
do  Pont-Saint-Vinccnt  sans  payer  aucune  redevance  aux  forestiers,  etc. 
(Archives  de  M.et-M.,  B,  399,  fol.  î257,  277).  Voir  un  acte  analogue  du 
duc  de  Lorraine  Raoul,  passé  en  1331  au  profit  d'un  autre  groupe  de 
Lombards,  qui  s'installent  k  Saint-Nicolas  de  Port  et  à  Varangéville  : 
ils  auront  seuls  le  droit  d'y  pratiquer  le  prêt,  notamment  le  prêt  sur 
gages.  (Lepagc,  Les  Communes  de  la  Meurthe,  v»  Saint-Nicolas.)  Les 
Buni  se  retrouvent  en  1361  à  Vézelise.  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  256,  n»«  12 
et  13.) 

(2)  Dodo  vlllicus,  Teodericus  judex,  Gerardus  foreslarius Ces 

trois  personnages  sont  cités  dans  un  acte,  sans  date,  du  comte  Gérard  11 
de  Vaudémont  en  faveur  de  Clairlieu:  Archives  de  M.et-M.,  H,  491. 


—  26  - 

logues  ont  marqué  leur  conduite  vis-à-vis  des  églises.  En 
tout  cas  il  n'est  que  juste  de  signaler  ici  la  fondation  qui 
honore  grandement  le  comte  Henri  III  et  sa  femme  Isa- 
belle de  Lorraine  :  un  peu  avant  1320,  ils  élevèrent  à 
Pont- Saint- Vincent  un  hôpital  destiné  à  recevoir  les  pau- 
vres malades  de  la  région  (1).  Au  moins  ces  seigneurs 
doivent-ils  être  rangés  au  nombre  de  ceux  qui  virent  dans 
leurs  domaines  autre  chose  que  des  droits  à  exiger  et  des 
prestations  à  toucher. 

(1)  Dom  Calmet,  Notice  de  la  Lorratne,  II,  col.  284.  Que  cet  hôpi- 
tal fût  en  relations  étroites  avec  la  seigneurie  do  Chaligny,  c'est  ce 
que  démontre  un  passage  du  dénombrement  d'Alice  de  Vaudémont  en 
1410,  sur  lequel  je  reviendrai  plus  loin. 


CHAPITRE  II 

Les  Joinyille,  seigneurs  de  Chaligny. 
(1347-1413) 

SOMMAIRE 

I.  —  La  seigneurie  de  Chaligny  est  transmise  à  Henri  de  Joinville, 
qui  épouse  l'héritière  des  Vaudémont.  --  Henri  de  Joinville-Vaudé- 
mont. 

II.  —  Guerre  de  Henri  de  Join ville  et  d'Arnaud  de  Cervelles  contre 
les  ducs  de  Bar  et  de  Lorraine  (1363).  —  Siège  de  Chaligny.  —  Fin 
des  hostilités. 

m.  —  Dernières  années  de  la  vie  de  Henri  de  Joinville- Vaudémont.  — 
Ses  embarras  ûnanciers. 

IV.  —  Marguerite  et  Alice  de  Joinvllle-Vaudémont,  filles  de  Henri.  — 
xVdministration  de  leur  mère  Marie  de  Luxembourg.  — -  Leur  ma- 
riage. —  Chaligny  est  attribué  à  Alice,  femme  de  Thiébaut  Vil  de 
Neufchâtel. 

V .  —  Liquidation  des  successions  de  Henri  de  Joinville-Vaudémont  et 
de  Marie  de  Luxembourg.  —  Thiébaut  Vil  de  Neufchâtel  ;  il  est  tué 
i\  Nicopolis  (1396). 

VI.  —  Alice  de  Joinville-Vaudémont,  dame  de  Chaligny.  —  Son  admi- 
nistration pendant  son  veuvage.  —  Son  testament  et  sa  mort. 

I. 

L'année  1346  marque  la  fin  et  le  commencement  d'une 
période  dans  Thistoire  de  Chaligny.  Non  seulement,  au 
printemps  de  celte  année,  la  suzeraineté  de  Chaligny  avait 
été  transportée  de  Metz  à  la  Lorraine,  maisaussi,  quelques 
semaines  plus  tard,  les  représentants  en  lig^ne  directe  et 
masculine  de  la  branche  cadette,  issue  de  Gérard  d'Alsace, 
qui  gouvernail  à  la  fois  Vaudémont  et  Chaligny, 
s'éteignirent  par  la  mort  du  comte  Henri  IV,  qui  succomba 
à  Crécy  sans  laisser  de  postérité. 

Cependant  un  membre  de  cette  famille  existait  encore  : 
c'était  le  comte  Henri  III  de  Vaudémont,  qui,  quelques 
années  auparavant,  s'était  démis  de  ses  biens  en  faveur  de 
son  fils  Henri  IV.  La  mort  de  son  fils  rétablissait  Henri  III 


-  28   - 

dans  ses  droits  anciens  eu  rendant  son  abdication  ineffi- 
cace: il  ne  put  ou  ne  crut  pas  pouvoir  les  exercer.  Or  sa 
fille  Marguerite,  sœur  du  combattant  de  Crécy,  avait 
épousé  Anseau  de  Joinville,  le  quatrième  des  fils  de  l'his- 
torien de  saint  Louis  (i).  Ce  personnage,  connu  d'abord 
sous  le  nom  de  sire  de  Reynel,  qu'il  tenait  de  sa  mère, por- 
tait depuis  1317  le  titre  de  sire  de  Joinville  qui  lui  était 
échu  par  la  mort  de  ses  trois  frères  aînés  en  môme  temps 
que  le  riche  héritage  des  domaines  du  bon  sénéchal.  Le 
nouveau  sire  de  Joinville,  qui  compta  parmi  les  serviteurs 
importants  du  roi  de  France,  était  mort  avant  1343;  mais  de 
son  mariage  avec  Marguerite  de  Vaudémont  était  né,  outre 
plusieurs  filles,  un  fils  nommé  Henri,  encore  mineur  lors- 
que son  oncle  Henri  IV  de  Vaudémont  fut  tué  à  Crécy. 
C'est  en  faveur  de  ce  jeune  homme,  déjà  sire  de  Joinville 
et  sénéchal  de  Champagne  par  la  mort  de  son  père,  que 
le  30  août  1347,  ou  quelques  jours  auparavant,  le  vieux 
comte  Henri  HI,  son  aïeul  maternel  et  son  tuteur,  se 
démit  de  nouveau  de  son  comté  de  Vaudémont  et  de  sa 
seigneurie  de  Chaligny.  C'est  ainsi  qu'à  peine  tombé  sous 
la  suzeraineté  lorraine,  le  fief  de  Chaligny  passa  aux  mains 
du  petit-fils  de  l'ami  de  saint  Louis  (2). 

Sur  Henri  V  de  Joinville- Vaudémont  et  son  aventureuse 
carrière,  nous  sommes  renseignés  par  une  étude  de  M.  Léon 
Germain  et  par  quelques  pages  du  livre  de  M.  le  comte  H.  F. 

{i)  Sur  Anseau  de  JoinvUlc,  ol  en  générai  sur  tout  ce  qui  concerne 
les  Joinville,  je  ne  puis  que  renvoyer  le  lecteur  à  l'excellent  ouvrage 
de  mon  confrère  H.  F.  Delabordc,  Jean  de  Joinville  et  les  seigneurs 
de  Joinville^  p.  174187  et  passim. 

(2)  Il  s'est  «  dcsmis  et  desvestu  en  faveur  de  son  t»»ès-chier  fll 
Henri,  seigneur  de  Joinville  n  de  toute  sa  comté  et  «  heritaige  que 
nous  avions  et  poviens  avoir  en  ce  leu  »  (Chaligny).  V^oir  l'acte  passé 
à  Chaligny,  le  30  août  1347  et  scellé  de  grand  sceau  du  comte  de  Vau- 
démont :  Archives  de  M.-et-M.,  B,  962,  n"  14.  Cf.  Bibl.  Nat.,  Lorraine, 
258,  n*  6,  et  Delabordc,  n"  920.  —  L'acte  a  été  publié  in  extenso  par 
M.  L.  Germain  au  cours  de  son  intéressante  étude  sur  Anseau  de 
Joinville,  insérée  dans  les  Mémoires  de  la  Société  d'Archéologie  Lor- 
raine, XXXIV  (ann.  188i),  p.  233. 


~  29  - 

Delaborde  sur  les  Joinville  (1).  Le  lecteur  curieux  de 
recueillir  des  informations  sur  ce  personnage  y  verra  com- 
ment son  humeur  batailleuse  se  manifesta  dès  sa  jeunesse, 
comment,  suivant  les  traces  de  plusieurs  de  ses  ancêtres, 
il  s'en  alla  de  bonne  heure  combattre  en  Orient  et  put 
armerchevalier  un  Joinville,  son  parent,  dans  l'église  du 
Saint-Sépulcre.  De  retour  en  Occident,  en  vrai  Joinville, 
Henri  se  mit  à  servir  le  roi  de  France  Jean  le  Bon,  avec 
un  dévouement  que  ce  prince  reconnutà plusieurs  reprises 
et  qu'atteste  encore  un  passage  des  lettres  de  rémission 
générale  accordées  au  comte  de  Vaudémont  en  1362;  le  roi 
y  dit  que,  tout  bien  considéré,  Henri  «  a  plus  mis  que  prins 
pour  nous  {2)».  C'est  qu'en  effet  Henri  de  Joinville  avait  par- 
ticipé aux  rudes  campagnes  des  Valois  contre  les  Anglais. 
11  avait  guerroyé  pour  la  France  en  Bretagne,  puis  avait 
combattu  à  Poitiers,  où  il  avait  été  fait  prisonnier  avec  le 
roi  ;  il  était  de  ceux  qui,  le  soir  de  la  bataille,  s'assirent  à 
la  «  haute  table  »  dressée  dans  la  tente  du  Prince  Noir 
pour  les  grands  personnages  tombés  en  captivité  (3) .  U  ne 
tarda  pasà  s'acquitter  de  sa  rançon  ;  dès  qu'il  fut  revenu 
en  France,  ce  fut  pour  combattre,  sous  les  drapeaux  du 
Dauphin,  la  coalition  des  Anglais  et  des  Navarrais.  l\  fut 
pendant  quelque  temps  lieutenant  du  roi  en  Champagne  ; 
c'est  là  qu'il  frappa  d'amendes,  plus  tard  jugées  exorbi- 
tantes parle  gouvernement  royal,  les  villages  qui  avaient 
pris  part  au  mouvement  de  la  Jacquerie  (4)  ;  c'est  là  aussi 

(1)  Jean  de  Joinville  et  les  seigneurs  de  Joinville, 

(2)  Delaborde,  registre  des  actes  insérés  dans  l'ouvrage  précité, 
n-  977. 

(3)  Froissart,  éd.  Luce,  V.  p.  47  et  63.  Henri  de  Vaudémont  perdit 
à  Poitiers  son  grand  sceau.  (Delaborde,  n"  979.) 

(4)  S.  Luce,  la  Jacquerie  (2«  édition),  p.  138,  265,  267.  284.  W  s'agit 
des  villages  du  Perthois.  Dans  les  lettres  accordées  à  ces  villages  en 
1358,  le  Daupbin  désigne  Henri  sous  ce  litre  :  «  nostre  amé  et  féal  cou- 
sin et  lieutenant  es  parties  de  Champagne,  le  comte  de  Vaudémont  ». 
Ainsi,  officiellement,  Henri  porte  le  nom  de  Vaudémont  ;  cependant 
Froissart  le  désigne  plutôt  sous  le  nom  de  Joinville. 


—  30  — 

qu'aidé  parles  secours  que  lui  amena  un  grand  batailleur 
lorrain,  Brochard  de  Fénétrange,  il  combattit  avec  suc- 
cès les  bandes  ennemies  qui  dévastaient  le  pays  (1). 

Après  le  traité  de  Brétigny,  Henri  de  Joinville  eut  beau- 
coup à  faire  pour  préserver  des  ravages  des  Compagnies, 
auxquelles  la  paix  avait  créé  des  loisirs,  non  seulement  la 
Cbampagne  qu'il  gouvernait  pour  le  roi,  mais  ses  états 
patrimoniaux  de  Joinville  et  de  Vaudémont.  11  était  fort 
engagé  dans  la  lutte  et  n'y  fut  pas  toujours  heureux  ; 
ainsi  arrivât  il  que,  par  un  coup  de  surprise,  un  chef  de 
bande  bien  connu,  Albrestel  (2),  s'empara  en  1361,  de  Join- 
ville, le  beau  château  qu'aimait  tant  le  bon  sénéchal,  si 
bien  que  son  petit-fils  fut  obligé  de  débourser  pour  le 
racheter,  une  très  forte  somme  que  le  comte  Jean  de 
Salm  lui  prêta,  au  moins  en  partie  (3).  D'ailleurs,  s'il  a 
mené  durement  les  Jacques  et  les  Compagnies,  Henri  ne 
s'est  montré  un  vassal  docile  ni  pour  le  duc  de  Bar  dont  il 
tient  Vaudémont,  Châtel-sur-Moselle  et  Bainville-aux-Mi- 
roirs,  ni  pour  le  duc  de  Lorraine,  son  suzerain  à  Chaligny. 
L'un  et  l'autre  eurent  l'occasion  de  s'en  apercevoir  au  cours 
d'événements  qu'il  convient  d'exposer  ici,  pnrce  que  la  for- 
teresse de  Chaligny  y  joua  un  rôle  important. 


II 

En  1358,  le  Dauphin  Charles  avait  donné  en  viager  au 
comte  de  Vaudémont,  le  château  et  la  ville  de  Vgucou- 
leurs  (4).  Or,  cette  nouvelle  possession  du  comte  Henri  se 

{{)  Sur  Brochard  de  Fénétrange,  voir  de  Jonghes,  dans  la  Revue  belge 
de  numismatique,  1897,  p.  21:2-217. 

(2)  Ce  personnage  est  mentionné  par  Froissart  comme  l'un  des 
chefs  des  compagnies  qui  guerroyèrent  en  Champagne  et  en  Lorraine. 
Cf  édit.  Luce,  VI,  p.  xxii  et  s. 

(3)  Delaborde,  n»  967.  —  Servais,  Annales  historiques  du  Barrois,  I, 
p.  11(5. 

(4)  Delaborde,  n»  952. 


—  31  — 

trouvait  en  contact  immédiat  avec  les  domaines  du  duc 
Robert  de  Bar;  le  contact  produisit  des  incidents  qui 
engendrèrent  ou  tout  au  moins  développèrent  la  discorde 
entre  Bar  et  Vaudémont.  Déjà,  en  1361,  la  guerre  avait 
failli  éclater  entre  le  duc  et  le  comte  (1).  Toutefois,  dans 
toute  la  région,  on  se  trouvait  las  des  malheurs  qui  étaient 
la  conséquence,  non  seulement  des  guerres  nationales  ou 
féodales,  mais  encore  du  passage  des  Compagnies  ;  une 
confédération  de  seigneurs,  où  entrèrent  Vaudémont  et 
Bar,  parait  avoir  réussi  à  maintenir  la  paix.  Mais  c'était 
une  paix  précaire.  Au  printemps  de  Tannée  1362,  des 
conflits  significatifs  éclatèrent  de  nouveau.  Vaudémont 
tenait  captif,  à  Vaucouleurs,  un  bourgeois  du  duc  de 
Bar  ;  aux  réclamations  des  représentants  du  duc  qui 
demandaient  la  restitution  du  prisonnier,  ses  agents  ré- 
pondirent avec  impertinence  que  «  li  loup  l'avoient 
mangiey  »,  tant  et  si  bien  que  les  gens  de  Bar  firent,  par 
représailles,  une  expédition  sur  Rigny,  village  situé  dans 
le  voisinage  immédiat  de  Vaucouleurs  (2).  En  octobre,  le 
duc  de  Bar  renouvelait  ses  réclamations  à  propos  de  faits 
analogues  (3).  Il  s'attendait  d'ailleurs  à  une  rupture  ;  dès 
la  fin  de  juin,  il  envoyait  un  de  ses  valets  au  comté  de 
Vaudémont  afin  de  savoir  s'il  était  bien  vrai  qu'on  y  faisait 
des  préparatifs  belliqueux  (4).  Les  inquiétudes  du  duc  et 

(1)  Servais,  Annales  historiques  du  Barrais,  I,  p.  110-111  ;  Delaborde,  ' 
op.  ciU,  p.  2(^  et  s.  —  Voyez  aussi  la  mention  do  dépenses  faites  au 
commencement  de  1361  pour  aider  à  mettre  La  Mothe  à  l'abri  des  atta- 
ques des  Anglais  et  du  seigneur  de  Vaudémont,  qui  voulaient  entrer 
sur  les  terres  du  duc.  (Archives  de  la  Meuse,  B,  2322,  fol.  92,  v'.) 

(2)  Cette  querelle  fut  terminée  par  un  accord  passé  sur  la  base  d'une 
restitution  réciproque.  (Archives  de  la  Meuse,  B,  2205,  fol.  20).  —  Sur  les 
méfaits  de  la  garnison  de  Vaucouleurs,  voir  B«  2205,  passim, 

(3)  Archives  de  la  Meuse,  B,  1419;  mention  d'une  mission  de 
Drowin,  sergent  «  par  devers  le  comte  de  Wadémont  »,  la  veille  de  la 
Toussaint  de  l'année  1362. 

(4)  Le  samedi  après  la  saint  Jean-BapUste  (18  juin  1362)  le  duc  de 
Bar  fait  envoyer  «  un  varlet  en  la  comté  de  Wadelmont  pour  savoir  se 
on  faisoit  nuls  mandemens  »  (Archives  de  la  Meuse.  B,  2205,  fol.  33,  V). 


-  32  — 

de  ses  sujets  devinrent  plus  vives  encore,  lorsque,  à  la  fin 
de  novembre,  on  vit  s'approcher  les  Compagnies  qui  mena- 
çaient directement  le  Bassigny(l),  dépendant  du  duché; 
c'étaient  des  alliés  qui,  d'eux-mêmes,  s'offraient  à  Vau- 
démont. 

La  lutte  couvait  depuis  longtemps  ;  elle  éclata  dans  les 
premières  semaines  de  l'année  1363.  Comme  les  Bretons 
(ainsi  désignait-on  les  Compagnies)  s'étaient  jetés  sur  la 
vallée  de  la  Meuse,  à  l'époque  de  la  Chandeleur  (2),  le 
duc  de  Bar  convoqua  ses  vassaux  et  s'allia  étroitement 
au  duc  de  Lorraine,  que  menaçaient  aussi  les  bandes 
d'envahisseurs.  De  son  côté^  le  chef  des  Compagnies, 
Arnaud  de  Cervolles,  connu  sous  le  surnom  de  l'Archi- 
prêtre,  qu'il  avait  conservé  comme  un  lointain  souvenir 
de  ses  débuts  dans  la  carrière  ecclésiastique  (3),  loua  ses 
services  et  ceux  de  ses  soldats  à  Henri  de  Vaudémont. 
Par  un  contrat  en  bonne  forme,  passé  à  Bayon  le  19  fé- 
vrier de  cette  môme  année  1363,  Henri,  confia  à  la  garde 

(1)  Archives  de  la  Meuse,  B,  1419,  fol.  41  passim;  B,  2322,  fol.  103. 

(2)  Les  vérilablcs  hostilités  commencèrent  à  la  Chandeleur  ;  cela 
résulte  des  textes  mentionnés  ci-dessous  (p.  84,  note  3)  et  aussi  de 
divers  passages  des  comptes  du  duché  de  Bar.  Par  exemple,  c'est  le 
jeudi  2  février  13615,  que  Jean  d'Arentières  est  envoyé  à  Gondrecourt 
dont  il  prend  le  commandement  dix  jours  plus  tard.  (Arch.  de  la  Mtuse, 
B,  1419,  fol.  41.)  —  En  février,  Jean  de  Pierrefort  et  Bertrand  de  Landes, 
au  service  du  duc  de  Bar,  poursuivent  les  Bretons.  —  C'est  le  5  février 
1363   que  sont    convoqués  les  hommes  du   fief  de  Bassigny  et  de  la 

'prévôté  de  Gondrecourt  pour  combattre  les  Bretons  vB,  1419,  passim). 
—  Le  continuateur  de  Guillaume  de  Nangis  (édition  Géraud,  Société  de 
l'histoire  de  France,  II,  p.  329  et  330)  dit  que  les  ducs  de  Lorraine  et 
de  Bar  comptaient  dans  leur  armée  plusieurs  seigneurs  allemands  ;  il 
fait  sans  doute  allusion  à  des  seigneurs  originaires  de  la  Lorraine 
allemande. 

(3)  Voir  sur  ce  point  Denlfle,  la  Désolation  des  églises  de  France 
pendant  la  guerre  de  Cent  ans,  I,  p.  189-191,  qui  démontre  péremp- 
toirement qu'à  SCS  débuts  Arnaud  fut  clerc,  engagé  seulement  dans 
les  ordres  mineurs,  et  archiprétre  de  Vélines  au  diocèse  de  Périgueux. 
Cet  archiprôtré  lui  fut  enlevé  en  l!fô3,  à  cause  de  l'indignité  de  sa  vie. 
C'était  un  vrai  brigand  qui  essaya,  à  la  fin  de  sa  carrière,  non  sans 
succès,  de  jouer  au  grand  seigneur  et  se  maria  dans  la  plus  haute 
noblesse. 


-  33  - 

de  Taventurier  qu'il  ne  dédaignait  pas  d'appeler  «  soq 
très-chier  et  très-aimé  frère  Messire  Arnaud  de  Cervolles  )> 
les  forteresses  de  Chaligny  et  de  Vézelise  ;  il  ne  mentionne 
pas  Yaudémont  dont,  sans  doute,  il  entendait  lui-même 
assurer  la  garde.  De  son  côté,  Arnaud  s'engagea  à  bien  et 
duemeut  conserver  les  deux  forteresses  et  à  les  rendre  en 
bon  état  quinze  jours  après  qu'il  en  serait  requis  ;  quant 
aux  habitants,  il  promettait  de  les  traiter  comme  ses  pro- 
pres soldats.  Trente  environ  des  compagnons  de  TArchi- 
prétre,  à  la  tète  desquels  figuraient  trois  chevaliers,  con- 
tresignèrent son  engagement  (1).  On  verra  plus  loin  que, 
ainsi  qu'on  pouvait  s'y  attendre,  il  n'entrait  pas  dans  les 
intentions  d'Arnaud  de  Cervolles  de  fournir  ses  services 
gratuitement.  En  tout  cas,  le  résultat  immédiat  de  cette 
convention  fut  de  faire  passer  Chaligny  au  pouvoir  d'une 
garnison,  tirée  de  la  compagnie  de  l'Archiprôtre,  qui,  en 
dépit  de  toutes  les  promesses,  n'était  pas  seulement  redou- 
table à  ses  ennemis. 

La  lecture  des  écrits  des  historiens  qui  se  sont  occupés 
de  ces  événements  laisse  une  impression  très  incertaine 
sur  l'issue  de  cette  guerre.  D'après  dom  Calmet,  les  ducs 
de  Bar  et  de  Lorraine  auraient  remporté,  à  Saint- Blin,  une 
victoire  décisive  (2)  ;  l'historien  barrois  Servais  raconte  que 

(1)  On  trouvera  cet  acte  aux  Archives  de  Meurthe-et-Moselle,  fol.  253  et 
254.  Voici  les  noms  des  compagnons  de  l'Archiprétre  qui  s'obligèrent 
avec  lui  : 

Le  sire  de  Montferran,  Jehan  de  Moumay,  Jehan  de  Villebem, 
chevaliers  ;  Meneduc  de  Possède,  Jehan  de  Sainet-Rio,  Guillaume  de 
la  Mote,  Yvonnet  Lavaloct,  Mondon  Batailles,  Pierre  Doignel,  Poussot 
de  Penesoles,  Grimon.  Guillaume  de  Borbit,  Jaiquet  de  Sainct- Martin, 
Eliot  de  Sainct-Martin,  Guillaume  de  Mareul,  Thomin  le  Dimoux, 
Ylerot  le  Bastonviel,  Guiot  Vigier,  Jehan  d'Armignat,  Kathelin  de 
VUle,  Bonsommet  de  Pan,  Ghampelunne,  Mirigant,  Damigne,  Ran- 
donnet  de  Lorme,  Perricant,  Guillonnet,  Bernard  de  Pierre  d'OrgueU. 
Sur  cette  guerre,  voir  Lepage,  Épittodes  de  l'histoire  des  routiers  en 
Lorraine,  dans  le  Journal  de  la  S.  À.  L.,  x\^  année  (1866),  p.  161  et  s., 
et  les  notions  très  brèves  données  par  A.  Chérest,  VArchiprêtre, 
p.  222  et  s. 

(2)  Histoire  de  Lorraine,  II,  p.  554-555. 

3 


—  ai- 
les coalisés  assiégèrent  et  prirent  le  château  de  Chaligny  (  1  ) . 
Au  contraire,  selon  la  tradition  acceptée  par  les  historiens 
de  Joinville  (2),  l'avantage  des  armes  demeura  au  comte  de 
Vaudémont.  L'ensemble  des  faits  qui  se  dégagent  des  docu- 
ments me  décide  à  me  ranger  à  cette  dernière  opinion  (3). 
Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  soldats  de  Vaudémont  et 
les  Bretons  de  TArchiprôtre,  ses  auxiliaires,  ravagèrent 
cruellement  les  domaines  du  duc  de  Bar  et  sans  doute 
aussi  ceux  de  son  allié;  la  forteresse  de  Vaucouleurs,  appar- 
tenant au  comte  Henri,  fut  pour  eux  une  excellente  base 
d'opérations.  C'est  ainsi  qu'ils  s'emparèrent  du  château  de 
Gombervaux,  voisin  de  Vaucouleurs  (4),  qu'ils  pillèrent  et 
brûlèrent,  dans  la  même  région,  nombre  de  villages,  parmi 
lesquels  nous  pouvons  citer  Pagny-sur-Meuse,  Gibeau- 
meix,  Uruffle,  Burey  en-Vaux,  Maxey-sur  Vaise,  Goussain- 
court,  Vouthon-Haut,  Gerauvilliers,  Houdelaincourt,  et  les 
communes  voisines  de  Gondrecourt  (5).   Vers  la  même 

(1)  Servais,  op.  cit.,  I,  p.  143. 

(2)  Simonnet,  Esaai  sur  rhistoire  de  Joinville,  p.  291. 

(3)  En  ce  sens  Delaborde,  op.  cit.,  p.  209;  et  Denifle,  op.  cit.,  Il, 
p.  473.  Cet  auteur,  qui  a  vu  très  nettement  l'ensemble  des  événements, 
n'hésite  pas  k  penser  que  la  {çuerre  de  1363  fut  défavorable  aux  ducs  de 
Lorraine  et  de  Bar.  Les  sympiithies  du  gouvernement  français  sem- 
blaient acquises  au  comte  de  Vaudémont.  Cf.  Delaborde,  p.  207. 

(4)  Le  il  octobre  1363,  Arnaud  de  Cervollcs  renonce,  en  faveur  du 
comte  de  Vaudémont,  à  tout  le  droit  qu'il  pouvait  avoir  en  la  maison 
de  Gomberval,  u  qui  prise  avoit  esté  au  temps  dessus  dit  »,  c'est-à-dire 
au  temps  de  la  guerre  de  Lorraine,  commencée  «  dès  environs  la  fesle 
Nostre-Dame  Candelouse  dernière  passée  ».  (Archives  de  M.-et-M., 
B,  399,  fol.  ^4-255.)  Les  lettres  dTrbain  V  citées  par  le  R.  P.  Denifle 
(loc.  cit.)  attestent  aussi  que  la  guerre  commença  le  2  février.  Je  me 
demande  si  cette  prise  de  Gombervaux,  qui  eut  lieu  en  1363,  diffère  de 
celle  que  M.  Delaborde  (op.  cit.,  p.  212-213)  place  en  1304. 

(5)  Archives  de  la  Meuse,  B,  1417,  f*  55  et  ss.  ;  Labourasse,  Vouthon- 
Haut  et  ses  seigneurs,  dans  les  Mémoires  de  la  Société  des  lettres, 
sciences  et  arts  de  Bar-le  Duc,  2*  série,  VIII  (ann.  1889),  p.  3i3;  A. 
Génin,  Un  village  barrois^  dans  la  même  collection,  3'  série,  X  (ann. 
1901),  p.  98;  Servais,  op.  cit.,  l,  p.  144.  —  Le  registre  des  Archives  de 
la  Meuse,  B,  1419,  contient  un  rôle  de  l'imposition  levée  pour  la  rançon 
des  Bretons  (pour  l'acort  des  Bretons)  qui  mentionne  les  villages  dé- 
vastés et  par  suite  hors  d'état  de  payer. 


—  35  - 

époque,  c'est-à-dire  au  printemps  de  cette  année  1363, 
les  confédérés  lorrains  et  barrois  se  vengèrent  en  por- 
tant la  dévastation  sur  les  terres  du  comte  de  Vaudé- 
mont.  La  désolation  fut  grande  dans  le  diocèse  de  Toul  ; 
nombre  d'églises  violées  et  de  lieux  saints  profanés  y 
attestèrent  le  caractère  sauvage  de  cette  guerre  (1).  Nous 
savons  qu'à  la  fin  du  mois  de  mai,  un  combat  eut  lieu  à 
Saint-Blin  (c'est  la  «  besoigne»  (2)  de  Saint-Blin  que  men- 
tionnent les  comptes  barrois),  sans  qu'aucun  texte  contem- 
porain nous  indique  le  parti  qui  y  fut  vainqueur.  Au  mois 
de  juin,  Lorrains  et  Barrois  vinrent  assiéger  la  forteresse 
de  Chaligny,  défendue  par  les  Bretons  de  TArchiprôtre  : 
nous  en  sommes  informés  par  une  mention  concernant  un 
gentilhomme  barrois  qui  passait  par  Étain,  le  2  juillet,  en 
revenant  «  de  Tost  devant  Challigney  (3)  ».  L'historien 
Vigneulle  qui  écrivait  la  Chronique  de  Metz  au  commence- 
ment du  XVI*  sièle  et  qui  mentionne  cette  guerre,  parce 
que  les  Messins  y  soutinrent  le  parti  des  deux  ducs, 
déclare  que  Ghaligpy  fut  emporté  par  les  assiégeants  (4). 
Servais  s'est  approprié  cette  assertion,  sans  l'étayer  sur 

(1)  Voir  dans  l'ouvrage  du  R.  P.  Denifle  [loc.  cit.)  la  lettre  d'Urbain  V 
comïernant  les  mesures  à  prendre  pour  la  réconciliation  de  nombreuses 
églises  profanées  et  pour  la  revendication  des  biens  ecclésiastiques  mis 
au  pillage  dans  les  Trois-Évéchés,  et  surtout  dans  le  diocèse  de  Toul. 

(2)  «  Au  depar  de  la  besoigne  de  devant  Saint-Velin  »  :  Archives  de 
la  Meuse,  B,  1419,  fol.  43.  Cf.  Servais,  op.  cit.y  I,  p.  132. 

(3)  ((  Despendit  deniers  pour  Thirion  des  Estangs,  que  vint  à  Estain 
l'an  de  LXIII,  le  II'  jour  de  juillet,  dou  commandement  de  Mons  (ei- 
gneur)  par  ses  lettres  en  conduisant  lou  demoiselz  de  la  Marche  (de 
la  Mark)  qui  en  relait  en  son  paiix  en  revenant  de  l'ost  devant  Challi- 
gney »  (Arch.  de  la  Meuse,  B,  comptes  de  la  prévôté  d'Étain,  registre 
1130  ;  comptes  du  prévôt  Jacomin  Chainel).  —  Servais  (op.  cit.) 
mentionne  aussi  Jean  le  jeune  de  Salm,  seigneur  de  Viviers  et  de 
Puttelange,  comme  figurant  dans  les  rangs  du  contingent  Barrois  au 
siège  de  Chaligny. 

Le  texte  emprunté  au  compte  de  Jacomin  Chainel,  déjà  mentionné 
par  Servais,  m'a  été  obligeamment  communiqué  par  M.  R.  Parisot, 
qui,  dans  les  comptes  des  prévôtés  du  Barrois  pour  cette  époque,  n'a 
trouvé  aucune  autre  mention  de  »  l'ost  »  de  Chaligny. 

(4)  VigneuUes  n'invoque  aucune  autorité  à  l'appui  de  son  dire.  On 
trouvera  ce  texte  dans  Huguenin,  Chroniques  messines,  p.  104. 


-36- 

aucune  preuve  (1).  En  réalité,  cette  prise  du  château  de 
Chaligny,  sur  laquelle  les  contemporains  sont  muets,  n'est 
fondée  que  sur  Talûrmation  d*un  chroniqueur  qui  écrivait 
un  siècle  et  demi  après  les  événements  :  cette  affirmation 
ne  suffit  pas  à  entraîner  ma  conviction.  En  effet,  les  con- 
ditions des  traités  qui  mirent  fin  aux  hostilités  montrent 
bien  que  les  ducs  de  Lorraine  et  de  Bar  n'avaient  pas  fait 
une  ample  moisson  de  lauriers. 

Le  premier  à  poser  les  armes  fut  le  duc  Robert  de  Bar. 
Si  le  comte  de  Vaudémont  consentit  alors  à  lui  rendre 
hommage  pour  son  comté  et  les  autres  fiefs  qu*il  tenait 
du  duché  de  Bar,  ce  ne  fut  pas  sans  faire  observer  qu'en 
assistant  le  duc  Jean  de  Lorraine  dans  son  entreprise 
contre  Chaligny,  Robert  avait  manqué  aux  obligations 
dont  est  tenu,  à  l'égard  de  son  vassal,  un  loyal  suze- 
rain. Aussi,  le  duc  dut-il  reconnaître  qu'il  était,  de  ce 
chef,  et  sans  doute  aussi  pour  d'autres  causes,  débiteur 
d'une  indemnité.  Par  un  traité  passé  le  13  août  1363,  huit 
arbitres  pris  parmi  les  seigneurs  de  la  région,  furent,  d'un 
commun  accord,  investis  de  la  mission  d'en  déterminer  le 
montant  (2).  Sûrement,  ils  ne  tardèrent  pas  à  rendre  leur 
décision  ;  car,  le  21  août,  le  duc  de  Bar  s'avouait  débiteur 
envers  le  comte  de  Vaudémont  et  Arnaud  de  Cervelles, 
d'une  somme  de  20,000  florins  de  Florence,  payable  en 
deux  moitiés,  l'une  immédiatement  et  l'autre  au  mois  d'oc- 
tobre. Six  chevaliers  et  quatorze  bourgeois,  fournis  par 
le  duc  de  Bar,  cautionnèrent  son  engagement  ;  il  fut  for- 
mellement stipulé  qu'à  défaut  de  paiement,  les  cautions 
se  rendraient  en  otages  à  Saint  Dizier,  conformément  à 
l'usage  si  fréquemment  suivi  à  cette  époque  (3).  Sans 

(1)  Servais,  Annales  historiques  du  Barrois^  I,  p.  143. 

(2)  Archives  Nationales,  J,  911,  n«34.  Le  texte  a  été  publié  par  Ser> 
vais,  op.  cit.,  I,  p.  4i3,  n»  78.  Cf.  Chapellier,  Essai  historique  sur 
Beaufremont,  p.  67. 

(3)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  399,  f  253-254  ;  cf.  Delaborde,  op.  cit.^ 
n*  985.  Sur  le  paiement  de  cette  indemnité,  voir  Bibi.  Nat.,  Lorraine, 
258,  fol.  9. 


—  37  — 

tarder,  deux  agents  du  duc  Robert,  sou  chapelain  Pierre 
Copiton  et  l'un  de  ses  chevaliers,  Huart  de  Bauflremont, 
parcoururent  ses  domaines  afin  d'y  recueillir  (ce  qui  ne 
fut  pas  aisé)  les  sommes  nécessaires  «  pour  la  rançon  du 
comte  de  Vaudémont  et  de  l'Archiprêtre  »  ;  dès  le  27  août 
ils  travaillaient  à  s'acquitter  de  leur  mission  (1).  Ainsi,  le 
duc  de  Bar  payait  les  frais  de  la  guerre,  ce  qui  n'est  point 
l'usage  des  vainqueurs  :  ajoutez-y  qu'il  lui  fallut  racheter 
des  prisonniers.  L'ennemi  s'était  emparé  d'un  certain 
nombre  de  ses  hommes  d'armes,  parmi  lesquels  quelques 
chevaliers  importants,  comme  Geoffroy  de  Foug,  seigneur 
de  Maxey,  Pierre  de  Moncel,  Louis  de  Sanoy,  Thîel- 
mans  (2)  :  encore  qu'il  n'en  soit  pas  question  dans  le  traité, 
nous  savons  par  d'autres  textes  que  le  duc  eut  à  se  préoc- 
cuper de  payer  leur  rançon. 

Le  duc  de  Lorraine  conclut  la  paix  un  mois  plus  tard, 
le  11  septembre.  Ce  à  quoi  il  semble  surtout  avoir  songé, 
c'est  à  racheter  ceux  de  ses  défenseurs  qui  étaient  tombés 
au  pouvoir  des  ennemis.  Il  y  en  avait  de  très  considérables, 
en  tête  desquels  on  citait  le  fameux  Brochard  de  Féné- 
trange  (3),  jadis  l'allié  du  comte  de  Vaudémont,  mainte- 

(1)  Archives  de  la  Meuse,  B,  2323,  f  49  et  59,  V.  Cf.  B,  1419  et  B, 
1736. 

(2)  Geoffroy  de  Foug,  seigneur  de  Maxey,  fut  pris  par  le  comte  de  Vau- 
démont (Archives  de  la  Meuse,  B,  1419).  Pierre  de  Voncel  et  Louis  de 
((  Sencei  »,  chevaliers,  furent  pris  par  les  Bretons  (Archives  de  la  Meuse, 
B,2323,f«  59).  Voyez  aussi  Serval?,  op,  ct£.,I,p.  144,  et  pièces  jusUfica- 
tives,  n**  79  et  IC^.  —  Les  comptes  du  Barrois  mentionnent  en  revan- 
che la  prise  de  deux  Bretons  par  les  soldats  du  duc  de  Bar  ;  ils  appar- 
tenaient à  la  compagnie  a  Batilliei  ».  (Archives  de  la  Meuse,  B^  1419, 
f"  12).  Ce  capitaine  Batilliei  ne  se  confondrait-il  pas  avec  Mondon  Ba- 
tailles, cité  plus  haut  ? 

(3)  Brochard  fut  détenu  au  château  de  Joinville,  appartenant  à 
Henri  de  Vaudémont  ;  il  s'y  trouvait  en  1364  (Delaborde,  op.  ct^, 
n*  993).  C'était  le  même  qui,  quelques  années  plus  tôt,  avait  aidé 
Henri  de  Vaudémont  dans  sa  lutte  contre  les  Compagnies  en  Champa- 
gne, et  qui,  se  trouvant  insufflsamment  payé  à  la  suite  de  cette  expé- 
dition, avait,  pour  s'indemniser,  ravagé  le  pays  qu'il  venait  de  défendre. 
(Froissart,  édit.  Luce,  V.  p.  184-185  ;  Delaborde,  op.  cit. y  p.  197.)  Avec 
lui,  les  documents  citent  d'autres  prisonniers,  notamment  Jean,  sire 


—  38  — 

tenant  son  captif.  Le  duc  fut  obligé  de  promettre  à  Vaudé« 
mont  et  à  i'Archiprètre  trente  mille  florins  pour  la  rançon 
de  ce  personnage  et  de  deux  de  ses  compagnons  d'infor- 
tune. Ce  traité  ne  donne  point  au  duc  de  Lorraine  l'allure 
d'un  triomphateur  ;  d'ailleurs,  nulle  part  il  n'y  est  question 
d'une  restitution  de  la  forteresse  de  Chaligny  au  comte  de 
Vaudémont,  restitution  qui  eût  été  nécessairement  une 
condition  de  la  paix  si  cette  forteresse  était  tombée  aux 
mains  des  coalisés  lorrains  et  barrois.  Aussi,  ces  diverses 
considérations  me  rendent  sceptique,  à  l'endroit  du  succès 
que  les  ducs  coalisés  auraient  remporté  à  Chaligny;  jus- 
qu'à preuve  contraire,  j'estime  que  les  étendards  de  Vau- 
démont et  de  l'Archiprêtre  ne  cessèrent  point  de  flotter  sur 
les  tours  de  ce  château,  en  dépit  des  attaques  de  l'armée 
ennemie. 

m 

Une  fois  la  guerre  finie,  le  comte  Henri  dut  songer  à  se 
débarrasser  de  son  auxiliaire,  qu'il  ne  pouvait  manquer  de 
trouver  quelque  peu  gênant.  Mais  il  fallait  lui  assurer  sa 
récompense;  elle  fut  déterminée  par  la  convention  du 
11  octobre  1363.  En  vertu  des  clauses  de  cet  acte,  Henri 
abandonnait  à  l'Archiprêtre,  outre  sa  propre  part  dans  les 
indemnités  payées  ou  dues  p^r  les  ducs  de  Lorraine  et  de 
Bar,  la  maison  forte  de  «  Voiny  »  dont  Vaudémont  s'était 
emparé  dans  une  guerre  antérieure  (1)  De  son  côté  Arnaud 

de  Toullon.  Pour  la  rançon  de  l'un  d'eux,  il  fallut  aussi  payer  5,000 
florins  d'or  aux  frères  de  la  Roche,  qui  avaient  combattu  avec  Vaudé- 
mont :  Ferry,  comte  de  Linange,  Brochard  de  Fenestrange  et  d'autres 
cautionnèrent. celle  rançon  :  Bibl.   Nat.,  Lorraine,  256,  fui.  14. 

(1)  Archives  de  M.-el-M.,  B,  399,  fol.  2o4-2oo  ;  voir  aussi  Lepage,  op. 
cit.,  p.  469.  —  Henri  de  Vaudémont  transporte  à  l'Archiprêtre  «  la 
maison  de  Voynies  que  il  tenait  prise  pour  certaine  guerre  que  il  avolt, 
si  comme  il  disoit,  à  Mons'  Garnier  de  Blasey,  chevalier,  dès  avant  la 
guerre  de  Lorraine  dessus  dicte,  de  laquelle  guerre  dou  dict  Mons' 
Garnier  le  dict  Mons'  de  Chastelvillain  (l'Archiprêtre)  doit  et  est  tenu 
y  aldier  le  dict  Mons'  de  Vaudémont  ».  —  On  verra  dans  la  partie 


—  39  — 

de  Cervolles  renonçait  à  ses  droits  sur  la  forteresse  de 
Gombervaux,  occupée  par  les  partisans  de  Vaudémont  au 
cours  de  la  dernière  lutte  (1).  Cette  convention  fut  exécutée 
par  TArchiprêtre.  Ayant  reçu  les  sommes  qui  lui  étaient 
dues  par  les  deux  ducs,  il  se  retira  de  la  région  lorraine  (2). 
En  septembre,  il  était  à  Saint-Dizier  ;  en  décembre,  il  avait 
amené  ses  bandes  en  Bourgogne,  où  il  aidait  le  duc  Phi- 
lippe le-Uardi  à  établir  sa  domination  en  Comté.  Tous  ses 
soldats  ne  se  montrèrent  pas  d'humeur  aussi  docile:  Tun 
d'eux,  Meneduc  de  Possède,  quoiqu'il  eût,  comme  ses  com- 
pagnons, apposé  son  sceau  aux  engagements  pris  par  TAr- 
chiprètreau  début  delà  guerre,  s'obstina  pendant  quelque 
temps,  après  la  conclusion  de  la  paix,  à  occuper  Vaucou- 
leurs,  d'où,  en  dépit  des  injonctions  d'Arnaud  de  Cervolles, 
il  faisait  des  incursions  dans  le  Barrois  (3). 

Cependant,  d'autres  préoccupations  ne  tardèrent  pas  à 
absorber  l'activité  du  comte  de  Vaudémont.  Il  eut  bientôt 
sur  les  bras  une  lutte  contre  le  seigneur  de  Bulgnéville  ;  en 
outre,  le  19  mai  1364,  il  dut  figurer  au  sacre  du  roi  de 
France  Charles  V,  qui  fut  célébré  à  Reims  avec  toute  la 


du  document  publiée  par  Lepage,  que  le  comte  de  Vaudémont  céda  à 
l'Archiprétre  sa  part,  non  seulement  dans  les  sommes  encore  dues, 
mais  en  ou  Ire  dans  celles  déjà  payées  par  les  ducs. 

(1)  Les  documents  attestent  qu'Arnaud  toucha  11,000  florins  qui 
demeuraient  dus  par  le  duc  de  Lorraine  et  10,000  qui  étaient  encore 
dus  par  le  duc  de  Bar  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  256,  fol.  14  et  15;  258,  fol.  9; 
joiguez-y  Lepage,  loc.  cit.).  C'est  seulement  le  44  novembre  1364  que 
le  duc  de  Lorraine  acheva  de  se  libérer  par  un  versement  de  1,000  flo- 
rins. (Lorraine,  256,  fol.  14.) 

(2,  Le  gros  des  partisans  d'Arnaud  parait  s'être  retiré  vers  la  Saint- 
Martin  d'hiver  (11  novembre  1363).  Denifle,  op.  cit.,  II,  p.  474. 

(3)  Le  14  septembre  1363,  des  gens  sont  envoyés  par  le  duc  de  Bar 
à  Vaucouleurs  vers  «  Mons'  Meneduc  »  et  ses  Bretons,  pour  leur  repré- 
senter les  dommages  qu'ils  infligent  injustement  au  pays  depuis  le  traité 
de  paix.  En  effet  n  Hussons  Chaumont  et  II  baillis  Lambers  a  voient 
mandei  au  prevot  qu'il  avoient  empetret  lettres  de  l'Arcepreste  à  Saint 
Disier  qu'il  mandeit  à  Mons.  Meneduc  que  feist  tout  rendre  ce  qui 
étoit  pris  en  la  paix  en  paiis  de  Monseigneur  ;  de  quoy  il  ne  veult 
riens  faire  )).  (Archives  de  la  Meuse,  B,  1419,  fol.  44.) 


—  40  - 

pompe  que  la  cour  des  Valois  savait  donner  aux  céré- 
monies où  se  déployait  la  majesté  royale.  Enfin,  d'accord 
cette  fois  avec  le  duc  de  Bar,  il  travaillait  à  délivrer  le  pays 
d'un  danger  imminent,  en  dirigeant  les  Compagnies  vers 
une  expédition  lointaine,  quand,  en  1365(1)  ou  à  une 
époque  très  voisine  de  cette  année,  une  mort  prématurée 
mit  fin  à  une  carrière  à  laquelle  n'avaient  manqué  ni  les 
combats,  ni  les  succès,  ni  les  revers,  ni  les  fautes. 

Pendant  la  plus  grande  partie  de  sa  vie,  la  situation 
financière  du  comte  fut  pour  lui  l'occasion  d'inextricables 
difficultés.  Ses  dépenses  avaient  de  beaucoup  excédé  ses 
ressources  ;  non  seulement  il  partageait  les  goûts  élégants 
et  somptueux  de  l'aristocratie  de  son  temps,  mais  il  avait 
dû  faire  face  aux  besoins  résultant  de  causes  telles  que  sou 
expédition  en  Terre  Sainte,  la  part  qu'il  prit  à  la  campagne 
de  Poitiers,  la  rançon  qu'il  lui  fallut  payer  aux  Anglais, 
la  guerre  contre  les  Anglo-Navarrais  et  les  Compagnies, 
le  rachat  du  château  de  Joinville,  enfin  les  dernières  luttes 
qu'il  soutint  en  Lorraine  et  en  Champagne  ;  joignez-y 
l'obligation  où,  vers  la  fin  de  sa  vie,  il  se  trouva  de  faire 
bonne  figure  au  sacre  de  Reims.  Sans  doute  il  avait  reçu 
quelques  secours  du  roi  de  France,  et  c'était  justice,  puis- 
que son  dévouement  à  la  cause  française  n'avait  pas  peu 
contribué  à  l'appauvrir  :  c'est  ainsi  que  le  4  août  1358,  le 
Dauphin  lui  avait  abandonné,  en  viager,  la  ville  et  la  châ- 
tellenie  de  Vaucouleurs  (2),  et  que  plus  tard,  le  11  mai 
1361,  le  roi  Jean  lui  avait  accordé  une  subvention  de 
2,000  livres  (3).  Sans  doute  aussi  Henri  de  Vaudémont 
avait  pu  inscrire  au  chapitre  de  ses  recettes  le  résultat  de 
quelques  exactions  dont  la  cour  de  France  ne  s'était  mon- 

(1)  Heori  de  Vaudémont  était  certainement  mort  dès  les  premiers 
mois  de  Tannée  1367:  cf.  L.  Germain,  Jean  de  Bourgogne  et  Pierre  de 
Genève^  comtes  de  Vaudémont,  Nancy,  1879,  p.  8  et  s. 

(2)  Deiaborde,  n*  952. 
|3)  Deiaborde,  n«  970. 


—  41  — 

trée  que  médiocrement  satisfaite  ;  les  potentats  de  la 
féodalité,  à  cette  époque,  ne  se  préoccupaient  guère  de 
mettre  leur  conduite  en  harmonie  avec  toutes  les  exigences 
d'une  conscien(!e  délicate.  Quoi  qu'il  en  soit,  chargé  de 
dettes  depuis  le  temps  de  sa  jeunesse  (1),  il  fut,  surtout  à 
dater  de  la  campagne  de  Poitiers,  en  proie  aux  réclama- 
tions incessantes  de  ses  créanciers.  La  lecture  du  catalogue 
de  ses  actes,  dressé  par  M.  H. -F.  Delaborde,  est  particuliè- 
rement instructive  (2)  ;  elle  nous  montre  le  comte  de  Vau- 
démont  réduit  aux  expédients  variés  :  ventes  à  réméré, 
emprunts  déguisés  sous  forme  de  constitutions  de  rente, 
hypothèque  ou,  comme  on  disait  alors,  «  gagière  »  de  ses 
biens.  Je  me  borne  à  relater  ici  quelques-unes  des  com- 
binaisons qui  concernent  plus  particulièrement  Chaligny 
ou  la  région  qui  Tavoisine. 

Une  constitution  de  rente,  par  laquelle  Henri  de  Vaudé 
mont  se  procura  d'un  chevalier,  Olivier  de  Sérières,  un 
capital,  d'ailleurs  assez  peu  important,  fut  gagée  sur  le  do- 
maine de  Chaligny  (3).  —  Non  loin  de  Pont  Saint- Vincent, 
du  côté  du  Vaudémont,  sur  une  côte  qui  domine  tout  le 
pays,  est  assis  le  village  de  Thelod,  berceau  d'une  famille 
chevaleresque  dont  le  représentant,  Jean,  était  le  cousin 
d'Henri  de  Vaudémont  (4)  :  Jean  rendit  à  son  parent  des 
services  «  dans  les  guerres  contre  les  rois  d'Angleterre 

(1)  Voir  la  longue  énumération  de  dettes  que  ses  héritiers  durent 
payer,  dans  un  acte  du  28  septembre  1375,  publié  par  L.  Germain  (op. 
cit.,  p.  133  et  s.). 

(2)  Delaborde,  n*  931,  933.  936,  937,  957,  958,  959  et  passim, 

(3)  11  lui  avait  donné  15  livrées  de  terre  à  petits  tournois,  annuel  et 
perpétuel  «  sur  toute  sa  terre  do  Challigney  et  dou  ban  »  ;  à  raison  de 
cette  rente  Olivier  de  Sérières  était  devenu  l'homme  lige  du  comte  de 
Vaudémont.  Le  comte  de  Vaudémont  s'était  d'ailleurs  réservé  le  droit 
de  se  libérer  en  remboursant  un  capital  de  150  livres  de  petits  tournois 
(Arch.  de  M.-et-M.,  n*  13  ;  acte  de  remboursement,  de  novembre  1376). 

(4)  La  famille  de  Thelod  a  été  souvent  confondue  k  tort  avec  les 
familles  de  Tillon  et  de  Toullon.  V.  une  note  de  M.  Léon  Germain  sur 
Jean,  sire  de  Thelod,  dans  son  travail  :  Jean  de  Bourgogne  et  Pierre  de 
Genève^  comtes  de  Vaudémont,  où  est  racontée,  pour  une  période  assez 
longue,  l'histoire  de  cette  seigneurie,  p.  109-114. 


—  42  — 

et  de  Navarre  »,  si  bien  que  le  comte,  pour  s'acquitter 
envers  lui,  ne  trouva  d'autres  moyens  que  de  lui  vendre 
à  réméré  le  «  ban  de  Veutray  (1)  »  ancienne  posses- 
sion des  Vaudémont.  —  Le  lecteur  se  rappelle  peut-être 
que  le  comte  Henri  III  de  Vaudémont  avait  favorisé  réta- 
blissement de  banquiers  lombards,  les  Buni,  à  Vézelise  et 
en  d'autres  lieux  de  ses  domaines,  notamment  à  Pont- 
Saint-Vincent  et  à  Chaligny  :  son  petit  fils  s'adressa  tout 
naturellement  dans  sa  détresse  à  la  société  des  Buni^  qui, 
le  9  janvier  1361,  lui  prêta  1.125  livres,  payables  aux  ban- 
quiers de  Vézelise,  ou,  suivant  une  clause  au  porteur  fort 
en  usage  à  cette  époque^  «  à  leur  commandement  qui  ces 
présentes  lettres  averoit  (2)  »  ;  le  18  octobre,  il  se  recon- 
naissait le  débiteur  d'autres  membres  de  la  môme  société 
établie  à  Toul  ^3).  —  Enfin,  il  ne  négligea  pas  de  recourir  à 
un  autre  procédé  au  moyen  duquel  les  seigneurs  besoi- 
gneux  ont  souvent  battu  monnaie  ;  c'est  celui  qui  consis- 
tait à  concéder  des  privilèges  qu'eux-mêmes  se  faisaient 
payer  en  espèces  sonnantes.  Ce  n'est  pas  qu'Henri  de  Vau- 
démont ait  octroyé  de  nouvelles  chartes  ;  mais  il  confirma 
celle  qu'un  de  ces  prédécesseurs  avait  accordée  en  1213  à 
à  la  ville  neuve  de  Conflans,  devenue  depuis  lors  Pont- 
Saint  Vincent  (4).  Or,  remarquez  que  depuis  plus  de  cent 
cinquante  ans,  personne  n'avait  estimé  utile  de  faire  renou- 

(I)  Blbl.  Nat.,  Lorraine,  256,  fol.  6;  Delaborde,  n»  £KJ8  et  959.  Ce 
village,  connu  actuellement  sous  le  nom  de  Vitrcy,  fait  partie  du  can- 
ton de  Vézelise,  département  de  Meurthe-et-Moselle. 

(â)  Acte  du  9  juillet  1^)1  ;  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  â56,  fol.  12  et  13  : 
résumé  par  Delnbordo,  n*  972. 

(3)  Henri  se  reconnaît  débiteur  de  «  Ballequin  et  de  Jenion,  dis 
Buny,  f reires,  demorans  à  Toul  ».  (Bibl.  Nat.,  lorraine,  256,  fol.  4i; 
Delaborde,  n*>  91a.)  L'acte  du  28  septembre  1375  cité  plus  haut  (Arch.  de 
M.ct-M.,  B,  399,  fol.  ^8)  mentionne  1,400  florins  dus  aux  Lombards. 

(4)  Confirmation  du  28  août  13ti2,  aux  Archives  de  M.-et-M.,  B,  419, 
fol.  290-296.  Là  se  trouvent  la  charte  primitive,  datée  de  1213,  et  ses 
diverses  confirmations  :  celle-ci  est  la  première.  Le  texte  de  136i  est 
un  texte  français;  il  a  été  publié  par  Lepage,  Les  Communes  de  la 
Meurihe,  v*  PontSaint-Vincent. 


-  43  - 

vêler  ce  privilège  ;  aussi,  n'est-il  pas  téméraire  de  supposer 
que  le  comte  de  Vaudémont  imposa  cette  confirmation 
afin  d'avoir  l'occasion  de  tirer  des  intéressés  quelque 
somme  d'argent. 

En  dépit  de  toutes  ces  combinaisons,  Théritier  des  Vau- 
démont et  des  Joinville  avait  sensiblement  amoindri  le 
patrimoine  de  ses  ancêtres.  Sans  doute  la  mort  épargna 
au  jeune  comte  la  douleur  d'assister  à  sa  propre  déca- 
dence; mais  il  laissait  à  sa  veuve  et  à  ses  enfants  une 
situation  pleine  de  difficultés  et  de  périls. 

IV 

Henri  avait  épousé  en  1353  Marie,  fille  de  Jean  de 
Luxembourg,  seigneur  de  Ligny-en-Barrois.  La  comtesse 
de  Joinville-Vaudémont  appartenait  à  l'illustre  famille, 
étroitement  alliée  aux  Valois,  qui  donna  au  xiv^  siècle 
plusieurs  rois  à  la  Bohême  et  plusieurs  empereurs  à  l'Occi- 
dent ;  cette  alliance  était  un  titre  d'honneur  en  plus  pour 
la  maison  de  Joinville,  qui,  dès  le  xiip  siècle,  se  flattait  de 
confiner  avec  les  princes  de  la  maison  de  Souabe(l).  De  ce 
mariage  étaient  nées  deux  filles,  Marguerite  et  Alice,  dont 
l'aînée  avait  à  peine  douze  ans  lors  de  la  mort  de  son 
père  (2).  C'est  sur  ces  orphelines  que  retombait  le  fardeau 
des  dettes  du  dernier  des  Joinville  et  des  Vaudémont. 

Fort  heureusement  il  semble  certain  que  leur  mère, 
Marie  de  Luxembourg,  par  une  gestion  prudente  de  leur 

(1)  «  Li  grans  amlraus  des  galles  m'envoia  querre  ;  et  il  me  de- 
manda si  je  lenoie  riens  de  lignaige  à  l'onipereour  Ferri  d'Allemaingne 
qui  lors  vivoit  (Frédéric  II)  ;  et  je  li  respondi  que  je  entendoie  que 
madame  ma  mère  esloit  sa  cousine  germainne.  u  (Joinville.  édit.  de 
VVailly,  c.  lxv.)  M.  Simonnet,  l'historien  des  Joinville,  croit  que  la  pa- 
renté était  beaucoup  plus  éloignée  {Essai  sur  l'histoire  des  sires  de 
Joinville^  p.  99». 

(â)  Sur  les  filles  et  les  gendres  do  Henri  do  Vaudémont,  consulter 
l'important  travail  de  M.  L.  Germain  dans  le  tome  xxix  des  Mémoires 
de  la  S.  À.  L,  Ce  travail,  cité  plus  haut  (p.  40,  note  1),  a  été  tiré  à 
part  avec  des  développements  considérables. 


—  44  — 

fortune,  ne  contribua  pas  médiocrement  à  relever  l'état 
financier  de  ses  enfants.  Un  fait  démontre  qu'elle  s'efforça 
de  tirer  parti  de  toutes  les  ressources  laissées  à  sa  disposi- 
tion :  à  Chaligny,  où  elle  prenait  son  douaire  (1),  elle  créa, 
pour  exploiter  le  minerai  de  fer  si  abondant  dans  la  région, 
des  forges  qui  existaient  encore  au  commencement  du  xv« 
siècle  (2)  et  qui  semblent  avoir  disparu  au  cours  de  ce  siècle. 
Ce  qu'elle  fit  à  Chaligny,  elle  le  fit  sans  doute  ailleurs  ; 
c'est  ainsi  qu'elle  put  rembourser  à  Thirion  de  St-Germain 
et  à  sa  femme Odiernele  capital  jadis  empruntée  Henri  de 
Sérières,  le  père  d'Odierne,  par  le  comte  Henri  de  Vaudé- 
mont  (3).  Au  surplus,  Marie  de  Luxembourg  sut,  elle  aussi, 
recourir  à  des  moyens  déjà  employés  par  le  comte  Henri  ; 
en  1368,  elle  imposa  (le  mot  peut  être  employé  sans  témé- 
rité) aux  habitants  du  Pont-St-Vincent  une  nouvelle  confir- 
mation de  leurs  libertés,  quoique,  six  ans  plus  tôt,  ils  en 
eussent  obtenu  une  de  son  mari  (4).  Par  ces  procédés,  la 
veuve  du  comte  Henri  contribua  pour  sa  part  à  relever  la 
fortune  de  ses  enfants.  Elle  même  se  trouva  en  mesure  d'ac- 
quérir les  domaines  de  Morancourt,  Mussey  et  Mathons, 

(1)  Déjà  le  contrat  de  mariage  de  Marie  lui  avait  conféré  des  droits 
sur  Chaligny.  Par  ce  contrat,  daté  du  19  mai  1353,  Henri  de  Vaudé- 
mont  reconnaît  avoir  reçu  à  titre  de  dot  17,000  livres  en  argent  ;  en 
revanche,  il  confère  à  Marie  1700  livres  de  rentes,  qui  doivent  être 
pour  elle  un  propre,  à  savoir  ;  600  livres  sur  Ctiaumont,  300  livres  sur 
Reynel,  et  800  sur  Chaligny  (Delaborde,  op.  cit.,  n*  938). 

(2)  L'existence  des  forges  de  Chaligny  est  révélée  par  des  discussions 
qui  se  produisirent  à  la  mort  de  Marie  de  Luxembourg  pour  savoir  si 
ces  forges  devaient  être  considérées  dans  sa  succession  comme  un  con- 
quêt  (Bibl.  Nal.,  Lorraine,  258,  fol.  13  :  accord  passé  en  1383  à  pro- 
pos de  cette  question).  —  Le  dénombrement  de  1410  dont  il  sera  ques- 
tion plus  loin  mentionne  encore  des  forges  à  Chaligny  ;  ensuite  II  n'en 
est  plus  parlé.  A  coup  sûr  elles  n'existaient  plus  au  xvi«  siècle. 

(3)  Acte  de  remboursement  du  17  novembre  1376,  cité  plus  haut, 
p.  41,  note  3.  Les  héritiers  d'Olivier  de  Sérières  durent,  en  échange  du 
capital  remboursé,  établir  en  faveur  de  Marie  de  Luxembourg  une 
rente  annuelle  de  quinze  livres  assignée  sur  leurs  francs-alleux  de 
Tonnoy-sur-Moselle  ;  cette  rente  devait  être  tenue  à  hommage  lige  de 
Marie  de  Luxembourg. 

(4)  Voir  cette  conûrmation,  à  la  suite  de  la  précédente,  aux  Archives 
de  M.-et-M.,  B,  419,  fol.  290-296.  Elle  date  du  13  décembre  1368. 


-  45  - 

ea  Bassigny,  anciennes  propriétés  des  sires  de  Joinville  (1), 
qui  étaient  sorties  des  mains  du  chef  de  la  famille. 

Je  ne  sais  si  le  souci  de  marier  ses  filles  causa  beaucoup 
d'angoisses  à  Marie  de  Luxembourg  (2).  En  tout  cas,  ces 
angoisses  ne  furent  pas  de  longue  durée  ;  car  Tatnée,  Mar- 
guerite, n'avait  pas  quatorze  ans  quand,  en  1367,  elle 
épousa  un  membre  de  la  maison  comtale  de  Bourgogne; 
c'était  Jean  de  Bourgogne,  sire  de  Montagu,  marié  en  pre- 
mières noces  à  Marie  de  Châteauvillain.  Veuve  au  bout  de 
peu  d'années  de  mariage  (3),  Marguerite,  en  1374,  convola 
avec  Pierre,  comte  de  Genève,  frère  de  ce  cardinal  Robert 
de  Genève  si  connu  dans  Thistoire  de  TËglise  pour  avoir 
ceint  la  tiare  en  1378  sous  le  nom  de  Clément  VII,  lors  de  la 
double  élection  qui  futTorigine  du  grand  schisme.  Devenue 
veuve  une  seconde  fois  (4),  Marguerite,  âgée  d'environ 
trente-huit  ans,  épousa,  en  1393  (5),  Ferry  de  Lorraine,  fils 
cadet  du  duc  de  Lorraine,  Jean  P',  et  frère  du  duc  Char- 
les II.  Ferry,  qui  portait  les  titres  de  seigneur  de  Rumigny 
et  de  Boves,  auxquels  grâce  à  son  mariage  il  joignit  ceux 
de  comte  de  Vaudémont  et  de  Joinville,  fut  tué  en  1415  à 
Azincourt,  où  il  combattait  dans  les  rangs  de  l'armée  fran- 

(1)  28  décembre  4376  :  Vidimus  de  la  vente  faite  par  le  comte  Jean 
de  Salm  à  Marie  de  Luxembourg  des  terres  de  Mussey,  Mathons  et 
Morancourt  (Delaborde,  op  cit.,  n"  1017).  Il  suffit  de  parcourir  le  cata- 
logue dressé  par  M.  Delaborde  pour  se  convaincre  que  Morancourt, 
Mussey  et  Mathons  étaient  d'anciens  domaines  des  Joinville. 

(2)  Sur  les  questions  relatives  à  ces  mariages,  voir  le  mémoire  pré- 
cité de  M.  L.  Germain. 

(3)  Jean  de  Bourgogne  vivait  encore  le  1"  septembre  1370;  Bibl.  Nat., 
Lorraine,  ^6,  n«  26. 

(4)  Le  25  juin  1387,  à  Annecy,  Marguerite,  encore  sans  enfants,  fit  son 
testament  par  lequel  elle  institua  pour  héritière  universelle  sa  sœur  Alice 
(Delaborde,  n»  1039).  Ce  testament  fut  plus  tard  révoqué  ou  devint 
caduc  ;  en  tout  cas  11  atteste  la  bonne  harmonie  qui  régnait  entre  les 
deux  sœurs. 

(5)  Le  mariage  fut  célébré  avant  le  5  septembre  1393.  Ce  Jour-là 
Ferry  et  sa  femme  se  trouvèrent  à  Pont-Saint- Vincent,  où  leur  maître 
d'hôtel  acheta  du  poisson  à  deux  pécheurs  du  village.  Ils  séjournaient 
au  château  du  Pont  qui  leur  appartenait.  (Archives  de  M.-et-M.,  B, 
9700.)  Ils  y  revinrent  de  temps  en  temps. 


—  46  — 

çaise.  Il  laissa  à  sa  veuve,  de  ce  troisième  mariage  qui 
seul  fut  fécond,  plusieurs  enfants,  dont  Taîné,  Antoine, 
comte  de  Vaudémont,  fut  Taïeul  du  duc  René  II  de  Lor- 
raine et  la  souche  de  Tillustre  lignée  dont  le  chef  règne  de 
nos  jours  sur  la  monarchie  Austro  Hongroise  (1). 

Ces  vicissitudes  matrimoniales  de  la  fille  aînée  d'Henri  de 
Joinville  n'exercèrent  aucune  influence  sur  le  sort  de  la 
seigneurie  de  Chaligny,  qui  n'appartint  jamais  à  Margue- 
rite. Il  n'en  fut  pas  de  môme  du  mariage  qu'Alice,  la  sœur 
cadette  de  Marguerite,  contracta  en  1373.  A  cette  époque 
Alice,  à  peine  sortie  de  l'enfance,  épousa  l'héritier  d'une 
des  maisons  les  plus  considérables  de  la  Comté.  Dans  une 
vallée  latérale  qui  rejoint  à  Pont  de  Roide  la  vallée  du 
Doubs,  se  voient  encore  les  ruines  du  château  fort  de  Neuf- 
châtel,  dominant  le  village  auquel  il  a  donné  son  nom. 
C'est  là  qu'avait  peu  à  peu  grandi  une  noble  famille  dont 
l'autorité  devait  s'étendre  au  loin  en  Comté  et  dans  les 
régions  voisines  (2).  De  son  origine  elle  garda  le  nom  de 
Neufchâtel.  auquel  un  usage  fréquemment  suivi  prescrit 
d'ajouter  le  nom  de  Bourgogne,  pour  éviter  toute  confusion 
entre  celte  famille  et  la  famille  de  Neufchâtel-sur-le-Lac.  A 
l'époque  qui  nous  occupe,  le  chef  des  Neufchâtel -Bourgo- 
gne était  Thiébaut,  VP  du  nom,  constitué  gardien  de  la 
Comté  au  cours  des  événements  qui  avaient  profondément 
agité  ce  pays  au  temps  des  rois  de  France  Philippe  de 
Valois  et  Jean  II.  Grâce  sans  doute  à  la  puissance  et  au 
prestige  des  Neufchâtel,  un  frère  cadet  de  Thiébaut  VI, 


(1)  Sur  Ferry,  consulter,  outre  M.  Fr.  Delaborde,  op.  cit.^  le  travail 
de  M.  Léon  Germain  :  Ferry  I"  de  Lorraine,  comte  de  Vaudémont, 
dans  les  Mémoires  de  la  S.  A.  I.,  1881,  travail  tiré  à  part  avec  des 
additions  importantes. 

(â;  Sur  la  famille  de  Neufchâtel,  consulter  l'ouvrage  de  M.  l'abbé 
Loye,  Histoire  de  la  seigneurie  de  Neufchatel-Bourgogne  (Montbé> 
liard,  1890).  Sur  l'origine  de  cette  famille,  voir  la  tradition  ou  la  légende 
rapportée  par  M.  Léon  Germain  :  Jean  de  Bourgogne  et  Pierre  de 
Genève,  p.  115. 


-  47  - 

nommé  Jean,  fut  élu  évéque  de  Toul  en  1372  (1).  C'est  le 
même  prélat  qui,  partisan  dévoué  de  Clément  VII  dès  le 
début  du  grand  schisme,  fut  créé  par  lui  cardinal  du  titre 
des  Quatre-Couronnés  et  joua  un  rôle  important  dans  l'his- 
toire troublée  du  pontificat  de  Benoît  XIII  à  Avignon. 
Ce  n'était  pas  seulement  par  l'intermédiaire  de  son  frère 
l'évêque  de  Toul  que  Thiébaut  VI  s'était  trouvé  en  relations 
étroites  avec  la  Lorraine  ;  lui-môme,  par  son  mariage  (2), 
était  devenu  le  beau -frère  de  ce  Jean  de  Bourgogne-Montagu 
qui  fut  le  premier  mari  de  Marguerite,  la  fille  aînée  du 
comte  Henri  de  Vaudémont.  Les  Neufchâtel-Bourgogne  ne 
pouvaient  donc  être  des  étrangers  pour  les  Vaudémont- 
Joinville.  Ainsi  s'explique  peut-être  le  mariage  contracté 
en  1373  (3)  entre  Alice  de  Vaudémont  et  le  fils  aîné  du  sire 

(i)  Sur  ce  prélat,  voir  abbé  Martin,  Histoire  des  diocèses  de  Toul,  de 
Nancy  et  de  Saint-Dié,  ï,  p.  371  et  s.  —  Si  Jean  de  Neufchâtel  et  sa 
famille  appartinrent  à  l'obédience  de  Clément  VII,  il  est  à  remarquer 
qu'il  en  fut  de  même  des  Vaudémont,  et  cela  tout  naturellement, 
puisque  Clément  VII  était  le  propre  frère  de  Pierre  de  Genève,  qui  fut 
comte  de  Vaudémont  par  son  mariage  avec  Marguerite,  la  fille  ainée 
du  comte  Henri.  Topt  ce  milieu  était  d'ailleurs  dévoué  au  parti  clémen- 
tin  :  la  veuve  du  comte  Henri,  Marie  de  Luxembourg,  était  la  proche 
parente  du  bienheureux  Pierre  de  Luxembourg,  qui  fut  cardinal  d'Avi- 
gnon :  sa  fille  Marguerite,  en  13;)2,  avait  fondé  à  Annecy  une  chapelle 
en  l'honneur  de  son  parent,  qu'elle  qualifie  déjà  de  bienheureux  (L. 
Germain,  op,  cit.,  p.  84  à  io8).  Cette  même  Marguerite  subit  plus 
tard  l'influence  de  sainte  Colette  de  Corbie  (Luce,  Jeanne  d'Arc  à  Dom  - 
rémy,  p.  297,  note)  qui,  elle  aussi,  reconnaissait  le  pape  d'Avignon.  Sur 
l'état  des  diocèses  lorrains  à  cette  époque,  voir  Noél  Valois,  la  France 
et  le  Grand  Schisme,  I,  p.  284  et  II,  p.  301  ;  sur  l'histoire  de  Jean  de 
Neufchâtel,  voir  le  même  auteur,  III,  p.  2(fô  et  passim. 

(â)  Il  avait  épousé  Marguerite,  sœur  de  Jean  do  Bourgogne-Montagu, 
qui  fit  entrer  le  titre  de  Monlagu  dans  la  famille  de  Neufchâtel.  —  Cf. 
Léon  Germain,  Jean  de  Bourgogne,  p.  48. 

(3)  Le  contrat  de  mariage  d'Alice  de  Vaudémont  et  du  jeune  Thié- 
baut VU,  fils  de  Thiébaut  VI  de  Neufchâtel.  est  daté  du  25  mai  1373 
(Delaborde,  n*  1007).  L'acte  est  mentionné  dans  un  inventaire  des  Ar- 
chives de  Joinville  (Archives  Nationales,  KK,  906,  fol.  415).  Au  contrat 
le  fiancé,  encore  mineur,  fut  représenté  par  son  père  Thiébaut  VI  :  il 
en  fut  de  môme  dans  les  arrangements  de  famille  passés  en  1374  et  1375 
relativement  au  paiement  des  dettes  de  Henri  de  Vaudémont.  (Voir  ci- 
dessous,  p.  50,  note  3.) 


-  48- 

de  Neufchâtel,  qui  portait  comme  son  père  le  nom  de  Thié- 
baut,  et  y  ajoutait  le  titre  assez  obscur  de  sire  de  Chas- 
tellot  (1).  Par  les  acquisitions  de  seigneuries  mosellanes  qui 
en  furent  la  suite  naturelle,  ce  mariage  devait,  comme  on 
le  verra,  entraîner  des  conséquences  graves  à  la  fois  pour 
la  Lorraine  et  pour  la  maison  de  Neufchâtel. 

En  efiet,  dès  le  mariage  de  Taînée  des  filles  de  Henri  de 
Vaudémont  et  de  Marie  de  Luxembourg,  c'est-à-dire  dès 
1367,  il  avait  fallu  déterminer  par  un  partage  les  droits  de 
chacune  des  deux  sœurs  sur  les  domaines  provenant  de  la 
succession  de  leur  père  (2).  Les  deux  grandes  seigneuries, 
Vaudémont  et  Joinville,  formèrent  la  part  de  la  fille  aînée, 
Marguerite,  qui,  ainsr  qu  on  l'a  dit  plus  haut,  les  porta  par 
son  troisième  mariage  à  un  membre  de  la  maison  de  Lor- 
raine. La  fille  cadette,  Alice,  qui  était  à  cette  époque  sous  la 
garde  de  sa  sœur  aînée  et  de  son  beau-frère,  reçut  les  châ- 
teaux et  les  chatellenies  de  Châtel-sur-Moselle  et  de  Bain- 
ville-aux-Miroirs,  anciensJXiefs  tenus  des  ducs  de  Bar  par 
les  comtes  de  Vaudémont  (3).  Des  biens  des  Joinville,  elle 
recueillit  pour  sa  part  la  seigneurie  de  la  Perté-sur- 
Amance  et  aussi  celle  de  Reynel  ;  le  titre  de  Reynel  fut 

(1)  Sur  la  terre  du  Chastellot,  cf.  abbé  Loye,  p.  25  et  passim.  C'est 
sur  cette  terre  que  fut  constitué  le  domaine  d'Alice  de  Vaudémont 
(Contrat  de  mariage  d'Alice  ;  Delaborde,  n*  1008).  Le  mari  d'Alice, 
étant  mort  avant  son  père,  ne  fut  connu  que  sous  le  nom.  de  sire  du 
Chastellot.  C'est  sous  ce  titre  qu'en  1400,  dans  l'hommage  qu'elle  rend 
au  duc  de  Bar  pour  Châ tel  sur-Moselle,  Alice  mentionne  son  mari 
défunt  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  351,  fol.  1). 

(2)  22  novembre  4367  ;  Delaborde,  n»  998.  —  A  parUr  de  1367,  Alice 
est  sous  la  «  tutelle  et  le  gouvernement  »  de  sa  sœur  ainée  Marguerite  ; 
et  de  Jean  de  Bourgogne-Montagu,  époux  de  Marguerite.  Voir  ci-des- 
sous, p.  50,  note  1 . 

(3)  Thiébaut  VI  do  Neufchâtel  reconnaît,  le  29  mai  1373,  avoir  reçu 
au  nom  de  soniils  mineur  Thiébaut  VII,  époux  d'Alice  de  Vaudémont, 
les  châteaux  et  chasteilenies  de  Châtel-sur-Moselle  et  de  Bainville-aux- 
Mlroirs,  à  l'exception  de  Houd reville  et  de  Vroncourt  (villages  qui  par 
leur  situation  géographique  se  rattachent  naturellement  au  Vaudémont). 
Ces  deux  villages  demeureront  à  Marguerite  de  Vaudémont  et  à  son 
mari  (Delaborde,  op.  ci7.,  n*  1009  ;  texte  imprimé  par  L.  Germain, 
Jean  de  Bourgogne  et  Pierre  de  Genève,  q.  121). 


—  49  — 

porté  par  elle  même,  par  son  mari  et  par  plusieurs  de  ses 
descendants  (1).  Il  va  sans  dire  que  tous  ces  domaines  de- 
vaient passer  aux  Neufchâtel  en  conséquence  du  mariage 
d'Alice. 

La  seigneurie  de  Chaligny  parait  être  demeurée  aux 
mains  de  Marie  de  Luxembourg  ;  elle  fit  vraisemblable- 
ment partie  de  son  douaire  (2).  Quand  Marie  mourut  peu 
après  137i),  Chaligny,  sans  doute  en  exécution  d'arrange- 
ments antérieurs,  vint  accroître  la  part  d'Alice  ;  dès  lors 
elle  put  à  bon  droit  prendre  les  titres  qu'elle  se  donna  dans 
son  testament,  où  elle  s'intitule  :  «  dame  de  Chastellot,  de 
Chastel-sur  Moselle,  de  Rinel  et  de  Challegney  (3)  ».  Dans 
son  entourage,  on  la  distinguait  simplement  sous  le  nom 
de  «  Madame  de  Châtel  »,  emprunté  au  plus  important  de 
ses  domaines  (4). 


Les  soucis  d'ordre  financier  n'avaient  point  été  épargnés 
aux  filles  et  aux  gendres  de  Marie  de  Luxembourg.  A 

(1)  La  Ferté-sur-Amance  (Haute-Marne)  faisait  partie  des  biens  de 
Joinville.  Cette  terre  passa  ^  Alice  et  à  ses  enfants  (Cf.  Hermerel, 
Les  Monnaies  des  comtes  de  Vaudémont,  Mémoires  de  la  S.  A.  I., 
XLiii,  année  1893,  p.  177).  —  Les  témoignages  ne  manquent  pas  en 
ce  qui  concerne  Reynel.  Dans  un  acte  du  12  janvier  1384  (a.  s.), 
Thiébaut  de  Neufchâtel,  mari  d'Alice,  s'intitule  chevalier,  sire  de 
Rinel  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  256,  n"  37).  Elle-même  en  14(fô  (Lorraine, 
257,  fol.  3),  en  1412  (Lorraine,  386,  fol.  23  et  S4),  et  dans  son  testament 
(voir  ci-dessous),  fait  figurer  Reynel  dans  ses  titres,  ou  parfois  s'inUtule 
simplement  a  dame  de  Rinel  ».  Le  titre  demeura  dans  sa  descendance  : 
un  petit-fils  d'Alice,  le  second  fils  de  Thiébaut  VIII,  s'appellera  u  sei- 
gneur de  Montagu  et  de  Reynel  »  (Olivier  de  la  Marche,  édition  de  la 
Société  d'Histoire  de  France,  I,  p.  273). 

(2)  Par  son  contrat  de  mariage  du  19  mai  1353  (H.  F.  -Delaborde,  op. 
cit.,  n*  938),  Marie  de  Luxembourg  avait  reçu,  en  échange  de  sa  dot 
de  17,000  livres,  1,700  livres  de  rente,  dont  800  sur  Chaligny.  Il  semble 
d'ailleurs  que  Chaligny  lui  ait  été  ailecté  exclusivement,  et  ne  soit 
revenu  k  ses  enfants  qu'après  sa  mort.  Marie  de  Luxembourg  vivait 
encore  le  17  novembre  1376.  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  599,  n<*  13.) 

(3)  Voir  ci-dessous,  p.  6. 

(4)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  9702,  Comptes  de  Vaudémont. 


-  50  - 

peine  Jean  de  Bourgogne  avait-il  épousé  la  fille  aînée  de 
Marie  qu'il  dut  s'ingéniera  satisfaire  des  créanciers,  tant 
pour  le  compte  de  sa  femme  que  dans  Tintérét  de  sa  belle- 
sœur  Alice,  dont  il  avait  «  la  tutelle  et  le  gouvernement  ». 
C'est  ainsi  que  nous  le  voyons,  à  l'exemple  de  Henri  de  Join  - 
ville-Vaudémont,  recourir  aux  procédés  bien  connus  de  la 
vente  à  réméré  (1)  et  de  la  concession  de  privilèges  (2). 
Grâce  à  ces  moyens,  il  gagna  du  temps  et  subvint  aux 
nécessités  les  plus  pressantes  ;  mais  ce  ne  fut  qu'après  le 
mariage  d'Alice,  célébré  en  1374,  qu'intervint  entre  son 
mari  Thiébaut  VII  de  Neuf châ tel  et  son  beau  frère  (c'était 
déjà  Pierre  de  Genève,  qui  avait  remplacé  Jean  de  Bour- 
gogne) une  convention  répartissant  entre  les  deux  sœurs 
les  dettes  de  leur  père  (3).  Enfin  des  négociations  labo- 
rieuses eurent  lieu  entre  les  deux  beaux-frères,  Genève  et 
Neufchûtel,  lorsqu'il  s'agit  de  partager  entre  leurs  femmes 
la  succession  de  Marie  de  Luxembourg.  Un  testament,  par 

(I)  Vente  à  réméré,  le  1"  septembre  1370,  psir  un  acte  daté  d'Arc- 
en-Barrois,  de  80  livreras  de  terre  qui  seront  prises  au  comté  de 
Vaudémont.  Cotte  vente  est  consentie,  pour  800  florins  de  Florence,  à 
Liebaud  IV  de  BaufTremont  par  Marguerite  et  son  mari  Jean  de  Bour- 
gogne. Tous  deux  se  portent  forts  pour  «  Aalis  de  Waudemont,  dont  ils 
ont  la  tutelle  et  le  gouvernement  ».  (L'atnée  des  deux  sœurs,  Mar- 
guerite, avait  alors  tout  au  plus  seize  ans.)  Bibl.  Na t..  Lorraine,  256,  n'*26. 

Déjà  en  1368  les  intérêts  d'Alice  étaient  conûés  aux  soins,  non  pas  de 
sa  mère,  mais  de  son  beau-frère  et  de  sa  sœur  :  Delabordc,  op.  cit., 
n"  lOOâ,  acte  concernant  le  rachat  de  «  gagières  »  (l'extinction  d'hypo- 
thtViues)  consenties  par  Henri  de  Vaudémont. 

(t)  Jean  de  Bourgogne  et  Marguerite  sa  femme,  par  acte  passé 
i\  Vézeiise  le  19  février  1369,  afTranchirent  les  habitants  de  Vaudémont 
de  la  main-morte,  à  charge  d'entretenir  les  fortiûcations  du  grand 
bourg  do  Vaudémont.  Archives  de  M.-etM.,  B,  3î)9  ;  Germain,  op.  cit.^ 
p.  389  ;  Lepage,  Lea  Communes  de  la  Meurthe,  v«  floudreville  ; 
Delaborde,  n"  1001.  Cette  charte  fut  renouvelée  à  Vézeiise,  le  le  mai  1376 
par  Marguerite  et  Pierre  do  Genève  son  second  mari  ;  Germain,  op.  cit.^ 
p.  409  ;  Lepage,  op.  cit.,  V  Vaudémont  ;  Delaborde,  n»  1013. 

(3)  On  peut,  sur  cette  question,  consulter  deux  actes  passés  entre  les 
Vaudémont  et  les  Neufchâtel,  ou  plus  exactement  (car  les  deux  Glles 
d'Henri  de  Vaudémont  étalent  fort  jeunes)  entre  leurs  maris  Pierre 
de  Genève  et  Thiébaut  Vil  de  NeufchAtel,  celui-ci  encore  représenté 
par  son  père,  sans  doute  à  cause  de  sa  grande  jeunesse.  L'un  de  ces 


—  51  - 

lequel,  en  disposant  de  ses  meubles  et  acquêts,  la  comtesse 
de  Joinville-Vaudémont  avantageait  les  Genève  au  détriment 
des  Neufchâtel,  faillit  allumer  la  discorde  entre  les  deux 
branches.  Fort  heureusement  un  accord  fut  conclu  (1),  que 
sanctionna,  le  13  novembre  1382,  un  arrêt  du  Parlement 
de  Paris  ;  remarquez  que  Tintervention  du  Parlement, 
d'ailleurs  sollicitée  par  les  intéressés,  s'expliquait  par  ce 
fait  que  la  seigneurie  de  Joinville  relevait  de  la  couronne 
de  France,  et  qu'une  portion  au  moins  des  biens  litigieux 
avait  été  mise  sous  la  main  du  Roi.  Le  principe  de  l'ac- 
cord approuvé  par  le  Parlement  était  que  tous  les  meu- 
bles et  acquêts  de  la  défunte,  où  qu'ils  se  trouvassent,  en 
France  (c'est  à-dire  à  Joinville)  ou  dans  l'Empire  (c'est- 
à  dire  à  Chaligny)  seraient  divisés  en  deux  parts,  en  telle 
manière  que  les  Genève  devaient  prendre  les  meubles  et 
acquêts  dépendant  de  Joinville,  tandis  qu'aux  Neufchâtel 
seraient  attribués  les  meubles  et  acquêts  dépendant  de 
Chaligny,  et  notamment  les  forges  créées  dans  ce  domaine, 
si  toutefois  elles  devaient  être  considérées  comme  des 
acquêts.    Au  cas  où  les  deux  masses    des    meubles   et 

actes  est  du  16  décembre  i374  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  2^,  fol.  32). 
L'autre  a  été  passé  à  Langres,  le  28  septembre  1375.  Il  y  est  dit  que 
chacune  des  filles  d'Henri  paiera  la  moitié  des  dettes  de  leur  père  : 
chacun  des  beaux-frères  énumère  les  dettes  dont  lui  et  sa  femme 
assument  la  responsabilité.  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  399,  f*  ^8  et  s.  ; 
B,  400,  fi  et  s.  ;  publié  par  L.  Germain,  Jean  de  Bourgogne,  p.  133  el  s.). 
(1)  Le  5  juillet  1381,  les  deux  beaux-frères,  Pierre  de  Genève  et 
Thiébaut  de  Neufchâtel,  ratifient  sur  cette  affaire  un  arrangement 
antérieur,  passé  à  Langres  entre  leurs  représentants  le  25  juin  (Bibl. 
Nat.,  Lorraine.  258,  n"  11  et  12.  —  (L.  Germain,  op.  cit.,  p.  143).  L'arrêt 
du  Parlement,  daté  du  13  novembre  1382,  se  trouve  aux  Archives 
Nationales,  Parlement,  Accords,  X'^  45,  pièce  126.  Les  deux  beaux- 
frères  en  réglèrent  l'exécution  par  une  longue  convention  du  30  avril 
1383  (Lorraine,  258,  n"*  13)  ;  il  y  est  convenu  qu'on  devra  rechercher 
si  les  forges  de  Chaligny  sont  propres  ou  acquêts.  En  tout  cas  la  dame 
de  Neufchâtel  les  conservera  ;  mais  si  ce  sont  des  acquêts  de  sa  mère, 
elle  devra  récompense  de  la  moitié  de  leur  valeur.  Le  12  janvier  1385, 
Thiébaut  donnait  quittance  à  Pierre  de  Genève  de  400  francs  dus  à  sa 
femme,  sans  doute  pour  soulte  de  partage  (Lorraine,  256,  n'  37).  Ainsi  se 
terminait  cette  longue  affaire. 


-S2  — 

d'acquêts  se  trouveraient  de  valeur  inégale,  Tégalité  serait 
établie   au    moyen    de   récompenses  pécuniaires.    Ainsi 
serait  atteint  le  but  poursuivi  par  les  parties,  qui  était  de 
mettre  fin  à  toute  indivision,  «  por  ce  que,  co>mme  le  dit 
Tarrêt  du  Parlement,  communité  norrit  discorde  ».  Des 
pourparlers,  engagés  entre  les  deux  branches  de  la  famille 
de  Joinville-Vaudémont  pour  régler  toutes  les  questions 
qui  les  divisaient  d'après  les  principes  posés  par  Tarrét,  se 
prolongèrent  au  moins  jusqu'en  1385  (1).  Enfin  les  Neuf- 
châtel  virent  leur  situation  consolidée  à  Chaligny,  qu'ils 
conservèrent  avec  toutes  ses  dépendances,  non  cependant 
sans  avoir  encore  à  se  défendre  contre  quelques  réclama- 
tions tardives  des  créanciers  de  Henri  de  Joinville-Vau- 
démont (2). 

Nous  ne  savons  que  fort  peu  de  chose  de  la  carrière 
de  Thiébaut  VII  de  Neufchâtel,  l'époux  d'Alice  de  Join- 
ville  (3).  Comme  on  Ta  vu,  il  était  très  jeune  lors  de  la 
célébration  de  son  mariage,  qui  eut  lieu  en  1373.  D'humeur 
belliqueuse  comme  la  plupart  de  ses  contemporains,  il 
accepta  en  1396,  d*accompagner  au  «  voyage  de  Hongrie  », 


(1)  Voir  la  note  précédente,  attestant  le  paiement  d'une  soulte  par 
Pierre  de  Genève,  à  la  suite  du  partage  des  acquêts. 

(2)  En  1405,  Alice  de  Vaudémont  et  son  beau-frère  Ferry  de  Lorraine 
étaient  encore  inquiétés  pour  diverses  sommes  dues  par  feu  Henri  de 
Joinville  au  Trésor  royal  de  France  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  257,  fol.  3). 

(3)  M.  l'abbé  Loye  (op.  cit.,  p.  160)  dit  que  Thiébaut  VU  avait  aidé 
son  père  dans  l'administration  de  ses  domaines.  Il  ajoute  que,  lo 
il  novembre  1395,  à  Laufon,  Thiébaut  VII  était  auprès  de  son  père 
lorsque  celui-ci,  nommé  pour  le  chapitre  de  Bâle  administrateur  tem- 
porel des  biens  de  l'église,  prêta  serment  de  fidélité  au  chapitre.  On 
sait  que  le  chapitre  avait  choisi  pour  évéque  Humbert  de  Neufchâtel, 
jeune  fils  de  Thiébaut  VI  (Loye,  p.  14i).  Le  27  janvier  1396,  c'est-à-dire 
quelques  mois  avant  son  départ  pour  l'expédition  de  Hongrie,  Thiébaut, 
sire  de  Chastellot,  de  Chàtel-sur- Moselle  et  de  Bainville-aux-Miroirs, 
fait  hommage  au  duc  de  Bar  pour  ces  deux  derniers  fiefs,  en  exceptant 
de  son  hommage,  suivant  la  coutume,  Chaligny  (tenu  du  duc  de  Lor- 
raine) et  Landillydevant-Châtel.  (Du  Fourny,  Inventaire,  Bibliothèque 
de  Nancy,  IV,  fol.  361.  Ce  texte  donne,  par  une  erreur  évidente,  Ghastel 
au  lieu  de  Chastellot.) 


—  53  — 

c'est-à-dire  à  la  croisade  contre  Bajazet,  le  comte  de 
Nevers,  fils  du  duc  de  Bourgogne  Philippe-le-Hardi  (1)  ; 
avec  ce  prince  partaient  les  deux  fils  du  duc  de  Bar  ainsi 
qu'une  foule  de  chevaliers  des  pays  bourguignons  et  lor- 
rains. Le  30  septembre  de  la  même  année,  Thiébaut  VII 
succombait,  avec  la  fleur  de  la  chevalerie,  sur  le  champ  de 
bataille  de  Nicopolis.  Cette  mort  prématurée  ne  lui  laissa 
pas  le  temps  de  remplir,  comme  chef  de  famille,  le  rôle 
auquel  il  semblait  naturellement  appelé  ;  en  effet,  son  père 
lui  survécut.  Aussi  lui-môme,  de  tous  les  titres  de  sa 
maison,  ne  porte  que  celui  de  sire  de  Chastellot,  auquel  il 
ajoutait  ceux  qui  lui  venaient  des  domaines  de  sa  femme  : 
Ghàtel-sur-Moselle,  Bainville,  Reynel,  et  sans  doute  aussi, 
le  cas  échéant,  Chaligny. 

VI 

Thiébaut  VII,  laissait  après  lui  une  veuve,  Alice  de  Join- 
ville-Vaudémont,  doqt  l'âge  ne  devait  guère  dépasser 
trente-cinq  ans  ;  de  leur  mariage  étaient  nés  un  fils,  qui 
porte  dans  l'histoire  de  la  famille  de  Neufchatel  le  nom  de 
Thiébaut  VIIÏ,  et  une  fille,  Marguerite  (2).  L'ouverture  de 

(1)  Thiébaut  de  Neufchatel,  lui  troisième  de  chevaliers,  fut  ordonné 
pour  accompagner  au  voyage  de  Hongrie  le  comte  de  Nevers,  fils  de 
Philippe  le  Hardi  (dom  Plancher,  Hisloire  de  Bourgogne,  lïl,  clxxxiv). 

(2)  Marguerite  fut  la  première  femme  de  Jean,  sire  de  Rai  et  de  la 
Ferté  (Moreri,  v»  Neufchatel).  L'historien  des  sires  de  Neufchatel, 
M.  l'abbé  Loye  {op.  rit,  p.  161)  donne  à  Thiébaut  Vil  une  troisième 
fille,  nommée  Jeanne,  sur  laqueUe  je  n'ai  pas  le  moindre  renseigne- 
ment. Deux  frères  de  Thiébaut  VII,  par  conséquent  deux  oncles  pater- 
nels de  Thiébaut  VIH,  Jouèrent  un  rôle  important  :  Humbert,  évèque 
de  Bâle,  dont  il  sera  question  plus  loin,  et  Jean,  seigneur  de  Montagu 
et  d'Amance,  grand-bouteiller  de  France  au  temps  de  l'influence  bour- 
guignonne (Gollut,  Mémoires  historiques  de  ta  République  Séqusnoise, 
édit.  Duvernoy,  col.  1089).  C'est  sans  doute  ce  personnage  qui  est 
mentionné  dans  un  compte  de  Vaudémont  de  1409-1410,  à  propos  du 
salaire  d'un  messager  qui  porta  la  réponse  «  de  Mons.  Jehan  dou  Nuef- 
chastel  »  sur  le  fait  d'un  prisonnier  que  réclamait  «  Monsieur  de 
Vitember  ».  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  9702),  Jean  de  Neufchâtel-Mon- 
tagu  figure  au  premier  rang  des  seigneurs  bourguignons  qui  luttèrent 
en  France  contre  les  Armagnacs. 


—  54  — 

sa  succession  ne  devait  modifier  en  rien  la  condition  de 
Chaligny,  qui  était  le  propre  héritage  d'Alice.  C'est  elle 
qui  jusqu'à  sa  mort  gouverna  ce  domaine  aussi  bien  que 
les  autres  seigneuries  qui  lui  étaient  venues  de  ses  ancê- 
tres, les  Joinville  et  les  Vaudémont.  Entourée  des  person- 
nages de  sa  maison,  dont  les  plus  importants  étaient  son 
conseiller,  son  chapelain,  son  maître  d'hôtel,  et  le  châte- 
lain qui  avait  la  garde  de  la  forteresse  où  elle  résidait,  elle 
passa  les  années  de  son  veuvage  dans  ses  terres  deChâtel- 
sur-Moselle,  d'où  sans  doute  elle  venait  parfois  à  sa  rési- 
dence de  Chaligny  (1),  la  seule  pour  laquelle,  dans  son 
testament,  elle  ait  marqué  quelque  sympathie.  De  Chali 
ligny,  bien  plus  que  de  Châtel,  il  lui  était  facile  d'aller  à 
Vézelise,  où  habitaient  sa  sœur  aînée  Marguerite  et  son 
beau-frère  Ferry,  comte  de  Vaudémont,  et  plus  encore  de 
se  rendre  à  Pont- Saint- Vincent,  où  parfois  ils  séjournaient 
dans  le  château  qu'ils  y  possédaient.  Les  documents  ont 
conservé  la  trace  de  quelques-unes  de  ces  visites.  1^  pre- 
mière de  celles  dont  ils  gardent  le  souvenir  eut  lieu  le  len- 
demain de  Noël  en  l'année  1396.  Trois  mois  s'étaient  écou- 
lés depuis  la  bataille  de  Nicopolis;  la  dame  de  Châtel  et  de 
Chaligny,  si  elle  n'était  pas  encore  fixée  sur  le  sort  de  son 
mari,  prenait  sa  part  des  angoisses  que  des  bruits  sinistres 
avaient  provoquées  dans  les  duchés  de  Lorraine  et  de  Bar. 
A  ce  moment  où  le  duc  de  Bar  faisait  brûler  des  cierges  à 
Saint-Nicolas  de  Port,  à  l'intention  de  ses  fils  dont  l'aîné 
avait  succombé  en  Hongrie  (2),  Alice  s'associait  à  ses  parents 

(i)  Dans  son  testament,  Alice  mentionne  ses  «  officiers,  chastellains, 
chapellains,  pourtiers,  servans,  sèrvandcs  »  ;  l'un  des  témoins  du 
dépôt  de  son  testament  à  roflicialité  de  Toul,  le  26  juin  1413,  est  «  mes - 
sire  Hue,  chappellain  de  Challigney  »,  qui  ne  se  confond  pas  avec  le 
curé  ;  c'est  le  chapelain  du  château  (Archives  do  M.-el-M  ,  B,  3932).  En 
i39î),  Alice  avait  pour  mattre  d'hôtel  Gérard  de  Houdelaincourt,  écuyer, 
(Archives  de  M.-et-M.,  B. 351,  fol.}.  Son  conseiller  était  alors  un  ecclé- 
siastique, ((  vénérable  et  discrète  personne  maître  Guy  de  Semouslier, 
conseiller  de  ladite  dame  ». 

(2)  Servais,  op.  cit.,  II,  p.  247. 


—  So- 
dé Vaudémont  et  à  nombre  de  personnages  importants  de 
la  région  pour  fonder  au  sanctuaire  de  Notre-Dame  de  Sion 
une  confrérie  en  l'honneur  «  de  la  benoite  Assumpcion  de 
la  glorieuse  Vierge  (1)  »  :  on  sait  que  depuis  longtemps  la 
dévotion  à  la  Vierge  de  Sion  était  particulièrement  chère 
aux  comtes  de  Vaudémont  (2).  D'autres  visites  d'Alice, 
à  Pont-Saint- Vincent  ou  à  Vézelise,  nous  sont  connues 
par  des  mentions  qui  figurent  dans  les  comptes  du  Vaudé- 
mont :  parfois  aussi  on  rencontre  dans  ces  comptes  l'indi- 
cation de  messages  échangés  entre  les  Vaudémont  et  les 
Neufchâtel.  Il  semble  résulter  de  ces  rares  indices  que  la 
veuve  de  Thiébaut  Vil  demeura  en  bonnes  relations  avec 
ses  plus  proches  parents,  le  comte  et  la  comtesse  Vaudé- 
mont, quoique  sur  certains  points  ses  intérêts  et  les  leurs 
se  soient  trouvés  en  désaccord  (3). 

(1)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  7i5,  n*  62.  L'acte  est  scellé,  sur  simple 
queue,  du  sceau  de  tous  les  personsonnages  qui  furent  les  fondateurs 
de  la  confrérie.  En  tôte  se  placent  Ferry  de  Lorraine,  Marguerite  de 
Vaudémont  et  leur  fils  Antoine,  encore  enfant  en  bas-âge;  vient  ensuite 
«  Madame  Allix  de  Waudémont,  dame  de  Chastel  ».  II  résulte  d'une 
lettre  du  duc  Robert  de  Bar  au  doge  et  aux  membres  de  la  seigneurie 
de  Venise,  écrite  à  Bar,  le  23  décembre  1396,  qu'à  cette  date  on  n'était 
pas  fixé  à  Bar  sur  l'étendue  du  désastre  subi  par  les  chrétiens  ;  il  est 
très  probable  que  la  même  incertitude  régnait  à  Vézelise  et  à  Vaudé- 
mont lors  dos  fêtes. de  No^^J.  {Mélanges  historiques,  dans  la  collection 
dos  Documents  inédits:  Mas-Latrie,  Commerce  et  expéditions  wili- 
taires  de  la  France  et  de  Venise  au  Moyen-Age,  III,  p.  169).  Sur  l'in- 
quiétude qui  régnait  à  la  cour  de  France  où  la  funeste  nouvelle  fut 
apportée  le  jour  de  Noôl,  voir  E.  Jarry,  la  vie  politique  de  Louis  de 
France,  duc  d'Orléans,  p.  18^1  et  185. 

(i)  Quand  en  1409,  Ferry  de  Lorraine  partit  pour  l'Orient,  ce  ne  fut 
qu'après  avoir  fait  un  pèlerinage  à  Sion  avec  sa  femme  Marguerite  de 
Vaudémont.  Le  départ  eut  lieu  le  1"  avril  ;  le  pèlerinage  avait  eu  lieu 
le  25  mars,  jour  de  l'Annonciation.  A  son  retour,  en  novembre,  il 
s'arrêta  à  Saint-Nicolas  ;  sa  femme  alla  au-devant  de  lui  jusqu'à  ce 
sanctuaire  (Archives  de  M.-et-M.,  B.  9701).  Les  descendants  de  Ferry 
conservèrent  pieusement  cette  habitude  des  pèlerinages  à  Sion  ;  la  tra- 
dition n'en  était  point  perdue  au  xvir  siècle. 

(3)  Nous  avons  la  trace  de  diverses  visites  que  se  firent  la  comtesse 
de  Vaudémont  et  la  dame  de  Neufchâtel,  notamment  en  1409,  au  mo< 
ment  où  le  comte  de  Vaudémont  était  parti  pour  l'Orient.  Le  27  mai, 
la  comtesse,  se  rendant  de  Vézelise  à  Nancy,  coucha  au  château  de 
Chaligny.  Le  28  juin  et  le  26  septembre,  Alix  de  Neufchâtel  se  rendit 


—  56  - 

Ce  désaccord  apparut  surtout  lorsque  Alice,  en  1410,  dut 
fournir  au  duc  de  Lorraine  Charles  II  Taveu  et  le  dénom- 
brement de  la  terre  de  Chaligny.  Il  faut  remarquer  que 
c'est  seulement  à  la  mort  du  père  d'Alice,  le  comte  Henri 
de  Joinville-Vaudémont,  que  Chaligny,  après  avoir  appar- 
tenu pendant  plus  de  deux  siècles  aux  comtes  de  Vaudé- 
mont,  cessa  de  relever  des  seigneurs  qui  continuaient  de 
régner  à  Vézelise  et  aussi  à  Pont-Saint- Vincent.  Or,  entre 
Chaligny  et  Pont-Saint  Vincent,  il  y  avait  des  points  de 
contact  sur  lesquels  la  nécessité  d'une  délimitation  rigou- 
reuse ne  s'était  point  fait  sentir  tant  que  les  deux  seigneu- 
ries avaient  été  réunies  dans  la  même  main.  Depuis  qu'elles 
étaient  séparées,  i)  était  très  important  de  démêler  ce 
réseau  de  droits  enlacés,  en  déterminant  exactement  l'éten- 
due du  domaine  de  Chaligny,  et  surtout  la  portion,  assez 
minime,  de  droits  que  la  dame  de  Chaligny  conserverait 
sur  Pont  Saint- Vincent  et  la  rive  gauche  de  la  Moselle.  Ce 
fut  précisément  au  moment  où  Alice  préparait  le  dénom- 
brement de  sa  terre  de  Chaligny,  qu'un  désaccord  se  mani- 
festa entre  elle  et  les  Vaudémont  :  aussi  n'est- il  pas  témé- 
raire de  penser  qu'à  l'occasion  de  ce  dénombrement,  Alice 
émit  des  prétentions  qui  semblèrent  exagérées  à  son  frère  et 
à  sa  belle  sœur.  Les  différends  parurent  assez  graves  pour 
que  le  3  juillet  1410  ait  été  tenue,  au  château  de  Pont-Saint- 
Vincent,  une  sorte  de  réunion  de  famille  que  les  documents 
désignent  sous  le  nom  de  journée  contre  Madame  Alice  (1). 

à  Vézelise.  —  A  son  retour,  en  novembre,  le  comte  de  Vaudémont  vint 
à  Pont-Saint-Vinccnt  pour  demander  sa  «  bienvenue  »  aux  habitants  ; 
ce  fut  sans  doute  l'occasion  d'une  réunion  de  famille,  car  les  comptes 
attestent  que  Vaudémont  fit  donner  dix  gros  au  trompette  de  son 
neveu  Tbiébaut  de  Neufchâtel.  Le  11  février  1410,  Alice  de  Neufchôtel 
était  en  visite  à  Vézelise,  pendant  que  son  beau -frère  voyageait  en 
France.  En  cette  même  année  les  Vaudémont  eurent  l'occasion  d'en- 
voyer à  Charmes,  «  pour  savoir  des  nouvelles  de  Madame  de  Cbastel  ». 
(Archives  de  M.-et-M.,  B,  9702,  comptes  de  Vaudémont  ;  L.  Germain, 
Ferry  /"  de  Lorraine^  p.  64-67.) 

(1)    Le  "2  juillet  litO,  c  en  allât  Madame  (Marguerite  de  Joinville, 
comtesse  de  Vaudémont),  au  Pont-Saint-Vincentpour  la  journée  contre 


—  57  — 

Après  cette  journée,  la  querelle  semble  apaisée.  Un  mois 
plus  tard,  Alice  servit  au  duc  Charles  II  le  dénombrement 
qui  ne  souleva  aucune  protestation  de  la  part  des  Vaudé- 
mont. 

Le  dénombrement  ne  fut  pas  seulement  présenté  au  nom 
d'Alice  ;  il  porte  aussi  le  sceau  de  son  fils,  Tliiébaut  VIII, 
seigneur  de  Neufchâtel  depuis  la  mort  de  son  grand-père 
Thiébaut  VI  survenue  en  1400,  mais  seulement  héritier 
présomptif  à  Cbaligny  et  dans  les  autres  domaines  de  sa 
mère.  Il  semble  d'ailleurs  qu'Alice  ait  veillé  avec  une 
extrême  jalousie  à  sauvegarder  l'autorité  qu'elle  possédait 
sur  ce  fils,  sur  lequel  elle  avait  reporté  le  meilleur  de  sa 
tendresse  et  de  ses  espérances  ;  elle  entendait,  avant  toute? 
choses,  que  personne  ne  s'avisât  de  porter  atteinte  à  cette 
autorité.  Un  fait  en  donnera  la  preuve  péremptoire.  Le 
24  janvier  1403,  Alice  et  son  fils  Thiébaut  passaient  une 
convention,  dont  l'instrument  écrit  est  parvenu  jusqu'à 
nous,  aux  termes  de  laquelle  ils  s'obligeaient  à  habiter  sous 
le  même  toit  ;  l'acte  ajoute  :  «  Et  sera  nostre  hôtel  et  demou- 
rance  à  la  disposicion  et  ordonnance  de  nous  Aelis  dessus 
dicte.  ))  La  mère  et  le  fils  convenaient  en  outre  de  n*aliéner 
point  leurs  héritages  respectifs  sans  leur  mutuel  consente- 
ment (1).  Or  il  faut  savoir  qu'à  la  fin  de  l'année  1398,  Thié- 

Madame  de  Chastel  )).  Cette  |ournée  se  tint  le  3  juillet  au  château  do 
Ponl-Saint- Vincent.  Pour  cette  occasion,  les  Vaudémont  avaient  envoyé 
un  personnel  assez  nombreux  au  château  de  Vézelise,  cuisinier,  hou 
teiller  et  autres  domestiques  ;  ils  y  avaient  fait  transporter  une  queue 
de  vin  de  Beaune  :  Symon,  maire  du  Pont,  fournit  du  poisson.  On 
remarque  que  Monsieur  de  Chalon  (sans  doute  Jean  de  ChAlon,  sire 
d'Arlay)  y  fut  présent  (Comptes  de  Vaudémont  pour  1410,  Archives  de 
M.-etM.,  B,  9702).  Dé|à  au  printemps  de  1410  on  avait  tenu  à 
Pont-Saint-Vincent  une  journée  «  pour  le  fait  de  Madame  do  Chastel 
et  de  Martin  le  Lombart  ».  En  cette  même  année,  Alice  avait  des 
difflcultés  avec  «  les  hoirs  Vendegras  »,  de  Nancy,  «  qui  se  portoient  » 
contre  elle.  II  semble  que  le  caractère  entier  d'Alice  ait  provoqué  plus 
d'un  conflit. 

(1)  Archives  Nationales,  K.  1799,  copie  ancienne.  L'acte  ne  porte 
aucune  date  de  lieu.  Il  a  été  mentionné  par  M.  l'abbé  C.  Olivier,  Châ- 
tel-sur-Moselle  avant  la  Rëvolulion,  p.  39,  note  2. 


-  58  - 

haut  VIII,  encore  bien  jeune,  avait  épousé  la  dernière  des 
filles  du  comte  Etienne  de  Moutbéliard,  mort  peu  de  temps 
auparavant  (1).  La  nouvelle  épouse  était  sans  doute  très 
jeune  au  moment  où  fut  célébré  son  mariage.  Aussi  était- 
il  temps  encore  pour  Alice,  en  1403,  de  régler  la  vie 
de  son  fils  de  façon  à  réduire  à  néant  Tinfluence  que  sa 
belle-fille  pourrait  prendre  sur  lui. 

L'histoire  ne  dit  pas  quel  fut  le  succès  de  cette  manœu- 
vre de  belle-mère.  Toutefois  il  est  certain  qu'Alice  et  son 
fils  tinrent  en  politique  la  même  conduite  et  s'associèrent 
au  môme  parti.  Pendant  les  premières  années  du  xv*  siècle, 
la  région  lorraine  et  barroise,  aussi  bien  que  le  royaume 
de  France,  était  déchirée  par  la  querelle  des  Armagnacs 
et  des  Bourguignons  ;  nul  seigneur  de  quelque  impor- 
tance ne  pouvait  se  flatter  de  se  réfugier  dans  une  pru- 
dente neutralité;  il  fallait  être  Armagnac,  avec  le  duc  de 
Bar  ou  Bourguignon,  avec  le  duc  de  Lorraine  (2).  Le  chef 
de  la  famille  de  Neufchàtel  était  nécessairement  un  parti- 
san dévoué  du  duc  de  Bourgogne  ;  on  verra  plus  loin  que 
Thiébaut  VIII   suivit  cette  tradition  de  famille  (3).  Aussi 

(1)  Abbél^ye,  Hi.'itoire  de  la  seigneurie  de  Seufchâtel  Bourgogne  ; 
p.  168.  La  fiancéo  apporta  en  dot  à  son  époux  les  terres  de  Marnay,  du 
Fay,  de  Lavoncouit,  de  Méleval  et  de  Poisson.  (Sur  ce  mariage,  voir 
(lollut.  —  Duvernoy,  col,  iOî)l.)  A  l'appui  de  l'hypothèse  indiqiK^e  au 
texte,  d'après  laquelle  les  époux  se  seraient  mariés  très  jeunes,  on  peut 
faire  remarquer  que  leur  fils  atné,  Thiébaut  IX,  le  futur  maréchal  de 
Bourgogne,  ne  naquit  qu'en  1416.  11  ne  faut  nullement  s'étonner  de  la 
jeunesse  des  mariés.  On  sait  que  Charles  Vil  avait  dix  ans  quand  fu- 
rent célébrées  ses  fiançailles  avec  Marie  d'Anjou  ;  les  exemples  d'unions 
ana'ogues  sont  fréquents  à  cette  époque. 

(2)  Les  documents  réunis  par  le  comte  de  Gircourt  (tome  XL  des  Puhlû 
cations  de  la  section  historique  de  l'Inatitut  de  Luxembourg)  démon- 
trent bien  l'union  étroite  qui  dès  liOlJ  existait  entre  le  duc  d'Orléans 
et  la  famille  ducale  de  Bar.  Le  duc  Charles  II  de  Lorraine  est,  en 
revanche,  acquis  au  parti  bourguignon.  |Cf.  E.  .larry,  la  Vie  politique 
de  Louis  de  France,  duc  d'Orleans^  p.  133  et  s.)  C'est  seulement  dans 
les  dernières  années  de  sa  vie,  que  Charles  II  modifiera  sa  ligne  de 
conduite  et  se  rapprochera  de  Charles  VIL 

(3)  Voir  ci-dessous,  p.  65  et  s.  En  HOli,  Alice  de  Vaudemont  et  son  beau- 
frère  Ferry  de  Vaudémont  (celui-ci  du  chef  de  sa  femme  Marguerite; 


~  59  — 

ne  faut-il  pas  s'étonner  de  ce  qu'Alice  ait  subi  sur  ses 
propres  domaines  les  conséquences  fâcheuses  du  zèle  bour- 
guignon de  son  fils.  Nous  savons  qu'en  septembre  i4i2 
les  partisans  du  duc  Edouard  de  Bar,  alors  acquis  à  la 
faction  des  Armagnacs,  pillèrent  et  brûlèrent  deux  villages 
de  la  dame  de  Neufchâtel,  Marainville  et  Tantimont  (1). 
La  veuve  de  Thiébaut  VII  se  plaignit  amèrement  de  ces 
déprédations(2);  elles  lui  semblaient  d'autant  plus  injustes 
qu'elle-même  disait  s'être  acquittée  de  tous  les  devoirs  que 
lui  imposaient  les  lois  de  la  vassalité  à  l'endroit  du  duc 
de  Bar.  En  effet,  Alice  avait  renouvelé  en  août  1412  au 
profit  du  duc  de  Bar  Edouard  l'hommage  que  dès  le  mois 
de  février  1400  elle  avait  prêté  à  son  père,  le  duc  Robert, 
pour  les  seigneuriesT  de  Châtel  sur-Moselle  et  de  Bainville- 
aux-Miroirs  (3).  Cet  hommage  n'avait  pas  suffi,  paraît  il, 
pour  proléger  contre  les  rancunes  des  Armagnacs  du  pays 
barrois  les  possessions  de  la  veuve  et  de  la  mère  d'un 
Neufchâtel. 

Si  nous  avons  lieu  de  croire  que  Chaligny,  à  l'inverse 
d'autres  villages  de  l'obéissance  d'Alice,  ne  subit  pas  les 
incursions  des  adversaires  du  parti  auquel  elle  apparte- 

furent  inquiétés  ù  raison  de  diverses  sommes  dont  feu  Henri  de  Join- 
viUe-Vaiidémont,  leur  père  et  beau-père,  était  tenu  envers  le  roi  do 
France.  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  257,  fol.  3.)  A  cette  époque,  à  la  cour  de 
France,  sous  l'infl nonce  du  duc  d'Orléans,  on  faisait  argent  de  tout  ; 
on  dut  se  décider  sans  grande  peine  à  réclamer  une  vieille  créance  à  dos 
adversaires  de  la  politique  de  ce  prince,  d'ailleurs  suspects  de  sympa- 
thies lorraines  ou  bourguignonnes.  Cf.  E.  Jarry,  op.  cit.j  p.  317  et  s. 

(1)  Localités  voisines  de  Charmes  (Vosges)  et  par  conséquent  peu 
éloignées  de  Châtel-sur-MosclIe  et  de  Bainvillc-aux-Miroirs. 

(2)  Le  15  septembre  1412,  Alice  présente  un  état  des  dommages 
causés  par  les  gens  du  duc  de  Bar,  à  Marainville  et  à  Tantimont, 
quoiqu'elle  eût  fait  hommage  au  duc  trois  semaines  auparavant,  pour 
ses  domaines  de  Châtel  et  de  Bainville.  A  Marainville,  les  dommages 
résultant  de  l'incendie  et  du  pillage  s'élèvent  à  5211  florins  9  gros;  à 
Tantimont,  ils  s'élèvent  à  656  florins  5  gros.  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  380, 
fol.  23et  2i.) 

(3)  L'hommage,  requis  des  le  13  octobre  1398  (Inventaire  Dufourny, 
Bibl.  de  Nancy,  IV,  p.  96),  fut  prêté  les  8  et  9  février  1400,  pour  Châtel- 
sur-Moselle  et  Bainville-aux-Miroirs  (Archives  de  M.-et-M.,  B,35l,  fol.  1  ) 


—  60  — 

nait,  nous  devons  reconnaître,  d'autre  part,  que  nous 
sommes  fort  médiocrement  informés  sur  la  conduite 
qu'elle  tint  dans  l'administration  de  son  domaine  (1). 
L'historien  de  Châtel-surMoselle  croit  pouvoir  déduire  de 
l'examen  de  nombreux  documents  qu'Alice  «  parait  s'être 
montrée  modérée  »  dans  le  gouvernement  de  sa  terre  de 
Châtel  (2).  A  supposer  que  cette  conclusion  soit  pleine- 
ment justifiée,  il  ne  serait  pas  téméraire  de  l'étendre  au 
gouvernement  d'Alice  à  Chaligny  ;  mais,  encore  une  fois, 
la  pénurie  de  témoignages  directs  ne  nous  permet  que  de 
formuler  sur  ce  point  des  conjectures. 

Alice  mourut  vraisemblablement  au  mois  de  juin  de  Tan- 
née 1413  (3).  Il  est  probable  que  c'est  à  Chaligny  que  la 

(1)  Signalons  en  passant  un  acte  de  l'administration  d'Alice  :  le 
22  août  1403,  JofTroy  de  Nancey,  cheyalier,  sire  de  la  Ferté,  fait  hom- 
mage à  Alice  de  Vaudémont,  «  à  cause  de  son  chastel  et  chastellenie 
de  Ghaligney  »,  de  trente  livres  de  revenus  «  ^  prendre  chascun  an 
sur  les  profits  et  yssues  du  ban  de  Ghaligney  ».  Il  se  déclare  homme 
lige  d'Alice,  sauf  ses  obligations  vis-à-vis  de  l'évèque  de  Metz  et 
de  «  M.  de  Saulmes  »  (Salm).  «  Et  de  ce  doit  estre  le  maire  du 
ban  de  Ghaligney  en  ma  fautey.  »  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  351, 
fol.  17.—  Sur  Joffroy  de  Nancey,  châtelain  d'Yvoix,  voyez  tome  XL  des 
Publications  de  la  section  historique  de  l'Institut  de  Luxembourg, 
p.  156-157). 

(2)  Abbé  Olivier,  Châiel-sur-Moselle  avant  la  Révolution,  p.  39  et 
40.  Les  actes  du  gouvernement  d'Alice  y  sont  malheureusement  analysés 
très  sommairement,  quoique  l'auteur  y  fasse  allusion  on  termes  géné- 
raux à  des  actes  nombreux  dont  il  a  eu  connaissance.  On  verra  plus  loin 
que  le  testament  d'Alice  n'indique  pas  qu'elle  ait  eu  l'âme  très  géné- 
reuse. 

(3)  Je  déduis  cette  date  des  indications  contenues  dans  la  note  sui- 
vante, qui  concernent  la  présentation  du  testament  d'Alice  à  l'officialité 
de  Toul.  Une  autre  observation  confirme  cette  conclusion.  Alice  était 
certainement  morte  le  2  août  1413,  date  où  Thiébaut  VIII  prend  dans 
un  acte  le  titre  de  seigneur  de  Châtol-sur-Moselle  ;  or,  comme  cette, 
seigneurie  venait  des  Vaudémont  et  appartenait  à  Alice,  Thiébaut  VIII 
n'en  a  porté  le  titre  qu'après  la  mort  de  sa  mère,  (.\rchives  Natio- 
nales, K,  1798  :  recueil  moderne  d'actes  tirés  du  Gartulaire  de  Neuf- 
châtel  ;  l'acte  auquel  je  fais  allusion  est  indiqué  comme  transcrit  au 
fol.  202  du  cartulaire  original.  Il  suffit  de  parcourir  ce  cartulaire  pour 
se  convaincre  qu'avant  1413  Thiébaut  VllI  ne  s'intitule  pas  seigneur 
de  Châtel-sur-MoselIe.) 


—  61  — 

mort  la  frappa  ;  au  moins  est-ce  en  ce  lieu  qu'elle  fit  son 
testament,  reçu  par  le  curé  de  la  paroisse,  Messire  Richard, 
à  qui  incomba  Tobligation  de  le  présenter  à  Tofficial  de 
Tout  après  la  mort  de  la  testatrice.  Le  curé  de  Chaligny 
s'acquitta  de  cette  mission  dans  les  derniers  jours  de  juin. 
L'acte  dont  les  dispositions  furent  alors  connues  était 
bref  (1).  Après  y  avoir  élu  sa  sépulture  devant  le  grand 
autel  de  l'église  de  Clairlieu^  où  elle  fonda  un  anniversaire 
pour  le  repos  de  son  âme  et  de  celle  de  son  mari,  après 
avoir  adressé  un  legs  médiocre  aux  Frères  Prêcheurs  de 
Nancy,  après  avoir  recommandé  à  son  exécuteur  testa- 
mentaire, qui  n'était  autre  que  son  fils  aîné,  d'acquitter 
toutes  ses  dettes,  après  avoir  révoqué  ses  testaments  an- 
térieurs, Alice  de  Yaudémont-Joinville  se  borna  à  ajouter 
deux  dispositions,  qui,  toutes  deux,  concernaient  Chali- 
gny. Par  l'une,  elle  donnait  aux  pauvres  veuves  du  ban 
de  Chaligny  dix  réseaux  de  froment,  «  pour  tant,  ajoute- 
t-elle,  qu'elles  soient  tenues  de  prier  pour  l'âme  de  mi  ». 
Par  l'autre,  elle  léguait  «  à  l'église  parrochialle  de  sa 
dicte  ville  de  Challigney  et  à  Messire  Richart,  curei  »,  une 
somme  de  dix  livres  destinée  à  être  employée  à  l'achat  de 
terres  ou  de  cens  «  pour  estre  ens  biens  fais  de  la  dicte 
église  et  pour  faire  son  anniversaire  en  icelle  chascun 
an  ».  Ce  sont  là  tous  les  legs  du  testament  d'Alice  :  ils  sont 
assez  maigres  si  on  les  compare  aux  legs  pieux  qui  forment 
une  portion  importante  d'un  grand  nombre  de  testaments 
de  la  même  époque  (2). 

(1)  On  trouve  une  copie  de  ce  testament,  faite  au  xvi'  siècle  ou  au 
commencement  du  xviii*,  dans  les  Archives  de  M.-et-M.,  B,  3932.  Il  y 
en  a  une  autre  expédition,  plus  ancienne,  au  même  dépôt,  fond  de 
l'abbaye  de  Glairlieu,  H,  493.  L'original  fut  présenté  à  l'ofGcial  de  Toul 
par  Messire  Richard,  curé  de  Chaligny,  notaire  de  la  cour  d'officialité. 
qui  avait  reçu  le  testament  et  y  avait  apposé  son  signet.  A  la  relation 
du  notaire,  l'offlcial  y  apposa  le  sceau  de  la  Cour,  le  26  juin  1413.  U 
en  délivra  une  expédition  à  l'abbaye  de  Glairlieu  le  4  février  1414. 

(2)  Voyez,  par  exemple,  le  recueil  de  testaments  publié  par  M.  A. 
Tuetey   dans  la   collection  des   Documents  inédits  de  l'Histoire  de 


—  62  - 

Si,  comme  il  est  permis  de  le  présumer,  Alice  mourut  à 
Chaligny,  c'est  par  les  chemins  verdoyants  de  la  forêt  de 
Haye  que  son  corps  fut  conduit  à  sa  dernière  demeure. 
Tous  les  ans,  jusques  à  la  Révolution,  les  moines  blancs 
célébrèrent  le  service  qu'avait  fondé  Madame  Alice  (1)  et 
allèrent  prier  sur  sa  tombe.  A  cette  date,  à  travers  les  ra- 
mures de  la  forêt,  passait  le  glas  funèbre  que  sonnaient 
les  cloches  du  couvent,  évoquant,  avec  le  souvenir  de  la 
dernière  née  des  Vaudémont  et  des  Joinville,  celui  du  che- 
valier tué  dans  la  grande  bataille  contre  Bajazet.  Je  ne  sais 
si  le  service  institué  dans  l'église  de  Chaligny  fut  célébré 
avec  la  même  régularité.  Au  moins  eût-il  été  juste  que  les 
habitants  de  Chaligny  gardassent  la  mémoire  d'une  de 
leurs  maîtresses  qui  habita  quelquefois  au  milieu  d'eux, 
et  qui,  si  peu  libérale  qu'elle  se  soit  montrée  d'ailleurs, 
leur  donna,  dans  son  testament,  un  suprême  témoignage 
de  son  affection. 

France,  sous  co  titre  :  Testaments  enregistrés  au  Parlement  de  Paris 
sous  le  règne  de  Charles  VI. 

(1)  Conformément  au  testament,  les  sommes  affectées  annuellement 
à  ce  service  étaient  prélevées  sur  les  recettes  de  la  terre  de  Chaligny. 


CHAPITRE  III 
Période  des  Neufchàtel  (1413-1559) 

SOMMAIRE 

I.  Premières  années  de  Thiébaut  VIII.  —  Division. 

II.  Rôle  politique  de  Thiébaut  VIH  de  Neufchâtei  ;  part  qu'il  prend  à 
la  lutte  des  Bourguignons  contre  les  Armagnacs.  —  Guerre  de  Thié- 
baut contre  les  Bâlois.  —  Rôle  de  Thiébaut  dans  la  guerre  de  la  Suc- 
cession de  Lorraine.  —  Pillage  de  la  terre  de  Ghaligny  ;  prise  de  la 
forteresse  par  les  partisans  de  René  d'Anjou. 

m.  Thiébaut  IX,  maréchal  de  Bourgogne  :  ses  débuts  ;  il  rompt  avec 
René  d'Anjou  et  son  fils  Jean  de  Calabre.  —  Hospitalité  offerte  par 
lui,  à  Ghâtel-sur-Mosclle,  au  dauphin  Louis  ;  passage  du  dauphin 
en  Lorraine. 

IV.  Ambition  des  Neufchâtei, qui  menacent  la  Lorraine.  —  Guerre  entre 
Thiébaut  IX  et  le  duc  de  Lorraine  à  propos  d'Épinal.  —  Succès  des 
Lorrains  ;  prise  et  destruction  du  château  de  Ghaligny. 

V.  Mort  de  Thiébaut  IX  :  son  fils  Henri  de  Neufchâtei  lui  succède.  — 
Le  duc  de  Lorraine,  qui  a  confisqué  Ghaligny,  en  dispose  à  deux 
reprises.  —  Fin  de  la  guerre  entre  la  Lorraine  et  les  Neufchâtei 
(décembre  147â)  ;  restitution  â  Henri  de  Neufchâtei  de  Ghaligny  et 
d'autres  domaines  saisis  par  le  duc. 

VI.  Vicissitudes  que  subit  le  domaine  de  Ghaligny  jusqu'à  la  bataille 
de  Nancy.  —  Ghaligny  est  de  nouveau  saisi  par  le  duc  de  Lorraine. 

—  Henri   de  Neufchâlel  est  pris  par  les   Lorrains  à  la  bataille  de 
Nancy. 

VII.  Ghaligny  est  concédé  par  René  11  â  Oswald  de  Thierstein.  —  Traité 
pour  la  délivrance  de  Henri  de  Neufchâtei,  qui  passe  au  service  de 
la  France  ;   acquisition,   par  Louis  XI,  de  la  suzeraineté  de  Ghâtel. 

—  Tentatives  infructueuses  de  Henri   pour  recouvrer  Ghaligny  et 
Bainville-aux-Miroirs. 

VIII.  Les  Thierstein,  maîtres  de  Glialigny  en  vertu  d'une  gagière.  — 
En  1330,  l'héritière  des  Neufchâtei  recouvre  Ghaligny,  qui  passe  par 
succession  aux  Isembourg,  puis  aux  Waldeclt.  —  En  1559,  la  terre  de 
Ghaligny  est  vendue  à  Nicolas  de  Lorraine,  comte  de  Vaudémont. 

IX.  Événements  de  l'histoire  de  Ghaligny  pendant  la  première  moitié 
du  xvi*  siècle.  —  Tendances  centralisatrices  du  gouvernement  lor- 
rain. 

I 

A  la  mort  d'Alice  de  Vaudémont- Joinville,  survenue  en 
1413,  la  seigneurie  de  Ghaligny,  avec  les  autres  domaines 


—  64  - 

de  la  défuDle,  dont  les  plus  importants  étaient,  comme  on 
Ta  vu,  Châtel-sur-Moselle  et  Bainville-aux-Miroirs,  passa 
à  son  fils  Tbiébaut  VIII,  que  la  mort  de  son  grand-père 
paternel  Thiébaut  VI  avait  fait,  depuis  liOO,  le  chef  de  la 
puissante  maison  de  Neufchâtel  (1).  Les  membres  de  cette 
maison  devaient  conserver  la  terre  de  Chaligny  jusques  au 
milieu  du  xvi^  siècle.  Pendant  celle  période,  ce  sont  des 
étrangers  qui  régnent  à  Chaligny  :  jusques  à  la  mort  de 
Charles  le  Téméraire,  ils  sont  soumis  à  Tinfluence  des  ducs 
de  Bourgogne.  Aussi  Chaligny  subit  plus  d'une  fois,  à  cette 
époque,  les  conséquences  d'une  politique  inspirée  par  Tin- 
lérét  des  Neufchâtel  ou  de  leurs  maîtres  bourguignons, 
mais  dont  la  région  de  la  Haute-Moselle  n'eut  guère  à  se 
louer. 

Thiébaut  VIII  avait,  dès  la  fin  de  1397,  épousé  Agnès 
de  Montbéliard  ;  nous  avons  lieu  de  croire,  ainsi  qu'on 
l'a  dit  plus  haut,  que  l'un  et  l'autre  étaient  très  jeunes 
quand  ils  s'engagèrent  mutuellement  leur  foi  (2).  En  tout 
cas,  dès  le  printemps  de  1402,  Thiébaut  avait  certaine- 
ment atteint  la  majorité  féodale  (14  ou  15  ans),  car  il 
procède  à  des  actes  d'affranchissement  qu'un  mineur 
n'eût  pas  été  capable  d'accomplir.  La  liste  de  ses  actes, 
qui  a  été  dressée  par  son  historien  (3),  atteste  à  la  fois 
l'activité  de  son  administration  et  l'opulence  de  sa  fortune. 
On  sait  déjà  que  sa  mère,  Alice  de  Vaudémont,  s'était 
efforcée,  avec  une  jalousie  extrême,  de  le  soustraire 
à  toute  autre  influence  que  la  sienne  :  on  sait  aussi  que, 
du  vivant  même  d'Alice,  il  avait  pris  position  parmi  les 

(1)  Thiébaut  VI  vivait  encore  le  26  janvier  1400.  (Archives  Nationales, 
K,  1798,  d'après  le  fol.  199  du  cartulaire  original.)  l\  était  mort  en  1401. 
En  septembre  1401,  Thiébaut  VIII  s'intitule:  seigneur  de  Neufchâtel, 
damoisel.  {Ibid.,  d'après  le  fol.  195.)  Le  28  septembre  1402,  il  prend  le 
même  titre.  {Ibid.,  d'après  le  fol.  193.)  Il  ne  porte  plus,  dès  1405,  le  titre 
de  damoisel. 

(2)  Voir  ci-dessus,  p.  58. 

(3)  Abbé  Loye,  Histoire  de  la  Seigneurie  de  Neufchâtel- Bourg ogne, 
p.  161  et  s. 


-  65  - 

partisans  fidèles  du  duc  de  Bourgogne,  Jean-Sans-Peur. 
En  1404,  il  figure  à  la  suite  du  duc  lors  de  la  brillante 
entrée  que  ce  prince  fit  à  Dijon;  en  1405,  alors  qu'il  ne 
porte  encore  que  le  titre  d'écuyer,  il  fait  partie  de  Tarmée 
que  Jean-Sans  Peur  réunit  à  Arras  afin  de  marcher  sur 
Paris  ((  pour  le  bien  du  roi  et  du  royaume  (1)  ».  Â  dater  de 
1410,  on  le  trouve  mêlé  aux  campagnes  successives  des 
Bourguignons  en  France;  c'est  ainsi  qu'en  1411,  il  fait 
partie  d'une  armée,  composée  de  Bourguignons  et  de  Lor- 
rains, qui  ravage  les  terres  du  comte  de  Tonnerre  (2)  ;  un 
peu  plus  tard,  vers  l'automne  de  cette  même  année,  il  est 
l'un  des  chefs  de  la  garnison  bourguignonne  qui,  sous  les 
ordres  de  Jean  de  Châlon,  essaie  inutilement  de  défendre 
Saint-Denys  contre  les  Armagnacs  (3).  Ce  zèle  bourguignon 
dont  faisait  preuve  Thiébaut  VlII,  avait  valu,  on  l'a  dit 
plus  haut,  à  Alice  de  Vaudémont  le  pillage  de  quelques- 
uns  de  ses  domaines  lorrains.  Chaligny  avait  eu  l'heur  d'y 
échapper  cette  fois  ;  on  verra  qu'il  n'en  fut  pas  toujours 
ainsi. 
De  1413  à  1459,  date  de  sa  mort  (4),  Thiébaut  VIII  fut 

(i)  Dom  Plancher,  Histoire  de  Bourgogne,  III,  p.  577.  Cf.  Sur  cet 
armement,  E.  Jarry,  La  vie  politique  de  Louis  de  France,  duc  d'Or- 
léans, p.  334.  C'est  le  4  juin  1407  que  Thiébaut  VIII  rendit  hommage  à 
Jean  sans  Peur  pour  ses  terres  de  Comté.  Archives 'Nationales,  K,  1799. 

(2)  Religieux  de  St-Denis,  IV,  p.  491. 

(3)  Ibid.,  p.  503.  Voir,  sur  ces  événements  divers,  Gollut-Duvemoy, 
col.  916,  941,  944,  949,  9G2,  et  passim. 

(4)  D'après  un  passage  de  Mathieu  d'Escouchi  (édition  de  Beaucourt, 
dans  les  publications  do  la  Société  d»3  l'Histoire  de  France,  I,  p.  351), 
Thiébaut  VIII  serait  mort  en  1451.  Or,  il  est  certain  que  Thiébaut  VIII 
vécut  plus  longtemps.  Kn  1453.  son  fils  atné  ne  porte  encore  que  le  titre 
de  seigneur  de  Blâment,  et  non  celui  de  seigneur  de  Neufchâtel  ;  c'est  dire 
que  son  père  n'est  pas  mort.  (Voir  une  lettre  du  21  juillet  1451,  dans  l'édi- 
tion précitée  de  d'Escouchi,  III.  pp.  421-423  ;  joignez-y  la  menUon  de 
l'aide  faite  en  novembre  1453  a  à  Monsieur  do  Blâment,  maréchal  de  Bour- 
gogne ».  Archives  de  M.-et-M..  B,  608,  n"  9.)  Il  est  certain,  d'ailleurs, 
que  Thiébaut  VIII  vivait  encore  le  10  janvier  1456.  comme  cela  résulte 
d'une  lettre  accordant  en  son  nom  divers  avantages  aux  habitants 
de  Chavigny  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  3932).  On  peut  donc  adopter 
pour  la  date  de  sa  mort  le  21  mai  1459,  conformément  à  l'avis  de 

5 


—  66  — 

maître  de  la  seigneurie  de  Chaligny,  très  faible  partie 
de  grands  domaines  dont  la  portion  principale  com- 
prenait les  terres  patrimoniales  des  Neufchâtel  en  Comté, 
tandis  qu'une  autre  portion  était  composée  de  biens  lor- 
rains, barrois  ou  champenois  provenant  de  la  succession 
des  Vaudémont  et  des  Joinville.  Du  vivant  même  de  Thié- 
baut  VIII,  quelques-unes  de  ses  possessions  furent  d'avance 
attribuées  par  lui  à  ses  enfants.  Ainsi,  Chaligny,  mis  par 
anticipation  dans  le  lotdeJean,lelîlscadetdeThiébautVIII 
(le  même  qui,  après  la  mort  de  son  oncle  Jean,  devait 
relever  les  titres  de  Montaigu  et  Reynel),  fut,  plus  tard, 
en  1447,  assigné  à  Tainé  de  la  famille,  Thiébaut  IX,  maré- 
chal de  Bourgogne  depuis  1443  (1).  A  dater  de  cette  époque, 
les  documents  nous  montrent  cette  terre  soumise  à  Tauto- 
rité  conjointe  «  de  Messire  Thiébault  le  viel  et  de  Messire 
Thiébault  son  fils  », 

En  réalité,  ces  dernières  années  du  règne  nominal  de 
«  Thiébaut  le  Viel  »  à  Chaligny  semblent  plutôt  appartenir 
au  gouvernement  effectif  de  son  fils  (2).  Ce  gouvernement 
se  prolongea,  après  la  mort  de  Thiébaut  VIII,  jusques  à 
l'année  1469,  date  de  la  mort  de  Thiébaut  IX  :  si  bien  que 
l'on  peut  diviser  l'histoire  de  Chaligny  sous  ces  deux 
seigneurs  en  trois  périodes  :  la  première,  celle  du  gouver- 
nement personnel  de  Thiébaut  VIII,  s'étend  de  1413  à  1447; 
la  seconde,  qui  va  de  1447  à  1459,  est  occupée  par  le  gou- 


M.  l'abbé  Loye  (op,  ciL^  p.  173;  le  P.  Anselme  propose  1458).  Quant  au 
titre  que  Thiébaut  IX  prend  après  la  mort  de  son  père,  voir  par  exemple 
l'acte  du  27  février  1461  où  il  s'intitule  seigneur  de  Châlel-surMoselle 
{Publications  de  la  section  historique  de  l'Institut  du  Grand-Duché 
de  Luxembourg^  XXXI,  année  1870  :  table  des  chartes  concernant  Phi- 
lippe le  Bon,  par  Wurth-Paquet,  n»  109). 

(1)  Acte  date  de  Gy,  31  octobre  1447,  où  Jean,  en  échange  d'une 
pension,  renonce  à  divers  fiefs,  parmi  lesquels  figure  Chaligny.  (Ar- 
chives Nationales,  K,  1799.) 

(2)  Sur  la  désignation  dans  les  actes  de  Thiébaut  le  jeune  conjointe- 
ment avec  Thiébaut  le  vieil,  voir  l'acte  concernant  Chavigny,  cité  plus 
haut,  p.  65,  note  4.  Voir  aussi  ci-dessous,  p.  80. 


—  67  — 

vernement  collectif  de  Thiébaut  le  Vieil  et  de  Thiébaut 
le  jeune  ;  la  troisième,  de  1459  à  1469,  correspond  au 
gouvernement  personnel  de  Thiébaut  IX. 

II 

Ainsi  qu'il  était  facile  de  le  prévoir,  Thiébaut  VHI  ne  se 
montra  pas  moins  chaud  bourguignon,  après  la  mort  de  sa 
mère,  qu*il  ne  Tavait  été  du  vivant  d'Alice.  En  suivant 
cette  politique,  il  se  trouvait  d'ailleurs  en  étroite  union 
non  seulement  avec  son  oncle  paternel,  Jean  de  Neufchâtel, 
seigneur  de  Montagu,  l'un  des  plus  considérables  parmi 
les  partisans  de  Bourgogne,  mais  avec  le  beau-frère  de  sa 
mère.  Ferry  de  Vaudéraont  (le  même  qui  devait  bientôt 
périr  à  Azincourt)  et  avec  le  duc  Charles  II  de  Lorraine, 
son  suzerain  pour  Chaligny.  En  1417,  sous  les  drapeaux  de 
Jean  sans  Peur,  il  fait  campagne  dans  le  centre  de  la 
France  (1).  En  1418,  quand  la  faction  bourguignonne  a 
réussi  à  s'emparer  de  la  personne  du  roi,  Jean  sans  Peur 
saisit  avec  empressement  l'occasion  de  remplacer  les 
grands  officiers  de  la  couronne  par  des  partisans  dévoués 
de  sa  cause  (2)  ;  c'est  alors  que  Thiébaut  VIII  est  nommé 
grand  maître  de  l'hôtel  royal,  en  même  temps  que  son  oncle 
Jean  de  Montagu  est  investi  de  la  charge  de  grand  bou- 
teiller,  et  que  la  charge  de  connétable,  vacante  depuis  la 
mort  du  comte  d'Armagnac,  est  offerte  au  duc  de  Lorraine, 
encore  fervent  bourguignon  (3).  Le  11  juillet  1419,  Thiébaut, 

(1)  On  peut  notamment  constater  sa  présence,  k  côté  de  son  oncle,  au 
siège  de  Nogent,  place  prise  par  les  Bourguignons  en  juillet  1417  : 
dom  Plancher,  III,  p.  cccvi. 

(2)  Beaucourt,  op.  cit.,  I,  p.  359. 

(3)  Duvcrnoy  (note  sur  Gollut,  col.  1050),  suivi  par  M.  l'abbé  Loye 
(p.  169)  dit  qu'en  1418  Thiébaut  fut  envoyé  par  Jean  sans  Peur  en  ambas- 
sade auprès  des  rois  de  Gastille  et  d'Aragon.  Il  donne  comme  référence 
Ferreras,  Histoire  générale  de  V Espagne,  VI,  p.  226.  Je  me  suis  reporté 
à  cet  ouvragd,  où,  à  la  page  indiquée,  n'est  pas  faite  la  moindre  men- 
tion du  duc  de  Bourgogne  ni  de  ses  ambassadeurs. 


—  68  — 

avec  son  oncle  de  Montagu,  fit  partie  du  petit  groupe  de 
chevaliers  bourguignons  qui  accompagnèrent  Jean  sans 
Peur  lors  de  son  entrevue  avec  le  Dauphin  au  Ponceau, 
près  de  Melun,  et  confirmèrent  par  leur  serment  le  traité 
conclu  entre  les  deux  adversaires  (i).  A  la  vérité  il  ne  figure 
pas,  deux  mois  plus  tard,  parmi  les  compagnons  du  duc  à 
la  fatale  entrevue  de  Montereau  ;  il  n'en  est  pas  moins  vrai 
que,  pendant  ces  années  si  tristes  de  notre  histoire  natio- 
nale, ThiébautVIII  tient  sa  place  au  premier  rang  des  par- 
tisans de  Bourgogne,  qui  désormais,  jusqu'au  traité  d'Ar- 
ras,  seront  les  fidèles  alliés  des  Anglais. 

Bientôt  la  fortune  l'appelle  à  représenter  du  mène  coup 
les  intérêts  bourguignons  et  les  siens  sur  un  autre 
théâtre  (2).  Dans  la  famille  de  Neufchàtel,  comme  dans 
nombre  de  familles  aristocratiques,  on  connaissait  fort 
bien  l'art  d'exploiter  les  hautes  prélatures  ecclésiastiques, 
surtout  les  riches  évéchés.  C'est  ainsi  qu'on  avait  réussi, 
en  1399,  à  faire  élire  à  l'évêché  de  BAle  un  frère  cadet  de 
Thiébaut  VII,  qui  portait  le  nom  de  Humbert  (3).  Cette 
élection  était  contraire  à  toutes  les  traditions  :  Humbert 
était  un  pur  Welche,  c'est-à-dire  un  Français  de  Bour- 
gogne, incapable  de  se  faire  comprendre  d'iin  Allemand. 
On  devine  que  son  élection  ne  donna  qu'une  satisfaction 
médiocre  à  beaucoup  de  ses  diocésains.  Ajoutez  à  cela  que, 
par  suite  d'une  administration  financière  déplorable,  il  fut 
réduit  à  mettre  en  gage  la  plus  grande  partie  de  son 
temporel.  Or  le  créancier  gagiste  qui  devint,  parce  coup 
de  fortune,  le  maître  des  terres  de  l'évêché  de  BAle,  ne  fut 
autre  que  Thiébaut  VIII,  le  neveu  de  l'évêque.  Après  quel- 
ques années  le  jour  vint,   et  il  devait  venir,  au  grand 

(l)  Beaucourt,  Histoire  de  Charles  Vil,  I,  p.  149;  GoUut  Duvernoy, 
col.  1132 

(22)  Sur  ces  événements,  consulter  l'excellent  ouvrage  de  M.  Louis 
StoufT,  les  origines  de  l'annexion  de  la  Haute-Alsace  à  la  Bourgogne 
en  U69  (Paris,  11X)1,  in-8»)  ;  voyez  surtout  p.  7  et  s.  ;  p.  84  et  s. 

(3)  Loye,  op.  cit.,  p.  187. 


—  69  — 

déplaisir  du  sire  de  Neufchâtel,  où  Je  successeur  de 
Humbert  voulut  libérer  les  domaines  de  son  église.  Pour 
triompher  des  résistances  calculées  de  Thiébaut  VIII, 
révoque  Jean  de  Fleckenstein,  d'origine  alsacienne,  d'ail- 
leurs résolument  soutenu  par  son  chapitre,  fut  contraint 
de  recourir  à  la  force  ;  il  y  eut  guerre  ouverte  contre 
l'église  de  Bâle  et  Thiébaut  de  Neufchâtel.  Or  déjà  les  pro- 
grès de  la  Bourgogne  dans  ces  contrées  excitaient  la  jalousie 
de  la  maison  d'Autriche,  influente  en  Alsace  et  dans  les 
régions  voisines  ;  les  seigneurs  dévoués  à  l'Autriche  se 
hâtèrent  de  venir  au  secours  des  Bâlois,  tandis  que  l'aris- 
tocratie des  deux  Bourgognes  suivait  Thiébaut  VIII,  à  la 
cause  duquel  le  duc  Philippe  le  Bon  portait  un  vif  intérêt. 
Ainsi  se  trouvèrent  en  présence  deux  partis,  l'un  bour- 
guignon, dirigé  par  le  sire  de  Neufchâtel,  l'autre  autri- 
chien autant  que  bâlois,  commandé  par  Jean  de  Thierstein, 
membre  d'une  noble  et  puissante  famille  du  Jura,  que 
nous  retrouverons  plus  tard,  toujours  rivale  des  Neuf- 
châtel, dans  l'histoire  de  Ghaligny.  La  lutte  fut  longue 
et  meurtrière  ;  Thiébaut  VIIÏ  y  acquit  la  réputation  d'un 
capitaine  actif,  hardi  et  impitoyable,  quoiqu'il  y  ait  essuyé 
plus  d'un  revers  La  campagne  de  l'automne  de  14251ui  fut 
particulièrement  funeste(l)  ;  ses  domaines  de  Comté  furent 
ravagés  impitoyablement,  Héricourt  tomba  le  H  novembre 
aux  mains  des  ennemis,  et  Thiébaut  fut  fait  prisonnier. 
Aussi,  conformément  au  droit  féodal,  les  habitants  de 
Ghaligny  furent  imposés  pour  payer  sa  rançon.  On  con- 
serve encore  au  Trésor  des  Chartes  de  Lorraine  (2)  le 
rôle  de  l'aide  levée  en  décembre  1425  au  profit  de  Thié- 
baut VIH  ((  pour  le  fait  de  sa  guerre  contre  l'évêque  de 
Bâle  »  ;  soixante  sept  contribuables  de  Chaligny,  onze  de 
Neuves  Maisons  et  quarante  de  Chavigny  fournirent  alors 
des  sommes  proportionnées  à  leurs  fortunes  respectives. 

(1)  Gollul-Duvernoy,  col.  1074. 

(2)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  608,  d«  9. 


-  70  — 

Mais  ce  n'était  pas  seulement  par  les  contributions  qu'ils 
supportaient  que  les  habitants  du  domaine  de  Chaligny 
payaient  l'honneur  d'être  les  sujets  des  Neufchâtel.  A  la 
mort  du  duc  de  Lorraine  Charles  II,  survenue  en  1431, 
Thiébaut  avait  paru  se  soumettre  au  successeur  que 
Charles  s'était  donné  dans  la  personne  de  son  gendre  le 
duc  de  Bar,  René  d'Anjou  ;  le  dimanche  de  Quasimodo  de 
l'année  1431  (8  avril),  Thiébaut  rendait  à  ce  prince  l'hom- 
mage qu'il  lui  devait  pour  Châtei-sur-Moselle  et  Bainville- 
aux-Miroirs  (1).  Sans  doute  cet  hommage  s'adressait  au 
duc  de  Bar,  et  non  au  duc  de  Lorraine  ;  mais  le  fait  qu'il 
fut  rendu  à  ce  moment  implique  que  le  sire  de  Neufchâtel 
ne  se  trouvait  pas  en  état  d'hostilité  ouverte  contre  René 
d'Anjou.  Bientôt  il  en  devait  être  tout  autrement:  dès 
qu'Antoine  de  Vaudémont  réclama  le  duché  de  Lorraine  à 
rencontre  des  prétentions  de  René,  qui  reposaient  sur  la 
succession  féminine,  Neufchâtel  se  rallia  à  la  cause 
d'Antoine.  Il  subissait  en  cela  l'irrésistible  influence  des 
allinités  politiques.  Tout  ce  qui  tenait  à  la  faction  française 
se  rangeait  autour  de  René  d'Anjou,  le  beau-frère  de 
Charles  VII  ;  tout  ce  qui  se  rattachait,  de  près  ou  de  loin,  à 
la  politique  bourguignonne  prenait,  comme  Philippe  le 
Bon  lui-même,  le  parti  du  comte  de  Vaudémont. 

Ici  encore,  le  cadre  restreint  de  celte  étude  ne  saurait 
comporter  un  récit  de  la  lutte  qui  s'ouvrit  par  la  bataille  de 
Bulgnéville,  si  funeste  à  René.  Ce  qu'il  importe  seulement 
de  faire  remarquer,  c'est  qu'il  y  avait  dans  la  région  de  la 
Meuse  deux  partisans  redoutables  de  la  cause  de  René 
d'Anjou.  L'un,  Robert  de  Baudricourt,  capitaine  de  Vau- 
couleurs,  fut  célèbre  par  le  rôle  qu'il  joua  dans  l'histoire 
de  Jeanne  d'Arc  :  Tautre,  Robert  de  Sarrebrûck,  le  terrible 
damoiseau  de  Commercy,  peut  être  considéré  comme  «  le 
type  achevé  de  ces  grands  seigneurs  sans  foi  ni  loi  qui  ne 

(1)  Archives  de  M.et-M.,  B,  351,  fol.  7  et  8. 


—  71  — 

vivaient  que  pour  la  chasse,  la  débauche  et  le  brigan- 
dage (1)  ».  Le  damoiseau  avait  jadis  combattu  sous  les 
drapeaux  armagnacs  ;  puis  il  avait  faussé  compagnie  à 
Charles  VII,  auquel  le  sire  de  Baudricourt  était  demeuré 
fidèle  ;  voici  maintenant  qu'il  retrouvait  son  ancien  com- 
pagnon d'armes  pour  lutter  contre  les  partisans  unis  du 
comte  de  Vaudémont  et  du  duc  de  Bourgogne.  Baudri- 
court et  Sarrebrûck  se  jetèrent  sur  les  domaines  lorrains 
et  barrois  de  Thiébaut  de  Neulchàtel,  qu'ils  ravagèrent, 
ou,  comme  on  disait  alors,  qu'ils  «  coururent  »  impitoya- 
blement pendant  plusieurs  années,  à  partir  de  1431.  Nous 
sommes  renseignés  sur  les  dommages  qu'ils  causèrent  par 
un  document  assez  précis  ;  je  n'en  détache  que  les  parties 
qui  concernent  la  terre  de  Chaligny  (2). 

Dès  le  mois  d'août  1431,  les  soldats  de  Commercy  et  de 
Vaucouleurs  donnent  aux  habitants  de  Chaligny  un  avant- 
goût  de  leur  manière  d'agir  en  enlevant  dans  ce  village 
deux  chevaux  «  en  valeur  de  vint  florins  d'or  ».  Elles  re- 
viennent en  juillet  1433,  et  cette  fois  leurs  déprédations 
sont  plus  graves  :  les  ennemis  se  livrent  au  plaisir  de 
((  courir  le  ban  »,  si  bien  «  qu'en  ce  faisant  fut  tuez  un 
homme  dudit  Chaligney,  appelle  Girard  Jacambal  (3),  et  en 
fut  par  eulx  menez  tant  en  bestes  comme  en  chevalx  pour 
la  valeur  de  bien  mile  et  deux  cens  florins  ».  Au  mois 
d'août  ils  reparaissent  et  ne  se  retirent  qu'en  emmenant 
des  bétes  ((  pour  la  valeur  de  cinq  cenz  florins  ».  Il  est  vrai 

{!)  s.  Luce,  Jeanne  d'Arc  à  Domremy^  p.  lxxvi. 

(2)  On  trouvera  cet  état  des  dommages  à  la  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  386, 
fol.  15,  2:2  et  ss.  11  a  été  publié  en  partie  par  S.  Luce,  dans  l'ouvrage 
précité,  p.  262  et  s.  —  On  verra  dans  cet  état  comment  Chamagne, 
Balnville-aux-Miroirs,  Marainville,  et  les  autres  villages  appartenant 
aux  Neufchâtcl  furent  cruellement  ravagés. 

(3)  Le  rôle,  cité  plus  haut,  de  l'aide  de  1425  perçue  à  Chaligny  pour 
la  rançon  de  Thiébaut  VIII  mentionne  unGirart  Jacambaz,  qui  est  im- 
posé à  raison  de  5  florins,  c'est-r'i-dire  de  la  contribution  maximum 
(Archives  de  M.-et-M.,  B,  608,  n»  9).  C'était  donc  tout  au  moins  un 
paysan  aisé. 


—  72  — 

de  dire  qu'en  cette  même  année  1433,  le  sire  de  Neufchâtel 
avec  d'autres  Bourguignons  menait  bonne  guerre  contre  le 
damoiseau  du  côté  de  Langres  (1). 

L'année  1434  fut  plus  terrible  que  la  précédente.  En 
juin,  les  bandes  de  Vaucouleurs  et  de  Commercy  enlèvent 
du  bétail  pour  mille  florins  ;  en  juillet  et  en  août,  pour 
huit  cents  florins.  Plus  tard,  dans  ce  même  mois  d'août,  le 
pillage  fut  complet  :  non  seulement  «  tout  le  bestial  »  et 
tous  les  bons  meubles  furent  pris  et  emmenés,  maisencore 
les  ennemis  se  saisirent  de  «  plusieurs  corps  d'ommes  », 
c'est-à-dire  de  plusieurs  habitants,  qu'il  fallut  racheter  au 
prix  de  cent  vingt  florins  d'or.  Le  dommage  causé  à  Chali- 
gny  par  cette  nouvelle  razzia  fut  estimé  à  deux  mille  florins 
d'or.  Pour  comble  de  malheur,  le  village  désolé  dut  loger 
pendant  deux  jours  et  demi,  au  mois  de  septembre,  le  voué 
d'Epinal  à  la  tête  de  140  chevaux.  Les  protestations  des 
officiers  seigneuriaux  ne  purent  détourner  ce  fléau,  qui 
coûta  à  Chaligny  trois  cents  florins  de  dommages.  Enfin, 
en  mai  1435,  les  pillards  habituels  de  Chaligny,  aidés  de 
((  Messire  Aubert  Dorchetz  ))  qui  déjà  avait  été  leur  auxi- 
liaire  l'année  précédente,emmenèrentpoursix  cents  florins 
de  bétail  «  tant  en  bestes  grosses  et  menues  et  chevaux  ». 

Il  semble  que  la  paix  d'Arras,  conclue  en  1435,  en 
mettant  fin  aux  querelles  entre  Bourguignons  et  Français, 
ait  assuré  quelque  repos  aux  populations  si  cruellement 
éprouvées  par  ces  destructions  systématiques.  Mais  en 
Lorraine  cette  paix  ne  fut  qu'une  trêve  ;  la  guerre  de 
succession^  qui  mettait  aux  prises  René  d'Anjou  et  le 
comte  de  Vaudémont,  ne 'devait  pas  tarder  à  se  rallumer 
plus  terrible.  De  leur  colline,  les  habitants  de  Chaligny 
purent  assister  aux  déprédations  commises  à  Pont  Saint- 
Vincent  qui  appartenait  à  Antoine  de  Vaudémont;  à  trois 
lieues  de  Chaligny,  tout  le  comté  de  Vaudémont  souffrait 

(i)  Le  Febvre  de  St-Remy  (Edition  de  la  Société  de  l'Histoire  de 
France),  II,  p.  279. 


—  73  — 

de  la  «  pestilence  »  des  guerres,  suivant  l'énergique 
expression  d'un  compte  de  cette  époque  (1).  Forcément 
Thiébaut  VIII  se  trouva  engagé  dans  la  lutte  au  profit  de  la 
cause  de  Vaudémont.  A  cette  époque  se  produisit  un  évé 
nement  qui  nous  est  connu  seulement  par  les  doléances 
dont  il  fournit  le  thème,  un  quart  de  siècle  plus  tard,  au 
fils  de  Thiébaut  VIII,  alors  qu'il  cherchait  des  motifs  de  se 
quereller  avec  le  gouvernement  lorrain  (2).  J'essaierai  de 
dégager  cet  événement  des  réclamations  formulées  par 
Thiébaut  IX,  ainsi  que  de  la  réponse  qu'y  fit  li^  Conseil  de 
Lorraine,  en  rapprochant  ces  documents  des  indications 
que  nous  trouvons  dans  l'histoire  des  luttes  qui  déchiraient 
alors  le  pays. 

Un  fait  est  certain  :  au  cours  des  guerres  entre  Loiraine 
et  Vaudémont,  un  chef  de  bande,  nommé  Guillaume 
d'Estrosse,  s'était  emparé  de  la  forten^sse  de  Chaligny  et  y 
avait  commis  des  actes  de  pillage.  Ce  capitaine  était  un 
partisan,  avoué  ou  secret,  de  René  d'Anjou  :  s'il  n'en  eût 
été  ainsi,  nul  ne  se  serait  avisé  de  rendre  le  gouvernement 
lorrain  responsable  de  ses  actions.  Or,  sitôt  après  l'événe- 
ment, Thiébaut  VIII,  alors  seigneur  de  Chaligny,  s'adressa 
au  conseil  de  Lorraine,  pour  réclamer  d'abord  la  restitu- 
tion de  la  place,  et  en  outre  des  dommages  et  intérêts.  La 


(1)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  9705.  En  1438  et  1439,  le  comté  de  Vau- 
démont est  cruellement  ravagé  par  les  Lorrains  :  Jehan  de  Haussonville 
y  conduit  les  troupes  de  René,  qui  y  font  beaucoup  de  mal.  Un  compte 
nous  apprend  que  lui  et  ses  «  complices  »  ont  brûlé  Dollecourt  et  sans 
doute  beaucoup  d'autres  villages.  En  1439-1440,  la  plupart  des  villages 
du  Vaudémont  et  PontSt- Vincent  sont  tellement  éprouvés  qu'on  ne 
peut  plus  y  payer  les  redevances  dues  au  comte  de  Vaudémont.  La  place 
de  Vaudémont  était  occupée  par  une  forte  garnison  (Archives  de  M.-et- 
M.,  B,  9704  et  97(X)). 

i'i)  Voir  a  l'advis  des  gens  du  Conseil  de  Lorraine  pour  respondre  à 
aucuns  poins  contenus  en  lettres  que  le  mareschal  de  Bourgogne  a 
escriptes  au  Roy  de  Sicile  ».  Ces  réclamations  datent  vraisemblable- 
ment d'une  époque  voisine  de  la  querelle  du  maréchal  avec  le  gouver- 
nement lorrain  à  propos  d'Epinal,  entre  1466  et  1467.  Voir  ce  document 
à  la  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  48. 


—  74  — 

restitution  lui  fut  accordée  sans  difficulté  ;  dès  que  le  roi 
de  Sicile  fut  ioformé,  par  Tintermédiaire  de  ses  conseil- 
lers, de  l'exploit  de  Guillaume  d'Estrosse,  il  fit  remettre 
Chaligny  à  son  légitime  seigneur,  «  par  ce  que  s'estoit  des 
fieds  de  Lorraine  ».  Quant  aux  dommages  et  intérêts,  au 
cours  de  pourparlers  qui  eurent  lieu  dans  une  assemblée 
tenue  à  la  collégiale  Saint-Georges  de  Nancy,  où  le  conseil 
de  Lorraine  eut  pour  porte-paroles  Jean  de  Haussonviile, 
le  gouvernement  ducal  refusa  de  s'en  reconnaître  débiteur. 
En  effet,  Guillaume  d'Estrosse  n'était,  au  dire  des  Lorrains, 
ni  le  vassal  ni  le  sujet  de  René  ;  il  agissait  de  son  chef, 
((  à  son  adventure  de  guerre  formelle,  à  votre  feu  père 
(Thiébaut  VIII),  pour  certains  dommages  qu'il  disoit  lui 
avoir  esté  faits  à  Ferrières  et  ailleurs  ».  La  thèse  lorraine 
est  très  claire  ;  Chaligny  a  été  pris  au  cours  d'une  guerre 
privée  entre  Thiébaut  VIII  et  Guillaume  d'Estrosse,  qui 
n'est  point  sujet  lorrain.  Aussi  le  gouvernement  lorrain  a 
satisfait  à  toutes  ses  obligations  en  assurant  la  restitution 
de  la  place  ;  il  ne  doit  rien  de  plus  au  sire  de  Neufchàtel. 
Cette  prise  de  Chaligny  est  nécessairement  postérieure 
à  1435,  puisqu'elle  n'est  pas  mentionnée  dans  la  liste, 
précédemment  analysée,  des  malheurs  de  Chaligny  entre 
1431  et  1435.  Il  semble  raisonnable  de  la  placer  à  l'époque 
où  la  guerre  se  ralluma  entre  René  d'Anjou  et  Antoine 
de  Vaudémont,  c'esl-à  dire  entre  1438  et  1440.  En  efîet, 
il  est  à  remarquer  qu'au  fort  de  cette  lutte,  le  gouver- 
nement ducal  prit  à  sa  solde,  avec  le  consentement  du 
roi  de  France,  un  certain  nombre  de  chefs  de  bandes, 
connus  sous  le  nom  d'Ecorcheurs,  qui  vinrent  en  Lorraine 
sous  le  commandement  de  La  Hure  ;  parmi  ces  chefs 
figuraient  deux  personnages  appelés  Paul  et  Guillaume 
d'Estrac  (1).  Nous  savons  d'ailleurs  qu'à  la  fin  de  1438  et 

(1)  Voir  sur  cet  épisode,  Tuetey,  les  Ecorcheurs,  tome  I".  On  trou- 
vera sur  les  sommes  données  à  La  Hure  et  à  ses  compagnons,  d'abon- 
dants  renseignements   aux  Archives  de  M.-et-M.,  à  la  (in  du  compte 


-^    75  — 

en  1439  les  d'Estrac  étaient  en  garnison  à  Ormes,  non  loin 
d'Haroué,  à  moins  d'une  journée  de  marche  de  Chaligny  ; 
nous  savons  enfin  que  tout  au  moins  le  fils  du  seigoeur  de 
Chaligny,  Thiébaut  IX,  avait  eu  maille  à  partir  avec  les 
Ecorcheurs  (l). 

Il  est  donc  permis  de  conclure  de  ces  diverses  observa 
tions  que  le  personnage  désign.é  sous  le  nom  de  Guillaume 
d'Estrosse  dans  des  documents  rédigés  plus  de  vingt-cinq 
ans  après  les  événements  doit  être  confondu  avec  Técor- 
cheur  Guillaume  d*Estrac.  Ce  Guillaume  d'Estrosse  se 
plaignait  de  dommages  que  lui  aurait  infligés  le  sire  de 
Neufchàtel  à  Ferrières,  et  prétendait  en  tirer  vengeance 
lorsqu'il  attaqua  Chaligny  :  or,  parmi  les  domaines  des 
Neufchàtel,  venant  des  Joinville,  se  trouvait  un  village  de 
Ferrières,  fondé  au  xiii«  siècle  par  le  bon  sénéchal  dans  sa 
forêt  de  Mathons  (2).  En  somme,  il  est  très  vraisemblable 
que  la  forteresse  de  Chaligny  fut,  pendant  quelque  temps, 
en  1438  ou  1439, au  pouvoir  d'un  chef  de  bande,  Guillaume 
d'Estrosse  ou  d'Estrac,  qui  s'en  était  rendu  maître  à  la  fois 
pour  venger  son  injure  personnelle  et  pour  servir  la  cause 
du  roi   René.  Des  pillages  continuels  et  une  visite  des 


côté  dans  la  série  B  sous  le  n*  967.  Les  deux  ecorcheurs  portant  lo 
nom  d'Estrac  étaient  appelés  souvent  le  grand  et  lo  petit  Estrac. 
Voyez  aussi  :  Lepage,  Extrait  des  comptes  du  receveur  général  de 
Lorraine  relatifs  à  la  seconde  guerre  entre  René  /•'  et  Antoine  de 
Vaudémont^  dans  la  Collection  des  Documents  sur  VHistoire  de 
Lorraine.  -  En  1438,  «  Lestracque  »  est  capitaine  d'Ormes  (p.  138  et 
151).  Les  deux  frères  Lestrac  sont  «  retenus  »  au  service  du  roi 
René,  du  M  mai  au  11  août  1439  (p.  150  et  151).  —  Estrac  ou  Destrac 
était  très  impérieux  quand  il  réclamait  sa  solde  :  il  n'était  pas  facile 
de  lui  faire  «  avoir  pacience  »  (p.  151). 

(1)  Cf.  Tuetey,  Les  Ecorcheurs,  I,  p.  16  et  17. 

(2)  J.  Simonnet,  Essai  sur  Vhistoire  et  la  généalogie  des  sires  de 
Joinville,  p.  3i9;  Delaborde,  op.  cit.,  n»»  459,  467,  etc.  Le  domaine  de 
Mathons  (canton  de  Joinville,  Haute-Marne)  avait  passé  par  succession 
des  Joinville  aux  Neufchàtel  :  voir  ci-dessus,  p.  45,  note  1.  Cette  identi- 
fication du  Ferrières  dont  il  est  question  dans  1'  «  Advis  du  Conseil 
de  Lorraine  »  n'est  qu'une  conjecture;  mais  elle  semble  très  vraisem- 
blable. 


—  76  - 

Ecorcheurs,  voilà  le  résumé  de  Thistoire  de  Chaligny  de 
1430  à  1440  HJ.  Cependant  Thiébaut  VIII  de  Neufchàtel,  à 
cette  époque,  jouait  un  rôle  considérable  parmi  les  servi- 
teurs du  duc  de  Bourgogne  :  il  reçut  la  Toisond'or  en  1433, 
au  chapitre  de  Dijon,  en  même  temps  que  le  comte  de 
Charolais,  et  nous  le  retrouvons  encore  en  143S,  assistant 
au  chapitre  de  TOrdre  qui  fut  tenu  à  Bruxelles.  A  la  cour 
comme  à  la  guerre,  il  marche  à  un  rang  qui  n'est  pas  loin 
du  premier. 

III 

Au  déclin  de  sa  vie,  le  personnage  de  Thiébaut  VIII, 
alors  connu  sous  le  nom  de  Thiébaut  le  Vieil,  passa  peu  à 
peu  au  second  rang,  en  même  temps  qu'apparaissait  en 
première  ligne  son  fils  Thiébaut  IX,  qui  portait  le  titre  de 
sire  de  Blâmont.  Ce  n'est  pas  une  figure  banale  que  celle 
de  ce  jeune  homme  qui,  à  vingt-six  ans  (2),  le  11  août. 
1443,  mérita  d'être  nommé  par  Philippe  le  Bon  maréchal 
de  Bourgogne,  et  qui,  treize  ans  plus  tard,  en  1456,  fut 
admis  dans  l'ordre  de  la  Toison  d'Or,  où  avaient  été  reçus 
avant  lui  son  père  et  son  oncle  (3).  Sous  une  apparence 
débile  et  chétive,  le  maréchal  de  Bourgogne  cachait  une 
volonté  énergique  et  indomptable:  son  caractère  vindicatif 
était  redouté  de  ses  contemporains  (4).  Hardi,  ambitieux  et 

(1)  En  1442,  Pont-St-Vinccnt  élail  encore  ravagé  par  les  ennemis  du 
comte  de  Vaudémont  ;  cela  résulte  de  ce  fait  que  les  habitants  ne 
purent  s'acquitter  des  droits  seigneuriaux  (Archives  de  M.-et-M.,  B, 
9700).  11  y  a  bien  des  chances  pour  que  les  terres  de  Chaligny  aient 
aussi  été  pillées  à  celte  époque. 

(2)  Olivier  de  la  Marche  (édition  de  la  Société  do  l'Histoire  de 
France),  I,  p.  270,  note.  —  Tuetey,  op,  cit.,  I,  p.  337. 

(3)  Gollut-Duvcrnoy,  Mémoires  historiques  de  la  République  Séqua- 
noiîie,  col.  1089,  1091,  10^. 

(4)  Olivier  de  la  Marche,  I,  p.  269;  II,  p.  415.  Thiébaut  IX  est 
dépeint,  dans  ce  dernier  passage,  comme  un  homme  a  actif,  et  prêt 
pour  soy  venger  ».  Cf.  Chastellain  (édition  de  l'Académie  royale  de 
Belgique),  III,  p.  230. 


-  77  - 

implacable,  il  justifiait  Tadage  qui  faisait  de  la  fierté  le 
caractère  particulier  de  sa  race;  d'ailleurs  «  chevalier  de 
haute  et  grande  façon,  fort  à  craindre  »,  il  était,  suivant 
l'expression  de  Chastellain,  «  estoflé  de  fil  et  d'aiguille  et 
de  toutes  appartenances  et  nécessités,  fust  à  guerre  ou  à 
paix  (1)  ».  Ce  fut  un  des  plus  importants  parmi  les  conseil- 
lers et  les  serviteurs  de  Philippe  le  Bon  et  de  Charles  le 
Téméraire  ;  il  est  peu  de  pages  de  leur  histoire  où  son  nom 
ne  figure  pas. 

Le  cadre  de  cette  étude  ne  saurait  me  permettre  de  faire 
apparaître  le  capitaine  que  fut  Thiébaut  IX  de  Neufchâtel. 
Il  faudrait  le  montrer,  en  1444  et  1443,  surveillant  et  au 
besoin  harcelant,  à  la  tète  d'un  corps  bourguignon,  l'armée 
que  dirigeait  le  dauphin  Louis  contre  les  Suisses  ;  en  ce  fai- 
sant il  servait  la  politique  de  Philippe  le  Bon,  fort  désireux 
de  voir  échouer  une  entreprise  encouragée  par  ses  rivaux 
d'Autriche  et  destinée,  en  fin  de  compte,  à  accroître  dans 
ces  régions  le  prestige  de  la  monarchie  française  (2).  Il 
faudrait  suivre  ce  rude  soldat  dans  ses  campagnes  contre 
les  Gantois,  puis  contre  les  Liégeois  ;  nul  ne  dirigea  mieux 
une  attaque  et  ne  conduisit  plus  vaillamment  une  avant- 
garde.  Aussi  méritait-il  bien  d'être  armé  chevalier  sur 
le  champ  de  bataille  ;  cet  honneur  lui  fut  accordé  en  1433, 
le  matin  de  la  bataille  de  Gavre,  où  les  Gantois  furent  écra- 
sés (3).   Il  va  de  soi  que   s'il  est  terrible  à  l'ennemi  du 

(1)  Chastellain,  il,  p.  188. 

|2)  Olivier  de  la  Marche,  I,  p.  62  ;  Beaucourt,  Histoire  de  Charles  Vil, 
IV,  p.  ^,  116-117,  121-122;  Gollut-Duvernoy,  col.  1157.  —  Au  cours  de 
ces  événements,  le  maréchal  tailla  en  pièces  une  bande  de  routiers  de 
l'armée  du  Dauphin,  ce  qui  irrita  fort  le  futur  Louis  XI.  En  revanche, 
le  maréchal  eut  à  subir  sur  ses  domaines  les  déprédations  commises 
par  les  Ecorcheurs  au  service  de  la  France  ;  l'un  d'eux,  Antoine  de 
Ghabannes,  se  vantait  de  lui  avoir  pris  des  biens  pour  dix  mille  écus 
et  ajoutait:  «Je  me  suis  bien  chauffé  en  ses  pays  et  bu  de  bons  vins.  » 
(Texte  de  la  Chronique  Martinienne,  cité  par  le  marquis  de  Beaucourt, 
IV,  p.  191.) 

(3)  Olivier  de  la  Marche,  II,  p.  317  et  s.  Voir  la  lettre  par  laquelle 


—  78  — 

dehors,  il  n'est  pas  moins  redoutable  pour  les  séditieux  ; 
c'est  ainsi  qu'il  n'hésite  pas  à  faire  couler  le  sang  quand,  en 
1451,  il  s'agit  de  punir  les  habitants  de  Besançon  qui  ont 
méconnu  l'autorité  de  leur  maître  (1).  Au  surplus,  il  est  bon 
pour  la  plume  et  le  poil  ;  ce  soldat  est  fréquemment  employé 
comme  ambassadeur.  Par  exemple,  en  1454,  il  est  chargé 
d'obtenir  la  reconnaissance  des  prétentions  de  Philippe 
le  Bon  sur  le  comté  de  Ferrette  (2)  ;  le  même  prince,  après 
l'avoir  chargé  de  négocier  avec  le  comte  de  Warwick,  le 
faiseur  de  rois,  l'envoie  l'année  suivante  à  Londres  avec 
mission  de  traiter  avec  le  gouvernement  anglais  (3).  On 
verra  plus  loin  que  les  affaires  de  Lorraine  lui  ménagèrent 
quelques  déboires.  Le  temps  lui  manqua  pour  en  tirer 
vengeance  :  il  était  âgé  d'environ  cinquante-deux  ans 
quand,  en  1469,  une  mort  prématurée  brisa  la  carrière 
de  cet  homme  mêlé  aux  plus  grands  événements  de  son 
temps. 

Les  habitants  de  Chaligny  s'intéressèrent-ils  à  la  gran- 
deur de  leur  seigneur,  je  ne  saurais  le  dire.  Toujours 
est-il  qu'à  deux  reprises  au  moins  ils  en  éprouvèrent  les 
conséquences,  lorsqu'ils  virent  arriver  chez  eux  les  agents 
financiers  de  Neufchâtel  chargés  de  leur  demander  une  aide 
extraordinaire.  Il  leur  fallut  d'abord  en  payer  une  en 
septembre  1443,  un  mois  après  que  Thiébautde  Neufchâtel 
fut  nommé  maréchal  de  Bourgogne  :  l'aide  produisit,  pour 

le  maréchal  annonce  sa  victoire.  III,  p.  421-423.  Déjà  en  1452  le  maré- 
chal avait  pendant  plusieurs  mois  dirigé  contre  les  Gantois  une  guerre 
d'extermination,  où  tous  les  avantages  no  furent  pas  pour  les  Bourgui- 
gnons ;  Beaucourt,  op.  cit.,  V,  p.  252. 

(1)  Gollut-Duvernoy,  Mémoires  historiques  de  la  République  séqua- 
noise,  col.  1166  et  s. 

(É)  StoufT,  op.  cit.,  p.  13.  Ce  (ut  un  incident  des  négociations  ou- 
vertes, afin  d'établir  l:i  paix  entre  la  Bourgogne  et  l'Autriche.  — 
Déjà  en  1H7  le  maréchal  avait  été  chargé  de  négociations  avec  le  duc 
Albert  d'Autriche  (Beaucourt,  IV,  p.  351). 

(3)  Beaucourt,  Histoire  de  Charles  VIT,  Vï,  p.  270  et  291.  Cf.  Chas- 
tcllain,  III,  p.  427. 


-  79  — 

tout  le  ban  de  Chaligny  (y  compris  Chavigny  et  Neuves- 
Maisons)  la  somme  de  150  florins  d'or  (1).  Conformément 
aux  règles  du  droit  féodal,  les  agents  du  fisc  revinrent  en 
1453,  quelques  semaines  après  que  le  maréchal  eut  été 
armé  chevalier  sur  le  champ  de  bataille  de  Gavre  ;  ils 
emportèrent  alors  de  Chaligny  200  florins  d'or  (2).  J'ima- 
gine que  les  sujets  de  Neufchàtel  ne  bénirent  pas  les 
honneurs  conférés  à  Thiébaut  IX.  Sans  doute  Tavaient-ils 
vu  avec  plus  de  plaisir,  combattre  en  1441  le  damoiseau 
de  Sarrebrûck,  ce  pillard  insatiable,  et  lutter  encore  contre 
lui  en  1443  à  côté  de  Louis,  marquis  du  Pont,  fils  du  duc 
de  Lorraine,  René  d'Anjou  (3).  Rien  n'était  plus  favorable 
aux  intérêts  des  habitants  de  Chaligny  que  la  bonne  entente 
entre  leur  seigneur  et  le  duc  de  Lorraine  ;  ajoutez  à  cela 
qu'ils  devaient  se  féliciter  de  ce  que  Neufchàtel  eût  enfin 
leloisirdetournersesarmes  contre  ce redoutabledamoiseau 
coupable  à  leur  égard  de  tant  d'excès.  Sans  doute  aussi, 
au  début  de  1456,  quelques-uns  des  sujets  de  Neufchàtel, 
((  les  manans  et  habitants  de  la  ville  de  Chavegny,  en  la 
seigneurieet  chastellenie  de  Chaligny  »,  soumis  à  ce  moment 

(1)  Archives  de  M.-etM.,  B.  608,  n'  9. 

(2)  Ibid. 

(3)  8  septembre  1441  :  Plusieurs  gentilshommes  déclarent  à  Robert 
de  Sarrebrûck  qu'ils  aideront  Thiébaut  de  Neufchàtel  en  cette  présente 
ffuorre  contre  lui  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  4  à  8).  —  Le  42  mars 
1442,  Thiébaut  de  Neufchàtel,  seigneur  de  Blûmont,  au  nom  de  son 
père  (Thiébaut  VIII)  et  au  sien,  accorda  une  trêve  au  même  Robert, 
(Ibid.,  fol.  3).  —  Pendant  l'hiver  de  14i3-1444  éclata  une  nouvelle 
guerre  entre  Robert  de  Sarrebrûck  et  les  Neufchfttel  ;  le  marquis  du 
Pont,  fils  du  roi  René,  qui  était  en  cette  circonstance  l'allié  des  Neuf- 
chàtel, acquit  à  cette  occasion  le  château-bas  de  Gommercy.  •—  Apres 
la  campagne,  le  marquis  promit  h  Thiébaut  de  l'indemniser  jusqu'à 
concurrence  de  1000  «  bons  vieux  florins  d'or  »  ;  Thiébaut  était  venu 
lui  porter  secours  avec  cent  hommes  d'armes  et  était  demeuré  deux 
mois  avec  lui.  En  outre,  par  d'autres  actes,  le  marquis  se  reconnut, 
envers  Thiébaut,  débiteur  de  297  florins  à  titre  d'indemnité  pour 
chevaux  perdus  et  autres  dommages  et  lui  donna  500  florins  du  Rhin. 
(Archives  de  M.-et-M.,  B,  608,  n*  25  ;  Archives  de  la  Meuse,  B.  262* 
fol.  193  ;  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  10;  Tuetey,  Les  Ecorcheurs,  }] 
p.  96.) 


—  80  — 

à  Thiébautle  Vieil,  c'est-à  dire  à  TbiébautVIII,  et  à  son  fils 
le  maréchal  de  Bourgogne,  purenl-ils  se  réjouir  de  la 
concession  qui  leur  fut  faite  par  leurs  seigneurs  du  bois  de 
Champelle,  sis  non  loinde  Vandœuvre,  moyennant  un  cens 
léger,  afiu  de  les  dédommager  de  ce  qu'ils  avaieul  été  fort 
((  travaillés  par  les  guerres  faites  cy  en  arrière  (i)  »>.  On 
aime  à  penser,  çans  en  avoir  la  preuve,  que  les  habitants 
des  autres  villages  de  la  seigneurie,  à  savoir  Chaligny  et 
Neuves-Maisons^  qui  n'avaient  guère  été  moins»  travaillés», 
reçurent  aussi  quelque  indemnité.  Si  considérable  qu'ait 
pu  être  cette  indemnité,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  les 
événements  qui  marquaient  la  carrière  des  Neufcbâtel  se 
traduisaient  pour  leurs  sujets  par  des  pilleries  ou  des  im- 
pôts. 

L'entente  des  Neufchâtel  avec  René  d'Anjou  ne  fut  pas 
de  longue  durée.  Elle  n'était  point  rompue  encore  le  24 
novembre  1445  quand,  grâce  à  l'intervention  du  duc  de 
Calabre,  les  deux  Neufchâtel,  Thiébaut  le  Vieil  etThiébaut 
le  Jeune,  obtinrent,  à  titre  de  dommages  et  intérêts,  une 
somme  de  2000  florins  de  Jean  de  Germiny  qui  avait 
«  couru  »  leur  terre  de  Chàtel  (2).  En  revanche,  dès  1448, 
la  discorde  avait  éclaté  entre  les  Neufchâtel  et  leur  suzerain  ; 
c'est  un  fait  que  démontre  péremptoirement  la  résistance 
opposée  par  les  officiers  de  Neufchâtel  à  ceux  de  René  qui 
demandaient  l'entrée  de  Châtel-sur-Moselle,  parce  que 
c'était  une  forteresse  tenue  du  duché  de  Bar  comme 
((  jurable  et  rendable  (3)  n.  D'ailleurs  les  Neufchâtel,  à 
compter  de  ce  moment,  semblent  fort  peu  préoccupés  de 
respecter  les  droits  de  la  maison  d'Anjou.  Un  peu  plus 

(1)  10  janvier  1456  :  Archives  de  M.-et-M.,  B.  3933.  Il  est  dit  dans 
cet  acte  que  diverses  terres  n'ont  pu  être  labourées  ;  qu'une  terre  est 
revenue  a  à  bois  ».  Le  cens  annuel  que  devaient  fournir  les  habitants 
de  Cliavigny  fut  fixé  à  9  livres  de  cire. 

(2)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  608,  n*  24. 

(3)  8  décembre  1448.  Archives  de  M.-et-M.,  B,  608,  n*  25  (pièce  en 
déficit,  connue  d'après  les  inventaires). 


-^  81  — 

tard,  les  Lorrains  articuleront  contre  le  maréchal  de 
Bourgogne  divers  griefs,  parmi  lesquels  figure  son  relus 
de  rendre  au  duc  de  Lorraine  les  devoirs  féodaux  dont  il 
est  tenu  envers  lui  pour  Chaligny.  Nous  savons  en  outre, 
par  les  comptes  qu'a  dressés  le  receveur  général  de  Lorraine 
en  1462-1463,  que  le  droit  de  garde  dû  au  suzerain,  c'est- 
à-dire  au  duc,  par  «  les  villes  de  Chavegney,  Challigny  et 
de  Nuefves  Maisons  »  n'était  plus  payé  depuis  plusieurs 
années,  ((  pour  la  deflense  de  Messire  Thiébault  le  Viel  et 
de  Messire  Thiébault  son  fils,  maréchal  deBourgogne(l)  ». 
C'est  sans  doute  en  ce  temps  que  le  maréchal,  prétendant 
que  Chaligny  était  un  fief  «  absolu  n,  y  avait  fait  élever 
un  ((  gibet  royal  »  tel  que  jamais  semblable  n'y  avait 
existé  (2).  En  somme,  depuis  1448,  l'es  Neufchâtel  sont 
pour  les  ducs  de  Lorraine  et  de  Bar,  René  d'Anjou  et  son 
fils  Jean  de  Calabre,  des  vassaux  aussi  indociles  que 
redoutables  ;  il  semble  qu'entre  eux  et  les  princes  de  la 
dynastie  angevine  se  réveillent  les  haines  mal  assoupies 
des  Bourguignons  et  des  Armagnacs. 

Entouré  en  Lorraine  de  mécontents  et  d'ennemis,  le 
maréchal  de  Bourgogne  n'opposait  à  leurs  menaces  qu'une 
altière  indifférence.  On  le  vit  bien  en  une  circonstance 
mémorable  (3).  Au  cours  de  l'année  1456,  le  futurLouisXI, 
affolé  par  la  crainte,  d'ailleurs  peu  fondée,  d'être 
appréhendé,  cousu  dans  un  sac  et  jeté  à  l'eau  par  les  ser- 

(1)  Archives  de  M  -et  M.,  B.  969,  fol.  19. 

(2)  Doléances  du  jçouvernement  lorrain,  proposées  lors  de  la  média- 
lion  de  Charles  le  Téméraire,  au  cours  de  la  guerre  d'Epinal  ;  BibK 
Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  !207  et  s.  Ce  document  reproduit  la  men- 
tion d'autres  griefs  :  ainsi,  on  ne  respecte  pas  le  droit  de  com bour- 
geoisie qui,  de  toute  ancienneté,  était  reconnu  h  Chavigny  en  faveur 
des  habitants  de  Villers-lès-Nancy  ;  on  ne  permet  plus,  suivant  la 
coutume,  de  crier  au  nom  du  duc  la  fête  de  Chavigny  ;  des  querelles 
s'élèvent,  à  propos  de  l'exploitation  des  bois,  sur  la  limite  qui  sépare 
les  bois  du  duciié  de  ceux  de  la  seigneurie,  etc. 

(3;  Voir  sur  ces  événements  Olivier  de  la  Marche,  H,  p.  409;  Mathieu 
d'Escouchi,  II,  p.  328  ;  de  Clercq,  livre  III,  chap.  XXX II  ;  et  surtout 
Chastellain,  III,  p.  180  et  s. 

6 


-  82  - 

viteurs  de  son  père  (1),  dont  il  avait  encouru  la  disgrâce,  ne 
crut  pouvoir  prendre  un  meilleur  parti  que  celui  de  quitter 
le  Dauphiné  pour  chercher  un  refuge  auprès  de  Philippe 
le  Bon.  De  Grenoble  aux  Pays-Bas,  le  voyage  était  long  et 
semblait  au  dauphin  plein  de  périls  :  le  bâtard  d'Armagnac 
et  Louis  de  Chalon,  prince  d'Orange,  lui  conseillèrent 
de  se  confiera  la  protection  de  Thîébaut  de  Neufchâtel. 
Le  prince  hésitait,  se  rappelant  la  campagne  de  1444  contre 
les  Suisses,  au  cours  de  laquelle  ses  gens  avaient  été  à  plus 
d'une  reprise  fort  malmenés  parThiébaut;  mais,  comme 
on  lui  vantait  les  hautes  qualités  du  maréchal,  il  finit  par 
se  décider  à  se  remettre  en  ses  mains  (2).  De  son  côté, 
Thiébaut  accepta  la  charge  de  conduire  le  dauphin  jusque 
dans  les  Pays-Bas,  en  évitant  avec  soin  de  passer  sur  les 
terres  de  l'obéissance  de  Ch'arles  Vil .  Au  cours  de  ce  voyage, 
le  maréchal  tint  à  honneur  d'héberger  le  dauphin  dans  «  sa 
maîtresse  maison  de  Châlel-sur-Moselle  »,  d'où  il  défiait  la 
puissance  des  Angevins;  puis,  à  la  tète  d'une  faible  escorte, 
il  le  mena,  «  de  giste  à  autre,  coucher  dans  ses  propres 
maisons  (3)  »,  à  travers  cette  Lorraine  qui  comptait  tant 
d'adversaires  des  Bourguignons.  Vraisemblablement,  parmi 
les  étapes  du  futur  Louis  XI  entre  Chàtel  et  le  Luxembourg, 
figura  le  château  de  Chaligny.  Quoi  qu*il  en  soit,  des  rela- 
tions étroites  s'établirent  alors  entre  Louis  et  Thiébaut  ; 
d'après  le  récit  de  Chastellain,  le  dauphin  semble  avoir 
gardé  une  haute  idée  des  mérites  du  maréchal,  qui  pen- 
dant quelques  années  exerça  sur  le  fils  de  France  «  une 
grande  et  singulière  autorité  (4)  ». 

IV 

L'hostilité  entre  Thiébaut  IX  de  Neufchâtel  et  les  princes 
angevins  qui  régnaient  en  Lorraine  et  en  Barrois  ne  fit  que 

(I)  Beaacourt,  VI,  p.  88  et  90. 
(â)  Chastellain,  IH,  p.  180. 

(3)  Ibid,  p.  187. 

(4)  Ibid.,  p.  S92. 


—  83  — 

s'aggraver  quand^  après  la  mort  de  Thiébaut  VIII,  sur- 
venue en  1459(1),  le  maréchal  fut  devenu  le  seul  maître 
des  seigneuries  qui  constituaient  son  héritage,  au  premier 
rang  desquelles  figuraient  celles  de  Châtel  sur-Moselle,  de 
Bainville  aux-Miroirs  et  de  Chaligny.  Deux  faits  ache- 
vèrent de  rendre  la  domination  de  la  maison  de  Neufchâ- 
tel  en  ces  régions  absolument  intolérable  au  gouverne- 
ment lorrain. 

Ce  fut  d'abord  la  désignation  que  fit,  le  3  octobre  1460, 
le  pape  Pie  II  d'un  titulaire  pour  l'évéché  de  Toul,  vacant 
par  la  mort  de  Jean  de  Chevrot,  l'éphémère  successeur  de 
Guillaume  Fillàtre,  ce  Bourguignon  décidé,  qui  avait  été 
transféré  à  l'évéché  de  Tournay.  Le  choix  du  pape,  vrai- 
semblablement influencé  par  la  diplomatie  du  duc  de  Bour- 
gogne, se  porta  sur  Antoine  de  Neufchâtel,  l'un  des  fils  du 
maréchal.  Or  ce  personnage  était  alors  un  enfant  âgé  de 
douze  ans,  dont  la  nomination  était  destinée  à  servir  les 
intérêts  temporels  de  sa  famille,  et  non  les  intérêts  spi- 
rituels du  grand  diocèse  de  Toul.  Malgré  son  jeune  âge, 
qui  ne  permettait  pas  qu'on  pût  songer  à  le  consacrer 
avant  de  longues  années,  Antoine  de  Neufchâtel  reçut  du 
pape  la  qualité  d'administrateur  apostolique  pour  son 
diocèse  (2).  On  devine  le  mécontentement  de  la  partie 
du  clergé  et  des  fidèles  (c'était  la  plus  nombreuse)  qui 
échappait  à  l'influence  bourguignonne;  on  devine  surtout 
celui  du  gouvernement  lorrain.  A  n'envisager  que  les 
raisons  d'ordre  temporel,  ce  n'était  pas  une  médiocre 
menace  pour  le  duché  de  Lorraine  que  la  réunion,  sous  la 
main  du  maréchal,  des  importants  fiefs  qu'il  tenait  de  la 

(1)  En  ce  qui  concerne  la  date  de  la  mort  de  Thiébaut  VIII,  voir  ci- 
dessus,  p.  65  et  note.  Thiébaut  VIII  fut  inhumé  à  l'isie,  dans  la  chapelle 
de  la  Vraie  Croix.  (.\bbé  Loye,  op.  ciL.  p.  173.) 

(2)  Abbé  E.  Martin,  Uistoire  des  diocèses  de  Toul^  de  j\ancy  et  de 
Saini-Dié^  I,  p.  418.  Voyez  aussi  les  lettres,  se  référant  à  cette  affaire, 
publiées  par  Benoit  Picart,  Histoire  de  la  ville  et  du  diocèse  de  Toul, 
p.  555  et  s. 


~  84  - 

Succession  paternelle,  et  des  domaines  considérables  de 
l'église  de  Toul,  placés  à  sa  discrétion  par  l'élévation  de 
son  fils  à  la  dignité  épiscopale.  Au  spirituel,  les  inconvé- 
nients de  cette  nomination  lamentable  n'étaient  pas 
moindres,  si  bien  qu'un  schisme  faillit  éclater  dans  le 
diocèse. 

Le  mécontentement  du  gouvernement  lorrain  ne  fit  que 
s'accroître  quand,  peu  d'années  plus  tard,  le  maréchal  de 
Bourgogne  put  se  croire  à  la  veille  d'obtenir  en  Lorraine 
une  nouvelle  et  considérable  augmentation  de  territoire. 
Le  proscrit  de  Châtel-sur-Moselle  était  devenu  le  roi  de 
France  ;  par  une  lettre  datée  de  Toulouse,  le  2  juin  1463, 
Louis  XI,  voulant,  dit  il,  «  récompenser  les  grans,  bons  et 
louables  services  à  nous  fais  par  le  maréchal  de  Bourgogne 
du  temps  que  nous  estions  en  nécessité  et  crainte  de  nostre 
personne  (1)  »,  concéda  à  Thiébaut  de  Neufchâtel  la  ville 
et  la  banlieue  d'Épinal^  antique  possession  des  évéques 
de  Metz,  que  Charles  VII  avait  réunie  à  sa  couronne. 
Quoique  le  roi  se  fût  réservé  «  le  ressort  et  la  souverai- 
neté, la  foi  et  l'hommage  »,  il  n'en  est  pas  moins  vrai 
que  cette  concession  plaçait  de  fait  Épinal  sous  le  pouvoir 
direct  et  immédiat  du  maréchal.  En  agissant  ainsi, 
Louis  XI  se  proposait  il  uniquement  d'acquitter  une  an- 
cienne dette  de  reconnaissance?  C'est  chose  dont  il  est 

(1)  Archives  de  M.-ctM.,  B.  360,  fol.  485-180.  On  trouvera  dans  le 
registre  où  flgure  cette  lettre  une  série  de  documents  du  plus  haut 
intérêt  concernant  l'afTaire  d'Épinal.  La  plupart  (et  notamment  la  lettre 
du  2  juin)  ont  été  publiés  comme  pièces  justiGcatives  de  l'Important 
mémoire  de  M.  Duhamel  :  Négociations  de  Charles  VU  el  de  Louis  XI 
avec  les  évêques  de  Metz  pour  la  châlellenie  d'Épinal,  dans  les  Mé- 
moires de  la  Société  d'Émulation  des  Vosges,  XII  (1867).  La  lettre  du 
2  juin  y  figure  sous  le  n"  59  des  pièces  justificatives  ;  Louis  XI  ajoute 
que  les  services  dont  il  est  reconnaissant  au  maréchal  lui  ont  été  ren- 
dus «  du  temps  que  estions  en  nécessité  de  crainte  de  notre  personne, 
ouquel  temps  iccllui  nostre  cousin  (le  maréchal),  combien  que  il  ne 
feust  nostre  subgiet  ne  vassal,  sans  doute  de  personne  vivant,  nous 
servy  accompagné  de  plusieurs  gens  notables,  et  de  fait  ses  parents  et 
autres....  » 


—  85  — 

permis  de  douter.  Pour  s*expliquer  une  libéralité  si  peu 
enharmonie  avec  les  habitudes  du  roi  aussi  bien  qu*avec 
les  traditions  de  la  monarchie  française  dans  TEst,  il  faut 
savoir  que,  précisément  à  cette  époque,  Thiébaut  de  Neuf- 
châtel,  d'ailleurs  pensionné  par  la  France  (1),  mettait  son 
influence  au  service  de  la  politique  que  Louis  XI  suivait 
en  Italie  ;  il  avait  accepté  la  mission  de  travailler  à  établir 
une  alliance  étroite  entre  le  roi  de  France  et  le  maître  de 
Milan,  François  Sforza.  Vraisemblablement,  si  le  maréchal 
s'intéressait  aux  Sforza,  c'est  qu'il  voyait  en  eux  les  ad- 
versaires des  princes  d'Anjou,  ses  vieux  ennemis  en 
Lorraine,  auxquels  Louis  XI  ne  portait  lui-même  qu'une 
sympathie  incertaine  et  intermittente.  Quoi  qu'il  en  soit, 
vers  le  mois  de  juin  1463,  Thiébaut  IX,  qui  s'était  abouché 
avec  un  émisssire  de  Sforza,  avait  réussi  à  ménager  entre 
le  seigneur  de  Milan  et  Louis  XI  la  conclusion  d'un  traité 
fort  désavantageux  pour  le  roi  René  et  son  fils  Jean  de 
Calabre,  devenu  duc  de  Lorraine  par  la  mort  de  sa  mère  (2). 
La  simple  comparaison  des  dates  montre  nettement,  encore 
que  la  remarque  ne  semble  pas  en  avoir  été  faite,  que  la 
cession  d'Épinal  à  Neufchâtel  fut  le  prix  du  service  rendu 

(1)  Le 2  juillet  1463,  Thiébaut  de  Neufchâtel,  maréchal  de  Bourgogne, 
reçoit  de  Claude  Coct,  trésorier  général  du  Dauphiné,  900  livres  de 
tournois,  fraction  d'une  somme  annuelle  de  4000  livres  que  le  roi  lui  a 
concédée,  «  pour  pension  de  la  présente  année  commençant  le  1"  oc- 
tobre dernier  ».  —  Le  28  mai  1464,  il  reçoit  au  même  titre,  du  même 
Claude  Coct,  une  somme  de  1100  livres  de  tournois.  —  Ensuite,  s'étant 
brouillé  avec  Louis  XI,  il  ne  toucha  plus  sa  pension.  (Bibl.  Nat.,  Fran- 
çais, 28583  ;  quittances  de  Neufchâtel.) 

(2)  Perret.  Relations  de  la  France  avec  Venise,  I,  p.  400  et  401. 
C'est  le  14  mai  14(i3  qu'un  agent  du  Saint-Siège,  Antoine  do  Nocoto, 
faisait  savoir  â  Sforza  que  L.ouis  XI,  en  échange  de  son  alliance,  lui 
abandonnerait  Savone.  Il  l'engageait  k  envoyer  en  France  un  émissaire 
qui  s'aboucherait,  soit  avec  lui-même,  Noceto,  soit  avec  le  maréchal 
de  Bourgogne,  ardent  partisan  d'une  alliance  entre  la  France  et  Milan. 
Sans  tarder,  Sforza  envoya  au  maréchal  un  parmesan,  Emmanuel 
Jacopo,  avec  qui  s'ouvrirent  les  négociations  qui  aboutirent  au  traité, 
daté  du  22  décembre  14a3.  Cf.  F.  Gabotto,  Lo  Stato  Sabando  da  Àme- 
deo  VIll  ad  Emanuele  Filiberio,  I,  p.  82  85. 


—  86  - 

c^  la  politique  italienne  de  Louis  XI,  plutôt  qu'un  témoi- 
gnage spontané  de  sentiments  de  gratitude  qui  ne  trou- 
vaient pas  dans  Tâme  de  ce  prince  une  terre  favorable  pour 
s'y  développer.  Quoiqu'il  en  soit,  cet  acte  mettait  le  duché 
de  Lorraine  en  un  péril  extrême.  Il  paraissait  certain  que 
Thiébaut,  déjà  maître  du  Toulois  qu'il  gouvernait  pour  son 
fils  Antoine,  le  jeune  évéque  de  Toul,  et  fortement  établi 
dans  la  région  mosellane  par  la  possession  de  Châtel-sur- 
Moselle,  de  Bainville-aux-Miroirs,  de  Chaligny  et  d'autres 
postes  fortifiés,  achèverait  fatalement,  grâce  à  l'acquisition 
d'Épinal,  de  rendre  son  influence  prépondérante  dans  la 
vallée  delà  Haute-Moselle.  C'était  un  état  rival  et  ennemi  qui 
se  constituait  au  milieu  des  terres  du  duché,  et  qui,  par  le 
Toulois  etChaligny,s'étendaitjusqu'aux  portes  de  Nancy  H). 
Heureusement  pour  le  duc  de  Lorraine,  une  résistance 
énergique  se  manifesta  lorsqu'il  s'agit  de  mettre  à  exécu- 
tion les  lettres  royales  qui  concédaient  Épinal  à  Thiébaut. 
Les  habitants  d'Épinal  ne  voulaient  ni  peu  ni  prou  devenir 
les  sujets  du  maréchal:  leurs  représentants  allaient  jusqu'à 
dire  hautement,  non  sans  quelque  exagération,  qu'au  joug 
de  Neufchâtel  les  bourgeois  eussent  préféré  la  mort.  Sans 
doute  ne  se  souciaient-ils  pas  de  se  trouver  soumis  aux  vo- 
lontés d'un  maître  impérieux  et  dur,  tel  que  la  rumeur  pu- 
blique dépeignait  le  maréchal  :  il  n'est  pas  d'ailleurs  témé- 
raire de  penser  que  le  gouvernement  lorrain  travailla  en 
secret  à  fortifier  leurs  répugnances.  Dès  le  26  juin,  c'est-à- 
dire  moins  de  trois  semaines  après  le  jour  où  Louis  XI  avait 
cédé  Épinal  au  maréchal,  les  chefs  de  la  cité  déclarent 
sans  ambages  au  vicomte  de  Gisors  (2),  agent  du  roi 
chargé  de  réaliser  la  cession,  qu'ils  se  refusent  et  se  refu- 

(1)  Le  maréchal  de  Bourgogne  se  croyait  si  bien  maître  d'Épinal 
qu'il  en  disposa,  le  20  octobre  1463,  en  faisant  son  testament  (voir  une 
copie  de  ce  testament  aux  Archives  nationales,  K.  1799). 

(2)  Le  21  juillet  1463,  Louis  XI  écrit  aux  habitants  d'Epinal  pour  leur 
faire  savoir  qu'il  n'est  pas  vrai  de  dire  qu'il  a  donné  au  maréchal  de 
Bourgogne  la  seigneurie  de  leur  ville  ;  visiblement  le  roi  prétend  tirer 


-  87  — 

seront  toujours  à  reconnaître  Thiébaut  de  Neufchâtel  pour 
leur  seigneur  ;  ils  invoquent  la  parole  de  Charles  VII,  qui 
leur  a  promis  que  jamais  ils  ne  seraient  séparés  de  la 
couronne  de  France;  d'ores  et  déjà  ils  annoncent  l'inten- 
tion d'en  appeler  au  Parlement  de  Paris,  contre  les  agisse- 
ments des  officiers  royaux.  C'est  en  vain  que,  pendant  les 
derniers  mois  de  l'année  1463  et  les  premiers  mois  de 
Tannée  14t)4,  le  vicomte  de  Gisors  et  après  lui  Henri  de 
Marie,  président  au  Parlement  de  Paris,  multiplient  au  nom 
de  Louis  XI  les  démarches  et  les  injonctions  ;  c'est  en 
vain  qu'ils  essaient  de  faire  accepter  par  les  bourgeois 
cette  thèse,  que  Louis  XI  n*a  pas  mis  Épinal  hors  de  sa 
main,  puisqu'il  en  a  retenu  la  souveraineté  et  le  ressort  ; 
c'est  en  vain  que  Louis  XI  lui-même,  au  mois  de  mai  1464, 
convoque  auprès  de  lui,  à  Château-Thierry,  les  chefs 
de  la  bourgeoisie  ;  c'est  en  vain  que  le  maréchal  prodigue 
des  menaces  et  que,  de  ses  châteaux  forts  de  la  vallée 
de  la  Moselle,  il  fait  courir  sus  aux  Spinaliens.  Ceux  ci 
s'empressent  de  répondre  par  des  actes  de  procédure, 
mais  aussi  ils  accroissent  les  fortifications  de  leur  ville, 
et,  malgré  la  résistance  apparente  des  agents  du  roi, 
ils  placent  bien  haut,  au-dessus  des  portes  de  la  cité,  des 
pannonceaux  portant  les  fleurs  de  lis  de  France.  Cela  fait, 

argument  de  ce  fait  qu'il  en  a  retenu  la  suzeraineté.  Il  leur  enjoint 
en  même  temps  de  laisser  entrer  k  Épinal  son  représentant,  Hugues  de 
Bondil,  vicomte  de  Gisors  (Archives  de  M.-et  M„  B,  3C0,  fol.  189  ;  cf. 
Vaesen,  Lettres  missives  de  Louis  XI,  II,  p.  135).  Le  10  septembre,  les 
habitants  déclarent  de  nouveau  au  vicomte  qu'ils  ne  veulent  pas 
d'autre  seigneur  que  le  roi  [Ibid.,  fol.  191).  Le  13  septembre,  ils  ob- 
tiennent un  délai  d'un  mois  pour  prendre  conseil  ;  ce  sont  les  u  jours 
de  conseil  »  de  la  procédure  (fol.  192).  C'est  à  cette  époque  qu'ils 
placent  sur  les  portes  les  pannonceaux  royaux  (1"  octobre;  fol.  195  et 
196),  pour  bien  les  faire  voir  des  soldats  du  maréchal.  Bientôt  les  habi- 
tants d'Épinal  sont  cités  pour  le  15  novembre  devant  le  grand  conseil 
pour  avoir  refusé  l'entrée  delà  ville  à  Hugues  de  Bondil  (fol.  181-182). 
L'année  1463  s'achève  sans  que  ces  démonstrations  procédurières,  et 
d'autres  analogues,  aient  produit  un  résultat  :  pendant  ce  temps,  les 
habitants  se  fortifient.  —  Voir  le  mémoire  de  M.  Duhamel,  et  les 
pièces  justilicatives  de  ce  mémoire,  où  ces  textes  sont  reproduits. 


-  88  - 

ils  défient  tranquillement  la  violente  colère  de  Tbiébaul  et 
l'irritation,  peut-être  feinte,  en  tout  cas  platonique,  du  roi 
Louis  (1). 

Cette  situation  semble  s'être  prolongée  pendant  les 
années  1464  et  1465.  Le  maréchal,  ulcéré  de  cette  résis- 
tance obstinée,  et  las  de  ne  recevoir  du  roi  qu'un  appui 
consistant  en  démarches  diplomatiques  qui  n'entraînaient 
aucun  résultat,  finit  par  tourner  sa  rancune  contre 
Louis  XI,  qu'il  soupçonne  de  l'avoir  joué.  Sans  doute  il 
ne  cesse  pas  de  s'en  prendre  aux  habitants  d'Ëpinal,  aux- 
quels, le  21  mai  1465,  il  adresse  en  termes  impérieux  une 
sommation  de  lui  prêter  serment  d'obéissance  avant  la 
prochaine  Pentecôte  (2  juin  1465),  sous  peine  d'encourir 
les  peines  les  plus  sévères  dans  leurs  corps  et  dans  leurs 
biens  (2).  Mais,  pour  se  venger  des  tergiversations  du  roi, 
il  s'associe  à  la  Ligue  du  Bien  Public.  Non  seulement, 
de  Dijon,  où  il  exerce  une  grande  influence  sur  le  conseil 
du  duc,  il  s'ingénie  à  multiplier  les  adversaires  de 
Louis  XI  et  à  augmenter  les  forces  qui  combattent  les 
troupes  royales  ;  mais  encore  il  entre  lui-même  en  cam- 
pagne (3),  à  la  tête  d'un  contingent,  et,  s'il  arrive  trop  tard 
pour  assister  à  la  bataille  de  Montlhéry,  il  fait  la  guerre 
aux  partisans  du  roi  en  Picardie  et  participe  à  la  prise  de 
Roye  et  de  Montdidier  (4).  Le  résultat  le  plus  clair  de  cette 

(1)  Tous  ces  détails  sont  lires  des  pièces  contenues  dans  le  registre 
B,  360  ou  publiées  par  M.  Duhamel. 

{2)  Documents  historiques  extraits  de  la  Bibliothèque  Royale.., 
(Collection  des  documents  inédits).  11,  p.  473. 

(3)  Voir  sa  lettre  du  4  juin  1465  écrite  do  Saulx  le-Duc  (Côle-d'Or) 
aux  habitants  do  Langres  pour  les  détourner  de  s'unir  aux  défenseurs 
de  Louis  XI  {Ibid.,  p.  286 et  287).  Auparavant  le  maréchal  se  trouvait 
k  Dijon,  à  la  tête  du  conseil  du  duc  ilbid.^  p.  302).  Ensuite  il  se  rendit 
à  Autun,  où,  à  la  tête  de  30D  ou  4(X)  lances,  il  se  proposait  d'attaquer 
le  Nivernais.  Il  se  trouvait  dans  cette  ville  le  18  juin  {Ibid,^  p.  304). 
Il  avait  envoyé  des  troupes  dans  le  Bourbonnais. 

(4)  Cf.  Bazin,  Histoire  des  règnes  de  Charles  Vil  et  Louis  XI  (édit. 
de  la  Société  de  l'Histoire  de  France,  II,  p.  lit));  Jacques  du  Clercq, 
V.  ch.  37  ;  Chronique   scandaleuse,  (édit.  de  la  Société  de  l'Histoire 


—  89  — 

lutte  fut,  qu'à  la  paix,  le  maréchal  obtint  le  renouvelle- 
ment des  promesses  que  Louis  XI  lui  avait  jadis  prodi- 
guées quant  à  la  cession  d'Épinal.  En  janvier  1466,  les  Spi- 
naliens  reçurent  de  nouveau  une  lettre  du  roi,  fort  ana- 
logue aux  lettres  qu'ils  avaient  reçues  à  diverses  reprises 
en  1463(1);  elle  leur  fut  apportée  par  un  conseiller  au 
Parlement  de  Paris,  Martin  de  Bellefaye,  chargé  cette  fois 
du  rôle  qu'avaient  tenu  jadis  Je  vicomte  de  Gisors  et  Henri 
de  Marie  ;  il  n'est  pas  besoin  de  dire  que  les  Spinaliens  ne 
se  montrèrent  pas  plus  dociles.  De  rechef,  le  maréchal  en 
appela  aux  armes.  Dès  le  mois  d'avril  1466,  ses  troupes 
commettaient  des  actes  de  violence  dans  la  banlieue 
d'Épinal  (2);  un  peu  plus  tard,  c'est  la  ville  elle-même  que 
les  bombardes  de  Neufchâtel  couvraient  de  projectiles. 

Ace  moment  Louis  XI  travaillait  à  obtenir  la  soumis- 
sion de  son  frère  Charles,  Tàme  et  l'espoir  de  ses  adver- 
saires. Ce  prince  était  alors  réfugié  auprès  du  duc  de  Bre- 
tagne ;  le  roi  estimait  qu'il  était  nécessaire  à  sa  sécurité  que 


de  Franco),  I,  p.  45;  Comines,  1^  p.  155  (Société  de  l'Histoire  de 
France),  et  GoUut,  op.  cit.^  p.  829.  —  Voir  l'édition  de  Comines  par 
B.  de  Mandrot,  I,  p.  SO,  note  ;  p.  54,  note  ;  il  semble  qu'au  moment  de 
la  bataille  de  Monthléry  le  maréchal  ait  éprouvé  quelque  hésitation  sur 
la  ligne  de  conduite  à  tenir. 

(1)  Cette  lettre  et  une  autre  analoguesont  datées  du  2  janvier  1466  (Vae- 
sen,  Lettres  missives  de  Louis  XI,  IH,  p.  11).  M.  Duhamel  avait  publié 
la  même  lettre  en  la  datant  de  1463»  ce  qui  l'avait  amené  à  penser  que, 
dès  le  début  de  l'année  1463,  les  habitants  d'Épinal  résistaient  au  maré- 
chal. Or  la  cession  d'Épinal  à  Thiébaut  de  Neufchâtel  ne  date  que  du 
2  juin  1463;  les  premières  manifestations  de  résistance  ne  peuvent 
guère  être  antérieures  au  21  juin.  Aussi,  la  date  indiquée  par  M.  Vae- 
sen,  pour  cette  raison  et  pour  diverses  autres,  est  certainement  exacte. 
Les  documents  de  janvier  1466  no  peuvent  s'expliquer  que  si  l'on 
admet  une  tentative  nouvelle  de  Louis  XI  auprès  des  habitants  d'Épinal 
pour  donner  satisfaction  aux  vœux  du  maréchal.  L'action  de  Louis  XI, 
motivée  vraisemblablement  par  une  convention  qui  suivit  la  guerre 
du  Bien  Public,  fut  sans  doute  plus  apparente  que  réelle  ;  en  tout  cas, 
il  y  est  fait  allusion  dans  un  document  du  24  février  1466  (Duhamel, 
Pièces  justificatives,  n*>  72,  qui  le  date  à  tort  de  1465  ;  Archives  de 
M.-et-M.,  B,  360,  fol.  202). 

(2)  Duhamel,  Pièces  justiûcatives,  n"  76. 


-  90   - 

Charles  fût  remis  entre  ses  mains.  Pour  y  arriver,  il 
entendait  user  de  la  voie  des  négociations  ;  or  le  négocia- 
teur auquel  il  avait  remis  le  soin  de  cette  affaire  n'était 
autre  que  le  duc  de  Lorraine,  Jean  de  Calabre,  qui,  après 
avoir  trempé  dans  la  guerre  du  Bien  Public,  s'était  décidé 
à  se  rapprocher  du  roi  (1).  A  la  vérité,  Louis  XI  lui  pro- 
mettait son  appui  pour  la  réalisation  du  dessein  que  Jean 
nourrissait  sur  TAragon  et  la  Catalogne,  où  son  action  ne 
portait  point  ombrage  à  la  politique  de  l'habile  monarque; 
mais,  non  content  de  ces  promesses,  le  roi  crut  attacher 
plus  complètement  Jean  de  Calabre  à  ses  intérêts  en  lui 
permettant  de  joindre  Épinal  au  duché  de  Lorraine.  Sentant 
qu'ils  pouvaient  compter  sur  la  bonne  volonté  de  Louis  XI, 
les  Lorrains  sortirent  de  la  réserve  que  jusqu'alors  ils 
avaient  gardée,  au  moins  en  apparence  ;  un  corps  de 
troupes  placé  sous  le  commandement  de  Nicolas,  fils  aîné 
du  duc  Jean,  délivra  la  ville  d'Épinal  des  attaques  que 
dirigeaient  contre  elle  les  soldats  de  Thiébaut  de  Neuf- 
châtel.  En  récompense  de  ce  service,  les  bourgeois  d'Épinal 
se  décidèrent  à  accepter  la  domination  du  duc  de  Lor- 
raine; le  21  juillet  1466,  ils  se  rangeaient  à  lobéissance  de 
Jean,  qui,  de  son  coté,  confirmait  leurs  coutumes  et  pri- 
vilèges (2).  Or  que  faisait  Louis  XI  à  cette  époque  ?  Sa 
conduite  est  très  claire  ;  fort  indifférent  aux  intérêts  du 
maréchal,  non    seulement  il  laissait   faire  les  Lorrains, 


(1)  Le  8  août  1466,  Louis  XI,  par  un  acte  daté  de  Montargis,  envoyait 
Jean  de  Calabre  vers  le  duc  de  Bretagne*  près  duquel  s'était  réfugié  le 
frère  du  roi,  Charles,  duc  de  Berry.  «  Et  donnons  puissance  à  notre  dit 
cousin  de  Calabre  de  mettre  et  faire  venir  en  ses  mains  notre  dit 
frère  Charles,  de  luy  promettre  de  le  tenir  en  scurlô  et  de  luy  acor- 
der  la  somme  de  deniers  qu'il  verra  estre  nécessaire  pour  sa  provision 
de  vivre  ».  (Lenglet  du  Fresnoy,  Mémoires  de  Philippe  de  Comines^  II, 
p.  599,  Preuves).  —  Jean  négociait  encore  pour  le  compte  de  Louis  XI 
en  1468. 

(2)  Lenglet  du  Fresnoy,  11,  p.  598.  Les  libertés  d'Épinal  furent  con- 
firmées par  Nicolas,  au  nom  de  son  père  Jean  de  Calabre.  —  Duhamel, 
Pièces  justificatives,  n»  81. 


-  91  — 

mais  il  approuvait  implicitement  leur  action.  Dès  le  8 
juillet,  il  avait  pris  la  ville  d'Épinal  sous  sa  sauvegarde, 
afin  d'arrêter  toute  nouvelle  agression  de  Thiébaut  de 
Neufchâtel  (l).Le  6août,  il  permettait  aux  Spinaliens  de 
se  choisir  tel  seigneur  qu'ils  jugeraient  bon  (2)  ;  c'était 
ratifier  l'acte  par  lequel,  sûrs  de  n'être  point  désavoués 
parle  roi,  ils  venaient  de  se  donner  à  la  lorraine.  Dans 
la  partie  compliquée  que  jouait  Louis  XI,  Épinal  fut  pour 
lui  une  carte  qu'il  jeta,  puis  retira,  pour  la  jeter  encore, 
suivant  les  intérêts  de  sa  politique.  Il  ne  fut  pas  beau 
joueur  ;  mais  il  y  gagna,  une  première  fois,  l'appui  du  ma- 
réchal dans  les  affaires  dltalie,  et,  une  seconde  fois,  celui 
de  Jean  de  Calabre  dans  les  luttes  qu'il  soutenait  contre  son 
propre  frère. 

Quant  au  maréchal,  qui  avait  perdu  la  partie  (3),  il  ne 
se  résigna  pas  à  son  sort.  Désormais  il  ne  songea  plus  qu'à 
en  appeler  de  nouveau  aux  armes  pour  tirer  vengeance  de 
Jean  de  Calabre  et  conquérir  la  cité  convoitée  depuis  si 
longtemps.  A  cette  époque,  il  recueille  avec  un  soin  minu- 
tieux tous  les  griefs  que  son  père  et  lui  avaient  pu  for- 
muler depuis  trente  ans  contre  les  Lorrains  (4),  remontant 

{{)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  360,  fol.  205,  V  ;  Duhamel,  n*  79. 

(2)  Duhamel,  n"  88.  —  Lenglet  du  Fresnoy,  II,  p.  597.  —  Dom 
Galmet,  Notice  de  la  Lorraine,  v*  Épinal,  I,  col.  396.  Le  rapproche- 
ment des  dates  est  éloquent.  La  mission  de  Jean  de  Calabre  est  du 
8  août  ;  la  licence  donnée  aux  gens  d'Ëpinal  est  du  6  août. 

(3)  Un  autre  personnage  aussi  se  trouvait  déçu  ;  c'était  l'évéque  de 
Metz,  si  tant  est  qu'il  ait  pu  nourrir  quelque  espoir  de  recouvrer 
Épinal,  perdu  pour  son  église  depuis  une  vingtaine  d'années.  Il  avait 
renouvelé  ses  réclamations  le  20  avril  i465  (Duhamel,  n'  73).  —  Le  19 
novembre  1500,  le  duc  de  Lorraine  René  II,  jjosscsscur  de  la  vouerie 
d'Épinal  en  vorlu  d'un  transfert  à  lui  consenti  par  la  dame  de  Ville, 
voueresse  d'Épinal,  veuve  de  Jean  d'.Anglure,  fait  foi  et  hommage, 
pour  celle  vouerie  à  son  oncle,  l'évéque  de  Metz.  (Lenglet  du  Fresnoy, 
11,  p.  597  et  598.) 

(4)  Voir  ci-dessus,  p.  73.  Le  maréchal  réclame  une  indemnité  pour 
la  prise  de  Chaligny  par  l'écorcheur  Guillaume  d'Eslrosse  (ou  d'Es- 
trac),  survenue  vers  i439  ;  —  et  en  outre  297  florins  que  lui  avait  pro- 
mis le  feu  marquis  du  Pont,  ûls  aîné  du   roi   René,   pour   dommages 


—  92  — 

jusqu'à  la  prise  de  Chaligny  par  Guillaume  d'Estrac,  et 
D'oubliant  pas  la  moindre  difficulté  de  voisinage;  c'est 
alors  qu'il  réclame,  du  gouvernemeDt  lorrain,  des  indem- 
nités dont  l'une  au  moins  tire  son  origine  de  l'expédition, 
faite  en  commun  par  lui  et  le  marquis  du  Pont,  vers 
l'année  1443,  contre  le  damoiseau  de  Sarrebruck  (1).  Visi- 
blement, l'intention  du  maréchal  est  de  former  un  faisceau 
de  toutes  ses  réclamations  contre  le  duc  de  Lorraine  Jean 
de  Calabre,  afin  de  mieux  motiver  la  campagne  décisive 
qu'il  veut  ouvrir  contre  lui.  Au  surplus,  la  situation  lui 
semble  favorable^  puisque  lui-même  sera  appuyé  dans 
cette  campagne  par  les  forces  du  temporel  de  l'église  de 
Toul,  et  qu'il  utilisera  comme  siennes  Jes  places  fortes  de 
ce  temporel,  telles  queLiverdun  et  Brixey. 

Au  cours  de  l'été  de  l'année  1467  (2),  tout  décèle  que  le 
moment  approche  où  le  maréchal  entend  commencer  les 
hostilités.  Toutefois,  absorbé  à  cette  époque  par  les  affaires 
de  Charles  le  Téméraire,  qui  bientôt  l'appelleront  en 
Flandre,  il  ne  prend  pas  lui-même  le  commandement  de 
ses  troupes.  C'est  l'aîné  de  ses  fils,  Henri  de  Neufchâtel, 
qu'il  charge  de  diriger  cette  guerre,  non  sans  avoir 
recommandé  à  tous  ses  officiers,  justiciers,  vassaux  et 
sujets  d'obéir  à  ce  fils  comme  ils  lui  auraient  obéi  à  lui- 
même  (3).  A  ce  moment,  il  réunit  à  Gray  des  forces  bour- 

subis  au  cours  do  la  guerre  de  14i3M444  contre  le  damoiseau  de  Sarre- 
bruck. Il  se  plaint  de  ce  que  le  prévôl  de  Nancy  ait  mis  k  la  torture 
un  homme  de  Chavigny,  et  de  ce  que  le  maire  et  le  doyen  do  Villers 
(près  Nancy),  sujets  du  duc.  aient  pratiqué  une  saisie  sur  les  hommes 
de  Chaligny.  On  voit  que  quelques-uns  des  événements  qui  motivent 
ces  doléances  remontaient  à  vingt  ou  vingt-cinq  ans. 

(1)  Bibl.  nat.,  Lorraine,  386,  fol.  10  et  s.  ;  fol.  55  et  56. 

(2)  Peut-être  la  mort  de  Philippe  le-Bon  (15  juin  1467)  et  l'avènement 
de  Charles-le-Téméraire  donnèrent  au  maréchal  plus  de  liberté  pour 
réaliser  ses  projets  belliqueux.  Cet  événement  raviva  les  espérances  de 
tous  les  ennemis  de  Louis  XI  (Perret,  op.  cit  ^  i,  p.  475  et  s.)  ;  or  le 
maréchal  était  pour  le  roi  un  ennemi  acharné  Une  page  a  été  consa- 
crée à  ces  événements  dans  l'Histoire  de  Nancy  de  M.  G.  Pflster,  i, 
p.  475. 

(3)  Lettres  du  2  août  1467,  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  118.  Le  ma- 


—  93  - 

guignonnes  qu'il  compte  envoyer  dans  la  région  mosel- 
lane  ;  en  même  temps,  par  diverses  instructions,  il  déter- 
mine les  opérations  de  guerre  qui  devront  être  entre- 
prises (1).  Son  intention  est  «  d'estre  de  guerre  »  à  tout  le 
pays  de  Lorraine,  y  compris  le  marquisat  du  Pont  et  la 
terre  de  la  Woewre  ;  toutefois  on  respectera  les  évêchés  de 
Verdun  et  de  Metz,  ainsi  que  le  comté  de  Vaudémont, 
appartenant  alors  au  jeune  René,  qui  devait  hériter  de  la 
Lorraine  à  l'extinction  de  la  dynastie  angevine.  La  pre- 
mière chose  à  faire  est  de  pourvoir  les  forteresses  de 
défenseurs  et  de  vivres.  Aussi  le  maréchal  fixe  Teflectif 
des  garnisons  de  chacune  de  ses  places,  Châtel-sur-Moselie, 
Bainville-aux-Miroirs,  Liverdun,  Romont,  Brixey  et  Gha- 
ligny  :  nous  savons  que  Chaligny  dut  recevoir  dix  lances, 
vingt  hommes  à  cheval  et  cent  hommes  à  pied.  Pour  nour- 
rir ces  soldats,  les  habitants  de  Chaligny  seront  tenus  de 
battre  le  grain  aussitôt  que  possible  (on  est  au  2  août)  ;  la 
garnison  devra  s'emparer  des  moissons  des  villages  voi- 
sins. C'est  ainsi  qu'il  est  recommandé  aux  défenseurs  de 
Chaligny  de  prendre  «  les  grains  du  village  qui  est  à  l'abbé 
de  Saint-Evre  »,  c'est-à-dire  Villey  le-Sec,  et  aussi  les  ré- 
coltes de  l'abbaye  de  Clairlieu  ;  ils  devront  mettre  à  contri- 
bution les  villages  à  une  lieue  à  la  ronde,  sauf  ceux  qui 
appartiennent  au  comte  de  Vaudémont  (par  exemple  Pont- 
Saint-Vincent)  et  sauf  aussi  Maron,  Messien  et  Aucroigne 
(Messein  et  Acraignes,  actuellement  Frolois)  ;  on  épargnera 
maintenant  ces  trois  villages,  parce  qu'on  se  réserve,  à  la 
vendange,  d'en  saisir  les  vins. 

réchal  avait  perdu  son  Gis  premier-né,  qui  portait  le  nom  deTbiébaut, 
comme  tous  ses  ancêtres.  (Voir  ci-dessous,  p.  t02). 

(1)  Voir  une  instruction  pour  Henri  de  Neufchâlel,  Lorraine,  386,  fol. 
116  ;  et  une  instruction  au  sieur  de  CoramboBuf  sur  ce  qu'il  aura  à 
faire:  Ibid..  fol.  53.  L'instruction  à  Henri  de  Neufchâtei  est  datée  do 
Fontaines-Ies-Luxeuil,  2  août  1467  ;  le  maréchal  résidait  sans  doute  à 
cette  époque  près  de  l'abbaye,  dont  son  fils  Antoine,  l'évoque  de  Toul, 
était  abbé  commcndataire.  Tbiébaut  lui-même  avait  d'ailleurs  été 
nommé  par  Charles  le  Téméraire,  en  1467,  capitaine  de  Luxeuil.  (Loye, 
p.  186.) 


—  94  — 

Le  programme  des  opérations  militaires  n'était  pas  fixé 
par  le  maréchal  d'une  façon  rigide.  Il  eût  bien  voulu  que 
ses  troupes  pussent  assiéger  et  prendre  Epinal  ;  mais  il 
semble  ne  pas  trop  compter  sur  le  succès  d'une  semblable 
entreprise.  Il  indique  aussi  le  projet  d'une  attaque,  qui 
serait  faite  à  l'aide  de  ses  garnisons,  sur  les  faubourgs  de 
Nancy  et  de  Neufchâteau.  En  outre,  on  pourra  défier  des 
particuliers  contre  lesquels  les  Neufchàtel  ont  des  sujets 
de  plainte.  Ainsi  ils  sont  en  querelle  avec  les  seigneurs  de 
Mesgnières  à  raison  d'Epinal.  Le  maréchal  ordonne  à 
ses  lieutenants  de  «  bouter  feu  en  leurs  terres  »  et  d'y  brû- 
ler au  moins  autant  de  maisons  qu'ils  en  ont  eux-mêmes 
brûlé  dans  ses  domaines.  «  Le  demeurant  sera  ransonné, 
ou  qu'on  brûle  tout  ».  Il  recommande,  en  un  autre 
passage,  qu'en  cas  d'attaque  par  les  Lorrains,  ((  on  boute 
les  feux  par  tous  les  biens  où  l'on  pourra  ».  Bouter  feux, 
c'est  l'expression  qui  revient  à  maintes  reprises  sous  la 
plume  du  maréchal.  A  lire  ses  instructions,  on  ne  peut 
s'empêcher  de  se  rappeler  le  mot  d'un  de  ses  contempo- 
rains, comme  lui  grand  brûleur  de  villages,  le  marquis 
Albert-Achille  de  Brandebourg:  «  L'incendie  achève  la 
guerre,  comme  le  Ma-gni/icat  achève  les  vêpres  (1)  ». 

C'est  dans  les  premiers  jours  du  mois  d'août  1467  que 
les  hostilités  furent  ouvertes  (2).  La  garnison  bourgui- 
gnonne de  Liverdun  sortit  des  murs  de  la  place  pour 
piller  les  villages  de  Saizerais,  Marbache,  Rosières>en- 
Haye  et  Avrainville,  appartenant  au  duc  de  Lorraine  et  à 
son  fils  le  marquis  du  Pont;  les  animaux  et  les  meubles 

(1)  Mot  cité  par  le  R.  P.  Denifle,  La  désolation  des  églises  de 
France,  II,  p.  1. 

(2)  La  source  la  plus  utile  à  consulter  à  propos  de  cette  guerre,  est 
la  relation,  écrite  par  un  partisan  de  la  Lorraine,  qui  se  trouve  con- 
servée à  la  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  57  et  s.  C'est  l'œuvre  d'un 
contemporain  bien  informé.  Je  m'y  conformerai  dans  le  récit  qui  suit, 
tout  en  la  complétant  par  d'autres  renseignements,  tirés  pour  la  plu- 
part du  même  volume  386  de  la  collection  de  Lorraine. 


—  95  — 

des  habitants  furent  emmenés  à  Liverdun.  Cette  expédition 
était  colorée  sous  Tapparence  juridique  d'une  saisie  pra- 
tiquée par  les  gens  de  Neufchâtel,  pour  assurer  le  paie< 
ment  des  créances  dont  leur  maître  se  prétendait  titu- 
laire à  Tendroit  du  duc  de  Lorraine  (1).  Quelques  jours 
plustard,Mesgnières(2),  Domptail{3)et  un  autre  village  (4) 
étaient  mis  à  sac  par  les  soldats  de  Neufchâtel,  sans  doute 
sortis  du  château  de  Bainviile  ;  les  biens  qu'y  possédaient  les 
membres  des  grandes  familles  lorraines  de  Haraucourt  et 
de  Lenoncourt  y  étaient  dévastés  avec  acharnement.  Dans 
ces  malheureux  villages,  on  a  fait  prisonniers  plusieurs 
paysans,  enlevé  le  bétail  et  les  biens  meubles,  mis  le  feu 
aux  maisons,  si  cruellement  que  plusieurs  petits  enfants 
ont  «  trèsinhumainement  »  péri  dans  les  flammes;  un 
autre  rapport  nous  dit  qu'une  jeune  fille  fut  brûlée  dans 
sa  maison  (5).  Par  une  amère  ironie  ce  fut  seulement  au 
lendemain  de  cette  sanglante  exécution  que  les  seigneurs 
de  Mesgnières  reçurent  les  défis,  établis  suivant  toutes  les 
règles  du  droit  des  gens  de  l'époque,  qui  leur  étaient 
adressés  par  Thiébaut  IX  de  Neufchâtel,  Henri,  son  fils, 
et  les  gentilshommes  qui  étaient  leurs  principaux  parti- 
sans (6).  En  tout  cas  le  signal  était  donnée  si  bien  que,  pen- 
dant tout  le  mois  d'août,  les  pillages  se  poursuivirent  ;  en 
septembre^  les  gens  du  conseil  de  Lorraine  déclarent  que 
depuis  un  mois  ce  ne  sont  que  villages  dévastés,  moissons 
détruites,  et  paysans  emprisonnés  (7). 
Sans  doute  les  conseillers  de  Lorraine  et  de  Bar  avaient 

(i)  Lorraine,  386,  fol.  41-45  et  123. 

(2)  Magnières,  cant.  de  Gerbéviller,  arr.  Lunéville. 

(3)  Canton  de  Rambervillers,  Vosges. 

(4)  Sans  doute  Xaffévillers,  canton  de  Rambervillers. 

(5)  Lorraine,  386,  fol.  85-94  et  124. 

(6)  Lorraine,  386,  fol.  70  et  s. 

(7)  Lorraine,  386,  fol.  41-45  ;  voir  deux  lettres  du  conseil  de  Lorraine, 
dont  la  première,  écrite  à  Nancy,  sans  date,  est  évidemment  du  mois 
de  septembre.  La  seconde  est  la  lettre  aux  vicaires  généraux  de  Toul, 
citée  ci-dessous. 


—  96  - 

de  bonne  heure  formulé,  en  style  juridique,  leurs  protes- 
tations contre  les  incursions  et  les  saisies  des  Neufchâtel  (1). 
Le  5  août,  ils  avaient  sommé  le  maréchal  de  remplir  les 
devoirs  féodaux,  qu'il  refusait  depuis  si  longtemps,  pour 
les  seigneuries  qu'il  tenait  du  roi  René,  c'est-à-dire  pour 
Châtel-sur-Moselle  et  Bainville  (2).  En  outre,  ils  s'étaient 
adressés  au  vicaire  général  et  à  l'official  de  Toul,  ainsi 
qu'aux  chanoines  de  la  cathédrale,  pour  leur  représenter 
l'abus  que  faisaient  les  Neufchâtel  des  forteresses  du 
temporel  de  Toul,  qui  servaient  de  refuge  aux  soldats  char- 
gés de  fouler  et  de  piller  les  pauvres  gens  des  campagnes  (3). 
Les  sommations  adressées  aux  Neufchâtel  demeurèrent 
infructueuses  ;  quant  aux  vicaires  généraux  et  au  chapitre 
de  Toul,  ils  répondirent  poliment  qu'ils  étaient  désolés 
des  événements  qui  se  passaient,  mais  qu'ils  n'y  pouvaient 
rien,  ayant  reçu  d'Antoine  de  Neufchâtel  et  de  ceux  qui 
agissaient  en  son  nom  la  défense  sévère  de  s'immiscer 
dans  l'administration  du  temporel  de  Toul  (4). 

Les  conseillers  des  ducs  de  Lorraine  et  de  Bar,  en  bons 
juristes,  ne  négligèrent  point  la  procédure:  c'est  ainsi  que, 
se  prévalant  des  excès  commis  par  Thiébaut  et  ses  alliés 
sur  les  terres  du  duché  de  Bar,  ils  obtinrent  contre  lui,  au 
Parlement  de  Paris,  condamnation  à  des  dommages-intérêts 
montante  dix  mille  livres  tournois  (5).  Mais  ils  ne  firent 
pas  que  des  procès:  dès  le 5  août,  contre  l'attaque  menée  par 
le  maréchal,  ils  en  appellent  à  la  force.  Le  roi  René,  au  nom 

(1)  Lorraine,  386,  fol.  121  et  1^.  Le  conseil  de  Lorraine  requiert  le 
maréchal  de  Bourgogne  dç  vider  ses  mains  des  gages  qu'il  a  saisis, 
((  car  à  toute  gaigiëre  est  due  récréance  »  ;  les  conseillers  s'offrent  en- 
suite à  faire  droit  à  ses  griefs,  s'il  y  a  lieu.  (Lettres  datées  de  Charmes, 
8  et  9  août  1467,  à  rapprocher  des  documents  cités  à  la  note  précédente). 

(2)  Lorraine,  386,  fol.  419  et  120. 

(3)  Lorraine,  386,  fol.  41-45,  et  fol.  123-124. 

(4)  Lorraine,  386,  fol.  41-45. 

(5)  Cette  condamnation,  d'ailleurs  platonique,  est  menUonnée  dans 
un  acte  du  roi  René,  du  11  décembre  1468,  qui  se  retrouve  dans  un 
registre  conservé  aux  Archives  de  la  Meuse,  B,  268,  fol.  193.  René 
répartit  entre  plusieurs  de  ses  serviteurs  les  sommes  qui  lui  étaient 
dues  par  le  maréchal  de  Bourgogne  en  vertu  de  cet  arrêt. 


-  97  -^ 

duquel  ils  agissent,  «  ayant  entendu  que  aucuns  des  parties 
d'Almaigneet  autres  voisins  de  nostre  duchié  de  Bar  se 
sont  mis  sus  en  armes  »,  ordonne  la  levée  de  tous  les  nobles 
de  son  duché.  La  même  mesure  est  prise  en  Lorraine  au 
nom  du  duc  Jean  de  Calabre.  En  peu  de  jours  est  cons- 
tituée une  armée  où  se  presse  la  noblesse  des  deux  duchés. 
Les  Lorrains  conduisaient  avec  eux  l'artillerie  déjà  célèbre 
de  Nancy,  où  Ton  remarquait,  entre  autres,  trois  pièces 
portant  les  noms  bien  connus  alors  deThelod,  Suelquin(l) 
et  le  Frère  (S).  Ces  mesures  énergiques,  qui  portèrent  leurs 
fruits  sans  tarder,  paraissent  avoir  déconcerté  les  Neufchâ- 
tel.  Un  parti  important  de  gentilshommes  avait  été  appelé 
de  Bourgogne  par  le  fils  du  maréchal,  pour  augmenter  la 
garnison  du  château  de  Brixey  ;  à  leur  tête  se  trouvaient 
Jehan  de  Jaulcourt,  seigneur  de  Bruyères,  et  Jehan  de 
Bassey.  Or,  le  comte  de  Thierstein,  capitaine  d'Epinal, 
((  enemy  de  guerre  du  dit  Neufchàtel  »,  et  la  garnison 
d*Epinal,  tombèrent  sur  ces  gens  d'armes  quand  ils  pas- 
saient «  au  val  de  Chastenoy,  et  les  destrossèrent  au  nombre 
d'environ  quatre-vingts  chevaulx,  réservé  Monsieur  de 
Jaulcourt,  qui  se  rendit  fugitif  au  lieu  de  Dompjulien  (3)  ». 
C'est  sans  doute  cette  rencontre  qu'on  a  quelquefois 
appelée  la  bataille  de  Domjulien;  elle  n'était  pas  faite  pour 
encourager  les  Bourguignons. 

Pendant  ce  temps,  sous  la  haute  direction  de  Jean  Vysse 
de  Gerbeviller,  bailli  d'Allemagne,  l'armée  de  Lorraine  (4) 

(1)  Ne  serait-ce  pas  la  même  pièce  qui  est  nommée  Xeflalquln  dans 
un  document  que  cite  M.  Pfister,etqui  est  postérieur  de  peu  d'années 
à  la  guerre  d'Epinal?  {Histoire  de  Nancy,  I,  p.  419). 

(2)  Voir  la  relation  précitée,  Lorraine,  386,  fol.  57  et  s. 

(3)  Lorraine.  386,  fol.  57. 

(4)  Los  gentilshommes  dn  duché  de  Bar  étaient  aussi  appelés  «  pour 
aler  au  mandement  et  à  l'armée  qui  s'est  faite  à  rencontre  du  maré- 
chal de  Bourgogne  ».  (Archives  de  la  Meuse,  B,  1150,  fol.  159.  Ce 
texte,  ainsi  que  plusieurs  autres  relatifs  à  cette  guerre,  qui  provien* 
nent  des  Archives  de  la  Meuse,  m'a  été  très  obligeamment  commu- 
niqué par  M.  l'archiviste  A .  Lesort). 

7 


réduisait  les  places  de  Roraont  et  de  Cléseataines  (1),  appar- 
tenant aux  Neufchâtel  et  situées  non  loin  de  Cbâtel-sur- 
Moselle.  A  ce  moment  Jean  de  Fénétrange,  maréchal  de 
Lorraine,  prit  le  commandement  de  Tarmée  (2).  Les  Lorrains 
mirent  alors  le  siège  devant  le  château  de  Bainville-aux- 
Miroirs.  C'est  là  que  les  bombardes  lorraines  eurent  vite  fait 
d'ouvrir  la  brèche  sur  deux  points,  si  bien  que  le  capitaine 
de  Bainville  se  résigna  à  «  demander  parlement  ».  Les 
défenseurs  obtinrent  de  se  retirer  après  avoir  prêté  ser- 
ment qu'ils  ne  serviraient  plus  pendant  cette  guerre;  le 
château  fut  détruit,  le  village  brûlé,  et  les  «  bonshommes  », 
c'est-à-dire  les  paysans,  emmenés  comme  prisonniers  à 
Bayon. 

De  Bainville  l'armée  lorraine^  ne  se  hasardant  pas  à 
attaquer  la  forte  place  de  Châtel,  «  s'en  vint  droit  devant 
Challigny  ».  Le  siège  fut  mené  régulièrement  ;  des  appro- 
ches furent  faites  ;  la  puissante  artillerie  lorraine  produisit 
les  mêmes  effets  décisifs  qu'à  Bainville.  Quelques  incur- 
sions de  la  garnison  bourguignonne  de  Liverdun,  au  cours 
desquelles  furent  brûlés  Condé  (le  Custines  actuel)  et 
a  Pompey  sous-Frouart  »,  ne  réussirent  ni  à  intimider  les 
assiégeants  ni  même  à  distraire  leur  attention.  Au  bout  de 
quelques  jours,  vraisemblablement  vers  la  fin  du  mois 
d'août  ou  le  commencement  de  septembre,  Chaligny  capi- 
tulait à  des  conditions  à  peu  près  analogues  à  celles  que 
le  gouverneur  de  Bainville  avait  dû  accepter.  Toutefois  le 
village  ne  fut  point  brûlé  ;  les  paysans  obtinrent  des 
capitaines  lorrains  la  permission  de  se  rançonner.  En 
attendant  que  la  rançon  fût  payée,  cent-vingt  des  habitants, 
((  prins  et  couplés  ensemble  »,  furent  conduits  à  Nancy  et 


(1)  Ces  villages  sont  situés  près  de  Rambervillers. 

(2)  Ce  changemcDt  dans  le  commandement  est  signalé  par  le  P.  Hugo, 
dans  son  Histoire  de  Lorraine  de  René  1"  à  René  11.  (Ms.  n«  377  de 
la  Bibliothèque  de  la  Société  d'Archéologie  lorraine.)  La  guerre 
d'Epinal  y  est  racontée  aux  fol.  99  et  s. 


—  99  — 

enfermés  dans  les  tours  de  la  porte  de  la  Crafie.  Ils  ne 
quittèrent  leur  prison  qu'après  avoir  versé  au  Trésor  ducal 
une  grosse  somme  d'argent  et  prêté  le  serment  que  ((  bons 
Loherains  seroient  pour  le  temps  advenir  (1)  ».  Pour  plus 
de  sûreté,  le  gouvernement  lorrain,  non  content  d*avoir 
confisqué  le  domaine  de  Chaligny,  fit  démolir  le  château 
qui  tant  de  fois  avait  causé  des  soucis  aux  ducs  de  Lor- 
raine. Ce  château  ne  fut  jamais  rétabli  ;  à  la  fin  du 
x\iV  siècle,  le  voyageur  qui  suivait  les  rives  de  la  Moselle 
pouvait  encore  apercevoir  sur  la  colline  une  tour  en  ruine, 
dernier  vestige  de  la  forteresse  des  Vaudémont  et  des 
Neufcbâtel.  Depuis  longtemps  môme  ces  ruines  ont  péri  ; 
une  paisible  maison  occupe  la  place  du  donjon,  tandis  que 
des  jardins  et  des  vignes  ont  envahi  l'emplacement  encore 
reconnaissable  des  fossés.  Avec  cette  destruction,  consé- 
quence du  siège  de  1467,  s'achève  l'histoire  militaire  de 
Chaligny. 


Ici  s'achève  aussi,  en  tant  qu'elle  intéresse  Chaligny, 
l'histoire  de  la  guerre  d'Epinal.  Il  s'en  fallait  cependant 
qu'elle  fût  terminée.  En  ce  môme  automne  1467,  après  la 
prise  de  Chaligny,  les  Lorrains,  aidés  des  secours  en 
Ecossais  et  en  Gascons  que  leur  envoie  Louis  XI  (2),  conti- 

(1)  J'ai  emprunté  ce  récit  à  la  relation  déjà  citée.  Je  l'ai  complété, 
notamment  en  ce  qui  concerne  la  captivité  des  habitants,  par  quel- 
ques renseignements  tirés  de  la  Chronique  de  Lorraine,  publiée 
par  l'abbé  Marchai,  dans  le  Recueil  de  Documents  inédits  sur  Vhia- 
taire  de  Lorraine  (1860,  p.  91).  Quelques  pages  plus  haut,  ce  texte 
mentionne  le  soin  qu'avait  pris  Neuchâtel  de  mettre  une  garnison  dans 
Chaligny  (p.  88).  Sur  la  prise  de  Chaligny,  Voyez  aussi  le  Dialogue  de 
Jean  Lud,  dans  le  Journal  de  la  Société  d'Archéologie  lorraine^ 
m,  p.  155. 

(2)  Une  note  marginale  de  l'un  des  manuscrits  de  Chastellain  rappelle 
que  ((  depuis  qu3  ce  Loys  (le  dauphin)  fut  roy.  il  bailla  gendarmes  au 
tils  du  duc  de  Lorraine,  alors  marquis  du  Pont,  nommé  Nicolas,  pour 
guerroyer  et  ruer  jus  les  places  dudit  maréchal,  et  fut  cause  que  la 
maison  de  Neufcbâtel  fut  grandement  amoindrie  ».  (Chastellain,  III, 


-  100  - 

nuent  énergiquemenl  la  lutte  :  grâce  aux  Ecossais,  ils 
s'emparent  de  Brixey.  On  devine  la  colère  du  maréchal  : 
Louis  XI  ne  se  contentait  pas  de  l'abandonner,  au  mépris 
de  ses  promesses  ;  voici  maintenant  que  le  perfide  souve- 
rain employait  la  force  pour  Tempècher  de  se  rendre 
maître  d*Epinal.  Aussi  Tannée  suivante,  quand  Thié 
baut  IX  accompagna  Charles  le  Téméraire  à  Péronne,  à 
l'occasion  de  la  célèbre  entrevue  si  funeste  à  Louis  XI,  il 
ne  consentit  jamais  k  y  revoir  le  roi  auquel  il  avait  offert 
jadis  une  hospitalité  fastueuse  à  Châtelsur  Moselle  (ij. 
Cependant,  en  dépit  de  Tirritation  de  leur  ennemi,  les 
Lorrains  poursuivaient  le  cours  de  leurs  succès.  Quoique 
les  auxiliaires  envoyés  par  Louis  XI  se  fussent  retirés 
après  la  prise  de  Brixey,  les  soldats  du  duc  Jean  mirent  le 
siège  devant  Liverdun,  qui  capitula  au  bout  de  douze 
jours.  Là  fut  pris  nn  des  fils  du  maréchal  de  Bourgogne, 
Claude  de  NeufchcUel,  seigneur  du  Fay,  qui  en  était  gou 
verneur.  Encouragés  par  ces  succès,  les  Lorrains  se 
disposaient  à  attaquer  Châtel- sur-Moselle  :  mais  ils  en 
furent  empochés  par  l'intervention  de  Charles  le  Téméraire, 
que  les  Neufchâtel  sollicitaient  depuis  les  premiers  jours 
de  la  lutte.  Le  duc  imposa  une  trêve  aux  belligérants,  et  fit 
arborer  son  étendard  sur  les  remparts  de  Chàtel,  déclarant 
que  lui-môme  conserverait  la  place  pour  le  roi  René  et  que 
quiconque    l'attaquerait    serait    considéré    comme    son 


p.  189).  L'auteur  de  celte  note,  fort  naif  en  politique,  était  éridem- 
ment  disposé  à  se  scandaliser  de  la  conduite  que  tint  Louis  XI  vis-à- 
vis  du  maréchal  de  1463  à  1469. 

(1|  Comines  (édit.  de  la  Société  do  l'Histoire  de  France),  1.  p.  104  et 
155.  De  Péronne,  le  maréchal  se  rendit  à  Liège,  où  il  prit  part  à  la 
guerre  entreprise  par  Charles  le  Téméraire  contre  les  bourgeois  do 
cette  ville,  guerre  à  laquelle  Louis  XI  fut  contraint  d'assister.  Sur  la 
participation  de  Thiébaut  IX  à  cette  expédition,  voir  Olivier  de  la 
Marche,  III,  p.  64  et  85  ;  de  la  Ghauvelays,  Mémoire  sur  la  composi- 
tion des  armées  de  Charles  le  Téméraire.  (Académie  de  Dijon,  3«  série, 
V.),  p.  148;  Comines,  III  (pièces  Justificatives  recueillies  par  Mlle  Du- 
pont) p.  246  et  s. 


-  101  — 

ennemi  (1).  Visiblement  Charles  le  Téméraire  voulait 
arrêter  la  guerre  et  sauver  la  situation  de  son  maréchal  ; 
il  ailectait  de  mettre  hors  de  cause  le  roi  René  et  ses 
enfants  et  de  considérer  la  lutte  comme  TafTaire  propre 
des  Lorrains  et  du  conseil  de  Lorraine.  Peut-être  n'avait-il 
pas  tort:  les  princes  de  la  dynastie  angevine  n'étaient 
lorrains  qu'à  demi,  mais  c'était  le  conseil  de  Lorraine 
qui  gardait  la  tradition  de  la  politique  commandée  par  les 
intérêts  du  duché. 

Sur  ces  entrefaites,  pendant  que  s'enchevêtraient  les  fils 
des  négociations  diplomatiques,  le  maréchal  de  Bourgogne 
mourut  le  4  décembre  1469,  à  l'âge  de  cinquante-six  ans. 
De  son  mariage  avec  une  dame  de  très  haute  naissance, 
Bonne  de  Châteauvillain,  étaient  nés  huit  fils  et  quatre 
filles.  L'ainé,  du  nom  de  Thiébaut,  était  mort  bien  avant 


(1)  Instruction  donnée  par  le  duc  de  Bourgogne  à  a  Jean  de  Beflroy- 
mont  »,  qu'il  envole  au  conseil  de  Lorraine,  vers  la  fin  de  l'année  1467. 
A  la  fin  de  cette  instruction,  le  duc  demande  la  mise  en  liberté  de 
Jean  de  Jaulcourt  et  autres  Bourguignons  pris  à  DomjuUen.  L'acte  est 
daté  de  Huy,  2  décembre  1467.  Divers  acles  ie  Charles  le  Téméraire 
prouvent  qu'il  s'intéressa  aux  négociations  et  s'efforça  d'établir  une 
trêve,  en  1468  et  1469  (Bibl.  Nat..  Lorraine,  386,  fol.  103  et  ss.).  D'autre 
part,  nous  savons  que,  pendant  l'hiver  1467-1468,  on  ne  négligea  rien 
dans  le  duché  de  Bar  pour  se  mettre  en  état  de  résister  au  maréchal. 
Nous  possédons,  du  8  décembre  1467,  une  lettre  du  prévùt  d'Etain,  a  en- 
voyant quérir  les  gens  d'armes  de  son  office  »  (Archives  de  la  Meuse,  B. 
1152,  fol.  144,  V*).  Le  12  décembre,  des  gentilshommes  arrivent  à  Etain 
pour  garder  la  ville  o  pour  la  doubte  du  maréchal  de  Bourgogne  »  {Ibid.). 
A  Longwy,  dès  le  •10  septembre,  on  convoque  des  «  compagnons  de 
guerre  pour  estre  au  devant  du  maréchal  de  Bourgogne  ».  (Archives 
de  la  Meuse,  B,  1874,  fol.  172,  v*).  On  en  réunit  encore  le  3  décembre, 
((  pour  ce  que  on  disoit  que  le  maréchal  de  Bourgogne  vouloit  entrer 
es  pays  de  Bar  et  Lorraine  à  grand  puissance  »  {Ibid.,  fol.  174)  ;  ces 
craintes  se  manifestent  de  nouveau  le  22  février  1468.  A  la  même  époque, 
on  redoute  l'attaque  des  forces  bourguignonnes  qui  sa  rassemblent  en 
Luxembourg,  dépendant  alors  des  ducs  de  Bourgogne  (Archives  de  la 
Meuse,  B,  1874,  fol.  172,  V;  B.  1152,  fol.  148  et  156,  V.  Ces  diverses 
communications  sont  dues  à  l'obligeance  de  M.  A.  Lesort,  archiviste 
de  la  Meuse).  En  somme,  à  partir  du  mois  d'août  1467,  les  textes  prou- 
vent que  les  pays  de  l'obéissance  du  roi  René  et  de  son  fils  Jean  de 
Calabre  étaient  sur  l'alerte  ;  cela  durait  encore  à  Taulomne  de  1468 
(B.  2230,  fol.  81,  V,  et  2H7,  fol.  67,  V). 


—  102  — 

son  père  (1)  ;  le  second,  Henri  de  Neufchâtel,  nous  est 
connu  par  le  récit  de  la  guerre  d'Epinal  ;  il  importe  de 
mentionner  encore,  parmi  les  enfants  du  maréchal,  Claude, 
seigneur  du  Fay,  le  gouverneur  de  Liverdun  qui  fut  fait 
prisonnier  par  les  Lorrains,  Antoine,  abbé  de  Luxeuil  et 
évéque  de  Toul,  et  Guillaume,  seigneur  de  Montrond.  C'est 
au  fils  aîné,  Henri  de  Neufchâtel,  qu'eût  dû  échoir  la  sei- 
gneurie de  Chaligny  (2)  ;  mais  elle  était  depuis  l'automne 

(1)  L'église  des  Ck>rdellers  de  Nancy  possède  un  tombeau,  apporté  en 
i818  du  monastère  de  Belval  (Vosges)  ;  sur  les  bords,  fort  abîmés,  de  ce 
tombeau,  on  lisait  :  Hault  et  puissant  seigneur,  Monseigneur  Thiébaut 
de  Nuef...  11  s'agit  évidemment,  non  pas  du  duc  de  Lorraine  Thiébaut  I*', 
comme  on  l'a  cru  d'abord,  sans  aucun  fondement,  mais  d'un  Thiébaut 
de  Neufchâtel  enterré  à  Belval.  Quel  est  ce  Thiébaut  ?  Il  faut  chercher 
parmi  les  seigneurs  de  Neufchâtel  qui  ont  porté  ce  nom  à  une  époque 
où  la  maison  de  Neufchâtel  était  solidement  établie  dans  la  haute 
vallée  de  la  Moselle,  c'est-à-dire  à  une  époque  postérieure  à  la  fin  du 
XI v«  siècle,  qui  fut  celle  de  l'acquisition  par  les  Neufchâtel  de  Châtel, 
Bainville  et  autres  domaines  recueillis  dans  la  succession  de  Vaudé- 
mont.  Or  le  Thiébaut  de  l'église  des  Ck)rdcliers  ne  peut  être  Thié- 
baut VI,  mort  en  1400;  car  ce  seigneur  fut  sans  doute  enterré  à 
l'abbaye  de  Lieucroissant,  au  diocèse  de  Besançon,  où,  en  1407,  son 
petit- fils  fonda  un  service  anniversaire  pour  le  repos  de  son  âme 
(Loye,  op.  cit.,  p.  165);  d'ailleurs  Châtel  et  Bainville  ne  lui  appartinrent 
jamais.  Thiébaut  VU  les  acquit  par  son  mariage  ;  mais  il  mourut  à 
Nicopolls;  ce  n'est  donc  pas  lui  qui  fut  enterré  à  Belval.  Thiébaut  VIII 
fut  enterré  à  l'Isle,  dans  la  chapelle  de  la  Vraie  Croix  (Loye,  op.  ciL, 
p.  173)  et  Thiébaut  IX  à  Lieucroissant,  dans  un  somptueux  monument 
où  il  était  représenté  à  côté  de  sa  femme  {op.  cit.,  p.  187).  Le  tombeau 
apporté  de  Belval  ne  peut  être  que  celui  de  Thiébaut  X,  fils  aîné  de 
Thiébaut  IX,  qu'il  précéda  dans  la  tombe;  il  était  cf.pitalne  d'Héricourt 
et,  d'après  M.  l'abbé  Loye  (p.  189),  il  serait  mort  en  1462.  Le  maréchal 
de  Bourgogne  aimait  beaucoup  Châtel  ;  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  ait 
fait  inhumer  son  fils  dans  une  église  qui  n'en  était  pas  éloignée  (Belval 
est  voisin  de  Portieux)  et  qui,  d'ailleurs,  avait  été  fondée  par  Gérard  I 
de  Vaudémont  (Calmet,  Histoire  de  Lorraine,  2r  édition,  VII,  p.  clviii; 
abbé  L.  Jérôme,  Vahbaye  de  Hoyennwutier,  I,  p.  252  et  s.)  ;  or  on  a 
déjà  dit  que  les  Neufchâtel  étaient  dans  la  vallée  de  la  Moselle,  les 
héritiers  des  Vaudémont.  Voyez  cette  opinion  indiquée  par  M.  Ptister, 
Histoire  de  Nancy,  \,  p.  635,  qui  énumcre  les  diverses  identifications 
proposées.  L'inscription  que  porte  le  tombeau  a  été  depuis  1818  mala- 
droitement complétée,  de  telle  façon  qu'elle  se  rapporte  actuellement 
au  maréchal  de  Bourgogne.  Il  existe  au  musée  de  Versailles  un 
moulage  de  ce  tombeau. 

(2)  Chaligny  avait  d'ailleurs  été  attribué  à  Henri  de  Neufchâtel,  en 


-  103  — 

de  1467  aux  mains  du  duc  de  Lorraine.  Or,  par  un  acte  du 
19  novembre  1467,  Jean,  duc  de  Lorraine,  en  disposa,  non 
sans  indiquer  les  motifs  de  la  confiscation  prononcée  contre 
le  précédent  seigneur.  Il  y  rappelle  que  le  maréchal  de  Bour- 
gogne a  toujours  refusé  de  s'acquitter  de  ses  devoirs  féo- 
daux, qu'ainsi  il  s'est  montré  «  désobéissant  et  rebelle  à  son 
droicturier  et  naturel  seigneur  »,  qu'enfin,  «  aucuns  jours 
en  ça,  il  est  entré  avec  gens  d'armes,  ses  complices  et 
allez,  en  notre  duchié  de  Lorraine,  icelle  courue,  foullée 
et  endommaigée,  en  boutant  feux,  prenant  corps  d'hom- 
mes, bestail  et  faisant  autres  infiniz  et  innumérables 
maux  )).  A  ces  causes  le  duc,  après  s'être  rendu  maître  des 
places  du  maréchal  et  en  avoir  rasé  les  fortifications,  a 
prononcé  la  confiscation  de  celles  qui  étaient  tenues  en 
fief  de  Lorraine,  notamment  de  Chaligny.  Aussi  donne- 
t-il  ce  fief  à  Hardoin  de  la  Jaille,  pour  le  récompenser  de 
services  rendus  «  tant  à  la  conqueste  de  Gennes,  emprise 
du  Royaume  de  Sicile,  que  à  ceste  guerre  et  poursuite  de 
Cattalongne  (1)  ».  L'acte  est  daté  de  Palamos;  il  fut  rédigé 
au  cours  de  l'expédition  de  Catalogne. 

Le  nouveau  seigneur  ne  prit  jamais  possession  effective 
de  Chaligny  :  l'administration  lorraine  continua,  jusqu'au 
printemps  de  1471,  d'en  gérer  directement  le  domaine,  en 
versant  annuellement  une  somme  de  neuf  cents  florins 
d'or  aux  mains  de  Hardoin  de  la  Jaille  (2).  Les  comptes  des 

même  temps  qa'Epinal,  GhÂtel-sur-Moselle,  BainvIUe-aux  Miroirs,  et 
aussi  Neufchâtel,  Chastellot,  Blamont,  Héricourt  et  les  principaux 
domaines  de  la  famille,  par  le  testament  du  maréchal  de  Bourgogne, 
daté  du  20  octobre  1463.  (Archives  NaUonales,  K,  1799\ 

11)  Archives  de  M.-etM.,  B,  599,  n*  16.  Cet  Hardouin  de  la  Jaille, 
serviteur  de  René  II,  lui  dédia  un  traité  qu'il  avait  composé  sur  le 
combat  judiciaire.  (Bibl.  Nat.,  Français,  14513).  Il  ût  les  fonctions  de 
maréchal  lors  du  combat  singulier  qui  fut  ordonné,  après  la  bataille  de 
Nancy,  entre  Bidos  et  Roquelaure,  deux  des  gentilshommes  de  l'armée 
de  René  ;  on  sait  que  ce  combat  n'eut  pas  lieu.  Cf.  Ptister,  Histoire  de 
Nancy,  I,  p.  6^. 

12)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  970,  (compte  du  receveur  général  de 
Lorraine  pour  1470-1471),  fol.  616. 


-  104  — 

receveurs  géaéraux  de  Lorraine  pour  cette  époque  attes- 
tent que  les  agents  du  duc  réclamaient  des  habitants  de 
Cbaligny  tous  les  droits  ordinairement  payés  aux  Neufchâ- 
tel  (1).  Bien  plus,  les  anciens  sujets  du  maréchal  de  Bour- 
gogne contribuèrent  aux  frais  de  la  guerre  que  poursuivait 
le  duc  de  Lorraine  contre  les  héritiers  du  maréchal  :  c'est 
ainsi  que,  au  cours  de  Tannée  de  compte  1470-1471,  le  ban 
de  Cbaligny,  outre  une  somme  d'environ  16  livres  (2) 
d'aide  extraordinaire,  paya  50  florins  à  titre  de  contribu- 
tion spéciale  levée  «  pour  aider  au  vivre  des  gens  d'armes 
estant  tant  à  Charmes  qu'au  siège  devant  Châtel  (3)  )).  Il 
faut  savoir  que  les  troupes  du  duc  Nicolas  de  Lorraine 
assiégeaient  au  printemps  de  1471  la  forte  place  de  Châtel. 
Des  témoignages  peu  concordants  des  chroniques  sur  ce 
point,  il  semble  résulter  que  les  Lorrains  réussirent  à  s'en 
emparer.  Mais  ils  ne  purent  en  demeurer  maîtres  ;  bientôt 
survint  une  armée  bourguignonne  qui  les  força  d'évacuer 
Châtel  (4).  En  tout  cas^  Cbaligny,  après  avoir  subi  les  impôts 
de  guerre  établis  par  les  Neuf  châtel,  supportait  maintenant 
les  contributions  dont  s'alimentait  le  trésor  de  leurs  enne- 
mis. 

(1)  Voir  dans  ce  compte  la  recette  du  domaine  de  Chaligny,  fol.  383- 
396. 

(2)  Exactement  16  1.,  13  s.,  4  d.  :  Ibid.,  fol.  458. 

(3)  On  paya  48  florins  de  principal,  et  2  florins  pour  le  capitaine  {Ibid., 
fol.  94).  Remarquez  d'ailleurs  que,  pendant  que  la  terre  de  Chaligny 
était  administrée  directement  par  le  duc,  les  habitants  ne  lui  payaient 
pas  le  droit  de  garde,  par  lequel,  en  d'autres  temps,  ils  reconnaissaient 
sa  suzeraineté.  Au  fol.  24  du  compte,  où  devaient  se  trouver  mention- 
nées les  recettes  faites  pour  droit  de  garde,  on  lit  que  ce  droit,  en 
cette  présente  année  (1470-1471),  n'a  rien  produit  à  Chaligny,  «  pour  ce 
que  de  présent  la  recepte  de  toute  la  terre  est  en  la  main  de  Monsei- 
gneur (le  Duc)  ». 

(4)  La  Chronique  de  Lorraine  (p.  98)  mentionne  la  prise  de  Châtel. 
Le  Dialogue  de  Jean  Lud  (p.  156)  dit  au  contraire  que  l'arrivée 
d'une  armée  de  secours  força  les  assiégeants  à  se  retirer  sans  que  la 
place  fût  prise.  L'opinion  émise  ci-dessus,  au  texte,  est  conforme  à  celle 
de  l'historien  de  Châtel,  M.  l'abbé  Olivier  (p.  64),  et  aussi  à  celle  qui 
est  exposée  dans  l'ouvrage  de  Gollut-Duvernoy,  col  1231.  Dans  son 
Histoire  de  Nancy  (I,  p.  334),  M.  Pfister  suit  la  Chronique  de  Lorraine, 


—  105  — 

Au  mois  de  février  1471,  Hardoin  de  la  Jaille  consentit 
vraisemblablement  à  renoncer,  en  échange  d'une  indem- 
nité^ à  la  terre  de  Chaligny  :  car  ce  domaine  fut,  par  un 
acte  du  duc  Nicolas,  passé  à  Compiëgne  le  4  février  1471, 
donné  en  ôef  héréditaire  à  Antoine  de  Mohet,  conseiller  et 
chambellan  du  duc  (1).  Il  faut  remarquer,  dans  ces  lettres 
de  concession,  la  réserve  spéciale  que  fait  le  duc,  non  seu- 
lement de  la  suzeraineté,  ce  qui  allait  de  soi,  mais  «  du 
ressort  et  juridiction  au  siège  de  nostre  bailly  de  Nancy  ». 
En  vertu  de  cette  clause^  qui,  au  moins  en  ce  qui  concerne 
Chaligny,  était  une  innovation,  la  seigneurie  concédée  à 
Mohet  devait  relever  de  la  couronne  ducale  par  l'intermé- 
diaire du  bailliage  de  Nancy.  Visiblement,  Tadministration 
lorraine  tendait  à  mettre  la  main  sur  le  fief  de  Chaligny, 
afin  de  rendre  la  subordination  du  seigneur  plus  réelle  et 
plus  efficace.  Antoine  de  Mohet,  après  avoir  prêté  foi  et 
hommage  (2),  entra,  vers  la  fin  de  février  ou  le  commen- 
cement de  mars,  en  jouissance  du  domaine  qu'il  tenait  de 
la  générosité  de  son  maître  :  il  ne  devait  pas  le  conserver 
longtemps. 

En  effet,  Charles  le  Téméraire  était  fort  désireux  de 
mettre  fin  à  la  lutte,  désastreuse  pour  les  Neuf châtel,  qui 
se  poursuivait  depuis  1467  :  le  duc  Jean  de  Calabre  parait 
s'être  efforcé,  d'ailleurs  sans  succès,  de  chercher  les  bases 
d'un  accord  (3).  La  conclusion  de  la  paix  devint  plus  facile, 
lorsqu'au  mois  de  mai  1472,  Nicolas,  fils  et  successeur  de 
Jean,  se  lia  étroitement  au  Bourguignon,  par  le  traité 
d'Arras  (4).  Après  des  pourparlers    qui    durèrent   près 

(1)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  599,  n»  17. 

(2)  U25  février  :  Ibid.,  n«20. 

(3)  Marseille,  I"  mai  1470  :  Jean,  duc  de  Calabre  et  Lorraine,  donne 
des  instructions  à  Jean  VVysse  de  Gerbéviller,  bailli  d'Allemagne,  pour 
conclure  la  paix  avec  Henri  de  Neufchâtel,  a  en  considération  du  duc 
de  Bourgogne  »  (Bibl.  Nat.  Lorraine,  386,  fol.  174). 

(4)  Voir  sur  ces  événements,  Witte,  Lothringen  und  Burgund^  dans 
le  tome  II  des  Jahrbùcher  des  Gesellfchafts  fur  lothringische  Ge- 
schichte^  année  1890. 


—  106  - 

de  trois  ans,  les  conditions  de  la  réconciliation  furent 
arrêtées  définitivement  le  8  décembre  de  la  même 
année  (1)  ;  elles  étaient  assez  avantageuses  pour  les  Neuf- 
châtel  (2).  Sans  doute  Henri,  Théritier  du  maréchal,  dut 
renoncer  aux  prétentions  de  sa  famille  sur  Épinal  (3),  qui 
demeura  au  duc  Nicolas  ;  mais  il  conserva  Châtel  et  recou- 
vra les  domaines  de  Cbaligny  et  de  Bainville-aux-Miroirs, 
en  l'état  où  ils  se  trouvaient;  libertélui  était  laissée  (il  n'en 
usa  pas)  de  reconstruire  les  forteresses  démolies  par  suite 
des  événements  de  guerre.  Naturellement,  il  était  convenu 
que  Henri  de  Neufchâtel  rendrait  hommage  au  roi  René 
ou  à  son  représentant  pour  Châtel  et  Bainville,  qui  dépen- 
daient du  duché  de  Bar  (4),  et  au  duc  Nicolas  pour  Cbali- 
gny, qui  relevait  de  la  Lorraine.  A  la  même  époque  se 
terminait  la  longue  et  déplorable  lutte  au  cours  de  laquelle 
Antoine  de  Neufchâtel,  évéque  de  Toul,  pour  servir  les 
intérêts  de  sa  famille,  avait  employé,  contre  une  partie  de 
ses  ouailles,  les  armes  spirituelles  aussi  bien  que  les  armes 
temporelles.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'analyser  les  arran- 
gements qui  furent  pris  entre  les  adversaires  (5)  ;  il  me 

(1)  A  cette  époque,  l'amitié  entre  les  ducs  de  Bourgogne  et  de 
Lorraine  se  refroidissait  déjà.  Henri  de  Neufcliâtel  fut  appuyé  dans  les 
négociations  par  le  comte  de  Saint- Pol,  connétable  de  France,  près 
duquel  il  s'était  retiré  (Inventaire  Dufourny,  Bibl.  de  Nancy,  IV,  p. 
70;  cet  inventaire  renvoie  à  une  pièce  qui  se  trouvait  à  la  Chambre 
des  Comptes  de  Lorraine,  layette  Châtel,  Fiefs,  n*  3). 

(2)  Le  traité  fut  conclu  le  8  décembre  1472.  On  en  trouve  le  texte 
aux  Archives  de  la  Meuse,  B,  262,  fol.  194-195  ;  cf.  Bibl.  Nat.,  Lorraine, 
247,  fol.  16. 

(3)  On  trouvera  une  copie  de  sa  renonciation  à  Epinal,  aux  Archives 
de  M.-el-M.,  B,  360. 

(4)  Cet  hommage  fut  fourni  le  môme  jour.  (Archives  de  M.-et-M., 
B,  608,  n»  16).  Il  avait  été  réclamé  le  17  juillet  1471  ;  voir  la  citation 
(mentionnée  ci- dessus)  de  l'inventaire  Dufourny. 

(5)  Il  résulte  d'un  acte  du  8  décembre  1472,  que  les  prisonniers  faits 
de  part  et  d'autre  durent  (Hre  remis  en  liberté.  Il  en  fut  ainsi  notam- 
ment des  prisonniers  capturés  par  les  bourgeois  d'Epinal  et  le  comte 
de  Thierstein  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  247,  fol.  16).  Le  traité  de  paix  entre 
Nicolas  de  Lorraine  et  l'évéque  de  Toul,  Antoine  de  Neufchâtel,  du  8 
décembre  1472,  est  publié  dans  les  Preuves  de  VHistoire  de  Lorraine, 
de  dom  Calmet  (III,  p.  ggxli  et  s.). 


—  107  - 

sufflra  de  dire  que  ceux  des  chanoines  de  Toul  qui  étaient 
favorables  au  duc  de  Lorraine  abandonnèrent  Jean  de  Lam 
balle,  le  concurrent  que  quelques  années  plus  tôt  ils  avaient 
essayé  d'opposer  au  fils  du  maréchal  de  Bourgogne  (1). 
Antoine  demeura  ainsi  Tévêque  incontesté  de  Toul.  En 
somme,  les  Neufchâtel,  quoique  amoindris  par  la  désas- 
treuse guerre  d'Épinal,  gardaient  leurs  positions  ;  quant  à 
Antoine  de  Mohet,  qui  avait  été  investi  de  Chaligny,  il  fut 
réduit  à  réclamer  une  indemnité  dont  le  règlement  n'eut 
lieu  que  quarante  ans  plus  tard  (2). 

VI 

Voici  donc  la  terre  de  Chaligny  remise  au  pouvoir  des 
Neufchàtel  :  elle  avait  été  administrée  un  peu  plus  de  trois 
ans  par  les  agents  du  duc  de  Lorraine  et  était  demeurée  un 
peu  moins  de  deux  ans  au  pouvoir  d'Antoine  de  Mohet.  Les 
Neufchàtel  n'en  devaient  pas  eux-mêmes  conserver  long- 
temps la  paisible  possession.  Rien  n'est  plus  compliqué 
que  l'histoire  politique  de  la  Lorraine,  depuis  l'avènement 
du  comte  de  Vaudémont,  René  II,  au  duché  vacant  en 
1473  parla  mort  de  Nicolas  d'Anjou,  jusques  à  la  bataille  de 
Nancy.  Les  influences  diverses  s'y  succèdent  avec  une 
rapidité  qui  déconcerte  l'observateur  le  plus  attentif  (3). 

(1)  Abbé  E.  Martin,  Histoire  des  diocèses  de  Toul,  de  Nancy  et  de 
Saint  Dié,  I,  p.  426. 

(2)  1517,  19  septembre  :  Lettres  passées  sous  le  sccl  du  tabellionage 
de  Bar,  par  devant  François  Bignoinier  et  Robert  de  la  Mothe,  notaires 
jurés  au  dit  tabellionage,  par  Jean  de  la  Roche- A  y  mont,  chevalier, 
au  nom  et  comme  fondé  de  pouvoir  de  Charles  Mohet,  écuyer, 
seigneur  de  Villaine.  en  date  du  4  juillet  1514,  par  lequel  il  cède  et 
transporte  au  duc  de  Lorraine  et  de  Bar  los  chaslol  et  chastellonie, 
terre  et  seigneurie  de  l'Avant-Garde  ot  de  Chaligny,  pour  et  moyennant 
la  somme  de  200  écus  d'or  au  soleil  au  coin  du  Roi  (Ribl.  de  Rouen, 
fonds  Mombret,  ms.  35  ;  communication  de  M.  A.  Lesort,  archiviste  de 
la  Meuse). 

{3)  On  trouvera  un  résumé  de  ces  événements  dans  Pfister,  Histoire 
de  Nancy,  I,  p.  389  et  s.  Consulter  aussi  le  mémoire  déjà  cité  de  Wltte, 
Lothringen  und  Burgund. 


—  108  — 

Tout  au  moins,  on  est  certain  qu'après  le  traité  de  Nancy, 
conclu  le  15  octobre  1473  entre  Charles  le  Téméraire  et 
René  II,  c'est  l'influence  bourguignonne  qui  fut  prépon- 
dérante; toute  la  Lorraine  semblait  alors  à  la  discrétion  du 
«  grand  duc  d'Occident  »,  dont  les  troupes  la  sillonnaient 
de  toutes  parts.  Les  habitants  de  Chaligny,  obéissant  de 
nouveau  à  un  seigneur  bourguignon,  pouvaient  croire  que 
les  anciens  jours  étaient  revenus.  S'ils  se  firent  cette  illu- 
sion, elle  ne  dura  pas  longtemps.  En  mai  1475,  René  II, 
appuyé  à  ce  moment  par  Louis  XI,  reparait  en  armes  dans 
son  duché  ;  après  s'être  emparé  de  la  forteresse  de  Pierre- 
fort,  il  se  dirige  sur  ses  étals  héréditaires  et  arrive  à  son 
château  de  Vézelise,  vieille  résidence  des  Vaudémont,  ses 
ancêtres.  Il  se  trouvait  là  au  centre  du  pays  plus  particu- 
lièrement soumis  à  son  influence  ;  aussi  sa  présence  y 
releva  le  courage  des  adversaires  de  la  Rourgogne.  On  le 
comprit  jusqu'à  Chaligny,  d'ailleurs  peu  éloigné  du  Vau- 
démont ;  aussi  les  habitants  crurent  prudent  de  s'en  aller 
vers  René  II  pour  le  prier  de  les  prendre  sous  sa  sauve- 
garde, à  l'exemple  de  ses  prédécesseurs  ducs  de  Lorraine. 
Moyennant  la  promesse  d'une  redevance  annuelle  qui, 
comme  autrefois,  se  payait  par  feu,  Yolande  de  Vaudémont, 
duchesse  de  Lorraine,  et  le  duc  René,  son  fils,  leur  pro- 
mirent, «en  parolles  de  princesse  et  de  prince  »,  de  les 
protéger  et  de  les  défendre  envers  et  contre  tous  comme 
leurs  vrais  sujets  (1). 

En  cette  circonstance,  plus  ou  moins  spontanément,  les 
habitants  de  Chaligny  s'étaient  conduits  en  <  vrais  Lor- 
rains >,  à  la  différence  de  leur  seigneur,  qui,  conformé- 
ment à  toutes  ses  traditions  de  famille,  était  un  soldat 


(1)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  i,  fol.  293.  La  redevance  annuelle  était 
de  douze  deniers  et  de  deux  bichets  d'avoine  par  conduit  (c'est-à-dire 
par  feu).  C'était  d'ailleurs  le  taux  habituel  du  droit  de  garde  qu'en 
temps  ordinaire,  les  habitants  de  Chaligny  avaient  pavé  au  duc  de 
Lorraine  au  xv  siècle. 


—  109  — 

dévoué  et  un  serviteur  actif  de  Charles  le  Téméraire  (1). 
Toutefois^  en  cette  même  année  1475,  de  graves  événe- 
ments devaient  soumettre  leurs  sentiments  à  une  rude 
épreuve.  Les  Bourguignons  rentrent  en  Lorraine,  où 
Louis  Xly  changeant  de  parti  au  gré  de  ses  intérêts,  leur 
laisse  cette  fois  le  champ  libre.  En  octobre,  le  duc  de  Bour- 
gogne tient  en  sa  puissance  la  vallée  de  la  Moselle  ;  René  II, 
après  avoir  tenté  de  se  maintenir  à  Haroué  et  à  Ormes, 
d'où  il  observait  les  progrès  de  l'envahisseur,  bat  en 
retraite  vers  la  Champagne  et  se  retire  à  Joinville.  Le  21 
octobre,  la  forteresse  de  Vaudémont  se  rend  à  la  première 
sommation  des  Bourguignons  ;  Charles  le  Téméraire,  affec- 
tant les  façons  d'un  souverain,  confirme  solennellement 
les  privilèges  des  habitants  et  déclare  qu'ils  seront  traités 
comme  ses  propres  sujets.  Il  avait  ainsi  pénétré  au  cœur 
même  du  territoire  soumis  à  René  II  ;  mais  ce  n'était  pas 
pour  y  demeurer  longtemps.  Deux  jours  plus  tard,  le  23 
octobre,  son  quartier  général  est  à  Pont- Saint  Vincent.  Le 
lendemain,  le  Téméraire  s'établit  sous  les  murs  de  Nancy, 
où  il  devait  entrer  en  vainqueur  un  mois  plus  tard. 

Il  n'est  pas  vraisemblable  que  le  passage  de  son  armée 
victorieuse  ait  laissé  indifférents  des  Lorrains  aussi  novices 
que  l'étaient  les  habitants  de  Chaligny.  Tout  le  pays  qui 
les  entourait  était  occupé  par  les  soldats  du  Téméraire, 
dont  la  marche  victorieuse  semblait  irrésistible.  Sans 
aucun  doute,  ils  revinrent  à  leurs  sentiments  tradition- 
nels, et  crièrent  :  Vive  Bourgogne  I  Plusieurs  d'entre  eux 
durent  même  se  compromettre  pour  la  cause  de  Charles, 

(1)  Dom  Plancher,  dans  son  Histoire  de  Bourgogne  (Il ^  p.  438),  men- 
tionne un  sire  de  Chaligny  fait  prisonnier  par  les  Français,  en  1475,  à 
la  bataille  de  Château-Chinon,  gagnée  par  eux  sur  les  Bourguignons. 
Serait-ce  Henri  de  Neufchâtel?  J'en  doute  beaucoup.  En  tout  cas,  Henri 
de  Neufchâtel,  armé  chevalier  en  1468  avec  son  frère  Claude,  au  cours 
de  la  guerre  de  Liège,  servit  Charles  le  Téméraire  en  1473  et  en  1474, 
dans  la  Haute-Alsace;  en  novembre  1474,  il  essaya  en  vain  de  débloquer 
Héricourt,  assiégé  par  les  ennemis  du  duc.  (Gollut-Duvernoy,  col.  1227, 
1243,  1288,  et  notes.) 


—  110  — 

dont  ils  étaient  les  représentants  isolés  au  milieu  de  cette 
région  attachée  partout  son  passé  aux  ancêtres  de  René  II. 
Ils  en  furent  punis  Tannée  suivante. 

En  effet,  au  printemps  de  1476,  c'est  au  tour  de  René  II 
de  montrer  de  nouveau  ses  étendards  dans  le  Vaudémont. 
Devant  ses  troupes,  les  Bourguignons  évacuent  Vézelise, 
puis  la  forteresse  de  Thélod,  et  l'importante  position  de 
Pont-Saint-Vincent.  L'armée  lorraine  occupe  ces  places, 
d'où  des  partisans,  aidés  des  gens  du  pays^  s'en  vont  courir 
sus  aux  Bourguignons  ;  ils  osent  môme  insulter  la  garni- 
son de  Nancy  (1).  A  coup  sûr,  ils  ne  durent  pas  ménager 
l'enclave  bourguignonne  constituée  par  Chaligny;  sans 
tarder,  la  terre  de  Chaligny  se  trouva  de  nouveau  à  la  dis- 
crétion de  René  II.  En  tout  cas  nous  savons,  à  n'en  pouvoir 
douter,  que  les  vendanges  des  vignes  domaniales  de  Cha- 
ligny, à  l'automne  de  1476,  furent  faites  «  par  son  ordon- 
nance (2)  )).  Henri  de  Neufchâtel  avait  à  peine  joui  trois 
ans,  et  non  sans  troubles,  de  la  terre  qui  lui  avait  été  resti- 
tuée en  1472  ;  de  nouveau,  c'étaient  les  agents  du  duc  de 
Lorraine  qui  agissaient  en  maîtres  à  Chaligny. 

Cependant,  ceux  des  habitants  de  la  seigneurie  qui 
s'étaient  trop  compromis  pour  la  cause  bourguignonne 
avaient,  à  l'approche  des  Lorrains,  cherché  un  asile  sûr  ; 
plusieurs  s'étaient  réfugiés  à  Nancy,  à  l'abri  des  drapeaux 
du  Téméraire.  Ce  qui  le  prouve,  c'est  que,  quand  la  gar- 
nison bourguignonne  de  Nancy  dut  capituler,  ses  chefs 
firent  insérer  dans  la  capitulation  une  clause  assurant  le 
droit  de  se  retirer  sains  et  saufs  aux  hommes  de  Chaligny 

(i)  Voir  la  Chronique  de  lorraine  (édit.  de  l'abbé  Marchai,  dans  les 
Documents  de  l'histoire  de  Lorraine,  HI,  pp.  207  et  ss.),  où  se  mani- 
festent les  preuves  du  zèle  lorrain  des  gens  du  Vaudémont  et  de  Pont- 
Saint- Vincent.  —  Cf.  Nicolas  Remy,  Discours  des  choses  advenues  en 
Lorraine,  p.  32  et  s.  ;  p.  4i. 

(2)  Mention  des  «  journées  et  despens  des  ouvriers  qui  firent  les  vins 
prins  es  vignes  de  Chaligné,  qui  furent  faits  par  l'ordonnance  de 
Monseigneur  leDuc  (René  II)  ».  Archives  de  M.-et-M.,  (Comptes  de  Lor- 
raine pour  l'année  1476,  B,  9732,  fol.  61. 


—  m  — 

réfugiés  à  Nancy  ou  ailleurs,  qui,  saus  doute,  se  montraient 
peu  désireux  de  goûter  de  nouveau  les  douceurs  d'un 
séjour  dans  les  tours  de  la  porte  de  la  Crafle  (i).  Je  ne  sais 
si,  échappés  à  ce  péril,  ils  se  laissèrent  entraîner  encore 
une  fois  dans  la  lutte  suprême  qui  s'engagea  presque  sous 
leurs  yeux.  Lorsque  de  nouveau,  pendant  Thiver  de  1476, 
Nancy  fut  assiégé  par  les  forces  bourguignonnes,  c'est  de 
Pont-Saint-Vincent,  c'est-à  dire  d'un  village  voisin  de  Cha- 
ligny^  que  partit,  en  se  dirigeant  par  les  bois  de  Glairlieu, 
l'héroïque  maréchal  de  René  II,  Suifren  de  Baschi^  qui 
tentait  de  pénétrer  à  la  dérobée  dans  la  place  assiégée  ;  on 
sait  que  cette  tentative  lui  coûta  la  vie. 

Peu  de  jours  après,  la  bataille  de  Nancy  était  gagnée  et 
perdue  :  le  sort  de  la  Lorraine  était  décidé,  ainsi  que  celui 
de  cette  grande  France  de  l'Est  qui  avait  failli  se  constituer 
sous  la  forme  de  la  monarchie  bourguignonne.  Le  seigneur 
de  Chaligny,  Henri  de  Neufchâtel,  avait  été  fait  prisonnier 
au  cours  de  la  journée  par  Bertrand  Bataille,  Jehan  Gran- 
gier,  et  quelques  autres  guerriers  lorrains,  qui  d'abord 
l'avaient  rançonné  à  trois  mille  écus,  puis  l'avaient  remis 
aux  mains  de  René  II  (2).  Il  devait  demeurer  trois  ans  au 
pouvoir  de  son  ennemi,  qui,  peut  être  par  ironie,  l'enferma 
dans  les  prisons  de  cette  ville  d'Ëpinal,  dont  le  testament 
de  son  père  l'avait  constitué  le  seigneur. 

Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  le  domaine  de  Chaligny  fut 
cruellement  éprouvé  par  cette  période  de  guerres.  Nous 
possédons  là-dessus  deux  témoignages  assez  caractéris- 
tiques.   En  1483,   un    habitant  de  Chaligny,  Pierrot  dit 

(4)  «  Item,  pareillement  que  les  manans  et  habitans  de  la  ville  de 
Chaligny  et  du  ban,  tant  ceux  qui  ont  esté  encioz  en  la  ville  de  Nancy 
que  ceux  qui  se  sont  absentez  par  le  pays,  puissent  retourner  en  ladite 
ville  et  ban  à  leurs  maisons,  hôritaiges,  biens  quelconques  es  dits  pays, 
sûrement  et  sainement,  comme  ils  estoient  auparavant  lesdites  guerres 
et  conqueste  d'iceux  pays.  »  Dom  Calmet,  Histoire  de  Lorraine^ 
Preuves,  IH,  p.  gclxxxv. 

(â)  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  95. 


—  112  - 

Mouflet,  qui  tenait  une  •maison  à  cens  de  l'abbaye  de 
Clairlieu,  se  trouva  obligé  de  délaisser  cette  maison  à 
Tabbaye  :  elle  était  en  ruines,  et  lui-môme  ne  pouvait  plus 
payer  le  cens  annuel  de  six  gros,  ayant  été  réduit  à  la  pau- 
vreté «  par  fortune  de  guerre  et  stérilité  de  temps  (1)  ». 
Quelques  années  plus  tard,  en  1490,  Tabbé  de  Clairlieu, 
dom  Jean  de  Gerbévillers,  limita  à  une  pinte  le  cens, 
jadis  fixé  à  une  quarte  d'huile,  qui  était  du  à  l'abbaye  par 
une  maison  de  Chaligny,  sise  devant  le  four  du  Mont  ;  il 
en  donne  pour  motif  que  cette  maison,  u  durant  le  temps 
des  guerres,  a  été  très  fort  démolie  et  quasi  tout  arrui- 
née  (2)  ».  Si  nous  ajoutons  que  Tabbaye  de  Clairlieu  elle- 
même  fut  ruinée  au  cours  de  ces  événements  (3),  nous 
serons  en  droit  de  conclure  sans  témérité  que  Chaligny  et 
les  villages  voisins  n'échappèrent  pas  à  la  dévastation.  Les 
dix  années  qui  s'écoulèrent  de  1467  à  1477  durent  être  pour 
Chaligny  aussi  sombres  que  les  années  qui  s'étaient  écou- 
lées de  1430  à  1440. 


VU 

Dans  un  acte  officiel  de  René  II,  daté  de  Nancy,  3  juillet 
1477  (4),  le  duc,  après  avoir  rappelé  la  rébellion  de  Henri 
de  Neufchâtel,  à  la  suite  de  laquelle  il  a  légitimement  pro- 
noncé la  confiscation  de  tous  les  biens  du  rebelle,  déclare 
donner  «  la  villle  de  Chaligny,  terre  et  châtellenie  d'icelle, 
avecques  toutes  sez  appartenances  que  souloit  tenir  nostre 
cousin  de  Neufchastel  »,  à  son  très  cher  cousin  et  maré- 
chal messireOswald,  comte  de  Thierstein,  seigneur  de  Pfef- 
fingen.  Ce  nom  de  Thierstein  a  déjà  paru  dans  les  pages 

(i)  Archives  de  M.-et-M.,  Fonds  de  Clairlieu,  H,  492. 

(2)  Ibid.,  H.  493. 

(3)  Ibid.,  H.  460,  pages  59  et  iOl. 

(4)  Nancy,  3  luiHet  1477  :  Archives  de  M.et-M.,  B,  1,  fol.  389;  cf. 
L.  Quintard,  Bayonet  ses  seigneurs.  {Mémoires  de  la  S.  A.  L.,  tomoL, 
année  1900,  p.  24  ) 


-  113  - 

qui  précodent.  Il  était  porté  par  une  famille  importante 
dont  le  siège  préféré,  le  château  de  Pfeffîngen,  dominait 
une  petite  rivière,  la  Birse,  vers  l'emlroit  où,  c  laissant  der- 
rière elle  les  gorges  sauvages  du  Jura,  elle  débouche  tout 
d'un  coup  dans  la  riante  plaine  où  court  le  Rhin  (1)  ». 
Très  puissants  dans  la  région  qui  s'élend  entre  Baie  et 
Strasbourg,  les  Thierslein  avaient,  au  commencement  du 
xv^  siècle,  énergiquement  résisté  aux  entreprises  de  Neuf- 
cluUel  et  de  Taristocratie  bourguignonne  :  l'un  d'eux,  Jean 
deThierstein,  avait  été  le  rude  et  heureux  adversaire  de 
ïhiébaut  VIII  de  Neufchalel,  lors  de  la  guerre  entreprise 
par  Thiébaut  contre  Tévèque  de  Baie. 

Le  nouveau  maître  de  Chalignj,  Oswald,  avait  d'abord 
servi  les  Habsbourg;  en  1452,  il  fut  armé  chevalier  à 
Rome,  sur  le  pont  Saint-Ange,  par  l'empereur  Frédé- 
ric IIÏ,  le  jour  mt^me  de  son  couronnement  (2).  Plus  tard, 
il  entra  au  service  du  Téméraire,  qui  s'elïorçait  (i'élablir 
sa  domination  en  Alsace.  Lfjrs  de  la  révolte  des  Alsaciens 
contre  le  bailli  bourguignon,  Pierre  de  Hagenbach,  Oswald 
abandonna  le  parti  du  duc  pour  revenir  à  celui  de  Sigis- 
mond  d'Autriche,  dont  il  fut  le  bailli.  C'est  à  ce  titre  qu'il 
combattit  à  Morat  à  coté  des  Lorrains  et  des  Suisses.  Il 
serait  trop  long  de  dire  ici  comment  Oswald,  tomi)é  dans 
la  disgrâce  du  duc  Sigismond,  et  obligé  de  quitter  sa  charge 
de  grand  biiilli  d'Alsace,  vint  se  mettre  avec  toutes  ses 
forces  au  service  du  duc  de  Lorraine  et  contribua  pour 
une  large  part  à  la  victoire  de  René  II  à  Nancy  ;  après  la 
bataille,  ce  fut  encore  lui  qui  procura  au  vainqueur,  en 
engageant  ses  châteaux  de  Thierstein  et  de  Pfefiingen,  les 
fonds  nécessaires  pour  payer  la  solde  que  les  Suisses  récla- 

(1)  StoufT,  op.  cit.,  p.  *)7.  Col  ouvrago  est  à  consiiUor  sur  les  origines 
et  la  fortune  de  la  maison  de  Thierslein. 

(2)  J'emprunte  ces  détails  et  ceux  qui  suivent,  au  résumé  donné 
par  M.  Pfister  iilisloire  de  î\'an('y,  I,  p.  (îî)7  ctOVKSlde  l'élude  de  M.Bir- 
mann,  Graf  Oswald  von  Thierslein  und  der  Ausgang  seines  Gesch- 
lechts  (dans  le  Basier  lahrbnc/i  de  1883). 

8 


^  U4  ^ 

tnaient  impérieusement.  En  lui  concédant,  avec  la  seigneu- 
rie de  Bayon  (1),  celle  de  Chaligny,  domaine  d'une  famille 
qui  était  Tennemie  héréditaire  des  Thierslein,  René  II  ne 
faisait  qu'accomplir  un  devoir  de  reconnaissance.  La  por- 
tée de  Tacte  du  duc  de  Lorraine  était  d'ailleurs  très  simple; 
à  Chaligny,  il  subrogeait  Oswald  de  Thierstein  aux  droits 
de  Henri  de  Neufchâtel.  Cependant  ce  n'est  point  cette 
concession  de  René  II  qui  fixa  le  sort  de  Chaligny  pendant 
le  demi-siècle  qui  suivit  la  déroute  des  Bourguignons.  En 
réalité,  elle  fut  deux  ans  plus  tard  remplacée  par  une 
autre  combinaison  dont  il  convient  d'indiquer  les  bases. 
Pour  en  avoir  l'intelligence,  il  faut  savoir  que  René  II 
se  montra,  à  l'endroit  de  son  prisonnier  Henri  de  Neuf- 
chàtel,  très  rigoureux  (2),  trop  rigoureux,  à  entendre  les 

(l)La  soigncurio  de  Rayon  avait  étéconGsquéo  apr^s  la  bataille  de 
Nancy,  sur  les  Haraucourl,  partisans  du  Bourguignon.  Oswald  do 
Thierstein  re^ul  aussi  l'hôtel  sis  à  Naney,  rue  Rirhardinesnil,  confis- 
qué à  la  mémf»  époque  sur  le  receveur  général  Vautrin  Malhôle, 
exécuté  pour  avoir  suivi  Ir  parti  bourguignon.  Ct.  Pfister,  op.  cit.^ 
I,  p.  «77. 

(2)  Jean  de  Chalon,  prince  d'Orange,  écrit  au  duc  de  Lorraine,  le 
i'.')  mal  1i77,  pour  se  plaindre  de  ce  que  le  duc  tienne  «  bien  étroite- 
ment, ^  bien  rude  prison,  ou  puys  d'Rspinal  »  son  parent  Henri  de  Neuf- 
chiUel  ;  il  le  prie  de  le  traiter  gracieusement.  René  11  fait  A  cette  lettre 
une  réponse  assez  raide  et  ne  cède  en  rien  ^Bibl.  Nat.,  ïvOrraine,  .'18t>, 
fol.  iW).  Le  14  août  H77,  dans  une  lettre,  datée  de  (land,  que  Marie  de 
Bourgogne  adresse  à  Claude  de  NeufcliAtel,  elle  déplore  «  la  payne  cl 
soulTrelé  (jue  le  sieur  de  Neufchastol,  voslre  frère,  aussi  nostre  cousin, 
endure  et  supporte  journellement  par  la  détencion  de  sa  personne  ès- 
mains  du  duc  de  Lorraine  ».  (Voir  cette  lettre  sous  le  n*  8K  des  lettres 
Imprimées  au  tome  I II  des  Pu/Wicaf />);<. s*  de  la  Société  pour  la  recherche, 
et  la  conservation  des  monnwents  hiiiloriqnes  dans  le  grand-duché 
de  Luxembourg,  année  18i7,  p.  tUîi.  Enfin,  vers  I4î»9,  lorsque  Henri  do 
NeufchAtel  demanda  un  adoucissement  des  condilionsqui  lui  avaient  été 
imposées  en  H79,  René  II  déclara  s'étonner  beaucoup  de  ces  demandes;  il 
pensait  avoir  traité  avec  bonté  un  vassal  révolté  «  Car,  entendu  qu'il 
estoit  son  prochain  parent,  descendu  de  la  maison  de  Vauldémont  et  son 
homme  féodal  »,  Henri  ne  devait  pas  prendre  part  à  la  guerre  du  duc 
de  Bourgogne,  ni  commettre  d'exécrables  exploits,  ainsi  qu'il  a  fait  k 
Charmes.  Et  lorsque  NeufchAtel  dit  qu'on  lui  a,  contre  toute  raison 
extoTciué  la  promesse  d'un  supplément  de  0,000  florins,  les  Lorrains 
n^pondent  que  «  prisonniers  ne  se  mettent  à  rançon  s'ils  ne  sont  con- 
traints ».  Procôsverbal  de  négociations  qui  eurent  Heu  vers  li99;  Bibl, 
Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  161  et  162. 


parents  et  les  amis  du  caplif.  Je  ne  m'arrêterai  pas  ici  à 
me  demander  si  les  méfaits,  d'ailleurs  très  graves,  de 
Henri  vis-à-vis  du  duc  de  Lorraine,  son  suzerain,  jus- 
tifiaient celte  manière  d'agir  ;  c'est  un  point  sur  lequel 
René  n'entendait  pas  qu'on  conlestAt  son  bon  droit. 
Pendant  que  Neufchatel  était  tenu  «  eslroitemenl,  à  bien 
rude  prison,  ou  puys  d'Espinal  »  (ainsi  s'exprime  Jean  de 
Chalon  dans  une  lettre  à  René),  de  longues  négociations  se 
poursuivaient  entre  les  frères  du  prisonnier  et  les  repré- 
sentants de  René  11,  parmi  lesquels  figurait  Oswald  de  Thier- 
slein.  Enfin,  le  10  août  1479,  deux  ans  et  sept  mois  après 
la  bataille  de  Nancj-,  les  deux  parties  conclurent  à  Luné- 
ville  une  convention  fixant  la  rançon  de  Henri  à  16,000 
florins  d'or  du  Rhin  (1).  Toutefois,  il  était  entendu  que,  sur 
cette  somme,  les  domaines  de  Chaligny  etdeRainville-aux- 
Miroirs,  précédemment  confisqués,  seraient  imputés,  le 
premier  pour  4,000  florins  et  le  second  pour  2,000,  de  telle 
façon  que,  si  un  jour  Neufchatel  se  trouvait  en  état  de  rem- 
bourser ces  sommes  aux  détenteurs  respectifs  de  (Hialigny 
et  de  Rainville  (2),  il  pourrait  retrouver  la  libre  jouissance 
de  ces  biens.  Oswald  de  Thierstein  représentait  René  II  en 
celte  négociation;  il  dut  donc  connaître  et  accepter  la 
convention  qui  modifiait  profondément  ses  propres  droits 
à  Chaligny.  En  réalité,  il  cessait  d'être  propriétaire  pour 
devenir  engagiste,  tenu  de  restituer  le  domaine  si  Henri  de 
Neufchatel  lui  remboursait  4,000  florins. 

Les  rédacteurs  de  l'acte  du  10  août  1479  avaient  pleine 
conscience  des  conséquences  de  la  convention  sur  la(|uelle 

(Il  Bi»)I.  Njit.,  Lorraino,  3S6,  fol.  UW  cl  lf»i. 

(2)  Bainvillo  élnit  aux  mains  do  Joan  de  Bron  dit  Polil  Jean,  de  Vaii- 
démont,  comme  Clialigny  aux  mains  de  Thierstein.  Kn  outre  d'autres 
biens  de  NeufchAtrl  étaient  enfçajfés,  à  savoir:  Homont  (villafçe  voisin 
de  RambcrvlHers),  détenu  par  Jean  Wysse,  et  des  rentes  à  Poligny 
(sans  doute  Pallegney,  près  ChAtcl-sur-Mosclle),  Zincourl  (village  voi- 
sin de  Pallegney*,  et  Villacourt  (c'était  un  flef  dépendant  de  la  seigneu- 
rie de  ChAtel-sur-Moselle),  qui  formaient  la  sûreté  d'Antoine  de  Vllis- 
lang  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  IK)}. 


-  116  - 

ils  étaient  tombés  d'accord.  En  eflet,  ils  déclarèrent  que 
Henri  de  Neufchûtel  serait  tenu  de  rendre  hommage  pour 
Bainville  et  Chaligny  ;  c'est  donc  qu'il  en  conservait  la 
seigneurie,  paralysée  pour  un  temps,  il  est  vrai,  par  les 
droits  de  Tengagiste  (1).  Il  va  de  soi  que  de  minutieuses  pré- 
cautions lurent  prises  pour  Tépoque  où,  après  l'extinction 
du  gage  (ou  de  la  gagière,  comme  on  disait  alors),  la  pro- 
priété reviendrait  à  Henri  de  NeufcliiUel.  Henri  s'engageait 
d'avance  à  n'en  point  user  au  détriment  de  la  Lorraine; 
s'il  venait  à  relever  les  forteresses,  il  ne  devrait  les  confier 
à  qui  que  ce  soit  sans  l'agrément  du  duc.  Bien  plus,  les 
justiciers,  officiers  et  principaux  habitants  de  Chaligny  et 
de  Bainville  seraient  tenus  de  corroborer  de  leur  engage- 
ment personnel  la  promesse  de  leur  seigneur. 

Là  ne  s'arrêtèrent  pas  les  exigences  de  René  H  ;  par  une 
seconde  convention,  postérieure  de  vingt  jours  à  la  pre- 
mière (2),  Henri  de  Neufchalel  dut  s'obliger  personnelle- 
ment à  lui  payer  6,000  florins,  en  excédent  des  sommes 
portées  au  traité  antérieurement  négocié  (3).  Parce  moyen, 
René  II  s'indemnisait  à  l'avance  des  6,000 florins,  représen- 
tant Chaligny  et  Bainville,  qu'il  avait  abandonnés  à  Thier  - 
stein,  détenteur  de  Chaligny,  et  à  Jean  Bron,  dit  Petit-Jean 
de  Vaudémont,  détenteur  de  Bainville,  pour  le  cas  où 
Neufchàtel  userait  de  son  droit  de  rachat. 

Cette  convention  supplémentaire  portait  à  22  mille  flo- 

(I)  Vingt  ans  après,  Henri,  qui  n'avait  pas  encore  recouvré  les  terres, 
n'avait  pas  fourni  cet  hommage. 

(2!  Voir  le  texte  de  cette  convention  à  la  suite  de  la  précédente  dans 
le  ms.  de  la  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  386.  —  Le  3  septembre  !i79,  c'est-à- 
dire,  deux  jours  plus  tard,  Henri  de  NeufcliAtel  fut  mis  en  liberté  {Do- 
cuinenls  de  Vhialoire  des  Vosges,  III,  p.  187).  11  élail  captif  depuis  le 
6  janvier  ii77. 

(3)  r3ans  le  Dialogue  de  Jean  Lud,  écrit  entre  ii8i  et  lliOl.  il  est  dit 
que  René  H  ne  conserva  rien  de  la  rançon  de  Henri  de  Neufchàtcl, 
puisqu'il  avait  abandonné  4.0U0  florins  à  Oswald  de  Thicrstein  et  2.UIX) 
à  Petit-Jean  de  Vaudémont.- L'auteur  était  évidemment  mal  informé; 
il  ne  connaissait  ni  les  clauses  de  traité  do  rançon,  ni  le  traité  supplé- 
mentaire {Dialogue^  p.  189). 


-  H7  - 

rîhs  (cinq  fois  et  demie  la  valeur  donnée  à  la  terre  de  Gha- 
ligny)  la  rançon  promise  par  Henri  de  NeufcluUel  ;  de  cette 
énorme  somme,  16,000  florins  étaient  exigibles  immédia- 
tement ou  à  des  dates  assez  rapprochées,  et  0,000,  non 
exigibles,  étaient  garantis  par  la  gagière  de  Clialigny  et 
de  Bainville  aux-Miroirs.  Le  traité  était  évidemment  très 
onéreux  pour  Henri  ;  quant  à  René  II,  il  obtenait  sans 
doute  une  grosse  somme  d'argent,  avantage  qui  n'était 
pointa  dédaigner,  mais  il  paraît  bien  qu'il  eiU  préféré  se 
faire  céder  par  la  famille  de  Neufchàtel  le  domaine  de 
Châtel-sur-Moselle  (1),  ce  à  quoi  il  ne  put  réussir. 

n  était  plus  facile  de  promettre  que  de  payer  :  Henri  de 
Neufchàtel  ne  tarda  pas  à  s'en  apercevoir.  Tout  d'abord, 
lui  et  ses  frères  s'étaient  adressés  à  l'héritière  des  naîtres 
que  leur  famille  servait  de  génération  en  génération  :  je 
veux  parler  de  Marie  de  Bourgogne,  qui,  peu  de  mois 
après  la  mort  de  son  père,  avait  épousél'archiduc  Maximi- 
lien  d'Autriche.  Or,  tant  qu'il  ne  s'agit  que  de  marques  de 
courtoisie,  la  fille  et  le  gendre  du  Téméraire  ne  les  refusent 
pas  aux  NeufchûteK  Dès  le  14  août  1477,  quelques  jours 
après  son  mariage,  la  duchesse  Marie,  écrivant  à  Claude 
de  Neufchàtel,  seigneur  du  Fay,  pour  l'autoriser  à  aller 
négocier  avec  le  duc  de  Lorraine  en  vue  d'obtenir  la  liberté 
de  son  frère  Henri,  déplore  la  malheureuse  condition  à 
laquelle  est  réduit  le  captif  à  cause  de  sa  fidélité  à  la  mai- 
son de  Bourgogne  (2).  Un  an  plus  tard,  le  9  septembre  1478, 
c'est  Maximilien  d'Autriche  qui  répond  aux  instantes 
demandes  de  Claude  de  Neufchûtel  ;  il  alTecte  de  porter  un 

(1)  Dans  une  lettre  du  14  août  1477,  citôo  ci-dessous,  Marie  de  Bour- 
gogne attribue  les  maUieurs  de  Henri  de  NeufchâteJ,  alors  captif  de 
Itené  H,  à  ce  que  Neufchàtel  ne  veut  pas  remettre  au  duc  de  Lorraine 
la  place  de  Chàtel-sur-Mosclle,  «  qui  toujours  s'est  tenue  et  tient  nostro 
party  ». 

(2)  Lettre  portant  le  n*  88  dans  les  Publications  de  la  Société  pour 
la  recherche  et  la  conservation  des  monuments  historiques  dans  le 
grand-duché  de  Luxembourg^  III,  année  1847,  p.  146 


-  H8  - 

très  vif  intérêt  au  sort  du  prisonnier,  car  il  ne  saurait 
«  mettre  en  obly  >>  les  services  rendus  à  la  maison  de  Bour- 
gogne par  la  famille  dont  Henri  est  le  chef.  Mais,  quand  il 
8*agit  de  lui  procurer  un  secours  efficace,  il  déclare  ne  pas 
voir  clairement  ce  qu*il  pourrait  faire  :  s'il  y  a  lieu,  un 
peu  plus  tard,  après  la  tenue  des  Etais,  il  s'occupera  de 
cette  question(l).  L'année  suivante,  en  mars  li79,  Henri 
et  ses  frères  insisteut  de  nouveau  auprès  de  Maximilien; 
mais  ce  prince  raan|ue  très  nettement  Tintenlion  de  se 
désintéresser  du  sort  de  iNeufcliàtel,  qu'il  n'essaie  nulic- 
meut  de  retenir  à  son  service  (2). 

C'est  alors  que  Henri,  rebuté  du  côté  de  son  seigneur  natu 
rel,  dut  se  résigner,  quoi  qu'il  lui  en  coûtai,  à  prêter  Toreille 
aux  propositions  qui  lui  étaient  apportées  de  la  part  de 
l'ennemi  mortel  de  son  père,  je  veux  parler  de  Louis  XI . 
Le  roi,  jadis  accueilli  à  Chûtel  par  le  maréchal  de  Bour- 
gogne, avait  pu  apprécier  Timportance  de  cette  possession, 
qui  commande  la  vallée  de  la  Moselle  ;  il  se  mit  en  tète  d'y 
établir  son  influence.  Peut-être  désirait-il,  par  une  acqui- 
sition nouvelle,  remplacer  Epinal  qu'il  avait  perdue;  peut- 
être  aussi  se  rappelait-il  la  prophétie  que,  naguère,  lorsque 
fugitif,  il  avait  reçu  l'hospitalité  à  Chatel-sur-Moselle,  le 
maréchal  de  Bourgogne  lui  avait  fait  connaître.  Aux  termes 

(M  Lellre  du  9  septoinbn  1478;  Ihid.,  n"  86  />/s,  p.  li.*). 

{i)  LoUrc  datôc  do  La  Haye,  31  mars  H70.  Maximilion  analyse 
d'abord  uno  lettre  do  Henri  de  NeufchAtel,  reçue  quelques  jours  aupara- 
vant. Il  en  résulte  (|ue  le  roi  de  France  adresse  à  Henri  des  offres,  de  plus 
en  plus  pressantes,  d'un  secours  en  ar^^ent  :  joignant  la  menace  à  la  séduc- 
tion, il  laisse  entrevoir  à  NeufchAtel,  s'il  résiste,  la  conHscalion  de 
ses  fiefs  de  Barrois  et  de  Comté.  Henri  ne  voudrait  rien  faire  qui  pût 
déplaire  à  Maximilien.  S'il  est  obligé  de  rendre  hommage  au  roi  de 
France,  ce  sera  contre  son  gré,  pour  éviter  «  sa  totalle  ruine  »,  et 
pour  subvenir  aux  besoins  de  ses  frère?  et  sœurs,  qui  font  de  durs 
sacrifice*  pour  lui.  Maximilien,  en  lui  répondant,  le  remercie  des  bons 
sentiments  qu'il  conserve  envers  Ihéritièrc  du  Téméraire,  et  lui 
demande  seulement  de  ne  pas  s'obliger  à  servir  le  roi  de  France  contre 
la  Maison  de  Bourgogne.  Mais  il  no  fait  rien  pour  empêcher  Henri  de  se 
soumettre  à  Louis  XL  —  .Vrchivcs  de  M.-et-M.,  B,  608,  n"  32. 


-  H9  - 

de  cet  oracle,  Louis  XI  devait  être  un  jour  «  maitre  et  sei* 
gueur  »  de  Châtel-sur-Moselle.  Le  maréchal  avait  cru  alors 
réaliser  suflisamment  cette  prophétie  en  déclarant  à  son 
hôte  que^  bien  volontiers,  en  le  recevant  sous  son  toit,  il 
rétablissait,  pour  le  temps  de  son  séjour,  «  seigneur  et 
maître  »  de  sa  maison.  (1).  Mais  le  roi  n*étaitsans  doute 
pas  fâché  de  l'accomplir  cette  lois  à  sa  manière  en  deve- 
nant souverain  de  Châtel.  Pour  atteindre  ce  but,  il  devait 
d'abord  s'attacher  Henri  de  Neufchàtel  par  les  liens  de  la 
vassalité  ;  cela  (ut  facile,  à  raison  de  la  détresse  financière 
de  l'héritier  du  maréchal  de  Bourgogne.  Louis  XI  lui 
concéda  en  plusieurs  termes  une  somme  de  23,000  livres  de 
tournois,  «  tant  pour  nous  aider  à  acquitter  de  nostre  ran- 
çon, écrit  Henri,  comme  aussi  pour  supporter  les  frais 
qu'il  nous  a  fallu  faire  et  supporter  à  pourchasser  icelle 
rançon  »  ;  en  même  temps  il  l'employa  à  son  service  en 
qualité  déconseiller  et  chambellan,  de  capitaine  de  cent 
lances,  et  même  de  gouverneur  du  duché  de  Bar,  quand  ce 
duché  fut  saisi  par  le  monarque  français  (2).  En  outre,  il 
était  nécessaire  que  Louis  XI  acquit  la  suzeraineté  de  Chàtel 
qui  appartenait,  non  à  René  II,  mais  au  duc  de  Bar  ;  c'était 
encore  à  celte  époque  le  vieux  roi  René  d'Anjou,  qui  pas- 
sait dans  son  palais  d'Aix-en-Provence  les  dernières  années 
d'une  longue  carrière  traversée  par  de  multiples  épreuves. 

(1)  Chastellain,  III,  p.  188. 

(2)  19  juin  1481,  Henri,  seigneur  de  NeufrhAlcl,  conseiller  el  cham- 
bellan du  roi,  a  reçu  de  Michel  le  Tailhiirier,  receveur  général  des 
aides  en  Languedoc,  6.(KX)  livres  tournois  à  lui  données  par  le  roi, 
faisant  partie  des  £i,000  livres  que  le  roi  a  ordonné  lui  être  payées 
«  tant  pour  nous  aider  h  acquitter  de  nostre  rançon  envers  le  duc  de 
Lorraine,  comme  oussi  pour  supporter  les  frais  qu'il  nous  a  convenu 
faire  el  supporter  à  pourchasser  icelle  rançon  ».  Le  22  juin  1iS2,  Henri 
donne  une  quittance  analogue  pour  une  autre  somme  de  6.000  hvres 
tournois  (Bibl.  Nat.,  Français,  28o83,  quittances  de  NeufchAtel).  Le 
15  mai  li83,  Henri  reçoit  du  trésorier  des  guerres  du  rot  300  livres 
tournois  pour  son  «  étal  de  capitaine»  ;  il  était  alors  conseiller  et  cham- 
bellan du  roi,  gouverneur  du  duché  de  Bar  et  capitaine  de  cent 
lances.  ,  Ibid.J  H  continuera  d'être  au  service  de  la  France. 


-  120- 

Le  roi  de  France  engagea  avec  ce  prince  des  pourparlers  quî 
furent  couronnés  de  succès  ;  le  3  juin  1480  était  définitive- 
ment signé  l'acte  qui  transférait  à  Louis  XI,  à  des  condi- 
tions assez  peu  onéreuses  (1),  la  suzeraineté  de  ChAtel- 
sur-Moselle.  Qui  fut  raécontentde  ce  raarché?Ce  fut  le  duc 
de  Lorraine  René  II,  qui,  sans  succès,  avait  essayé  de  Ten- 
traver  (2).  René  II,  qui  lui-même  n'avait  pu  réussir  à  se 
faire  céder  Châtel  par  son  prisonnier,  voyait  maintenant 
celte  forteresse  passera  l'obéissance  du  roi  de  France,  tou- 
jours soupçonné,  à  bon  droit,  de  nourrir  des  desseins  sur  les 
provinces  qui  le  séparaient  du  Rhin.  Sans  doute  alors  il 
regretta,  mais  trop  tard,  d'avoir,  par  ses  exigences  exagé- 
rées, poussé  Henri  de  Neufchâtel  dans  les  bras  que  lui  ten- 
dait Louis  XI.  La  suzeraineté  de  Châtel  demeura  aux  mo- 
narques français  jusques  à  l'année  1517,  époque  à  laquelle 
François  I^^'  la  transféra  au  duc  Antoine  de  Lorraine; 
quant  à  Henri  de  Neufchâtel,  il  continua  du  servir  la 
France  sous  les  règnes  de  Charles  VHI  et  de  Louis  XII  (3), 
Telles  furent  les  conséquences  de  l'avidité  dont  René  II 
avait  fait  preuve  quand  il  s'agit  de  fixer  la  rançon  de  son 
prisonnier. 

(1)  Voir  le  carton  des  Archives  Nationales,  J,  586.  Un  premier  acte 
avait  é[v  signô  lo  15  avrU  148<);  l'acte  délinilif  est  du  3  juin.  Le  prix 
<^'tait  de  lîO.OOO  livres  tournois;  10.000  furent  payées  comptant;  les 
50.000  livres  restant  devaient  ^tre  payt^es  par  versements  annuels  de 
10.000;  mais  le  vieux  René  d'Anjou  dispensait  Louis  XI  des  versements 
non  échus  avant  son  décès  ;  or  il  mourut  le  10  juillet  1480.  Le  négocia- 
teur envoyé  par  Louis  XI  s'appelait  François  de  Gênas.  Consulter,  sur 
cette  négociation,  Lccoy  de  la  Marche,  louis  XI  et  la  succession  de 
Provence,  dans  la  Revue  des  questions  historiques,  XLIN,  p.  146  et  s. 

(2)  D'Aix,  Gênas  écrivait  à  sa  cour,  en  mai  1480  :  «  Ce  jour  estoit 
venu  au  matin  ung  des  gens  de  monsieur  de  Lorraine  nommé  Guil- 
laume Delcssart,  a  apporté  lettres,  ùqui  ny  comment  n'ai  peu  sçavoir; 
mais  il  faisoit  bien  du  fier.  »  Archives  Nationales,  J,  586. 

(3)  H  servit  fidèlement  Charles  VIII  et  servit  aussi  Louis  XII  jusques 
à  sa  mort,  survenue  en  1504.  Cf.  J.  d'Anton,  Chronique  de  Louis XII 
(Société  de  l'Histoire  de  France,  édit.  de  Maulde),  I,  p.  199,  note  1.  et 
passim;  de  Maulde,  Procédures  politiques  du  règne  de  Louis  XU 
(Collection  des  documents  inédits  de  l'Histoire  de  France),  p.  LXXVI. 


^  121  — 

Cependant  Henri  n*avait  pas  renoncé  à  recouvrer  ses  do- 
maines. Vers  1499,  il  fît  une  tentative  pour  racheter  Gha- 
ligny  et  Bainville  ;  c'est  alors  que,  pour  se  conformer  aux 
conditions  du  traité  de  1479.  il  adressa  à  René  II  des  lettres 
des  oflicicrs  et  habitants  de  ces  deux  seigneuries,  garan- 
tissant le  duc  de  Lorraine  contre  les  conséquences  des 
actes  préjudiciables  que  lui-même  pourrait  commettre, 
une  fois  rentré  en  possession  des  domaines  engagés  (1). 
Mais,  pour  une  cause  qui  nous  échappe,  ses  eflorts  demeu- 
rèrent vains.  SansdouteRené  II,  qui,  pour  de  bonnes  raisons, 
se  défiait  de  Neufch{\tel,  sut  jusqu'à  la  fin  paralyser  toutes 
ses  tentatives  :Chaligny  demeura  aux  mains  des  engagistes 
qui  l'avaient  reçu  du  duc. 

Vlll 

C'était,  on  se  le  rappelle,  Osw  ald  de  Thierstein  qui  avait 
été  d3té  de  Chaligny  par  René  II  après  la  bataille  de  Nancy. 
Cet  Oswald,  qui  fut  maréchal  de  Lorraine,  mourut  certaine- 
ment avant  Henri  de  Neufchàtel  (2),  qui  lui-même  trépassa 
en  1504.  Chaligny  était  alors  au  pouvoir  d'un  second 
Oswald  de  Thierstein,  fils  du  précédent  ;  c'est  ce  second 
Oswald  que  le  duc  Antoine,  qui  le  traitait  de  cousin,  auto- 
risa à  racheter  de  ses  deniers  la  terre  de  Pont  Saint-Vin- 

(1)  Voir  les  lellros  des  officiers  et  habitants  do  Chaligny  et  de  Bainville  ; 
Dibl.  Nat.,  Lorraine,  250,  n*  21,  fol.  20  à  26.  Sur  les  négociations 
sus-mentionnées,  voir  Lorraine,  3S6,  fol.  ÎK)  et  fol.  i57-i62.  L'acte 
concernant  Chaligny  (contenu  au  n"*  250  de  la  collection  de  Lorraine) 
est  daté  du  i4  janvier  1500  ;  il  est  signé  de  Jehan  de  Gonay,  escuier, 
commis  par  Henry  de  Neufchûtcl  «  ôs-bailliages  de  Châlel-sur-Mozelle, 
Bainville  et  Chaligny  »,  Jehan  Boulengier,  maire  (de  Chaligny)  ;  Jehan 
Vennel,  eschevin;  Jehan  Viennet,  doyen;  Jehan  Hennequin,  le  petit 
Willame,  Jehan  Badel,  Jehan  Quelenote,  Jehan  Drowcnel,  Jacquemin 
Willamel,  Jacquol  Laval  et  Mengin  Michiel,  tous  habitants  de  Cha- 
ligny. 

(2)  H  était  déjà  mort,  lorsque  Henri  de  Neufchàtel  adressa  ù  René  11, 
vers  1499,  une  lettre  où  il  se  plaignait  des  conditions  qui  lui  avaient  été 
faites  en  1479  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  95). 


-  122  - 

cent,  engagée  à  ce  moment  à  la  veuve  d'un  autre  combat- 
tant de  la  bataille  de  Nancy,  le  célèbre  Jeannot  de  Bidos  (  1  ). 
En  1514,  Oswald  II  était  lui  même  décédé;  c'est  sur  son 
frère  germain,  Henri  de  Thierstein,  que  le  duc  Antoine 
opéra  le  rachat  de  la  terre  de  Pont-Salnt-Vincent  (2).  Cet 
Henri  de  Thierstein  fut  seigneur  engagiste  de  Chaligny, 
après  son  père  et  son  frère  aîné.  Lui-même  avait  épousé 
Marguerite  de  Neufchâtel,  dame  de  Fenétrange,  qui  était 
cousine  de  Henri  de  Neufchalel,  parce  qu'elle  descendait 
comme  lui  d'Alice  de  Vaudémont  et  de  Thiébaut  Vlil; 
toutefois  elle  appartenait  à  une  branche  cadette,  celle  des 
Neufchàtel-Montagu,  issue  du  frère  puîné  du  maréchal  de 
Bourgogne  (3). 

Henri  de  Thierstein  survécut  quelques  années  à  son 
frère  Oswald  Après  lui  sa  veuve  Marguerite  conserva  la 
jouissance  de  Chaligny.  Sous  le  gouvernement  des  Thier- 
stein, les  villages  du  domaine  se  relevèrent  de  l'état  de 
désolation  où  la  guerre  les  avait  laissés.  C'est  à  cette 
époque  (1313-1330)  que  Chaligny  construisit  une  église 
neuve  à  la  place  de  l'ancienne,  probablement  détruite  lors 
du  siège  de  1467.  Tout  en  subissant  des  transformations 
importantes,  cette  église  a  subsiste  jusqu'à  nos  jours:  un 
vitrail  du  chœur,  qui  date  du  commencement  du  xvi^ 
siècle,  y  conserve  la  représentation  et  les  blasons  de  Henri 
de  Thierstein  et  de  sa  femme  Marguerite  de  Neufchâtel  (4). 
Au  dessus  de  la  porte  extérieure,  sur  le  tympan  du  portail 

(I)  Bibl.  Nat.,  Lorniinc,  11  i,  fol.  2i  28.  Par  cet  acte,  Oswald  se  trouva 
substitue^,  à  Jeannot  de  Bidos  dans  rengagement  de  Pont-Saint- 
Vincent. 

(È)  Ibid. 

(3)  Voir  la  liiblo  généalogique  des  Neufchâtel,  dans  les  Basler 
Chroniken,  Ilf,  p.  :i68  et  569  ;  voir  aussi  ci-dessus,  p.  66. 

(i)  C'est  pourquoi  le  vitrail  ne  porto  pas  les  armoiries  pleines  des 
Neufchâtel,  de  gueule  à  la  bande  d'argent  ;  il  les  porte  écartelées  do 
gueule,  à  l'aigle  d'argent  ;  l'écu  timbré  d'un  heaume  d'argent,  sur- 
haussé pour  cimier  d'un  vol  de  gueule,  bandé  d'argent,  panaché  d'ar- 
gent et  de  gueule. 


-  123  - 

se  trouvaient  aussi  deux  écussons,  effacés  à  la  fin  du 
xviii®  siècle  par  la  sottise  ou  par  la  peur;  j'imagine  que 
ces  écussons  devaient  porter  les  mômes  armoiries  que 
celles  qui  figurent  sur  le  vitrail  du  chœur.  Ils  attestaient 
ainsi  la  part  que  Henri  de  Thierslein  et  sa  femme  Mar- 
guerite de  Neufchâtel  prirent  à  la  reconstruction  de 
réglise. 

Marguerite  se  croyait  pour  toujours  établie  à  Chaligny 
quand,  en  1530,  une  notification  qui  semble  lui  avoir  été 
fort  peu  agréable  lui  fit  perdre  cette  illusion.  La  succession 
et  les  droits  de  Henri  de  Neufchâtel,  mort  en  1504,  étaient 
passés  à  sou  frère  Claude,  seigneur  du  Fay,  jadis  comman- 
dant en  Luxembourg  pour  Charles-le  Téméraire,  gouver- 
neur de  Luxembourg  sous  les  archiducs,  de  1480  à  1489,  et 
chevalier  de  la  Toison  d*Or  depuis  1491  (1).  Claude  était 
demeuré  en  Luxembourg,  où  il  mourut  en  lî>05,  un  an 
après  son  frère.  Après  lui,  les  droits  des  Neufchâtel  passè- 
rent à  un  troisième  frère,  <iuillaume,  seigneur  de  Mon- 
trond,  qui  décéda  en  cette  môme  année  (2).  I-es  biens  des 
Neufchâtel  furent  alors  recueillis  par  les  trois  filles  de 
Claude  ;  c'est  ainsi  que  les  droits  conservés  par  Henri  sur 
Chaligny  se  trouvèrent  dévolus  à  Tune  d'elles,  Elisabeth 
de  Neufchâtel,  épouse  d'un  puissant  seigneur  de  la  Suisse 
orientale,  Félix  de  Werdenberg,  chevalier  de  la  Toison 

(Il  Sur  Clauil<>  de  Neufchâtel,  siMjjrnour  du  Fay,  de  Grancey,  de 
Suleuvro,  de  Berbourgeldu  M  )nt-S;iint-Jcan,  licutonant  général  du  duc 
de  Bourgogne  dans  Yos  Marches  du  Luxembourg  on  1475,  puis  gouver- 
neur du  pays  de  Luxembourg  sous  Marie  do  BDurgognc,  voir  le  mé- 
moire de  M.  van  Werveke,  Notice  aur  le  Cnnxeit  provincial  de  Luxem- 
bourg^ dans  Jcs  Publicaliona  de  la  section  historique  de  rinslitut  de 
Luxembourg^  xl  (1^81)},  p.  2S8,  et  aussi  les  lel(re.s  insérées  dans  le 
tome  m  (18i7)  des  Publications  de  la  Société  pour  la  recherche  et  la 
conservation  des  monnmenls  historiques  dans  le  grand-duché  de 
Luxembourg.  Oollut  {Mémoires  historiques  de  la  République  séqua- 
noise^  édit.  Duvernoy,  col.  Wi)^)  menUonne  s<m  admission  dans  l'Ordre 
dJ  la  Toison  d'Or  en  li8l,  et  fait  remaniuer  qu'il  brisait  l'écu  de  Neuf- 
châtel par  un  lambcl  d'azur. 

(2)  Cf.  (iollut  Duvernoy,  op.  cit.,  col.  UGii. 


-  124  — 

d'Or  depuig  1516(1).  Tant  que  vécut  son  mari,  Elisabeth 
ne  parait  pas  avoir  songé  à  faire  valoir  ses  droits  sur 
Chalif^ny.  Mais  le  comte  de  Werdenberg  mourut  en  1530, 
lors  de  la  diète  d'Augsbourg  où  il  accompagnait  Charles- 
Quint  ;  alors  Elisabeth,  oflrant  à  sa  cousine  Marguerite  la 
somme  fixée  dans  le  traité  de  1479,  à  savoir  4000  florins 
d*or,  lui  réclama  le  domaine  de  Cbaligny.  Marguerite 
résista  d'abord,  invoquant  les  lettres  de  donation  pure  et 
simple  du  domaine  de  Chaligny  passées  le  3  juillet  1477 
en  faveur  de  son  beau-père  Oswald  de  Thierstein,  lettres 
qui  ne  faisaient  mention  d'aucune  gagière.  Mais,  après 
mûre  réflexion,  la  veuve  de  Henri  de  Thierstein  dut 
reconnaître  comme  bien  fondées  les  prétentions  de  sa 
cousine  ;  le  28  décembre  1530,  en  échange  des  4000  florins 
d'or,  elle  lui  abandonna  Chaligny  (2). 

Elisabeth  de  NeukhâtelAVerdenberg  ne  garda  que  deux 
ans  la  seigneurie  qu'elle  venait  de  recouvrer.  Le  4  août 
1532,  elle  prenait  encore  le  tilre  de  dame  de  Chaligny 
lorsqu'elle  confirma  les  libertés  de  Chûtel  sur-Moselle, 
qui,  ainsi  que  Bainville,  lui  appartenait.  Mais  le  mois 
suivant,  au  moment  de  convoler  en  secondes  noces  avec  le 
comte  Thierry  de  Manderscheidt,  Elisabeth  transféra  la 
terre  et  seigneurie  de  Chaligny  à  son  neveu  Sallantin, 
seigneur  d'lsembourg(3),  de  Neumageu  et  de  Mont-Saint- 

(1)  Lo  duc  Antoine  de  Lorruino  avait  admis  ce  seigneur  à  son 
service  le  12  avril  lliii  Félix  de  Werdenberg  s'éliiit  obligé  à  servir 
le  duc  en  personne  avec  vingt -quatre,  chevaux,  ou,  s'il  en  était  empê- 
ché, à  se  faire  représenter  par  un  gentilhomme  avec  douze  chevaux. 
Toutefois  il  ne  serait  pas  tenu  de  marcher  contre  l'Autriche,  l'Empire 
et  la  Bourgogne  (Documents  de  l'histoire  des  Vosges^  V,  p.  42). 

(2)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  im,  n»  23. 

(3)  Cette  famille  d'Isembourg  était  une  des  plus  considérables  du 
Luxembourg.  En  V^^\,  Sallantin.  seigneur  d'Isembourg,  Neumagen  et 
Mont-Salnt-Jean,  père  du  premier  seigneur  de  Chaligny  du  même  nom, 
était  Justicier  des  nobles  du  Luxembourg  {Chartes  de  la  famille  de 
Reinach,  dans  les  Publications  de  la  section  historique  de  rinstitut  de 
Luj:embourgy  n*  âa7iK  Sallantin,  justicier  des  nobles  depuis  le  31  jan- 
vier lo22,  entre  au  conseil  de  Luxembourg  en  1528;  meurt  le  fô  février 


-  125  - 

Jean,  pour  qu*il  les  tint,  comme  elle-même  les  avait  tenues, 
en  fief  «  liège  et  rendable  »  du  duc  Antoine  de  Lorraine, 
Quelques  jours  plus  tard  Sallantin,  qui  appartenait  à  Tune 
des  familles  les  plus  considérables  du  Luxembourg,  prêtait 
foi  et  hommage  au  duc,  «  pour  estre  bon  et  léal  vassal  et 
le  servir  envers  et  contre  tous  selon  la  nature  des  fieds  et 
comme  ont  fait  ses  prédécesseurs  (1)  ».  En  1546,  Henri, 
seigneur  d'Isembourg,  avait  succédé  à  son  frère  Sallan- 
tin (2)  ;  le  8  mai,  il  portait  foi  et  hommage  à  la  régente  de 
Lorraine,  Christine  de  Danemark,  représentant  son  fils 
Charles  III,  pour  les  c  ville,  chaslel,  seigneurie  et  appar- 
tenances »  de  Chaligny.  A  sa  mort,  la  terre  de  Chaligny 
passa,  par  succession,  aux  mains  de  Bonne  dlsembourg, 
mariée  à  Philippe,  comte  de  Waldeck  (3). 

Bonne  d'Isembourg  et  son  mari  Philippe  de  Waldeck 
furent  les  derniers  qui  recueillirent  Chaligny  à  titre 
d'héritage  venant  de  la  maison  de  Neufchûtel.  Cette 
seigneurie  s'était  transmise  par  succession  des  premiers 
seigneurs  de  Vaudémont  à  la  comtesse  de  Waldeck  ;  une 
vente,  dont  nous  aurons  à  nous  occuper  ci  dessous,  la  fit 
passer  en  1539  à  un  cadet  de  la  maison  de  Lorraine.  Il 
était  d'ailleurs  fort  naturel  que  la  terre  de  Chaligny,  sise 
au  cœur  du  duché  de  Lorraine  et  à  trois  lieues  de  Nancy, 
ne  demeurât  pas  longtemps  aux  mains  d'un  seigneur 
allemand,  absolument  étranger  à  la  région. 


1533  (Van  VVerveke,  op.  cit.).  En  l'iiO,  Jean,  des  comtes  d'Isembourg, 
est  archidiacre  de  l'église  de  Tn'ives  (n*  2783»  ;  en  1522,  Gerlach  d'Isem- 
bourg  était  conseiller  et  maréchal  héréditaire  de  l'archevêque  de  Trêves, 
(n»  2509). 

(1)  25  septembre  1532,  B.  599,  n»  25.  C'est  ce  môme  SallanUn  d'Isem- 
bourg  qui,  en  15i^2,  fut  envoyé  par  Marie  de  Hongrie  pour  recevoir 
le  serment  de  fidélité  des  Luxembourgeois,  dont  le  pays  venait  d'être 
reconquis  sur  les  Français  Cf.  Henné.  Hii^toire  du  règne  de  Charles- 
Quint  en  Belgique,  VIII,  p.  29.  (Henné  l'appelle  Valentin,  par  une 
erreur  manifeste.) 

(2)  Sallantin  mourut  le  15  février  1544.  Henné,  op.  cit.,  VIU,  p.  219, 

(3)  Sans  doute  Philippe  III. 


-  126  - 
IX 

Durant  les  soixante  premières  années  du  xvi^  siècle, 
Chaligny  n'a  pas  d'histoire  ;  c'est  dire  que,  préservée  des 
malheurs  qui  avaient  marqué  le  xv*  siècle,  la  population 
de  la  seigneurie  prospéra  et  s'enrichit.  Le  seul  fait  carac- 
téristique qui  mérite  d'être  signalé  à  cette  époque  se 
produisit  au  temps  de  Sallantin  d'isembourg.  J'ai  mon- 
tré ci-dessus,  à  propos  de  la  concession  éphémère  faite 
de  Chaligny  à  Antoine  de  Mohet  en  1471,  que  le  duc 
Nicolas,  ou  mieux  les  gens  de  son  conseil,  y  avaient 
marqué  leur  intention  de  soumettre  le  seigneur  de  Cha- 
ligny au  bailli  de  Nancy,  C'était  là  une  grave  innovation  ; 
car  il  parait  certain  qu'à  l'époque  antérieure  les  seigneurs 
de  Chaligny,  pourvu  qu'ils  fournissent  l'hommage  et 
le  serment  de  fidélité  suivant  la  coutume  (l),  et  qu'ils 
se  comportassent  en  loyaux  vassaux,  étaient  quittes 
de  toute  autre  obligation,  et  surtout  n'avaient  à  tenir 
compte  des  ordres  d'aucun  intermédiaire  entre  eux  et  les 
ducs  de  Lorraine.  Quant  à  leurs  sujets,  ils  ne  devaient 
payer  au  Trésor  ducal  qu'un  droit  assez  médiocre,  dit  de 
sauvegarde,  qui,  comme  on  l'a  vu  plus  haut,  était  perçu 
par  feu.  Ainsi  l'administration  lorraine  n'avait  guère 
d'occasions  d'intervenir  dans  les  affaires  du  domaine  de 
Chaligny. 

Cette  situation  ne  donnait  point  satisfaction  au  personnel 
administratif  de  I^orraine  au  xv*  siècle  ;  encore  moins 
répondait  elle  aux  tendances  centralisatrices  du  xvi^  siè- 
cle, épo(|ue  où  les  agents  des  souverains  sont  fort  occupés 
à  constituer  solidement  la  puissance  territoriale,  à  niveler 
les  privilèges,  et  à  faire  sentir,  partout  où  ils  peuvent 
atteindre,  le  poids  de  leur  bras,  déjà  fort  lourd.  A  plusieurs 
reprises,  non  seulement  en  1470,  alors  que  Chaligny,  par 
suite  de  la  saisie  féodale,  se  trouvait  aux  mains  du  duc, 

(1)  Lo  flof  était  rondablo  à  grande  ou  k  polite  force. 


--  127  ^ 

mais  encore  en  1499,  liiOO  et  1502,  les  habitants  de  la 
seigneurie  avaient  contribué  aux  aides  imposées  à  toute 
la  Lorraine  (1)  ;  c'était  un  pas  vers  Fassimilation  du  pays 
aux  régions  dépendant  directement  du  duché. 

L'administration  lorraine  en  voulut  faire  un  nouveau  à 
l'époque  d'^  Sallantin  d'isenibourg.  Le  bailli  de  Nancy 
s'avisa  alors  d'accomplir  des  actes  de  juridiction  dans 
la  seigneurie,  de  les  sanctionner  par  des  saisies,  d'exiger 
la  présenc3  du  seigneur  aux  assemblées  du  bailliage  ; 
il  se  dit  en  droit  d'être  l'intermédiaire  entre  le  duc  et 
le  seigneur,  quand  il  s'agissait  de  faire  parvenir  la  con- 
vocation aux  Etats  ;  enfin  il  réclama  aux  habitants  de 
la  seigneurie  les  aides,  tailles,  impôts  et  redevances  que 
payaient  au  duc  les  habitants  du  bailliage,  au  lieu  de  s'en 
tenir  à  l'antique  droit  de  sauvegarde  auquel  les  ducs  du 
XV*  siècle  bornaient  leurs  exigences.  Sallantin  se  défendit 
énergiquement  contre  ces  prétentions  ;  il  soutint  que,  pas 
plus  que  ses  prédécesseurs,  il  ne  devait  être  appelé  aux 
assemblées  du  bailliage,  et  que  ses  sujets  n'étaient  d'ail- 
leurs pas  soumis  aux  charges  financiôres  pesant  sur  les 
habitants  de  cette  circonscription.  Enfin,  en  ce  qui  con 
cerne  la  juridiction,  il  déclara  qu'elle  lui  appartenait  en 
dernier  ressort,  cju^il  l'exercAt  dans  son  «  bulîet  »  (c'est  i\- 
dire  dans  son  conseil),  ou,  selon  les  formes  féodales,  dans 
l'assemblée  de  ses  vassaux  ;  bien  plus,  il  revendiquait  le 
droit  de  grAce,  qui  est  par  excellence  l'attribut  de  la  haute 
justice  (2).  C'est  pourquoi  il  s'indignait,  ainsi  qu'il  l'écri- 
vait au  duc  Antoine,  «  des  fascheries  et  indeues  nouvelle 


(1)  Ceci  est  all(^^u(^  dans  un  mc^moirc  en  faveur  des  prétentions  du 
hnilliage  de  Nanry  (Arctiives  de  M.-et-AI.,  B,  i5W,  n-  26,  7").  Voir  d'ail- 
leurs sur  les  raisons  alléguées  de  part  et  d'autres  les  pièces  i  et  suiv., 
classées  sous  le  n*  26. 

(2)  Voir  l'exposé  des  prétentions  des  parties  dans  les  documents 
conservés  sous  le  n"  26  de  la  layette  Chaligny,  Archives  de  M.-et-M., 
B,  5d9,  notamment  sous  le  4"  du  n°  26  pour  Sallantin,  et  sous  le  7*  pour 
radministration  lorraine. 


-^  128  - 

tés  que  les  officiers  de  Nancy  me  font  journellement  en  ma 
terre  et  seigneurie  de  Chaligny  (1)  ».  Il  pouvait  d'ailleurs 
invoquer  les  termes  de  Thommage  qu'il  avait  prêté,  dont 
aucune  clause  ne  justifiait  les  réclamations  de  l'adminis- 
tration lorraine  ;  les  Neufchatel,  dont  il  était  le  successeur 
régulier,  n'avaient  jamais  été  tenus  des  obligations  spé- 
ciales qu'on  avait  essayé  d'imposer  à  Antoine  de  Moliet. 

La  querelle  battait  son  plein  en  1340;  en  1341,  elle  fut 
soumise  à  des  arbitres  (2\  dont  j'ignore  la  décision.  Dom 
Calmel,  dans  sa  Notice  de  la  Lorraine,  estime  que  Sallanlin 
perdit  sa  cause  (3).  Je  suis  assez  porté  à  croire  que  le 
savant  bénédictin  ne  se  trompe  pas.  En  effet,  en  1553, 
c'est  au  bailliage  de  Nancy  que  se  débat  un  procès  entre 
le  seigneur  de  Chaligny,  Henri  d'Isembourg,  et  un  habitant 
de  Sexey  aux-Forges,  procès  important,  parce  qu'il  s'agit 
de  déterminer  les  limites  de  la  Moselle  du  cùté  de  Sexey  et 
par  suite  celles  de  la  seigneurie  de  Chaligny  (4),  On  ne  voit 
pas  que  Henri  d'Isembourg  et  son  châtelain  Thilleman 
Hernier  aient  soulevé  des  objections  contre  la  compétence 
du  bailliage,  devant  lequel  ils  obtinrent  gain  de  cause 
pour  le  fond. 


(I)  Archives  do  M.-ol-M.,  B,  iJOO,  n°  26:  lettre  au  duc  do  Lorraioe, 
daloo  do  Mont-Saint-Johan,  21  mars  15M9,  a  slil  de  Trêves  ». 

{±)  B,  5Î)9,  n"  2(i.  Ces  arbitres  sont,  jwur  le  duc  de  Lorraine  :  Jean 
de  Haussonvillo,  chevalier,  seigneur  de  Tur<|ucslein,  bailli  de  l'év^ché  do 
Metz  ;  François  de  Bassompicrre,  chevalier,  bailli  des  Vosges  ;  Nicolas 
Mcngin,  prôsidont  de  Lorraine.  Les  arbitres  choisis  par  le  seigneur  de 
Chaligny  sont:  Bernard  d'EItz, chevalier,  seigneur  d'Ottnnges,  lieutenant 
du  gouverneur  du  Luxembourg  ;  Thiry  de  Metzenhausen,  chevalier, 
seigneur  de  Linsler  ;  Jean  Kcck,  docteur  ès-droits,  tous  conseillers  de 
l'Empereur  à  Luxembourg.  —  Thiry  de  Metzenhausen,  seigneur  de 
Linster,  entra  au  conseil  de  Luxembourg  en  1;"»^;  Maître  Jean  Keck, 
de  Trêves,  y  entra  en  152(»  et  y  joua  un  rùle  considc^rable.  (Van  Wer- 
weke,  op.  cit.,  p.  2SS.  On  trouve  sur  ce  procès  des  documents  dans  1h 
layette  Sierck,  Archives  de  M.-et-M.,  B,  931,  n°  6;  car  Sallantin  et  le 
duc  de  Lorniine  étaient  aussi  en  litige  ù  propos  d'une  alTaire  de  retrait 
concernant  Sierck. 

(3)  Article  Chaligny. 

(4)  Archives  de  M.-ct-M.,  B,  599,  n'^SS. 


^  129  - 

Ainsi,  ce  qui  caractérise  la  première  moitié  du  xvt^  siècle, 
c*est  un  eiïort  marqué  du  gouvernement  lorrain  pour 
mettre  la  main,  autant  que  possible,  sur  la  seigneurie  de 
Chaligny,  jadis  à  peu  près  indépendante,  et  pour  en 
détruire,  ou  tout  au  moins  en  limiter  les  privilèges.  Cette 
œuvre  paraissait  sans  doute  d'autant  plus  opportune  aux 
Lorrains,  que  Chaligny  était  tombé,  par  le  jeu  normal  des 
successions,  au  pouvoir  de  propriétaires  tels  que  les  Isem- 
bourg,  qui  étaient  des  Luxembourgeois,  et  après  eux  les 
Waldeck,  qui  eux  aussi,  étaient  étrangers  à  la  Lorraine. 
Comment  se  fût  terminée  cette  évolution,  c'est  ce  que  nous 
pouvons  seulement  deviner  ;  elle  se  trouva  en  effet  inter- 
rompue en  1559  par  l'avènement  de  Nicolas  de  Lorraine  à 
la  seigneurie  de  Chaligny  (1). 

(1)  Jû  ne  siiis  si  Chaligny  éprouva  quoique  dommage  du  fait  de 
guerre  qui  se  produisit  en  i.'Jo2  dans  1h  région  voisine.  On  sait  qu'en 
celle  année,  an  moment  du  siùge  do  Metz  par  Charles-Quint,  le  mar- 
grave Albert  de  Brandebourg  se  trouvait  à  la  léle  d'un  corps  de 
troupes  dans  le  Toulois,  où  il  appuyait  TEmpercur.  Le  duc  d'.\umale, 
à  la  tè^e  de  forces  inférieures,  l'attaqua  entre  Saint-Nicolas  et  Ludres, 
à  la  Croix-du-Mouticr,  et  fui  battu. 


CHAPITRE  IV 

Le  oomté  de  Chaligny.  —  La  période  des  Mercœur 
1559-1610 

SOMMAIRE 

I.  —  Le  traité  de  Blâmont.  —   Union  de  Chaligny  et  de   Pont-Saint- 
Vincent. 
H.  —  La  terre  de  PontSaint-Vincent  avant  1363. 

III.  —  Erection  du  comté  de  Chaligny. 

IV.  —  Nicolas  de  Vaudcmont,  duc  de  Mercœur,  comte  do  Chaligny.  — 
Louise,  de  Lorraine,  reine  de  France.  —  Marguerite  de  Lorraine, 
duchesse  de  Joyeuse.  —  Le  cardinal  de  Vaudémont. 

V.  —  Philippe-Emmanuel,  duc  de  Mercœur,  propriétaire  de  Chaligny. 

VI.  —  Henri  de  Lorraine,  comte  de  Chaligny.  —  Sa  postérité. 

VII.  —  Mariage  de  l'héritière  unique  des  Mcrocvur  avec  César  de 
Vendémo.  —  Vente  du  comté  de  Chaligny  a  François  de  Lorraine. 

VIII.  —  Passages  des  troupes  protestantes  au  comté  de  Chaligny.  — 
La  campagne  de  1587  ;  la  a  bataille  »  de  Pont-Salnt-Vincent. 

I 

Ce  n'était  pas  un  personnage  de  médiocre  importance 
que  Nicolas  de  Vaudémont,  le  nouvel  acquéreur  de  Cha- 
ligny. Ce  fils  cadet  du  duc  Antoine,  alorsque  son  aîné  Fran- 
çois ceignait  la  couronne  ducale,  avait  été  investi  des  évô- 
chés  de  Metz  et  de  Verdun  :  nouvel  exemple  de  Timpudenle 
exploitation  des  dignités  et.  des  domaines  ecclésiastiques  à 
à  laquelle  se  livraient,  presque  avec  inconscience,  les 
familles  princières  et  seigneuriales  (i).  Fort  heureusement 
ce  prélat  sans  vocation  n'avait  reçu  aucun  ordre  majeur, 
quand  la  mort  prématurée  du  duc  François,  son  frère, 
appela   à  la  succession  ducale  le  jeune  enfant  qui  fut 

(1)  Il  avait  reçu  à  cinq  ans  la  coadjutorerio  do  Metz.  A  Tâgc  de 
onze  ans,  il  obtint  en  commende  l'abbaye  de  Moyenmoutier  (Abbé  L. 
Jérôme,  VÀbbaye  de  Moyenmoutier^  I,  p.  479  et  s.). 


-  131  ^ 

Charles  III.  La  régence  fut  confiée  simultanément  à  la 
mère  du  nouveau  duc,  Christine  de  Danemark,  et  à  son 
oncle  Nicolas,  qui,  abandonnant  ses  évôchés,  se  hAta  de 
rentrer  dans  la  vie  séculière,  pour  y  retrouver  les  avanta- 
ges et  réclat  d'un  rang  voisin  du  premier. 

Ce  serait  sortir  du  sujet  de  cette  étude  que  de  raconter 
les  événements  de  cetle  laborieuse  régence.  Nicolas  de 
Vaudémont  était  Bourbon  par  sa  mère,  sœur  du  trop  célè- 
bre connétable  qui  trahit  François  ^'  ;  il  tenait  de  sa 
famille  maternelle  une  importante  seigneurie  d'Auvergne, 
la  baronnie  de  Mercœur.  Partisan  décidé  de  Tinfluence  des 
Valois,  dont  la  politique  en  Lorraine  était  très  active,  il  ne 
put  s'entendre  avec  Christine  de  Danemark,  dont  les 
sympathies  allaient  vers  TEmpire.  Aidé  des  forces  de  la 
France,  qui,  vers  cette  époque,  s'emparait  des  Trois  Evê- 
chés  et  s'y  maintenait  malgré  Charles  Quint,  Nicolas 
triompha  ;  Christine  de  Danemark  dut  prendre  le  chemin 
de  l'exil;  son  fils  Charles  III  fut  emmené  à  Paris  pour 
être  élevé  à  la  cour. 

Quoi  qu'il  faille  penser  de  la  ligne  de  conduite  que 
Nicolas  de  Vaudémont  crut  devoir  adopter,  il  est  certain 
qu'en  la  suivant,  il  ne  négligea  pas  le  soin  de  ses  intérêts 
personnels.  On  verra  plus  loin  ce  qu'il  fit  pour  consolider 
sa  position  en  France.  En  Lorraine,  il  n'était  pas  moins 
soucieux  de  se  créer  une  grande  situation.  Sans  doute  il 
avait  obtenu  de  porter  le  litre  de  comte  de  Vaudémont, 
uni  jadis  au  titre  ducal  par  l'avènement  de  René  II,  puis 
conféré  à  l'un  des  fils  du  vainqueur  de  Charles-le-Témé- 
raire,  le  jeune  Louis  de  Lorraine,  qui  mourut  en  1528  au 
siège  de  Naples.  Mais  à  ce  titre,  aussi  bien  pour  Nicolas  de 
Lorraine  que  pour  son  oncle  Louis,  n'avait  été  attachée 
aucune  seigneurie  effective.  Ne  jamais  séparer  le  Vaudé- 
mont du  domaine  ducal,  afin  d'éviter  le  renouvellement 
des  luîtes  qui  avaient  déchiré  la  Lorraine,  c'était  là  un 


T-  132   ^ 

principe  qui  gouvernait  la  politique  de  René  II  et  de  ses 
successeurs  (1). 

Cependant,  depuis  de  longues  années,  Nicolas  de  Vaudé- 
mont  ne  cessait  d'élever  des  réclamations,  fondées,  disait- 
il,  sur  ce  qu*il  n'avait  pas  reçu  la  portion  légitime  qui  lui 
était  due  de  la  succession  de  son  père.  La  querelle  remon- 
tait au  décès  du  duc  Antoine,  survenu  en  1344.  En  1345, 
un  accord  avait  été  conclu  entre  les  héritiers  Ju  défunr, 
grâce  à  l'intervention  de  deux  frères  d'Antoine,  le  cardinal 
de  Lorraine  et  le  premier  duc  de  Guise  ;  mais  cet  accord 
n'éteignit  pas  toutes  les  discordes,  non  plus  que  la  con- 
vention passée  à  Augsbourg,  en  1348,  sous  les  yeux  de 
Charles-Quint,  dont  une  des  clauses  permettait  à  Nicolas 
de  s'intituler  comte  de  VaudémonL  Cependant  l'adminis- 
tration de  la  tutelle  de  Charles  III,  qui  avait  appartenu  à 
Nicolas,  avait  fourni  soit  au  duc,  soit  à  son  tuteur,  des 
causes  nombreuses  de  réclamations  réciproques,  qui  ne 
faisaient  qu'embrouiller  leurs  relations.  Dès  les  premières 
années  de  son  gouvernement  personnel,  Charles  111 
s'efforça  de  régler  à  l'amiable  ces  contestations. 

Ainsi  qu'on  l'a  dit  plus  haut.  Bonne  d'Isembourg, 
comtesse  àe  Waldeck  et  dernière  héritière  des  Neufchàtel, 
avait  en  1339  vendu  à  Nicolas  de  Vaudémont  sa  terre  de 
Chaligny.  Après  bien  des  tâtonnements,  on  s'accorda  à 
reconnaître  que  cette  terre  pouvait  former  le  noyau  d'un 
domaine  qui^  pour  peu  qu'on  voulût  bien  l'agrandir,  de- 
vait répondre  aux  aspirations  de  Nicolas  de  Vaudémont. 
Telle  qu'elle  était  constituée,  la  seigneurie  de  Chaligny 
semblait  bien  exiguë  à  Tex-régent  de  Lorraine.  On  sait 
qu'elle  comprenait  seulement  le  territoire  actuel  de  Chali- 
gny, de  Neuves-Maisons  et  de  Chavigny.  En  outre,  depuis 
la  destruction  du  chûteiiu  de  Chaligny,  accomplie  à  l'épo- 

(1)  Collo  indivisibillItS  «Hait  d'aillours  la  conscSjuenco,  d'une  clause  du 
testament  de  René  H.  rédigé  en  1506  (Dom  Calmet,  Histoire  de  Lor- 
raine, 2«  édlt.,  Vï,  Preuves,  col,  ccgmi). 


—  133  — 

que  de  la  guerre  d'Epinal,  le  domaine  était  dépourvu 
de  cheMieu  ;  on  n'y  trouvait  ni  forteresse,  ni  résidence 
seigneuriale.  Or,  à  l'époque  des  vieux  comtes  de  Vau- 
démont,  pendant  près  de  trois  siècles,  le  domaine  de 
Chaligny  avait  appartenu  aux  propriétaires  de  la  sei- 
gneurie de  Pont-Saint  Vincent  ;  naguère  encore,  au  temps 
des  Thierstein,  cette  union  avait  été  reconstituée  pour 
quelques  années.  Il  était  d'autant  plus  important  de  la 
rétablir,  que  Pont-Saint  Vincent  possédait  le  manoir  fortifié 
qui  faisait  défaut  à  Chaligny.  Aux  dépens  de  son  trésor,  le 
duc  Charles  III  consentit  à  acquérir  Pont- Saint-Vincent 
pour  le  donner  à  son  oncle,  afin  que  Nicolas  pût,  en  y 
réunissant  la  terre  voisine  qui  lui  appartenait,  en  former 
le  domaine  seigneurial  qui  prit  le  nom  de  comté  de  Cha- 
ligny. Ce  fut  là  une  des  clauses,  et  non  la  moins  impor- 
tante, du  traité  conclu  à  Blàmont,  le  21  novembre  1562, 
qui  rétablit  la  bonne  intelligence  entre  Toncle  et  le 
neveu  (1).  De  nouveau,  Chaligny  et  Pont  Saint-Vincent 
étaient  unis  par  des  liens  qui  devaient  subsister  jusqu'à  la 
fin  de  l'ancien  régime.  Le  moment  semble  opportun  pour 
esquisser  l'histoire  de  cette  terre  du  Pont,  qui,  perdant 

(1)  Voir  le  texte  in  extenso  de  ce  traité  de  Blâmonl:  Archives  do 
M.-et-M.,  B,  6588;  Bibl.  Nat.,  Français,  22429  ;  cf.  Fond  lorrain  de  la 
Bibl.  de  Nancy,  n"  549.  Le  traité  renouvelle,  en  faveur  de  Nicolas,  la 
concession,  quf  lui  avait  été  faite  jadis  par  les  autres  héritiers  de  Renée 
de  Bourbon,  de  la  baronnie  de  .Vcrcœur.  Il  le  décharge  des  comptes 
de  tutelle  ;  en  outre  Nicolas  obtient  une  somme,  une  fois  donnée,  de 
200,000  fr.  lorrains  pour  ses  peines,  travaux,  labeurs  et  diligences 
pondant  la  tutelle  de  Charles  III.  Le  traité  lui  reconnaît  de  plus  une 
rente  annuelle  et  perpétuelle  de  24,000  fr.  Ajoutez-y  que  le  duc  de 
Lorraine  cède  à  Nicolas  la  terre  et  seigneurie  de  Kœur,  dans  la  val- 
lée de  la  Meuse,  non  loin  de  Saint-Mihiel.  Entin,  jusqu'à  ce  que 
Charles  III  ait  deux  enfants  mAles,  Nicolas  pourra  porter  le  titre  de 
comte  de  Vaudémont.  C'est  en  effet  le  fils  cadet  du  duc  qui  portait  .e 
titre  ;  son  fils  aîné  s'appelait  marquis  du  Pont.  Le  traité  de  Blàmont 
fut  ratifié  par  les  sœurs  de  Charles  III,  Renée,  qui  fut  la  femme  du 
duc  Guillaume  de  Bavière,  et  Dorothée,  qui  épousa  le  duc  de  Bruns- 
wick. Nicolas  de  Lorraine  acquit  vers  le  même  temps  Timportant  do- 
maine de  Nomeny,  qui  dépendait  du  temporel  de  Metz. 


-  134  - 

son  autonomie,  se  trouva  alors  absorbée  par  le  Comté  de 
Chaligny. 

II 

Pont-Saint-Vîncent  (  1) ,  village  jeté  sur  la  pente  de  la  colline 
de  Sainte  Barbe,  à  Tendroit  où  elle  vient  mourir  dans  la 
Moselle  qui  y  reçoit  le  Madon,  appartenail,  dès  le  xiir  siè- 
cle, aux  coinles  de  Vaudémont.  Cette  terre,  alors  connue 
sous  le  nom  de  Conflans,  que  lui  valait  sa  position  j^éogra- 
phique,  était  pour  eux  d'un  grand  prix,  car  elle  leur  per- 
mettait de  surveiller,  non  seulement  la  riche  vallée  de  la 
Moselle,  mais  encore  le  débouché  des  routes  dont  Tune, 
suivant  le  cours  du  Madon,  conduisait  le  voyageur  soit 
dans  leurs  domaines  de  Vaudémont,  soit  à  Mirecourt  et  de 
là  en  Bourgogne,  tandis  que  l'autre,  passant  par  Neufchà- 
teau,  donnait  accès  dans  la  vallée  de  la  Meuse  et  dans 
les  régions  champenoises.  Aussi,  au  commencement  du 
xiii^  siècle,  le  comte  Hugues  H  de  Vaudémont  y  avait  créé 
une  ville  libre  suivant  la  loi  de  Beaumont-en  Argonne,  si 
répandue  dans  les  régions  orientales  de  la  France  ;  les 
privilèges  qu'il  avait  conférés  à  cette  occasion  à  la  bour- 
gade, de  mince  importance  encore,  qu'il  espérait  trans- 
former, furent,  ainsi  qu'on  Ta  dit  plus  haut,  renouvelés 
par  Henri  de  Vaudémont-Joiuville  en  1362,  par  sa  veuve 
Marie  de  Luxembourg  en  1368,  et  une  fois  encore  en 
1431  par  Antoine  de  Vaudémont,  le  redoutable  adversaire 
de  René  d'Anjou  (2).  Sous  ce  régime,  l'humble  village,  qui 

(1)  Sur  Pont-Saint- Vincent,  il  convionl  de  renvoyer  le  lecteur  k 
TimportâDte  élude  de  M.  Léon  (iennain  :  lixcursions  épigraphiqiies, 
Pont-Saint-Vinceni,  dans  los  Mémoires  de  la  S.  À.  L.,  3'  série,  XVI 
(1888).  On  Irouvo,  à  la  (in  de  celte  élude,  une  chronologie  des  princi- 
paux événements  concernanl  PonlSaint-Vincent. 

i2)  Le  lexle  lalin  primitif  el  encore  inédit  de  la  charte  de  Pont- 
Saint-Vincent  se  trouve  aux  archives  de  M.  el-M.,  B,  419,  fol.  ?91, 
dans  une  confirmation  de  i'Mi.  L'acte  est  ainsi  daté  :  actuin  anno 
gratie  miUesimo  ducenteainio  tertio  deciino,  mense  apritiSy  ce  qui 
donne  l'an  1213  au  mois  d'avril.  Suit  dans  ce  registre  une  traduction 


—  135  — 

n*était  au  début  qu'un  hameau  dépendant  au  spirituel  de 
la  paroisse  de  Sexey-aux-Forges,  paratt  avoir  rapidement 
prospéré.  Ce  ne  fut  pas  seulement  le  fleuve,  auquel  il 
devait  toute  son  importance,  qui  contribua  à  lui  donner  le 
nom  substitué,  dès  le  xiri®  siècle  (1),  à  celui  de  Conflans  ; 
cette  désignation  atteste  aussi  le  voisinage  du  prieuré 
fondé  au  xi""  siècle  sur  la  rive  droite  de  la  Moselle,  au  lieu 
où  se  trouve  actuellement  le  village  de  Neuves  Maisons, 
par  Tabbaye  de  Saint-Vincent  de  Metz. 

Sans  doute  le  passage  du  fleuve,  soit  au  moyen  d'un 
pont,  soit  plus  tard,  au  xiv<^  siècle,  lorsque  le  pont  eut 
disparu,  au  moyen  d'une  barque,  était  soumis  à  l'exploita- 
tion, non  pas  du  seigneur  de  Conflans,  mais  de  celui  de 
Chaligny.  La  distinction  n'était  d'ailleurs  que  de  médiocre 
importance  avant  1367,  puisque,  du  xu^  siècle  à  cette 
époque,  les  deux  seigneuries  furent  réunies  dans  la  même 
main.  Lorsqu'elles  se  trouvèrent  séparées  par  le  partage 
de  la  succession  de  Henri  de  Vaudémont-Joinville,  les 
seigneurs  du  Pont  (c'étaient  toujours  les  comtes  de  Vaudé- 
mont)  comprirent  sans  peine  que,  s'ils  n'étaient  pas 
maîtres  du  passage,  au  moins  ils  en  tenaient  le  débouché; 
aussi,  pour  faire  échec  à  la  tour  élevée  sur  le  pont 
lui-même,  qui  dépendait  de  Chaligny  et  disparut  avec 
ce  pont  au  XI v^  siècle  (2),  ils  construisirent,  sur  la  pointe 

française  de  Facte  cl  de  sa  confirmatioD  ;  la  date  qui  y  est  donnée,  1200, 
i3  avril,  me  parait  provenir  d'une  traduction  inexacte  Voir  le  texte 
français  dans  Lepage,  Les  Communes  de  la  Meurihe,  y*  Pont-Sain t- 
Vincent.  Le  registre  B,  419,  contient  outre  la  confirmation  de  1362, 
qui  émane  de  Henri  de  Joinville-Vaudômont,  une  confirmation  donnée 
le  15  décembre  1368  par  sa  veuve  Mario  de  Luxembourg  (fol.  290; 
voir  ci-dessus,  p.  44),  et  une  confirmation  du  25  février  1431,  donnée 
par  Antoine  de  Lorraine,  comte  de  Vaudémont  (toi.  290).  Cf.  Ed.  Bon- 
valot,  le  Tiers- Etat  d'après  la  charte  de  Beaumont  et  ses  filiales, 
p.  197,  et,  sur  les  villes  ncuve<«,  l'intéressant  travail  de  M.  Ch.  Guyot, 
Les  villes  neuves  en  Lorraine  {Mémoires  de  la  S.  A.  L.,  3'  série, 
XI,  année  1883,  p.  107  et  s.}. 

(1)  Textes  indiqués  par  L.  Germain,  op.  cit,,  p.  337. 

(2)  En  1410,  le  pont  était  ruiné,  par   l'etTet   des   grandes   eaux,    dit. 
Alice  de  Vaudémont  dans  le  dénombrement   qu'elle  servit   k  cette 


--  136  - 

que  lormait  le  rivage  au  confluent  de  la  Moselle  et  du 
Madon,  un  château-fort  destiné  à  tenir  en  respect  quiconque 
essaierait  de  franchir  le  fleuve  sans  le  consentement  des 
maîtres  de  Pont-Saînt-Yincent  (1).  Les  comptes  des  rece- 
veurs  de  Vaudéniontau  xv<^  siècle  témoignent  à  maintes  re- 
prises des  travaux  faits  à  ce  château,  notamment  vers  le  mi- 
lieu du  siècle,  en  1450  et  1451  (2).  Les  mentions,  qui  figurent 
dans  ces  comptes,  de  la  tournelle  construite  sur  le  Madon, 
de  la  tour  élevée  au-dessus  de  la  porte  d'entrée  et  couverte 
par  un  boulevard,  des  murailles  formant  Tenceinte,  des 
barbacanes  disposées  pour  l'usage  des  défenseurs,  nous 
permettent  de  nous  représenter  une  forteresse  dans  le  goût 
des  postes  fortifiés  si  nombreux  dans  ces  contrées  au 
xv'' siècle.  Un  châtelain  et  un  portier  y  séjournaient  habi- 
tuellement :  tous  deux  étaient  aux  gages  du  comte  de  Vau- 
démont.  D'ailleurs,  à  la  forteresse  était  jointe  une  exploita- 
tion domaniale  dont  les  bâtiments  étaient  édifiés  à  Tombre 

époque  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  386,  fol.  25  et  s.).  On  n'ignorait  pas  alors 
que  «  une  tour  soulloit  cslre  sur  ledit  pont,  pour  garder  l'entrée  et 
l'yssue  dudit  passage  et  pour  recevoir  les  dehus  d'iccllui  passage  ». 
Cette  tour  était  gardée  par  le  châtelain  de  Chaligny. 

(1)  Au  commencement  du  XIV  siècle,  Henri  III,  comte  de  Vaudémont 
et  Isat>elle,  sa  femme,  s'étalent  fait  construire  un  «  hôtel  »  à  Pont-Saint* 
Vincent,  sur  la  rive  de  la  Moselle.  C'est  probablement  l'origine  du 
château  fort  qui  subsista  jusqu'au  xvn*  siècle. 

(2)  Travaux  importants  au  château  du  Pont  en  14i9-1450  ;  ils  sont 
exécutés  sous  la  surveillance  du  châtelain.  On  travaille  au  boulevard 
placé  devant  la  porte,  aux  fossés,  aux  murailles  du  château,  aux* 
barbacanes,  aux  toitures  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  9707).  L'année  sui- 
vante on  exécute  des  ouvrages  de  charpente  sur  les  deux  angles  des 
murs  du  château  ;  on  refait  la  tour  au-dessus  do  la  porte  et  la  tour 
{(  par  devers  Madon  (B,  9708)  »  En  1455,  Monseigneur  (c'est  alors  Antoine 
de  Vaudémont)  fait  construire  une  a  vys  »  de  pierre  (escalier  tournant) 
au  château  de  Pont-Saint- Vincent  (B,  9712).  En  1466,  on  fait  un  ouvrage 
de  ((  massonnerie  »  sous  «  la  tourelle  du  chastel  devers  Madon  »  ;  on 
travaille  aussi  à  la  prison  du  château  et  au  pressoir  (B,  9720).  En 
14671468,  on  travaille  aux  ponts  et  aux  toitures  (B,  9724,  fol.  83,  v*, 
et  passim)  du  château,  de  la  halle,  du  four  et  du  pressoir  banaux.  Je  ne 
donne  ces  mentions  qu'à  titre  d'exemples  ;  on  en  trouvera  beaucoup 
d'autres  dans  la  série  des  comptes  de  Vaudémont,  conservée  aux 
Archives  de  M.-et-M. 


—  137  — 

de  ses  murs.  Nous  aurons  Toccasion  d'en  parler  dans  la 
partie  de  ce  travail  qui  sera  consacrée  à  l'histoire  écono* 
mique  de  Chaligny. 

Depuis  qu'avec  René  II  les  comtes  de  Vaudémont  avaient 
ceint  la  couronne  ducale,  la  position  de  Pont-Saint- Vincent 
avait  perdu  quelque  peu  de  son  importance  pour  eux^ 
parce  qu'ils  n'avaient  plus  à  craindre  les  attaques  dirigées 
par  les  troupes  ducales  sur  leurs  domaines  héréditaires  de 
Vaudémont.  Peut-être  est-ce  pour  ce  motif  que,  tout  en  en 
gardant  la  propriété,  ils  laissèrent  à  diverses  reprises  Pont- 
Saint- Vincent  passer  en  des  mains  étrangères,  à  titre  d'en- 
gagement ou^  comme  on  disait  alors,  de  gagière.  Lorsque 
la  duchesse  Yolande  et  son  fils  René  II  crurent  utile 
d'acheter  le  château-fort  de  Spitzenberg  dans  les  Vosges, 
ils  se  procurèrent  les  fonds  nécessaires  à  cette  acquisition 
en  engageante  Guillaume  Odinet  et  à  Marguerite  de  Ville, 
sa  femme,  la  terre  de  Pont-Saint-Vincent  et  le  petit  village 
de  Lorrey  devant  Hayon  ;  uni  à  Pont- Saint- Vincent  lors  de 
cet  engagement,  Lorrey  devait  suivre  jusqu'au  xviii<^  siècle 
le  sort  du  bourg  auquel,  par  hasard,  il  avait  été  attaché. 
Cette  gagière,  contractée  en  148o  (1),  fut  éteinte  en  1487  par 
le  remboursement  des  fonds  dont  elle  garantissait  la  resti- 
tution (2).  Alors  Pont  Saint-Vincent  et  Lorrey,  qui  avaient 
été  mis  de  fait  au  pouvoir  de  Guillaume  Odinet,  retombèrent 

(i)  C'est  en  l'année  do  compte  i48i-i48o  que  Pont-Saint- Vincent 
sortit  de  la  possession  de  René  H.  Le  18  juin  dtôo,  Marguerite  de  Ville 
s'intitulait  déjà  dame  de  Pont-Saint- Vincent  (Archives  de  M. -et-M.,H,460, 
p.  59).  Un  acte  passé  ù  Paris  par  René  H,  le  21  juillet  i4S),  nous  donne 
des  renseignements  sur  l'opération  qui  eût  lieu  à  ce  moment.  (Archives 
de  M.  et-M.,  B,  599,  n"  21).  Yolande  do  Vaudémont,  mère  de  René  II,  pour 
se  procurer  6.000  fr.  dont  elle  avait  besoin  afin  de  parfaire  la  sommo  de 
8.000  fr.,  prix  d'achat  de  Spitzenberg,  avait  engagé  à  Guillaume  Odinet  et 
à  sa  femme  Marguerite  de  Ville  les  terres  de  Pont-Saint-Vincent,  Lup- 
court,  Manoncourt,  Villeen-Vermois  et  Lorrey.  René  II  ayant  remboursé 
3.000  fr.  sur  cette  créance,  le  gage  fut  restreint,  le  21  juillet  1485,  à 
Pont-Saint-Vincent  et  ù  Lorrey. 

(2)  Une  mention  faite  au  dos  de  l'acte  précité  atteste  que  le  rembour- 
sement fut  complété  le  2  juin  1487. 


-  138  - 

en  la  possession  du  duc.  Mais,  sans  relard,  René  les 
engagea  de  nouveau,  pour  un  capital  de  5,000  fr.,  à  un  gen- 
tilhomme d'origine  basque,  qui  l'avait  suivi  dans  ses  cam- 
pagnes contre  le  Téméraire:  c'était  le  fameux  Jeannot  de 
Bidos,  connu  pour  avoir  pris  à  la  bataille  de  Nancy  le 
bâtard  Antoine  de  Bourgogne,  et  pour  avoir  été  ensuite 
partie  dans  unequerelle  retentissante  avec  un  autredes  ser- 
viteurs de  René  II,  Jean-Baptiste  de  Roquelaure  (1).  Avant 
1488,  Jeannot  de  Bidos  et  sa  femme  Madeleine  de  Parsper- 
gaire  étaient  établis  à  Pont-Saint  Vincent,  où  ils  se  signa- 
lèrent par  leurs  libéralités  ;  en  1498,  ils  fondèrent,  dans 
réglise  récemment  reconstruite,  une  chapelle  en  l'honneur 
de  N.-D.  de  Pitié,  ainsi  que  le  démontre  une  inscription 
qu'on  peut  lire  encore  sur  un  vitrail  du  temps,  et  élevèrent 
une  autre  chapelle,  dédiée  à  Ste-Barbe,  au  sommet  de  la 
colline  qui  domine  le  village  et  qui,  de  ce  patronage,  a  tiré 
son  nom  (2). 

En  1509,  Jeannot  de  Bidos  était  mort.  Esseline  de  Mont- 
joye,  qu'il  avait  épousée  eu  secondes  noces,  tenait  à  titre 
de  douaire  les  terres  de  Pont  Saint-Vincent  et  Lorrey, 
engagées  par  le  domaine  pour  une  somme  qui,  alors, 
s'élevait  en  capital  à  3,300  francs  de  monnaie  lorraine  (3). 

(1)  Dès  le  16  février  1477,  Bidos  avait  reçu  de  René  II  une  rcoîc 
annuelle  de  500  fr.  Le  8  avril  1478,  René  lui  concéda  la  maison  et  sei- 
gneurie de  Remicourt  (territoire  de  Viilera-lesNancy)  confisquées  sur 
Vautrin  de  Rayon,  partisan  du  Bourguignon  (Lepage,  Commentaires 
sur  la  chronique  de  Lorraine,  dans  les  Mémoires  de  la  S,  À.  £.,  année 
1859,  p.  394  et  s.,  et  Communes  de  la  Meurthe^  v<*  Remicourt).  Voir  aussi 
sur  Jeannot  de  Bidos  et  sa  compagnie,  Lepage,  Etude  sur  Inorganisa- 
tion et  les  institutions  militatres  de  la  Lorraine^  p.  148.  L'histoire  du 
duel  auquel  se  déroba  Roquelauro  est  justement  célèbre.  Sur  l'épitaphc 
do  Ridos  dans  l'église  de  Pont-Snint-Vinccnt,  cf.  L.  Germain,  Journal 
de  la  S  A.  L,  XII,  p.  232,  et  op.  cit.,  p.  228  et  s. 

(2)  Lepage,  Commentaires^  p  :i93.  La  femme  de  Jeannot  de  Bidos, 
lors  de  cette  fondation,  était  Madeleine  de  Parspergairc.  Voir  sur  les 
Parspergaire,  Léon  Germain,  Mélanges  historiques,  p.  368  ;  et  l'étude 
sur  PuUigny  de  M.  l'abbé  Martin  (les  Parspergaire  furent  seigneurs  de 
PuUigny  et  d'Autrev  dans  la  vallée  du  Madon),  dans  les  Mémoires  de 
la  S.  A,  L  .  3*  série,  XXf,  année  1893,  p.  ?3. 

(3)  Cet  engagement  est  mentionné  dans  un  acte,  qui  sera  signalé  plus 


-  139  - 

Cela  Q^avait  pas  empêché  René  II  d'y  faire  exécuter  en 
1507,  aux  frais  de  son  Trésor,  par  rarchitecte  Jacot 
de  Vaucouleurs,  des  travaux  assez  importants,  puisqu'il 
s'agissait  d'abattre  des  parties  considérables  des  deux  tours 
du  château  et  de  les  réédider  sur  des  bases  plus  solides, 
avec  des  murs  de  six  pieds  d'épaisseur  et  des  angles  en 
pierre  de  taille  qui  s'élevaient  de  la  base  de  la  construction 
à  la  plate-forme  qui  la  terminait  (!)•  Par  un  acte  de  loOO, 
le  duc  Antoine,  qui  avait  succédé  à  René  H,  prenant  en 
considération  la  situation  d'Oswald  de  Thiersteîn,  <(  sou 
très  cher  et  féal  cousin  »,  fils  du  capitaine  qui  avait  tant 
contribué  à  la  victoire  de  Nancy,  l'autorisa  à  racheter  Pont- 
Saint  Vincent  et  Lorrey  à  la  veuve  de  Jeannot  de  Bidos, 
ou,  plus  exactement,  à  se  substituer  à  elle  comme  enga- 
giste  du  domaine  (:2).  C'est  ce  que  At  Oswald,  et,  comme  il 
était  alors  seigneur  de  Chaligny,  les  deux  terres  se  trou- 
vèrent de  nouveau  réunies.  Cet  état  de  choses  ne  devait 
pas  durer.  A  la  mort  d'Oswald,  ce  ne  fut  point  son  frère 
Henri,  héritier  de  ses  droits  sur  Chaligny,  qui  recueillit 
ceux  qu'il  aurait  pu  prétendre  sur  Pont- Saint- Vincent.  Le 
sénéchal  du  Barrois,  Louis  de  Stainville,  avait  rendu  au 
duc  Antoine  des  services  signalés  en  Lorraine  et  en  Italie  ; 
il  n'avait  point  d'établissement  au  duché  de  Lorraine. 
A  certaines  conditions,  parmi  lesquelles  figurait  la  charge 
de  rembourser  le  capital  dû  aux  Thierstein,  le  duc  Antoine 
lui  concéda,  en  1514  à  titre  de  gagière,  le  château  et  la 

loin.  Lo  texte  manuscrit  se  trouve  à  la  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  111,  fol. 
24-28.  Cf.  Lopagc,  Commentaires  sur  la  chronique  de  Lorraine,  p.  39i 
et  s.  ;  p.  i09-41l  ;  L.  Germain,  op.  cit.,  p.  S91. 

(i)  Archives  (le  M -et-M.,  B,  K)07,  fol.  32:J.  Il  s'agit  de  deux  tours 
M  qui  tombent  à  terre  devers  la  rivière  ;  elles  estoient  fondées  sur 
une  traverse  de  bois  ».  On  les  a  «  relTaicles  et  rempiété  »;  on  a  fait 
(I  les  fondements  nécessaires  et  iceulx  pillolé  ».  On  a  aussi  construit 
les  angles  en  pierre  de  taille. 

(2)  24  nov.  1509:  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  fol.  24-S8.  J'ai  montré  ci-dessus 
qu'il  ne  pouvait  s'agir  ici  que  du  fils  du  célébra  Oswald  de  Thierstein 
qui  avait  rendu  tant  do  services  à  René  II. 


—  140  — 

seigneurie  de  Pont-Saint-Vincent  (1).  Dès  lors  cette  terre 
passa  en  la  possession  de  la  famille  barroise  de  Stainviilc. 
Cette  famille  la  conserva  environ  cinquante  ans,  jusqu'au 
jour  où  Charles  m  eut  besoin  de  Pont  Saint-Vincent  pour 
arrondir  le  domaine  de  son  oncle,  Nicolas  de  Vaudémont. 
En  échange  de  leurs  droits  sur  Pont-Saint-Vincent,  les 
héritiers  de  Sluinville  —  c'étaient  deux  sœurs,  Tune  com- 
tesse de  Salm,  l'autre  dame  de  Dinteville  —  reçurent 
une  rente  de  mille  francs  sur  les  salines  de  Château-Salins. 
Le  duc  Charles  III,  ayant  ainsi  repris  la  libre  disposition 
de  PonI -Saint  Vincent  et  de  Lorrey,  put  alors,  en  les  unis- 
sant à  Chaligny,  former  le  comté  qui  devait  donner  satis- 
faction à  son  oncle  Nicolas. 

III 

La  clause  du  traité  de  Blàmont  qui  portait  érection  du 
comté  de  Chaligny  fut  mise  à  exécution  par  des  lettres  de 
Charles  III,  en  date  du  5  janvier  1563.  Parcet  acte,  la  terre 
de  Chaligny,  y  compris  Pont-Saint-Vincent  et  Lorrey,  est 
érigée  en  domaine  héréditaire  que  Nicolas  de  Vaudémont 
recevra  du  duc  en  fief  lige  et  indivisible.  Le  comte  sera  le 
premier  vassal  du  duc  de  Lorraine  ;  il  tiendra  ((  le  premier 
siège  et  dignité  »  après  le  duc.  Il  exercera  dans  son  comté 
tous  les  droits  de  haute  justice  et  ceux  qui  en  sont  la 
conséquence,  sans  dépendre  en  aucune  façon  du  bailliage 
de  Nancy  ;  ainsi  étaient  écartées  les  prétentions  qui  avaient 
causé  tant  de  souci  aux  Isembourg.  Toutefois  le  duc  se 
réserve  quelques  prérogatives  qui  accusent  nettement  sa 
souveraineté.  Si  les  justiciables  du  comté  de  Chaligny 
relèvent  en  dernier  ressort  de  leur  comte  et  de  ses  tribu- 
naux, si  bien  qu'ils  ne  sauraient  interjeter  appel  devant  le 
duc,  il  n'est  pas  moins  vrai  qu'il  leur  sera  permis  de 
déférer  les  sentences  du  comte  et  de  ses  officiers  au  duc  et 

(1)  Archives  de  M.etM.,  B,599,  n*  22. 


-  141  -- 

à  son  conseil,  non  point  par  voie  d'appel,  mais  par  une  voie 
de  recours  extraordinaire,  d'origine  romaine,  qu'on  appe- 
lait la  supplication  (1).  De  cette  voie,  les  sujets  du  comté 
firent  usage  à  plus  d'une  reprise,  comme  on  le  verra  plus 
loin  ;  ainsi,  dans  les  cas  extrêmes,  le  dernier  mot  en  matière 
judiciaire  appartenait  dans  le  comté  au  duc  et  ù  son  con- 
seil. En  outre,  tandis  qu'il  était  formellement  déclaré 
que  le  comte  de  Chaligny  ne  pourrait  lever  d'impôts  sur 
ses  sujets  que  dans  les  trois  cas  classiques  (quand  il 
mariera  sa  fille  ainée,  quand  il  sera  armé  chevalier,  et 
quand,  prisonnier  de  l'ennemi,  il  devra  fournir  une 
rançon),  le  duc  se  réservait  de  les  imposer  en  cas  de 
nécessité.  En  somme,  gnice  à  la  rédaction  habile  de  ce 
document, Charles  III  semblait  à  la  vérité  concéder  à  Nico- 
las de  Vaudémont  les  droits  les  plus  étendus  ;  mais,  en 
réalité,  le  duc  retenait  l'exercice  suprême  du  pouvoir  judi- 
ciaire et  du  pouvoir  financier  (2).  Il  est  bon  de  remarquer 
que  le  nouveau  comte  de  Chaligny  ne  trouvait  dans  son 
domaine  aucune  ressource  militaire.  Si  l'on  tient  compte 
de  tous  ces  faits,   on  reconnaîtra  que  la  fondation  du 


(1)  Cette  voie  de  recours  apparaît  dans  la  procédure  du  Bas- Empire 
{Code  deJustinien,  I,  19;  VIï,  42,  et  passim). 

(2)  Archives  de  M.-ot-M.,  B,  599,  n"  33  (copie  ancienne)  :  B.  34, 
fol.  175.  Cf.  Dom  Calmet,  Histoire  de  Lorraine,  2«  édit.,  V,  col.  5i6-i>47. 
—  Le  13  janvier  1563,  le  duc  concédait  k  Nicolas  de  Vaudémont  unu 
pension  annuelle  de  12,090  francs,  payable  en  deux  termes  (B.  34, 
fol.  178).  Elle  était  encore  payée  en  1568  (B.  1148).  Nicolas  de  Vaudé- 
mont se  fit  attribuer  en  flef,  vers  la  même  époque,  la  terre  de  Nomeny  ; 
la  concession  émane  du  cardinal  de  Lorraine,  administrateur  de  l'évô- 
ché  de  Metz,  dont  celte  terre  relevait.  Il  obtint,  étant  très  avide  de 
titres,  que  Nomeny  fût  érigé  en  marquisat  i)ar  l'empereur  Maximi- 
lien  II  le  9  juin  Ki67  (Dom  Calmet,  op.  cit.,  V,  col.  734  ;  cf.  BIbl.  Nat., 
Dupny,  752,  fol.  68,  où  l'on  trouve  le  texte  du  diplôme  impérial).  Il  est 
piquant  de  constater  que  Nicolas  de  Vaudémont,  partisan  avéré  de  la 
politique  française,  n'hésita  pas,  quand  il  crut  y  avoir  intérêt,  à  provo- 
quer un  acte  de  la  souveraineté  impériale  dans  les Trois-Evéchés.  —  Vers 
la  même  époque.  le  15  juin  1563,  Nicolas  vendit  au  duc  Charles  III  le 
château  de  la  Malgrango,  près  Nancy  iLopage,  Les  Communes  de  la 
Meurthe^  v*  Malgrange). 


-  142— 

comté  de  Chaligny  laissait  au  duc  de  Lorraine  les  attributs 
essentiels  de  la  souveraineté.  Jamais  les  comtes  de  Vaudé- 
mont  du  moyen-âge  ni  les  Neufchàtel  ne  se  fussent  accom- 
modés d*un  pareil  régime,  qui  leur  eût  semblé  incompa- 
tible avec  leur  indépendance.  Mais  le  temps  avait  marché, 
entraînant  les  sociétés  politiques  vers  le  régime  des  Etats 
constitués  sur  un  territoire  homogène  que  gouverne  un 
maître  absolu. 

Le  10  mai  1563,  les  habitants  de  Pont- Saint  Vincent 
voyaient  arriver  au  château  des  comtes  de  Vaudémont  deux 
personnages  importants.  L'un  était  Gérard  le  Bouteillier, 
chevalier,  seigneur  du  Vigneul,  conseiller  du  duc  et 
son  sénéchal  pour  la  Lorraine.  L'autre,  qui  portait  le  nom 
roturier  de  Christophe  Didelot,  exerçait  les  fonctions  de 
conseiller  secrétaire  du  duc  et  d'auditeur  de  ses  comptes. 
Tous  deux  étaient  munis  de  pouvoirs  du  duc  Charles  III, 
qui  se  trouvèrent  rédigés  en  bonne  et  due  forme.  Ils 
rencontrèrent  à  Pont-Saint-Vincent  Nicolas  de  Lorraine, 
qui,  dans  l'acte  dressé  ce  jour,  prend  les  titres  de  comte 
de  Vaudémont  et  Chaligny,  baron  de  Mercœur,  de  Chaussin 
et  de  la  Perrière,  seigneur  de  Kœur  et  de  Nomeny  ; 
auprès  de  lui  se  trouvaient  les  maires,  échevins  et  gens  de 
justice  de  Pont-Saint- Vincent,  de  Chaligny  et  de  Lorrey, 
plusieurs  membres  du  clergé,  et  nombre  d'habitants  du 
comté,  sans  doute  choisis  parmi  les  plus  considérables. 
Les  délégués  de  Charles  III  déclarèrent  à  celte  assemblée 
que  le  but  de  leur  mission  était  de  mettre  Nicolas  de  Vau- 
démont en  possession  «  réelle  et  actuelle  »  du  château, 
terre  et  seigneurie  de  Pont-Saint-Vincent,  désormais  joints, 
unis  et  incorporés  au  comté  de  Chaligny,  et  en  même  temps 
de  tout  le  comté  En  signe  de  mise  en  possession,  ils  lui 
délivrèrent  les  clefs  du  château  ;  en  même  temps  ils 
délièrent  les  habitants  et  officiers  du  comté  des  serments 
qu'ils  avaient  pu  prêter  au  duc  et  leur  enjoignirent  d'être 


--  143  - 

les  sujets  obéissants  du  nouveau  comte  (1).  Désormais  le 
comté  de  Chaligny  était  constitué  ;  le  château  de  Pont- 
Saint'Vincent  se  trouvait  naturellement  désigné  pour  ^tre 
de  temps  en  temps  la  résidence  du  comte  et  en  tout  temps 
le  siège  de  son  gouvernement. 

IV 

Nicolas  de  Vaudémont  possédait  sans  doute  en  Lorraine 
tous  les  avantages  que  peut  donner  l'éclat  d'une  naissance 
illustre  et  d'une  fortune  considérable,  joint  au  souvenir 
d'un  grand  rôle  politique.  Cependant  la  Lorraine  n'était 
pas  au  premier  rang  de  ses  préoccupations.  En  réalité, 
c'est  la  cour  des  Valois  qui  l'attire  ;  ce  sont  les  faveurs 
qu'on  y  obtient  et  la  réputation  qu'on  y  conquiert  qui  font 
l'objet  de  son  ambition.  11  accepte  d'être  capitaine  d'une 
des  compagnies  d'ordonnance  du  roi  de  France,  et  met  son 
orgueil  à  se  faire  décerner  des  titres  qui  sonnent  bien  dans 
l'entourage  royal.  Etre  baron  de  Mercœur  ne  lui  suffit  pas  : 
il  réussit  d'abord  à  transformer  sa  baronnieen  principauté, 
et  ne  se  tient  pour  content  que  lorsque,  en  dépit  de  certai- 
nes résistances,  le  roi  en  a  fait  un  duché  pairie.  Peut-être 
trouvera- ton  étrange  de  voir  le  premier  prince  du  sang 
Lorrain  attacher  une  telle  importance  à  prendre  rang  parmi 
les  pairs  de  France.  Il  convient  cependant  de  constater  ce 
fait,  qui  démontre  une  fois  de  plus  le  prestige  de  la  royauté 
française,  et  la  fascination  que  depuis  plusieurs  siècles  la 
cour  de  France  exerçait  sur  les  membres  des  dynasties  qui 
gouvernaient  les  régions  intermédiaires  entre  l'Allemagne 
et  le  royaume  capétien,  au  grand  préjudice  de  l'indépen- 
dance de  ces  dynasties. 

(1)  Cette  prise  de  possession  est  constatée  par  un  acte  notarié  dressé 
à  la  rcquôle  de  Claude  Mourot,  écuyer,  licencié  es  lois,  conseiller  du 
comte  Nicolas.  Archives  de  M.-et-M.,  B,  51^,  n"*  3i.  —  l^armi  les 
témoins  figure  «  Messire  Dominicque  Fescheur,  prcbstre,  chapelain 
audit  Challi^njr  ». 


-  144  - 

Ce  ne  sont  pas  les  alliances  contractées  par  Nicolas  de 
Vaudémont  qui  eussent  pu  le  détourner  de  cette  tendance 
à  affecter  les  allures  d'un  grand  seigneur  français.  A  l'épo- 
que où  il  acquiert  Chaligny,  il  est  marié,  en  secondes 
noces{l),  à  Jeannede  Savoie-Nemours.  Or  le  père  de  Jeanne, 
frère  de  Louise  de  Savoie  et,  par  suile,  oncle  de  François  I^"", 
était,  non  seulement  «  très  homme  de  bien  et  d'honneur», 
mais  encore  «  très-bon  François  (2)  »  ;  le  mariage  que 
ce  personnage  avait  contracté  avec  Charlotte  de  Longue- 
ville,  l'héritière  des  Dunois,  n'avait  pu  que  le  rattacher  plus 
étroitement  à  la  maison  royale.  Il  n'est  pas  étonnant  que 
leur  fille,  «  Madame  de  Mercure  »,  ainsi  l'appellent  les 
mémoires  du  temps,  nous  apparaisse  comme  une  grande 
dame  de  la  cour  de  Catherine  de  Médicis,  sa  cousine  ger- 
maine par  alliance.  Remarquez  en  outre  qu'elle  élait  la 
sœur  du  fameux  Jacques  de  Nemours,  célèbre  par  ses  qua- 
lités  de  courtisan,  de  séducteur  et  de  capitaine,  arbitre  des 
élégances  à  la  cour,  si  bien  que  Branlùme  a  pu  écrire  de 
lui  :  ((  Quand  on  portoit  un  habillement  sur  sa  façon,  il 
n'y  avoit  non  plus  à  redire  que  quand  on  se  façonnoit  en 
tous  ses  gestes  et  actions  (3)  »  ;  il  était  d'ailleurs  aussi  bon 
Français  que  son  père,  et  bien  plus  Nemours  que  Savoie. 
C'est  ce  personnage,  v(  fleur  de  toute  chevallerie  »,  encore 
qu'en  toutes  ses  affaires  il  ne  se  soit  pas  laissé  guider  par 

(1)  Il  avait  cpousô  en  premières  noces  Marguerite  d'Egmont.  On  verra 
plus  loin  qu'il  épousa  en  troisièmes  noces  Catherine  d'Aumale.  De  ces 
trois  mariages  il  eut  de  nombreux  enfants.  Voici  ceux  dont  J'ai  ren- 
contré la  mention.  Du  premier  mariage  naquit  Louise,  qui  épousa  le 
roi  de  France  Henri  \\l  ;  du  second  mariage  sont  issus  Philippe-Emma- 
nuel, duc  de  MercŒur  ;  Charles  (lé  cardinal),  François  (marquis  de 
Chaussin  ,  et  Marguerite  (duchesse  de  Joyeuse)  ;  du  troisième,  Henri 
(comte  de  Chaligny),  Antoine  (chanoine  de  Trêves),  Eric  (évoque  do 
Verdun),  et  une  fille  qui  mourut  sans  doute  très  jeune  (Archives  do 
M.-ct-M.,  B,  0388,  actes  relalifs  au  règlement  de  la  succession  de 
Nicolas,  contenus  dans  une  layette  concernant  le  château  de  Kœur). 
^Jualorze  enfants  lui  sont  attribués  par  Vllon,  Histoire  générale  des 
Maisons  souveraines  de  l'Europe  (1812),  t.  Il,  2'  partie,  p.  133  et  s. 

(2)  Brantôme,  Œxivres^  Edit.  Lalanne  (Société  de  rHistoire  de  France) 
IV,  p.  183. 

(3)  im,  p.  165. 


—  145  — 

le  seul  sentiment,  que  Madame  de  Lafayelle  a  pris  pour 
héros  de  son  roman  de  la  Princesse  de  Clèves  ;  à  côté  de  lui, 
sa  sœur,  la  nouvelle  comtesse  de  Chaligny,  tient  un  rôle 
dans  ce  roman.  Quand  plus  tard  Mercœur  est  devenu  veuf 
de  Jeanne  de  Nemours,  c'est  sans  doute  une  de  ses  cousines 
de  la  maison  de  Lorraine,  Catherine  d'Aumale,  qu*il  épouse 
en  troisièmes  noces  ;  mais  les  Aumale,  branche  des  Guise, 
sont  en  réalité  des  princes  français  au  service  des  Valois. 
Le  père  de  Catherine,  Claude  d'Aumale,  avait  épousé  ia 
fille  de  Diane  de  Poitiers  ;  ce  personnage,  grand  veneur  de 
France,  colonel  général  de  la  cavalerie  légère,  fut  tué  en 
1573  au  siège  de  La  Rochelle.  De  toutes  parts  Nicolas  de 
Vaudémont  était  étroitement  lié  à  la  société  française. 

Cependant,  si  Français  qu'ilfût,  le  comte  de  Vaudémont 
séjournait  souvent  en  Lorraine,  et  parfois  il  venait  passer 
quelques  jours  à  Pont-Saint-Vincent.  Malheureusement  les 
comptes  de  ce  domaine,  qui  nous  eussent  renseignée  sur 
ces  séjours,  sont  tous  perdus,  sauf  un,  celui  de  Tannée 
1568-1569,  qui  est  conservé  à  la  Bibliothèque  de  la  Société 
d'Archéologie  lorraine  (1).  Ce  document  contient  la  men- 
tion d'une  sommede  douze  francs  remise,  ennovembre  1568, 
par  l'intendant,  à  Mademoiselle,  fille  aînée  de  Nicolas, 
«  par  ordonnance  de  Monseigneur  ».  La  jeune  princesse  qui 
habitait  alors  le  château  du  Pont  et  y  recevait  les  largesses 
de  son  père  n'était  autre  que  la  future  reine  de  France, 
Louise  de  Vaudémont. 

Mademoiselle  de  Vaudémont  fut  remarquée  par  Henri  III 
qui,  n'étant  encore  que  duc  d'Anjou,  l'aperçut  au  moment 
où  il  traversait  la  Lorraine  pour  se  rendre  en  Pologne. 
Quoiqu'il  ne  pût  se  piquer  de  fidélité  en  amour,  c'est  elle 
que,  deux  ans  plus  tard,  à  son  retour  en  France,  il 
choisit,  après  avoir  écarté  la  proposition  d'une  princesse 

(1)  Ms  n-  124.  Il  serait  fort  à  désirer  que  l'on  retrouvût  les  comptes 
du  comté  de  Cliali^ny  au  temps  des  Mercœur.  Nous  les  possédons  au 
complet  pour  la  période  suivante,  qui  s'ouvre  en  1611. 

10 


—  146  — 

de  Suède,  que  lui  faisait  sa  mère  (1)  ;  le  mariage  fut  célé- 
bré à  Reims,  en  février  1576,  le  lendemain  de  son  sacre  (2). 
Douce  et  pieuse,  la  jeune  reine  se  tenait  à  Técart  de  la  poli- 
tique :  aussi  ne  porta-t-eUe  aucun  ombrage  à  Catherine  de 
Médicis  qui  se  résigna  sans  peine  à  cette  union,  jugée  par 
quelques-uns  inégale.  Cependant  réponse  de  Henri  III  ne 
fut  pas  heureuse  ;  elle  ressentit  cruellement  la  disgrâce 
de  n*avoir  point  d'enfants  pour  continuer  la  lignée  des 
Valois.  Dans  les  splendeurs  du  Louvre  ou  de  Fontaine- 
bleau, et  plus  tard,  sous  le  doux  ciel  delà  Touraine  ou  du 
Berry,  dont  les  nobles  demeures  abritèrent  son  veuvage, 
la  pauvre  reine  dut  parfois  penser,  non  sans  tristesse,  au 
château  des  Vaudémont,  qui  se  mirait  dans  les  eaux  lim- 
pides de  la  Moselle  et  qu'entouraient  les  dômes  verdoyants 
des  grandes  forêts. 

Nicolas  de  Lorraine,  dont  ce  mariage  marquait  le  triom- 
phe, n'en  jouit  pas  longtemps  ;  il  mourut  Tannée  suivante, 
en  janvier  1577  (3).  Pendant  les  années  qui  suivirent  immé- 

(1)  Ck>mte  de  la  Fcrriôre,  Lettres  de  Catherine  de  Médicis^  v.  p.  107 
et  113. 

(2)  Sur  Louise  do  Vaudémont,  voir  :  Comte  de  Bâillon,  Histoire  de 
Louise  de  Lorraine,  reine  de  France  (Paris,  1884)  ;  Meaume,  Etude 
historique  sur  Louise  de  Lorraine^  reine  de  France  (Paris,  1882).  Voir 
aussi  les  pages  consacrées  à  Louise  de  Vaudémont  dans  l'ouvrage  de 
M.  l'abbé  C.  Chevalier,  Archives  royales  de  Chenonceau^  Pièces  his- 
toriques relatives  à  la  châtellenie  de  Chenonceau  (Paris  186i)  ;  Intro- 
duction, p.  cxLiii  et  s.,  et  passim. 

(3)  U  mourut  le  24  janvier  1577.  L'inventaire  du  mobilier  qui  gar- 
nissait le  château  de  Pont-Saint  Vincent  fut  drossé,  le  26  janvier,  par 
ordre  de  Charles  III,  tuteur  des  enfants  nés  du  mariage  du  défunt  avec 
Jeanne  de  Nemours  ;  U  fut  reçu  par  Gaspard  Lallement,  «  prévost  du 
Pont  à  Saint-Vincent  et  comté  de  Chaligny  »,  Bastien  Hannus  et  Didier 
Simonin,  échevins  de  la  justice  dudit  lieu.  On  y  remarque  les  mentions 
rolaUves  au  cabinet  des  médailles  (publiées  en  1878  dans  le  Cabinet 
historique),  aux  cristaux,  aux  verreries,  aux  tableaux  et  portraits 
conservés  à  la  a  salette  ».  U  y  avait  au  château  de  Pont-Saint- Vincent 
un  cabinet  des  armes  assez  peu  garni  ;  c'est  au  château  de  Nomeny 
que  MercŒur  conservait  sa  collection  d'armes.  L'inventaire  du  mobilier 
de  Pont-Saint-Vincent  a  été  publié  sous  le  n'  16  dans  un  recueil  d'in- 
ventaires qui  forme  un  volume  du  Recueil  des  documents  sur  l'histoire 


—  147  - 

diatement  sa  mort,  la  cour  de  France  demeura  le  véritable 
centre  de  ses  enfants  ;  c'est  bien  plus  autourde  Henri  III  qu'ils 
gravitent  qu'autour  du  duc  de  Lorraine.  Le  second  duc  de 
Mercœur,  Philippe-Emmanuel,  qui,  du  vivant  de  son  père, 
portait  le  titre  de  marquis  de  Nomeny,  avait  contracté  un 
mariage  qui  n'était  point  fait  pour  diminuer  son  influence: 
il  avait  épousé  Théritière  des  Pentbièvre,  Marie  de  Luxem- 
bourg, princesse  de  Martigues,  qui  se  rattachait  par  ses  ori- 
gines éloignées  à  la  famille  ducale  de  Bretagne.  Une  fille  puî- 
née de  Nicolas  de  Lorraine,  Marguerite,  demeurait  à  marier  ; 
Catherine  de  Médicis  se  mit  en  tète  d'en  faire  la  femme  du 
prince  de  Condé,  qui  refusa,  alléguant  la  différence  des 
religions  (1).  Alors  Henri  III  maria  sa  belle-sœur,  qu'il 
avait  richement  dotée,  à  l'un  de  ses  favoris,  Anne  de 
Joyeuse,  pour  lequel  un  duché-pairie  fut  érigé  à  cette 
occasion.  Ce  personnage  était  connu  pour  son  goût  pour 
le  faste  ;  grâce  aux  largesses  du  roi  et  des  princes,  lesfôtes 
de  son  mariage  égalèrent  en  éclat,  selon  Brantôme,  <(  les 
sacrées  et  superlatives  nopces  de  nos  roys  de  France  et  de 
leurs  sœurs,  filles  de  France  (2)  ».  C'est  au  cours  de  ces 
fôtesque  la  reine  Louise  fit  exécuter,  avec  une  magnificence 
que  les  contemporains  n'ont  pas  oubliée,  une  œuvre  de 
D'Aubigné,  le  Ballet  de  Circé,  où  elle  môme  parut  à  la  tête 
des  naïades  (3).  En  tournois,  carrousels,  spectacles  et  fêtes 
de  nuit,  combat  naval,  présents  et  autres  profusions  sem- 

de  Lorraine^  t.  XVf,  1891.  —  L'inventaire  des  livres  conservés  au  châ- 
teau a  été  publié  en  1880  dans  les  Mémoires  de  la  S.  A.  L.  (3*  série, 
VllI,  p.  340  et  s.),  on  même  temps  que  celui  de  la  bibliothèque  do 
Nomeny,  par  les  soins  do  M.  F.  de  Çhantcau.  La  bibliothèque  do  Pont- 
Saint-Vincent  était  peu  nombreuse  ;  celle  de  Nomeny  élait  beaucoup 
plus  riche. 

(il  Comte  de  la  Kerrière,  Lettres  de  Catherine  de  Mcdici^,  VII,  p.  210; 
duc  d'Aumale,  Histoire  des  princes  de  fondé,  II,  p.  iîl. 

(2)  Branl<>me,  Œuvres,  Vll,  p.  397.  —  L'KsioiU^  Journal  dm  ij  ne  du 
roi  Henri  lll. 

(3)  Sur  le  UnUetde  Circé,  voir  l'appendice  ajouté  par  M.  do  Uublcau 
tome  vu  de  ïlJistoire  universelle  d'Agrippa  d'Aubigné  (Société  de 
l'Histoire  de  France),  p.  402  cl  s. 


-  148  — 

blables,  dit  de  Tbou,  on  dépensa  bien  douze  cent  mille  écus 
d'or  (1). 

La  sollicitude  des  Valois  s'étendit  sur  d'autres  membres 
de  la  famille  de  Mercœur.  Plusieurs  de  ses  fils  furent  pour- 
vus de  compagnies  des  ordonnances  du  roi.  Un  autre  fils, 
Charles,  qui  se  fit  d'Eglise,  n'avait  qu'un  peu  plus  de  dix- 
sept  ans,  quand,  en  1578,  Grégoire  XIII  le  créa  cardinal  (2)  ; 
deux  ans  après,  il  obtint  l'évéché  de  Toul,  auquel  il  joignit 
quatre  ans  plus  tard  celui  de  Verdun,  sans  compter  les 
abbayes  lorraines  de  Moyenmoutier  et  de  Mureau  dont  il 
fut  titulaire  :  il  est  certain  que  l'influence  exercée  à  Rome 
par  la  cour  de  France  ne  contribua  pas  médiocrement 
à  accumuler  tant  de  dignités  sur  la  tète  du  frère  de  la 
reine  (3).  Le  cardinal  de  Vaudémont  (l'histoire  le  connaît 
sous  ce  titre)  fut  d'ailleurs  un  prélat  aussi  zélé  qu*exem- 
plaire  (4).  Les  habitants  de  Chaligny  purent  juger  de  sa 
piété  quand  ils  le  virent,  le  16  août  1883,  à  la  tête  d'un 
grand  pèlerinage  de  Toulois  qui  se  rendaient  à  Saint- 
Nicolas  (5).  Les  pèlerins  firent  halte,  pour  y  passer  la  nuit, 
dans  les  prairies  au  milieu  desquelles  serpentait  alors  la 
Moselle,  au-dessous  du  promontoire  de  Chaligny  ;  peut- 
Il)   De  Thou,  Uiatoriœ  sui  iemporis,  lxxiv,  17.  Six  ans  plus  lard. 
Joyeuse  trouvait  la  mort  sur  le  champ  de  bataille  de  Goutras,  où  il 
combattait  Henri  do  Navarre.  Sa  veuve  manifesta  une  douleur  extrême. 
Après  douze  ans  de  veuvage,  elle  épousa,  en  1599,  François  de  Luzem- 
bourg-Piney,  prince  do  Tingry.  Elle  mourut  le  20  septembre  1625,  et  fut 
inhumée  aux  Capucines  de  Paris,  dont  le  couvent  avait  élé  doté  par  sa 
sœur,  la  reine  Louise,  et  par  sa  belle-sœur,  la  duchesse  de  Mercœur. 

(2)  Voir,  sur  ce  personnage,  dom  Calmet,  Histoire  de  Lorraine, 
2*  édition,  VII,  col .  97  et  s.  —  Sur  la  date  de  sa  naissance  (20  avril  1561), 
voir  le  même  ouvrage,  2*  édit.,  I,  col.  cglxv. 

(3)  Voir  en  ce  qui  concerne  l'évéché  de  Toul,  lesLettres  de  Catherine 
de  Médicis,  VI,  p.  i  à  vu,  p.  222.  —  Sur  l'abbaye  de  Moyenmoutier,  que 
Charles  obtint  en  commende  en  1581-1582,  consulter  l'abbé  L.  Jéréme, 
l* Abbaye  de  Moyenmoutier^  I,  p.  512  et  s. 

(4)  Cf.  Jérôme,  op.  cit.,  I,  p.  514-515. 

(5)  Celle  procession  fut  faite  pour  obéir  k  un  bref  de  Grégoire  XIII 
qui  demandait  des  prières  publiques  afm  d'obtenir  la  paix  de  l'Eglise. 


—  149  — 

être  le  prélat  alla-t-il  demander  Thospitalité  au  château  de 
PoDt-Saint-Vincent,  voisin  d'un  quart  de  lieue,  qui  appar- 
tenait à  son  frère  aine,  le  duc  de  Mercœur.  Charles  de 
Vaudémont  fut  enlevé  en  1587  par  une  mort  prématurée 
(il  n'avait  que  vingt-six  ans).  Alors  le  roi  et  la  reine  de 
France  ainsi  que  le  duc  de  Lorraine  s'efforcèrent  de  pré- 
parer, pour  un  avenir  assez  rapproché,  la  nomination  à 
Toul  d'Eric,  frère  puîné  du  défunt  (1),  et  réussirent  à  lui 
assurer  dès  1588,  encommende,  Tabbaye  de  Moyenmoutier, 
qui  avait  jadis  appartenu  à  son  père  et  à  son  frère.  En  1593, 
longtemps  après  la  mort  de  son  beau-frère  Henri  III,  Eric 
finit  par  obtenir,  non  Tévêché  de  Toul,  mais  celui  de 
Verdun,  où  sa  conduite  présenta  les  plus  étranges  con- 
trastes (2). 

La  formation  de  la  Ligue  vint  rompre  cette  harmonie  si 
parfaite  entre  les  Valois  et  les  Mercœur.  Les  fils  de  Nicolas 
de  Vaudémont  prirent  tous  parti  pour  la  cause  catholique, 
tandis  que  Henri  III,  dominé  par  la  jalousie  qu'il  portait 
aux  princes  lorrains,  finit  par  se  jeter  du  côté  du  roi  de 

(1)  L.  Jérôme,  l'Abbaye  de  Moyenmovtier,  1,  p.  519.  D'après  dom 
Calmct  {2*  édit.,  VII,  col.  35),  on  aurait  tout  d'abord  essayé  d'obtenir 
Tévôché  do  Toul  pour  un  frère  d'Eric,  Antoine,  chanoine  de  Trêves, 
mort  à  quatorze  ans  en  1587. 

(2)  Sur  Eric,  lire  la  curieuse  étude  de  M.  Ernest  Langlols  :  Un  évêque 
de  Verdun^  prince  de  Lorraine,  ensorcelé^  marié  et  condamné  par  le 
tribwial  de  l'Inquisition  {Annales  de  l'Est^  IX,  p.  277  et  s.).  En  vertu 
d'une  sentence  de  l'autorité  ecclésiastique,  rendue  en  1605,  Eric  dut 
quitter  son  sièffe.  H  avait  cependant  donné  des  preuves  nombreuses  de 
son  zèle  pour  la  réforme  monastique  (voir  dom  Calmct,  Histoire  de 
Lorraine,  2«  édit.,  VI,  col.  139  et  s.).  En  1:)96,  il  avait  voulu  résigner 
son  évéché  pour  se  faire  Jésuite  ;  il  vint  à  Rome  afin  do  solliciler  la 
permission  du  Pape  Clément  VIII,  qui  le  détourna  de  ce  dessein  et 
le  renvoya  ù  Verdun.  Eric  y  retourna  avec  la  résolution  de  «  s'étudier 
à  faire  tout  le  devoir  d'un  bon  évoque  ».  {Lettres  du  cardinal  d'Ossat, 
avec  des  notes  de  M.  Amelot  de  la  Houssaye,  Amsterdam,  II,  p.  Ii9, 
293,  317,  404).  Peut-être  ce  personnage,  miré  dans  les  ordres  sans  voca- 
tion, fut-il  surtout  un  déséquilibré.  On  trouvera  une  appréciation  très 
sage  d'Eric  dans  L.  JénNme  {op.  cit.,  I,  p.  518  et  s  ).  Il  résulte  des  let- 
tres du  cardinal  d'Ossat  que,  déjà  en  1596,  Eric  sVLiit  rallié  à  Henri  IV, 
que  son  frère  Mercœur  combattait  encore. 


—  150  — 

Navarre  et  des  protestants.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  suivre, 
au  milieu  de  ces  événements,  la  carrière  des  enfants  du 
comte  de  Vaudémont.  Deux  seulement  sont  particuliè- 
rement mêlés  à  l'histoire  de  Chaligny(l).  C'est  d'abord 
l'aîné,  Philippe-Emmanuel,  qui  garda  dans  son  héritage 

(i)  Il  convient  tout  au  moins  de  mentionner  ici  le  rôle  d'un  autre 
fils  de  Nicolas  de  Vaudémont  ;  ]o  veux  parler  de  François,  marquis  de 
Chaussin,  à  qui  parait  avoir  ëlé  attribuée  la  part  de  Nicolas  de 
Vaudi^mont  dans  le  château  et  lo  domaine  de  Thôlod  (canton  de  Véze- 
Itsc)  ;  Nicolas  en  possédait  les  deux  tiers,  qui  d'ailleurs  formaient  une 
propriété  distincte  de  celle  de  Chaligny.  Le  marquis  de  Chaussin  servit 
sous  le  duc  do  Guise  dans  la  campagne  contre  les  reitres  en  1587  ;  puis 
il  combattit  pour  la  Ligue.  D'après  une  lettre  écrite  par  Mayenne  le 
8  avril  1591  {Lettres  du  duc  de  Mayenne^  n"  357,  dans  les  Travaux  de 
l'Académie  impériale  de  lieims  WIX  et  s.,  années  1858-1859  et  s.),  il 
semble  qu'à  cette  époque  Chaussin  ait  été  en  Bretagne,  auprès  du  duc  de 
Mercœur.  En  tout  cas  il  se  battait  en  Bretagne,  pour  lo  compte  de  la  Ligue, 
au  commencement  de  1593  ;  à  cette  date  nous  le  trouvons  aux  environs 
de  Dol,  luttant  contre  les  royalistes  conduits  par  Montgommery  (ï)'Au- 
bigné,  VIII,  p.  278  et  279).  Il  était  fervent  ligueur,  comme  semble  l'in- 
diquer un  passage  de  la  Satûe  Ménippée  (Ed.  Labitte,  p.  78).  Il  encourut 
la  disgrâce  du  duc  Charles  III,  ainsi  que  l'a  raconté  M.  Pfister  dans  un  fort 
intéressant  article  {Journal  de  la  S.  À.  i..,  année  1897).  Chaussin,  en- 
levé de  sa  résidence  de  Thélod,  au  commencement  de  1591,  par  les  agents 
du  duc,  fut  transféré  dans  la  forteresse  de  Châtel-sur-Moselle,  l'ancien 
château  du  maréchal  de  Bourgogne,  qui  appartenait  alors  à  Charles  III. 
C'est  là  qu'en  1596,  après  une  captivité  de  plus  de  deux  ans,  Chaussin 
s'éteignit  misérablement,  oublié  de  ses  contemporains.  Nous  ignorons 
la  cause  de  sa  disgrâce.  Peut-être  faut-il  la  chercher  dans  la  raison 
d'État.  En  «'ITot,  dès  1593,  le  duc  de  Lorraine  concluait  une  trêve  avec 
Henri  IV,  dont  11  se  rapprochait  visiblement  (dom  Calmet,  2*  édit.,  V, 
col.  852).  Los  sentiments  ligueurs  de  Chaussin  ne  l'amenèrent-ils  pas  à 
accentuer  son  opposition  ù  ce  changement  de  la  politique  du  duc?  Cela 
n'aurait  rien  d'étonnant  chez  un  frère  de  Mercœur.  il  est  certain  que 
les  (ils  de  Nicolas  de  Lorraine  furent  soumis  à  une  rude  épreuve  par 
l'évolution  de  Charles  III.  —  Le  marquis  de  Chaussin  avait  recueilli  les 
biens  appartenant  à  sa  mère,  Jeanne  de  Savoie-Nemours,  on  Oisans  et 
en  Matoysine,  régions  situées  dans  la  partie  montagneuse  du  Dauphiné: 
ces  biens  provenaient  d'engagements  consentis  par  Louis  XI  au  comte 
de  Dunois,  et  avaient  passé  dans  la  maivson  de  Savoie-Nemours  par  le 
maria«,Mî  de  rhériticrc  dos  Duncùs.  En  septembre  1593,  l'administration 
royale  lit  prononcer  contre  le  marquis  de  Chaussin  la  réunion  de  ces 
domaines  (Abbé  Dussert,  Essai  historique  sur  la  Mure^  Paris-Grenoble, 
2"  édil.,  1903,  p.  251-2(il).  Visiblement,  Chaussin  était  traité  en  ennemi 
par  Henri  IV  et  ses  serviteurs. 


—  loi  — 

le  comté  deChaligny  ;  c'est  en  outre  un  fils  puîné,  Henri, 
né  du  mariage  de  son  père  avec  Catherine  d'Aumale,  qui 
conserva  le  titre  de  comte  de  Chaligny,  détaché  à  son 
profit  de  la  seigneurie  qu'avait  retenue  Tainé  (1). 


La  biographie  du  second  duc  de  Mercœur  mériterait  à 
elle  seule  un  volume.  Dès  1585  il  était  fortement  établi  en 
Bretagne,  par  l'influence  qu'y  exerçait  sa  femme,  aussi 
bien  que  par  la  possession  de  deux  places  fortes,  Dinan  et 
le  Conquêt,  dont  Henri  III  lui  avait  confié  le  gouverne- 
ment. Bientôt  son  autorité  fut  prépondérante  dans  la  ré- 
gion bretonne,  dont  il  fut  le  véritable  maître  au  temps  de 
la  Ligue.  Il  s'y  distingua  plus  comme  capitaine  que  comme 
chef  politique. 

Au  moment  où  l'on  entrevoyait  comme  possible  le  dé- 
membrement de  la  France,  la  duchesse  de  Mercœur  rêvait 
pour  elle-même  la  couronne  ducale  de  Bretagne,  au  nom  des 

(1)  Le  20  mars  1577,  deux  mois  environ  après  la  mort  de  Nicolas  de 
Vaudémont,  une  transaction  intervint  entre  sa  veuve,  Catherine  de 
Lorraine-Aumale,  son  fils  aîné,  le  duc  de  Mercœur,  les  autres  enfants 
du  second  lit  représentés  par  leur  tuteur,  Charles  III,  duc  de  Lorraine, 
et  les  enfants  du  troisième  lit.  Catherine  de  Lorraine  élevait  diverses 
prétentions  ;  notamment  elle  réclamait  le  quart  du  comté  de  Chaligny. 
Il  fut  entendu  (et  c'est  l'objet  même  de  la  transaction)  que  les  droits  de 
Catherine  et  de  ses  enfants  consisteraient  exclusivement  en  la  terre  et 
seigneurie  de  Kœur,  près  SaintMihicl,  et  en  24,000  francs  barrois  sur  la 
recette  du  duché  de  Bar  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  6588,  et  E,  91).  C'est 
ainsi  que  Henri  de  Chaligny,  l'ainé  des  enfants  du  troisième  lit,  ne  put 
prétendre  aucun  droit  ?ur  la  terre  dont  il  portait  le  nom  ;  cette  terre,  en 
vertu  d'arrangements  de  famille  ultérieurs,  revint  à  l'aîné,  duc  de  Mer- 
cœur. —  Catherine  de  Lorraine  jouit  comme  douairière  du  château  de 
Kœur,  qui  demeura  la  copropriété  de  ses  fils  Henri,  Charles  et  Eric. 
Henri  en  1589,  Eric  encore  en  1614,  prennent  dans  les  actes  le  titre  de 
seigneur  de  Kœur  ;  l'administration  de  la  terre  appartenait  à  leur  mère, 
tant  qu'elle  vécut.  C'est  à  Catherine  seule  qu'on  en  rendait  les  comptes. 
(Voir  le  compte  de  1601  ;  Archives  de  M.etM.,  B,  6584.) 


—  132  - 

droits  héréditaires  que,  par  Tintermédiaire  des  Peathièvre, 
elle  prétendait  faire  remonter  à  Jeanne  la  Boiteuse.  Mer- 
cœur,  s*étant  laissé  aller  à  servir  cette  ambition,  parait 
avoir  irrité  à  la  fois  Henri  IV,  les  chefs  de  la  Ligue  et 
Philippe  II  (1).  Après  avoir,  suivant  l'expression  de  Du- 
plessis  Mornay,  nagé  longtemps  entre  le  roi  de  France  et 
le  roi  d'Espagne,  ne  pouvant  se  résigner  à  prendre  un 
parti  décisif,  «  et  se  confortant  sur  ce  mot  :  Interea  fiet 
aliquid  (2)  »,  il  finit  par  se  rallier,  le  dernier,  en  1598,  au 
parti  de  Henri  IV.  Sans  doute,  il  obtint  de  ce  prince  de 
larges  concessions  ;  mais  il  lui  fallut  se  résigner  (le  sacri- 
fice fut  dur  à  Mercœur  et  encore  plus  à  sa  femme)  à 
accepter  comme  condition  de  la  paix  le  projet  d'un  ma- 
riage entre  sa  fille  Françoise,  jeune  enfant  qui  était  son 


(1)  Mercœur  semble  avoir  voulu  s'appuyer,  dans  la  lutte  qu'il  soute- 
nait en  Bretagne,  sur  ses  frères  le  baron  do  Chaussin  et  le  comte  de 
Ghaligny.  Vers  1592,  on  lui  imputait  lo  projet  de  les  doter  à  l'aide  de 
biens  confisqués  sur  les  plus  considérables  des  ennemis  de  la  Ligue  en 
Bretagne  :  «  Le  patrimoine  de  la  maison  de  Laval  et  do  la  Hunauldayc 
est  gardé  pour  le  marquis  de  Chaussy  (Sic),  (rère  de  Mercure.  Et  celluy 
du  baron  du  Pont,  de  Montbarrot  et  de  Lyscoét,  est  gardé  pour  son 
autre  frère,  le  comte  de  Chalygny  »  (G.  de  Carné,  Correspondance  du 
duc  de  Mercœur  avec  l'Espagne,  publiée  par  la  Société  des  Bibliophiles 
bretons,  Nantes,  18{)9,  I,  p.  147,  n*  M)0).  Il  no  paraît  pas  que  ce  projet 
ait  été  réalisé. 

(2)  Mémoires  et  Correspondances  de  DuplessisMornay,  VII,  p.  104. 
—  Un  agent  espagnol,  don  Mendo  Rodriguez  de  Ledesma,  dépeint  ainsi 
Mercœur  :  «  Le  duc  de  Mercœur  est  fin  en  ses  trames  à  la  française, 
mais  homme  faible  de  courage  et  dans  le  fond  peu  batailleur.  Son 
inclination  le  porte  plutôt  à  se  ménager  et  k  se  reposer  qu'à  faire  la 
guerre  ».  (La  fin  do  la  carrière  de  Mercœur  ne  confirme  guère  cotte 
appréciation.)  Ledesma  ajoute  :  «  Il  est  lent  et  irrésolu,  il  prête  l'oreille 

tous,  et  la  moindre  chose  fait  impression  sur  lui.  Il  aime  à  traiter 
avec  des  artifices,  de  manière  à  conserver  une  occasion  et  une  porte 
pour  se  dégager  de  ce  qu'il  promet.  Il  donne  à  entendre  qu'il  est  faible 
de  mémoire  ;  mais  cela  lui  sort  pour  ce  qu'il  ofîre,  et  non  pour  ce  qui 
est  à  son  profit  ».  —  Voir  aussi  sur  ce  personnage,  Jouon  des  Longrais, 
Le  duc  de  Mercœur  d'après  des  documenls  inédits  [Mémoires  de  la 
section  archéologique  do  l'Association  bretonne,  Saint-Brieuc,  1893) 
et  les  conclusions  qui  s'en  dégagent,  résumées  par  M.  J.  Lcmoine  dans 
la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Chartes,  LVII  (189G),  p.  448. 


-  153  - 

unique  héritière,  et  César  de  Vendôme,  le  fils  bâtard  du 
roi  de  France  et  de  Gabrielle  d'Estrées  (1). 

Mercœur  eut  le  mérite  de  comprendre  qu'après  ce  traité, 
il  n'avait  plus  rien  à  faire  en  France.  Dans  la  lettre,  assez 
triste,  qu'il  écrivit  le  24  mars  1598  à  Philippe  II  pour  lui 
faire  part  de  sa  résolution  de  cesser  la  lutte,  il  montra 
qu'il  avait  conscience  de  la  gravité  de  l'échec  auquel 
avaient  abouti  ses  longs  eOorts  :  «  Je  perds,  dit-il,  l'autho- 
rite  que  je  m'estois  acquise  en  ce  gouvernement  (de  Bre- 
tagne), et  la  croîance  de  mes  amis  et  alliez  (2j  )>.  Il  pre- 

(1)  La  reine  douairière  Louise  de  Vaudémont  intervint  à  propos  de 
ce  mariafco^  en  des  circonstances  qui  méritent  d'être  signalées.  Cathe- 
rine de  Médicis  lui  avait  légué  Ghenonceaux  que,  le  20  janvier  1581), 
Henri  111  avait  déclaré  franc  et  quitte  do  toutes  dettes  hypotliécaires. 
Mais,  comme  les  créanciers  hypothécaires  ne  furent  point  payés  par 
la  succession  de  Catherine,  ils  inquiétèrent  la  reine  Louise,  en  dépit  de 
la  déclaration  de  Henri  111.  Or,  en  1597,  Gabrielle  d'Estrées,  ayant 
visité  Chenonceaux  en  compagnie  de  Henri  IV,  a  s'éprit  de  cette  belle 
demeure  ».  Aussi  acquit-elle,  pour  la  somme  de  22  mille  écus,  diverses 
créances  hypothécaires  contre  la  succession  de  la  veuve  de  Henri  H. 
A  cette  époque,  Louise  de  Vaudémont  était  en  butte  aux  poursuites 
des  créanciers  de  Catherine.  Aussi,  en  juin  1598,  elle  se  résigna  à  ac- 
quérir les  droits  hypothécaires  appartenant  i\  Gabrielle  d'Estrées,  à 
laquelle  elle  promit  de  rembourser  les  22  mille  écus  ;  son  beau-frère  le 
duc  de  Mercœur  lui  servit  de  caution.  La  pauvre  reine  avait  besoin 
d'être  cautionnée  ;  car,  pour  payer  le  premier  terme  de  sa  dette,  il  lui 
fallut  vendre  trois  perles  de  grand  prix.  Elle  croyait  avoir  ainsi  conso- 
lidé sur  sa  lôte  la  propriété  de  Chenonceaux  D'ailleurs,  ce  n'était  pas 
son  intérêt  personnel  qu'elle  poursuivait  ;  car,  le  15  octobre  1598,  elle 
en  donna  la  nue  propriété  à  sa  nièce  Françoise  de  Mercœur  et  au  flancé 
de  Françoise,  César  de  Vendùme,  a  pour  laisser  témoignage  à  la  pos- 
térité du  plaisir  et  contentement  que  Sa  Majesté  a  reçu  du  mariage 
futur  accordé  entre  eux  ».  Ces  actes  ne  purent  recevoir  leur  effet, 
parce  que  tous  les  créanciers  hypothécaires  de  Catherine  de  Médicis 
n'avaient  pas  été  désintéressés.  Plusieurs  revinrent  à  la  charge.  Aussi, 
le  21  novûmbre  1(j02,  après  la  mort  de  la  reine  Louise  et  du  duc  do  Mer- 
cœur, la  duchesse  dut  se  résigner  à  de  nouveaux  sacrifices  pécuniaires 
afin  d'affranchir  la  propriété  de  Chenonceaux.  Grâce  à  ces  sacrifices, 
elle  garda  ce  domaine  qu'ù  sa  mort,  survenue  en  1021,  elle  transmit  au 
duc  et  à  la  duchesse  de  Vendôme.  J'emprunte  ces  détails  au  volume 
des  Archives  royales  de  Chenonceau.de  M.  l'abbé  C.  Chevalier,  intitulé 
Uebies  et  créances  de  la  Reyne  Mère  Catherine  de  Médicis. 

(2)  G.  de  Carné,  op.  cit..  Il,  p.  155,  n«  354.  Déjà  l'agent  de  Philippe  II 
coDslataît  en  l.")97  le  découragement  et  la  tristesse  de  Mercœur  {Ibid.^ 
p.  146,  n»  346). 


—  154  — 

nait  d'ailleurs  la  seule  résolution  qui  pût  s'accommoder 
avec  sa  dignité  :  «  Je  supplie  Votre  Majesté,  ajoute-t-il,  que 
je  sois,  par  vostre  faveur,  employé  en  la  guerre  de  Hon- 
grie, contre  l'ennemi  irréconciliable  de  la  chrétienté,  où 
j'espère  rendre  preuve  de  l'entière  volonté  qui  me  demeure 
de  servir  Dieu  en  une  si  saincte  et  si  juste  entreprise, 
puisque  sa  divine  bonté  ne  m'a  poinct  jugé  digne  de  le 
servir  en  ce  royaume  ».  On  sait  que  Mercœur  tint  parole  et 
qu'il  passa  les  dernières  années  de  sa  carrière  à  batailler 
contre  les  Turcs,  envahisseurs  de  la  Hongrie,  où  il  avait 
mené  avec  lui  des  troupes  lorraines  (1).  l\  devrait  bien  se 
trouver  quelque  historien  lorrain  pour  raconter  les  bril- 
lants exploits  du  petit-tils  du  duc  Antoine  pendant  cette 
période  qui  fut  la  meilleure  de  sa  vie  (2).  Mercœur  mourut 
à  Nuremberg  en  1602,  empoisonné,  disent  quelques  con- 
temporains, par  les  Allemands  qui  lui  portaient  envie 
parce  qu'il  les  surpassait  tous  dans  l'art  de  la  guerre  (3). 
C'est  là  peut-être  une  allégation  téméraire  ;  ce  qui  est  mieux 
assuré,  ce  sont  les  éloges  par  lesquels  Brantôme  conclut 
les  pages  qu'il  lui  consacre.  Celte  mort  fut,  dit-il,  un 
grand  dommage  pour  toute  la  chrétienté,  à  laquelle  Mer- 
cœur servait  «  de  vray  rempart  »  contre  les  Mahométans. 
Le  souvenir  des  luttes  passées  n'empêcha  point  D'Aubigné 
de  rendre  hommage  à  ce  prince  «  qui  s'estoit  fait  capitaine, 

(1)  Voir,  sur  cette  période  de  la  vie  de  Mercœur,  VHistoire  de  Phi- 
lippe-Emmanuel de  Lorraine,  duc  de  Mercœur,  par  Bruslé  de  Mont- 
pleincbamp  (La  Haye,  1691,  in-12,  p.  200).  —  Joignez-y  ce  qu'en  dit 
La  Huguerye  à  la  fin  du  tome  III  de  ses  Mémoires,  p.  419-422.  — 
La  Huguerye  fait  remarquer  que  Mercœur  ne  partit  pour  la  Hongrie 
qu'après  un  pèlerinage  à  Saint-Nicolas  de  Port. 

(2)  Consulter  là-dessus:  Détail  de  ce  qui  s'est  passé  en  l'armée  des 
chrétiens  en  Hongrie  contre  les  Turcs  en  l'année  4S00,  par  Alphonse 
de  Ramborviller,  docteur  es  droits  et  lieutenant  général  au  bailliage 
de  Metz;  dans  le  Recueil  A-Z.,  sous  la  lettre  N. 

(3)  La  Huguerye  mentionne  le  soupçon  du  poison  (p.  422).  —  Bran- 
tôme, dans  ses  Grands  Capitaines  français,  où  il  consacre  un  article 
à  Mercœur,  est  beaucoup  plus  affirmatif  (Ed.  Lalanne,  Société  de 
l'Histoire  de  France,  V,  p.  194). 


—  155  — 

commandement  d'une  de  ses  compagnies  d'ordonnance, 
et  qui,  malheureux  aux  guerres  contre  les  réformez,  avait 
combattu  les  infidèles  avec  un  heur  nompareil  (Ij  ». 

Quand  la  triste  nouvelle  fut  arrivée  en  Lorraine,  un  ser- 
vice funèbre  fut  célébré  en  l'église  de  Pont-Saint- Vincent 
pour  le  repos  de  l'âme  de  Mercœur  ;  l'église,  à  cette  occa- 
sion, avait  été  ornée  de  vingt-sept  écussons  aux  armes  du 
défunt,  peints  par  Jean  Callot,  le  héraut  d'armes  qui  fut 
le  père  de  l'immortel  graveur  (2).  C'est  ainsi  que  les  habi- 
tants du  comté  eurent  l'occnsion  de  rendre  un  dernier 
hommage  au  seigneur  qu'ils  avaient  si  peu  connu. 

VI 

Henri,  qui  déjà  du  vivant  de  Nicolas  de  Lorraine  portait 
le  titre  de  comte  de  Ghaligny,  était  jeune  encore  quand  il 
perdit  son  père  (3).  Les  événements  ne  permirent  pas  qu'il 
tirât  grand  avantage  de  sa  situation  de  beau-frère  du  roi  ; 
nous  savons  seulement  que  Henri  III  lui  avait  donné  le 

(1)  Histoire  tmiverselle  (édit.  do  Rublc,  Société  de  l'Histoire  de 
France),  IX,  p.  399.  —  Il  convient  d'ajouter  que  Mercœur  fut  en  4604 
inhumé  à  l'église  des  Cîordeliers  de  Nancy,  sépulture  de  la  famille  de 
Lorraine.  Sa  pompe  funèbre  fut  conduite  par  Eric  de  Lorraine,  évéque 
de  Verdun,  le  seul  survivant  de  ses  frères,  et  par  deux  de  ses  neveux, 
fils  du  comte  de  Ghaligny,  qui  lui-môme  avait  précédé  son  frère  dans 
la  tombe  (Dom  Calmet,  Histoire  de  Lorraine,  2»  édit.  V.  col.  867). 

(2)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  3965.  Ces  écussons  furent  commandés 
«  par  ordonnance  verbale  »  du  sieur  de  Rambouillet,  trésorier  du  duc 
de  Mercœur. 

(3)  On  trouve  dans  le  ms.  français  de  la  Bibl.  Nat.,  n*  3233  (fol.  19) 
une  lettre  de  Catherine  de  Lorraine,  mère  du  comte  de  Ghaligny, 
d'Eric  et  d'.4ntoinc  de  Vaudémont,  adressée  à  sa  tante  la  duchesse  de 
Nemours  (Anne  d'Esté,  veuve  de  François,  duc  de  Guise,  épouse  en 
secondes  noces  de  Jacques  de  Nemours)  pour  se  recommander  à 
ses  bontés,  elle-même  et  ses  petits  enfants  ;  cette  lettre  est  écrite  de 
Nancy,  le  26  janvier  1577,  c'est-à-diro  deux  jours  après  la  mort  de 
Nicolas  de  Vaudémont.  — •  Le  n'  3260,  fol.  47,  contient  une  lettre,  sans 
date,  de  Catherine  de  Lorraine  «  à  Monsieur  le  connétable,  pour  le  prier 
de  recommander  à  Henri  III  son  ûls  le  comte  de  Ghaligny  et  de  lui  en 
donner  bon  témoignage  ». 


—  156  — 

Comme  ses  frères  et  ses  parents  de  Lorraine,  il  servit  le 
le  parti  catholique  ;  à  la  diflérence  de  Mercœur,  il  ne 
parait  pas  qu'il  se  soit  laissé  guider  en  sa  conduite  par  des 
sentiments  intéressés.  Dès  1587,  il  figura  dans  le  petit 
contingent  français  qui,  sous  les  ordres  du  duc  de  Guise, 
aida  le  duc  Charles  III  de  Lorraine  à  contenir  Tinvasion 
des  rettres  allemands  appelés  en  France  par  le  roi  de 
Navarre  (1).  En  juillet  1590,  le  duc  de  Lorraine  Charles  III 
l'envoya,  à  la  tête  de  huit  compagnies  de  chevau-légers  et 
de  quatre  d'arquebusiers  à  cheval  (il  se  trouvait  dans  cette 
troupe  des  compagnies  albanaises)  au  secours  de  la  ville  de 
Paris,  étroitement  pressée  parle  roi  de  Navarre  (2).  En  cette 
môme  année,  il  fut  chargé  de  commander,  en  Champagne, 
des  troupes  lorraines  que  Charles  III  y  avait  établies, 
disent  les  documents  officiels,  pour  assurer  la  sécurité  de 
sa  frontière  (3). 

Un  personnage  qui  fut  à  la  fois  un  capitaine  et  un  diplo- 
mate de  ce  temps,  La  Huguerye,  accompagna  le  comte  de 

(1)  Voir  ci-dessous,  p.  172  ol  s. 

(2)  Août  1590  :  Dépenses  diverses  pour  les  troupes  de  cavalerie 
envoyées  en  France  par  Charles  IV,  «  soubs  la  charge  de  Monseigneur 
le  comte  de  Challigny,  au  secours  de  l'Estat  catholicque  »  (Archives 
de  M.-cl-M.,  B,  1225,  (ol.  151153  et  264).  —  La  Huguerye  {Mémoiresi, 
publiés  par  M.  de  Ruble  pour  la  Société  de  l'Histoire  de  France,  III, 
p.  336  et  s.),  qui  accompagnait  alors  Chaligny,  dit  que  Charles  III 
chargea  son  cousin  de  conduire  en  France  cinq  compagnies  albanaises. 
Dom  Calmet  {Histoire  de  Lorrains,  2«  édit.,  V,  col.  831  et  838),  indique 
des  chiiïres  divergents.  Je  crois  qu'il  vaut  mieux  s'en  tenir  aux  chilires 
que  j'ai  mentionnés  au  texte  et  que  j'ai  empruntés  à  une  lettre  oflicicUe 
de  Charles  III  (Henry,  Intervention  de  Charles  III  dans  les  affaires 
de  la  Ligue,  Mémoires  de  la  S.  A,  I.,  xiv,  1861,  p.  208  et  303}. 

(3)  Octobre  1590  :  Dépenses  diverses  ordonnées  par  Charles  III  pour 
subvenir  aux  besoin.s  des  troupes  de  cavalerie  et  d'infanterie  Lorraines, 
établies  «  soubs  la  charge  de  Monseigneur  le  comte  de  Challigny  »  sur 
les  frontières  de  Champagne  ((  pour  la  conservation  des  frontières  »  de 
Lorraine  (Archives  de  M.-ct-M.,  13,  1225,  fol.  154,  col.  1).  —'  A  Louis 
Bamet.  secrétaire,  50  écus  valant  237  francs  6  gros,  pour  «  subvenir  aux 
messagers,  espions  et  aultrcs,  pendant  le  temps  qu'il  a  été  avec  Mon- 
soignour  le  comte  de  Chaligny  et  les  trouppcs  que  S.  A.  laissa  eo 
Champagne  »  {Ibid.,  fol.  275). 


T-  137  — 

Chaligny  dans  Texpédition  entreprise  pour  venir  en  aide 
aux  Parisiens;  il  nous  a  laissé  dans  ses  Méînoires quelques 
renseignements  sur  ce  voyage  (1).  Le  chef  de  la  Ligue, 
Mayenne,  n'avait  que  peu  de  goût  pour  les  princes  lorrains, 
surtout  pour  ceux  qui,  comme  Chaligny,  tenaient  de  plus 
près  que  lui  à  la  souche  ducale.  La  Huguerye,  qui  ne  tarda 
pas  à  s'en  apercevoir,  donna  au  prince  son  compagnon  le 
conseil  de  quitter  Tarmée  principale  de  la  Ligue,  pour  se 
retirer  près  de  son  frère  le  duc  de  Mercœur,  a  où  il  feroit 
la  guerre  en  toute  prospérité  et  commodité  et  serviroit  à 
rhonneur  et  à  la  grandeur  de  sa  maison  ».  Mayenne  semble 
s'être  prêté  à  cette  combinaison,  en  offrant  au  jeune  prince, 
vers  la  même  époque,  le  commandement  de  la  Basse  Nor- 
mandie, d'où  il  eût  pu  facilement  donner  la  main  à  son 
aîné  Mercœur  (2).  A  ces  propositions,  Chaligny,  décidé  à  ne 
point  quitter  les  troupes  lorraines,  opposa  un  refus  dont 
La  Huguerye  ne  manque  pas  de  le  blâmer.  L'année  suivante 
il  était  encore  question  du  départ  de  Chaligny  pour  l'Ouest 
de  la  France  ;  en  juillet  de  cette  année  (1391),  Mayenne 
s'adressa  à  Mercœur  pour  lui  demander  de  protéger  la 
ville  de  Poitiers,  en  attendant  que  lui-même  pût  y  envoyer 
le  comte  de  Chaligny  (3).  Je  doute  que  Chaligny  ait  jamais 
eu  à  s'occuper  de  semblable  mission  (4),  car,  à  l'automne 
de  1591,  il  se  trouvait  à  Verdun,  à  l'occasion  de  la  campagne 
que  les  ducs  de  Lorraine  et  de  Mayenne  menèrent  dans  ces 
régions  contre  Henri  IV  (3).  Au  commencement  de  l'année 
1592,  il  participait  aux  conférences  tenues  à  La  Fère  entre 

(1)  Op.  ctt.,  III,  p.  336  et  s. 

(2)  Lettres  du  duc  de  Mayenne  (dans  les  Travaux  de  V Académie  im- 
périale de  Reims,  XXIX  et  s.),  n*  20ft. 

(3)  G.  de  Carné,  op.  cit.,  I,  p.  70. 

(4)  Par  mandement  du  1*'  juillet  1591,  Charles  III  accorde  au  comte 
de  Chaligny  mille  écus,  valant  4750  francs,  à  lui  payés  a  ccstc  fois  de 
grâce  spéciale  et  pour  certain  bon  respect  »  (Archives  ^c  M.-et-M.,  B, 
1227,  fol.  268).  Chaligny  était  donc  encore  à  cette  époque  au  service 
du  duc  de  Lorraine. 

(5)  En  octobre  1591,  Chaligny  commandait  en  Lorraine  la  compagnie 
du  feu  chevalier  d'Aumale  ;  il  était  avec  trois  autres  compagnies  sous 


-  158  -- 

Alexandre  Farnèse,  duc  de  Parme,  et  quelques  princes 
lorrains,  au  sujet  de  la  question  brûlante  de  Télection 
d'un  roi  de  France.  Peu  de  temps  après,  il  était  à  Tar- 
mée  de  Mayenne,  au  moment  où  les  chefs  de  la  Ligue 
conduisaient  en  Normandie  des  opérations  qui,  gn\ce  à 
rintervention  de  Farnèse,  aboutirent  à  forcer  les  royalistes 
à  lever  le  siège  de  Rouen.  Au  cours  de  ces  opérations, 
comme  Chaligny,  entre  Dieppe  et  Neufchàtel,  faisait  une 
reconnaissance  à  la  tête  de  cent  chevaux,  il  tomba  sur  un 
gros  de  cavalerie  ennemie,  qui,  se  voyant  supérieur  en 
nombre,  eut  vite  fait  de  charger  les  Ligueurs.  En  un  clin 
d'oeil,  soixante  des  cavaliers  de  Chaligny  furent  tués  ou 
pris  ;  lui-même,  gravement  blessé,  dut  rendre  son  épée  à 
un  Gascon,  connu  sous  le  nom  de  Chicot  (il  s'appelait 
Antoine  d'Angleseys),  maintenant  fou  de  Henri  IV  après 
avoir  été  fou  de  Henri  III,  vrai  héros  d'aventures  dont 
Alexandre  Dumas  a  fait  un  des  personnages  de  la  Dame  de 
Montsoreau  (I).  Depuis  plusieurs  années,  Chicot,  grave- 
ment insulté  par  le  duc  de  Mayenne,  s'était  promis  de  se 
venger  sur  le  duc  ou  sur  un  prince  de  sa  famille  ;  il  n'y 
avait  pas  encore  réussi,  quoiqu'en  deux  ans  il  eût  eu  cinq 
chevaux  tués  sous  lui.  Cette  fois  Chaligny  paya  pour  son 
cousin  ;  mais  Chicot  avait  reçu  de  son  adversaire  des  bles- 
sures auxquelles  il  ne  tarda  pas  à  succomber.  Il  avait  aban- 
donné son  prisonnier  à  son  maître  Henri  IV,  sans  récla- 
mer pour  lui-même  une  obole  de  rançon  ;  ce  fut  le  Béar- 

les  ordres  du  duc  d'Aumale.  Sa  compagnie  comptait  cent  lances.  Son 
frère  Chaussin  commandait  une  compagnie  de  cent  lances,  placée 
directement  sous  les  ordres  du  duc  de  Lorraine  {Estât  et  dénombre- 
ment des  deux  armées  qui  sont  à  présent  en  Lorraine,  Lyon,  1591  ; 
reproduit  dans  le  recueil  de  Schmit,  Bibl.  de  Nancy,  ms.  559,  p.  325). 
(1)  Sur  cet  incident,  consuller  :  d'Aubigné,  VllI,  p.  257;  Duplessis- 
Mornay,  V,  p.  199  et  200  :  de  Thou,  livre  Cil,  ^l  ;  une  lettre  de  Henri  IV, 
datée  du  18  février  1592  (l'allaire  était  du  17)  dans  Berger  de  Xivrey, 
lettres  missives  de  Henri  IV,  111,  p.  569.  D'après  certains  récits,  Cha- 
ligny, irrité  de  se  voir  pris,  aurait  frappé  Chicot  du  pommeau  de  son 
épée. 


-  159  - 

nais  qui  reçut  et  consola  son  cousin  Clialigny,  fort  mor- 
tifié de  sa  mésaventure.  Il  ne  remit  d'ailleurs  le  captif 
en  liberté  que  moyennant  le  paiement  de  30  mille  écus, 
qui  servirent  à  indemniser  la  duchesse  de  Longueville, 
arrêtée  naguère  en  Picardie  par  les  Ligueurs,  contraire- 
ment au  droit  de  la  guerre,  d'après  ce  qu'on  disait  au 
camp  royaliste.  La  fâcheuse  histoire  de  la  capture  de 
Chaligny  se  répandit^  aussi  bien  que  celle  de  l'accueil 
froid  qu'il  avait  reçu  de  Mayenne  ;  on  en  trouve  la  trace 
dans  les  paroles  que  le  héraut  de  la  Satire  Ménippée 
adresse  au  fils  de  Nicolas  de  Vaudémont  :  «  Haut  et  puis- 
sant comte  de  Chaligny,  qui  avez  cet  honneur  d'avoir  le 
lieutenant  (Mayenne)  pour  cadet,  prenez  vostre  place,  et  ne 
craignez  plus  Chicot,  qui  est  mort  (1)  )). 

En  1594,  le  duc  de  Lorraine  scella  avec  Henri  IV  une 
réconciliation  qui  se  préparait  depuis  quelque  temps.  Désor- 
mais Charles  III  oriente  sa  politique  du  côté  de  la  France  ; 
bientôt  il  consentira  au  mariage  de  son  fils  Henri  avec  la 
sœur  de  Henri  IV,  Catherine  de  Bourbon,  huguenote 
endurcie  et  d'un  âge  déjà  mûr.  A  coup  sûr  Charles  III  sup- 
portait alors  avec  impatience  que  des  princes  de  sa  maison 
persistassent  à  combattre  à  la  tête  ou  dans  les  rangs  des 
Ligueurs.  Peut-être  est-ce  pour  priver  la  Ligue  d'un  auxi- 
liaire déterminé  et  pour  se  débarrasser  d'un  censeur  impor- 
tun que  Charles  III,  en  1594,  fit  enfermer,  dans  la  forte- 
resse de  Châtel-sur-Moselle,  un  des  frères  de  Mercœur  et  de 
Chaligny,  le  marquis  de  Chaussin,  qui  mourut  misérable- 
ment dans  sa  prison  (2).  Quant  à  Chaligny,  après  son  aven 
ture  de  1592,  il  semble  s'être  tenu  tranquille,  si  bien  que 
Charles  III  n'eut  pas  à  prendre  ombrage  de  sa  conduite. 
Toutefois  le  frère  de  Nicolas  de  Vaudémont  ne  se  désinlé- 

(1)  Ed.  Labitte,  p.  36.  £n  réalité,  Chaligny  fut,  comme  les  autres 
princes  Lorrains,  invité  à  siéger  aux  Etats  de  la  Ligue,  par  lettre  des 
Etats  du  17  mars  1593.  Je  ne  crois  pas  qu'il  s'y  soit  rendu.  (A,  Bernard» 
Procès-verbaux  des  Etals-Généraux  de  459.1^  p.  91  et  9i). 

(2)  Voir  ci-dessus,  p.  150,  note  1. 


-  160  — 

ressait  pas  du  sorl  de  son  aîné,  qui  poursuivait  la  guerre 
en  Bretagne.  Vers  le  mois  d'octobre  1596,  Chaligny  parait 
s'être  rendu  auprès  de  Henri  IV  (1  )  ;  sans  doute  était-il  chargé 
de  quelque  négociation  pour  le  compte  du  duc  de  Mer 
cœur,  qui  songeait  dès  lors  à  conclure  la  paix  avec  le  roi. 
Cette  mission  échoua  :  Tannée  suivante,  Mercœur  invita 
instamment  son  frère  cadet  à  venir  le  rejoindre  en  Breta- 
gne, en  même  temps  qu'il  supplia  Philippe  II  d'assigner  à 
Chaligny  a  quelque  pension  pour  l'obliger  entièrement  à 
son  service  (2)  ».  Cette  demande  dut  causer  à  Chaligny  un 
cruel  embarras.  Y  accéder,  c'était  mécontenter  à  coup  sûr 
le  duc  de  Lorraine;   la    repousser,    c'était    consommer 
l'abandon  d'un  frère  auquel  il  semble  avoir  porté  une 
profonde  affection.  Nous  ne  savons  si  Chaligny  hésita 
longtemps  :  en  tout  cas,  à  l'automne  de  Tannée  1597,  il  ne 
négligeait  rien  pour  déférer  au  désir  de  son  aîné.  Il  pro- 
jetait alors  de  s'embarquer  dans  un  port  des  Pays-Bas  pour 
gagner  la  côte  bretonne  à  la  tête  de  1200  Lorrains.  Mais 
Philippe  IL  fort  déAant  à  l'endroit  de  Mercœur,  dont  il 
redoutait  l'ambition,  entrava  l'exécution  de  ce  dessein.  II 
refusa  la  pension  demandée  pour  Chaligny,  en  même  temps 
que  le  cardinal-archiduc,  qui  gouvernait  les  Pays-Bas, 
s'opposa  au  passage  des  Lorrains  dans  les  terres  soumises 

(1)  Gela  résulte  d'une  lellro  qu'écrivait  do  Rome  le  cardinal  d'Ossat 
à  Villcroy,  le  16  octobre  1596.  D'après  celte  lettre,  «  Eric,  Monsieur  de 
Lorraine,  évéque  de  Verdun  m  vient,  d'arriver  à  Rome.  D'Ossat  est  allé 
le  visiter,  quoiqu'il  soit  frère  de  Mercœur,  parce  qu'il  est  aussi  frère  de 
la  reine  douairière  (Louise  de  Vaudémont),  évéque  d'une  ville  sujette 
au  roi,  et,  comme  tel,  vassal  du  roi.  a  II  m'a  dit  qu'il  étoit  très  humble 
serviteur  du  roi,  et  qu'il  n'étoit  venu  à  Rome  sans  permission  de  S.  M., 
et  qu'il  avoit  un  de  ses  frères.  Monsieur  le  comte  de  Chaligny,  auprès 
d'elle  »  [Lellres  du  cardinal  d'Ossat,  avec  des  notes  de  M.  Amclot  de 
la  Houssaye,  II,  p.  149,  lettre  84).  Il  résulte  des  Lettres  missives  de 
Henri  IV  (publiée  par  Berger  de  Xivrey  dans  la  Collection  des  Docu- 
Vients  inédits,  IV,  p.  48  et  677)  qu'en  octobre  1596,  le  roi  négociait 
avec  Mercœur.  Probablement  la  présence  de  Chaligny  auprès  du  roi 
avait  trait  à  ces  négociations. 
(2)  G.  de  Carné,  op.  cit.,  II,  p.  123,  n«  313. 


-  161  — 

à  son  autorité  (1).  Dès  lors  c'en  était  fait  du  projet  du  coiiUe 
de  Chaligny  :  j'imagine  que  le  duc  de  Lorraine  Charles  lll 
ne  fut  pas  le  dernier  à  s'en  féliciter. 

Après  la  pacification  de  la  Bretagne,  Chaligny  suivit  son 
frère  en  Hongrie  ;  sous  les  ordres  de  Mercœur,  il  y  com- 
manda des  régiments  lorrains  (2).  A  diverses  reprises  il 
s'y  distingua  par  sa  valeur  ;  notamment  il  se  couvrit  de 
gloire,  en  octobre  1599,  à  la  tête  des  Lorrains  et  des 
Wallons,  lors  de  l'expédition  entreprise  afin  de  secourir  la 
ville  de  Canise,  serrée  de  près  par  les  Turcs.  Il  mourut  à 
Vienne  en  1601,  peu  de  temps  avant  son  frère.  Son 
coeur  fut  rapporté  en  Lorraine  et  déposé  à  l'abbaye  de 
Saint-Mihiel  (3),  non  loin  de  ce  château  de  Kœur  où 
s'étaient  écoulés  les  jours  paisibles  de  cette  vie  agitée. 
Dans  l'oraison  funèbre  de  Mercœur,  qu'il  prononça  à 
Notre-Dame  de  Paris  (4),  S.  François  de  Sales  loua  haute- 
ment «  le  comte  de  Chaligni,  qui,  ayant  consacré  le  prin- 
temps de  ses  plus  belles  années  à  la  piété,  a  peu  après 
rendu  le  fruit  d'une  très  saincte  mort,  au  retour  de  plu- 
sieurs braves  exploits  exécutez  en  la  sainte  guerre  de 
Hongrie,  sous  la  conduite  et  à  l'imitation  de  son  frère  ». 

(1)  Ibid.,  Il,  p.  446,  n»346. 

(2)  Voir  VHistoire  de  Mercœur,  par  Bruslé  de  Montpleinchamp,  ciléô 
plus  haut.  A  la  page  201,  cet  écrivain  parle  ainsi  de  Chaligny  :  «  Ce 
jeune  seigneur  s'estoit  déjà  tellement  distingué  durant  la  Ligue 
qu'Alexandre  de  Parme  (Farnèse),  qui  se  connaissoit  aussi  bien  en 
mérite  qu'il  en  possédoit,  avoit  présagé  des  miracles  de  ce  jeune  Cha* 
ligny,  et  il  n'y  eut  que  sa  mort  prématurée  qui  empêcha  que  les 
prévoîances  du  prince  de  Parme  n'eussent  pleinement  leur  effet.  » 

(3)  Dom  Calmet,  Histoire  de  Lorraine,  2r  édit.,  Vil,  col.  cxv.  Le 
comte  de  Chaligny  avait,  le  30  mai  lo98,  fondé  en  l'église  des  Minimes 
de  Nancy  une  haute  messe  qui  devait  être  chantée  tous  les  mardis,  au 
grand  autel,  en  l'honneur  de  S.  François  de  Paule  ;  à  l'issue  de  la  messe 
on  devait  chanter  l'antienne  de  la  Sainte  Vierge  suivant  le  temps,  et 
l'antienne,  le  verset  et  l'oraison  do  S.  François  de  Paule.  Chaligny 
assigna,  pour  subvenir  à  cette  fondation,  une  rente  annuelle  de 
100  1.  tournois  à  prendre  sur  les  rentes  que  lui  fournissait  la  recette 
générale  du  Barrois  (Archives  de  M.-el-M.,  H,  1042). 

(4)  Imprimée  à  la  suite  de  l'Histoire  de  Merapur,  citée  plus  haut. 
Voir  p.  285  de  cette  Histoire. 

il 


^  162  - 

Le  comte  de  Chaligay  avait  épousé,  en  1385,  la  fille  d'un 
gentilhomme  de  Picardie,  le  marquis  de  Mouy,  qui  était 
veuve  d'un  cadet  des  Joyeuse  (1).  De  ce  mariage  naqui- 
rent trois  fils  et  une  fille.  L'aîné  des  fils,  Charles  (2),  était 
naturellement  destiné  à  porter,  après  son  père,  le  titre  de 
comte  de  Chaligny  ;  c'est  sous  ce  titre  qu'en  1604  il 
accompagna  de  Lorraine  à  Troyes  les  restes  mortels  de 
Catherine  de  Bourbon,  sœur  de  Henri  IV  et  première 
femme  de  l'héritier  présomptif  du  duché  de  Lorraine 
(le  futur  Henri  II),  que  Ton  ramenait  à  la  sépulture  des 
Bourbons  à  Vendôme  (3).  C'est  aussi  sous  ce  titre  qu'avec 
son  frère  cadet  et  son  oncle  Eric,  le  seul  survivant  des 
six  fils  de  Nicolas  de  Vaudémont,  il  mena  en  1604,  à 
Nancy,  la  pompe  funèbre  du  duc  deMercœur;  les  spec- 
tateurs de  ce  cortège  qui,  vingt-cinq  ans  auparavant, 
avaient  connu  la  nombreuse  et  brillante  famille  du  pre- 
mier duc  de  Mercœur,  purent  alors  constater  l'œuvre 
accomplie  par  la  mort  dans  sa  descendance.  Comme  on 
le  verra  plus  loin,  ce  fut  Charles  qui,  probablement, 
vers  1607  ou  1608,  faillit  épouser  sa  cousine  Françoise, 
l'unique  héritière  du  duc  Philippe-Emmanuel  de  Mercœur 
et  la  propriétaire  de  Chaligny  :  grâce  à  ce  mariage,  le  titre 
et  la  terre  de  Chaligny  se  seraient  rejoints.  Peu  d'an- 
nées plus  tard,  il  se  fit  clerc,  et  put,  après  la  mort  de 
Henri  IV,  qui  le  délivra  d'une  opposition  redoutable,  rem- 
placer sur  le  siège  de  Verdun  son  oncle  Eric,  que  des 

|i)  Claude  de  Mouy,  Glle  du  marquis  de  Mouy  (près  Saint-Quentin), 
seigneur  de  Belencombc  vers  Neuf châ tel  en  Normandie,  et  de  N.,  de  la 
maison  de  Suzanne,  nièce  de  Jean-Jacques  de  Suzanne,  comte  de  Serny 
près  de  Laon.  (Extrait  d'une  généaloj?ic  dressée  pour  établir  la  noblesse 
de  François  de  Lorraine-Chali^^ny  (fuand  il  voulut  entrer  au  chapitre 
de  la  cathédrale  de  Cologne.  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  22,  fol.  2;  voir  aussi 
F.  des  Robert,  Corres^pondance  de  Mcolas-Franrois,  dans  les  Mémoires 
de  la  S.  A.  /..,  3'  série,  Xlll  (1885),  p.  là,').) 

(2)  V.  de  Saint-Allais  (Viton),  au  tome  II  de  son  Histoire  généalo- 
gique des  maisons  souveraines,  dit  qu'il  naquit  le  18  juillet  1592.  Cf , 
dom  Calmet,  2'  cdit.,  V,  col.  8G7. 

(3)  Ihid.,  col.  8G4. 


-  163  - 

égarements  de  conduite  avaient  contraint  à  abandonner 
son  évôché  (1).  Charles  voulut  être  évoque  pour  tout  de 
bon  ;  aussi  reçut  il  en  1616  la  consécration  épiscopale  des 
mains  d'Eric  lui-môme  dans  la  collégiale  Saint  Georges  de 
Nancy  (2).  Mais  c'était  alors  une  rude  tâche  pour  un  prince 
lorrain  que  d'être  évoque  de  Verdun:  il  fallait  se  résigner 
à  des  luttes  perpétuelles  avec  l'administration  française, 
luttes  au  cours  desquelles  disparaissaient  peu  à  peu  les 
derniers  restes  de  l'indépendance  de  l'église  de  Verdun. 
Ces  conflits  contribuèrent-ils  à  dégoûter  Charles  de  Lor- 
raine-Chaligny  des  dignités  ecclésiastiques?  Rien  n'est  plus 
vraisemblable.  En  tout  cas,  en  1622,  il  se  démit  de  son 
siège  pour  entrer  dans  la  Compagnie  de  Jésus.  Par  ce 
rare  exemple  de  renoncement  aux  grandeurs  du  monde,  il 
convertit  sa  mère,  Claude  de  Mouy  ;  cette  princesse,  recon- 
naissant à  son  tour  la  vanité  des  choses  humaines,  fonda 
à  Gharleville  le  monastère  du  Saint-Sépulcre,  où  elle  acheva 
sa  vie  sous  le  nom  de  sœur  Marie  de  Saint- François  (3). 

Le  second  des  fils  du  comte  Henri  de  Chaligny  porta 
comme  son  père  le  nom  de  Henri  ;  il  releva  en  outre  le 
titre  de  marquis  de  Mouy,  qui  lui  venait  de  sa  famille 
maternelle.  C'est  sous  cette  désignation  qu'il  fut  connu  à 
la  cour  des  ducs  de  Lorraine  Henri  II  et  Charles  IV,  où 
s'écoula  sa  jeunesse  (4).  Mouy  appartenait  à  la  môme 
génération  que  les  enfants  de  Henri  II  et  de  son  frère 
François  de  Vaudémont  ;  Henri  II  lui  avait  concédé  en 
1615,  à  titre  de  fief  masculin,  une  rente  annuelle  de 
10,000  francs  assignée  sur  les  salines  de  Dieuze,  afin  de 

(1)  En  i614,  Charles,  évoque  de  Verdun,  et  son  oncle  Eric  adminis- 
traient ensemble  la  terre  de  Kœur,  dont  ils  étaient  copropriétaires 
(Archives  de  M.-et-M.,  B,  f;o88). 

(2)  Dom  Calmet,  VI,  col.  736  et  s. 

(3)  Ibid.,  V.,  col.  743. 

(4)  Au  carnaval  de  l'année  1610,  Henri  de  Mouy  fut  chargé  de  mener 
les  gentilshommes  lors  d'un  combat  à  pied,  qui  eut  lieu  devant  la  Cour, 
dans  la  grande  salle  du  palais  ducal  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  13:J6  ; 
voir  l'inventaire  imprimé). 


-  164  — 

lui  permettre  de  soutenir  «  la  splendeur  de  son  extrac- 
lion  (1)  ».  Ce  prince  était  chargé  de  gouverner  Nancy, 
au  nom  de  Charles  IV,  quand,  en  1633,  les  troupes  fran- 
çaises envahirent  la  Lorraine.  Plus  tard,  réconcilié  avec 
Louis  XIII,  il  se  relira  dans  un  domaine  du  Relhélois,  qui 
lui  venait  de  sa  mère  (2).  11  parait,  après  l'entrée  en  reli- 
gion de  sou  frère  Charles,  être  devenu  le  seul  propriétaire 
de  la  seigneurie  de  Kœur,  dont  il  ajouta  souvent  le  titre  à 
celui  de  Mouy  (3)  :  au  contraire,  ce  n'est  que  tout  à  fait 
exceptionnellement  qu'on  lui  donna  le  titre  de  Chaligny  (4), 
litre  nu  qui  avait  appartenu  à  son  père.et  à  son  frère  aîné. 
Charles,  en  entrant  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  avait 
résigné  ses  bénéfices  en  faveur  de  son  frère  François,  qui, 
déjà  doyen  du  chapitre  de  Cologne,  fut  aussi  appelé  au 
siège  épiscopal  de  Verdun.  Pendant  de  longues  années, 
François  de  Lorraine  administra  cet  évêché,  tout  en 
s'abstenant  d'entrer  dans  les  ordres.  Bien  plus  soldat  que 
clerc,  il  se  jeta  tête  baissée  dans  les  longues  luttes  que 
soutint  contre  le  roi  de  France  le  chef  de  la  famille  lor- 
raine, le  duc  Charles  IV.  Au  cours  de  ces  guerres,  le 
temporel  de  Verdun  fut  mis  en  séquestre  par  l'adminis- 
tration française,  pour  n'être  rendu  à  l'évêque  qu'après  la 
paix  de  Westphalie,  à  la  condition  qu'il  prêterait  serment 
de  fidélité  à  Louis  XIV.  Treize  ans  plus  tard,  déjà  avancé  en 

(1)  Bibl.  Nat.,  Lorraine,  22,  fol.  9  et  s.  Dès  1610,  et  pcut-ôtro  avant, 
Mouy  touchait  annuellement  7000  fr.  de  Lorraine,  que  lui  fournissait 
le  Trésor  ducal,  pour  son  «  cntretenement  ordinaire  »  (Archives  de 
M.-et-M.,  B,  1328,  fol.  315). 

(2)  F.  des  Robert,  op.  cit.,  p.  127. 

(3)  Dans  les  actes  relatifs  à  Kœur,  il  s'intitule  volontiers  :  Henry  de 
Lorraine,  marquis  de  Mouy,  seigneur  de  Kœur.  On  en  trouvera  des 
exemples,  notamment  de  1622,  1623,  1626,  1633,  dans  une  layette 
relative  à  Kœur,  conservée  aux  Archives  de  M.-ct-M.,  B,  (»88. 

(4)  Il  est  intitulé  Henri  de  Lorraine,  comte  de  Chaligny,  seigneur  de 
Kœur,  dans  un  compte  rendu  en  1641  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  6584). 
Autour  de  la  belle  gravure  de  Nanteuil,  qui  représente  Mouy,  on  lit  : 
Henry  de  Lorraine,  marquis  de  Mouy,  fils  de  Henry  de  Lorraine, 
comte  de  Chaligny.  Le  marquis  de  Mouy  vécut  jusqu'en  1672. 


—  165  — 

âge,  il  se  démit  de  son  évôché  et  de  tous  ses  bénéfices  pour 
épouser  Gliristlne  de  Marsanne,  baronne  de  Saint-Mange. 
Il  y  était  poussé,  disait  il,  par  des  motifs  de  conscience; 
jadis  il  avait  fait  enlever  Christine  des  bras  de  sa  mère, 
et  s'était  lié  à  elle  par  une  promesse  de  mariage.  D'ailleurs, 
comme  son  frère  le  marquis  de  Mouy,  il  mourut  sans 
laisser  de  postérité  légitime  (t). 

La  famille  de  Henri  de  Chaligny  ne  se  continua  que  par 
les  femmes.  Son  unique  fille,  Louise,  ainsi  nommée  sans 
doute  pour  rappeler  sa  tante  la  reine  de  France,  avait  épousé 
l'héritier  du  prince  de  Ligne,  qui  ne  portait  encore  que  le 
titre  de  marquis  de  Roubaix  (2).  Ce  mariage  perpétua 
rillustre  maison  qui  tient  une  place  importante  dans  fhis 
toire  du  Pays-Bas.  En  1670,  Henri  de  Mouy,  se  voyant  sans 
enfants,  donna  sa  terre  de  Kœur  à  un  prince  de  Ligne  qui 
était  son  petit  neveu.  Après  le  retour  du  duc  Léopold  dans 
ses  États,  le  Domaine  lorrain,  méconnaissant  cette  donation, 
fit  vendre  le  château  de  Kœur.  Cette  vente  provoqua  les 
réclamations  du  prince  de  Ligne  et  fut  l'origine  d'un  inter- 
minable procès  qui,  au  cours  du  xviir  siècle,  donna  lieu  à 
des  incidents  très  vifs,  mais  étrangers  à  l'histoire  de  Cha- 
ligny (3).  U  ne  ])araît  pas  d'ailleurs  que  la  famille  de  Ligne, 
où  s'était  maintenu  le  titre  de  marquis  de  Mouy,  ait  songé  à 
relever  le  titre  de  Chaligny  (4).   L'eût-elle  voulu  qu'elle 

(1)  Dom  Dilmel,  Hialoirc  de  Lorraine,  2-  édit.,  VI,  col.  742-740;  F. 
des  Roborl,  op.  cit.,  p.  liG  et  s.,  indiqua  In  doscondancc  illrgitimc. 

(2)  De  ce  maria^^e  de  Louise  de  Lorraine-Chaligny  avec  Klorcnt  de 
Ligue,  naquirent  deux  fils,  l'un  prince  de  Li^uo,  l'autre  prince  d'Am- 
blise  CD  Hainaut  (Bibl.  Nat.,  Lorraine,  22,  fol.  2). 

(3)  Voir  Archives  de  M.-et-M.,  E,  31,  et  mémoires  relatifs  au  proc('»s 
en  revendication  de  Kœur,  Bibliothèque  de  Nancy,  n"  7393  à  73W  du 
catalogue  du  Fonds  lorrain.  —  Le  procès  avait  lieu  entre  Claude- 
Lamoral -Hyacinthe-Ferdinand,  prince  de  Ligne,  marquis  de  Mouy,  et 
le  baron  de  Manonvillc,  comte  de  Kœur.  qui  était  aux  droits  du  domaine 
des  ducs  de  Lorraine. 

(4)  En  1699,  Hyacinthe,  prince  de  Ligne,  s'intitule  marquis  de  Mouy, 
seigneur  de  Kœur;  il  n'est  pas  question  de  Ciiuligny  (Archives  de 
M.-et-M.,  B,  6588). 


—  166  - 

n'aurait  pu  le  faire  sans  porter  ombrage  à  la  maison  de 
Lorraine,  dont  un  membre  et  non  des  moins  importants 
avait  acquis  la  terre  de  Ghaligny,  au  moment  où  les  Mer- 
cœur  avaient  cessé  d'en  porter  le  titre. 


VII 


On  se  rappelle  peut-être  que  Tune  des  conditions  du 
traité  passé  entre  Henri  IV  et  le  duc  de  Mercœur,  en  1598, 
avait  été  la  promesse  réciproque  d'un  mariage  entre  Fran- 
çoise, unique  héritière  des  Mercœur,  et  le  fils  bâtard  du 
roi  et  de  Gabrielle  d'Estrées,  César  de  Vendôme.  A  cette 
époque  la  jeune  fiancée  n'était  âgée  que  de  six  ans  :  le 
mariage  se  trouvait  donc  forcément  reculé  à  une  époque 
fort  éloignée.  Avant  qu'elle  fût  nubile,  son  père  mourut  au 
cours  de  sa  campagne  contre  les  Turcs  ;  Françoise  demeura 
donc  en  puissance  de  sa  mère,  à  laquelle  plaisait  fort  peu 
le  projet  d'union  imposé  à  sa  fille  (1).  Madame  de  Mercœur, 
fîère  de  ses  ancêtres,  et  aussi  très  pieuse,  fort  occupée  de 
bonnes  œuvres  (c'est  elle  qui  acheva  la  fondation  du  cou- 
vent des  Capucines  du  faubourg  Saint-Honoré  à  Paris, 
entreprise  grâce  aux  libéralités  testamentaires  de  Louise  de 
Vaudémont)  (2),  rêvait  pour  la  jeune  Françoise  un  mariage 
mieux  assorti  :  ses  vues  s'étaient  portées  sur  un  des  fils  de 

(1)  Cf.  Lettres  missives  de  Henri  IV,  VII,  p.  550,  555,  563  et  s.;  VII, 
p.  94  et  655  cl  les  notes  du  marquis  de  la  Grange,  dans  son  édition  des 
Mémoires  delà  Force,  I,  p.  114.  Il  est  dit  dans  ces  notes  que  le  candi- 
dat préféré  de  la  duchesse  de  Morcœur  était  Henri  de  Lorraine,  comte 
de  Ghaligny.  Mais  Henri  était  un  cadet,  qui  porta  le  titre  de  marquis 
do  Mouy  ;  le  titre  de  Ghaligny  ne  pouvait  alors  appartenir  qu'à  l'alné 
Charles,  qui,  à  cette  époque,  n'était  pas  encore  entré  dans  la  clérica- 
turc.  Il  est  donc  assez  probable  que  c'est  à  Charles  que  pensait  la 
duchesse  de  Mercœur.  Sur  cette  alïaire  du  mariage  de  Françoise  de 
Mercœur,  consulter  Davillé,  Les  relations  de  Henri  IV  avec  la  Lorraine 
(Annales  de  l'Est,  XV,  1901,  p.  35  et  s.).  La  duchesse  de  Mercœur  vécut 
jusqu'en  1623. 

(2)  Morte  en  1601. 


—  167  — 

son  beau  frère  Henri,  comte  de  Chaligny.  Mais  le  roi  de 
France  n'entendait  pas  que  Tliéritage  des  Mercœur  et  des 
Penthièvre  pût  échapper  à  son  fils  César.  En  1608,  sa  diplo 
raatie  est  à  l'œuvre  pour  combattre  les  hésitations  et  les 
répugnances  de  la  duchesse  ;  il  fait  successivement  le  siège 
de  tous  les  princes  de  la  maison  de  Lorraine.  Les  uns 
cèdent  à  la  contrainte,  les  autres  à  des  arguments  qui  se 
traduisent  par  des  espèces  sonnantes.  Pour  le  commence- 
ment de  Tannée  1609,  le  roi  était  arrivé  à  ses  fins  :  le  duc 
Henri  II,  son  frère  François  de  Vaudémont,  les  Guises  et 
enfin  l'évoque  Eric  de  Verdun,  qui  était  le  dernier  survi- 
vant des  oncles  de  Françoise  de  Mercœur,  étaient  acquis  à 
son  dessein  (1).  La  duchesse  de  Mercœur  dut  se  résigner  ; 
le  7  juillet  1609,  fut  célébré  le  mariage  qui  fit  de  sa  fille  la 
duchesse  de  Vendôme. 

Françoise,  on  ne  Ta  pas  oublié,  avait  trouvé  dans  la 
succession  de  son  père,  sinon  le  titre,  au  moins  le  domaine 
de  Chaligny.  Mais  son  mariage  Téloignait  pour  toujours  de 
la  Lorraine.  D'ailleurs,  une  lettre  que  la  duchesse  de  Mer- 
cœur écrivit  le  8  juillet  1610  prouve  qu'en  mère  vigilante 
elle  s'inquiétait  de  la  diminution  des  revenus  de  la  terre 
de  Chaligny  (2),  à  laquelle  l'œil  du  maître  manquait  depuis 
longtemps.  Ces  diverses  considérations  la  déterminèrent 
quelques  mois  plus  tard  à  aliéner  Chaligny.  Par  acte  nota- 
rié passé  à  Paris  le  9  octobre  1610(3),  Madame  de  Mercœur, 
agissant  au  nom  de  sa  fille  la  duchesse  de  Vendôme,  vendit 
à  François  de  Lorraine,  fils  puîné  du  duc  Charles  111  et 
frère  cadet  du  duc  Henri  II,  la  terre  et  le  comté  de  Chaligny 
avec  les  deux  tiers  de  la  seigneurie  de  Thélod.  Le  prix 
convenu  était  de  160  mille  livres  tournois,  dont  la  majeure 

(1)  De  ce  mariage  devaient  naître  le  cardinal  de  Vendôme  et  le  duc 
de  Beaufort,  le  roi  des  Halles,  celui-là  môme  qui  fut  tué  à  Candie. 

(2)  Je  dois  Tindication  de  cette  lettre  h  l'obligeance  de  mon  érudit 
confrère,  M.  Léon  Germain  de  Maidy. 

(3)  .\rchive8  de  M.-et-M.,  B,  599,  n'  49. 


partie  était  déléguée  a  d'anciens  créanciers  du  duc  de  Mer- 
cœur(1).  L'acquéreurs'obligeaitenoutreà  diverses  charges, 
au  nombre  desquelles  figurait  le  paiement  annuel  d'une 
somme  de  100  francs  barrois  au  curé  de  Pont-Saint-Vincent 
pour  une  messe  du  Saint  Sacrement,  qu'en  vertu  d'une 
fondation  de  la  duchesse  de  Mercœur,  il  devait  célébrer 
chaque  jeudi  (on  sait  l'importance  que  prit  la  dévotion  au 
Saint-Sacrement  à  la  fin  du  xvp  siècle  dans  les  pays  où  le 
catholicisme  luttait  contre  la  Réforme),  et  d'une  somme  de 
90  francs  barrois  aux  Cordeliers  de  Nancy  pour  services 
fondés  par  Nicolas  de  Lorraine  et  par  ses  fils,  le  cardinal 
de  Vaudémont  et  le  duc  de  Mercœur  (2).  Une  fois  encore  le 
comté  de  Chaligny  passait  aux  mains  du  premier  prince 
du  sang  lorrain,  qui,  comme  jadis  Nicolas,  le  frère  du  duc 
Antoine,  portait  le  titre  de  comte  de  Vaudémont  (3). 


VIII 

Le  meilleur  de  l'activité  des  Mercœur  avait  été  absorbé 
par  les  querelles  religieuses.  Les  mêmes  querelles  engen- 
drèrent les  événements  qui,  à  diverses  reprises,  troublèrent 
le  comté  de  Chaligny,  au  temps  où  il  était  soumis  aux  Mer- 
cœur. Périodiquement  la  Lorraine  fut  traversée  par  les 
bandes  qui  louaient  leurs  services  aux  partis  dont  la  lutte 

(1)  Deux  ans  plus  tard,  en  1612,  elle  vendit  pour  9;;0,000  livres  au 
duc  Henri  de  Lorraine  le  marquisat  de  Nomcny  cl  divers  autres  biens. 
Les  Vendùinc  rompirent  ainsi  lous  les  liens  qui  les  attachaient  à  la 
Lorraine.  La  cession  de  Nomcny  fut  confirmée  par  l'empereur  Mathias 
le  22  octobre  1013  (dom  Calmet,  Histoire  de  Lorraine^  2*  édit., 
V,  col.  73i). 

(2)  L'acquéreur  de  Chali<>ny  s'obligeait  en  outre  à  payer  54  francs 
barrois  chacfue  année  pour  les  cierges  dos  services  précités,  à  servir 
âaO  fr.  par  an  au  chapitre  de  Fénétrango,  et  à  acquitter  une  rente 
viagère  de  54  fr.  barrois. 

(3)  On  voit  que,  sans  cette  vente  de  1610,  le  comté  de  Chaligny  fût 
devenu  la  propriété  de  César  de  Vendôme  et  de  ses  célèbres  descen- 
dants. 


—  169  — 

déchirait  la  France.  C'est  surtout  des  auxiliaires  du  parti 
huguenot  qu'elle  eut  à  souflrir. 

On  sait  qu'en  1562,  des  reitres  qui  passèrent  en  Lorraine 
pour  aller  au  secours  de  Condé  insultèrent  Toul  et  com- 
mirent aux  environs  de  cette  ville  des  actes  de  pillage  (1). 
Je  ne  suis  pas  en  mesure  de  dire  si  ce  pillage  s'étendit  aux 
villages  du  comté  de  Ghaligny,  éloignés  de  Toul  de  quatre  ou 
cinq  lieues. 

Nous  n'en  sommes  pas  réduits  à  la  même  incertitude  en 
ce  qui  touche  le  second  passage  des  retires  (2).  A  l'époque  de 
la  deuxième  guerre  civile,  Jean  Casimir,  fils  de  l'électeur 
palatin  Frédéric  III,  avait  recruté  des  soldats  pour  venir  en 
aide  à  ses  coreligionnaires,  les  calvinistes  de  France.  Le 
4  janvier  1568,  lui-môme  avait  pénétré  en  Lorraine  et 
occupé  Pont-à-Mousson,  à  la  tête  de  16,000  hommes,  moi- 
tié cavaliers  allemands,  moitié  fantassins  suisses.  Cepen- 
dant l'armée  des  réformés  français,  sous  les  ordres  de 
Condé  et  de  Coligny,  s'était  portée  à  leur  rencontre  (ce  fut 
ce  qu'on  appelle  dans  les  textes  contemporains  le  voyage 
de  Lorraine)  :  elle  avait  abandonné  ses  cantonnements  de 
Saint-Mibiel,  malgré  la  rigueur  de  la  saison,  pour  faire  sa 
jonction  avec  les  étrangers  dans  la  vallée  de  la  Moselle  (3). 
De  là  les  deux  colonnes  réunies  se  dirigèrent  vers  la 
région  de  Langres  ;  c'est  sans  doute    au  cours  de  cette 

(1)  Duc  d'Aumale,  Histoire  des  princes  de  Condé,  I,  p.  i73;  dom 
Calmet,  2*  édit.,  VII,  col.  93. 

(2)  L'année  précédente,  en  15G6,  les  habitants  do  PontSaint-Vincent 
avaient  vu  passer  le  jeune  duc  Charles  III  qui  s'en  allait  à  Huppes  pour 
y  chercher  sa  nouvelle  épouse,  la  princesse  Claude  de  France,  fille  de 
Henri  II  et  de  Catherine  de  Médicis  (Notes  de  M.  l'abbé  Boulanger, 
ancien  curé  de  Pont-St- Vincent,  qui  m'ont  été  communiquées  grâce  à 
Tobligeance  de  l'un  do  ses  successeurs,  M.  l'abbé  Bastion.  M.  l'abbé 
Boulanger  dit  avoir  emprunté  cette  note  aux  Archives,  comptes 
Pulligny). 

(3)  Comte  de  la  Perrière  ;  La  seconde  guerre  civile  {Revue  des 
questions  historiques,  LVII,  1885),  p.  160  et  s.  Voir  le  récit  de  La  Noue 
au  chap.  XV  de  ses  Mémoires. 


-  17Q  - 

marche  qu'elles  traversèrent,  ou   tout  au  moins  effleu- 
rèrent le  comté  de  Ghaligny  et  les  régions  voisines. 

En  effet,  noussavons  par  les  témoignages  contemporains 
que  des  bandes  de  huguenots,  laissées  à  Vicherey,  s'empa- 
rèrent de  Bicqueiey  et  infestèrent  le  Toulois,  jusqu'à  ce 
que  le  duc  Charles  III  ait  réussi  à  en  purger  la  région  (1). 
Un  compte  financier  atteste  qu'un  moulin  du  pays  de  Vau- 
démont,  appartenant  au  domaine  ducal,  fut  brûlé  par  les 
gens  de  guerre  (2).  En  même  temps  les  religieux  de  l'ab- 
baye de  Glairlieu,  craignant  la  fureur  des  partis  huguenots, 
se  retirèrent  au  fond  de  la  forêt  de  Haye  avec  leurs  bes- 
tiaux (3).  Quand  on  pillait  dans  le  Toulois  et  dans  les  en- 
virons de  Vézelise,  quand  on  tremblait  à  Glairlieu,  il  n'est 
guère  vraisemblable  qu'on  fût  en  reposa  Ghaligny.  D'ail- 
leurs, des  témoignages  directs  démontrent  que  le  comté  de 
Ghaligny  fut  éprouvé  à  cette  époque.  Les  redevances  an- 
nuelles que  devait  à  l'abbaye  de  Glairlieu  le  domaine  de 
Ghaligny  pour  diverses  causes,  notamment  pour  le  service 
funèbre  d'Alice  de  Vaudémont,  ne  purent  être  payées  en 
1567,  faute  de  ressources  suffisantes  (4).  En  cette  môme 
année,  les  gens  d'armes  rompirent  la  porte  du  four  banal  de 
Pont  Saint  Vincent,  qu'il  fallut  refaire  en  1568(5).  De  tous 
ces  indices,  nous  sommes  fondés  à  déduire  que  le  comté 
de  Ghaligny  fut  ravagé  par  l'armée  de  JeanGasimir,  dans 
une  mesure  que  nous  ne  pouvons  préciser,  à  l'époque  où 
cette  armée  était  en  marche  sur  Vézelise  et  le  Vaudémont. 

(1)  Martin,  Histoire  des  diocèses  de  Toul...,  H,  p.  27.  —  Bicqueiey 
est  situé  non  loin  de  Neufchàteau  ;  Vicherey  est  on  plein  Toulois,  près 
d'Ochcy. 

(2)  Le  moulin  de  l'EstHnche  en  Vaudémont  a  été  brûlé  par  les  gens 
de  guerre.  (.\rch.  de  Meurthe-et-Moselle,  B,  9855,  foi.  138.) 

(3)  Arch.  de  Meurthe  ot-Moselle,  H.  460,  fol.  97.  —  En  celle  circons- 
tance, les  porcs  appartenant  ù  l'abbaye  de  Glairlieu  se  sont  échappés  et 
ont  vagabondé  dans  les  bois,  d'où  plus  tard  des  difficultés  entre  l'ab- 
baye et  le  seigneur  de  Maron. 

(4)  Compte  précité  du  domaine  de  Ghaligny  en  1568-1569. 

(5)  Ibid, 


-  171  - 

Huit  ans  plus  tard,  une  nouvelle  guerre  déchire  la 
France;  de  nouveau,  les  huguenots  ont  fait  appel  à  Jean- 
Casimir,  et  celui  ci,  non  sans  leur  imposer  des  conditions 
très  dures  pour  leur  amour-propre  national,  a  répondu  à 
leur  invitation  ;  il  fallut,  en  efTet,  que  Gondé  s'engageât 
d'avance  à  laisser  au  prince  allemand  l'administration 
des  Trois  Evêchés  (1).  En  novembre  157o,  les  troupes  pro 
testantes  se  réunirent  aux  environs  de  Château-Salins. 
Le  2  janvier  1576,  elles  se  trouvaient  à  Charmes,  sur  la 
Haute-Moselle;  c'était  Condé  lui-môme,  avec  Jean-Casimir, 
qui  commandait  ces  forces,  dont  l'effectif  s'élevait  à  10,000 
hommes  de  cavalerie  allemande  et  à  10  ou  12,000  fantas- 
sins allemands  et  suisses;  on  n'y  comptait  qu'un  petit 
nombre  de  cavaliers  français.  Les  craintes  durent  être  vives 
dans  le  comté  de  Chaligny  ^2),  d'autant  plus  qu'ion  savait 
par  la  rumeur  publique  qu'en  dépit  des  engagements  de 
leurs  chefs,  les  lansquenets  allemands  mettaient  parfois  le 
feu  à  des  villages,  à  des  granges,  à  des  fermes  isolées,  «  au 
grand  dommage  des  povres  Lorrains  (3)  ».  Mais  le  flot  de 
l'invasion  ne  s'étendit  pas  dans  la  vallée  de  la  Moselle  ;  les 
troupes  protestantes  passèrent  par  Housséville  et  Remo- 
7ille,  pour  arriver  le  9  janvier  à  Neufchàteau.  Cette  fois, 
dans  le  comté,  les  paysans  en  furent  quittes  pour  la  peur. 

Cependant,  au  cours  de  ces  invasions,  la  neutralité  de  la 
Lorraine  n'avait  pas  été  officiellement  violée.  Le  duc  avait, 

(1)  Comte  de  la  Perrière  :  Catherine  de  Médicis  et  les  politiques; 
Revue  des  Questions  historiques,  lvi  (1894),  p.  433 

(2)  Voir  sur  celte  campagne:  Recueil  de  choses  jour  par  jour  ave- 
nues en  l'armée  conduite  d'Allemagne  en  France  par  M.  le  Prince  de 
Coudé;  in-24,  de  167  pages,  1577,  sans  nom  d'auteur  (je  le  connais  par 
la  reproduction  qui  s'en  trouve  dans  le  recueil  de  Sehmit,  manuscrit 
n"  559  do  la  Bibliothèque  de  Nancy.  Scnmit  a  transcrit  les  pages  26-34 
qui  concernent  la  Lorraine).  Cf.  La  Huguerye,  Mémoires,  I,  p.  361  et  s. 

(3;  Voir  Recueil  de  choses  ; ']o\gnez-y  la  lettre  de  Bellièvro  à  Charles  III, 
citée  par  M.  de  Ruble  dans  son  édition  des  Mémoires  de  La  Huguerye,  I, 
p.  368.  Le  duc  de  Lorraine  avait  accordé  le  passage,  mais  à  la  condi- 
tion que  les  Allemands  ne  séjourneraient  pas  sur  ses  terres. 


-  172   - 

selon  Texpression  d'un  contemporain,  «  laissé  passer  par 
ses  pays  tous  les  estrangers  qui  sont  venus,  soit  pour  le  Roy, 
soit  pour  les  huguenots,  sans  empeschement  aucun  par 
ceux  du  pays  de  Lorraine  (1)  w.  De  son  côté,  Jean-Casirair, 
qui  avait  conduit  les  passages  de  1368  et  de  1576,  se  piquait, 
à  cause  de  son  ancienne  amitié  pour  le  duc,  de  n'avoir  rien 
négligé  en  ces  circonstances  «  pour  le  soulagement  de  ses 
païs  et  subjects  m.  Il  n'en  fut  pas  de  même  en  1387  :  la  force 
des  événements  paralysa  cette  fois  les  dispositions  conci- 
liantes de  Jean-Casimir  et  du  duc  de  Lorraine  (2). 

A  ce  moment,  en  effet,  Charles  HI  était  engagé  dans  la 
politique,  nettement  hostile  aux  protestants,  que  représen- 
taient en  France  les  princes  de  sa  maison.  Or,  pour  porter 
secours  aux  protestants  français,  une  forte  armée  avait  été 
recrutée,  une  fois  encore,  par  les  soins  de  Jean-Casimir  ; 
elle  avait  été  confiée  par  lui  au  baron  de  Dohna,  sous  la 
haute  direction  du  duc  du  Bouillon.  Des  rapports  assez 
exagérés  ont  parfois  couru  sur  l'effectif  de  cette  armée;  au 
moins  devait-elle  comprendre,  quand  elle  quitta  l'Allema- 
gne, 23,000  combattants,  sans  compter  le  personnel  qui,  à 
cette  époque,  suivait  les  armées  (3).  Pour  ce  temps,  c'était 


(1)  Histoire  contenant  les  plus  mémorables  faits  advenus  en  l'an 
4581^  tant  en  l'armée  commandée  par  M.  le  duc  de  Gtiyse  qu'en  celle 
des  huguenots  commandée  par  le  duc  de  Bouillon  (Lyon,  1588),  fol.  7. 
Ce  récit  est  l'œuvre  de  La  Chastre.  —  Schmit  (ms.  de  Nancy,  559),  re- 
produit une  autre  édition  de  ce  texte,  un  peu  plus  étendue,  donnée  à 
Paris  en  1588. 

(2)  La  Huguerye,  Mémoirea,  III,  p.  5,  et  pasfiim. 

(3)  Voici,  d'après  La  Chastre  (p.  5  et  suiv.),  la  composition  de  cette 
armée  : 

300  chevaux  français  ;  2,000  hommes  de  pied  français  ;  15  à  16,000 
Suisses,  commandés  par  Clorvant;  8,500  reltres,  en  21  cornettes,  com- 
mandés par  le  baron  de  Dohna  ;  ce  qui  donnerait  environ  27,000  com- 
battants. 

Dans  la  lettre  qu'il  écrivit  au  Roi  le  9  septembre  1587,  après  l'enga- 
gement de  Pont-Saint-Vincent,  le  duc  de  Guise,  qui  est  depuis  deux 
jours  en  contact  avec  l'armée  protestante,  déclare  qu'on  peut  l'estimer 
ainsi:  300  lances  françaises,  3  à  400  arquebusiers  à  cheval,  15  à  1,600 
arquebusiers  à  pied,  4,000  lansquenets,  10  à  11,000  Suisses,  5  à  6,000 


-  173  — 

une  force  très  coDsidérable.  Mais  ce  qui  lui  manquait, 
c'était  l'unité  de  plan  et  de  direction.  On  y  trouvait  nombre 
de  capitaines  français  qui  ne  songeaient  qu'à  rejoindre 
Henri  de  Navarre,  menacé  par  Joyeuse  dans  le  Midi  de  la 
France  (1).  Au  contraire,  parmi  les  Allemands,  plusieurs 
voulaient  marcher  sur  Sedan,  qui  appartenait  au  duc  de 
Bouillon,  afin  d'en  faire  leur  base  d'opérations  (2).  La  même 
anarchie  régnait  en  ce  qui  concernait  la  conduite  à  suivre 
vis  à-vis  de  la  Lorraine.  Les  Français  huguenots  estimaient 
utile  de  donner  tout  d'abord  une  bonne  leçon  au  duc  Char- 
les III,  chef  d'une  maison  qui  combattait  partout  la  nouvelle 
religion  ;  c'était  le  cas,  ou  jamais,  de  le  réduire  à  l'impuis- 
sance. En  revanche,  beaucoup  d'Allemands,  croyant  obéir 
aux  inspirations  de  Jean-Casimir,  entendaient  ménager  le 
plus  possible  le  duc  de  Lorraine,  et  faisaient  comprendre 
au  duc  de  Bouillon  qu'il  n'avait  aucun  intérêt  à  s'en  faire 
un  ennemi  irréconciliable;  La  Huguerye  parait  avoir  été 
leur  porte  paroles.  Ajoutez  à  cela  que  les  Suisses,  en  face 
de  chefs  divisés,  se  réservaient  d'agir  à  leur  tête  et  suivant 
leurs  intérêts  immédiats.  Telle  était  l'anarchie  qui  régnait 

reilres;  ce  qui  fait  de  22,000  à  25,000  combattants.  Cette  estimation  est 
faite  à  une  époque  où  l'armée  est  en  campagne  depuis  deux  ou  trois 
semaines  et  où  elle  a  déjà  souffert  (Bibl.  nat.,  Fr.,  4743,  fol.  287).  L'es- 
timation du  duc  de  Guise  a  été  reproduite  par  M.  Tuetey  :  Les  Allemands 
en  France  et  Vinvasion  du  comté  de  Montbéliard  par  les  Lorrains^  I, 
p.  65  et  s. 

Dans  un  document  qui  a  été  inséré  dans  les  Mémoires  de  la  Ligue^ 
(édit  de  1758,  II,  p.  212),  on  donne  les  effectifs  suivants  comme 
composant  l'armée  protestante  à  son  entrée  en  Lorraine  :  5,000  rettrcs, 
5,000  lansquenets,  16,000  suisses,  2,000  arquebusiers,  2  à  300  lances 
françaises,  soit  entre  28  k  29,000  combattants.  En  outre,  il  y  avait 
19  pièces  d'artillerie. 

(1)  J'estime  que  tel  était  aussi  le  désir  ardent  du  roi  de  Navarre.  Ce- 
pendant le  bruit  courut  que  ce  prince  voulait  que  les  troupes  mar- 
chassent sur  Sedan  et  Jametz.  (Récit  du  tome  G  du  recueil  AZ,  p.  2(^5.) 

(2)  Le  duc  de  Bouillon  aurait  incliné  vers  ce  parti,  d'après 
La  Huguerye,  MémoireSy  III,  p.  iiO,  et  aussi  d'après  le  récit  du 
recueil  A-Z. 


—  174  — 

dans  rarmée  qui,  à  la  fin  d'août  1587,  quitta  TAlsace  pour 
se  porter  par  Saverne  sur  Phalsbourg  et  Sarrebourg.  Le  30 
août,  eile  était  établie  aux  environs  de  Blâmont,  chef-lieu 
de  canton  de  l'arrondissement  actuel  de  Lunéville  (1). 

Leduc  de  Lorraine,  Charles  III,  était  loin  de  posséder 
les  forces  suffisantes  pour  résistera  cette  invasion  (2).  Sans 
doute,  à  rapproche  du  péril,  il  avait  ordonné  des  levées  en 
Allemagne  et  en  Italie  (3);  mais  il  s'en  fallait  de  beaucoup 
que  ces  nouvelles  troupes  fussent  réunies  et  amenées  en. 
Lorraine.  Heureusement,  il  reçut  des  secours  de  deux  côtés. 
Des  Pays-Bas,  Alexandre  Farnèse  lui  envoya,  par  ordre  du 
roi  d'Espagne,  un  corps  de  cavalerie  de  1,400  lances,  com- 
mandé par  le  marquis  d'Havre,  delà  noble  maison  deCroy, 
et  un  régiment  d'infanterie  sous  les  ordres  du  marquis  de 
Varambon.  De  France, arriva  le  ducdeGuise,  auquel  Henri 
III  avait  confié  un  certain  nombre  de  compagnies  de  cava- 
lerie avec  quelques  arquebusiers.  Le  corps  principal  du 
secours  français  consistait,  d'après  le  témoignage  du  duc 
de  Guise,  en  cinq  cents  lances  qui  faisaient  huit  compa- 
gnies et  une  fraction  d'une  neuvième  :  parmi  les  compa- 
gnies figuraient  celles  du  comté  de  Chaligny  et  du  marquis 
de  Chaussin,  tous  deux  fils  de  Nicolas  de  Lorraine  et  frè- 
res de  la  reine  de  France  (4).  Selon  le  calcul  de  La  Chas- 

(1)  Voir  sur  ce  point  VEphéméride  de  la  Huguerye  (Edit.  de  Laubcs- 
pin,  dans  la  coUeclion  de  la  Société  de  l'Histoire  de  Francel,  et  le 
tome  111  de  ses  Mémoires  (Edit.  de  Kuble,  dans  la  même  collection).  Le 
château  de  BhVmont  fut  sommé  de  se  rendre  A  l'armée  protestante,  mais 
il  n'en  fit  rien. 

(2)  Les  renseignements,  de  source  catholique,  que  je  donne  sur  cette 
campagne,  sont  tirés  principalement  des  lettres  contenues  dans  le  ma- 
nuscrit de  la  Bibliothèque  nationale,  Fr.,  4,73^1  (V'  de  Colbcrl,  n»  iO),  et 
dans  le  récit  précité  de  La  Chastre.  Pour  le  côté  prolestant,  je  me  suis 
servi  des  renseignements  fournis  par  La  Huguerye  et  de  ceux  qui 
sont  contenus  dans  les  divers  récits  publiés  par  M.  de  Laubespin,  en 
appendice  \x  VEphéméride  de  ce  personnage. 

(3)  Dos  le  28  juillet  1587,  le  baron  d'Haussonville,  maréchal  de  Bar- 
rois,  reçut  l'ordre  de  %e  mettre  en  mesure  de  défendre  le  passage  de  la 
Sarre  [Lettres  et  Instructions  de  Charles  III,  p.  3,  note). 

(4)  Les  autres  compagnies  étaient  celles  du  duc  de  Guise,  de  son  fils 


-  173  — 

Ire  (1),  qui  paraît  exact,  toutes  ces  forces  réunies,  lorraines, 
flamandes  ou  françaises,  comprenaient  en  tout  2,400  (ou 
2,500)  lances  et  10,000  arquebusiers.  Encore  faut-il  remar- 
quer que  4,000  de  ces  arquebusiers  étaient  retenus  pour  la 
défenses  des  places.  En  somme,  l'armée  catholique  comptait 
environ  10,000  combattants  qui  devaient  résister  aux 
25,000  soldats  deTarmée  d'invasion. 

La  situation  eût  été  moins  critique  si  le  roi  de  France 
eût  été  résolument  décidé  à  appuyer  Guise  de  toutes  ses 
forces  ;  mais  il  s'en  fallait  de  beaucoup  que  telles  fussent  ses 
dispositions.  C'est  que,  quoiqu'à  cette  époque  Henri  III  fût 
encore,  en  apparence  du  moins,  favorable  aux  catholiques 
et  hostile  aux  réformés,  il  n'en  appréhendait  pas  moins 
comme  un  malheur  le  triomphe  de  Guise  et  de  la  maison  de 
Lorraine.  Aussi  ne  se  souciait-il  nullement  de  ce  que  l'ar- 
mée d'invasion  fût  anéantie  par  un  Guise,  qui  ensuite  ap- 
paraîtrait à  la  nation  comme  un  sauveur.  C'est  pourquoi, 
malgré  les  demandes  incessantes  que  le  duc  de  Guise  (ses 
lettres  en  contiennent  de  nombreux  témoignages),  ne  man- 
qua pas  de  lui  adresser,  Henri  III  laissa  volontairement  le 
contingent  français  sans  argent,  sans  vivres  et  sans  ren- 
forts. Les  dispositions  de  Henri  III  étaient  si  peu  équivo- 
ques que  Schomberg,  qui  les  connaissait,  pouvait  écrire  de 
Nancy,  le  7  septembre,  à  Brûlart,  secrétaire  d'Etat  de 
France  :  «  Le  commun  d'icy  tient  pour  certain  que  personne 
ne  s'ose  trouver  en  ceste  armée,  s'il  veult  avoir  la  bonne 


de  La  Chastre,  du  sieur  de  Rosne  (Chrétien  de  Savigny),  d'AmUise,  de 
Boisdauphin  (qui  arriva  après  les  autres),  du  comte  de  Sevry  ;  Joigncz- 
y  une  partie  de  la  compagnie  du  chevalier  d'Aumale.  Guise  déclare 
lui-m^me  qu'avec  ces  compagnies,  qu'il  «';numère,  il  peut  avoir  .*îOO 
lances  ;  le  duc  de  Lorraine  on  a  500  et  les  Flamands  en  ont  fourni  1,409  ; 
au  total  2,400  lances  (Bibl.  nat.,  Fr.,  4,734,  fol.  294).  En  fait  de  troupes 
françaises.  Guise  avait  encore  300  chevaux  de  la  garnison  de  Cambrai, 
envoyés  par  le  sieur  de  Balagny,  et  deux  régiments  d'infanterie  (Cf. 
Histoire  contenant..,,  fol.6.) 
(1)  Fol.  7  et  s. 


-  176- 

gracedu  Roy  (1)  ».  Se  sentant  mal  soutenu  par  son  puis- 
sant voisin,  le  duc  de  Lorraine  hésite.  Il  sait  qu'il  a  des 
amis  dans  Tannée  protestante  ;  il  n'ignore  pas  que  Jean- 
Casimir,  qui  en  a  fourni  Télément  le  plus  important  et  qui 
y  est  représenté  par  le  baron  Doh  aa,  ne  médite  nullement 
sa  ruine,  ayant  tout  à  perdre  à  la  disparition  du  petit  Etat 
qui  sépare  fort  heureusement  ses  propres  frontières  des 
frontières  françaises  Aussi  Charles  III  se  laisse  aller  à  pen- 
ser qu'il  ferait  mieux  de  conclure  un  arrangement  avec  les 
envahisseurs.  En  leur  assurant  libre  passage,  en  leur 
payant,  au  besoin,  une  somme  d'argent  plus  ou  moins 
considérable,  il  ne  lui  sera  pas  impossible  d'obtenir  qu'ils 
s'abstiennent  à  peu  près  complètement  de  pilleries.  Ainsi 
on  aura  détourné  l'orage  de  la  Lorraine,  dont  la  neutralité 
aura  été  sauvegardée  ;  peu  importe  qu'il  éclate  sur  les 
catholiques  de  France,  dût  leur  roi  enôtrequelquepeuincom- 
modé.  Sous  l'empire  de  ces  idées  qui,  plus  d'une  fois, 
avaient  inspiré  sa  conduite,  le  duc  de  Lorraine,  au  cours 
du  mois  d'août,  entretient  avec  les  chefs  protestants  une 
négociation  où  il  est  représenté  par  le  sire  de  Tantonville 
et  le  baron  d'Haussonville. 

Au  milieu  de  ces  hésitations,  un  homme  parait  toujours 
avoir  vu  clair  et  agi  conformément  à  sa  pensée  ;  c'est  le 
duc  de  Guise.  Chef  des  catholiques  français,  il  n'avait  pas 
à  se  préoccuper  des  scrupules  du  duc  de  Lorraine:  son 
rôle  de  soldat  consistait  à  faire  à  l'ennemi  tout  le  mal 


(1)  Lettre  adressée  de  Nancy,  le  7  soplembre  1587,  par  Schombergau 
secrétaire  d'Etat  Brùlarl.  Schomberg,  que  cet  état  de  ropinion  afflige, 
ajoute  :  a  Que  le  roy  monstre,  à  l'arrivée  de  ceste  armée  (les  huguenots), 
qu'il  en  veult  la  ruine  en  toutes  les  façons  que  l'on  pourra  dire,  et  que 
ce  désir  lui  fait  oublier  toutes  les  autres  considérations  et  passions, 
quelque  Justes  et  bien  fondées  qu'elles  puissent  élre,  il  arreslera  tout 
court  le  mal  qui  menasse  le  royaulmc  du  costé  des  catholiques,  et  se 
préparera  le  chemin  pour  donner  la  paix  i\  ses  subjects  et  à  sa  volonté.  » 
Schomberg  ne  devait  point  obtenir  de  Henri  III  cette  attitude  résolue. 
Sur  les  demandes  de  renforts,  voir  ci-dessous,  p.  178,  note  1 . 


—  177  — 

qu*il  lui  pourrait  faire  (1)  et  à  entraîner  par  son  exemple 
son  cousin  Charles  III.  Réduit  aux  forces  qu'il  commande 
directement,  il  inaugure  la  tactique  qu'il  suivra  avec  tant 
de  succès  pendant  cette  guerre  ;  elle  consiste  simplement 
à  entraver  la  marche  incertaine  et  embarrassée  de  Tennemi 
par  des  attaques  imprévues  et  multipliées.  Dès  le  28  août, 
sans  paraître  s'inquiéter  des  négociations  que  poursuit  en- 
core le  duc  de  Lorraine,  Guise  lance  au  milieu  de  la  nuit 
plusieurs  de  ses  compagnies  contre  le  quartier  du  colonel 
allemand  Bouck  ;  les  reîtres,  mis  en  déroute,  y  perdent 
beaucoup  de  chevaux  (2).  De  leur  côté  les  envahisseurs,  dont 
plusieurs  sont  animés  d'une  violente  haine  contre  le  duc  de 
Lorraine,,  se  comportent  en  maintes  circonstances  comme 
s'ils  étaient  en  pays  ennemi  ;  ils  pillent,  brûlent,  et  mani- 
festent les  dispositions  les  plus  hostiles.  C'est  alors  que 
Charles  111,  cédant  à  l'influence  de  Guise,  et  comprenant 
que  le  moment  de  traiter  était  passé,  et  que,  «  puisque 
desjà  il  avoit  supporté  la  moitié  d'un  si  barbare  traitement, 
pour  estre  l'armée  desjà  au  milieu  de  ses  pais,  Dieu  luy 
feroit  la  grâce  de  supporter  le  reste  »  (3),  envoya  l'ordre  à 
d'Haussonville  de  rompre  les  négociations.  Cet  ordre  fut 

(1)  Des  le  11-21  août  1587,  il  veut  combattre  les  étrangers  «  qui  sont 
fort  piètres  cl  fort  divisés  ».  Lettre  à  Joyeuse  ;  Mémoires  de  Duplessis- 
Mornay  (cdit.  de  182i),  IH,  p.  512. 

(2)  La  Hufçueryc,  Mémoires,  III,  p.  Oi.  L'attaque  fut  menée  par  le 
sieur  de  Rosnc  et  le  capitaine  La  Routto,  gouverneur  de  Marsal.  La 
Uugucrye  prétend,  à  tort  ou  à  raison,  que  cette  attaque  fut  un  coup  de 
(juise  pour  faire  échouer  les  négociations  entamées  par  le  duc  de 
Lorraine.  Il  faut  remarquer  que  ces  surprises  et  ces  affaires  de  détail 
concordent  parfaitement  avec  la  tactique  que  suivit  le  duc  de  Guise 
pendant  toute  cette  campagne.  —  Le  récit  de  cette  affaire  fut  publié 
en  hAte  à  Paris  sous  ce  titre  :  La  défaite  de  trois  cornettes  par  com- 
mandement de  Mgr  te  duc  de  Guise^  Paris,  1587,  in-8°  de  7  pages. 
(L'approbation  des  censeurs  est  du  4  septembre,  le  huitième  jour  après 
l'engagement.)  D'après  cetlo  plaquette  l'affaire  eut  lieu  en  un  village 
entre  Nancy  et  Blàmont  (sans  doute  près  de  Blûmont).  Les  protestants 
auraient  perdu  -M)  hommes  tués,  120  prisonniers,  et  600  chevaux.  Trois 
cornettes  furent  prises,  dont  une  fut  envoyée  au  roi. 

(3)  Eiihèméride,  p.  155. 

12 


—  178  - 

exécuté  le  3  septembre.  A  dater  de  ce  jour,  Charles  III  unit 
ses  forces  et  celles  du  secours  flamand  à  la  petite  troupe 
du  duc  de  Guise. 

Quoique,  par  cette  réunion,  les  ducs  de  Lorraine  et  de 
Guise  se  trouvent  maintenint  en  état  de  mettre  en  ligne  près 
de  10,000  hommes  (1),  il  ne  saurait  être  question  pour  les 
catholiques  de  lutter  en  bataille  rangée  ;  ils  sont  encore 
trop  inférieurs  en  nombre.  Tout  ce  qu'ils  pourront  faire, 
c'est  de  continuer  la  tactique,  inaugurée  par  le  duc  de  Guise, 
qui  consiste  à  côtoyer  Tarmée  prolestante  ((  en  lui  rompant 
ponts,  vivres  et  moulins  (2)  )>,  et  en  lui  faisant  en  détail 
tout  le  mal  possible.  L'avenir  démontrera  que  c'était  le  vrai 
moyen  de  réduire  à  l'impuissance  cette  lourde,  machine, 
tiraillée  en  sens  divers  par  les  divisions  des  chefs  et  par 

(1)  D'ailleurs  on  attend  quelques  renforts.  Les  retires  destinés  à 
Bassompierre  et  ceux  de  Schoinberg  i:ortent  du  Luxembourg  «  pour 
s'acheminer  droit  icy  »,  écrit  Schomberg  au  Roi  le  13  septembre  1587. 
(Bibl.  nat.,  Fr.,  4734,  fol.^  213).  Ce  qui  manque,  ce  sont  les  renforts 
français,  ce  sont  les  vivres,  c'est  l'argent.  Déjà  le  duc  de  Guise  s'en 
plaignait  en  écrivant  au  Roi  le  3  septembre  (fol.  177).  Le  10  septembre, 
il  écrivait  encore  de  Ludres  au  Roi  :  a  Si  vos  troupes  estoient  paiées  et 
eussions  un  équippage  de  vivres,  je  mettrois  mon  honneur  que  dans 
vint  jours  ils  seroient  deflaiz  »  (fol.  293).  Le  20  septembre,  Schomberg 
écrit  au  secrétaire  d'Etat  Brùlart  que  «  les  trouppes  de  M.  de  Guise,  se 
voyants  si  faibles  et  sans  espérance  d'argent  ny  vivres,  se  perdront 
comme  déjà  a  commencé  de  faire  toute  la  compagnie  de  Monsieur  le 
comte  de  Ghaligny  ».  (Ligny,  20  sept.  1587,  ibid.)  On  pourrait  multiplier 
ces  citations  qui  attestent  l'incurie  systématique  de  Henri  III.  Dos  le 
21  août.  Guise  écrivait  toutes  les  heures  pour  demander  des  renforts 
(Duplessis-Mornay,  III,  p.  514).  La  Ghastre  nous  dit  (fol.  4)  que  Guise 
dépensa  du  sien  plus  de  120,000  écus  pour  lever  des  Iroupes  et  les 
défrayer. 

(2)  Ephéméridc,  p.  262.  —  Trois  ans  plus  tard,  dans  une  lettre  dont 
le  destinataire  est  inconnu,  le  duc  de  Mayenne  décrit  bien  la  tactique 
de  Guise.  On  pensait,  écrit-il  à  propos  de  la  campagne  de  la  Fère,  que 
le  roi  de  Navarre  voulait  «imiter  les  exploits  de  feu  M.  de  Guyse  sur  la 
dernière  armée  des  reistres,  et,  ayant  affaire  à  un  si  grand  corps,  si  mal 
aysé  à  ruyner  et  si  embarrassé  à  cause  de  la  quantité  de  chariots  et  de 
bagages,  il  deubt  enfin,  nous  suyvant  de  près  avec  une  armée  légère, 
et  logeant  toujours  depuis  la  Fère  en  nos  derniers  logis,  nous  enlever 
quelqu'un  ou  prendre  tel  advantage  au  passage  des  rivières  que  nous 
y  demeurassions  engagez  avec  quelque  perte  ».  Lettres  du  dite  de 
Mayenne,  lettre  n»  41,  dans  les  Travaux  de  l'Académie  impériale  de 
Reims,  XXIX  et  s. 


—  179  - 

rintliscipliae  des  soldais,  en  môme  temps  que  retardée 
dans  sa  marche,  non  seulement  par  des  pluies  abondantes, 
mais  par  une  artillerie  défectueuse  que  traînaient  des 
équipages  insuffisants. 

Cependant  Tarmée  protestante  continuait  lentement  sa 
marche  en  avant.  Le  l''"  septembre  elle  s'était  avancée  de 
Blàmont  à  Ogéviller  (1)  ;  elle  passa  la  journée  du  2  septem- 
bre aux  environs  de  ce  village.  C'est  alors  que  les  envahis- 
seurs brûlèrent  l'abbaye  de  Domèvre(2),et  détruisirent  un 
village,  Barbézieux,  qui  ne  s'est  pas  relevé  de  ses  ruines. 
Le  3  septembre,  les  protestants  passèrent  la  Meurthe  ;  le 
soir  leur  mouvement  se  prononça  du  côté  de  Fro\ille  et 
Bayon,  de  telle  façon  qu'on  put  voir  qu'ils  abandonnaient 
la  vallée  de  là  Meurthe  pour  celle  de  la  Moselle.  Or  ce 
jour-là  Guise  se  trouvait  à  Nancy,  où  l'on  était  dans 
l'anxiété  sur  la  direction  que  prendraient  les  envahisseurs  ; 
jusqu'alors  ils  avaient  menacé  également  la  vallée  de  la 
Meurthe  et  la  vallée  de  la  Moselle.  Dès  le  soir  du  3,  ou  tout 
ou  moins  dès  le  4  au  matin,  Guise  se  rendit  à  Saint- 
Nicolas  de  Port,  à  la  tôte  des  compagnies  françaises  et  des 
auxiliaires  venus  des  Pays-Bas  (3).  11  s'efforça  immédiate- 
ment (4)  de  reconnaître  la  marche  de  l'ennemi,  qui,  le  4  et 
le  5,   s'attarda   aux   environs  de  Bayon,   employant  ses 

(1)  J'emprunte  ces  rcnsoifçnomcnts  aux  Mémoires  et  à  VEphèméride 
de  La  Hugueryo. 

(2)  La  Huguerye,  Ephéméride,  p.  190  ;  et  abbé  Chatton,  UUloire  de 
Vahbaye  de  Saint-Sauveur  et  Domècre,  p.  140  et  141.  (Domèvre  se 
trouve  entre  BlAmont  et  Ogévillcr.) 

(3)  Voir  ses  lettres  (Bibl.  nat.,  Fr.,  4734,  fol.  177  et  ss.  ;  cf.  La  ChAtre, 
fol.  9  et  ss).  —  Le  4  septembre,  on  lit  i\  ses  troupes  une  distribution  de 
vivres  à  Suint-Nicolas  :  les  troupes  du  Pays-Bas,  commandées  par  le 
marquis  d'Havre,  s'y  trouvaient  avec  lui  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  1212, 
fol.  357  et  ss.  ;  fol.  362).  La  compagnie  du  comte  de  Ghaligny,  qui 
marchait  sous  les  ordres  du  duc  de  (îuise,  reçut  ce  jour-là  410  pains 
(400  pains  avec  le  4  0/0)  et  100  livres  de  viande  de  bœuf. 

(4)  De  Saint-Nicolas,  Guise  essaya  de  surprendre  des  fractions  de 
l'armée  ennemie  ;  il  n'y  réussit  pas,  dit-il,  à  cause  de  la  lenteur  des 
Flamands,  dont  la  Huguerye  écrit  qu'ils  étaient  bien  habillés  et  mal 
montés  {Mémoires^  II,  p.  161). 


—  180  — 

loisirs  à  brûler  Tabbaye  de  Belchamp  (1),  voisine  du  village 
de  Brénioncourt.  Le  0  septembre  Henri  de  Guise  est  arrivé 
à  lire  clairement  dans  le  jeu  de  ses  adversaires.  Il  est  bien 
convaincu  (une  Içttre  qu'il  écrit  au  roi  (2)  ce  jour-là  en 
fournit  la  preuve)  que  les  ennemis  «  tirent  vers  Neufchâ- 
teau  »  ;  il  prévoit  déjà  que  les  partisans  de  la  jonction  avec 
le  roi  de  Navarre  remporteront  dans  les  conseils  des 
protestants,  et  que  Tarmée  buguenote  ira  passer  la  Seine 
aux  environs  de  Chatillon.  Il  en  conclut  naturellement  que 
l'ennemi,  de  Bayon  où  il  se  trouve  cantonné,  se  dirigera, 
après  avoir  passé  la  Moselle,  sur  la  vallée  du  Madon  ;  qu'il 
franchira  cette  rivière  au  pont  de  Pulligny,et  se  portera,  à 
travers  le  comté  de  Vaudémont,  sur  la  vallée  de  la  Meuse. 
Aussi,  dans  la  journée  du  6  septembre,  il  quitte  Saint- 
Nicolas  pour  se  rendre  à  Pont-Saint-Vincent  (3),  où  il 
compte  se  trouver  sur  le  flanc  droit  des  envahisseurs 
lorsqu'ils  se  présenteront  pour  passer  le  Madon.  C'est  à 
Pont-Saint-Vincent  que,  le  7  septembre,  ses  troupes  reçoi- 
vent les  vivres  qui  leur  sont  envoyés  par  l'administration 
lorraine  (4).  En  môme  temps  les  troupes  de  Charles  III 
appuient  le  mouvement  du  duc  de  Guise.  Le  7  septembre 
au  matin  les  compagnies  lorraines  sont  à  Ville  en-Vermois 

(il  Abbé  Challon,  op.  cit.,  p.  140-141. 

(2)  Ponl-Saint-Vinccnl,  6  septembre  1587  :  a  Vos  enDemis  tirent  vers 
NeufchAtoau,  qui  est  le  chemin  que  prit  le  duc  Casimir  (en  1576), 
passant  par  Cliaumont  et  Bar-aur-Aube  pour  aller  au  gay  des  Truchets, 
près  ChAtillon-sur-Seine  ».  Guise  en  est  si  assuré  qu'il  prend  déjà  des 
mesures  pour  faire  «  rompre  »  les  vivres  des  ennemis  du  côté  de 
Chaumont. 

(3)  Il  était  à  Pont-Saint-Vincent  le  6  septembre,  puisque,  ce  jour-là, 
de  ce  bourg,  il  écrivait  à  Henri  III  la  bttrc  citée  ci-dessus.  Les  troupes 
étaient  encore  à  Saint-Nicolas  le  5  septembre  ;  ce  jour-là  la  compagnie 
du  comte  de  Chaligny  y  reçut  de  l'administration  lorraine  200  pains  cl 
100  hvres  de  bœuf.  (Archives  de  M.-ct-M.,  B,  1212,  fol.  358,  \\)  C'est 
probablement  le  0  septembre  au  matin  que  la  petite  armée  de  Guise 
passa  de  Saint-Nicolas  à  Pont-Saint-Vincent. 

(4)  Le  7  septembre,  8.940  pains  sont  distribués  aux  a  soldats  do 
l'armée  de  Mj^r  de  Guise  cslans  au  camp  vers  le  Pont-Saint-Vinccnt  ». 
(Archives  de  M.-et-M.,  B,  1212,  fol.  359,  \\)     . 


-  18i    - 

et  à  Vandœuvre  (1),  d'où,  au  cours  de  la  journée,  elles  se 
dirigent  sur  Neuves-Maisons  et  Pont-Saint-Vincent.  Le  duc 
Charles  en  personne  se  met  en  campagne  ;  en  effet  les  étals 
de  distribution  constatent  la  présence,  le  7,  des  Suisses  de 
sa  garde  à  Vandœuvre  (2),  et  lui-même,  le  soir,  sera  au 
milieu  de  ses  troupes  sur  la  Moselle. 

Le  lecteur  se  rappelle  peut-être  qu'à  Pont-Saint-Vincent 
la  vallée  du  Madon  s'ouvre  sur  la  large  vallée  de  la  Mo- 
selle. Petite  rivière  qui  serpente  dans  les  prairies,  le 
Madon  descend  des  environs  de  Mirecourt,  se  dirigeant  du 
sud  au  nord.  Vers  soù  embouchure,  il  coule  entre  deux 
rangs  de  collines  ;  sa  rive  droite  est  dominée  par  trois 
gros  villages  de  culture  :  Acraignes  (actuellement  Frolois), 
qui  est  le  plus  rapproché  de  Pont  Saint-Vincent,  puis 
Pulligny,  et  enfin  Geintrey.  Il  était  guéable  en  plusieurs 
endroits;  en  outre  il  était  traversé  par  plusieurs  ponts, 
dont  un  était  construit  en  face  de  Pulligny;  enfin,  divers 
moulins  établis  sur  la  rivière  fournissaient  autant  de  pas- 
sages faciles.  Dès  le  6  septembre  au  soir,  ou  tout  au  moins 
dès  le  7  septembre  à  la  pointe  du  jour,  le  duc  de  Guise 
avait  fait  occuper  par  ses  chevau-légers  les  villages  de  Pul- 
ligny et  de  Geintrey  (3).  Lui-même,  le  matin  du  7,  pendant 
que  le  gros  des  troupes  catholiques  se  concentre  sur  Pont- 
Saint-Vincent,  quitte  ce  bourg  avec  une  quinzaine  de  che- 
vaux (4).  11  remonte  la  vallée  du  Madon  en  se  tenant  sur 

(1)  Archives  de  M.-ct-M.,  B.  121i,  fol.  215  et  257. 

(2)  Ibid.,  fol.  257. 

(3)  Peut  6trc  aussi  le  village  d'Acraif^ncs  :  c'est  ce  qui  résulte  do 
VEphémeride  do  La  Uuguerye,  p.  170. 

[^}  J'emprunte  la  plus  grande  partie  des  renseignements  sur  celte 
journée  du  7  septembre  à  la  lettre  écrite  par  le  duc  de  Guise  ù  Henri  ÏII, 
de  Ludres,  le  9  septembre  (document  capital,  encore  inédit,  Bibl.  Nat. 
Fr.  473i.  fol.  287),  et  au  récit  do  La  Chastro,  déjà  mentionné.  Il  faut 
signaler  encore  parmi  les  sources,  outre  les  renseignements  donnés  par 
la  Uuguerye,  le  Mr  oire  de  tout  ce  qui  s'est  fait  et  passé  n  l'armée 
du  roij  de  Na carre  depuis  le  2J  juin  jusqu'au  fS  octobre  /5A7,  au 
tome  G  du  Recueil  A-Z,  p.  201  et  s.  :  In  portion  concernant  la  Lor- 
raine a  été  reproduite  dans  le  recueil  de  Schmit  (Bibl.  do  Nancy,  ms. 


-  182  — 

la  rive  gauche  ;  puis,  au  ponl  de  Pulligny,  il  franchit  la 
rivière  pour  aller  reconnaître  ses  postes  avancés.  Au-delà 
du  village  de  Pulligny,  il  trouve  ses  quatre  compagnies 
de  chevau-légers  en  bataille,  prêtes  à  repousser  une  at- 
taque qu'elles  semblaient  attendre.  Mille  pas  plus  loin, 
près  de  Geintrey,  il  rencontre  un  de  ses  officiers,  le  capi- 
taine La  Routte,  qui,  avec  trente  lances,  se  retirait  devant 
deux  cornettes  de  reitres  accompagnées  de  cinquante  ou 
soixante  lances  tirées  des  compagnies  de  huguenots  fran- 
çais. C'est  que  Tarmée  protestante,  après  avoir  passé  deux 
jours  dans  ses  cantonnements  de  Charmes  et  Bayon,  avait, 
le  matin  môme,  dès  le  petit  jour,  quitté  la  ligne  de  la  Mo- 
selle pour  se  porter  sur  la  vallée  du  Madon  (1).  Vers  sept  ou 
huit  heures,  tandis  que  Tinfanterie  et  Tartillerie  demeu- 
raient empêtrées  dans  les  terrains  détrempés  par  une  pluie 
très  abondante  qui  était  tombée  la  veille,  la  cavalerie  arri- 
vait en  force  à  Geintrey,  qui  était  le  rendez-vous  désigné 
aux  forces  protestantes.  C'est  alors  que  les  avant  postes 
des  catholiques  évacuèrent  ce  village,  non  sans  y  perdre 
quelques  tués  et  quelques  prisonniers,  s'il  faut  en  croire 
La  Huguerye  (2).  Se  rendant  compte  de  la  situation,  le  duc 

559)  ;  ce  récit  parait  avoir  élc  écrit  par  un  partisan  du  duc  de  Bouil- 
lon. Voir  aussi  la  plaquette  Du  passage  et  route  que  tiennent  les  rei- 
tres et  les  Allemands,  étant  repoussés  par  le  duc  de  Lorraine  (Lyon, 
1587  ;  réimprimé  par  Alphonse  Lemerre  en  187:)).  Enfin  il  y  a  lieu  do 
mentionner  une  lettre  inédite  datée  de  Ludros,  le  i)  septembre  la87. 
Cette  lettre  est  anonyme  ;  toais  elle  est  évidemment  l'œuvre  d'un  des 
olTiciers  de  l'entourage  du  duc  do  Ouise.  (Archives  Nationales,  K,  1o6;3, 
B,  ;»8  :  Négociations  entre  la  France  et  l'Kspagne.) 

(1)  On  s'était  proposé  de  brûler  en  passant  le  château  de  Tonnoy  sur 
la  Moselle,  appartenant  au  sieur  de  Rosne,  capitaine  du  duc  de  Guise, 
et  le  château  d'Haroué,  appartenant  au  baron  de  Bassompierre  (le  père 
du  célèbre  maréchal),  capitaine  au  service  de  Lorraine.  La  Huguerye 
raconte  {Mémoires,  III,  p.  12(i)  qu'il  en  détourna  les  reitres  ;  mais  cela 
n'empêcha  pas  que  le  bourj,'  d'IIaroué  fut  brûlé  le  lendemain  Cependant 
il  semble  que  les  huguenots  y  aient  trouvé  de  la  résistance  au  château  ; 
car  l'auteur  de  la  lettre  anonyme  conservée  aux  Archives  Nationales 
dit  à  ce  propos  :  «  Ils  ont  attaqué  la  maison  de  M.  de  Bassompierre, 
où  lis  ont  été  bien  frottés.  » 

(2)  0  Les  ennemis  avoyent  desja  esté  chassez  de  Cintray,   Puligny 


-  183  — 

de  Guise  ordonne  à  tout  son  monde  de  battre  en  retraite, 
et  repasse  le  Madon,  suivi  de  près  par  les  reîtres. 

Arrivé  sur  une  hauteur  qui  domine  la  rivière,  un  peu 
au-dessous  du  pont  de  Pulligny  qu'il  vient  de  franchir, 
Guise  reconnaît  qu'il  n'est  toujours  suivi  que  par  deux 
cornettes  de  reîtres  et  par  soixante  chevaux  français  (1). 
Alors  il  reprend  l'oflfensive  et  les  fait  charger  par  deux 
cents  lances,  qui  les  refoulent  et  «  les  mènent  battans  » 
jusques  au-delà  de  Pulligny,  peut-être  jusques  à  Ceintrey. 
Mais  les  catholiques  ne  pouvaient  songer  à  se  maintenir 
dans  une  position  si  avancée.  Guise  y  demeure,  dit-il,  pen- 
dant une  heure  et  demie,  pour  donner  loisir  à  ses  chevau* 
légers  de  retirer  leur  bagage  ;  puis,  découvrant  des  masses 
importantes  de  cavalerie  ennemie,  il  repasse  le  Madon  sur 
le  pont  de  Pulligny.  A  ce  moment  il  reçoit  des  renforts  que 
lui  amène  son  jeune  cousin  le  chevalier  d'Aumale,  ce  qui 
porte  son  effectif  à  400  lances.  Mais  il  a  à  ses  trousses  sept 
cornettes  de  reîtres  et  300  chevaux  français,  ce  qui  fait 
approximativement  2500  cavaliers  (2). 

C'est  alors  qu'il  envoie  en  hâte  à  Pont- Saint- Vincent 
son  maréchal  de  camp,  La  Ghastre,  pour  y  demander  de 
nouveaux  renforts.   Lui-môme,  pour  échapper  aux  cava- 


et  Acraignc,  n'ayans  pas  eu  loisir  de  manger  ce  qui  estoit  tout   prest 
sur  la  table,  où  plusieurs  furent  tu(^s  ou  prins  »  [Ephémeride,  p.  170). 

(1)  Est-ce  il  ce  moment  que  s'est  produite  dans  la  poursuite  l'hésita- 
tion dont  il  est  question  ii  la  note  suivante  ? 

(2)  Contre  les  affirmations  du  duc  de  Guise  et  de  La  Chastre,  Guitry 
prétend  que  le  fcld-maréchal  RumpIT,  qui  était  k  Ceintrey,  refusa  de 
passer  le  pont  de  Pulligny  à  la  suite  du  duc  de  Guise,  et  laissa  la  pour- 
suite aux  huguenots  français,  sans  les  faire  aider  parla  cavalerie  alle- 
mande {Ephémeride,  p.  485).  11  est  tr^s  difficile  de  se  reconnaître  au 
milieu  des  affirmations  contradictoires  des  chefs  protestants,  profon- 
dément divisés  entre  eux  et  cherchant  ii  rejeter  les  responsabilités 
les  uns  sur  les  autres.  Toutefois  il  me  parait  invraisemblable  de  dire 
que  les  cavaliers  allemands  ne  se  sont  pas  mêlés  à  la  poursuite.  Peut- 
être  la  menèrent-ils  plus  mollement  que  les  Français,  qui  étai'^nt  les 
adversaires  les  plus  acharnés  des  Lorrains  et  de  Guiso. 


-  184  — 

liers  protestants,  s'avise  d*un  stratagème.  Comme  il  pravit 
une  hauteur,  sans  doute  celle  qui  se  trouve  sur  la  rive 
gauche  du  Madon,  un  peu  au-dessus  du  village  deXeuil- 
ley,  il  gagne  quelque  distance  sur  l'ennemi,  dont  les  che- 
vaux fatigués  par  une  longue  course  sont  obligés  de 
ralentir  leur  allure.  Il  en  profite  pour  se  jeter  sur  la  rive 
droite  du  Madon  par  un  gué  où  il  y  avait  un  moulin  :  il 
laisse  dix  ou  douze  arquebusiers  pour  défendre  ce  moulin. 
Qui  fut  étonné  ?  Ce  furent  les  huguenots  quand,  parvenus 
au  haut  de  k  colline,  ils  ne  retrouvèrent  plus  leurs 
ennemis.  Bientôt  ils  les  virent,  de  loin,  qui  se  retiraient 
sur  la  rive  droite  du  Madon.  Pour  les  atteindre,  ils  vou- 
lurent forcer  le  passage  du  moulin  :  mais  les  arquebusiers 
s'y  firent  tuer  jusqu'au  dernier,  vendant  chèrement  leur 
vie,  ((  et  donnant  ainsi  par  leur  perte  au  sieur  de  Guyse  le 
temps  de  gagner  plus  de  chemin  (1)  )). 

A  ce  moment  La  Chastre,  qui  était  allé  bride  abattue  jus- 
qu'à Pont-Saint-Vincent,  en  revenait  avec  sa  compagnie 
pour  dégager  son  maître.  Il  l'aperçut  bientôt  sur  l'autre 
rive  du  Madon  ;  dès  lors  il  était  inutile  de  poursuivre  l'ex- 
pédition. Comme  Guise,  La  Chastre  se  mit  en  retraite, 
talonné,  lui  aussi,  par  cinq  cornettes  de  reîlres.  «  Et  luy 
d'un  côté  et  moy  de  l'autre,  écrit  le  duc  de  Guise,  nous 
fîmes  la  retraite  sans  jamais  avancer  plus  que  le  fort  petit 
pas,  faisant  halle  de  quart  d'heure  en  quîtrt  d'heure  à  la 
teste  de  chaque  petit  valon  et  coing  de  boys,....  sans  que 
jamais  personne  s'osast  desbander  pour  m'attaquer,  n'aïant 
perdu  goujat,  charrette,  ne  un  seul  homme  (2)  ».  A  quatre 
heures  du  soir.  Guise  regagna  ses  quartiers  de  Pont-Saint- 
Vincent  en  franchissant  encore  une  fois  le  Madon.   La  rc- 

(1)  La  Chastre,  fol.  14. 

(2)  Lettre  (le  Guise  au  Roi,  datée  de  Ludres,  le  9  septembre  1587  (Fr. 
4734,  fol.  287).  Ce  témoignage  n'est  pas  confirmé  par  tous  les  docu- 
ments. Par  exemple,  le  récit  du  Recxieil  A-Z  (p.  200)  dit  que,  au  cours 
de  cette  retraite,  Guise  perdit  un  certain  nombre  de  ses  Albanais. 


—  183  -^ 

traite  qu'il  venait  d'exécuter  (ut  unanimement  louée  comme 
une  haute  prouesse.  La  renommée  s'en  empara,  et  Bran- 
tôme l'enregistra  comme  un  modèle  dans  le  livre  qu'il 
consacra  aux  «  Retraictes  de  guerre  (1)  ». 

Cependant  la  cavalerie  protestante  qui  avait  poursuivi 
Guise  et  La  Châtres'étaitralliéesurla  rivedroite  du  Madon, 
dans  des  prairies  assez  proches  de  Pont-Saint-Vincent. 
Elle  tenta  alors  defranchir  le  Madon  à  gué  ;  mais  les  arque- 
busiers catholiques  arrêtèrent  cette  tentative,  d'ailleurs 
assez  mollement  menée.  On  a  dit  et  écrit,  du  côté  protes- 
tant (2),  que  si  l'infanterie  suisse  ne  se  fût  pas  attardée, 
plus  ou  moins  volontairement,  les  envahisseurs  eussent 
pu,  dès  le  soir  du  7,  forcer  le  passage  du  Madon  et  rem- 
porter sur  les  catholiques  une  victoire  décisive.  Le  succès, 
a-ton  ajouté,  eût  été  d'autant  plus  facile  que  toutes  les 
troupes  du  duc  de  Lorraine  n'avaient  pas  pénétré  dans 
Pont-Saint-Vincent.  11  y  en  avait  de  l'autre  côté  de  la  Mo- 
selle, auxquelles,  pour  arriver  en  ligne,  il  eût  fallu  fran- 
chir cette  rivière  à  gué  et  défiler  dans  les  rues  étroites  du 
bourg.  Heureusement  pour  les  catholiques,  l'infanterie 
adverse  était,  elle  aussi,  trop  éloignée,  et  d'ailleurs  peu 
pressée  de  combattre  ;  môme  les  cavaliers  allemands 
étaient  beaucoup  moins  ardents  à  la  lutte  que  les  cava- 
liers d'origine  française.  Soit  par  aveuglement,  soit  par 
calcul,  le  duc  de  Bouillon,  commandant  en  chef,  avait 
suivi  son  infanterie,  sans  paraître  se  préoccuper  du  com- 
bat de  cavalerie  qui  se  déroulait  sur  les  bords  du  Madon. 
C'est  ainsi  que  les  protestants  laissèrent  échapper  l'occa- 
sion d'anéantir  l'armée  des  ducs  de  Lorraine  et  de  Guise, 
si  tant  est  que  l'occasion  s'en  soit  réellement  présentée. 

(1)  Œuvres  do.  Brantôme  (édit.  Lalanne),  VII,  p.  296  et  s.  —  Cf.  De 
Thon,  liv.  LXXXVII,  8.  —  Branlùmp  et  De  Thou  ont  utilisé  comme 
source  le  récit  do  La  Chastrc,  ainsi  que  le  fait  remarquer  l'éditeur  de 
Brantôme. 

2)  Far  exemple  Guitry,  Ephèméride^  p.  485  (appendice). 


-  186  - 

A  la  fin  de  la  journée  du  7  septembre,  les  deux  armées 
se  trouvaient  en  face  Tune  de  Tautre,  séparées  seulement 
par  le  Madon.  Il  semblait  que  les  catholiques  fussent  dis- 
posés à  défendre  énergiquement  le  passage  de  la  rivière, 
que  les  protestants  comptaient  sans  doute  enlever  de  vive 
force.  Mais  les  chefs  de  Tarmée  catholique  étaient  parfai- 
tement résolus  à  éviter  toute  lutte  décisive  (1)  ;  comprenant 
d'ailleurs  qu'ils  n'étaient  pas  en  mesure  d'empêcher  leurs 
adversaires  de  franchir  la  rivière,  ils  retirèrent,  ce  soir 
môme,  le  gros  de  leurs  troupes  du  voisinage  immédiat  du 
Madon.  La  cavalerie  catholique  dut  se  porter  sur  la  colline 
de  Sainte-Barbe,  qui  domine  Pont-Saint-Vincent.  L'infan- 
terie fut  logée  sur  la  pente  de  cette  colline,  bien  postée 
pour  la  défensive,  parmi  les  haies,  les  chemins  creux,  les 
noyers  et  les  vignes,  prête  d'ailleurs,  s'il  le  fallait,  à  battre 
en  retraite  à  travers  les  forêts  qui  couvraient  le  plateau 
Sainte-Barbe  et  se  prolongeaient  jusqu'aux  portes  deToul. 
On  ne  laissa  sur  le  Madon  que  quelques  postes  d'arquebu- 
siers et  plusieurs  centaines  de  lances.  Chacun  passa  la  nuit 
sous  les  armes,  sansqu*on  permit  aux  soldats  de  se  retirer 
dans  les  cantonnements.  Sur  la  rive  droite  du  Madon,  les 
protestants  avaient  laissé  de  forts  avant-postes,  en  contact 
presque  immédiat  avec  les  avant-postes  catholiques  de  la 
rive  gauche  :  mais  leurs  troupes,  à  la  différence  des  catho- 
liques, s'étaient  retirées  dans  des  cantonnements.  Le  duc  de 
Bouillon  logeait  au  château  d'Acraignes  ;  le  comte  de  La 
Marck,  son  frère,  avec  la  cavalerie  française,  était  établi  ù 
côté  du  château,  dans  les  maison^  du  village.  Le  baron  de 
Dohna  avait  pris  ses  quartiers  à  Pulligny  ;  ses  reltres 
étaient  partagés  entre  Pulligny  et  Ceintrey.  L'infanterie  et 

(1)  Ils  n'en  prenaient  pas  moins  les  précautions  nécessaires  pour  être 
en  mesure  do  lutter.  Us  envoyèrent  k  Vandœuvre,  le  7  septembre,  un 
messager  pour  hâter  l'arrivée  des  munitions  qui  y  étaient  réunies  ;  le 
même  jour,  ils  envoyèrent  un  autre  messager  à  Neuves  Maisons,  pour 
presser  «  les  charrettes  de  la  munition  qu'estoient  audit  lieu  ».  (Archi- 
ves de  M.-et  M.,  B.,  1212,  fol.  416,  V.) 


-  -  187  - 

Tartillerie  occupaient  en  partie  ces  villages,  en  partie  d'au- 
tres cantonnements  en  arrière  de  cette  ligne. 

Le  8  septembre,  à  deux  heures  du  matin,  la  diane  son- 
nait dans  les  deux  camps.  Dès  la  pointe  du  jour,  qui  pro- 
mettait une  belle  et  claire  journée  d'automne,  le  duc  de 
Guise  inspecta  les  postes  de  la  rive  du  Madon,  d'où  il  put 
bientôt  apercevoir  en  face  de  lui,  sur  le  plateau  d'Acrai- 
^es,  le  duc  de  Bouillon  qui  faisait  sa  prière  en  tête  des 
cornettes  de  huguenots  français.  Il  semblait  que  Tattaqué 
dût  se  produire  immédiatement.  Mais  les  reîtres  mirent 
fort  peu  d'empressement  à  abandonner  leurs  cantonne- 
ments de  Pulligny  et  de  Ceintrey  ;  c'est  à  peine  si,  à  neuf 
heures,  ils  avaient  rejoint  le  duc  de  Bouillon  (1).  L'infan- 
terie suisse,  plus  lente  encore,  ne  parut  pas  avant  midi. 
Quant  à  l'infanterie  fournie  par  les  huguenots  français,  elle 
avait  employé  les  premières  heures  de  la  journée  à  brûler 
le  domaine  d'Haroué,  appartenant  à  Christophe  de  Bassom- 
pierre,  un  des  capitaines  du  duc  de  Lorraine  ;  or,  il  y  a 
quatre  bonnes  lieues  de  Haroué  à  Pont-Saint  Vincent  (2). 
Ainsi,  jusqu'à  midi,  tout  se  borna  à  de  simples  escarmou- 
ches, ou,  comme  l'écrit  le  duc  de  Guise,  à  des  «  charges  et 
recharges  »  vers  les  passages  du  Madon.  Entre  midi  et 
deux  heures,  les  protestants  se  décidèrent  à  accentuer  leur 
mouvement  ;  ils  forcèrent  deux  moulins  (probablement 
celui  de  Bainville  et  le  moulin  dit  Neuf-Moulin),  et,  tant 
par  les  moulins  que  par  les  gués,  passèrent  le  Madon  sans 
rencontrer  d'opposition  sérieuse.  A  la  vérité,  lorsque 
l'avant-garde  traversa  la  rivière,  le  duc  de  Guise  crut  avoir 
le  temps  de  l'écraser  avant  qu'elle  pût  être  secourue  par  le 
corps  de  bataille  ;  pour  tenter  ce  coup,  il  envoya  quérir  la 
cavalerie  flamande.  Mais  les  gendarmes  du  duc  de  Parme 
n'arrivèrent  pas,  soit,  comme  ledit  le  duc  de  Guise,  à  cause 

(i)  Ephèwéride,  p.  486. 

(2)  La  Uug^ui^vyo,  Mémoires,  Ul,  p.  142;  Eplièméhde,^.  183;Bassoin- 
pierre,  Journal  de  ma  vie,  I,  p.  40.  Cf.  ci -dessus,  p.  182,  note  1. 


—  188  — 

deleurlenteur,soitplulùl,commerindique  La  Châtre,  parce 
que  le  duc  de  Lorraine  et  les  autres  chefs  de  l'armée  catho 
lique  crurent  prudent  de  les  retenir  (1).  Les  protestants 
purent  donc,  après  avoir  triomphé  de  la  faible  résistance 
que  leur  offrirent  quelques  postes,  se  ranger  en  bataille 
sur  la  rive  gauche  du  Madon,  en  face  des  positions  occu- 
pées par  rinfanterie  catholique,  dont  ils  étaient  séparés  par 
un  faux  ruisseau.  Tout  donne  à  penser  que  le  terrain  où  Hs 
étaient  massés  correspond  à  peu  près  à  la  route  actuelle  de 
Neufchûleau,  à  Tendroit  où  elle  se  sépare  de  la  vallée  du 
Madon  pour  se  diriger  vers  le  couchant.  Ils  firent  alors 
mine  de  tenter  une  attaque  générale  :  on  les  vit  se  présen- 
ter en  ordre  de  bataille,  rinfanterie  traînant  les  piques, 
Tartillerie  au  front,  tandis  que  les  trompettes  sonnaient 
force  fanfares.  Mais,  comme  rien  ne  bougeait  sur  les  pen- 
tes de  la  colline,  ils  se  bornèrent  à  tirer  neuf  ou  dix  volées 
de  neuf  petites  pièces  d'artillerie,  auxquelles  les  catholi- 
ques répondirent  avec  leurs  mousquets  ;  il  se  fit  alors  trois 
ou  quatre  charges  de  cavalerie  sans  grand  effet.  Après 
quelque  temps  les  prolestants  firent  retraite  ;  le  gros  de 
leurs  troupes  rentra  dans  leurs  quartiers  de  la  nuit  précé- 
dente, c'est-à  dire  à  Acraignes,  à  Pulligny  et  à  Ccintrey  ;  à 
coup  sûr,  ils  gardèrent  fortement  les  passages  du  Madon  et 
occupèrent  Bainville  sur  la  rive  gauche. 

(1)  «  Sur  les  deux  heures  après-midy,  ils  commencèrcnl  à  passer  et 
moy  à  me  retirer  pour  mettre  nos  trouppes  en  leur  ordre.  Toute  leur 
armt^e  passa  et  se  veint  melre  plus  près  de  nous  que  ne  feirent  de  Vos- 
tre  Majesté  les  ennemys  à  Ja/.eneul.  (Sur  cet  épisode  de  Jaseneuil  en 
Poitou,  qui  se  produisit  au  cours  des  campagnes  du  duc  d'Anjou  en 
1;568,  voir  les  èlémoires  de  Castelnau,  livre  Vil,  ch.  2.\  Nous  veismes 
arriver  iousles  leurs  forces,  et,  si  les  compagnies  de  Flandres  n'eus- 
sent été  un  peu  embarrassées  h  la  place  de  bataille,  de  sorte  (ju'ils  ne 
peurenl  venir  si  tost  que  je  les  demanday  à  Mons'  de  I^oi  raine,  — 
lequel  on  ne  peult  empescher  d'y  venir  le  matin,  -—  nous  eussions  com- 
battu leur  avant-garde  avant  que  la  bataille  y  feust  arrivée  »  (Guise 
au  Roi,  de  Ludres,  î)  septembre  lo87i.  Voir  le  récit  un  peu  divergent 
de  La  Cbastre,  <tp.  cit.^  fol.  17.  De  la  lellre  anonyme  écrite  de  Ludres 
le  9  septembre,  je  tire  les  détails  qui  suivent.  Bien   qu'on   fût  h  por- 


—  189  — 

Les  catholiques  s'étaient  bornés  à  surveiller  et  à  conte- 
nir Tennemi,  sans  avoir  tenté  de  Teinpôcher  de  franchir  le 
Madon.  Dès  la  soirée  du  8  septembre,  la  portion  principale 
de  leur  armée  se  retira  sur  la  rive  droite  de  la  Moselle. 
Cependant,  un  détachement  demeura  à  Pont-Saint- Vincent, 
sous  les  ordres  de  La  Chastre,  lieutenant  du  duc  de  Guise. 
Neuves-Maisons  abrita  des  troupes,  au  nombre  desquelles  se 
trouvait  le  régiment  flamand  du  marquis  de  Varembon  (1)  ; 
le  duc  de  Guise  prit  ses  quartiers  à  Ludres  (2)  ;  des  troupes 
lorraines  se  retirèrent  jusqu'à  Vandœuvre  (3),  tandis  que 
d'autres  compagnies  appartenant  à  l'armée  ducale  occupè- 
rent le  village  de  Chaligny,  qui  eut  l'honneur  de  donner 
l'hospitalité  à  Charles  III  (4).  Ce  mouvement  de  retraite  ne 

téc  d'arquebuse,  rarlilleric  des  protestants  ne  tua  qu'un  seul  homme 
aux  catholiques.  «  U  y  eust  de  grandes  escarmouches,  où  néant- 
moins  je  ne  pense  pas  qu'il  soit  demeuré  d'une  part  ou  d'aultre  cin- 
quante soldats  ;  quant  aux  petites  charges  et  attaques  qui  se  firent  à 
cheval,  on  fist  (siC,  pour  vist)  bien  tomber  de  leur  costé  (du  côté  des 
protestants),  et  tient-on  pour  certain  que  Mouhy  {sic)  y  eust  la  chambe 
(sic)  rompue  d'une  arquebusade.  De  nostre  costé  Messieurs  de  Salerne 
et  de  Vaudargcnt,  qui  sont  deux  gentilshommes  suivant  Monseigneur 
(de  Guise),   furent   bien   blessés  ;    néantmoins   on   espère   qu'ils  n'en 

mourront  pas La  plus  gentille  charge  qui  se  fist,   ce  fust  de  six 

soldats  des  gardes  de  Monseigneur,  lesquels  allèrent  attaquer  six  lan- 
ciers, et  se  meslèrent,  ayant  tiré  leurs  arquebuses  parmy  eux,  à  coups 
d'espée,  et  en  tuèrent  deux,  dont  Us  ramenèrent  leurs  chevaulx,  sans 
rien  perdre.  »  (Archives  Nationales,  K,  1565  ;  B,  58). 

(i)  Le  il  septembre,  1610  pains  sont  délivrés  aux  troupes  du  mar- 
quis de  Varembon,  «  estans  aux  Nœufmalsons  »•  (Archives  de  M.  et-M., 
B,  1212,  fol.  373.) 

(2)  C'est  de  là  qu'il  adressa  le  9  septembre  à  Henri  III  ia  lettre  citée 
ci-dessus  qui  Tinforme  des  événements. 

(3)  Le  9  septembre,  il  y  a  des  troupes  lorraines  à  Vandœuvre  ;  entre 
autres,  les  compagnies  de  Lenoncourt,  d'Artigotly,  de  Belmont,  de  Ville, 
d'Haussonville,  etc.  (Archives  de  M.-ctM.,  B,  1212,  fol.  259  et  328.) 

(4)  «  Rapporte  semblablemont  ledict  de  HoudreviUe  (receveur  de 
Noufchâteau)  quatre  francs  six  gros  pour  despense  qu'il  a  faite,  luy 
deuxième  de  personnes  et  deux  chevaulx,  en  venant  do  Ncufchàleau 
à  Challigny  devers  S.  Altesse  pour  recevoir  ses  commandemcnsen  faict 
de  vivres.  » 

Le  même  personnage  mentionne  aussi  une  dépense  de  quatre  francs 
six  gros  pour  son  retour  de  Chaligny  k  Neufchâteau,  où  il  fut  renvoyé 
«  de  l'ordonnance  verbale  de  S.  A.  i.   (Archives  de  M.-et-M  ,   B,  1212, 


—  190  - 

se  fit  pas  avec  un  ordre  parfait  ;  une  note,  due  à  la  plume 
de  comptables  malheureux,  nous  en  fournit  la  preuve. 
«  Lesdits  comptables  (c'étaient  ceux  qui  étaient  chargés 
d'approvisionner  les  troupes  lorraines)  couchent  en  dépense 
la  quantité  de  huit  mil  pains  qu'à  la  fuitte  du  Pont  Saint- 
Vincent  feurent  prins  par  les  soldats  aux  chartiers  qui  les 
conduisoient  au  magasin  de  Challigny  (1),  qui  ne  sceurent 
avoir  descharge,  et  la  plus  grande  partie  duquel  vol  fut 
fait  en  la  présence  de  Son  Altesse  retournant  de  la  cam- 
pagne». L'incident  qui  émut  tant  les  comptables  s'était 
donc  placé  vraisemblablement  à  la  fin  de  la  journée  du  8, 
quand  Charles  îll  se  retira  de  Pont  Saint-Vincent  sur  Neu  • 
ves  Maisons  et  Chaligny. 

Si  quelques  mouvements  tumultueux  se  produisirent, 
ils  furent  vile  apaisés.  Il  n'en  est  fait  aucune  mention  dans 
la  lettre  que,  de  son  quartier  de  Ludres,  le  duc  de  Guise 
écrivit  le  9  septembre  à  Henri  III  pour  lui  rendre  compte 
des  événements  des  jours  précédents  (2).  A  son  récit,  qu'il 
établit  de  concert  avec  Schomberg,  Montberault,  La  Chas- 
tre  et  Bassompierre,  il  ajoute  ces  mots  :  «  Les  ennemis  se 
sont  resserrez,  que  toute  leur  armée  ne  tient  que  quatre 
logis,  qui  m'empesche  de  rien  entreprendre,  encore  que  je 
sois  jour  et  nuit  à  cheval,  et  que  tout  le  long  du  jour  nous 
nous  regardions.  Depuis  quatre  jours  que  j'ai  écrit  à  Votre 
Majesté,  ils  ne  se  sont  avancés  que  d'une  lieue  et  demie  (3), 
et  nos  trompettes  et  tambours  s'oyent  facilement,  et  à 

fol.  415).  Il  ost  donc  incont(^stable  que  Charles  III  a  séjourné  à  Chali- 
gny, sans  doute  avec  ses  gardes  suisses  et  des  compagnies  lorraines 

(1)  «  Nota  :  Qu'il  y  cust  huit  chars  envoyez  par  les  commis  de  Nancy 
tant  aux  Neufves-Maisons  qu'à  Chailligny,  sur  lesquels  il  pouvoit  y 
avoir  quelque  huit  milz  pains  qui  feurent  prins  par  lesdits  soldats,  sans 
que  les  chartiers  en  eussent  peu  tirer  acquit.  Mesinenient  demeu- 
rairent  les  dits  chars  à  la  campagne,  s'eslans  les  dits  chartiers  enfuys 
avec  leurs  chevaulx.  »  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  121?,  fol.  359,  v'.) 

(2)  C'est  la  lettre  indiquée  ci-dessus,  p.  180. 

(3)  Guise  fait  erreur  ;  il  y  a  plus  de  trois  lieues  de  Bayon  i\  Ceintrey. 


—  191  — 

toute  heure  avons  des  prisonniers,  principalement  des 
lansquenets  .et  valets  de  reîtres,  que  nous  prenons  sur  les 
bords  de  leur  quartier,  où  j'ai  jour  et  nuit  de  petites 
troupes.  )) 

Dans  Tarraée  prolestante,  hommes  et  chevaux  étaient  fort 
éprouvés  par  la  fatigue  et  le  mauvais  temps  ;  aussi  ne  bou- 
gèrent-ils de  leurs  cantonnements  avant  le  11  et  le  12  sep- 
tembre (1).  Cependant,  si  peu  désireux  qu'ils  parussent, 
au  début  de  ce  séjour,  de  sortir  des  villages  où  ils  étaient 
établis,  il  leur  fallait  trouAcr  des  vivres  (2);  aussi  ne  tardè- 
rent-ils pas  à  se  répandre  dans  la  région  voisine  pour  four- 
rager et  marauder.  La  Huguerye,  qui  alla  le  9  septembre  à 
Vézelise  (3),  raconte  que  la  ville  était  remplie  de  Suisses 
qui  s'y  gorgeaient  de  vin  ;  les  principaux  habitants  s'en 
étaient  retirés  pour  chercher  un  asile  dans  la  forteresse  de 
Vaudémont,  d'où  aucun  ordre  des  capitaines  protestants 
ne  put  les  faire  sortir.  On  devine  que  les  catholiques  ne 
manquaient  pas,  quand  ils  en  avaient  l'occasion,  de  faire 
main  basse  sur  les  maraudeurs.  La  Chastre  (4),  ayant 
appris  que  Maizières  et  un  village  voisin,  qui  est  sûre- 
ment Viterne,  étaient  encombrés  de  Suisses,  de  lans- 
quenets et  de  reîtres,  pour  la  plupart  en  état  d'ivresse, 

(1)  La  Huguerye  {Ephéméride^  p.  196)  dit  que  l'armée  quitta  Cein- 
Ircy  le  11  septembre.  Cependant,  le  13  septembre,  Schomberg  écrit  de 
Toul  au  roi  que,  «  vendredi  soir  »  (c'est-à-dire  le  11  septembre  au  soir), 
M.  de  Guise  a  surpris  les  Suisses  en  deux  moulins  sur  le  Madon. 
(Bibl.  nat.,  Fr.,  4734,  fol.  213  ;  voir  ci-dessous,  p.  192.)  Il  semble  donc 
nécessaire  d'admettre  que  le  mouvement  se  fit  en  deux  jours. 

(2)  L'auteur  de  la  lettre  anonyme  datée  de  Ludres,  9  septembre, 
mentionne  aussi  que  les  ennemis  sont  fatigués  et  fort  gênés  par  le 
manque  de  vivres.  «  Nous  les  tenons  si  serrés  qu'ils  ne  se  peuvent 
guère  élargir  pour  vi\re  ny  pour  brûler.  »  En  réalité,  ils  pillèrent  et 
brûlèrent,  mais  au  midi  de  la  ligne  qu'ils  suivaient.  Au  nord,  ils  en 
étaient  empêchés  par  l'armée  catholique. 

(3)  Ephéméridey  p.  183.  <•  Geste  petite  ville  au-dessoubs  do  Vaudé- 
mont )}  dont  évidemment  La  Huguerye  a  oublié  le  nom,  ne  peut  être 
que  Vézelise. 

(4)  Histoire  contenant...,  fol.  19. 


-  192  -^ 

tomba  sur  eux  avec  sa  compagnie,  en  tua  un  grand  nom- 
bre et  en  prit  quelques-uns.  Cela  ne  découragea  pas  les 
autres,  qui  appréciaient  fort  le  vin  du  pays  ;  le  lendemain 
ils  y  revinrent  en  grand  nombre.  Le  duc  de  Guise,  averti 
de  l'aventure,  voulut  «  se  donner  sa  part  du  plaisir  »  ; 
quittant  son  quartier  de  Ludres,  il  franchit  la  Moselle  et 
arriva  par  les  bois,  au-dessus  de  Maizières,  mais  si  tard 
que  les  maraudeurs  s'étaient  déjà  retirés.  Au  moins  eut-il 
la  satisfaction  de  surprendre  des  partis  de  Suisses  et  de 
lansquenets  en  train  de  moudre  le  grain  dans  deux  moulins 
du  Madon  ;  il  en  tailla  quelques  uns  en  pièces  et  jeta  les 
meules  dans  la  rivière  (1). 

Le  H  septembre,  l'armée  protestante,  après  avoir  vécu 
quatre  jours  sur  le  pays,  commença  de  décamper.  Un  con 
seil  de  guerre  réuni  à  Ceintrey  avait  décidé  que  Ton  gagne 
rait  la  vallée  de  la  Meuse,  sauf  à  trancher  définitivement, 
quand  on  y  serait  parvenu,  la  question,  toujours  contro- 
versée, de  savoir  si  l'on  se  dirigerait  ensuite  vers  Sedan 
ou  vers  la  haute  Seine  (2).  Conformément  à  cette  résolu- 
tion, les  protestants  marchèrent  par  Germiny  et  Colom- 
bey  les-Belles  sur  les  deux  Barisey,  sis  au  cœur  du  Toulois. 
Ceux  qui  n'étaient  pas  partis  le  il  septembre  (3)  durent  se 
mettre  en  route  le  12,  si  bien  que  les  environs  de  Pont- 
Saint-Vincent  et  de  Vaudémont  furent  délivrés  de  leur 
présence.  Le  12  au  soir,  le  gros  des  envahisseurs  était 
arrivé  sur  la  Meuse  ;  ils  établissaient  leur  camp  entre 
Vaucouleurs  et  Pagny-la- Blanche  Côle  (4).  L'armée  c^tho- 

(1)  Lettre  de  Schomberp  au  roi,  daUHi  de  Toul,  13  septembre.  «  Il 
(le  duc  de  Guise)  fit  jelter  les  meules  dans  la  rivière,  qu'est  le  remède 
le  plus  seur.  Car  ils  (les  ennemis)  portent  des  fers  de  toute  grandeur 
pour  racoustrer  les  moulins,  mais  les  meules,  quand  elles  sont  humi- 
des, ne  peuvent  moudre,  et  principalement  le  bled  nouveau.  » 

(2)  Suivant  le  parti  adopté,  on  se  réservait  de  marcher  sur  Bar  et 
Sedan,  ou  de  prendre  le  chemin  de  la  Champagne. 

(3)  Voir  ci-dessous,  p.  193. 

<i)  Je  suis  les  indications  de  La  Huguerye  dans  son  Ephémèride.  Le 
13   septembre,   il    est  certain  que  les  protestants  sont  cantonnés  u  à 


^  193  — 

lique,  qui  était  demeurée  dans  ses  quartiers  pendant  que 
les  protestants  gardaient  les  leurs,  se  mit  en  mouvement 
en  môme  temps  qu'eux,  c'est-à-dire  le  12  septembre  ; 
abandonnant  Pont-Saint  Vincent,  Neuves-Maisons  (1), 
Vandœuvre,  Ludres  et  Chaligny,  les  soldats  des  ducs  de 
Lorraine  et  de  Guise  suivirent  la  route  qui  conduit  à  Toul 
par  Villey-le  Sec{2).  Le  12  septembre  au  soir^le  quartier  du 
duc  de  Lorraine  était  établi  au  faubourg  Saint-Mansuy  (3); 
Tannée  tout  entière  était  réunie  aux  environs  de  Toul. 

C'est  lorsque  les  protestants  quittèrent  Vaucouleurs  que 
se  produisit  le  mouvement  décisif  qui  jeta  leur  armée  dans 
la  direction  des  vallées  de  la  Seine  et  de  la  Loire  Le  13  sep- 
tembre, ils  étaient  à  Baudignécourt,  sur  TOrnain,  et  le  17 
aux  environs  de  Joinville  (4).  Guise,  qui  ne  les  lâchait  pas, 

Taillancourt,  Paigny  et  autres  lieux  le  long  de  la  Meuze,  en  descen- 
dant à  Vaucouleur  ».  (P.  197.)  Ce  Pagny  ne  peut  donc  être  que  Pagny- 
la-Blanche-Côte,  qui  est  au-dessus  de  Vaucouleurs,  et  non  Pagny-sur- 
Meuse,  qui  est  au-dessous.  Si,:i  la  page  pri^cédentc,  La  Huguerye  parle 
de  Pagny-sur-Meuse,-  c'est  sans  doute  qu'U  commet  une  confusion.  Le 
duc  de  Bouillon  «  allait  droit  »  de  Barisey  k  Pagny-la- Blanche-Côte,  et 
non  à  Pagny-sur-Meuse.  La  lettre  de  Schombcrg  au  roi,  du  13  sep- 
tembre, confirme  le  récit  do  La  Huguerye  ;  d'après  cette  lettre,  les  pri- 
sonniers ramenés  en  ce  jour  annoncent  que  l'ennemi  loge  à  Vaucou- 
leurs. (Bibl.  nat.,  Fr.,  A73t,  fol.  213  et  s.). 

(1)  Les  troupes  du  marquis  de  Varembon,  qui,  le  11  septembre, 
reçurent  leurs  vivres  à  Neuves-Maisons,  se  trouvaient  le  12  septembre 
au  faubourg  de  Saint-Mansuy-16s-Toul.  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  1212, 
fol.  373.) 

(2)  Le  compte  que  j'ai  bien  des  fois  cité  mentionne  le  a  chemin  de 
Challigny,  proche  d'un  bois  »  ;  ce  chemin  conduit  à  Dommartin-les- 
Toul.  Ce  doit  être  le  chemin  allant  de  Chaligny  à  Dommartin  par  Vil- 
ley-le-Sec. 

(3)  On  a  dit  ci-dessus  que  les  troupes  des  Pays-Bas  (marquis  de 
Varembon)  étaient  à  Saint-Mansuy.  Des  compagnies  lorraines  étaient  à 
Dommartin.  Un  troupeau  do  bœufs  passait  dans  C3  village,  où  étaient 
logés  les  soldats  de  M.  d'Artigotty.  «  Passant  ledit  troupeau  proche 
d'un  bois  sur  le  chemin  de  Challigny  »,  les  soldats  prennent  et  tuent 
doux  bœufs.  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  1212,  fol.  387.) 

(4)  La  compagnie  commandée  par  le  comte  de  Chaligny  semble  avoir 
laissé  à  désirer  au  cours  de  cette  guerre.  Dans  une  lettre  de  Schom- 
berg  à  Brulart,  datée  de  Ligny,  20  septembre  1587,  Schomberg  émet 
l'avis  que,  lorsque  les  protestants  seront  sortis  de  son  territoire,  M.  de 

13 


—  194  — 

abandonna  la  ligne  de  Toul  à  Paris  pour  suivre  la  vallée  de 
la  Saulx,  d'où  il  vint  à  Joinville  pour  y  menacer  la  marche 
de  Tennemi.  Nous  n'avons  plus  à  raconter  les  opérations 
des  deux  armées  ;  ce  que  j'en  ai  dit  suffit,  je  crois,  pour 
expliquer  les  mouvements  de  troupes  dont  le  comté  de 
Chaligny  et  la  région  voisine  furent  le  théâtre  du  6  au  13 
septembre  1587  (1). 

Le  comté  de  Chaligny  ne  fut  pas,  à  cette  époque,  insulté 
par  les  ennemis  de  la  Lorraine.  Pont  Saint^Vincent  et  les 
autres  villages  qui  le  composaient  ne  furent  occupés  que 
par  les  troupes  catholiques.  Est-ce  à  dire  qu'aucune  exac- 
tion n'y  fut  commise  ?  Je  n'oserais  me  porter  à  ce  point  le 
garant  de  la  vertu  des  soldats  de  Guise,  de  Charles  III  et 
du  duc  de  Parme.  Toutefois  les  faits  qu'on  put  avoir  à 
regretter  n'ont  qu'une  très  médiocre  importance  auprès 
des  dévastations  que  supportaient  les  populations  qui 
subissaient  le  passage  de  l'armée  protestante.  Déjà  au  mois 
d'août,  de  nombreux  actes  de  pillage  avaient  été  commis 
dans  les  états  de  Charles  III.  Ce  fut  bien  autre  chose  en 
septembre.  Dans  la  lettre  qu'il  écrivit  de  Toul  à  Henri  III, 
le  13  septembre  1587,  le  lendemain  du  jour  où  les  hugue- 
nots avaient  passé  de  Barisey  à  Vaucouleurs,  Schomberg 
s'exprime  en  ces  termes:  «Ils  mettent  le  feu  indifférem- 
ment à  toutes  les  maisons  des  gentilshommes,  abbayes, 
bourgades  et  villages  d'où  ils  délogent,  et  partout  ailleurs 
où  ils  peuvent  entrer.  Hier,  en  marchant.  Monsieur  de 

Lorraine  se  retirera,  qu'il  emmènera  les  Flamands,  cl  que  a  les  troup- 
pes  de  M.  de  Guise,  se  voyant  si  faibles  et  sans  espérance  d'argent  ny 
vivres,  se  perdront  comme  déjà  a  commencé  do  faire  toute  la  compa- 
gnie de  Monsieur  le  comte  de  Chaligny  ».  (Bibl.  nal.,  Fr.,  4734.) 

(1)  Je  ne  discute  pas  les  récriminations  réciproques  des  huguenots 
français  et  des  cavaliers  allemands,  qui  se  sont  mutuellement  rendus 
responsables  de  n'avoir  pas  écrasé  l'ennemi  ù  Pont-Saint-Vincent. 
L'armée  protestante  était  divisée,  indisciplinée,  mal  commandée  ; 
l'armée  catholique,  presque  trois  fois  moins  nombreuse,  était  biendlrigée 
et  savait  ce  qu'elle  voulait.  Celle-ci,  à  la  longue,  eut  raison  de  celle-là. 
La  victoire,  qu'en  fin  de  compte  Guise  remporta  sur  Bouillon,  atteste, 
une  fois  de  plus,  qu'à  la  guerre,  il  y  a  d'autres  facteurs  que  le  nombre. 


—  193  - 

Lorraine  vit  dix-huit  grands  villages  en  feu.  Ils  ont  brûlé 
une  maison  au  baron  d'Haussonville  et  treize  villages  d'une 
terre  au  sieur  de  Bassompierre  (1).  La  noblesse  de  ce  pays 
fait  désespérer  M.  de  Lorraine  par  leurs  plaintes  et 
doléances  de  ce  qu'il  n'a  voulu  accorder  le  passage  libre 
aux  ennemis.  Tout  le  peuple  crie  à  M.  de  Lorraine  ven- 
geance de  M.  de  Bouillon  et  de  son  armée,  lui  offrant  le 
reste  de  leurs  biens  et  leurs  vies.  Il  leur  a  prorais  et  juré 
tout  haut  qu'il  perdra  sa  vie  et  celle  de  ses  enfants,  ou  il 
leur  donnera  contentement  de  ce  côté  là  (2)  ».  Le  même 
jour  Charles  III  écrivait  à  Catherine  de  Médicis:  a  Quant  à 
l'armée  des  ennemis  qui  est  par  deçà,  elle  n'épargne  le  feu 
par  où  elle  passe,  et  ne  sont  aucuns  villages  où  ils  abor- 
dent qui  ne  brûlent,  et  puis  assurer  Votre  Majesté  qu'il 
n'a  jamais  passé  une  armée  qui  ait  fait  tant  de  cruautés  que 
celle-ci  (3)  ». 

La  vengeance  des  Lorrains  et  de  leurs  amis  ne  se  fit  pas 
attendre.  Quelques  mois  plus  tard,  le  duc  de  Guise  et  ses 
alliés  guettaient  les  reîtres  qui,  au  retour  de  leur  inutile 
expédition  en  France,  avaient  à  traverser  le  comté  de 
Montbéliard,  appartenant  à  un  prince  protestant,  Frédéric 
de  Wurtemberg.  Les  troupes  du  duc  mirent  ce  petit  état 
à  feu  et  à  sang.  Cette  terrible  exécution,  dont  un  ouvrage 
récent  fait  connaître  les  détails  (4),  doit  être  considérée 
comme  les  représailles  des  pillages  et  des  broiements 
commis  en  Lorraine  par  l'armée  du  duc  de  Bouillon. 

(1)  Probablement  Haussonvillo,  très  voisin  dos  cantonnements  des 
rcttres  h  Bayon,  et  sûrement  Uaroué. 

(2)  Bibl.  nat.,  Fr.  4734,  fol.  213.  On  lit  aussi  dans  un  des  récits  con- 
temporains cités  plus  haut  {i)u  passage  et  route  que  tiennent  les 
rcitres...,  p.  8)  à  propos  de  la  Lorraine  :  «  l*ar  les  endroisls  où  ilz 
ont  passé,  ont  ruiné,  desmoly  et  bruslé  plusieurs  villages,  granpfes  et 
mélayries,  et  mis  à  mort  plusieurs  hommes,  femmes  et  petits  en- 
fants ».  Ils  ne  laissaient  pas  la  paille  pour  coucher,  emmenaient  blés, 
vins,  bœufs  et  chevaux  et  défonçaient  les  muids  de  vin  sur  place  pour 
laver  les  pieds  de  leurs  chevaux. 

(3)  Bibl.  nat..  Fr.  4734,  fol.  2VS. 

(4)  Tuetey,  ouvrage  cité  ci-dessus,  p.  173,  note. 


—  196  — 

La  Lorraine  revit  encore  les  reltres  en  1S91,  lorsqu'ils 
traversèrent  un  coin  du  duché  pour  rejoindre  Tarméede 
Henri  IV  dans  la  région  des  Ardennes.  La  lutte  éclata 
alors  du  côté  de  Verdun.  Tout  porte  à  croire  que  les  trou- 
pes étrangères  n'eurent  pas  à  descendre  assez  bas  vers  le 
midi  de  la  Lorraine  pour  atteindre  le  comté  de  Chali- 
gny  (1).  Désormais,  pendant  plus  de  quarante  ans,  ce 
pays  jouit  d'une  paix  que  le  fracas  des  armes  ne  devait 
guère  troubler. 

(1)  Cette  fois  les  habitants  du  comté  de  Chaligny  ressentirent  de 
cette  guerre  un  elTct  bienfaisant.  Elle  donna  du  travail  à  quelques- 
uns  d'entre  eux.  On  lit  en  elTct  dans  un  compte  de  1591-1592  :  A 
Gaspard  Lallement,  a  prévost  au  Pont  Saint- Vincent  et  comté  de 
Chaligny  »,  146  francs,  1  gros,  8  deniers,  pour  «  plusieurs  subjets  dn 
comté  qui  ont  fait  et  fourny  mil  et  deux  (sic)  mannes  »,  autrement 
paniers  à  deux  anses,  pour  servir  à  la  suite  de  l'armée,  à  raison  de 
1  gros  douze  deniers  par  panier,  marché  fait  par  ce  prévôt.  (Archives 
de  M.-et-M.,  B^  1227,  fol.  211;  le  mandement  du  duc,  ordonnant  le 
paiement,  est  du  13  Juillet  1591.) 


CHAPITRE  V 

Le  comté  de  Chaligny  au  XVII^  et  au  XVIIP  siècle 
1610  1789. 

SOMMAIRE 

I.  —  François  de  Lorraine,  comte  de  Vaudômont,  comte  de  Chaligny. 

If.  —  Vaudémont  et  sa  famille  à  Pont-Saint-Vincent. 

IH.  -—  Les  chasses  du  comté.  —  La  répression  du  braconnage. 

IV.  —  Gouvernement  de  François  de  Lorraine.  —  Le  haras  de  Pont- 
Saint-Vincent.  —  Rectification  du  cours  de  la  Moselle.  —  Travaux 
entrepris  pour  la  construction  d'un  pont  de  pierre  ;  échec  de  ces 
travaux. 

V.  —  La  sorcellerie  dans  le  comté  de  Chaligny. 

VI.  —  Mort  de  François  de  Lorraine.  —  Nicolas-François,  comte  de 
Chaligny.  —  La  guerre  dans  le  comté  |i635). 

VII.  —  Les  malheurs  de  la  guerre  dans  le  comté  de  Chaligny.  —  Ruine 
complète  du  pays. 

VIII.  —  Le  comté  sous  l'administration  française.  —  Restitution  du 
comté,  en  1652,  k  Nicolas-François.  —  Mort  de  Nicolas-François 
(1670). 

IX.  —  Le  comté  suit  le  sort  de  la  Lorraine  :  il  est  séquestré  par  la 
France.  —  Arrêt  de  la  Chambre  de  réunion  portant  réunion  de 
Chaligny  à  la  couronne  de  France.  —  Chaligny  et  le  comté  sont 
cependant  restitués  au  duc  Léopold  lors  du  traité  de  Ryswiclc 
il698).  —  Le  comté  de  Chaligny  uni  à  la  Lorraine.  —  Formation 
éphémère  du  comté  de  Guise  (1716-1729).  —  Abolition  de  la  prévôté 
de  Pont-Saint-Vincent.  —  Prospérité  du  pays. 

I 

Le  nouveau  maître  du  comté  de  Chaligny  (1)  était  le 
personnage  le  plus  considérable  de  la  Lorraine  après  le 

(1)  Le  prix  d'achat  de  la  terre  de  Chaligny  ne  fut  pas  payé  tout  de 
suite  h  la  duchesse  de  Mcrcœur.  En  1614,  Vaudémont  devait  encore 
57,200  1.  tournois,  dont  il  servait  l'intc^rét  ;  il  payait  environ  6  V«.  Il 
en  était  de  même  en  1615  (Archives  de  M.-ot-M.,  B,  1364  et  1367).  —  Ce 
ne  fut  que  le  2  mai  que  François  de  Lorraine  fil  hommage  à  son  frère 
et  lui  prétii  serment  de  fidélité  pour  sa  nouvelle  ucquisilion  (Archives 
de  M.-et-M.,  B,  599,  n*  40.  Cf.  L.  Germain,  Pont-Saint-Vincent,  p.^il). 


—  198  - 

duc  Henri  II,  son  frère  aîné.  Fils  puîné  du  duc  Charles  III, 
issu  par  sa  mère,  Claude  de  France,  de  la  dynastie  des 
Valois,  François  de  Vaudémont  avait,  dès  Tannée  1397, 
obtenu  la  main  d'une  noble  et  riche  héritière,  Christine, 
fille  de  Paul  de  Salm,  baron  de  Brandebourg  (1).  Christine 
n'apportait  point  seulement  à  son  époux  les  biens  qui  lui 
venaient  de  son  père,  elle  y  joignait  la  succession  de  son 
oncle  Jean  IX,  comte  de  Salm,  baron  de  Viviers  et  de 
Ruppes  ;  c'est  ainsi  qu'une  moitié  du  comté  de  Salm  passa 
dans  la  maison  de  Lorraine,  et  que  Badonviller  devint 
l'un  des  séjours  du  fils  du  duc  Charles  lïl.  En  1S99,  Fran- 
çois de  Vaudémont  fit  une  autre  acquisition,  celle  du  do- 
maine de  Turquestein.  En  lOOS,  à  la  mort  de  son  père,  il 
recueillit,  conformément  au  testament  du  défunt,  outre 
divers  droits  et  rentes  dont  le  plus  important  était  une 
rente  de  vingt-quatre  mille  écus  sur  riIôlel-de-Ville  de 
Paris  (2),  des  domaines  immobiliers,  parmi  lesquels  figu- 
raient la  baronnie  de  Monthureux-sur-Saône  et  la  terre  de 
Hattonchâtel,  érigée  pour  lui  en  marquisat  (3).  C'est  dans 
la  longue  série  des  titres  que  lui  avaient  valus  ces  diverses 
acquisitions,  qu'en  1610,  il  introduisit  le  titre  de  comte  de 
Chaligny  (4). 
Tous  ces  biens  constituaient  déjà  une  fortune  considé- 

(i)  Le  contrat  de  mariage  date  du  12  mars  1:>07  (dom  Calmct,  2* 
édit.,  V,  col.  8;)d).  Sur  ce  mariage,  qui  fut  célébré  le  lii  avril,  cf.  le 
mémoire  du  baron  Fréd.  Scillière  :  Partage  du  comté  de  Salm^  dans  le 
Bulletin  de  la  Société  philomatiquc  vosgienne,  1893-1894. 

(2)  En  réalité,  Vaudémont  était  titulaire  d'une  quantité  considérable 
de  rentes  françaises,  soit  sur  les  villes,  soit  sur  le  clergé.  Voyez  par 
exemple  le  compte  de  sa  maison  pour  161o  (Arch.  de  M.-et-M.,  B,  1367), 
et  toute  la  série  des  comptes. 

*  (3)  Dom  Calmet,  2«  édit.,  IV,  col.  893.  Par  le  testament  de  Charles  lII, 
Vaudémont  reçut  en  outre  les  terres  et  seigneuries  de  Clermont  et  de 
Creil  en  Beauvoisis,  avec  ll/t38  1.  tournois  de  rentes  sur  Orléans  ;  la 
terre  de  Ghoiseux,  celle  de  Gond  recourt  en  Bassigny,  la  seigneurie  de 
Demanges-aux-Eaux  et  divers  autres  droits. 

(4)  En  1G15,  François  portait  les  titres  suivants  :  marquis  de  Hatton- 
châtel, comte  de    Vaudémont  (ce  titre  était  purement   nominal),  de 


—  199  — 

rable  ;  mais  Vaudémont  sut  encore  se  procyrer  d'autres 
ressources.  Il  était,  pour  le  compte  du  roi  de  France,  gou- 
verneur des  villes  de  Toul  et  de  Verdun,  conformément  à 
Tune  des  clauses  du  traité  de  1595  (1).  Cela  lui  valait 
un  traitement  de  6,000  livres  (2)  ;  en  môme  temps  le  Trésor 
royal  lui  servait  une  pension  annuelle  qui,  fixée  à 
18,000  livres  sous  Henri  IV,  lut  doublée  à  Tavènement  de 
Louis  XIII  (3),  époque  où,  grâce  à  Marie  de  Médicis,  les 
princes  lorrains  virent  pour  quelque  temps  s'accroître 
leur  influence  à  la  cour  de  France  (4).  Malheureusement, 
ces  pensions  fournies  par  le  Trésor  français  n'étaient  pas 
toujours  régulièrement  payées.  Aussi  François  de  Vaudé- 
mont s'était-il  adressé  ailleurs.  En  1600,  il  avait  accepté 
de  la  République  de  Venise  le  commandement  de  ses 
troupes,  à  charge  de  les  conduire,  en  cas  de  guerre,  contre 
tout  ennemi,  quel  qu'il  fût  ;  il  devait  recevoir  à  ce  titre,  de 
la  Sérénissime  République,  une  pension  annuelle  de 
12,000  ducats  (5).  Cette  convention  mit  Vaudémont  dans  un 
cruel  embarras,  lorsque  la  guerre  faillit  éclater  entre  le 

Salm  (par  moiliê)  et  de  Chaligny,  baron  de  Vivier,  Ruppes,  Brande- 
bourg, Turqiioslein  et  Monthureux-sur-Saône  (Archives  de  M.-et-M.,  B, 
1368, et  passim). 

[i)  Il  en  prit  possession  à  Verdun  en  avril  1596  (dom  Calmet,  2'»  édlt., 
VU,  col.  140). 

(2)  Cette  pension  avait  été  accordée  à  Vaudémont  par  Henri  IV  en 
15^5,  quand  le  roi  était  devant  la  Fère.  Elle  ne  fut  payée  pour  la  pre- 
mière fols  qu'en  1604  (B,  1339). 

(3)  En  1611,  I^rançois  de  Lorraine,  comte  de  Vaudémont,  avait  droit 
à  une  pension  de  36,000  livres  de  tournois,  payable  sur  le  siour  Abolly, 
receveur  général  de  Limoges.  En  réalité,  il  ne  toucha  que  3'*,000  livres 
(Archives  de  M.-et-M.,  B,  1336).  En  16i4,  la  pension  de  36,000  livres  fut 
payée  ;  en  outre,  Vaudémont  toucha  la  pension  de  6,000  livres,  qui  lui 
avait  été  octroyée  par  Henri  IV  (B,  1364,  fol.  24).  De  1615  à  1618,  il 
ne  toucha  rien  ;  en  1610,  il  reçut  quelque  chose  de  sa  pension  (B, 
1408). 

(4)  En  juin  1610,  la  régente  accorda  des  lettres  de  naturalité  ii  Fran- 
çois de  Lorraine,  comte  de  Vaudémont,  lieutenant  général  et  gouver- 
neur de  Toul  et  V^erdun,  à  sa  femme,  à  leurs  enfants  Henri,  Charles, 
Nicolas  et  Henriette. 

(5)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  1280,  fol.  13.  François  de  Lorraine  por- 


—  200  — 

pape  Paul  V-el  les  Vénitiens.  Quel  scandale  si  l'armée  des- 
tinée à  combattre  le  Pontife  suprême  eût  été  dirigée  par 
un  membre  de  celle  maison  de  Lorraine,  connue  par  son 
attachement  à  la  foi  catiiolique  !  La  paix  conclue  en  1607 
entre  le  Pape  et  les  Vénitiens  mit  fin  aux  angoisses  de 
Vaudémont,  ainsi  qu'à  sa  pension  ;  désormais  la  Répu- 
blique s'adressa  ailleurs  pour  trouver  des  chefs  à  son 
armée. 

Du  vivant  de  son  père,  François  de  Vaudémont  avait  été 
employé  à  diverses  missions.  En  1598,  c'est  lui  qui  fut 
chargé  par  son  père  d'aller  à  Vaudrevange  pour  y  saluer 
au  passage  l'archiduc  Albert,  gouverneur  des  Pays-Bas  ; 
en  1599,  il  conduisit  sa  sœur  Antoinette  au  duc  de  Juliers 
et  de  Glèves,  auquel  elle  avait  été  mariée  (1).  En  1606,  il 
était  à  Paris  (2)  au  moment  où  se  poursuivaient  les  négo- 
ciations relatives  au  mariage  que  son  frère  aîné,  l'héritier 
présomptif  de  Lorraine,  se  préparait  à  contracter  avec 
Marguerite  de  Gonzague,  nièce  de  Marie  de  Médicis  ;  il 
assista,  à  Fontainebleau,  au  baptême  de  Louis  XllI  ;  peu 
de  temps  après,  il  était  envoyé  en  Angleterre  auprès  du 
roi  Jacques  I^^  (3).  Si,  pendant  les  premières  années  de  la 
régence  de  Marie  de  Médicis,  François  de  Vaudémont, 
comme  son  frère  Henri  II,  semble  conformer  sa  conduite 
à  la  politique  de  la  cour  de  France  (4),  il  n'en  ira  pas  de 

lait  le  litre  de  général  des  Tramonlains.  —  Cf.  dom  Calmet,  2*  édil., 
V,  col.  872  et  s. 

(1)  Dom  Calmet,  2«  édit.,  V,  col.  856. 

(2)  Ibid.,  col.  873. 

(3)  Archives  de  M.-et-M.,  B,  1298. 

(4)  On  a  dit  plus  haut  (p.  199)  que  la  pension  qui  lui  était  fournie 
par  le  Trésor  royal  avait  été  doublée  d  s  les  premiers  temps  de  la 
Régence.  En  1615,  François  de  Lorraine  envoya  des  gens  pour  recon- 
naître les  troupes  hostiles  au  roi,  qui  passaient  en  Champagne,  vers 
Vitry  ;  sa  compagnie  de  gardes  alla  rejoindre  les  troupes  royales  du 
côté  de  ChAlons  (Cf.  Archives  de  M.-et-M.,  B,  1367,  fol.  88  et  89).  La 
présence,  en  France,  des  compagnies  de  Lorraine  et  de  Vaudémont  est 
mentionnée  dans  le  Jotwnal  de  wa  riV,  de  Bassompierre  (édlt.  de  la 
Société  de  l'Uistoire  de  France).  II,  p.  13. 


—  201  — 

même  quelques  années  plus  tard.  En  1620,  Vaudémont, 
général  de  la  Ligue  catholique  en  Allemagne,  s'occupe 
de  lever  des  troupes  pour  le  service  de  la  cause  dont 
il  est  un  des  représentants  les  plus  qualifiés,  tandis  que  le 
duc  Henri  II  se  trouve  dans  la  nécessité  de  garder  la  neu- 
tralité, peut-être  pour  ne  pas  compromettre  la  sécurité  de 
ses  états,  peut-être  aussi  pour  éviter  de  heurter  les  sus- 
ceptibilités de  la  politique  française  (1).  Tant  y  a  que, 
tandis  que  Vaudémont  recrute  librement  des  soldats  dans 
son  comté  de  Salm  (2),  il  suit  une  ligne  de  conduite  diflé- 
rente  à  Chaligny,  qui  relève  de  la  Lorraine  ;  là  il  est  obligé 
de  faire  défense  à  ses  sujets  «  de  prendre  les  armes  ny 
s'enroller  pour  qui  que  ce  soit  (3)  )). 

Au  surplus,  les  habitants  du  comté  de  Chaligny  avaient 
pu  entendre  le  récit  d'un  fait  qui  s'était  passé  non  loin  de 
leurs  villages,  trois  ans  plus  tôt  (en  1617),  et  qui  montrait 
à  quel  point  la  discorde  divisait  les  deux  frères  :  je  veux 
parler  de  la  mort  de  Lutzelbourg,  ambassadeur  de  Henri  II, 
qu'avait  assassiné  vers  le  gué  de  la  Moselle,  à  Méréville, 
un  homme  dévoué  à  Vaudémont.  On  sait  qu'à  ce  moment, 
Vaudémont  aspirait  à  obtenir  la  main  de  Nicole,  la  fille 
aînée  de  son  frère,  pour  Charles,  l'aîné  de  ses  fils,  tandis 
que  Henri  II  prétendait  marier  Nicole  au  baron  d'Ancer- 
ville,  bâtard  du  cardinal  de  Guise.  Le  conflit  ne  se  dénoua 
qu'en  mai  1621  :  à  cette  époque  le  jeune  Charles,  le  futur 

(1)  Voir  celte  poUliffue,  résumée  dans  Dareste,  Histoire  de  France^ 
V,  p.  64. 

(2)  Ciilmel,2'  édit.,  VI,  p,  ;>0. 

(3)  1620.  Compte  do  la  gruerle  du  comté  de  Chaligny  :  18  gros  payés 
à  Bastien  Mulnicr,  «  messager  à  Monseigneur,  pour  la  journée  qu'il  a 
emploiée  pendant  les  troubles  derniers  des  gens  de  guerre,  ix  aller  par 
les  villages  dudit  comté,  faire  dcfTcnce  de  par  Monseigneur,  à  toutes 
personnes,  de  prendre  les  armes  ny  s'enrollcr  pour  qui  ce  soit  ». 
(Archives  de  M  -et -M.,  B,  3928).  Je  dois  dire  que  mon  inlerprétaUon 
de  ce  texte  n'est  qu'une  conjecture,  qui  me  semble  assez  vraisembla- 
ble, n  est  certain  que  la  Ligue  catholique  avait,  en  1620,  essayé  do 
faire  des  lovées  en  Lorraine  iBassompierre,  Journal  de  ma  vie,  II, 
p.  158  et  la  note  3). 


—  202  — 

Charles  IV,  épousa  Nicole,  tandis  qu'au  baron  d'Ancer- 
ville,  élevé  au  rang  de  prince  de  Phaisbourg,  fut  accordée 
la  main  de  Henriette,  Tune  des  filles  de  Vaudémont.  Les 
comptes  attestent  qu'à  cette  date,  Christine  de  Salm,  com- 
tesse de  Vaudémont,  vint  passer  quelques  jours  au  château 
de  Pont-Saint-Vincent  (1)  ;  à  entendre  dom  Calmet,  elle 
s'était  retirée  de  la  cour  pour  mieux  manifester  le 
mécontentement  que  lui  faisait  éprouver  la  mésalliance 
imposée  à  sa  fille  Henriette  (2;.  Si  cette  version  est  exacte, 
et  elle  est  fort  vraisemblable,  il  faut  reconnaître  que  Chris- 
tine ne  fut  pas  plus  heureuse  dans  ses  protestations  que 
jadis  ne  Pavait  été  la  duchesse  de  Mercœur,  quand  elle 
voulut  empêcher  le  mariage  de  sa  fille  avec  César  de  Ven- 
dôme. 

Plus  tard,  après  la  mort  de  Henri  11,  Vaudémont  fut  pour 
quelques  jours  proclamé  duc  de  Lorraine,  au  mépris  du 
principe  de  la  succession  féminine  ;  c'est  ainsi  qu'il  figure 
dans  la  liste  des  ducs  sous  le  nom  de  F'rançois  II.  Ce  n'est 
pas  ici  le  lieu  de  suivre  les  vicissitudes  de  la  carrière  de 
ce  personnage  :  j*ai  hâte  de  me  renfermer  dans  l'étude  de 
son  rôle  à  Chaligny. 

Il 

Un  fait  distingue  nettement,  dans  l'histoire  du  comté  de 
Chaligny,  la  période  du  comte  de  Vaudémont,  de  celle  du 
second  duc  de  Mercœur.  Celui-ci  n'avait  guère  habité  la  Lor- 
raine, et  sa  veuve  n'y  demeura  pas  davantage  ;  tout  porte  à 
croire  que  depuis  la  mort  du  premier  duc  de  Mercœur,  sur- 
venue en  1577,  jusques  à  1610,  le  château  de  Pont-Saint- 
Vincent  fut  presque  complètement  abandonné  par  ses  maî- 
tres. Au  contraire,  Vaudémont  résidait  habituellement  en 
Lorraine  ;  il  y  menait  grand  train,  comme  on  peut  s'en  assu- 

(1)  Archives  do  M.-ct-M.,  B,  3942. 

(2)  Dom  Calmel,  2*  édil.,  VI,  col.  32. 


-  203  — 

rer  en  parcourant  la  très  intéressante  série  des  comptes 
de  sa  maison,  conservée  aux  Archives  de  Meurthe  et- 
Moselle.  Presque  tous  les  ans,  surtout  pendant  la  période 
de  IGIO  à  1620,  il  s'établissait  pour  quelque  temps  avec 
sa  petite  cour  à  Pont-Saint-Vincent,  parfois  en  août  ou 
septembre,  parfois  au  printemps,  sans  parler  des  brefs 
séjours  qu'il  y  faisait  volontiers  lorsqu'il  se  rendait  à  son 
château  d'Autrey,  sis  à  deux  lieues  de  Pont-Saint-Vincent, 
sur  la  rive  gauche  du  Madon  (l). 

Les  documents  laissent  entrevoir  ce  que  fut  Vaudémont 
comme  comte  de  Chaligny.  11  se  montre  à  nous  comme  un 
propriétaire  diligent,  qui  administrait  son  domaine  en  bon 
père  de  famille.  Chaque  année  sont  mentionnées  des  répa- 
rations aux  immeubles  ou  des  acquisitions  de  mobilier. 
Nous  savons  qu'on  tenait  en  bon  élatrle  vieux  bâtiment  du 
château  de  Pont-Saint- Vincent,  aussi  bien  que  le  pavillon 
neuf,  œuvre  des  Mercœur,  dont  on  remarquait  la  façade 
avec  ses  ordres  de  colonnes  et  la  toiture  surmontée  d'or- 
nements en  forme  de  vases  (2),  qui  faisaient  contraste 
avec  les  créneaux  des  antiques  tours  du  premier  château  ; 


(1)  Voici  quelques  renseignements  sur  ces  séjours.  En  août  1611, 
séjour  de  Monseigneur,  de  Madame  et  de  «  leurs  trains»  au  château  do 
Pont-Saint-Vincent  (Archives  de  M.-et-M.,  B,  1337,  1338,  3926).  En  juin 
1612,  Madame  est  au  château.  En  1613,  Mosseigneurs  (Vaudémont 
et  son  fils  aîné  Charles,  le  futur  Charles  IV)  habitent  Pont-Saint- 
Vincent  du  27  septembre  au  27  novembre  (B,  3969).  En  1615,  le  compte 
dr  gruerie  atteste  la  présence,  au  château,  du  comte  de  Vaudémont 
(B»  3971).  En  1616,  le  comte  et  la  comtesse  dtnont  à  Pont-Saint- Vincent 
le  2Î)  juillet,  lorsqu'ils  se  rendent  à  Autrcy  ;  ils  y  séjournent  en  sep- 
tembre (B,  3973).  En  1617,  le  comte  et  la  comtesse  s'y  trouvent  au 
mois  de  juillet  (B,397i).  En  mal  1618,  Vaudémont  y  séjourne  ;  on  juin, 
il  est  à  Autroy  ;  en  août,  il  revient  au  Pont.  A  cette  année,  nous 
trouvons  la  mention  :  c  fagots  pour  une  disnée  que  Madame  fist  au 
Pont  »  (B,  3975).  En  1620,  les  comptes  attestent  la  présence  au  châ- 
teau, do  Monseigneur,  de  Madame,  et  de  a  leurs  trains  »  (B,  3978)  ; 
Madame  s'y  trouve  en  mai  1621,  i\  la  veille  des  mariages  de  son  fils 
Charles  et  de  sa  fille  Henriette  (B,  39i2).  On  l'y  retrouve  encore  en 
1622  (B,  398i),  en  162i  (B,  3986),  en  1626  (B,  3989). 

(2)  Comptes  do  1620  et  de  16i9  (B,  3980  et  ; 


—  204  — 

à  ce  pavillon  neuf  donnait  accès  une  large  avenue  précé- 
dée d'une  porte,  au-dessus  de  laquelle,  en  1620,  on  plaça 
riiorloge  qui,  jusqu'alors,  se  trouvait  au  vieux  château  (1). 
Le  «  grand  jardin  »  (2),  avec  ses  berceaux  et  ses  haies 
taillées,  n'était  pas  négligé  ;  plus  d'une  fois  il  en  est  fait 
mention  dans  les  comptes,  grâce  auxquels  nous  savons,  en 
particulier,  que  les  allées  étaient  sablées  avec  soin  (3).  Les 
comptes  nous  apprennent  aussi  que  ((  Madame  »,  en  bonne 
ménagère,  s'occupait  elle-même  de  l'entretien  de  la  literie, 
et  ne  dédaignait  pas  de  passer  des  marchés  pour  la  confec- 
tion des  matelas  (4}.  Il  y  avait  d'ailleurs  au  château  de  Pont- 
Saint-Vincent  des  pièces  de  mobilier  plus  nobles.  Plusieurs 
appartements  étaient  garnis  de  tapisseries  (5)  ;  on  voyait 
dans  la  «  sallette  »  trente-quatre  peintures,  consistant 
pour  la  plupart  en  portraits,  qu'en  4G18,  un  peintre  de 
Vézelise,  du  nom  de  Nicolas  Mély,  fut  chargé  de  «  relaver, 
nettoyer,  reteindre  et  dorer  (6)  »,  travail  qui  lui  fut  payé 

(1)  B,  3978. 

(2)  On  y  allait  par  un  pont,  jcl(^  sur  un  fossé  du  château  (B,  3926). 
C«  jardin,  qu'on  appelait  le  jardin  de  Monseigneur,  ne  doit  pas  ^tre 
confondu  avec  un  petit  jardin  sis  îi  l'intérieur  du  chAteau.  Le  nom  de 
«  grand  jardin  »  subsiste  encore  au  cadastre  de  Pont-Salnl-Vincent. 

(3)  E.\emple  dans  le  compte  de  1626  (B.  3990). 

(4)  En  i6i3,  un  ouvrier  déclara  avoir  reçu  10  francs  et  6  gros  pour 
«  avoir  deffait  onze  matlelas  (dont  sept  fort  petits),  et  avoir  battu 
toute  la  bourc  d'yceux,  et  desdicls  onze  j'en  ai  faicl  sept  tout  ncu.x, 
de  marché  faict  par  Madame  à  17  gros  l'un,  qui  font  9  francs  et  11 
gros  ».  On  compte,  en  outre,  7  gros  pour  la  fourniture  des  houppes 
(B,  3932).  D'autres  textes  attestent  que  la  comtesse  s'occupait  beau- 
coup de  son  ménage.  Pour  le  mobilier,  elle  s'adresse  à  de  simples  arti- 
sans de  PontSaint-Vincent,  par  exemple,  au  menuisier  Vosgien.  En 
1613,  elle  fait  acheter  à  la  foire  de  Saint-Jean,  tenue  à  Saint-Nicolas 
de  Port,  de  la  futaine  grise  et  30  aunes  de  toile  grise  pour  faire  des 
matelas  (B,  3932). 

(5)  D^s  1611,  on  fait  reconnaître  les  tapisseries  du  chAleau,  qui  pro- 
venaient sans  doute  des  anciens  propriétaires  (B,  3fl2<>).  En  1623,  les 
comptes  mentionnent  1rs  tapisseries  de  la  chambre  de  Madame  (B, 
3ÎKI3).  Nous  savons  qu'il  y  en  avait  aussi  dans  la  chambre  de  la  dame 
d'honneur,  Madame  de  Lmoncourt  (B,  3930).  En  1622,  on  répara  les 
lapiss<îries  (B,  31)«i). 

(6)  B,  3940.  Le  peintre  reçut  aussi  16  francs  pour   avoir  fourni  de 


—  203  — 

dix-huit  francs.  11  y  avait  quelques  armes  clans  le  cabinet 
des  armes,  et  un  certain  nombre  de  volumes,  traitant  de 
sujets  très  variés,  dans  la  bibliothèque,  dont  nous  possé- 
dons un  catalogue  (i). 

Malgré  tout,  il  ne  résulte  pas  de  l'ensemble  des  docu- 
ments que  le  château  de  Pont-Saint-Vincent  ait  été  une 
résidence  de  grand  luxe.  S'il  s'agissait  de  faire  montre 
d'élégance,  Vaudémont  préférait  de  beaucoup  le  chAteau 
d'Autrey,  sa  création  favorite,  où  pendant  plus  de  vingt 
années  il  multiplia  les  embellissements  et  aussi  les 
dépenses.  Les  comptes  fournissent  des  renseignements 
multiples  sur  le  «  neuf  bâtiment  »  d'Autrey,  ses  quatre 
tours  et  ses  deux  corps  de  logis,  percés  de  nombreuses 
ouvertures,  dont  Tun  regardait  le  village  et  Tautre  le  jar- 
din (2).  Ils  permettent  de  deviner  ce  qu'était  le  jardin  avec 
sa  noble  terrasse,  ses  parterres,  son  petit  bois  de  plai- 
sance, ses  fontaines  dont  les  eaux  limpides,  emmenées 
par  des  canaux,  allaient  se  jouer  dans  un  bassin^  avec  le 
grand  cabinet  de  charmilles,  flanqué  de  quatre  cabinets 
plus  petits,  où  les  visiteurs  trouvaient  un  frais  abris  contre 
les  ardeurs  de  l'été.  Aussi,  quand  Vaudémont  devait  rece- 
voir quelque  hôte  de  distinction,  son  frère  le  duc,  par 
exemple,  comme  il  arriva  en  août  1618  (3),  ou  son  neveu 

Targent,  des  couleurs  et  de  la  colle.  Sur  ces  trente-quatre  tableaux, 
voir  l'inventaire  du  mobilier  du  château  fait  en  1597,  ù  la  mort  du  pre- 
mier duc  de  Mercœur,  d'après  les  indications  données  ci  dessus,  p.  146 
et  147,  note. 

(1)  Voir  ce  catalogue  dans  les  Mémoires  de  la  S.  A.  l.,  3«  série  (1880), 
VIII,  p.  340  et  s. 

(2)  B,  1418.  Sur  le  jardin  d'Autrey,  les  fontaines,  les  bassins,  la 
garenne,  voir  B,  1336,  1339  et  1408  ;  sur  les  écuries,  voir  B,  3982.  Sur 
les  charmilles,  voir  B,  3979  et  3982.  Sur  la  chapelle,  voir  B,  1408.  A 
Autroy,  il  y  avait  une  basse-cour  où  François  de  Lorraine  avait  placé 
des  poules  de  Barbarie  (B,  1408,  fol.  135).  En  1624,  il  fit  construire,  au 
pied  de  son  château,   un    pont  sur  le   Brénon,  afllucnt  du   Madon  (B, 


(3)  Sommes  payées  pour  conduire  du  château  du  Pont  à  Aultrey  des 
tapisseries,   matelas  et  autres  meubles,  et  les  avoir  ramenés  en  août 
618,  ((  aprt's  le  parlement  de  S.  A.  »  (B,  3940). 


—  206  — 

le  ('  prince  de  Florence  »,  qui  vint  le  visiter  en  1626  (1), 
c'est  à  Autrey  qu'il  lui  offrait  rhospitalité  ;  au  besoin  on 
empruntait  au  chAteau  de  Pont-SaintVincent  meubles  et 
tapisseries,  sauf  à  les  restituer  une  fois  le  visiteur  parti. 
A  Pont-SaintVincent,  demeure  plus  modeste,  j'imagine 
que  la  vie  était  plus  paisible.  Si  Ton  n'y  recevait  pas  les 
les  hôtes  illustres,  on  y  vivait  peut  être  plus  rapproché  du 
populaire.  Dès  son  premier  séjour,  au  mois  d'août  16H, 
la  comtesse  de  Vaudémont  y  fait  des  aumônes,  dont  les 
documents  ont  conservé  le  fidèle  souvenir.  Parmi  ces 
menues  libéralités,,  il  en  est  qui  attestent  une  certaine  cor- 
dialité de  rapports  entre  la  famille  princière  et  la  popula- 
tion du  bourg:  c'est,  par  exemple,  une  gratification  de  7 
gros  remise  à  une  fille  qui,  le  25  août,  a  donné  «  un  levreau 
vif  à  Charles  Monseigneur  »  ;  remarquez  que  Charles  Mon- 
seigneur n'est  autre  que  le  futur  Charles  IV,  alors  âgé  de  7 
ans  et  devenu,  par  la  mort  d'un  frère  plus  âgé,  le  fils  aine 
du  comte  de  Vaudémont.  Le  lendemain  26  août.  Madame 
achète  de  la  dentelle,  sans  doute  à  une  ouvrière  du  pays,  à 
laquelle  elle  remet  7  fr.  6  gros.  Deux  jours  plus  tard,  le 
28  août,  qui  est  un  dimanche,  on  célèbre  la  fête  de  Pont- 
Saint- Vincent  à  la  date  traditionnelle  encore  observée  de 
nos  jours.  Alors  frappent  à  la  porte  du  château  les  «  valets 
de  la  fête  »,  vraisemblablement  des  jeunes  gens  qui,  habillés 
d'un  costume  spécial,  annonçaient  la  fête  à  son  de  cors  et 
de  trompes,  suivant  l'usage  des  villages  lorrains  (2).  Ils 
viennent  «  présenter  de  leurs  livrées  à  Charles  Monsei- 
gneur »  ;  aussi  Madame  leur  fait  donner  dix  francs  (3). 
La  comtesse  continuera  de  s'intéresser  aux    choses  du 

(1)  B,  3989. 

(2)  Voyez  dans  un  NoiM  do  Lif?ny-cn-BaiTois,  du  temps  du  duc 
Léopold,  l'allusion  au  «  valol  de  notre  bon  Dieu  qui  a  corn(>  la  ft^le  ». 
n  n'a  dit  à  personne  où  c'était  :  «  bien  sur  qu'il  avait  perdu  la  t^lo  ». 
(Comte  E.  Fourier  de  BAcourt,  le  Noël  des  Riblaxcft^  Mémoirei^  de 
la  S.  A.  /.„  3«  série,   XXI(t89i),  p.  370). 

(3)  Archives  de  M.-cl-M.,  B,  1,337  et  i:J38. 


—  207  -^ 

pays  :  elle  ne  sera  pas  indiflérente  au  bien  moral  et  reli- 
gieux des  habitants  du  Pont.  Quand,  vers  cette  époque, 
elle  fonde  un  certain  nombre  de  messes  hebdomadaires 
dans  l'église  paroissiale  de  Pont-Saint-Vincent,  elle  exige, 
pour  la  plus  grande  commodité  des  habitants,  qu'une  de 
ces  messes  soit  dite  le  matin  des  dimanches  et  des  jours 
de  bonnes  fêtes  (4).  Le  comte  de  Vaudémont  se  montre,  lui 
aussi,  facile  et  de  bonne  composition,  au  moins  dans  les 
petites  choses  ;  il  est  assez  accommodant  en  ce  qui  con- 
cerne les  remises  de  droits  qui  peuvent  lui  être  dus  (2),  et 
abandonne  sans  trop  de  peine  les  amendes  encourues 
pour  menus  délits.  C'est  ainsi  qu'en  octobre  1619,  une  bande 
de  garçons  et  de  filles  de  Laxou  ont  été  surpris  au  bois  de 
Chaligny,  en  la  contrée  du  Buisson  Mitard,  par  l'un  des 
forestiers  du  comté,  Didier  l'Ecrevisse,  alors  qu'ils  étaient 
en  train  de  cueillir  des  pommes  sauvages  :  Monseigneur  leur 
fait  grâce  de  l'amende  (3).  Nous  constatons  d'autres  faits  du 
même  genre,  par  exemple,  en  1624,  au  profit  de  pauvres 
gens  qui  avaient  fait  «  des  bottées  »  de  pommes  sauvages 
dans  les  bois  de  Pont-Saint-Vincent  (4).  On  relève  dans 
les  comptes  des  largesses  plus  importantes  dont  bénéfi- 
cièrent les  sujets  du  comte,  ainsi  des  concessions  de  bois 
de  construction  faites  gratuitement  à  des  habitants  qui 
entreprenaient  de  rebâtir  leurs  maisons  (o),  ou  à  la  com- 

(1)  Notes  de  M.  l'abbé  Boulanger,  ancien  curé  do  Pont-Saint- Vincent, 
communiquées  par  M.  l'abbé  Bastien,  curé  de  Pont-Saint-Vincont  en 
1900. 

(2)  Voyez  par  exemple  le  compte  de  1616,  B,  3937.  Le  comte  est  bien- 
veillant pour  ses  anciens  serviteurs.  Ainsi,  en  1615,  il  octroie  une  grati- 
fication de  40  (panes,  monnaie  du  pays,  à  Jean  Gérard,  dit  Patenôtre, 
forestier  du  comté,  qui  a  servi  vingt-cinq  ans  et  qui  vit  fort  miséra- 
blement, chargé  de  trois  enfants.  (B,  3932.) 

(3)  B,  3978. 

(4)  B,  3986. 

(5)  On  en  trouve  deux  exemples  en  1620  au  profit  des  habitants  de 
Thélod  :  Archives  de  M.-et-M.,  B,  3979.  —  Je  ne  parle  pas  ici  des  deux 
arpents  de  bois  de  chauffage  à  prendre  chaque  année,  dans  les  bois  du 
comté,  concédés  en  1621  pjir  Vaudémont   au   noviciat  des   Jésuites  de 


—  208  — 

munauté  de  Pont  Sainl-Vincent,  représentée  par  ses  corn- 
mis  de  ville,  pour  lui  permettre  de  «  rhabiller  »  le  pont 
jeté  sur  le  Madon  (1). 

En  somme,  je  ne  sais  si  je  m'abuse,  mais  il  me  pa- 
raît résulter  de  l'ensemble  des  documents  qu'à  l'époque 
de  Vaudémont  et  de  sa  femme  Christine  de  Salm,  quel- 
ques liens  s'étaient  formés  entre  le  comte  de  Chaligny  et 
ses  sujets.  Le  comte  n'était  pas  pour  eux  un  inconnu  sim- 
plement représenté  par  un  intendant  qui  percevait  les 
revenus.  Quand  un  glas  funèbre  sonnait  aux  clochers  du 
comté  à  l'occasion  de  la  mort  d'un  membre  de  la  fa- 
mille du  seigneur  (2),  les  paysans  n'y  demeuraient  pas 
indifférents,  comme  autrefois,  du  temps  de  la  duchesse  de 
Mercœur.  Ces  figures  de  la  famille  comtale  leur  étaient 
devenues  familières,  et  sans  doute  quelques-unes  au  moins 
avaient  gagné  leur  sympathie. 


III 

Dès  le  mois  de  septembre  1611,  c'est-à  dire  dès  le  pre- 
mier séjour  de  François  de  Lorraine  à  Pont-Saint-Vincent, 
on  proclamait  dans  les  villages  du  comté  de  Chaligny  une 
ordonnance  du  comte  de  Vaudémont  (3)  remettant  en 
vigueur  les  lois  sur  la  chasse,  dans  toute  l'étendue  de  la 
gruerie,  c'est-à-dire  dans  le  district  forestier  du  comté.  Il 
convient  d'ajouter  que,  depuis  l'époque  du  premier  duc  de 
Mercœur,  les  comtes  de  Chaligny  étaient  maîtres  des  deux 
tiers  de  la  seigneurie  de  Thélod,  et  que,  vers  1622,  Vaudé- 
mont se  rendit  acquéreur  du  dernier  tiers,   appartenant 

Nancy  (Archives  de  M.-ct-M.,  H,  1921),  ni  du  bois  tiré  des  forôts  du 
comté  qu'il  avait  donné  en  1G14  aux  Capucins  de  Nancy  pour  l'agran- 
dissement de  leur  église  (B,  3970). 

(1)  B,  3978,  année  1620. 

(2)  1622  :  On  sonne  dans  les  villages  du  comté  pour  Madame  la  com- 
tesse, «  mère  a  Madame,  que  Dieu  absolve  ».  B,  3982. 

(3)  Ordonnance  du  9  septembre  1611  :  Archives  do   M.-et-M.,  B,  3966. 


—  209  - 

alors  à  M.  de  Haraucourt,  gouverneur  de  Nancy  (1).  Ainsi 
une  étendue  considérable  de  bois  était  affectée  aux  plaisirs 
du  comte  de  Vaudémont  :  d'abord  la  portion  de  la  région 
méridionale  de  la  forêt  de  Haye  qui  dépendait  du  domaine 
de  Ghaligny,  puis  les  bois  de  Pont-Saint  Vincent,  et  enfin 
ceux  qui  avoisinent  Tbélod.  François  de  Vaudémont 
n'était  pas  homme  à  négliger  ces  plaisirs,  bien  qu'il  eût 
des  forêts  bien  plus  considérables  dans  d'autres  domaines, 
notamment  dans  le  comté  de  Salm.  A  Pont-Saint- Vincent 
il  faisait  surveiller  ses  chasses  par  un  certain  nombre  de 
forestiers,  quatre  gardes  à  pied  et  un  garde  monté  qu'on 
appelait  le  chevaucheur.  Cette  surveillance  était  souvent 
efficace  ;  nous  en  avons  la  preuve  par  les  procès  qui,  à 
diverses  reprises,  furent  faits  aux  braconniers.  Ainsi  en 
1612,  le  forestier  bien  connu  dans  la  région  sous  le  nom 
de  Didier  l'Ecrevisse  surprit  à  Grehinvaulx,  sur  la  lisière 
de  la. forêt  de  Haye,  un  homme  de  Ghaligny,  qui,  muni 
d'une  arquebuse  neuve,  attendait  le  gibier  à  la  sortie  du 
bois  (2).  Ce  braconnier  se  nommait  Claude  Humbert  ;  il 
y  a  des  chances  pour  que  ce  soit  le  même  Claude  Hum- 
bert qui,  en  1616,  fut  pendu  à  Pont- Saint-Vincent  pour 
divers  larcins,  en  compagnie  d'un  autre  habitant  de 
Ghaligny  nommé  Charles  Gaillet.  En  1617  (3),  un  forestier 
aperçoit,  «  entre  nuit  et  jour  »,  dans  une  loge  de  rames  et 
de  feuillée,  au  bois  deThélod,  un  individu  ayant  auprès 
de  lui  une  arquebuse.  C'était  un  très  pauvre  homme,  qui 
ne  pouvait  payer  l'amende  ;  il  en  fut  quitte  pour  quelques 
jours  de  prison.  En  1625,  nous  constatons  que  des  amen- 
des ont  été  infligées  à  des  braconniers  de  la  môme  région, 
Jacot  Humbert  de  Thélod,  et  aussi  César  Jobois  de  Vézelise, 
celui-ci  avait  été  trouvé  «  Tescopete  au  poing,  à  Torrey  du 

(i)  B,  39Î4. 

(2)  Archives  de  M.et-M.,  B,  3968. 

(3)  Le  3. novembre.  Archives  deM.-el-M.,  B,  3974. 

14 


—  210  — 

Bois  Vorry  (1)  ».  Mais  le  cas  le  plus  remarquable  de  ceux 
que  signalent  les  comptes  est  celui  de  Bastien  Gilbert, 
originaire  de  Domgermain,  qui  était  tireur  de  Tabbé  de 
Saint  Epvre  ;  on  appelait  ainsi  Tindividu  chargé  de  chas- 
ser dans  les  domaines  forestiers  des  établissements  ecclé- 
siastiques, aux  lieu  et  place  des  prélats  auxquels  les  canons 
de  l'Eglise  interdisent  cet  exercice.  Or,  en  1618,  Bastien 
Gilbert  (2),  non  content  de  chasser  dans  les  bois  de  Villey- 
le-Sec,  où  son  abbaye  avait  des  domaines  importants,  s'en 
alla  tuer  un  cerf  dans  les  bois  voisins,  appartenant  au 
comte  de  Chaligny,  auprès  du  village  de  Maron.  Un  procès 
en  règle  lui  fut  fait  devant  la  justice  du  comté  de  Chaligny  ; 
il  fut  condamné  à  une  amende  de  200  francs,  dont  la  ma- 
jeure partie  (133  francs  4  gros)  fut  attribuée  aux  forestiers 
préposés  à  la  garde  des  bois  f3).  Cela  n'effrayait  point  les 
braconniers.  En  1620,  il  fallut  munir  les  forestiers  de 
poudre  d'arquebuse,  «  aux  fins  d'attraper  quelques  tireurs 
que  Ton  disoit  chasser  dans  iceulx  bois  (4)  ».  D'ailleurs 
il  arrivait  parfois  que  les  forestiers  étaient  eux  mômes 
soupçonnés  de  braconnage.  Ainsi,  en  1612,  l'Ecrevisse  fut 
accusé  à  plusieurs  reprises  d'avoir  tué  des  lièvres  à  Gre- 
hinvaulx  ;  les  méchantes  langues  assuraient  qu'un  jour, 
comme  il  accompagnait  le  receveur  de  Clairlieu  qui  retour 
nait  à  son  abbaye  après  avoir  dîné  avec  lui  à  Chaligny, 
l'Ecrevisse  lui  avait  donne  un  lièvre  d'une  provenance 
plus  que  suspecte  (5).  En  1621,  des  bruits  fâcheux  cou- 
raient de  plus  belle  sur  le  compte  du  même  personna- 


(1)  B,  3989. 

(2)  Ce  porsonnagc  était  soupçonné  de  n'en  être  pas  à  son  premier 
méfait  ;  on  lui  imputait  d'avoir,  quatre  ans  auparavant,  tué  contre 
tout  droit  un  cerf  à   Viterne.  Cf.  Arctiives  de  M.-el-M.,  B,  3976. 

(3)  Didier  l'Ecrevisse,  Didier  Voirion,  Jean  Girard  dit  Patenostrc, 
Didier  xMaltredhôtel,  Jean  Simon,  (B,  3976  et  3977). 

(4)  B,  3778.  On  trouvera  un  type  de  procès  pour  délit  de  chasse, 
commis  à  Thélod,  en  1026,  aux  Archives  de  M.-ct-M.,  B,  3990  bis. 

(5)  B,  3968. 


-  211  - 

ge,  auquel  des  gens  se  disant  bien  informés  imputaient 
d'avoir  tué  un  cerf  dans  les  bois  du  comté.  C'était  grave  : 
quis  custodiet  custodes  ?  L'Ecrevisse  fut  obligé  de  présenter 
à  Monseigneur  sa  justification.  Vaudémont  fut  bon  prince 
et  ne  donna  pas  suite  à  l'affaire  ;  au  contraire,  en  considé- 
ration de  la  pauvreté  de  son  garde,  il  lui  accorda  une  part 
des  amendes  perçues  pour  délits  forestiers  (1). 

La  surveillance  qui  était  exercée  sur  les  braconniers  s'éten- 
dait aussi  aux  chiens  D'après  les  ordonnances  sur  la  chasse, 
en  vigueur  dans  le  comté  et  dans  la  seigneurie  de  Thélod, 
tout  propriétaire  de  chien  encourait  une  amende  quand 
l'animal  ne  portait  pas,  pendu  au  cou,  un  bracot,  pièce  de 
bois  destinée  à  gêner  ses  mouvements  et  à  entraver  sa 
course  (2).  Il  fallut  une  concession  gracieuse  de  Vaudé- 
mont pour  que  plusieurs  habitants  de  Chaligny,  qui  labou- 
raient la  plaine  de  Chassé,  sur  la  limite  de  la  forêt,  obtins- 
sent pour  leurs  chiens  la  dispense  de  cet  engin  :  ils  firent 
remarquer,  à  l'appui  de  leur  demande,  qu'il  leur  fallait  des 
chiens  prêts  à  repousser,  «  tant  de  jour  que  de  nuit,  les 
loups  qui  se  jettent  incessamment  sur  eulx  (3)  ».  Aussi 
les  chiens  du  seigneur,  dispensés  de  plein  droit  de  cette 
obligation,  formaient  une  aristocratie  parmi  leurs  congénè- 
res. D'ailleurs  Vaudémont  semble  avoir  porté  intérêt  à  sa 
meute.  Les  comptes  du  domaine  de  Chaligny  la  mention- 
nent de  temps  en  temps.  C'est  ainsi  que  trois  lévriers  furent 
achetés  en  Angleterre  en  1619  ;  Vaudémont  avait  envoyé  un 
homme  de  confiance  avec  la  mission  spéciale  de  faire  cet 
achat  (4).  En  1622  on  nourrissait  à  Pont-Saint-Vincent  un 
lévrier  rouge  de  la  meute  du  comte  (5).  D'autres   textes 


(1)  B,  3981. 
{2}  B,  3982. 

(3)  B,  3983  (année  16^). 

(4)  B,  1409. 

(5)  B,  3984. 


—  212  - 

mentionnent  la  présence  à  Pont-Saint- Vincent  de  limiers  (1) 
et  d'épagneuls  (2). 

Il  va  de  soi  que  souvent,  au  cours  de  ses  séjours  d'au- 
tomne, Vaudémont,  accompagné  des  fils,  conduisait  la 
chasse  dans  les  bois  du  comté  de  Ghaligny.  Les  comptes 
ont  conservé  la  trace  d'un  incident  qui  survint  au  cours  de 
Tune  de  ces  chasses.  Un  jour,  en  1613,  le  cerf  que  serraient 
les  chasseurs  se  jeta  dans  la  Moselle  auprès  de  Maron,  et 
fut  tué  pendant  qu'il  s'efforçait  de  traverser  la  rivière.  Les 
paysans  chargés  de  conduire  la  barque  qui  assurait  le  pas- 
sage de  la  Moselle  à  Maron  parvinrent,  non  sans  peine,  à 
le  retirer  de  l'eau,  ce  qui  leur  valut  un  pourboire  de  deux 
francs  ;  en  môme  terhps  le  comte  faisait  donner  une  aumône 
à  une  pauvre  femme  qui  se  trouvait  là  (3).  Ce  n'était  pas 
toujours  Vaudémont  qui  chassait  en  personne  ;  à  diverses 
reprises  il  envoya  ses  gens  à  des  battues  ou  à  des  chasses 
dont  il  faisait  les  frais.  C'est  ainsi  qu'il  ordonna  plus  d'une 
fois  des  chasses  au  loup,  et  convoqua  pour  cet  objet,  des  ar- 
quebusiers qui  renforcèrent  ses  forestiers  (4).  D'ailleurs  les 
grandes  réceptions  qu'il  donnait  à  l'hôtel  de  Salm,  où  était 
établie  sa  résidence  à  Nancy,  lui  fournissaient  l'occasion 
fort  naturelle  de  faire  chasser  dans  ses  bois.  Par  exemple, 
le  2  novembre  1619,  à  la  veille  de  la  tenue  des  Etats,  il  écrit 
à  son  capitaine  du  comté  qu'il  a  l'intention  de  traiter 
nombre  de  gentilshommes,  auxquels  il  veut  «  faire  goûter 
de  la  venaison  de  nos  bois  du  comté  de  Chaligny  »  ;  il 
ordonne  en  conséquence  d'y  faire  chasser  deux  sangliers 
et  deux  chevreuils  (5).  Il  donne  des  instructions  analogues 

(1)  Deux  jeunes  limiers  sont  envoyés  de  Pont-Saint-Vincent  à  Ruppcs 
(B,  3980). 

(â)  Nourriture  de  trois  petites  chiennes  «  cspagncullcs  »,  en  1625- 
1626,  pendant  748  jours  (pour  les  trois),  au  moment  de  la  cherté  des 
grains.  On  payait  2  gros  par  jour  pour  chaque  chienne  ;  en  tout, 
on  paya  131  fr.  (B,  3989). 

(3)  B,  3930. 

(4)  B,  3989  et  3991. 

(5)  B,  3977. 


—  213  - 

dvant  la  tenue  des  Etats  de  1622  (1).  En  outre,  le  17  mai 
1621,  les  officiers  du  comté  de  Chalignysont  invités  à  faire 
tirer  un  ou  deux  chevreuils,  un  sanglier,  et  quelques  a  mar- 
cassins et  faons  de  chevreux  »,  auxquels  il  conviendra  de 
joindre  aussi  quelques  «grands  poissons  »  de  la  Moselle. 
C'est  que,  quelques  jours  plus  tard.  Monseigneur  donnera 
à  rtîôtel  de  Salm  un  grand  festin  auquel  assistera  Son 
Altesse:  il  ne  s'agit  de  rien  moins  que  des  noces  du  prince 
Charles  avec  Nicole,  la  fille  du  duc  Henri  II  (2),  tristes 
fêtes,  données  en  Thonneur  d'une  union  mal  assortie. 


IV 

La  chasse  n'était  pas,  il  s'en  faut  de  beaucoup,  la  seule 
préoccupation  de  Vaudémont  dans  l'administration  de  son 
domaine  de  Chaligny.  Il  s'intéressait  aux  chevaux,  et 
avait  placé  à  la  tête  de  ses  écuries  un  gentilhomme  d'ori- 
gine anglaise,  le  «  sieur  de  Bronne  (3)  ».  Un  jour,  il  s'avisa 
d'établir  un  haras,  ou,  comme  on  disait  alors,  une  jumen- 
terie,  à  Pont-Saint-Vincent  ;  il  comptait  utiliser  pour  l'éle- 
vage les  grandes  prairies  que  traverse  la  Moselle.  Dès  1618  il 
avait  entrepris  la  réalisation  de  ce  projet.  L'année  suivante, 
il  ordonne  des  travaux  importants  aux  écuries  du  château 
((  pour  y  loger  nos  juments  »  ;  alors  on  prépare  «  la  cham- 
bre des  juments  »,  et  l'on  installe  «cent  pieds  d'auges  (4)  ». 

(i)  Ordre  de  chasser  dans  les  bois  de  Chaligny,  de  Th(^lod  et  de 
Vltorne.  Il  faut  tuer  des  sangliers  et  des  chevreuils  (B,  31)82). 

(2)  B,  3979  et  3980.  On  tua  pour  celle  circonstance  un  «  porc  san- 
glier »,  qui  fut  conduit  iv  l'hôtel  de  Salm.  Les  forestiers  du  comte 
avaient  acheté  poudre  et  plomb  à  Claude  Notaire,  marchand  à  Pont- 
Saint- Vincent.  D'après  dom  Calraet,  il  y  eut  un  festin  le  23  mai  chez 
le  duc  Henri  et  un  festin  le  lendemain  à  l'hôtel  de  Salm  (2"  édlt.,  VI, 
col.  32). 

(3)  Ecuyer  d'éscurie.  en  1621  ;  flis  d'un  gentilhomme  anglais  qui 
habitait  Nancy  (B,  398i).  Se  confond  sans  doute  avec  François  de 
Brown  de  Montaigu,  seigneur  de  Boncourt,  plus  tard  serviteur  dévoué 
de  la  princesse  de  Phalsbourg.  Cf.  Pfister,  ^fèmoirr.'^  du  comte  de 
Brassac,  Mémoires  de  la  S.  À.  l..  S'  série,  XXVI  (1898),  p.  309. 

(4)  B,  3978  et  3979. 


—  214  — 

Au  printemps  de  1619,  on  nourrissait  à  Pont-Saint-Vincent 
seize  juments  et  sept  poulains  ;  au  mois  de  juin  on  les  mit 
à  rherbe  dans  la  prairie  encore  connue  de  nos  jours  sous 
le  nom  de  pré  Fleurion  (1).  A  la  fin  de  Tannée,  il  y  avait 
au  château  du  Pont  vingt  et  une  juments  (2)  et  cinq  pou- 
lains, sous  la  direction  d'un  fonctionnaire  qu'on  appelait 
jumentier.  Je  ne  sais  pour  quelle  cause,  le  comte  de  Vaudé- 
mont  estima,  vers  cette  époque,  que  sa  jumenterie  était 
mal  placée  à  Pont-Saint-Vincent;  le  10  janvier  1620,  les  ani- 
maux qui  la  composaient  furent  ammenés  à  Angomont, 
village  du  comté  de  Salm  voisin  de  Badonviller  (3).  Cepen- 
dant, quelques  années  plus  tard,  en  1626,  Vaudémont 
semble  avoir  éprouvé  une  velléité  de  reprendre  ses  anciens 
projets.  A  cette  époque  on  établit  à  la  grande  écurie  du 
château  une  cloison  destinée  à  séparer  les  poulains  (c  d'avec 
les  juments,  que  Monseigneur  y  a  envoyées  depuis  peu  »  (4). 
Il  est  une  autre  entreprise  qui  sollicita  bien  plus  l'atten- 
tion du  comte  de  Vaudémont  et  absorba  une  part  considé- 
rable de  ses  capitaux.  A  l'époque  qui  nous  occupe,  la 
Moselle,  après  avoir  reçu  le  Madun,  ne  suivait  pas  le  cours 
rectiligne  qu'elle  afTectc  aujourd'hui  en  aval  de  Pont- 
Saint- Vincent.  Elle  serpentait  dans  la  vallée,  se  dirigeant 
de  Pont-Saint-Vincent  vers  le  promontoire  de  Ghaligny, 
dont  elle  venait  battre  le  pied  (à  peu  près  à  l'endroit  où  la 
route  de  Ghaligny-le-Mont  se  détache  de  la  route  de  Toul)  ; 
revenant  ensuite  vers  le  lieu  où  se  trouve  de  nos  jours 
le  barrage  de  Ghaligny,  elle  formait  ainsi  une  première 
courbe,  d'un  large  rayon,  analogue  à  celle  qu'elle  décrit  un 
peu  plus  bas  entre  le  barrage  de  Ghaligny  et  celui  de 
Sexey.  Sans  doute  ces  sinuosités  de  la  rivière  ne  devaient 

(1)B,  1408. 

(2)  Il  se  nommait  Gérard  Ilcnnequel  \lhid.). 

(:))  Pcutêlre  à  cause  de  l'échec  de  la  construction  du  pont,  dont  il 
sera  parlé  ci-dessous.  Je  ne  suis  pas  éloigné  de  croire  que  cette  mésa- 
venture a  quelque  peu  dégoûté  Vaudémont  de  Pont-Saînt-Vincent. 

(4)  B,  3989. 


—  215  — 

pas  médiocrement  contribuer  à  embellir  le  paysage  de  la 
vallée,  vue  de  la  colline  de  Chaligny  ;  mais  les  hommes  de 
Tart  affirmaient  qu'il  importait,  pour  assurer  la  sécurité 
du  pays,  d'endiguer  la  Moselle  dans  un  lit  disposé  de  telle 
façon  qu'elle  ne  pût  désormais  se  livrer  à  ses  dangereuses 
divagations.  Ainsi,  dès  1613,  Vaudémont  s'était  arrêté  au 
projet  de  donner  à  la  rivière  un  neuf  cours,  en  même  temps 
qu'il  avait  résolu  de  faire  construire  un  pont  de  pierre, 
destiné  à  remplacer  l'ancien  pont  de  bois  du  moyen-âge, 
détruit  depuis  longtemps  ;  ce  pont  devait  être  élevé  à  peu 
près  à  l'endroit  où  se  trouve  aujourd'hui  le  pont  de  la 
voie  ferrée  qui  conduit  de  Nancy  à  Mirecourt.  On  travailla 
d'abord  au  nouveau  cours  de  la  Moselle,  et  ensuite  à  la 
construction  du  pont. 

Le  «  neuf  cours  )>  fut  commencé  en  1613  ;  il  ne  fut  guère 
achevé  que  vers  1619.  Les  matériaux,  madriers,  fascines 
et  fagots,  étaient  fournis  par  les  forêts  du  comté  ;  c'est  à 
la  corvée  qu'on  eut  recours  pour  se  procurer  des  ouvriers. 
Chaque  année,  les  travaux  avaient  lieu  pendant  quelques 
mois  de  la  belle  saison,  plus  ou  moins  longtemps,  suivant 
la  température  et  les  ressources  (1).  C'était  alors  au  ser- 
gent du  comté  qu'il  appartenait  de  convoquer  chaque  jour 
les  ouvriers  réquisitionnés  pour  le  lendemain.  En  1613, 
les  chantiers  paraissent  être  demeurés  ouverts  des  pre- 
miers jours  de  septembre  au  7  novembre  ;  le  comte  de 
Vaudémont  séjourna  à  son  château  du  Pont  pendant  la 
plus  grande  partie  de  cette  période  ['2).  On  employait  un 
nombre  d'ouvriers  qui  variait  entre  50  et  80  (3).  Ainsi  le 
10  septembre,  Chaligny  (Mont  et  Val)  a  fourni  60  travail- 
leurs; le  11,  il  y  en  a  59,  qui  proviennent  non  seulement 
de  Chaligny,  mais  aussi  de  Chavigny  et  de  Neuves-Mai- 

(t)B,  3930,  fol.  80-81. 

(2)  B,  3932. 

(3)  Pour  un  motif  qui  sera  indiqué  à  la  noie  suivante,  je  crois  que 
la  moyenne  des  tra\'^llcurs  n'a  gu^re  dû  dépasser  50. 


-  216  - 

sons  ;  le  5  novembre,  on  en  compte  76,  qui  proviennent  de 
Chaligny.  Pendant  cette  première  année,  chaque  travail- 
leur recevait  par  jour  une  livre  de  pain  cuit  (1)  ;  le  paysan 
pouvait  d'ailleurs  se  racheter  de  la  corvée  en  payant  par 
journée  la  somme  de  quatre  gros,  somme  relativement 
élevée  pour  le  temps.  En  1614,  le  travail  recommença  en 
juin  (2)  ;  les  conditions  en  furent  quelque  peu  modifiées. 
Le  comte  de  Vaudémont  décida  alors  qu'à  tous  les  tra- 
vailleurs seraient  accordées  chaque  jour  deux  livres  de 
pain  (3)  ;  en  outre  il  abaissa  le  taux  du  rachat  de  la  corvée 
de  quatre  gros  à  deux  gros.  Il  voulait  en  effet  rendre 
accessible  au  plus  grand  nombre  possible  de  ses  sujets 
cette  faculté  de  se  racheter  ;  visiblement  il  désirait  que 
tous  les  cultivateurs  ayant  un  peu  d'aisance  pussent  en  pro- 
fiter. Quant  aux  pauvres  gens,  il  estimait  que  les  journées 
qu'ils  trouveraient  ainsi  par  l'effet  du  rachat  constitueraient 
pour  eux  une  ressource  précieuse;  aussi  recommandait- 
i-1  instamment  à  ses  officiers  de  préférer  les  ouvriers 
originaires  du  comté  aux  étrangers  (4).  Je  ne  sais  si  la 
corvée  suffit  toujours  à  fournir  les  bras  nécessaires  ;  en 
tout  cas,  en  1617,  on  continuait  à  travailler  au  neuf  cours, 
«  tant  par  corvée  que  autrement  (5)  ». 

Si,  en  cette  année,  le  travail  n'était  point  encore  achevé, 
au  moins  était-il  fort  avancé;  aussi  le  moment  sembla 
venu  d'entreprendre  la  construction  du  pont  de  pierre 
projeté  depuis  1613.  Ce  pont,  qui  devait  reposer  sur  cinq 

(1)  On  distribua  pendant  la  campagne  de  1G13,  en  pain,  2587  livres, 
ce  qui  représente  2587  journées  ;  on  avait  dû  travailler  environ  ;>0 
Jours,  d'où  il  est  facile  de  conclure  que  la  moyenne  des  travailleurs  ne 
devait  guère  dépasser  50. 

(2)  Le  il  )uin,  il  y  avait  sur  le  chantier  38  ouvriers  de  Chaligny. 

(3)  B,  31)33. 

(4)  B,  3933.  Décision  du  comte,  du  14  juillet  1G14. 

(5)  B,  3937.  En  1618  des  corvées  y  travaillent  encore.  En  cette  année 
le  rachat  produisit  78  fr.  2  gros  pour  Chaligny  seulement,  ce  qui 
représente,  au  taux  de  2  gros,  469  journées  rachetées  par  les  habitants 
de  Chaligny  (B,  3939). 


—  217  — 

piles  (1),  exigeait  un  travail  considérable  de  maçonnerie  ; 
suivant  Tusage,  les  curés  des  paroisses  du  comté  et  ceux 
de  Sexey-aux- Forges,  de  Bainville  sur-Madon,  d'Acraignes 
et  de  Villers-les-Nancy  furent  chargés  d'annoncer  au  prône 
la  prochaine  adjudication  des  (ournitures  de  chaux  et  de 
pierre  de  roche  (2).  Dès  1617,  on  amena  les  bois  qui 
devaient  servir  au  pilotage  (3),  en  même  temps  qu'on 
passa  des  marchés  relatifs  «^  la  pierre  de  taille  (4).  Deux 
maîtres  maçons  se  mirent  à  l'ouvrage  ;  ils  se  nommaient 
Jean  Mathieu  et  Benoit  Grata.  Le  second  appartenait  à  une 
famille  d'entrepreneurs  bien  connus  dans  la  Lorraine  et 
le  Barrois,  dont  un  membre  avait,  du  vivant  du  duc 
Charles  III,  construit  le  pont  jelé  sur  la  Moselle  à  Pont-à- 
Mousson  (5). 

En  1618,  les  travaux  de  Pont  Saint- Vincent  étaient  pous- 
sés avec  activité  ;  au  cours  de  l'été  de  cette  année,  Madame 
vint  visiter  les  chantiers,  et  donna  quatre  francs  aux 
ouvriers  maçons  qui  y  étaient  occupés  (6).  Toutefois,  des 
documents  de  Tannée  1619,  il  semble  résulter  qu'on  avait 
peine  à  trouver  l'argent  nécessaire  pour  donner  satisfac- 
tion aux  entrepreneurs  du  pont  (7).  D'ailleurs  à  cette  date 
se  produit   un  changement  significatif  :  à  Mathieu  et  à 

(1)  B,  3977. 

(2)  B,  3939. 

(3)  B,  3974  et  3975. 

(4)  B,  3938. 

{"})  Au  commencement  du  xvir  siècle,  les  Grala  élHienl  établis  k 
Toul.  L'un  d'eux  épousa  Sébaslienne  Hordat.  Sur  la  famille  Grata,  voir 
un  article  du  comte  Fourier  de  Bùcourt,  dans  les  Mémoires  do  la  Société 
des  Lettres,  Sciences  et  Arts  de  Bar-le-Duc,  3*  série,  VI  (1897),  p.  133 
et  s.  —  Claude  Grata,  qui  parait  avoir  été  le  chef  de  la  famille,  à 
l'époque  qui  nous  occupe,  a  exécuté  des  travaux  importants  à  Bar,  à 
Saint-Mihiel  et  à  Toul.  Le  3  juillet  1619,  un  mandat  de  paiement  fut 
délivré  à  Jean  Mathieu  et  .'i  Benoit  Grata,  pour  ouvrages  de  taille,  ma- 
çonnerie, pilotage  et  autres  travaux.  Ce  mandat  s'élevait  à  1435  francs 
10  gros,  pour  la  «  parpaye  »  de  7380  francs  qui  leur  avaient  été  dus. 
(B,  3977  ;  cf.  B,  3941  ) 

(6)  B,  3940. 

(7)  Cf.  B.  3977. 


—  218  — 

Grata  succède  un  nouvel  entrepreneur,  Gaspard  Desjar- 
dîns,  qui  prend  le  litre  de  maître  maçon  du  comte  de 
Vaudémont  (i).  Très  probablement  les  ressources  ne 
devinrent  pas  plus  abondantes.  C'est  peut-être  pour  en 
trouver  que  Vaudémont,  en  1620,  mécontenta  fortement 
ses  sujets  en  réclamant  des  tavernierset  des  cabaretiers 
du  Comté  un  droit  annuel  «  pour  avoir  permission  de 
vendre  vin  (2)  ».  Les  intéressés  résistèrent  et  adressèrent 
du  comte  et  à  son  conseil  des  réclamations  dont  j'ignore  le 
résultat.  En  tout  cas,  Vaudémont  était  à  court  d'argent; 
c'est  sans  doute  à  cause  de  cette  pénurie  qu'il  dut  renoncer 
à  son  entreprise.  En  1626,  les  pierres  de  taille  amenées 
quelques  années  plus  tôt,  gisaient  encore  sur  la  berge, 
cachées  en  partie  par  le  sable  que  les  grandes  eaux 
avaient  apporté  (3)  ;  elles  servirent  plus  tard  à  construire 
la  chartreuse  de  Bosservi]]e(4).  L'œuvre  du  pont  ne  fut 
menée  à  bonne  fin  qu'au  milieu  du  xviii®  siècle,  par  les 
soins  de  l'intendant  français  de  la  Galaiz^ière.  J'imagine 
que  Vaudémont  dut  ressentir  quelque  humiliation  de 
son  échec:  il  semble  résulter  des  textes  qu'à  compter  de 
ce  moment  on  ne  le  vit  que  très  rarement  au  château  de 
Pont  Saint-Vincent  (5). 

Au  moins  fallut-il,  vers  ce  temps,  exécuter  des  travaux 
qui  furent  jugés  nécessaires  afin  de  sauver  les  jardins  du 

(1)  B,  1408. 

(2)  B,  3978. 

(3)  B,  3990.  —  Déjà  en  1621,  Vaudémont  avait  fait  construire  à 
Li Verdun  un  bateau  neuf  pour  le  passage  de  la  Moselle  à  Pont-Salnl- 
Vincent.  C'est  donc  qu'il  n'entrevoyait  nullement  comme  prochain 
l'achèvement  du  pont  par  lui  commencé  (B,  3942.).  En  1626,  on  cons- 
truisit pour  cet  usage  un  grand  bateau  (B,  3989).  On  en  construisit  un 
autre  en  1633  (B,  3947  bis.). 

(4)  Voir  ci-dessous,  p.  23iS,  note  2. 

(5)  Voir  ci-dessus,  p.  214,  note  3.  Remarquez  que  c'est  précisément  à 
ce  moment  que  Vaudémont  envoie  son  haras  à  Angomont  et  semble 
dégoûté  de  Font-Saint- Vincent.  La  comtesse,  au  contraire,  continua  d'y 
vivre  pendant  la  période  qui  commence  k  1620  et  finit  à  sa  mort,  sur- 
venue en  1627. 


—  219  — 

comte,  à  Pont-Saint-Vincent,  de  la  destruction  dont  les 
menaçaient  sans  cesse  la  Moselle  et  le  Madon.  C'est  alors 
(en  1620),  que,  pour  remédier  à  ce  danger,  on  construisit 
une  «vanne»  sur  la  rivière,  non  loin  du  jardin  menacé (1). 
Il  ne  semble  pas  qu'on  ait  atteint  le  résultat  désiré.  En 
1626,  les  deux  rivières  avaient  de  nouveau  ruiné  leurs 
rivages  respectifs  du  côté  du  château,  si  bien  que  les  racines 
des  arbres  qui  y  croissaient  étaient  découvertes.  L'eau, 
ajoute  un  témoin  oculaire,  atteindra  bientôt  les  fondements 
du  château  si  Ton  n'y  prend  pas  garde  (2).  Qui  eût  pu  lire 
dans  l'avenir  eût  souri  de  ces  préoccupations  des  agents  de 
Vaudémont  ;  dix  ans  plus  tard,  son  château  devait  dispa- 
raître, détruit,  non  par  l'action  lente  du  cours  de  la  Mo- 
selle, mais  par  la  main  brutale  des  envahisseurs  de  la  Lor- 
raine. 


Il  semble  que  sous  le  gouvernement  de  François  deVau- 
démont,  le  comté  de  Chaligny^  jouissant  d'une  paix  pro- 
fonde, ait  participé  à  la  prospérité  générale  qui  fut  le  par- 
tage de  la  Lorraine  à  cette  époque.  Toutefois,  une  ombre 
fut  projetée  sur  ce  tableau  par  l'étrange  épidémie  de  sor- 
cellerie, qui  sévit  dans  le  comté  comme  elle  a  sévi,  à  la 
fin  du  XVI'  siècle  et  au  commencement  du  xvlI^  dans  la 
Lorraine  entière,  et,  aussi,  dans  toutes  les  régions  de  l'Al- 
lemagne, protestantes  ou  catholiques. 

Les  comptes  du  domaine  de  Chaligny  nous  font  connaî- 
tre l'issue  d'un  certain  nombre  de  procès  de  sorcellerie, 
tant  à  cause  des  frais  qu'entraînait  l'administration  de  la 
justice  criminelle  qu'à  raison  de  la  confiscation  qui  était 
la  conséquence  des  condamnations  capitales.  Toutefois  les 

(1)  B,3978. 

(2)  B,  3990.  Observations  du  comptable,  François  de  Fisson^  sur  le 
compte  de  gruerie. 


—  220  — 

mentions  fournies  par  ces  comptes  ne  concernent  que  la 
période  qui  commence  avec  Tannée  1611,  première  année 
du  gouvernement  de  François  de  Lqrraine  à  Chaligny  ; 
pour  la  période  des  ducs  de  Mercœur,  ou  sait  que  les 
comptes  ont  disparu,  d'où  il  résulte  que  nous  sommes 
dépourvus  de  tout  renseignement  sur  les  causes  criminelles 
du  comté  de  Chaligny  à  la  fin  du  xvi<^  siècle  et  dans  les 
premières  années  du  xvii®.  Encore  faut-il  ajouter  que,  pour 
la  période  postérieure  à  1610,  nous  en  sommes  réduits  à 
des  mentions  d'ordre  financier,  sans  que  nous  puissions 
retrouver  les  dossiers  des  procès  de  sorcellerie  qui  se 
déroulèrent  dans  l'auditoire  seigneurial  de  Pont  Saint- 
Vincent,  où  se  jugeaient  les  affaires  criminelles  du  comté. 
Je  me  borne  a  résumer  ici  les  indications  que  fournissent 
les  documents. 

Dès  1612,  le  fisc  du  comté  de  Chaligny  recueille  le  béné- 
fice d'une  condamnation  pour  sorcellerie  portée  hors  des 
limites  de  la  seigneurie.  En  cette  année  Françoise  Aymel, 
veuve  de  Mengin  Maitredhôtel,  avait  été  exécutée  à  Mes  • 
sein  comme  sorcière.  Or  la  condamnée  possédait  quel- 
ques biens  à  Chavigny,  dans  le  territoire  du  comté  ;  les 
agents  de  François  de  Lorraine  appréhendèrent  ces  biens^ 
conformément  à  la  sentence  qui  prononçait  la  confisca- 
tion (1). 

C'est  en  1613  que  pour  la  première  fois  il  nous  est  permis 
de  constater  des  procès  de  sorcellerie  dans  le  comté.  C'est 
aussi  en  cette  année  qu'ils  furent  les  plus  nombreux.  Vers 
le  commencement  de  juillet,  une  femme  de  Chaligny  nom- 
mée Claudon  Frédar,  épouse  de  Jean  Pierre,  fut  arrêtée 
sous  la  prévention  de  <  véuéfice  et  sortilège  »,  et  enfermée 
dans  la  prison  criminelle  de  Pont  Saint-Vincent,  qui  n'était 
autre  qu'une  cave  du  chAteau  ;  elle  y  demeura  pendant  4i 
jours,  sous  la  garde  de  quelques  hommes  du  pays,   tandis 

(i)  Archives  de  M.-cl-M.,  B,  3982. 


—  221  - 

qu^Anne,  veuve  de  Claudia  Hilaire,  était  chargée  de  la  nour- 
rir, et  recevait  de  ce  chef  1  gros  et4  deniers  par  jour.  Cepen- 
dant, à  ]a  requête  du  procureur  d'office,  le  procès  de  Clau- 
don  Frédard  était  instruit  devant  les  gens  de  justice  qui 
siégeaient  dans  la  chambre  des  plaids  du  château,  c'est  à 
dire  devant  François  de  Fisson,  capitaine  prévôt  du  comté, 
assisté  des  échevins.  L'affaire  se  déroula  suivant  les  règles 
de  la  procédure  à  l'extraordinaire,  d'une  rigueur  si  cruelle. 
La  torture  fut  donnée  à  l'accusée  par  l'un  des  exécuteurs 
des  hautes  justices  de  Nancy  (on  l'appelait  maître  Christo- 
phle  Boudin)  ;  deux  chirurgiens,  André  Poncet,  de  Thélod, 
et  Mengin  Hans,  deViterne,  avaient  été  convoqués  «  pour 
panser  et  médicamenter  »  la  prévenue,  après  qu'elle  eut 
reçu  la  question  ordinaire  et  extraordinaire.  Pour  ôter  tout 
refuge  à  l'esprit  malin, on  avait,  conformément  à  la  tradition 
suivie  dans  les  procès  de  sorcellerie,  appelé  une  veuve  de 
Chaligny,  la  femme  Toussaint  Bacquelin,  qui  avait  «  rasé 
le  poil  ))  de  l'accusée.  Le  22  août,  la  sentence  fut  enfin  ren- 
due, après  que,  suivant  la  coutume,  les  gens  de  justice  de 
Chaligny  eurent  soumis  la  procédure  au  maître  échevin 
et  aux  échevins  de  Nancy.  Claudon  Frédard  fut  condam- 
née «  à  être  exposée  à  la  vue  du  peuple  l'espace  d'un  quart 
d'heure,  le  col  au  carcant,  attachée  au  pilori,  devant  l'au- 
ditoire de  ce  lieu  de  Pont-Saint  Vincent,  puis  menée  et 
conduite  par  Pierre  Christophle,  exécuteur  des  hautes  œu- 
vres, au  lieu  accoutumé  pour  telle  exécution,  pour,  après 
qu'elle  aura  aucunement  senti  le  feu,  être  étranglée  et  son 
corps  brûlé  et  réduit  en  cendres  ».  La  sentence  fut  exécutée 
à  Pont  Saint-Vincent  le  jour  môme  où  elle  avait  été  pro- 
noncée. Ce  furent  ces  bouchers  qui,  suivant  l'usage,  con- 
duisirent la  malheureuse  à  l'endroit  désigné  pour  le  sup- 
plice (1). 
Trois  semaines  plus  tard,  le  12  septembre,  un  nouveau 

(l)  Lors  des  exécutions  do  1615,  les  bouchers  réclamèrent  de  ce  chef 
un  droit  spécial,  qui  leur  fut  refusé  (B,  393i). 


bûcher  s'allumait  pour  Texécution  de  Claudon  Vincent, 
femme  d'un  habitant  de  Chavigny  nommé  Jean  Rouyer. 
Il  semble  que  l'opinion  publique  ait  été  très  animée  à  Cha- 
vigny contre  Claudon  Vincent  :  nous  pouvons,  en  efïet, 
constater  par  les  comptes  que  les  frais  de  nourriture  de  la 
prévenue  pendant  son  emprisonnement,  aussi  bien  que  les 
frais  d'exécution,  furent  supportés  volontairement  parles 
habitants  de  Chavigny.  Ce  détail  révèle  l'intensité  des 
haines  locales  qui,  sans  doute,  expliquent  en  plus  d'un 
cas  les  procès  de  sorcellerie. 

Enfin,  le  19  septembre  1613,  Pont-Saint- Vincent  était, 
pour  la  troisième  fois  depuis  un  mois,  témoin  d'une  scène 
analogue;  on  y  exécutait  Claudon  Rolin,  veuve  de  Didier 
George  le  jeune,  habitant  du  Pont.  Elle  aussi  était  con- 
damnée pour  vénéfices  et  sortilèges.  La  confiscation  avait 
été  prononcée  contre  les  trois  condamnés,  mais  celte  peine 
ne  pouvait  avoir  d'effet  que  contre  Claudon  Rolin,  qui  avait 
un  peu  de  bien  (1).  Les  deux  autres  étaient  de  pauvres 
femmes,  qui  ne  possédaient  que  quelques  meubles  sans 
valeur. 

D'autres  poursuites  pour  sorcellerie  furent  intentées  au 
cours  de  cet  automne  de  l'année  1613,  mais  elles  n'abouti- 
rent pas  à  des  condamnations  à  mort.  Une  sentence  du 
7  octobre  bannit  du  comté  une  femme  deChaligny,  nommée 
Mangotte  Joly,  épouse  de  Lambert  Canel  ;  les  frais  de  la 
procédure  furent  supportés  par  le  maire  et  la  communauté 
deChaligny  (2).  Enfin  deux  autres  femmes, inculpées  de 
sortilège,  furent  «  renvoyées  jusque  à  rappel  (3)  »,  ce 
qui  était  une  formule  d'acquittement  mitigé  ;  l'une 
était  Mengon  Rolin,  veuve  de  Didier  George  l'aîné,  de 

(1)  Voir   rinvcnlaire  des  meubles  de  Claudon  Rolin  et  l'élat  de  ses 
Immeubles.  Les  Immeubles  consistent  en  2  hommées  1/2  de  vigne  ver 
le  moulin  (du  Pont-Saint- Vincent)  et  1  bommée  1/^  sur  la  côte.  Les 
meubles  furent  vendus  à  l'encan  (B,  3933). 

(2)  B,  3930. 
C3)  B,  3932. 


—  223  — 

Pont-Saint-Vincent  ;  l'autre  s'appelait  Didière  et  était  veuve 
d'un  habitant  de  Lorey,  François  Aubriot.  Toutes  deux, 
avant  d'être  relâchées,  avaient  subi  la  question,  l'une  par 
les  mains  de  Démange  Marchai,  exécuteur  de  haute  justice 
de  Lorraine,  l'autre  par  celles  de  son  collègue  Christophle 
Boudin. 

Il  résulte  de  cet  ensemble  de  textes  qu'un  groupe  de 
femmes  sorcières  ou  prétendues  telles  avait  soulevé  l'opi- 
nion publique  et  attiré  l'attention  de  la  justice  dans  le 
comté  de  Ghaligny  au  cours  de  l'été  de  l'année  1613.  Vers 
la  même  époque  les  officiers  de  justice  de  Madame  de 
Lenoncourt  faisaient  brûler  à  Maron  une  femme  du  nom 
d'Haillevix,  épouse  de  Thouvenin  Poiresson.  A  la  suite  de  la 
confiscation  prononcée  contre  cette  femme,  les  officiers  du 
comte  de  Ghaligny  saisirent  une  petite  vigne  sise  dans  les 
limites  du  comté,  au  lieu  dit  en  Chassé,  compris  dans  le 
ban  de  Ghaligny  (1). 

Dans  le  comté  de  Ghaligny,  les  procès  de  sorcellerie 
reparaissent  en  1615.  Gette  fois  encore,  le  15  octobre,  trois 
femmes  furent  arrêtées  en  même  temps  pour  vénéfice  et 
sortilège,  et  jetées  dans  la  prison  de  Pont-Saint-Vincent, 
«  en  des  lieux  fort  obscurs  »,  où  elles  couchaient  sur  la 
paille,  et  buvaient  et  mangeaient  dans  la  vaisselle  de 
terre  (2).  Quatre  hommes  les  gardaient  la  nuit  et  deux  le 
jour  (3).  Deux  d'entre  elles  furent  exécutées  en  la  manière 
accoutumée  le  12  novembre:  c'était  Jeannon,  femme  de 
Glémenl  Gaillety,  pâtre  des  Neuves-Maisons,  et  Glaudon, 
veuve  de  Pierre  Trinton,  de  Neuves  Maisons.  Douze  jours 
plus  tard,  le  24  novembre,  le  bourreau  de  Nancy  exécutaft 
à  Pont-Saint-Vincent  la  troisième  des  femmes  arrêtées  le 
mois  précédent.  Elle  se  nommait  Jeannotte,  et  était  veuve 

(1)  B,  39a5. 

(2)  B,  3934.  Le  geôlier  recevait  trois  gros  par  Jour,  pour  «  soulager  » 
les  prévenus. 

(3)  Un  compte  de  1615  mentionne  quatre  cordes  de  bols  délivrées 
pour  chauffer  les  hommes  de  garde  (B,  3971). 


de  Julien  Thouillot,  de  PontSaint-Vincent.  Pendant  sa 
captivité,  a  à  cause  de  sa  vieillesse  et  caducité,  elle  ne  pou- 
vait manger  son  pain  sec»;  aussi  Jean  Mercier,  hôtelier 
du  Pont,  dut  lui  fournir  «  pain,  vin,  chair  et  potage»,  qui 
lui  étaient  portés  régulièrement  par  un  sergent  (1).  Les 
juges  éprouvèrent-ils  quelque  hésitation  à  ordonner  la  mort 
de  cette  pauvre  vieille  femme?  Est-ce  à  cette  considéra- 
tion qu'il  faut  attribuer  le  retard  de  l'exécution?  Les  docu- 
ments sont  trop  sobres  de  renseignements  sur  cette  ques- 
tion pour  qu'il  soit  possible  d'émettre  un  avis  (2). 

Une  autre  femme  de  Neuves-Maisons,  Marguerite,  épouse 
de  Mengin  Badel,  avait  été  poursuivie  en  même  temps  pour 
sortilège  et  vénéfîce;  sans  doute  elle  était  impliquée  dans 
la  môme  affaire  que  les  trois  condamnées  à  mort  dont  iJ 
vient  d'être  parlé.  Trois  femmes  de  Messein  avaient  témoi- 
gné contre  elle  ;  elle  fut  rasée  et  mise  à  la  question.  Mais 
elle  putéchapper  à  la  condamnation  capitale.  Après  trente- 
cinq  jours  d'emprisonnement,  elle  fut  a  renvoyée  jusqu'à 
rappel.  »  (3) 

Après  les  trois  exécutions  de  1616,  quelques  années  se 
passèrent  sans  que  de  nouvelles  affaires  de  sorcellerie 
fussent  mentionnées  dans  le  Comté.  Il  s'en  produisit  dans 
les  villages  voisins  ;  ainsi,  à  Maron,  le  8  juin  1616,  Cathe- 
rine Aymée  fut  condamnée  au  feu  par  les  gens  de  justice 
de  Madame  de  Lenoncourt,  dame  d'honneur  de  la  comtesse 
de  Vaudémont(4).  Autrey  fut  le  théâtre  de  deux  exécutions 
en  1619  (5),  et  de  trois  en  1620(6).  Mais  c'est  seulement  en 

(i)  B,  3934. 

(2)  L'année  suivante,  en  1617,  Julien  Thouillot,  le  meunier  de  Bain- 
ville,  fut  frappé  d'aniondc  pour  avoir  «  blasphémé  le  saint  nom  de 
Dieu  »  (B,  3939).  C'était  peul-étrc  un  fils  de  la  condamnée  de  1616. 

(3)  B,  3934.  —  Les  comptes  de  cette  année  1616  attestent  qu'on  eut 
recours  à  Brahault,  charpentier,  pour  «  rabiller  »  les  engins  de  torture, 
et  pour  faire  des  d  neufs  quartiers  »  qu'on  mettait  sous  le  dos  des  accu- 
sés. Sur  la  question  par  l'échelle,  voir  Denis  La  sorcellerie  à  Tout 
aux  ATI«  et  AK/P  siècles. 

(4)  B,  3937. 

(5)  B,  1408,  fol.  133  V. 

(6)  B,  1415  (fol.  148  et  149),  et  1,416. 


1624  que  nous  retrouvons  la  trace  de  procès  de  sorcellerie 
dans  le  comté  de  Chaligny.  Au  mois  de  février  de  cette 
année,  Haillevix  Cordier,  dite  Maillot,  veuve  d'un  habitant 
de  Neuves  Maisons  qui  s'appelait  Jean  Lorrain,  fut  con- 
damnée au  feu  à  la  requête  du  procureur  d'office  ;  le  gref- 
fier ordinaire,  Mansuy  Mansuy,  s'était  porté  partie  civile. 
Lors  de  l'exécution  de  cette  sentence,  deux  religieux  Mini- 
mes furent  appelés  pour  assister  la  condamnée  (1).  En  1625, 
ce  fut  le  tour  de  Rayne,  veuve  de  Jacot  Brahault,  qui 
demeurait  à  Pont-Saint-Vincent.  Les  poursuites  contre  elle 
avaient  été  provoquées  par  deux  habitants  du  Pont,  Claudin 
Jacques  et  Claude  Maillot,  qui  avaient  fait  les  premiers 
frais  ;  le  procureur  d'office  joignit  son  action  à  la  leur. 
Rayne  fut  condamnée  au  feu  ;  deux  pères  Jésuites,  venus 
de  Nancy,  demeurèrent  à  Pont-Saint-Vincent  pendant  trois 
jours,  «  qu'ils  assistèrent  la  dite  Reyneàbien  mourir  (2).  » 
Vers  le  même  temps,  le  20  juin  1625,  Alison,  femme  de 
Guillaume  Georges,  de  Pont-Saint-Vincent,  aussi  accusée 
de  sortilège,  fut  «renvoyée  jusqu'à  rappel»,  après  avoir 
subi  la  question  ordinaire  (3).  Ensuite  les  exécutions  sem- 
blent ne  plus  s'être  renouvelées  avant  1632  (4).  Alors  Clau- 
don  Bourlier,  femme  de  Pierre  Mauri,  demeurant  à  Neuves- 
Maisons,  fut  suppliciée  pour  sortilège  ;  c'était  une  pauvre 
femme  qui  ne  possédait  aucun  bien  (5).  C'est,  je  crois, 

(1)  B,  398G. 

(2)  B,  3987.  —  Le  sieur  curé  de  Pont-Saint-Vincent  reçut  du  fisc  à 
col  te  occasion  huit  francs  pour  ((  despens  faits  à  son  logis  ». 

|3)  B,  3987. 

(4)  Il  n'est  pas  inutile  de  faire  remarquer  qu'en  1626,  plusieurs  per- 
sonnes, hommes  et  femmes,  avaient  été  poursuivies  pour  sorcellerie  A 
Thélod.  Deux  femmes  furent  condamnées  à  mort  et  exécutées;  un 
homme  fut  banni,  une  femme  condamnée  au  fouet  et  bannie,  une  femme 
renvoyée  jusqu'à  rappel,  une  autre  renvoyée  purement  et  simplement 
(B,  3946).  L'une  des  femmes  exécutées  avait  été  condamnée  sur  la  déla- 
tion d'un  particulier  ;  le  maïeur  de  Thélod  avait  fourni  en  tout  ou  en 
partie  l'argent  nécessaire  à  la  procédure.  L'appel  des  sentences  de  Thé- 
lod était  porté  devant  la  justice  du  comté  de  Vaudémont  à  Vézelise. 

(0)  B,  3996. 


-  226  — 

Tannée  suivante,  en  1633,  que  périt  sur  le  bûcher  de  Pont- 
Saint-Vincent  une  malheureuse  femme  de  Chaligny,  qui 
avait  épousé  Pierre  Masson  (i).  Après  cette  année,  il  semble 
qu'on  n'entende  plus  parler  dans  le  comté  de  Chaligny  de 
ces  accusations  qui,  depuis  vingt  ans,  y  avaient  coûté  la  vie 
à  douze  personnes.  D'autres  malheurs  devaient  bientôt  faire 
oublier  ces  sinistres  procès. 

VI 

Le  lecteur  se  rappelle  peut-être  que,  depuis  l'échec  des 
travaux  qu'il  avait  entrepris  sur  la  Moselle,  François  de 
Vaudémont  semblait  avoir  beaucoup  perdu  de  son  afîec 
tion  pour  le  château  de  Pont  Saint  Vincent.  Ses  séjours  y 
furent  plus  rares  :  après  la  mort  de  sa  femme,  survfnue 
en  1627,  il  parut  l'abandonner  complètement.  Nous  savons 
en  eiïel  que,  en  1629,  Vaudémont  fit  transporter  à  l'hôtel 
de  Salm,  sa  résidence  de  Nancy,  toutes  les  tapisseries, 
«  tant  bonnes  que  mauvaises  »,  qui  jusqu'alors  avaient  orné 
le  château  (2).  Cependant  le  reste  du  mobilier  y  était  de- 
meuré ;  en  1632  seulement  le  déménagement  fut  achevé  (3). 
A  l'automne  de  cette  môme  année,  le  glas  funèbre,  sonné  à 
tous  les  clochers  du  comté,  annonçait  aux  habitants  la  mort 
du  comte  de  Vaudémont.  En  vertu  d'une  disposition  du 
défunt,  le  comté  de  Chaligny,  avec  la  seigneurie  de  Thélod, 
était  attribué  à  son  fils  puîné,  Nicolas-François  (4).  C'est 
désormais  à  ce  prince  que  devait  appartenir,  avec  le  titre 
de  comte  de  Chaligny,  la  réalité  du  pouvoir  dans  le  comté. 

La  mort  du  comte  de  Vaudémont  fut  triste  ;  il  put,  en 

(1)  B,  3997. 

(2)  Archives  de  M.-et-M.,  B,3993. 

(3)  C'est  alors  qu'on  fit  transporter  îi  Nancy  toute  la  vaisselle  «  de 
faïence  et  autre  »  (B  ,  3*Mi). 

(4)  Dom  Calmet,  2«  édition,  VI,  col.  66.  —  Vaudémont  avait  partagé  h 
ses  enfants  leurs  biens  maternels,  et,  «  comme  Nicolas- François  y  parais- 
Roit  lésé,  le  duc  son  père  lui  donna  pour  supplément  le  comté  de  Cha- 
ligny et  la  terre  de  Thélod  ». 


-  227  - 

ses  derniers  jours,  entrevoir  l'ère  douloureuse  que  la  Lor- 
raine devait  traverser.  La  peste  y  avait  fait  son  apparition  ; 
déjà  en  1630,  elle  sévissait  à  Pont-Saint-Vincent.  Le  2  août 
lut  baptisée  une  petite  fille  née  aux  «loges  pestiférées (1)  », 
sorte  de  lazaret  où  sa  mère  avait  été  transportée.  En  ce 
même  été,  le  curé  de  Chaligny  baptisait,  dans  son  église, 
le  fils  de  Tun  des  plus  importants  parmi  les  habitants  de 
Pont  Saint-Vincent,  Dominique  Huot,  qui  était  tabellion  et 
fermier  des  droits  seigneuriaux  dans  le  comté  ;  sa  famille, 
ou  tout  au  moins  sa  femme,  s'était  réfugiée  à  Chaligny 
pour  éviter  la  contagion  (2).  A  cette  époque  la  peste  faisait 
de  nombreuses  victimes  au  Pont.  L'épidémie  y  fut  si  meur 
trière  que  le  curé  cessa  de  transcrire  sur  son  registre  les 
décès  trop  nombreux  (3). 

Elle  y  persista  pendant  les  années  suivantes  et  durait 
encore  en  1633  (4^  et  en  1634  (5).  Il  ne  faut  pas  s'étonner  de 
ce  que  la  maladie  n'ait  pas  tardé  à  gagner  les  villages  voi- 
sins. En  1631  et  1632,  elle  désola  Chaligny,  où  nombre  de 

(1)  Archives  de  Pont-Sainl-Vincent,    registre  dos  baptômos. 

(2)  Archives  de  Pont  Saint-Vincent,  registre  des  baptôines. 

(3)  Note  de  M.  l'abbé  Boulanger. 

(4)  Jean  Mercier,  admodiateur  du  «  ban  m  de  Pont- Saint-Vincent,  en 
1633,  invoque  la  contagion  comme  un  motif  à  l'appui  d'une  demande  en 
réduction  de  son  fermage.  Archives  de  M.et-M.,  B,  3947. 

(i5)  Le  1"  avril  1634,  un  habitant  de  Nancy,  M.  Dubourcq,  écrivait  A 
M.  de  Fisson,  demeurant  ft  Pont-Saint-Vincent,  où  il  était  capitaine  et 
gruyer  du  comté,  pour  le  remercier  de  l'envoi  d'une  belle  carpe  de 
Moselle  (on  était  au  1"  avril),  et  lui  dire  qu'il  remettrait  à  M.  Arnou'^ 
président  à  la  Cour,  celle  cfue  Flsson  lui  avait  envoyée  h  l'intention 
ce  magistrat.  Il  ajoute  :  a  Vous  scaurez  pour  nouvelle  que  S.  A.  ei 
Madame  la  Duchesse  sont  sortis  de  Nancy  ;  et  ne  sçait-on  où  ils  sont 
allés  ».  —  C'est  qu'en  eilet  le  1"  avril  1634,  au  matin,  avait  eu  lieu 
l'évasion  du  duc  Nicolas-François  et  de  sa  femme  la  duchesse  Claude. 
Le  porteur  de  la  lettre,  ajoute  Dubourcq,  a  obtenu  de  S.  A.  (xNicolas- 
François)  l'exemption  du  droit  de  bourgeoisie  à  Pont-Saint-Vincent, 
«  avec  obligation  de  servir  la  ville  durant  la  peste  ».  C'est  donc  (juc  la 
peste  sévissait  encore  à  Pont-Saint-Vincent  le  1"  avril  16!J4.  (Archives 
de  M.-et-M.,  B,  3947  bis  )  Sur  Arnoult,  nommé  dans  celte  lettre,  qui 
est  l'intendant  de  la  maison  de  Nicolas-François,  voir  l'artich^  de  M.  F. 
des  Robert,  dans  les  .Mémoires  de  la  S.  A.  L.,  3'  série,  XIII  (188;i), 
p.  82  et  s.  Dubourcq  ou  du  Bourg,  son  gendre,  était  intendant  de  la 
i^uchesse  Claude  ilbid.^  p.  85). 


-228  - 

familles  furent  plongées  dans  le  deuil  et  la  misère  (1).  Vers 
la  môme  époque,  elle  frappa  Maron  et  Villers-lès-Nancy  (2). 
Un  peu  plus  tard,  Vézelise  et  toute  la  région  de  Vaudémont 
en  subissaient  les  cruelles  atteintes.  C'était  un  sombre  pré 
lude  à  des  maux  plus  graves  encore. 

S'il  faut  en  croire  les  témoignages  contemporains,  les 
débuts  du  gouvernement  de  Charles  IV  n'avaient  donné  à 
son  père  qu'une  satisfaction  très  médiocre.  A  entendre 
Beauvau,  le  chagrin  de  ne  pouvoir  porter  ce  ^ils  à  suivre 
des  conseils  modérés  aurait  contribué  à  hâter  sa  fin  (3). 
C'est  qu'en  effet  Charles  IV  semble  avoir  pris  à  tache  de 
précipiter  l'explosion  du  conflit  qui,  il  faut  le  reconnaître, 
ne  pouvait  guère  manquer  d'éclater  entre  la  Lorraine  et  la 
France  :  on  doit  convenir  qu'il  y  réussit  parfaitement.  Au 
printemps  môme  de  cette  année  1632,  quelques  mois  avant 
la  mort  de  Vaudémont,  les  desseins  de  Richelieu  sur  la 
Lorraine  s'étaient  manifestés  par  un  fait  bien  propre  à  dis- 
siper toutes  les  illusions.  C'est  alors  que  les  troupes  fran- 
çaises, conduites  par  le  roi  en  personne,  franchirent  les 
frontières  de  la  Lorraine;  elles  s'établirent  à  Liverdun  et 
menacèrent  Nancy.  Le  vieux  duc  vivait  encore,  quand  des 
détachements  de  l'armée  d'invasion  parvinrent  jusqu'au 
comté  de  Chaligny.  Nous  savons  qu'à  cette  époque,  des 
dégâts  furent  commis  par  les  soldats  sur  les  moissons,  au 
moins  à  Neuves-Maisons,  dégâts  assez  graves  pour  qu'ils 
aient  fourni  au  fermier  du  prieuré  de  Neuves-Maisons  un 

(1)  Beaucoup  d'habitants  de  Chaligny  n'étaient  plus  alors  en  état  de 
payer  les  redevances  et  les  amendes  dues  au  fisc  seigneurial  (B,  3996 
et  3998). 

(2)  Pour  Maron,  voir  les  docunoients  cités  à  la  note  précédente.  Pour 
Villcrs,  voir  Archives  de  M.-el-M.,  H,  4G0.  Pour  Vézelise,  voir  Lepage, 
Communes  de  la  Meurthe.  -  L'abbaye  de  Clairlicu  demeura  longtemps 
indemne.  Le  5  novembre  1632,  un  jeune  garçon  de  seize  ans,  d'ailleurs 
inconnu,  tomba  subitement  malade  »  la  porte  du  couvent  et  fut  em- 
porté en  quelques  heures  par  la  peste.  Les  religieux  le  soignèrent  en 
dehors  dos  bAtiments  claustraux,  pour  n'y  pas  introduire  la  contagion 
qui,  jusqu'à  ce  momonl,  les  avait  épargnés.  (H,  48i.) 

(3)  Beauvau,  Mémoires  (édit.  de  Cologne,  1689),  p.  52. 


—  229  — 

motif  pour  résilier  son  bail  (1).  Le  traité  de  Liverdun  ayaix 
donné  satisfaction  à  Louis  XllI,  les  troupes  françaises  ne 
tardèrent  pas  à  se  retirer.  Mais  ce  fut  pour  revenir  Tannée 
suivante  dans  ce  pays  dé  Lorraine  qu'elles  devaient  désor- 
mais occuper  pendant  la  plus  grande  partie  du  xvii®  siècle. 

Un  document  atteste  que  des  troupes  passèrent  à  Pont- 
Saint-Vincent  au  moment  du  blocus  de  Nancy,  qui  eut  lieu 
en  1633.  Ces  troupes,  dont  la  visite  fut  considérée  comme 
un  fléau,  étaient  très  vraisemblablement  des  troupes  fran- 
çaises, car  nous  possédons  une  liste  des  habitants  de  Cha- 
ligny  qui  furent  ruinés  lors  de  la  course  qu'y  firent  les 
Français  en  cette  même  année,  «  pour  avoir  Tinfanterie 
passée  par  Ghalligny  et  emporté  tant  peu  de  meubles  qu'ils 
avoient  (2)  ».  Le  comté  avait  pris  ainsi  un  avant  goût  du 
triste  sort  qu'il  devait  subir  pendant  dix  ans. 

On  sait  les  événements  qui  se  succédèrent  alors  :  l'occu- 
pation de  Nancy,  l'abdication  et  le  départ  de  Charles  IV, 
l'avènement  de  Nicolas-François  à  la  couronne  ducale,  son 
mariage  avec  sa  cousine,  leur  fuite  de  Nancy  le  l*^*"  avril 
1634  (3).  A  ce  moment  l'administration  française  établie  à 
Nancy  s'attribua  le  gouvernement  et  la  jouissance  du  comté 
de  Ghaligny  (4),  touten  conservant  les  agents  qui  en  étaient 
chargés.  Les  premiers  mois  du  nouveau  régime  paraissent 
n'avoir  été  marqués  par  aucun  trouble  matériel.  C'est  seule- 
ment en  1635  que  les  paisibles  campagnes  du  comté  de  Cha- 
ligny  devinrent  le  théîUred'une  guerre  aussi  funeste  par  son 
interminable  durée  que  par  les  excès  dont  elle  fut  l'occasion. 

(1)  H,  1926. 

(2)  Voir  celte  liste  certifiée  par  l'échevin,  le  chevaucheur  et  un  fores- 
tier, B,  3998. 

(3)  Sur  la  nouvelle  do  cette  fuite,  envoyée  â  Pont-Saint- Vincent  par 
une  lettre  à  un  habitant  de  Nancy,  voir  ci-dessus,  p.  227,  note  .">. 

(4;  En  février-mars  ir)34,  le  maréchal  de  la  Force  avait  réduit  le  Vau- 
démont  k  l'obéissance  du  Roi  (Pfistor,  Les  Métnoirea  du  comte  dr  ffras- 
sac;  Mémoires  de  la  S.  À.L.,  :V  série,  XXVI  (  1898),  p.  361).)  Il  est  ccr- 
tiiin  que  le  commandant  français,  maître  de  Nancy  cl  de  Vézelisc,  é'.ait 
aussi  maître  du  comté  de  Chaligny. 


-  230  — 

Vers  l'automne  de  cette  année  1635,  le  duc  Charles  IV, 
établi  dans  les  Vosges  à  la  tête  de  son  armée  (1),  menaçait 
les  troupes  françaises  qui  occupaient  la  Lorraine.  Comme 
la  garnison  française  d'Epinal  était  plus  qu'aucune  autre 
exposée  aux  attaques  de  l'ennemi,  l'un  des  généraux  fran- 
çais, le  duc  d'Angouléme  (2),  qui  commandait  avec  le  ma- 
réchal de  la  Force,  crut  nécessaire  de  lui  faire  parvenir  des 
approvisionnements  (3).  Le  convoi,  composé  de  quinze 
charriots,  fut  formé  à  Nancy  à  la  fin  d'août  ou  au  commen- 
cement de  septembre  :  Angoulême  décida  de  le  faire  con 
duire  par  une  escorte  de  200  cavaliers,  sans  compter  les 
dragons,  jusques  à  Pont-Saint-Vincent,  dont  le  château 
était  alors  au  pouvoir  des  Français.  Là,  Gassion,  qui  bat- 
tait le  pays,  avait  ordre  de  venir  le  prendre  avec  son  régi- 
ment de  cavalerie,  deux  compagnies  de  dragons,  et  SOO 
mousquetaires  à  pied,  pour  le  diriger  immédiatement  sur 
Epinal,  sans  doute  par  Bayon  et  Charmes.  L'entreprise 
n'était  pas  sans  dangers,  car  Charles  IV  avait  jeté  bien  loin 
en  avant  de  son  armée  de  forts  partis,  composés  principa- 

(1)  Son  quartier  général  au  commencement  do  septembre  était  à 
Rarabcrvillers,  où  le  duc  avait  établi  un  camp  fortifié.  l\  s'efforçait 
alors  d'armer  nobles  cl  soldats  dans  toute  la  Lorraine.  Voir  la  lettre 
du  maréchal  de  la  Force,  du  6  septembre  1635,  en  partie  analysée  ci- 
dessous,  note  3. 

(2)  Charles  de  Valois,  comte  d'Auvergne,  bâtard  de  Charles  IX  et  de 
Marie  Touchcl. 

(3)  J'emprunte  le  récit  <iui  suit  à  la  Gazette  extraordinaire  du 
14  septembre  UîS'i,  que  je  trouve  dans  le  recueil  des  Extraits  des  Ga- 
zettes, de  Schmit,  ms.  do  la  Bibliothèque  de  Nancy,  809-812  ;  cf.  F.  des 
Robert,  Campagnes  de  Charles  IV,  I,  p.  149.—  Aux  Archives  du  Minis- 
tère des  AITaires  étrangères  (Lorraine,  Correspondance,  XXVI,  pièce  38, 
^ol.  70-80),  se  trouve  une  lettre  du  maréchal  de  la  Force  au  cardinal  de 
Richelieu,  datée  du  camp  de  Lunéville,  6  septembre  i(>3î).  Il  n'a  pas  été 
possible,  dit  celte  lettre,  d'attaquer  encore  le  duc  Charles,  le  corps  du 
vicomte  d'Arpajon  n'ayant  pas  encore  rejoint.  Sur  la  nouvelle  que  Ley- 
mont  avait  passé  vers  Saint-Vincent  isic)  et  vers?  Saint  Mihiel  avec  2000 
chevaux  pour  y  rallier  des  troupes  du  Luxembourg,  il  a  été  décidé  de 
le  fjire  attaquer  par  le  vicomte  d'Arpajon,  qui  se  trouvait  û  sa  portée. 
Le  duc  d'Angouléme  a  pris  part  à  l'opération,  dont  le  résultat  n'était 
pas  connu  au  quartier  général  de  Lunéville  le  6  septembre. 


—  231  — 

lement  de  cavalerie.  L'un  de  ces  partis  venait  justement  de 
s'emparer  du  chAteau  d*Haroué,  de  brûler  le  village  voisin 
de  Cranlenoy  (village  et  chûteau  appartenant  à  Christophe 
de  Bassompierre,  qui  servait  le  roi),  et  de  rançonner  tous 
les  villages  de  la  seigneurie  (1)  ;  la  suite  des  événements 
démontre  qu'à  cette  époque,  le  comté  de  Vaudémont 
retomba  sous  la  puissance  du  duc,  son  souverain  légitime. 
Or,  quand  Gassion  arriva  à  Pont-Saint-Vincent,  il  se  heurta 
à  un  corps  de  cavalerie  lorraine,  comptant  2000  chevaux, 
que  commandait  François  de  Savigny,  sieur  de  Leymont, 
sergent  de  bataille  de  Charles  IV.  Les  Français  étaient  fort 
inférieurs  en  nombre  ;  battus  par  les  Lorrains,  ils  n'eu- 
rent rien  de  mieux  à  faire  que  de  se  retirer  dans  le  château 
de  Pont-Saint-Vincent.  Les  vainqueurs  voulurent  couron" 
ner  leur  succès  en  emportant  ce  chAteau  ;  mais  ils  lui  don- 
nèrent inutilement  deux  assauts,  qui  leur  coûtèrent  60  à 
80  soldats.  Reconnaissant  alors  qu'ils  ne  se  rendraient  pas 
maîtres  du  château  sans  canon,  ils  se  décidèrent  à  en  aller 
chercher  à  leur  camp,  qui  était  à  deux  lieues  de  là  (2). 
Comme  ils  s'imaginaient  que  Gassion,  renonçant  à  accom- 
plir sa  mission,  songeait  se.ulement  à  ramener  son  convoi 
à  Nancy,  ils  firent  surtout  surveiller  la  route  qui  conduit 
de  Pont-Saint-Vincent  à  la  capitale  lorraine.  Ils  avaient 
compté  sans  leur  hôte  ;  Gassion,  usant  de  ruse,  glissa  entre 
leurs  mains,  et,  ((  contrefaisant  le  Lorrain  »,  réussit  à  gagner 
Epinal  par  la  haute  vallée  de  la  Moselle,  non  sans  avoir 
taillé  en  pièces  quelques-unes  des  compagnies  lorraines, 
destinées  à  faire  le  siège  du  château  du  Pont,  qu'il  eut 
l'heur  de  rencontrer  sur  son  chemin. 

Il  est  probable  qu'abandonnée  à  elle-même,  la  petite 
garnison  française  de  Pont-Saint-Vincent  ne  put  défendre 
le  château,  qui  dut  alors  tomber  au  pouvoir  des  troupes 


(1)  Bassompierre,  Journal  de  ma  vie,  ÏV,  p.  191. 
(2j  Peul-^tre  vers  Haroué. 


—  232  — 

lorraines  commandées  par  Leymont  (1).  Cette  hypothèse 
semble  d'autant  plus  vraisemblable  cfue,  quelques  jours 
après  rengagement  du  Pont,  au  cours  de  ce  même  mois  de 
septembre,  sans  s'occuper  d'avantage  de  la  vallée  de  la  Mo- 
selle, Angoulème  et  la  Force  crurent  devoir  réunir  toutes 
leurs  troupes  sur  la  Meurthe,  pour  se  porter  du  côté  du 
camp  lorrain  établi  à  Rambervillers  (2). 

Toutefois,  si  les  étendards  lorrains  flottèrent,  une  fois 
encore,  sur  les  tours  de  Pont  Saint- Vincent,  ce  ne  fut  pas 
pour  longtemps.  Sans  doute  pendant  le  mois  d'octobre, 
toutes  les  forces  françaises  furent  retenues  du  côté  de  la 
Seille,  pour  faire  face  à  l'armée  impériale  de  Gallas 
qu'avait  rejointe  l'armée  commandée  par  Charles  IV.  Mais 
quand,  à  la  fin  d'octobre,  ces  deux  armées  se  séparèrent 
sans  avoir  rien  tenté,  on  eut  avis  au  camp  français  que 
Charles  IV  comptait  se  retirer  vers  la  Franche  Comté  en 
longeant  les  Vosges.  Le  maréchal  de  la  Force  se  porta  alors 
sur  la  Moselle  afin  d'essayer  de  couper  la  route  au  duc, 
et,  en  tout  cas,  de  nettoyer  la  région  de  la  Moselle  et  du 
Madon:  on  sait  que  l'ennemi  y  occupait  nombre  de  petites 
places,  comme  Charmes,  Haroué,  Vézelise,  Vaudémont  (3) 
et  peut-être  aussi  Pont-Saint-Vincent. 

La  Force  était  encore  à  son  quartier  général  de  Cham- 
pigneulles,  près  Nancy,  le  21  octobre  1635.  Ce  n'est  que 
quelques  jours  plus  tard,  à  la  fin  d'octobre  ou  au  com- 
mencement de  novembre,  qu'il  accentua  son  mouvement. 
Il  se  dirigea  sur  Saint-Nicolas,  pour  passer  de   là   vers  la 

(1)  L'interprétation  (]uc  nous  proposons  ici  des  renseignements  que 
nous  possédons  sur  cette  campagne  semble  plus  plausible  que  celle 
de  dom  Calmct  (2«  édil.  VI,  col.  193)  qui,  se  fondant  sur  le  Journal 
de  Bassompierre  et  les  Mémoires  de  Beauveau,  croit  que  le  duc  d'An- 
goulème  se  retira  à  Pont-Saint- Vincent.  Je  ne  vois  pas  comment  dom 
C'ilmet  peut  déduire  une  telle  conclusion  du  texte  de  Bassompierre  |1V, 
p.  192),  ou  de  celui  de  Beauveau  (p.  58). 

(2)  La  Force,  Mémoires,  III,  p.  150. 

(3)  La  Force,  Mémoires,  III,  163.  Pour  Haroué,  voir  ci-dessous, 
p.  231. 


—  233  — 

vallée  de  la  Moselle  :  c'est  alors  (o  novembre)  que  se  pro- 
duisit l'un  des  plus  odieux  épisodes  de  ces  guerres,  le 
brûlement  de  Saint-Nicolas,  dont  il  faut  reconnaître  que 
Tarmée  de  la  Force  n'est  pas  seule  responsable  ;  les  Sué- 
dois de  Weiraar  s'y  trouvaient  aussi  et  y  prirent  leur  large 
part.  Poursuivant  sa  route,  la  Force  se  dirigea  vers  Méré- 
ville,  où  il  passa  la  Moselle  ;  c'est  peut  être  lorsqu'il  exé- 
cuta cette  marche  qu'un  parti  de  Suédois,  détaché  de  son 
armée,  assiégea  inutilement  le  château  de  Ludres  (1). 
Arrivée  sur  la  rive  gauche  de  la  rivière,  l'armée  française 
se  porta  directement  vers  le  Madon,  qu'elle  franchit  à  Pul- 
ligny,  village  visité  par  les  reitres  lors  de  la  campagne  de 
1587;  puis  La  Force  établit  le  gros  de  sa  troupe  entre  Véze- 
lise  et  Vaudémont,  occupées  Tune  et  l'autre  par  des  garni- 
sous  lorraines  ou  impériales,  et  à  l'aide  de  corps  détachés 
attaqua  vivement  ces  deux  forteresses.  Vézelise  capitula  le 
30 novembre;  Vaudémont,  qui,  perché  sur  sdn  rocher, 
eût  pu  se  défendre  plus  longtemps,  se  rendit  le  3  décem- 
bre (2).  Le  jour  même  où  capitulait  Vézelise,  les  Lorrains 
avaient  abandonné  le  chûteau  de  Haroué,  où  le  lendemain 
le  marquis  de  Sourdis  envoya  un  détachement  de  troupes 
royales  (3).  Il  n'y  a  pas  à  douter  que  les  Français,  s'ils 
avaient  perdu,  quelques  semaines  plus  tôt,  le  château  de 
Pont  Saint-Vincent,  n'en  soient  alors  rentrés  en  possession. 
A  la  fin  de  Tannée  1635,  le. comté  de  Chaligny,  tout  entier, 
comme  le  comté  de  Vaudémont,  se  trouvait  de  nouveau  à  la 
discrétion  des  armées  de  Louis  XIII. 


(1)  Comte  dr  Ludre,  Une  famille  de  la  chevalerie  lorraine^  I,  p.  370 
et  s.  11  est  d'ailleurs  possible  que  ratta(ïue  de  Ludres  ait  été  le  fait  de 
Suédois  détiichés,  non  de  l'armée  de  la  Force,  mais  de  celle  de  Weimar. 

(2)  La  Force,  Mémoires,  III,  p.  la'i  ;  F.  des  Robert,  Campagnes  de 
Charles  iK,  I,  p.  2H. 

(3)  Bassompierre,  Journal,  IV,  p.  195. 


VII 

Ces  événements  ne  s'étaient  pas  produits  sans  entraîner 
de  lamentables  conséquences  pour  la  région  successive- 
ment occupée  par  les  deux  armées  ennemies.  Vers  le  mois 
de  septembre  les  troupes  impériales,  qui  combattaient  pour 
le  duc  de  Lorraine  (c'était,  en  cette  circonstance,  des 
corps  allemands  et  hongrois),  pillèrent  non  seulement  le 
bourg  de  Pont-Saint- Vincent,  mais  encore  les  trois  villages 
du  comté,  Chaligny,  Chavigny  et  Neuves-Maisons,  aussi 
bien  que  les  villages  voisins  de  Maron  et  de  Messein.  Les 
doléances  du  fermier  qui  occupait  alors  le  prieuré  de 
Neuves-Maisons,  appartenant  au  noviciat  des  Jésuites  de 
Nancy,  permettent  d'apprécier  l'importance  des  dégâts 
commis  par  le  soldat.  Les  Hongrois  firent  main  basse  sur 
toutes  les  provisions,  eu  grains  et  en  vins;  ils  enlevèrent, 
non  seulement  les  chevaux,  mais  tout  le  reste  du  bétail,  y 
compris  les  moutons  et  les  porcs  ;  enfin,  le  fermier  déclare 
qu'ils  lui  ont  pris  literies,  linge  et  vêtements,  a  sans  rien 
avoir  laissé  à  nous  tous  que  ce  qu'avions  au  dos  (l)». 
Lorsque  les  Français  revinrent,  ce  fut  un  régiment  alle- 
mand au  service  du  roi  qui  occupa  Neuves-Maisons  ;  le 
prieuré  abrita  pendant  cinq  jours  le  «  train  »  du  sieur 
de  Batilïy,  qui  commandait  ce  régiment,  celui  du  major, 
celui  du  quartier-maître  et  celui  du  grand  prévùt  avec 
ses  gardes.  Cela  faisait  plus  de  quatre-vingts  chevaux  ; 
il.vadesoi  que  ces  hôtes,  aussi  nombreux  qu'incommodes, 
achevèrent  la  ruine  du  fermier  en  absorbant  ses  dernières 
ressources.  Et,  pour  que  ri^n  n'échappât  aux  gens  de  guerre, 
le  régiment  français  de  Restignac  «  vint  loger  aux  Neuves- 
Maisons,  duquel  se  losgeairent  deux  compagnies  au  prieuré 
avec  le  sieur  de  Saint-Julien,  maislre  de  camp,  et  huit 
capitaines,  qui  ont  achevé  de  tout  ruyner  ».  Généralisez  ce 
tableau,  qui  ne  se  rapporte  qu'au    prieuré,   et  vous  vous 

(i)  Archives  de  M.-el-M.,  H,  i926. 


—  235  — 

rendrez  compte  de  l'état  de  désolation  où  les  mouvements 
de  troupes  de  1633  laissèrent  le  comté  de  Chaligny.  On 
peut  être  assuré  que  la  majeure  partie  du  bétail,  gros  et 
et  menu,  avait  disparu. 

L'année  1636  n'apporta  aucun  soulagement  aux  popula- 
tions si  durement  éprouvées.  Par  ordre  du  gouvernement 
royal,  les  Français  procédèrent  à  la  démolition  de  tout  ce 
qui  restait  de  châteaux  en  Lorraine  (1).  Si  celui  d'Acrai- 
gnes  fut  épargné  ((  en  considération  de  M.  d'Haraucourt, 
qui  n'a  rien  fait  contre  le  service  du  Roi  »,  si  l'intervention 
de  Bassompierre  réussit  à  sauver  le  château  d'Haroué,  la 
plupart  des  maisons  fortes  de  Lorraine  furent  impitoya- 
blement rasées.  Alors  disparurent,  dans  la  région  du  Madon, 
le  château  de  Vézelise,  antique  demeure  des  Vaudémont, 
et  le  château  d'Autrey,  ce  favori  du  duc  François  ;  alors  fut 
jeté  bas  le  château  de  Pont-Saint-Vincent,  dont,  trente  ans 
plus  tard,  les  débris  servirent  à  construire  la  chartreuse  de 
Bosserville  (2);  les  démolisseurs  ne  laissèrent  subsister 
que  les  communs.  Quant  au  a  grand  jardin»,  voisin  du 
château,  que  François  de  Lorraine  avait  entretenu  avec 
tant  de  soin,  il  fallut  en  1637  en  rétablir  sommairement 
l'enclos,  ((  afind'empescher  les  passants  d'en  faire  un  grand 
chemin  et  de  couper  les  arbres  fruitiers.  » 

(1)  C'était  la  volonté  que  Richelieu  exprimait  dès  le  31  mai  1635.  l\ 
écrivait  alors  au  prince  de  Condé  :  a  M.  du  Rallier,  avec  ses  trouppes, 
nettoyera  le  plus  promptement  qu'il  se  pourra  la  Lorraine..,  faisant 
raser  les  petites  places  qui  ne  devront  pas  être  gardées  ».  (Avenel,  Let- 
tres et  papiers  d'Etat  du  Cardinal  de  Richelieu,  \\p.c2).  Le  3  juillet 
-163'),  il  se  préoccupait  de  «  faire  hâter  le  razement  »  (Ibid.,  p.  88).  C'est 
en  1636  que  sa  volonté  fut  exécutée.  Voir  la  liste  des  châteaux  détruits 
dans  un  document  publié  par  dom  Calmet  (2"  édit.),  VI,  p.  210. 

(2)  La  chartreuse  de  Bosserville  a  été  bâtie  en  partie  avec  les  ruines 
du  château  de  Pont-Saint-Vincent.  Les  religieux  firent  transporter  les 
pierres  de  taille  et  huit  colonnes  avec  leurs  corniches,  trophées,  etc., 
qui  ornaient  la  façade,  plus  3,562  pieds  cubes  de  pierres  préparées 
pour  la  construction  du  pont.  (Il  s'agit  du  pont  que  François  de  Lor- 
raine avait  voulu  construire.)  J'emprunte  ces  renseignements  au  mé- 
moire déjà  cité  de  M.  L.  Germain,  Pont-Saint  Vincent,  p.  342. 


—  2:]G  — 

Au  printemps  de  1636,  les  Suédois  revinrent  dans  le 
p«ays.  Dans  son  Journal  de  ma  vie,  Bassompierre  raconte 
qu'à  ce  moment  le  duc  de  Weimar  obtint  congé  du  roi  «  de 
rafraischir  son  armée  au  comté  de  Vaudémont  et  dans  le 
marquisat  de  Harouel,  qui  luy  fut  donné  au  pillage:  ce 
qu'il  fit  sy  bien  exécuter  que  toutes  les  pilleries,  cruautés 
et  inhumanités  y  furent  exercées,  et  la  terre  entièrement 
destruitte.  »  (1)  Naturellement  les  Suédois,  qui  occupaient 
le  Vaudémont,  poussèrent  jusque  dans  le  comté  de  Chaligny. 
Nous  possédons  encore  le  récit  d'une  de  leurs  excursions, 
qui  eut  lieu  en  avril  1636.  Un  détachement  d'une  dizaine  de 
cavaliers,  ayant  saisi  dans  les  vignes  de  Maron  le  meunier 
du  village,  le  conduisit  à  Neuves-Maisons,  où  .les  soldats, 
désireux  de  lui  extorquer  de  l'argent,  l'accablèrent  de  me- 
naces de  mort.  Ils  usèrent  de  procédés  plus  violents  à  l'égard 
d'un  cultivateur  Agé  de  Neuves  Maisons,  nommé  Badel, 
qu'ils  ne  laissèrentqu'après  l'avoir  bien  battu.  Le  lendemain, 
du  côté  de  Chaligny,  ils  rencontrèrent  Démange  Grandclerc, 
le  chevaucheur  des  bois  du  comté,  qui  venait  défaire  la 
recette  des  bois  vendus  l'automne  précédent.  Les  Suédois, 
fort  heureux  de  cette  aubaine,  commencèrent  par  lui  enle- 
ver 300  francs  qu'il  portait,  non  sans  lui  avoir  meurtri  le 
corps  à  coups  d'armes  et  de  bâtons.  Ils  le  reconduisirent 
en  cet  état  à  Chaligny,  où  il  avait  sa  demeure.  Là  ils  le  pen- 
dirent, les  mains  derrière  le  dos,  aux  «  courbes  »  d'une 
cheminée,  et,  à  l'aide  d'une  poulie,  se  donnèrent  le  diver- 
tissement de  le  monter  et  de  le  descendre,  en  lui  prodiguant 
des  coups  de  bâtons  et  en  criant  :  «  Argent,  argent,  pistoles, 
pistoles  !  »  Le  malheureux  Grandclerc  ne  fit  cesser  ce  sup- 
plice qu'en  découvrant  à  ses  bourreaux  une  cachette  qui 


(1)  IV,  p.  199.  Bassompiorre  place  ces  événcmonts  en  mai  :  les  Sué- 
dois durent  arriver  dans  la  réj?ion  dès  le  mois  d'avril.  Le  duc  de  Weimar 
Olait  le  I"  mai  à  Vézelise.  Le  5  mai,  il  avait  pris  ses  quarUers  à  Saint- 
Nicolas.  (Extraits  de  la  Gazette^  réunis  par  Schmit,  ms.  de  la  Biblio- 
thèque publique  de  Nancy,  809-812.) 


_  237  - 

contenait  encore  quelque  somme  de  monnaie.  Us  remme- 
nèrent alors  dans  le  bois  afin  de  se  faire  indiquer  par  lui 
les  quelques  chevaux  du  village  qui  avaient  échappé  aux 
précédentes  pilleries.  Ce  n'est  qu'à  grand  peine  que,  dans 
Taprès-midi,  Grandclerc,  tout  meurtri,  put  trouver  un 
refuge  à  Maron  (1).  J'ai  cité  ce  fait  dont  un  hasard  nous  a 
conservé  les  détails  ;  lout  porte  à  croire  que  des  faits  ana- 
logues devaient  se  produire  chaque  jour  dans  les  villages 
qui  se  trouvaient  à  portée  des  cocps  de  troupes,  Suédois, 
Français,  Croates  ou  Hongrois.  Encore  les  populations 
pouvaient-elles  s'estimer  heureuses  lorsque  les  envahis- 
seurs se  bornaient  à  battre  le  paysan  et  à  piller  ses  biens  (2). 
En  1637,  la  guerre  continua  en  Lorraine,  non  pas  qu'on 
y  fît  de  grandes  opérations  ;  mais  les  soldats  du  duc  y 
occupaient  un  certain  nombre  de  petites  places  comme 
Moyen,  Darney,  Charmes,  d'où  ils  s'efforçaient  de  gêner 
les  généraux  fiançais  par  tous  les  moyens  qui  étaient  en 
leur  pouvoir.  Aussi  les  deux  partis  se  disputaient  ces  pla- 
ces, dont  plusieurs  furent  prises  et  reprises,  au  grand 
préjudice  du  plat  pays  qui  ne  cessait  d'être  victime  de  vio- 
lences et  de  déprédations  Au  comté  de  Chaligny,  les  habi- 
tants vivaient  dans  une  crainte  perpétuelle  des  Suédois, 
dont  les  incursions  n'avaient  pas  cessé  ;  joignez  y  qu'à  l'au- 
tomne de  1637,  ils  furent  de  nouveau  éprouvés  par  le  pas- 
sage d'un  régiment  au  service  français,  le  régiment  de 
Montausier,  qui  s'arrêta  pendant  deux  jours  à  Neuves-Mai- 
sons. Enfin,  comme  si  ce  n'était  pas  assez  des  injures  des 
hommes,  «  une  grande  foudre  de  grêles  m  a  éclaté,  le  24  mai, 
sur  Chavigny,  et  y  a  détruit  ce  qui  subsistait  de  récoltes  (3). 

(1)  B,  3999  (Compte  de  gruerie  de  1639). 

(2)  Voyez,  dans  le  Journal  de  Bassompierre  {IV,  p  200),  le  récit  des  for- 
faits accomplis  à  Removiile  (Vosges,  arrond.  de  Neufchâteau,  canton 
de  Châtenois),  par  les  Suédois  de  Weimar,  le  28  mai  1636.  Pour  cou- 
ronner d'horribles  scènes  de  pillage,  de  massacres  et  de  viols,  les 
enfants  furent  brûlés  dans  l'incendie  du  chAteau. 

(3)  H,  1926.  Ce  jour  là,  la  grêle  a  visité  Chavigny  et  Messein. 


-  238  - 

II  est  facile  de  deviner  la  désolation  où  se  trouvait  plongé 
tout  le  pays  ;  là-dessus  d'ailleurs  les  témoignages  ne  nous 
font  pas  défaut. 

Les  fermiers  du  pressoir  seigneurial  de  Chaligny  (1)  dé- 
clarent qu'ils  n'ont  pu  jouir  de  leur  droit  «  par  la  violence 
des  trouppes  ennemies  et  Suédois  »,  qui  chaque  jour  pillaient 
les  maisons  et  conliaignaient  les  pauvres  habitants  à  se 
réfugier  dans  les  bois.  Le  vin  qu'ils  avaient  en  provision  a 
été  ((gasté  »  par  les  pillards,  qui,  après  qu'ils  avaient  bu  à 
leur  fantaisie,  «  prenaient  plaisir  de  le  lâcher  ou  de  l'em- 
mener où  bon  leur  semblait  (2)  ».  D'autres  habitants  du 
môme  village.  César  Mansay,  François  Jacquot,  Nicolas 
Jean-Maire,  font  écho  à  ces  plaintes.  Les  courses  incessan- 
tes des  soldats,  disent  ils,  ont  rendu  toute  culture  impos- 
sible; d'ailleurs  les  cultivateurs  ont  perdu  tous  leurs  che- 
vaux, enlevés  lors  du  passage  de  troupes.  Sans  semer 
d'avoine,  ils  avaientau  moins  tenté  d'ensemencer  quelques- 
unes  des  terres  à  blé  ;  mais  le  blé  a  été  rongé  par  les  rats 
et  les  souris;  on  n'en  a  pas  retiré  la  semence. 

Le  fermier  des  Jésuites  à  Neuves-Maisons,  Dominique 
Huot,  fait  sa  partie  dans  ce  concert  de  lamentations.  En 
1637,  il  n'a  pu  habiter  le  prieuré  ;  il  lui  a  fallu  se  tenir 
prudemment  à  Nancy  dans  une  maison  qu'il  a  louée  ; 
«  sinon,  luy  et  sa  famille  auraient  prins  le  chemin  de 
l'autre  monde  ».  Presque  tous  les  foins  sont  demeurés  aux 
champs,  sans  qu'on  ait  pu  les  faire  rentrer.  «  La  mémoire 
est  toute  récente  du  régiment  de  Montausier  qui,  en  pas- 
sant cet  automne  dernier  (1637),  vers  la  fin  du  mois  d'octo- 
bre, aurait  logé  et  séjourné  deux  jours  »  ;  les  soldats 
brûlèrent  tout  le  reste  des  meubles  du  prieuré,  et  aussi 
les  chars,  charrettes,  charrues  et  tous  autres  ustensiles  de 
labourage  déjà  renouvelés  deux  fois  ;  en  outre,  ils  consom- 
mèrent trois  virlis  (3)  de  vin.  «  Chacun  sait,  ajoute  Huot, 

(1)  Matthias  Grandidior  ot  Claude  Husson. 

(2)  B,3999. 

(3)  La  capacitif,  du  virli  rst  de  près  de  320  litres. 


-  239    - 

dont  je  résume  les  plaintes,  que  les  dites  courses  ou  passa* 
ges  des  gens  de  guerre,  prises  de  chevaux  et  autre  bétail, 
ont  lait  que  les  villages  (de  Messein  à  Maron),  n'ont  semé 
ni  labouré  les  terres  de  leurs  bans,  pas  seulement  du  demi- 
quart  (1).  »  Le  peu  de  grain  qu'ils  ont  pu  récolter,  les 
laboureurs  de  Chaligny  ont  dû  l'emporter  sur  leurs  hottes, 
«  n'y  ayant  point  de  chevaux  »  (2). 

Le  fermier  du  moulin  de  Pont-Saint-Vincent  (il  se  nom- 
mait Didier  Mathieu),  déclare  de  son  côté  qu'en  1637,  les 
habitants  n'ont  guère  apporté  de  grain  au  moulin,  «  empê- 
chés qu'ils  étaient  par  les  soldats  Suédois,  ennemis  ou 
autres,  qui  pillaient  leurs  grains  et  les  contraignaient  à  se 
réfugier  dans  les  bois  )).  Ceux  qui  restaient  au  village, 
n'ayant  point  de  blé,  étaient  réduits  à  se  nourrir  de  glands. 
Le  droit  de  terrage  dont  nombre  d'habitants  étaient  rede- 
vables n'a  rien  produit,  parce  que,  en  cette  année,  «  n'y  a 
eu  aucun  laboureur  au  Pont  )).  Le  paquis  de  Cazotte,  sur  la 
rive  de  la  Moselle,  n'a  pu  être  loué,  «  faute  de  bétail  ».  Le 
droit  perçu  d'habitude  sur  les  fours  des  boulangers  a  été 
réduit  à  néant,  w  pour  le  dit  lieu  du  Pont  avoir  été  aban- 
donné à  cause  des  forces  et  violences  de  guerre  »  ;  il  en  est 
de  même  du  droit  sur  les  halles  et  marchés  (3).  Ce  n'était 
pas  seulement  de  Pont-Saint-Vincent  que  la  population 
s'enfuyait  dans  les  forêts  ;  nombre  de  laboureurs  de  Chali- 
gny s'y  étaient  retirés  (4)  pour  y  vivre  de  glands  ou  d'au- 
tres fruits  sauvages  ;  le  village  fut  désert  pendant  une 
grande  partie  de  l'année  (5).  Les  fugitifs  pouvaient  d'ail- 

(1)  A  Chaligny,  en  1637,  on  n'a  point  perçu  le  droit  habituel  sur  les 
charrues,  a  pour  avoir  esté  tous  les  chevaux  robbés  »  (B,  3947). 

(2)  H,  1926. 

(3)  B,  3949,  passim. 

(4)  B,  3949. 

(5)  B,  3949.  Une  ressource  d'alimentation  dans  ces  années  terribles 
fut  fournie  par  le  poisson  de  la  Moselle.  Dans  les  moments  de  famine, 
on  y  pocha  sans  se  préoccuper  des  droits  du  fermier  de  la  poche.  (Voir 
une  demande  en  réduction  adressée  en  1639  par  le  fermier  de  la  pèche 
à  l'intendant  français  de  Villarccaux,  B,  39o0.) 


-  â40  - 

leurs  se  nourrir  de  glands  sans  crainte  de  faire  tort  aux 
animaux  qui.  d'ordinaire,  étaient  envoyés  dans  les  bois  pour 
y  trouver  leur  nourriture.  En  effet,  en  1637,  le  domaine 
seigneurial  ne  tira  aucun  profit  de  la  glandée  des  bois  de 
Chaligny,  parce  que  les  habitants  n'avaient  plus  de  porcs  à 
y  envoyer.  Au  surplus,  une  note  ajoutée  à  l'article  des  recet- 
tes du  compte  forestier  pour  cette  année  complète  ce 
tableau.  Le  comptable  fait  remarquer  qu'il  est  un  grand 
nombre  de  créances  qu'il  n'a  pu  recouvrer,  «  parce  que  la 
plupart  de  ceux  qui  devaient  des  deniers  pour  le  compte  de 
gruerie  sont  morts  (1)  ».  C'est  pour  la  même  raison  que  la 
vigne  du  comte,  à  Chaligny,  est  demeurée  presque  toute 
entière  en  friche  ;  la  plupart  des  vignerons  auxquels  elle 
était  confiée  sont  morts  (2).  Il  en  était  de  même  au  Pont  ; 
«  la  plupart  de  tous  les  héritages  sont  demeurés  friches  et 
les  propriétaires  sont  morts  (3)  ». 

Quelques  traits  achèveront  cette  description.  Des  trois 
moulins  du  comté,  deux  ont  été  brûlés  ;  le  troisième  est 
fort  endommagé;  la  tuilerie  de  Chavigny  est  presque  entiè- 
rement ruinée  (4).  En  1637,  on  compte  dans  les  trois  villa- 
ges de  Chaligny,  Chavigny  et  Neuves-Maisons  29  feux  en 
état  de  payer  au  seigneur  certaines  contributions  ;  en  1611 
il  y  en  avait  172  (5).  Les  droits  sur  le  tabellionnage  de 
Pont-Saint-Vincent  n'ont  rien  produit  en  cette  même 
année  1637,  non  plus  que  les  amendes  et  autres  droits  de 
justice  (6),  «  pour  les  forces  et  violences  des  guerres  »,  écrit 
mélancoliquement  le  comptable  ;  on  ne  passe  plus  d'actes, 
de  même  qu'on  ne  plaide  plus  et  qu'on  ne  poursuit  plus  les 
délinquants.  La  vie  sociale  semble  arrêtée  ;  c'est  l'état  sau- 

(1)  B,  3940. 

(2)  En  1637,  on  n'a  tiré  de  celte  vi^'ne  que  50  francs,  pour  '(  du  fruit 
de  raisin  »  qui  a  été  vendu.  B,  3949. 

(3)  B,  3949. 

(4)  B,  3949. 
{;i)  B,  3949. 
(6)  B,  3949. 


-  241  - 

vage  qui  renaît,  où  chaque  individu  se  protège  lui-même, 
comme  il  peut,  et  vil  au  détriment  de  son  prochain. 

Plus  lamentable  encore,  s'il  est  possible,  fut  Tannée  1638 
dans  le  comté  de  Ghaligny.  Le  mal  s'aggravait  chaque  jour 
par  reflet  des  courses  auxquelles  les  deux  partis  ne  ces- 
saient de  se  livrer.  Ainsi  les  «  Crawates  »,  c'est  à-dire  les 
soldats  ou  les  alliés  du  duc  de  Lorraine  qui  étaient  postés 
à  Haroué  (1),  à  Moyen  ou  à  Darney,  faisaient  de  fréquentes 
pointes  jusques  à  Pont-Saint-Vincent.  Le  ((  barquier  »,  loca- 
taire de  la  pêche,  chargé  aussi  d  assurer  le  passage  de  la  Mo- 
selle, s'en  plaignait  amèrement  :  on  lui  enlevait  tout  son 
poisson  ;  encore  était-il  trop  heureux  quand  ce  n'était  pas 
lui  même  qu'on  enlevait  pour  lui  faire  subir  quelques  jours 
de  captivité  (2).  Naturellement  les  Croates  ne  se  bornaient 
pas  à  visiter  le  barquier  ;  s'ils  trouvaient  dans  la  région 
quelque  objet  bon  à  prendre,  ils  ne  manquaient  pas  de  s'en 
emparer.  L'administration  française  s'émut  de  ces  razzias; 
pour  y  mettre  un  terme,  le  grand-prévôt  de  Toul  vint  à 
Pont  -  Saint  -  Vincent  avec  un  détachement  d'infanterie 
suisse,  qui  se  proposait  de  bien  recevoir  les  Croates.  Mais 
il  paraît  que,  pour  les  pauvres  habitants,  le  remède  fut  pire 
que  le  mal.  Comme  par  le  passé,  les  bois  étaient  le  seul 
refuge  où  ils  pouvaient  se  croire  à  peu  près  préservés  con- 
tre les  cruautés  qu'ils  avaient  vu  commettre  «en  la  per- 
sonne de  plusieurs  particuliers  (3)  ». 

Ce  fut  bien  pis  quand,  au  mois  d'août  1638,  un  corps 

(\)  On  sait  que  les  Lorrains,  que  commandait  le  colonel  Glicquot, 
envoyé  par  Charles  IV,  occupèrent  Haroué  le  5  septembre  1638,  avec 
trois  régiments  d'infanterie,  trois  de  cavalerie  et  deux  pièces  de  canon. 
(Bassom pierre.  Journal  de  ma  vie,  IV,  p.  282.)  On  devine  les  courses 
qu'ils  firent  dans  les  environs.  Ils  furent  d'ailleurs  surpris  à  Haroué 
par  Bellefonds,  qui  les. attaqua  de  nuit  le  30  octobre  (p.  287).  Les  Lor- 
rains n'en  demeurèrent  pas  moins  maîtres  du  chAteau  de  Haroué  au 
moins  pendant  la  première  partie  de  l'année  1639  (p.  294,  299). 

(2)  B,  3950. 

(3)  B,  3950  ;  supplique  à  l'intendant  français  de  Villarceaux,  Juillet 
1638. 

16 


-  242  - 

d'armée  français,  commandé  par  le  maréchal  de  camp  Bel- 
lefonds  (le  père  du  maréchal  de  France),  vint  s'établir  à 
Saint-Nicolas,  d'où  il  prétendait  secourir  la  place  de  Luné- 
ville,  attaquée  par  les  Lorrains.  Bellefonds  y  demeura 
longtemps,  plus  de  trois  mois  (1).  Pour  s'y  procurer  des 
subsistances,  les  troupes  placées  sous  son  commandement 
ravagèrent  régulièrement  toutes  les  contrées  avoisinantes, 
jusquesà  une  grande  dislance.  «  Ses  soldats,  écrit  le  fer- 
mier du  moulin  de  Chavigny,  se  sont  adonnés  à  fourrager 
et  à  piller  le  comté  de  Ghaligny  pendant  diverses  fois  qu'ils 
y  ont  retourné  avec  chariots  et  charrettes,  jusqu'à  ce  qu'ils 
n'ont  plus  rien  trouvé,  môme  enlevé  et  pris  tous  les  grains.  » 
Les  habitants,  chassés  de  leurs  maisons,  sont  réduits,  une 
fois  de  plus,  à  se  retirer  dans  les  bois.  Plusieurs  ont  été 
tués;  d'autres,  si  fort  maltraités  et  a  oultragés  ))  que  la 
mort  s'en  est  suivie  (2). 

Tout  n'était  pas  fini  quand  on  fut  quitte  des  soldats  de 
Bellefonds.  Les  Lorrains  s'étaient  emparés  de  Lunéville  ; 
dans  les  derniers  mois  de  l'année  1638,  un  corps  français, 
commandé  par  le  duc  de  Longueville,  fut  chargé  de  leur 
reprendre  cette  place.  Pour  s'y  rendre,  il  traversa  le  comté 
de  Ghaligny  ;  bien  plus,  il  séjourna  pendant  quatre  à 
cinq  jours,  vers  la  fin  d'octobre,  à  Pont-Saint-Vincent, 
et  dans  les  villages  voisins.  Alors  ce  fut  le  comble  de  la 
misère.  Tout  ce  qu'on  avait  pu  sauver,  à  grand'peine,  fut 
pris  par  les  soldats  de  Longueville  (3).  A  ce  moment,  d'après 
les  fermiers  du  moulin  de  Pont-Saint  Vincent,  on  peut  dire 
que  la  moitié  des  habitants  du  Pont  sont  morts  ;  ceux  qui 
survivent  se  sustentent  à  l'aide  de  pain  et  de  fruits  qu'ils 
achètent  quand  ils  en  trouvent  (4).  Du  côté  de  Chavigny, 
les  paysans  ne  se  soutiennent  plus  qu'au  moyen  de  quel- 

(1)  Treize  ou  quatorze  semaines.  B,  3950. 

(2)  B,  3950. 

(3)  B,  3950.  Requête  des  fermiers  du  pressoir  de  Ghaligny. 

(4)  B,  3950. 


—  243  — 

ques  pommes  sauvages  et  de  hottées  de  bois  qu'ils  appor- 
tent à  Nancy  pour  les  vendre  (l).  Les  habitants  de  Chali- 
gny,  Neuves-Maisons  et  Ghavigny,  à  la  fin  de  cette  année 
1638,  résument  en  ces  ternies  leur  situation  :  «  Depuis  trois 
ans,  ils  ont  été  tellement  affligés  par  les  gens  de  guerre, 
Suédois  (2)  et  ennemis,  qu'il  ne  leur  reste  plus  aucune  corn  ■ 
modité^ pour  pouvoir  subsister  à  l'avenir,  les  trois  quarts 
des  habitants  étant  morts,  le  reste  étant  contraint  de  se 
retirer  journellement  dans  l'épaisseur  des  bois  pour  se 
sauver  des  Suédois  et  autres (3)  ».  En  cette  même  année 
1638,  le  curtjde  Ghaligny,  Gaspard  Huot,  écrite  son  supé- 
rieur, le  grand-archidiacre  de  Toul,  que  ses  malheureux 
paroissiens  ont  abandonné  la  culture  de  la  terre,  et  que  lui- 
même,  si  on  ne  lui  vient  en  aide,  désespère  de  pouvoir 
demeurer  à  son  poste,  où  lui  et  son  vicaire  sont  exposés  à 
mourir  de  faim  (4). 

Cet  état  de  choses  ne  se  modifiera  guère,  ni  en  1639  ni 
en  1640.  D'une  part,  Pont  Saint-Vincent  et  le  comté  sont  le 


(1)  B.  3930.  Supplique  du  fermier  du  moulin  de  Challgny,  adrcssc^e  à 
Villarceaux  en  1638. 

(2)  L'expression  Suédois  comprend  évidemment  les  Français,  que 
souvent  on  évite  de  citer  quand  on  s'adresse  i\  l'administration  fran- 
çaise. 

(3)  B.  3950.  Supplique  des  habitants  et  communautés  de  Ciialigny, 
Ghavigny  et  Neuves-Maisons.  Ils  obtiennent  de  Villarceaux  la  remise 
des  2(3  de  la  taiHe. 

(4)  Il  fait  observer  que  les  Jésuites,  décimateurs  de  Chaligny  pour 
les  trois  quarts,  qui  tiraient  en  moyenne  de  leur  dîme  2,000  francs, 
viennent  de  l'alTermer  pour  160  francs  (H,  1923  et  1926).  L'état  des 
choses  était  déplorable  à  Loroy-dcvant-Bayon,  qui  faisait  partie, 
comme  on  le  sait,  du  comté  de  Challgny.  Là,  les  soldats,  surtout 
ceux  de  la  garnison  de  Moyen,  avaient  tout  dévoré.  (C'étaient  sans 
doute  des  Croates,  authentiques  ou  apocryphes.)  En  1638,  Claudin 
Durant,  mayeur,  et  sa  femme,  étaient  morts  de  faim.  Il  n'était  demeuré  • 
à  Lorey  que  quatre  habitants,  qui  finirent  par  se  réfugier  à  Bayon  (B. 
3950).  Pour  cette  même  année  1638,  le  comptable  de  la  recette  de  Thé- 
lod  fait  remarquer  que  sa  recette  est  minime,  «  parce  que  les  habitants 
qui  y  faisaient  leurs  résidances  auparavant  sont  pour  la  plupart  mors 
ou  absans,  les  autres  qui  y  résident  encorestans  si  pauvres  qu'ils  n'ont 
moyen  de  rien  payer  ».  (B,  3949.) 


—  244  — 

théâtre  des  «  courses  ordinaires  »  des  Croates,  sortant 
fréquemment,  pour  se  nourrir,  des  postes  fortifiés  assez 
nombreux  qu'ils  ont  conservés  ou  repris,  par  exemple  de 
Darney,  de  Moyen,  d*Epinal  (1)  D'autre  part  les  garnisons 
françaises,  qui,  elles  aussi,  doivent  vivre  sur  le  pays, 
envoient  au  loin  des  fourrageurs.  A  Chavigny,  le  paysan 
tremble  devant  les  partis  tirés  de  la  garnison  de  Nancy,  qu'il 
voit  trop  souvent  apparaître  pour  faire  main-basse  sur  les 
vivres  dont  il  peut  disposer  ;  à  Pont-Saint-Vincent  on 
redoute  les  détachements  sortis  de  Neufchâteau.  Partout 
on  craint  ceux  qui  appartiennent  à  la  garnison  française 
de  Lunéville.  En  outre,  pendant  qu'en  1639  les  troupes 
royales  assiègent  Moyen  (2),  des  partis  détachés  de  l'armée 
de  siège,  notamment  ceux  du  régiment  de  Vatronville, 
viennent  journellement  au  Pont  et  dans  les  villages  voi- 
sins, ((  pillant  et  excédant  »  ceux  qu'ils  rencontrent.  Dans 
tout  le  comté,  la  population  traîne  une  misérable  exis- 
tence, partagée  entre  la  tristesse  du.  présent  et  la  crainte 
d'un  avenir  plus  redoutable  encore  (3). 

L'ensemble  des  témoignages  que  j'ai  essayé  de  résumer 
sans  les  affaiblir,  et  qui  tous  se  prêtent  un  mutuel  appui, 
est  tel  que  l'impression  qui  s'en  dégage  n'est  nullement 
exagérée.  Elle  est  d'ailleurs  corroborée  par  la  constatation 
de  certains  faits  ;  je  n'en  relève  que  deux.  Le  fermage  des 
domaines  etdroits  seigneuriaux  du  comté  de  Chaligny  s'éle- 
vait en  1620  à  11.320  francs,  plus  le  produit  de  la  gruerie, 

(1)  Joignczy,  au  moins  pour  1639,  Haroué.  Voir  ci-dessus,  p.  241. 

(2)  n  cs^fait  mention  dos  défauts  commis  par  les  troupes  françaises 
au  moment  où  elles  allaient  assiéger  Moyen  (réclamations  du  fermier 
du  passage  de  la  Moselle  à  Pont-Saint-Vincent),  et  des  déprédations  qui 
furent  l'œuvre  de  partis  détachés  de  l'armée  de  siège,  notamment  du 
régiment  de  Vatronville  'réclamations  du  fermier  de  la  pèche).  Archi- 
ves deM.-et-M.,  B,  3ÎK>0. 

(3)  On  peut  rapprocher  les  conclusions  de  celte  élude,  qui  porte  sur 
le  comté  de  Chaligny,  de  celles  de  l'étude  plus  générale  de  Lcpage  : 
La  dépopulation  de  la  Lorraine  au  XVIl'  siècle  {Annuaire  de  la 
Meurthe^  1851.)  De  part  et  d'autre,  les  résultats  sont  concordants. 


—  24;J  - 

ce  qui  faisait  en  tout  une  vingtaine  de  mille  francs.  En 
1642,  après  les  guerres  et  la  dévastation  des  forêts,  on  en 
tirait  2.300  francs.  Les  registres  de  la  paroisse  de  Pont- 
Saint-Vincent  constataient,  pour  l'année  1618,  quarante- 
cinq  baptêmes  ;  ils  en  constatent  trois  pourl'année  1638  (1). 
Visiblement  le  pays  a  été  saigné  à  blanc,  si  complètement 
que  pour  quelque  temps  les  sources  de  la  vie  semblent  y 
avoir  été  taries. 

Deux   destructions,  qui  furent  la  conséquence  de  ces 
guerres,  méritent  d'être  relevées,  parce  qu'elles  caractéri 
sent  la  conduite  de  l'administration   française  établie  ù 
Nancy  et  dirigée  par  les  intendants  qui  s'y  succèdent. 

La  première  est  celle  des  vignes  seigneuriales  de  Chali- 
gny.  On  a  eu  l'occasion  de  mentionner  ci-dessus  ces  vignes, 
connues  dans  le  pays  sous  le  nom  de  Grandes  Vignes,  qui 
couvraient  24  jours  de  terre  sur  la  colline  qui  domine  la 
Moselle.  Exploitées  depuis  un  temps  immémorial,  elles 
étaient  avant  la  guerre  en  excellent  état.  Déjà  en  1637, 
faute  de  bras,  elles  n'avaient  pu  être  façonnées  :  le  même 
cas  se  représenta  les  années  suivantes.  En  le  constatant 
en  1639,  le  comptable  fait  remarquer  que  nul  vigneron  ne 
s'est  présenté  pour  façonner  ces  vignes,  quoiqu'on  consen- 
tît à  abandonner  la  vendange  entière  pour  prix  de  la  façon. 
Cela  ne  suffit  pas  ;  il  faudrait  encore  ajouter  un  salaire  en 
argent  pour  avoir  chance  de  trouver  des  façonniers.  A  ce 
sacrifice,  l'intendant  françiiis,  nullement  soucieux  de  l'ave- 
nir, ne  veut  pas  se  résoudre  (2),  si  bien  que,  peu  à  peu,  la 
vigne  péril,  ou  qu'il  faut  se  décider  à  l'arracher.  Quelques 
années  plus  tard,  le  terrain  où  croissaient  les  vignes  sera 
loué  comme  terre  arable,  moyennant  une  faible  redevance 

(Il  Pour  1639,  ils  n'en  conslalcnl  aucun  ;  mais  cola  lient  peut  ôtro  à 
l'absence  du  curé. 

(2)  ((  L'Intendant  n'a  voulu  qu'elle  se  fasse  en  argent,  .'i  50  francs  le 
journal  ;  elle  est  demeurée  en  friche  et  s'en  vu  entièrement  ruynée, 
sy  doncq  il  n'y  est  promptement  préveu  et  assisté  en  deniers  du  do- 
maine pour  la  faire  faire  »  (Contrôle  de  IG39,  B,  3îX)0;. 


—  246  — 

de  quelques  réseaux  de  blé  et  d'avoine  (1).  C'est  seulement 
sous  François  III  et  sous  Stanislas  qu'on  songera  à  recons- 
tituer le  vignoble 

La  même  indifférence  pour  l'avenir  du  domaine  se  mani- 
feste dans  la  conduite  de  l'administration  française  à 
l'égard  des  forêts  du  comté.  Nos  documents  sont  remplis 
de  mentions  attestant  les  ravages  qui  furent  commis  dans 
ces  forêts,  notamment  dans  celles  qui  font  partie  de  la 
forêt  de  Haye.  Non  seulement  l'administration  française  y 
fit  couper  beaucoup  de  bois  pour  des  travaux  d'ordre  mili- 
taire ;  mais  encore  elle  approvisionna  largement  tous  les 
fonctionnaires  français  de  bois  de  chauffage.  Au  besoin  ils 
ne  se  faisaient  pas  faute  de  s'en  faire  délivrer  sur  réquisi- 
tion, comme  il  arriva  au  maréchal  d'Hocquincourt.  En 
outre,  les  officiers  et  les  soldats,  en  dehors  de  toute  auto- 
risation, ne  craignaient  pas  de  couper  ou  de  faire  cou- 
per du  bois  pour  leur  consommation;  des  bourgeois  de 
Nancy  profitaient  de  l'anarchie  pour  imiter  leur  exemple. 
Dès  lors,  toute  exploitation  régulière  était  rendue  impos- 
sible. Des  faits  nombreux  l'attesteraient;  en  voici  quelques 
uns  (2). 

En  1637,  un  groupe  d'habitants  de  Ghaligny,  parmi  les- 
quels se  trouvait  Mansuotte,  veuve  d'un  paysan  assez  aisé 
nommé  Démange  Breton,  s'étaient  rendus  adjudicataires 
d'une  coupe  dans  le  canton  de  la  Fleur  de  Lys,  sis  au- 
dessus  de  Maron.  Quand  le  bois  fut  coupé,  des  soldats  de 
la  garnison  de  Nancy  vinrent  chaque  jour,  sans  aucun 
droit,  en  chercher  leur  charge  ;  à  qui  voulait  les  en  empê- 

(1)  Par  exemple,  en  1(J69,  la  Grande  Vigne,  maintenant  terre  labou- 
rable, est  allerraée  à  Simon  Ëuriet  de  Neuves-Maisons,  pour  5  paires  1/S, 
moitié  blé,  moitié  avoine  (onze  réseaux)  (B,  3964). 

(2)  Exemple  :  en  1637,  on  fournit  6  arpents  de  bois  au  président  du 
conseil  souverain  Blondeau  ;  6 au  président  de  Villarceaux  (l'intendant); 
3  à  M.  Freinin  ;  3  h  M.  de  Chambly  ;  3  à  six  autres  personnages  ;  3 au 
procureur  général  du  conseil;  3  ii  l'avocat  général.  Joignez-y  12  arpents 
au  gouverneur  ;  5  à  M.  de  Lambertye,  etc.  (B,  3999). 


—  247  — 

cher  ils  répondaient  par  des  menaces  de  raort  (1).  Au 
commencement  de  Tannée  suivante,  la  même  Mansuotte 
s'avisa  de  faire  enlever  le  bois  d'une  coupe  que  son  mari 
avait  jadis  achetée  dans  le  canton  de  Grehinvaulx,  tout 
voisin  de  Chaligny.  Mais  les  six  chevaux  qu'elle  y  envoya 
furent  volés  par  les  Suédois,  et  la  coupe  fut  en  partie  pil- 
lée par  la  garnison  de  Nancy  (2)  En  1639,  un  autre  ache- 
teur se  voyait  frustré  de  la  coupe  sur  laquelle  il  avait 
compté,  par  un  lieutenant  suisse  dont  le  corps  tenait  gar- 
nison à  Nancy  (3).  Aussi  les  administrateurs  du  comté  ne 
cessent  de  se  déclarer  impuissants  à  empêcher  la  dévasta- 
tion des  forêts.  En  1639,  ils  constatent  que  la  contrée  de 
Fraize,  qui  domine  Ghavigny,  est  absolument  ruinée,  et 
que  la  contrée  de  Remnaumont,  au-dessus  de  Chaligny, 
est  déjà  fort  détériorée.  «  Ils  la  ruineront,  ajoutent-ils, 
aussi  bien  qu'ils  ont  ruiné  Fraize,  si  l'intendanf  n'obtient 
du  roi  qu'on  y  mette  ordre  (4)  ».  Vraisemblablement  l'in- 
tendant ne  se  souciait  pas  plus  de  conserver  les  forêts  de 
Nicolas-François  de  Lorraine  qu'il  ne  s'était  soucié  de 
faire  des  sacrifices  pour  assurer  l'avenir  de  ses  vignes. 
Sans  doute  les  gouverneurs  de  Nancy  rendirent  plusieurs 
ordonnances  pour  la  préservation  des  forêts  ;  mais  toutes 
semblent  être  demeurées  lettres  mortes.  Au  contraire,  les 
ravages  des  forêts  se  poursuivent  au  cours  des  années  sui- 
vantes, c'est  à  dire  à  une  époque  où  les  campagnes  étaient 
un  peu  moins  maltraitées.  C'est  ainsi  qu'eu  1644  le  capi- 
taine gruyer  de  Chaligny,  Fisson,  qui  avait  été  maintenu 
en  fonctions  par  les  Français,  renouvelle  ses  plaintes  au 
sujet  des  exploits  des  soldats  de  Nancy  en  Fraize  et  en 
Remnaumont.  «  Ils  abattent  les  chênes,  dit-il,  et  les  habi- 
tants des  villages  voisins  en  font  autant,  en  se  couvrant  des 


(1)  B,  39i)0. 

(2)  B,  3^)0. 

(3)  B,  3950. 

(4)  B,  3950. 


—  248  — 

ordres  qu'ils  disent  avoir  reçus  de  M.  de  la  Ferlé,  gouver- 
neur de  Nancy,  d'abattre  le  bois  au  plus  prochain  et  de  le 
conduire  dans  sa  fourrière  (1)  ».  Il  faut  dire  que  La  Ferté 
a  laissé  la  réputation  d'un  des  plus  rapaces  parmi  les  hauts 
fonctionnaires  du  régime  français  (2).  On  pourrait  d'ail- 
leurs multiplier  les  exemples  ;  aucun  ne  serait  plus  élo- 
quent que  le  nom  conservé  pendant  de  longues  années,  à 
la  suite  de  ces  événements,  par  le  canton  de  Remnaumont  ; 
on  l'appelait  communément  Remnaumont  en  dégâts.  Cette 
désignation  sufflrait  à  attester  les  méfaits  de  l'administra- 
tion que  la  conquête  avait  établie  à  Nancy. 

VIII 

On  sait  qu'en  1641,  Charles  IV  fit  avec  Louis  XIII  un 
accommodement  connu  sous  le  nom  de  Petite  Paix,  parce 
qu'il  ne  fut  observé  que  quelques  mois.  Nicolas  François 
ayant  protesté  contre  celte  paix  dès  qu'il  la  connut,  les 
effets  n'en  pouvaient  se  faire  sentir  au  comté  de  Chaligny . 
Aussi  rien  ne  fut  changé  à  la  situation  du  comté.  Pendant 
onze  ans  encore,  il  fut  administré  et  exploité  sous  la  sur- 
veillance et  au  profit  de  l'administration  française,  qui 
d'ailleurs  ne  cessa  point  d'y  employer  des  agents  tirés  du 
personnel  local.  Pendant  cette  période,  sauf  dans  les 
forêts,  il  semble  qu'un  ordre  relatif  tende  à  s'établir.  C'est 
que  les  troupes  françaises,  dès  la  reprise  des  hostilités,  ont, 
par  une  action  vigoureuse,  fait  disparaître  les  garnisons 
lorraines  ou  croates  qui,  s'étant  maintenues  jusqu'alors 
dans  de  petits  postes,  perpétuaient  l'état  de  guerre  sur 
tous  les  points  du  territoire.  Cependant  on  souffre  encore 
en  Lorraine  et  en  particulier  dans  le  comté  de  Chaligny, 
soit  des  conséquences  des  calamités  d'autrefois,  soit  du 

(i)  B,  4000. 

(2)  Beauvau,  p.  8i.  Il  était  surnommé    le   »  Bassa  »,  c'cst-à  dire  le 
pacha  delà  Lorraine  (Ibid  ,  p.  385). 


—  249  — 

passage  assez  fréquent  des  gens  de  guerre.  C'est  surtout 
dans  les  régions  traversées  par  les  grandes  routes  que 
s'exercent  les  déprédations.  En  décembre  1646,  le  meunier 
de  Neuves-Maisons,  dont  le  moulin,  écarté  du  village,  est 
situé  sur  le  chemin  public,  se  plaint  d'avoir  été,  depuis 
trois  ans,  pillé  et  repillé  par  les  soldats  du  roi,  qui  ne  lui 
ont  laissé  ni  linge  ni  volailles  (1);  lui-môme  a  été,  à  diverses 
reprises,  obligé  de  quitter  le  moulin  pour  sauver  sa  vie, 
menacée  par  les  gens  de  guerre  (2).  En  1649,  la  dévastation 
est  plus  générale  :  les  fermiers  des  droits  seigneuriaux 
dans  le  comté  ne  reçoivent  rien,  et  par  conséquent  ne 
peuvent  payer  leur  fermage  à  l'administration  française.. 
((  à  cause  de  l'armée  d'Allemagne,  dont  les  soldats  ont 
couru  et  pillé  partout  ».  En  1650,  la  guerre  reprend  en 
Lorraine,  où  le  duc  Charles  a  envoyé  une  armée,  sous  la 
conduite  de  Ligniville.  Les  Lorrains  se  sont  emparés  de 
plusieurs  petites  places,  entre  autres  d'Haroué,  d'où  ils  font 
des  incursions  dans  le  pays  ;  ils  pénètrent  jusqu'au  comté 
de  Chaligny,  dont  ils  emmènent  quantité  de  chevaux  (3), 

(1)  B,  4001.  —  En  164j,  les  Suédois  avaient  encore  mis  à  contribu- 
tion les  villages  du  comté  de  Vaudémonl  ;  en  16t7,  ils  sont  attendus 
avec  frayeur  à  Germiny,  où  sont  cantonnées  des  troupes  pendant  les 
années  suivantes.  /Vinsi  l'occupation  militaire  n'avait  pas  cessé  dans 
les  campagnes.  (Cf.  Olry,  Notice  sur  Germiny,  dans  les 3îémoire$  de 
la  S.  A,  /..,  3«  série,  V  (1877),  p.  379  et  suiv.) 

(2)  B,  3932.  J'ai  lieu  de  croire  qu'au  xvii'  siècle,  il  n'y  avait  plus  que 
deux  moulins  dans  le  comté  :  l'un  à  Pont-Saint-Vincent,  l'a-itre,  sur 
la  rive  droite  de  la  Moselle,  qui  desservait  les  villages  de  Chaligny, 
Neuves-Maisons  et  Chavigny.  C'est  ce  moulin,  voisin  de  Neuves-Maisons 
et  de  Chavigny,  qui  porte  indilTéremment  le  nom  de  l'un  des  trois 
villages.  En  166'%  le  moulin  de  Pont-Saint-Vinccnt  était  affermé  à 
Alexandre  Tondeur,  et  l'autre  moulin  îx  Didier  Removille  (B,  3957,  3938 
et  3959). 

(3)  B,  3ÎK54.  Ils  ont  mis  en  pièces  le  bateau  qui  servait  au  passage  de 
la  Moselle  au  Pont,  et  menacé  de  mort  le  barquier,  qui  s'appelait  Tortel. 
Déjà,  au  mois  de  septembre,  Ligniville  avait  fait  défoncer  le  grand 
bateau,  pour  gêner  les  communications  des  Français.  —  Nous  savons 
aussi,  par  les  comptes,  qu'entre  16î)2  et  16;>4,  les  habitants  de  Thélod, 
pour  la  plupart,  ont  dil  quitter  le  village,  à  cause  des  malheurs  du 
temps  ;  leurs  bestiaux  ont  été  enlevés. 


—  250  — 

Malgré  ces  désordres,  les  doléances  sont  moins  graves 
et  moins  unanimes  que  pendant  les  premières  années  de 
la  guerre  ;  les  dévastations,  encore  trop  fréquentes,  ne  sont 
plus  perpétuelles  comme  autrefois.  D'ailleurs  l'administra- 
tion française  semble  prendre  quelque  intérêt  au  bien  du 
pays.  De  1642  à  1652,  elle  se  hasarde  à  faire  quelques  répa- 
rations aux  bâtiments  d'exploitation  du  domaine  seigneu- 
rial (1).  Ainsi,  dès  1642,  on  s'occupe  de  déterminer  les 
travaux  indispensables  aux  moulins  du  Pont  et  de  Neuves- 
Maisons  ;  les  plus  urgents  de  ces  travaux  sont  exécutés. 
De  même,  en  1649,  on  répare  les  communs  du  château  du 
Pont,  qui  ont  échappé  à  la  destruction,  et  aussi  le  près* 
soir  deChaligny;  on  poursuit,  Tannée  suivante,  des  tra- 
vaux analogues  (2).  Divers  indices  laissent  entendre  que, 
malgré  les  incertitudes  Kt  les  menaces  de  la  politique,  le 
pays  se  relève  de  la  décadence  profonde  où  il  est  tombé. 
En  1648,  les  registres  de  Pont-Saint- Vincent  constatent 
dix-sept  baptêmes  (3)  ;  on  est  loin  des  quarante-cinq 
baptêmes  de  1618,  mais  on  est  bien  au-dessus  des  trois 
baptêmes  de  1638.  Le  fermage  des  droits  seigneuriaux  du 
comté  remonte  lentement  ;  il  produisait,  comme  on  Ta  dit, 
2,300  francs  en  1642  ;  en  1650,  il  s'éleva  à  3,135  francs,  et 
à  5,000  francs  en  1652  (4).  En  somme,  dès  qu'il  a  joui 
d'une  demi  sécurité,  le  paysan  lorrain  s'est  remis  à  son 
dur  labeur,  et,  par  son  indomptable  énergie,  a  commencé 
de  s'élever  au-dessus  de  l'abîme  de  misère  où  l'avaient 
précipité  les  événements  de  la  période  terrible  qui  s'est 
écoulée  de  1635  à  1S40. 

Cependant,  le  légitime  seigneur  et  maître  du  comté  de 
Chalîgny,  Nicolas-François  de  Lorraine,  était  toujours  tenu 
à  l'écart  de  ses  domaines  que  régissaient  les  agents  de 

(1)  B,  39ol. 

(2)  B,  3951  et  3953. 

(3)  Archives  de  Pont-Sainl-Vincent. 

(4)  B,  3^54.  C'est  à  pou  près  le  quart  de  ce  qu'il  produisait  dans  les 
années  normales  avant  la  guorre. 


—  251  — 

l'intendant  français.  Cette  situation  devait  bientôt  prendre 
fin.  Dora  Galmet  a  écrit  que  le  frère  de  Charles  IV  obtînt 
de  la  France  la  restitution  de  ses  biens  par  arrêt  du.  Conseil 
royal  en  date  du  20  février  1656  (1).  J'ignore  la  portée 
exacte  de  Tacte  que  cite  Thistorien  de  la  Lorraine  ;  ce  que 
je  puis  affirmer,  c'est  que,  longtemps  avant  cette  date, 
Nicolas-François  avait  recouvré  la  possession  du  comté  de 
Chaligny.  Les  documents  de  l'année  1654  attestent  qu'il 
en  est  déjà  le  maître  incontesté;  par  exemple,  en  décembre 
1654,  ((  les  gens  du  Conseil  de  r.\Uesse  de  Monseigneur  le 
duc  François  de  Lorraine  »  donnent  des  ordres  à  Mansuy 
Mansuy,  admodiateur  général  du  comté  de  Chaligny  (2)  ; 
c'est  à  Nicolas  François  qu'en  cette  môme  année  les 
moines  de  l'abbaye  de  Clairlieu  s'adressent  afin  d'obte- 
nir d'être  restitués  dans  leurs  droits  anciens  (3).  Il  y  a 
plus  :  d'après  un  document  conservé  aux  Archives  de 
Meurthe-et-Moselle,  le  duc  Nicolas-François,  quoiqu'il  se 
trouvât  encore  à  la  cour  d'Autriche,  avait,  dès  1652, 
recouvré  son  comté  de  Chaligny  ;  au  moins  cette  restitu- 
tion était  effectuée  avant  la  fin  de  septembre  1652  (4). 

Ainsi  le  comté  était  rendu  à  son  souverain  quatre  ans 
avant  la  date  qui  semble  résulter  du  texte  de  dom  Calmet. 
Peut  être  n'est-il  pas  impossible  de  deviner  les  motifs  qui 
poussèrent  l'administration  française  à  se  départir  à  cette 
époque  des  mesures  rigoureuses  prises  à  rencontre  des 
domaines  personnels  de  Nicolas-François.  Ce  prince,  quoi- 
qu'il ait  suivi  les  Espagnols  au  siège  d'Arras,  survenu  en 
J654,  était  depuis  quelque  temps  vis-à-vis  d'eux  dans  un 
état  de  défiance  qui  l'amena,  peu  après,  à  abandonner  leur 

(1)  Histoire  de  Lorraine^  VI,  2'  édit.,  coi.  450. 

(2)  Archives  do  M.-cl-M.,  B,  3955. 

(3)  B,  3^).  C'est  en  son  nom  qu'est  accordée  une  importante  réduc- 
tion des  droits  seigneuriaux  aux  liabitants  de  Tliélod,  village  durement 
éprouvé  par  la  guerre  entre  l(xi2-1654. 

(i)  B,  3954.  C'est  d'ailleurs  aux  agents  de  Nicolas- François  que 
Mansuy  Mansuy  rend  son  compte  pour  l'année  1652. 


camp  et  à  passer  en  France,  où  déjà  nombre  de  troupes 
lorraines  s'étaient  rendues  en  vertu  de  ses  ordres 
secrets  (1).  Il  est  probable  que  le  roi  de  France  avait  encou- 
ragé les  bonnes  dispositions  de  Nicolas-François  en  lui 
rendant  la  libre  jouissance  d'une  portion  de  son  patri- 
moine et,  en  particulier,  du  comté  de  Chaligny. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Nicolas-François  jouit  de  ce  domaine 
jusqu'à  sa  mort.  Sous  son  gouvernement  se  poursuivit  la 
lente  amélioration  de  l'état  économique  du  comté,  qui  avait 
marqué  les  années  précédentes.  D'ailleurs  le  prince  lor- 
rain semble  n'y  avoir  pas  retrouvé  une  indépendance  aussi 
complète  que  celle  de  ses  prédécesseurs  ;  il  avait  à  compter 
avec  les  représentants  de  son  tout  puissant  voisin  le  roi 
de  France.  C'est  ainsi  qu'en  1669,  un  individu  coupable 
d'une  série  de  vols  fut  poursuivi  et  condamné  par  les 
ordres  de  Nicolas-François  ;  mais  l'exécution  fut  faite  par 
les  soins  du  prévôt  de  la  maréchaussée  de  France,  résidant 
àToul(2). 

Les  dernières  années  de  la  vie  agitéede  Nicolas  François 
s'écoulèrent  à  Nancy,  où,  redevenu  d'Eglise  après  la  mort 
de  sa  femme,  il  habitait  l'hôtel  de  la  Primatiale.  11  mourut 
en  janvier  1670,  à  peu  près  au  moment  où,  de  nouveau, 
Louis  XIV  saisissait  le  duché  de  Lorraine,  qui  avait  été 
restitué  à  Charles  IV  quelques  années  plus  tôt. 

IX 

Le  prince  Charles,  fils  et  héritier  de  Nicolas-François, 
était  lui-même  en  état  d'hostilité  vis  à  vis  du  gouvernement 
royal,  parce  qu'il  avait  protesté  dès  i662  contre  les  arran- 

(1)  Mémoires  do  Bciiuvau.  p.  341  et  342. 

(2)  Archives  do  M.-et-M.,  B,  3ÎKÎ4.  Le  comté,  comme  toute  la  Lor- 
raine, subissait  d'ailleurs  les  charges  de  roccupalion  française.  Ainsi, 
en  l(ï63,  au  temps  où  commandait  lo  comte  de  (îuiche,  Neuves-Mai- 
sons reçut  une  demi -compagnie  de  cavalerie  (H,  1Î)2G).  C'est  à  celte 
époque  que,  d'après  dom  Calmet,  le  comte  de  Guichc  traita  dure- 
ment les  environs  de  Nancy. 


—  253  - 

geraents  intervenus  alors  entre  Louis  XIV  et  Charles  IV  ; 
on  sait  que  ce  prince,  plus  tard  connu  sous  le  nom  de 
Charles  V,  qu'il  illustra  par  ses  hauts  faits,  fut  jusqu'à  ses 
derniers  jours  l'adversaire  redouté  du  roi  de  France.  Aussi, 
le  comté  de  Chaligny,  qui  faisait  partie  de  son  héritage, 
retomba  de  nouveau  sous  le  séquestre  de  Tadministralion 
française.  Le  gouvernement  royal  s'efforça  alors  de  se 
donner,  sur  le  comté  de  Chaligny,  des  titres  meilleurs  que 
ceux  qu'il  tenait  du  fait  de  l'occupation  de  la  Lorraine. 

Le  roi,  qui  n'était  qu'en  fait  le  maître  de  la  Lorraine, 
se  trouvait,  d'après  les  traités  en  vigueur,  régulièrement 
investi,  en  droit  comme  en  fait,  de  la  souveraineté  sur  le 
Temporel  des  Trois-Evôchés  ;  il  avait  donc  intérêt,  et  déjà 
Richelieu  l'avait  vu  nettement,  à  donner  à  ce  temporel  la 
plus  grande  étendue  possible,  en  diminuant  d'autant  le 
patrimoine  du  duc  de  Lorraine.  C'est  l'œuvre  à  laquelle, 
en  1680,  travaillait  la  Chambre  de  Réunion  établie  au  Par- 
lement de  Metz;  faisant  flèche  de  tout  bois,  quand  il  s'agis- 
sait d*étayer  les  thèses  qu'elle  jugeait  utiles  à  la  cause 
royale,  elle  tirait  parfois  argument  de  textes  incertains  et 
de  prétentions  surannées.  Le  30  avril  1680,  un  arrêt  rendu 
par  cette  juridiction  déclara  le  comté  de  Chaligny  réuni  à 
la  couronne;  la  raison  qui  fut  invoquée  pour  motiver  cette 
décision  était  que  Chaligny  n'avait  point  été  cédé  en  pro- 
priété par  l'évêque  de  Metz,  mais  engagé  au  duc  de  Lor- 
raine pour  une  somme  de  cinq  mille  livres,  suivant  la  con- 
vention de  l'an  1346  mentionnée  au  premier  chapitre  de 
cette  étude  (1).  Le  roi  de  France  usait  donc  du  droit  que 
l'évêque  de  Metz  s'était  réservé  de  reprendre  le  domaine 
ainsi  engagé,  sauf  sans  doute  à  rembourser  au  duc  de  Lor- 
raine les  cincf  mille  livres  tournois  lors  de  la  conclusion 
de  la  paix.  Ainsi  le  roi  pourrait  acquérir  à  peu  de  frais  la 
pleine  propriété  du  comté  de  Chaligny.  Dans  leur  zèle,  les 

(1)  Voir  p.  17  et  18. 


-  234  - 

magistrats  français  allèrent  plus  loin  encore:  ils  réunirent 
Turqueslein  comme  ils  avaient  réuni  Chaligny  (à  vrai  dire, 
Turquestein  et  Chaligny  étaient  l'objet  d'une  clause  iden- 
tique dans  la  convention  de  1346),  et  ils  ne  craignirent  pas 
de  prononcer  aussi  la  réunion  du  comté  de  Vaudémont 
pour  des  motifs  qui,  il  faut  le  reconnaître,  étaient  dépour 
vus  de  tout  fondement  (l). 

Ces  arrêts  eussent  dû  recevoir  leur  exécution  lorsque,  en 
1698,  la  Lorraine,  conformément  à  un  article  du  traité  de 
Ryswick,  fut  restituée  au  duc  Léopold,  fils  d.e  Charles  V 
et  petit-fils  de  Nicolas  François.  Mais  le  gouvernement 
royal  renonça  à  se  prévaloir  des  décisions  dé  la  Chambre  de 
Réunion  pour  retenir  le  comté  de  Chaligny,  qui,  comme 
Turquestein  et  le  Vaudémont,  fut  compris  dans  la  restitu- 
tion de  la  Lorraine.  Ainsi  le  comté  fut  uni  au  duché,  tout 
en  conservant,  au  point  de  vue  judiciaire  et  administratif, 
l'organisation  particulière  dont  le  siège  était  Pont-Saint- 
Vincent.  Cette  union  n'était  cependant  pas  définitive  :  une 
vingtaine  d'années  après  la  paix  de  Ryswick,  les  biens  et 
droits  constituant  l'ancien  comté  furent  aliénés  par  le  duc 
Léopold,  désireux  de  concourir  à  la  formation  d'une  sei- 
gneurie vassale  de  la  couronne  ducale,  dont  il  importe  de 
dire  quelques  mots. 

La  race  «  formidable  »  (2)  des  Guise  avait  pris  fin,  en  l'an- 

(i)  Voir  sur  ces  décisions:  Hermann  Kaufmann,  die  Reunionskam- 
mer  zu  Melz,  dans  le  Jahrbuch  der  Gesellschnft  fiir  lothrin§ische 
Geschichte,  XI  (1899),  p.  H6,  119;  cf.  dom  Calinct,  Notice  de  la  Lor- 
raine^ \*  Chaligny.  La  Chambre  de  Réunion  revint  d'ailleurs  en  1683 
sur  la  quesUon  du  Vaudémont,  sans  changer  sa  décision.  Un  des  argu- 
ments qui  furent  invociués  pour  le  déclarer  français  reposait  sur  les 
mots  d'un  acte  de  I3ii  (voir  ci-dessus,  p.  17),  d'après  lequel  l'évéque 
de  .Metz  devait  délivrer  au  duc  a  son  chastel  de  Turkestein  avec  le  lié 
le  comte  de  Vaudémont  de  tout  ce  qui  tient  de  l'éveschié  de  Metz,  soit 
à  ChaUigny,  soit  autre  part.  »  Evidemment  ce  texte  visait,  non  le 
comté  de  Vaudémont,  qui  n'avait  jamais  dépendu  du  temporel  de  Metz, 
mais  Chaligny  et  les  domaines,  tenus  par  le  comte,  qui  relevaient  de 
la  suzeraineté  messine.  La  Chambre  de  Réunion  en  faisait  donc  une 
fausse  interprétation. 

(2)  L'expression  est  de  Saint-Simon. 


-  235  - 

née  1688,  en  la  personne  de  Marie  de  Lorraine,  connue  sous 
le  nom  de  Mademoiselle  de  Guise.  Par  succession,  leurs 
biens  étaient  passés  aux  Condés,  mais  leur  nom,  illustre 
à  tant  de  titres,  semblait  éteint  pour  jamais.  Cependant  des 
collatéraux,  lointains  descendants  du  premier  duc  de  Guise 
par  la  branche  d'Elbeuf,  les  princes  de  Lorraine-Harcourt, 
rêvaient  de  le  relever  à  leur  profit.  Les  lecteurs  des  Mé- 
moires  de  Saint-Simon  n'ont  pas  oublié  les  pages  mor- 
dantes qui  y  sont  consacrées  à  deux  générations  de  Lor- 
raine-Harcourt. Alphonse-Henri-Charles,  prince  de  Lor- 
raine, comte  d'Harcourt  (1),  vieux  soldat  qui  avait  long- 
temps servi  les  Vénitiens,  avait  jadis,  du  vivant  de  Made- 
moiselle de  Guise,  obtenu  d'elle,  grâce  à  Thabileté  de  sa 
femme,  la  donation  du  duché  et  de  l'hôtel  de  Guise  ;  mais, 
Harcourt  n'ayant  pas  su  s'imposer  une  contrainte  assez 
longue  vis-à-vis  de  la  donatrice,  la  libéralité  fut  révoquée. 
((  Ce  fut  un  coup  de  foudre  pour  sa  femme,  qui  avait  épuisé 
là  tout  son  savoir-faire  (2)  ».  L'aîné  de  leurs  enfants,  Anne- 
Marie-Joseph,  que  plusieurs  trépans  avaient  rendu  sourd, 
fut  d'abord  destiné  à  l'Eglise  ;  mais  quand,  par  la  mort  de 
ses  frères,  il  fut  devenu  fils  unique,  sa  mère  réussit  à  lui 
faire  épouser,  sous  les  auspices  de  la  duchesse  du  Maine, 
une  demoiselle  de  Montjeu,  a  jaune,  noire,  laide  en  perfec- 
tion, de  l'esprit  comme  un  diable,  du  tempérament  comme 
vingt,  dont  elle  usa  bien  dans  la  suite,  et  riche  en  héritière 
de  financier  (3)  ».  Le  malheur  était  que  le  père  de  la  nou- 

(1)  Il  avait  épousé  une  Brancas.   Voir  leurs  portraits  dans  les  Hé 
moires,  édit.  de  Boisllsie,  X,  p.  362  et  s.  Cf.  Ecrits  inédits  de  Saint- 
Siman,  édit.  Faugère,  VIII,  p.  43-45,  et  Spanheim,  Relation  de  la  cour 
de  France  (édit.  Bourgeois,  dans  les  Annales  de  l'Université  de  Lyon) 
p.  228). 

(2)  Annales  de  la  Cour  et  de  Paris  pour  les  années  4697  et  4698  (édit 
de  1701,  Cologne),  îï,  p.  302    On  trouvera  dans  cet  ouvrage  un  portrait 
d'Harcourt  et  de  sa  femme. 

(3)  Voir  les  portraits  du  mari  et  de  la  femme  et  l'histoire  de  leur  ma- 
riage dans  Saint-Simon,  XIII,  p.  1  et  s.  —  Anne-Marie-Joseph  de  Lor- 
raine, comte  d'Harcourt,  deClermont,  de  Montlaur  et  de  Saint-Romaix 


—  236  — 

velle  épouse,  financier  et  fils  de  financier,  avait  été  grave* 
ment  compromis  lors  du  procès  Fouquet.  A  entendre 
Saint-Simon,  ce  mariage  fit  scandale  ;  les  princes  lorrains 
présents  à  Versailles  refusèrent  de  signer  au  contrat; 
quant  au  duc  Léopold,  il  interdit  aux  époux  de  mettre  le 
pied  dans  ses  Etats.  -Cependant  cette  méchante  humeur  ne 
fut  pas  tenace.  Une  dizaine  d'années  après  leur  mariage, 
les  deux  époux,  implantés  en  Lorraine,  travaillaient,  non 
sans  succès,  à  se  ménager  la  faveur  de  Léopold  et  à  flatter 
son  goût  pour  la  collation  de  titres  de  noblesse,  afin  de 
reprendre  le  dessein,  caressé  par  la  génération  précé- 
dente, qui  consistait  à  relever  le  nom  de  Guise.  Toutefois 
le  vrai  Guise,  bourg  de  la  vallée  de  l'Oise,  n'appartenait 
pas  à  Léopold;  pour  atteindre  le  but,  on  eut  recours  à  un 
procédé  ingénieux.  Ifarcourt,  que  son  mariage  avait  rendu 
fort  riche,  avait  acquis  de  ses  deniers,  outre  une  terre 
dans  le  Barrois,  des  domaines  situés  dans  le  bailliage  de 
Nancy,  dont  les  principaux  étaient  les  villages  d'Acrai- 
gnes  et  de  Maron  (1).   En  outre,  le  22  novembre  1716  (2), 

marquis  de  Maubec  en  Dauphinc,  né  le  30  avril  1679,  mourut  le  29  avril 
1739.  Sa  femme  était  Marie-Louise-Christlnc,  lUle  do  Gaspard  Jeannin 
de  Castille,  marquis  de  Montjeu,  qui  descendait  par  les  femmes  du  pré- 
sident Jeannin,  le  célèbre  ministre  de  Henri  IV.  Ils  eurent  pour  fils 
Louis- M  a  rie -Léopold,  qui  fut  appelé  le  prince  de  Guise,  comme  l'avait 
été  son  p^re  depuis  1718;  il  mourut,  non  marié,  à  l'armée  d'Italie,  le 
20  juin  1747,  k  l'âge  de  27  ans.  Du  mariage  d'Anne-Marie-Joseph  avec 
Maric-Ivouise  de  Montjeu  naquirent  aussi  deux  filles,  dont  l'une  fut  la 
quatrième  femme  du  duc  de  Bouillon  et  l'autre  la  femme  du  maréchal 
de  Richelieu,  dont  elle  eut  le  duc  de  Fronsac,  père  du  duc  de  Richelieu, 
ministre  de  Louis  XVlll.  (Renseignements  empruntés  à  V Intermédiaire 
du  10  juin  1902,  col.ifôoet  s.). 

(1)  Acraignes  fut  acheté  aux  Bissy,  qui  le  tenaient  des  Haraucourt  : 
ceux-ci  en  étaient  propriétaires  au  moment  de  la  guerre  de  Trente  Ans 
(Voir  ci-dessus,  p.  13.'î  ;  cf.  Comte  de  Ludro,  Histoire  (i*une  famille  de 
la  chevalerie  lorraine ^  II,  p  225).  Maron  avait  appartenu  aux  d'Hoffo- 
lUe  et  avant  eux  aux  Lenoncourt,  qui  on  étaient  seigneurs  au  commen- 
cement du  xvn*  siècle. 

(2)  Voir  la  lettre  de  Harcourt  k  la  Chambre  des  Comptes  de  Bar, 
datée  du  20  juin  1618  (Archives  de  la  Meuse,  B,  279,  fol.  7,  v»).  L'acte 
de  cession  du  22  novembre  1716  se  retrouve  aux  Archives  de  Meurthe- 
el-Moselle,  B,  599,  n*  53.  11  résulte  d'un  acte  do  1739  (Ibid.,  n»  67)  que 


—  257  - 

il  se  fit  concéder  par  Léopold,  moyennant  90,000  livre»  (1), 
et  sous  réserve  d'un  droit  perpétuel  de  rachat  que  devait 
conserver  le  domaine  ducal,  la  seigneurie  et  justice  des 
villages  de  Chaligny,  de  Chavigny  et  de  Neuves-Maisons, 
voisins  d'Acraignes  et  de  Maron  et,  de  plus,  le  village  de 
Lorey-devant-Bayon,  autrefois  partie  intégrante  du  comté 
de  Chaligny,  avec  les  moulins  et  fours  banaux  de  Pont- 
Saint- Vincent  et  de  Neuves-Maisons,  les  pressoirs  banaux 
de  Pont- Saint-Vincent,  Chaligny  et  Chavigny,  la  tuilerie 
de  Chavigny,  la  pêche  de  la  Moselle,  le  bac  de  Maron,  les 
droits  de  sceau  et  de  tabellionnage  à  Pont-Saint- Vincent,  la 
vouerie  de  Bainville-sur-Madon,  et  quelques  terres  doma- 
niales à  Pont-Saint-Vincent  et  à  Chaligny  (2).  A  ces  conces- 
sions, Léopold  ajouta  peu  après  le  passage  de  la  Moselle  à 
Pont-Saint-Vincent  et  deux  cantons  de  bois  (3)  ;  il  retint 
toutefois  le  surplus  des  bois  du  comté  de  Chaligny,  ainsi 
que  le  titre  de  ce  comté. 

Tout  cet  ensemble  de  biens  et  de  droits  constitua, 
par  la  grâce  de  Léopold,  dont  l'œuvre  fut  couronnée  par 
des  lettres  patentes  du  17  juin  1718,  un  nouveau  comté, 
tout  à  fait  distinct  de  celui  de  Chaligny  ;  le  chef-lieu  en 
fut  fixé  à  Acraignes,  dont  le  château  avait,  comme  on  Ta 
dit,  échappé  aux  démolisseurs  pendant  la  guerre  de  Trente 
ans.  Acraignes  reçut  alors  le  nom  de  Guise  (qu'ii  devait 
plus  tard  échanger  pour  celui  de  Frolois),  si  bien  que  le 

dès  1717,  c'est  Harcourt,  désigaé  sous  le  Utre  de  c  M.  le  prince  de 
Guise  »,  qui  exerce  les  droits  seigneuriaux  cédés  en  1716. 

(1)  210,000  francs  de  Lorraine. 

(2)  C'est  ainsi  que  Harcourt  acquérait  par  le  môme  acte  le  «  gagnage  » 
de  Chaligny,  le  «  breull  »  de  Pont- Saint- Vincent,  ks  prés  et  saulcy 
Flcurion,  du  Colombier  et  de  la  Boulangère,  le  Saulcy  et  le  pré  de  la 
Vanne,  les  droits  de  haute  et  basse  justice,  ainsi  que  des  cens  et  rentes. 

(3)  Dans  sa  lettre  précitée,  adressée  à  la  Chambre  des  comptes  de 
Bar,  Harcourt  dit  qu'il  a  acquis,  postérieurement  à  l'acle  de  1716,  le 
bac  de  Pont-Saint* Vincent  et  deux  cantons  des  bois,  contenant  627  ar- 
pents. Quelques  mois  plus  tard,  ainsi  qu'il  est  dit  ci-dessous,  11  prit 
possession  de  Pont-Saint- Vincent. 

17 


—  asa- 
DOuveau  comté  prit  le  nom  de  comté  de  Guise.  Harcourt 
ne  se  contenta  pas  d'ailleurs  de  ce  titre  ;  étant  déjà  prince, 
il  se  fit  ou  se  laissa  appeler  prince  de  Guise,  au  moins 
dans  Tusage  courant.  De  duché  de  Guise  il  ne  fut  pas 
question^  Léopold  ne  s'étant  jamais  arrogé  le  droit  de 
créer  des  ducs. 

Comme  le  nouveau  seigneur  avait  droit  de  haute  justice, 
une  prévôté-bailliage  fut  organisée  par  lui  à  Guise,  à 
laquelle  ressortirent  tous  ses  sujets  :  la  prévôté  de  Pont- 
Saint-Vincent  fut  en  même  temps  supprimée.  Ce  fut  pro- 
bablement sans  grand  plaisir  que  les  habitants  de  Pont- 
Saint- Vincent  virent  arriver,  le  21  décembre  1718,  très-haut 
et  très-puissant  seigneur  Anne-Marie  de  Lorraine,  prince, 
comte  de  Guise.  Il  prit  possession  ((  de  la  ville  de  Pont- 
Saint- Vincent,  dans  la  maison  du  sieur  Bazin,  curé,  après 
être  allé  en  Téglise  de  cette  ville  rendre  ses  devoirs  et 
adorations  au  Seigneur  Dieu,  par  qui  les  rois  et  les  princes 
régnent  sur  terre  »  (1)  Par  la  création  du  comté  de  Guise, 
Pont-Saint-Vincent  était  déchu  du  rang  et  des  avantages 
que  lui  procurait  sa  situation  de  capitale  administrative  et 
judiciaire  d'une  petite  seigneurie. 

Cette  déchéance  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Sans  doute, 
pendant  onze  ans,  les  justiciables  de  Chaligny  et  des  vil 
lages  qui  avaient  formé  l'ancien  comté  durent  se  résigner 
à  porter  leurs  différends  devant  le  prévôt  de  Guise,  dont 
Tauditoire  était  pour  eux  sensiblement  plus  éloigné  que 
celui  de  PontSaint-Vincent.  Mais,  trois  mois  à  peine 
après  la  mort  du  duc  Léopold,  un  édit  du  mois  de  juillet 
1729,  rendu  au  nom  de  François  III,  ordonna  la  réunion  au 
domaine  ducal  des  biens  qui  en  avaient  été  distraits  du 
temps  de  Léopold  (2).  Le  comté  de  Guise  ne  fut  plus  désor- 

(1)  L.  Germain,  Pont-Saint-Vincent,  p.  343  et  344,  d'après  les  notes 
de  M.  Tabbé  Boulanger. 

(2)  Sans  doute  à  la  charge  do  rembourser  les  sommes  versées  Jadis 
par  Harcourt  au  trésor  ducal. 


-  289  >- 

mais  composé  que  des  domaines  acquis  à  titre  patrimonial 
par  Harcourt,  au  premier  rang  desquels  figuraient  Guise 
et  Maron  (1)  ;  tous  les  biens  et  tous  les  droits  provenant  de 
Tancien  comté  de  Chaligny  firent  retour  au  domaine  ducal. 
Du  coup,  le  comté  de  Chaligny  se  trouva  reconstitué  comme 
par  le  passé.  Sans  doute  il  n'avait  pas  d'autre  maître  que  le 
duc  de  Lorraine,  d'abord  François  III,  puis  Stanislas  ;  mais 
il  recouvra  son  autonomie  administrative  et  judiciaire 
par  la  restauration  de  la  prévôté  de  Pont-Saint- Vincent  (2). 

Toutefois  les  aspirations  du  xvni*  siècle,  en  Lorraine 
comme  en  France,  étaient  peu  favorables  au  maintien  de 
ces  petites  juridictions,  dont  l'existence  résultait  unique- 
ment des  hasards  de  la  géographie  féodale  ;  un  mouve- 
ment déjà  puissant  entraînait  les  esprits  vers  la  centralisa- 
tion et  l'uniformité  C'est  ainsi  que  la  prévôté  de  Pont- 
Saint- Vincent,  rétablie  le  14  juillet  1729,  fut  définitivement 
abolie  par  l'édit  rendu  en  1751  au  nom  de  Stanislas  pour  la 
réorganisation  judiciaire  de  la  Lorraine  (3).  Désormais  les 
villages  de  l'ancien  comté  de  Chaligny  relevèrent  directe- 
ment du  bailliage  de  Nancy,  de  même  qu'au  point  de  vue 
administratif  ils  relevèrent  de  l'intendant  et  de  son  subdé- 
légué. Quarante  ans  avant  la  Révolution,  l'autonomie  du 
comté  avait  succombé  sous  l'influence  des  tendances  qui 
caractérisaient  les  temps  nouveaux. 

Au  cours  du  dernier  siècle  de  l'ancien  régime,  Chaligny 
et  les  villages  voisins  ne  connurent  pas  les  calamités  dont 

(1)  Ces  biens  demeurèrent  à  la  descendance  de  Harcourt  jusqu'en 
i752.  Aux  villages  de  Guise  et  de  Maron  avaient  été  joints  des  biens  et 
des  droits  à  PuUigny,  à  Cointrey,  à  Voinémont,  à  Colombey,  à  Allain- 
auz-Bœufs  et  à  Méréville.  Tout  cela  fut  vendu  en  1752.  par  les  héritiers 
des  Harcourt,  au  chef  de  la  famille  de  Ludre.  pour  former  ensuite  le 
marquisat  de  Frolois.  L'ancien  Acraignes  perdit  alors  son  nom  de 
Guise  pour  prendre  celui  do  Frolois,  qu'il  a  conservé.  (Ck)mte  de  Ludre, 
loc.  cil.) 

(2)  La  prévôté  de  Pont-Saint-Vincent  fut  rétablie  par  une  déclaration 
de  la  duchesse  régente,  du  mois  de  juillet  1729. 

(3)  Recueil  des  ordonnances  de  Lorraine,  VllI,  p.  25. 


—  260  — 

ils  avaient  tant  souflert  au  xvu«  sièele.  Sans  doute  on 
trouve  quelques  traces  du  séjour  de  troupes  françaises 
pendant  les  années  qui  précédèrent  la  paix  de  Ryswick  (1)  ; 
mais,  depuis  cette  époque,  tout  le  pays  semble  avoir  joui 
d'une  paix  profonde.  Les  Lorrains  surent  profiter  de  cette 
paix  pour  réparer  les  malheurs  qui  avaient  marqué  l'époque 
du  duc  Charles  IV.  Dans  le  comté  de  Chaligny  comme 
ailleurs,  malgré  l'augmentation  des  charges  publiques  qui 
fut  la  conséquence  du  régime  français,  le  xvm^  siècle  fut 
une  ère  de  prospérité.  La  population  s'accroît  ;  le  vignoble^ 
véritable  richesse  du  pays,  qui  avait  tant  souflert  de  la  guerre 
de  Trente  ans,  n'est  pas  seulement  reconstitué,-  grâce  à 
l'action  d'administrateurs  intelligents,  mais  encore  il 
s'étend  sur  des  terres  nouvellement  défrichées  (2)  ;  l'agglo- 
mération de  Neuves-Maisons,  qu'enrichit  la  culture,  se 
développe  au  point  de  prétendre  devenir  une  paroisse 
indépendante  de  Chaligny,  dont  elle  avait  relevé  jus- 
qu'alors ;  une  école  de  filles  est  créée  à  Chaligny  vers  1763, 
grâce  à  la  libéralité  du  curé  Duchesne,  en  même  temps 
que,  par  la  charitable  initiative  du  même  pasteur,  peut- 
être  inspirée  par  l'exemple  d'un  curé  de  Pont-Saint- Vin 
cent,  sont  fondées  des  institutions  d'assistance  pour  les 
pauvres  et  les  malades  (3).   Une  bourgeoisie  rurale  se 

(1)  Ainsi  le  21  mars  1672,  à  Pont-Sainl-Vincent,  un  calviniste,  nommé 
Bourgeois,  cavalier  de  la  compagnie  du  sieur  de  la  Roqueviallo,  se 
convertit  à  la  foi  catholique  (Registres  de  Pont -Saint- Vincent)  ;  il  faut 
en  conclure  qu'il  y  avait  de  la  cavalerie  française  à  Pont-Saint-Vincent. 
De  môme  les  actes  de  l'état  civil  attestent  la  présence  de  la  compagnie 
colonnelle  du  comte  de  Bours  en  1679.  Vers  le  même  temps,  nous 
savons  par  les  registres  de  Pont-Saint- Vincent  qu'il  y  avait  des  dra- 
gons qui  prirent  leurs  quartiers  d'hiver  à  Maron. 

(2)  C'est,  par  exemple,  entre  1730  et  1750,  comme  on  aura  l'occasion 
de  le  dire  dans  la  seconde  partie  de  ce  travail,  que  furent  accensès  les 
terrains  où  se  trouvait,  avant  la  guerre  de  Trente  ans,  la  grande  vigne 
domaniale  de  Chaligny  ;  ils  furent  accensès  à  charge,  pour  les  censi- 
taires, de  remettre  le  terrain  en  nature  de  vigne.  Les  censitaires  s'ac- 
quittèrent de  cette  obligation  ;  ce  canton  a  gardé  jusqu'à  nos  jours  le 
nom  de  Grande  Vigne, 

(3)  On  étudiera  plus  complètement  ces  fondations  dans  la  seconde 
partie  de  ce  travaU. 


—  261  — 

forme,  qui  maintiendra  sa  situation  sous  la  Révolution  et 
l'Empire,  et  gardera  la  fortune  et  l'influence  jusques  au 
dernier  tiers  du  xix®  siècle. 

Cependant,  dès  le  xviii«  siècle,  Chaligny  et  les  villages  du 
comté,  simples  paroisses  lorraines,  n'ont  plus  d'autre  his- 
toire que  celle  de  la  province,  qui  elle-même  suit  les  des- 
tinées de  la  France.  Le  pays  a  perdu  son  autonomie  :  mais 
cela  ne  va  pas  sans  quelques  compensations.  C'est  ainsi 
que  l'intendant  français  se  trouve  en  état  d'accomplir 
l'œuvre  tentée  en  vain,  cent  quarante  ans  plus  tôt,  par 
François  do  Lorraine- Veudémont,  comte  de  Chaligny.  En 
1752  et  dans  les  années  suivantes,  par  les  soins  de  l'admi- 
nistration dont  la  Galaizière  est  le  chef,  on  construisit  à 
Pont- Saint- Vincent  le  pont  de  pierre  qui,  de  nos  jours 
encore,  met  en  communication  les  deux  rives  de  la  Moselle. 
Cet  ouvrage  excita  l'admiration  du  public  ;  Durival,  qui  le 
vit  en  1761,  dit  que  ce  pont,  de  neuf  arches,  était  le  plus 
beau  de  la  province  (1).  Ainsi  l'Etat  centralisé  accomplis- 
sait sans  peine  les  grands  travaux  qui  avaient  dépassé  les 
forces  de  la  petite  seigneurie  indépendante.  C'était  la  ran- 
çon de  l'évolution  qui  avait  fait  table  rase  des  formations 
historiques  et  des  autonomies  locales. 

(A  suivre.) 

(1)  Journal  manuscrit  conservé  à  la  Bibliothèque  de  Nancy. 


TA  BLE 

DB  LA 

Première  Partie  de  THistoire  de  Chaligny 


PAOBS 
AVAMT-PROPOS 5 

CHAPITRE  PREMIER 

La  souveraineté  de  Vévêque  de  Metz. 

I.  —  Chaligny  avant  le  xr  siècle.   —  Chaligny    dépendant    du 

temporel  de  Metz.  —  Inféodation  de  Chaligny  aux  comtes  de 
Vaudémont.  —  Importance  de  Chaligny  pour  les  Vaudémont. 
—  L'évoque  de  Metz  cède,  sous  forme  d'engagement,  la  suze- 
raineté de  Chaligny  au  duc  de  Lorraine  (1346) 6 

II.  —  Gouvernement  des  Vaudémont  à  Chaligny.  —  Leurs  libéra- 

lités envers  les  églises.  —  Exercice  des  droits  seigneuriaux.        19 

CHAPITRE  II 
Les  Joinville,  seigneurs  de  Chaligny  f  1347- 4415), 

I.  —  La  seigneurie  de  Chaligny  est  transmise  à  Henri  de  Join- 

villc,  qui  épouse  l'héritière  des  Vaudémont.  —  Henri  de 
Joinville- Vaudémont 27 

II.  —  Guerre   de  Henri  de  Joinville  et  d'Arnaud  de  Cervelles 

contre  les  ducs  de  Bar  et  de  Lorraine  (1363).  —  Siège  de 
Chaligny.  —  Fin  des  hostilités 30 

III.  —  Dernières  années  de  la  vie  de  Henri  de  Joinville- Vaudé- 
mont. -—  Ses  embarras  Gnaneiers 38 

IV.  —  Marguerite  et  Alice  de  Joinville-Vaudémont,  filles  de 
Henri.  —  Administration  de  leur  mère,  Marie  de  Luxem- 
bourg. —  Leur  mariage.  —  Chaligny  est  attribué  à  Alice, 
femme  de  Thiébaut  VII  de  Neufchâtel 43 

V.  —  Liquidation  dos  successions  de  Henri  de  Joinville- Vaudé- 

mont et  de  Mario  de  Luxembourg.  —  Thiébaut  VII  de  Neuf- 
chAtel  ;  il  est  tué  à  Nicopoirs  (1396) 49 

VI.  —  Alice  de  Joinville-Vaudémont,  dame  de  Chaligny.  —  Son 
administration  pendant  son  veuvage.  —  Son  testament  et  sa 
mort 83 


-  263  — 

CHAPITRE  ni 

Période  des  Neufchâtel  fU45-4559J. 

PAors 

I.  —  Premières  années  de  Thiébaul  VIII.  —  Division 63 

U.  —  Rôle  politiqire  de  Thiébaut  VIFI  à  Neufchâtel  ;  part  qu'il 
prend  à  la  lutte  des  Bourguignons  contre  les  Armagnacs.  — 
Guerre  de  Thiébaut  contre  les  Bâlois.  —  Rôle  de  Thiébaut 
dans  la  guerre  de  la  succession  de  Lorraine.  —  Pillage  de  la 
terre  de  Chaligny  ;  prise  de  la  forteresse  par  les  partisans  do 

René  d'Anjou 67 

m.  —  Thiébaut  IX,  maréchal  de  Bourgogne  ;  ses  débuts  ;  il 
rompt  avec  René  d'Anjou  et  Jean  de  Galabre.  —  Hospitalité 
offerte  par  lui,  à  Châtel-sur-Moselle,  au  dauphin  Louis  ;  pas- 
sage du  dauphin  en  Lorraine 76 

IV.  ~  Ambition  des  Neufchâtel,  qui  menacent  la  Lorraine.  — 
Guerre  entre  Thiébaut  IX  et  le  duc  de  Lorraine,  à  propos 
d'Épinal.  —  Succès  des  Lorrains  ;  prise  et  destruction  du 
château  de  Chaligny  {1467} 82 

V.  —  Mort  de  Thiébaut  IX  ;  son  fils  Henri  de  Neufchâtel  lui  suc- 

cède. —  Le  duc  de  Lorraine,  qui  a  confisqué  Chaligny,  en 
dispose  à  deux  reprises.  —  Fin  de  la  guerre  entre  la  Lor- 
raine et  les  Neufchâtel  (décembre  1472)  ;  restitution  de  Cha- 
ligny à  Henri  de  Neufchâtel 99 

VI.  —  Vicissitudes  que  subit  le  domaine  de  Chaligny  jusqu'à  la 
bataille  do  Nancy.  —  Chaligny  est  de  nouveau  saisi  par  le 
duc  de  Lorraine.  —  Henri  do  Neufchâtel  est  pris  par  les 
Lorrains  à  la  bataille  de  Nancy 107 

VIL  —  Chaligny  est  concédé  par  René  II  à  Oswald  de  Thiers- 
tein.  —  Traité  pour  la  délivrance  de  Henri  de  Neufchâlel,  qui 
passe  au  service  de  la  France  ;  acquisition,  par  Louis  XI,  de 
la  suzeraineté  de  Châtel.  —  Tentative  infructueuse  de  Henri 
pour  recouvrer  Chaligny  et  Bainville-aux-Miroirs i12 

VIlï.  —  Les  Thierstein,  maîtres  de  Chaligny,  en  vertu  d'une 
gagière.  —  En  4530,  l'héritière  des  Neufchâtel  recouvre  Cha- 
ligny, qui  passe  par  succession  aux  Isembourg,  puis  aux 
Waldeck.  —  En  1559,  la  terre  de  Chaligny  est  vendue  à 
Nicolas  de  Lorraine,  comte  de  Vaudëmont 121 

IX.  —  Événements  de  l'histoire  de  Chaligny  pendant  la  première 
moitié  du  xvi*  siècle.  —  Tendances  centralisatrices  du  gou- 
vernement lorrain 126 

CHAPITRE  IV 
Le  comté  de  Chaligny.  —  la  période  des  Mercœur  (4559-ieiO). 

L  —  Le  traité  de  Blâment.  —  Union  de  Chaligny  et  de  Pont- 
Saint-Vincent  130 

II.  —  La  terre  do  Pont- Saint- Vincent  avant  1563 134 


PAGES 

III.  —  Érection  du  comté  do  Chaligoy l&O 

IV.  —  Nicolas  de  Vaudémontf  duc  de  Mercœur,  comte  de  Chali- 
gny.  —  Louise  de  Lorraine,  reine  de  France.  —  Marguerite 
de  Lorraine,  duchesse  de  Joyeuse.  —  Le  cardinal  de  Vaudô- 
mont 143 

V.  —  Philippe-Emmanuel,  duc  de  Mercœur,  propriétaire  de 
Chaligny 151 

VI.  —  Henri  de  Lorraine,  comte  de  Chaligny.  —  Sa  postérité.  .      155 

VII.  -^  Mariage  de  l'héritière  unique  des  Mercosur  avec  César 
de  Vendôme.  —  Vente  du  comté  do  Chaligny  à  François  de 
Lorraine 166 

VIII.  ~-  Passages  des  troupes  protestantes  au  comté  de  Chaligny. 

—  La  campagne  de  1587  ;  la  «  bataille  »  de  Pont-Saint- 
Vincent  168 

CHAPITRE  V 
Le  comté  de  Chaligny  au  XV It  et  au  XV IIP  iiècle  (4640-f789}, 

I.  —  François  de  Lorraine,  comte  do  Vaudémont,  comte  de  Cha- 

ligny       197 

II.  —  Vaudémont  et  sa  famille  à  Pont-Saint- Vincent 202 

III.  —  Les  chasses  du  comté.  —  La  répression  du  braconnage  .      S08 

IV.  —  Gouvernement  de  François  de  Lorraine.  —  Le  haras  de 
PontSaint-Vlnccnl.  —  Rectification  du  cours  de  la  Moselle. 

—  Travaux  entrepris  pour  la  construction  d'un    pont   de 
pierre  ;  échec  de  cette  entreprise 213 

V.  —  La  sorcellerie  dans  le  comté  do  Chaligny 219 

VI.  —  Mort  de  François  de  Lorraine,  comte  de  Chaligny.  —  La 
guerre  dans  le  comté  (1635) 226 

VII.  —  Les  malheurs  de  la  guerre  dans  le  comté  de  Chaligny.  •— 
Ruine  complète  du  pays 234 

VIII.  —  Le  comté  sous  l'administration  française.  —  Restitution 
du  comté,  en  1652,  à  Nicolas-François.  —  Mort  de  Nicolas- 
François  (1670) 249 

IX.  —  Le  comté  suit  le  sort  de  la  Lorraine  ;  il  est  séquestré  par 
la  France.  —  Arrêt  de  la  Chambre  de  réunion  portant  réu- 
nion de  Chaligny  à  la  couronne  de  France.  —  Chaligny  et  le 
comté  sont  cependant  restitués  au  duc  Léopold  à  la  suite  du 
traité  de  Ryswick  (1698).  —  Le  comté  de  Chaligny  uni  à  la 
Lorraine.  —  Formation  éphémère  du  comté  de  Guise  (1718- 
1729).  —  Abolition  de  la  prévôté  de  Pont-Saint- Vincent.  — 
Prospérité  du  pays 252 


LE  VE^iKÏLiBLEDOM, 

Ne  en  jBSo* 


nmmn  de  î.a  cour. 


Dea  Rn/^mj-  Je  Benait  zeU  Rc/ or  moteur , 
jt  mêJder  j'a  Re^le  il  consacra  sra  vie  ; 
Et  pour  Lt'fiire' aûn'er  ^mpftryofii- la  douceur , 
Il  j-çut  Ll  re/ah/ir  en.'  JepU  dc'  l\Knvie^. 


DOM  DIDIER  DE  Ik  COUR  DE  LA  VALLÉE 

ET 

LA  RÉFORME  DES 

BÉNÉDICTINS  DE  LORRAINE 

1850-1623 

PAR 

DOM    E.    DIDIER-LAURENT  <*» 
O.  S.  B. 


AVANT-PROPOS 


Elut  malheureux  do  la  Lorraine.  —Causes do  décadence  des  inslilutions 
religieuses:  les  guerres,  la  commende,  la  pauvreté,  les  vocations 
forcées.  —  Nécessité  d'une  réforme.  —  Sources  historiques. 

L'élat  malheureux  de  la  Lorraine,  à  la  fiD  du  xyi^  siècle 
et  au  commencement  du  xvii®,  a  provoqué,  chez  tous  les 
chroniqueurs  de  cette  époque,  des  descriptions  suffisam- 
ment détaillées  et  saisissantes,  pour  que  nous  n'ayons  pas 
à  y  revenir, 

(I)  L'auteur  de  ce  travail  est  décédé  prématurément,  presque  au 
jour  môme  où  la  Société  votait  l'impression  de  son  œuvre.  11  serait 
superflu  do  redire  combien  la  perte  de  ce  savant  Bénédictin,  qui  com- 
pulsait les  archives  romaines  avec  tant  de  profit  pour  l'histoire  de 
Lorraine,  a  été  ressentie  vivement  par  notre  Compagnie  (v.  l'article 
nécrologique  donné  par  M.  Eug.  Martin  au  Bulletin  mensuel,  1902, 
p.  239). 

Si  Dom  E.  Didier- Laurent  eût  encore  vécu,  la  Commission  de  révision 

18 


—  266  — 

Placée  entre  de  puissants  compétiteurs  sans  cesse  aux 
prises,  celte  province  ne  pouvait  échapper  aux  consé- 
quences des  guerres  dont  elle  était  le  théâtre,  et  son  orga- 
nisation en  avait  été  ébranlée  :  le  caractère  religieux  de 
ces  luttes  leur  avait  donné  une  particulière  et  pernicieuse 
influence  sur  les  principes  d'ordre  et  de  hiérarchie,  qui 
avaient  été  jusque  là  le  nerf  vital  des  institutions  politiques 
et  religieuses. 

Les  impôts  s'étaient  augmentés  pour  faire  face  aux  dé- 
penses de  ces  guerres,  et  les  défenseurs  semblaient  aussi 
exigeants  dans  leurs  prétentions  que  les  envahisseurs; 
ceux-ci,  espérant  des  abbayes  un  riche  butin,  les  pillaient 
et  s'en  servaient  comme  de  forteresses;  les  autres,  pour 
prévenir  de  telles  surprises,  se  hâtaient  de  détruire  les 
monastères  dont  ils  avaient  la  garde,  surtout  quand  ces 
maisons  se  trouvaient  auprès  des  grandes  voies  de  commu- 
nication. Dans  les  deux  cas,  c'était  la  ruine  :  tel  fut  le  sort, 
pour  ne  parler  que  des  monastères  bénédictins,  des  abbayes 
de  Sainte  Croix  de  Bouzonville,  détruite  le  19  mai  1583;  de 
Saint-Martin  de  Longetille,  entièrement  saccagée  et  brûlée 
le  jour  de  la  Saint  Remy  1552  ;  de  Saint-Arnould  de  Metz, 
renversée  en  1552  ;  de  Saint-Symphorien,  également  à  Metz, 

lui  aurait  demandé  de  préciser  certains  détails  accessoires  :  par  exem- 
ple, lorsqu'il  parie,  dans  une  note,  de  l'évoque  de  Toul  Christophe  de 
La  Vallée,  mieux  eût  vallu,  afin  d'éviter  des  confusions  entre  plu- 
sieurs familles  différentes  se  rattachant  aux  anciens  La  Vallée  et  qui  en 
prirent  le  nom,  rappeler  que  ce  prélat  était  de  la  famille  Henriet. 

Elle  l'eût  aussi  prié  d'abréger  un  peu  les  préliminaires,  où  il  n'était 
pas  nécessaire  de  s'étendre  sur  des  faits  historiques  fort  antérieurs  à 
la  réforme  entreprise  par  Dom  Didier  de  La  Cour  et  sans  rapport  avec 
elle,  notamment  la  querelle  des  Investitures,  sur  laquelle  le  défunt 
n'a  pu  connaître  le  travail  de  M.  A.  Dantzcr  publié  l'an  dernier  dans 
les  Annalea  de  l'Est  (1902,  p.  fô). 

Mais  notre  digne  confrère  M.  le  curé  Didier- Laurent  s'est  fait  scru- 
pule de  remanier  et  même  de  retoucher  l'œuvre  de  son  fW^re.  La 
Comn\ission  s'est  Inclinée  devant  ce  pieux  sentiment,  et  a  borné  son 
intervention  à  corriger  de  minimes  détails  de  pure  forme,  tels  que 
des  régularisations  d'indications  bibliographiques. 

L.  G. 


convertie  en  citadelle  en  1361  ;  de  Saint-Clément,  dans  la 
môme  ville,  dévastée  en  1332,  etc. 

Lorsque  la  ruine  des  abbayes  n'était  pas  consommée  par 
la  guerre,  d'autres  maux  l'amenaient  progressivement: 
nous  voulons  dire  les  compétitions  des  bénéficiers  et  la 
Commende.  En  Lorraine,  les  maisons  régnantes  tenaient 
souvent  de  près,  ou  par  la  parenté,  ou  simplement  par  le 
protectorat,  aux  possesseurs  des  bénéfices  ecclésiastiques  ; 
la  collation  de  ceux-ci  n'y  était  pas  exempte  d'intrigues 
politiques  ;  c'était  une  cause  inévitable  de  décadence  pour 
les  institutions  qui  les  subissaient.  Elles  n'étaient,  entre  les 
mains  de  ceux  qui  les  détenaient  ou  les  administraient, 
qu'un  moyen  d'influence,  et  une  source  plus  ou  moins 
féconde  de  revenus. 

On  a  beaucoup  écrit  sur  les  ruines  entassées  par  la 
commende  autour  des  grandes  abbayes  et  des  autres  béné- 
fices, sur  les  scandales  qu'elle  ne  pouvait  arrêter,  quand 
elle  ne  les  favorisait  pas  ;  nous  croyons  qu'on  ne  sera  jamais 
trop  sévère  à  réprouver  l'abus  d'une  coutume,  légitimée 
son  origine,  mais  malheureusement  devenue  presque  par- 
tout injuste  et  désastreuse. 

11  est  facile  de  comprendre  que  la  multiplicité  des  béné- 
fices, réunis  sur  la  môme  tête,  enlevait  au  titulaire  la  possi- 
bilité de  répondre  aux  obligations  qu'ils  entraînaient, 
quand  un  seul  eûtsuflîdéjà  pour  absorber  toute  son  atten- 
tion. Au  reste,  le  but  de  cette  multiplicité  était,  à  peu  près 
toujours,  d'améliorer  la  situation  matérielle  de  celui  qui  en 
était  favorisé  ;  il  se  désintéressait  de  gaieté  de  cœur  des 
responsabilités  morales  dont  ces  commendes  le  chargeaient. 

L'obligation  de  pourvoir  au  ministère  et  au  culte  des 
paroisses  mettait  parfois  une  barrière  à  cette  indifférence, 
quand  il  s'agissait  de  bénéfices  séculiers  ;  il  n'en  était  pas 
de  môme  pour  les  abbayes  ou  les  prieurés,  à  la  vie  des- 
quels le  commendataire  ne  comprenait  rien,  ou  dont  seuls 
la  valeur  et  le  rapport  absorbaient  sa  sollicitude.  L'impo- 


—  268  — 

sition,  déjà  bien  onéreuse,  devint  insupportable  à  la  fin  du 
xvi°  siècle,  par  suite  des  guerres  continuelles  qui  dévastè- 
rent la  Lorraine.  Les  exigences  des  bénéficiers  ne  s'adou- 
cissaient pas  en  proportion  des  ruines  accumulées,  et  les 
monastères,  bien  que  n'ayant  plus  le  capital,  devaient 
néanmoins  en  fournir  les  intérêts  à  leur  seigneur  et  maître, 
aussi  complètement  et  aussi  régulièrement  que  dans  les 
temps  prospères. 

Toute  l'activité  de  l'abbaye  ou  du  prieuré  se  dépensait 
donc  dans  la  recherche  des  ressources  nécessaires,  soit  à 
l'extinction  des  délies,  soit  à  l'extinction  de  la  créance  du 
commendataire,  soit  enfin  à  la  subsistance  des  religieux. 
Dès  lors,  il  était  difficile  d'obvier  à  toutes  les  conséquences 
fâcheuses  qui  résultaient  d'une  telle  pauvreté  ;  les  sacris- 
ties, réduites  au  strict  indispensable,  offraient  peu  d'at- 
trait pour  le  culte  divin  ;  chaque  individu  s'ingéniait  à 
pourvoir  à  son  entrelien,  d'où  les  pensions,  les  régimes 
particuliers,  les  réserves,  le  pécule;  le  vœu  de  paurveté 
devenait  illusoire,  outre  que  les  rapports  constants  avec 
les  personnes  du  dehors,  précisément  commandés  par  les 
conditions  d'une  vie  si  précaire,  n'étaient  rien  moins  que 
favorables  à  la  clôture  et  au  travail  sérieux  et  soutenu. 

Sans  doute,  un  esprit  monastique  et  sacerdotal  solide 
eût  résisté  à  ces  dissolvants,  mais  pouvait  on  l'espérer, 
alors  qu'il  n'y  avait,  à  la  base  de  la  vie  religieuse,  aucun 
vrai  noviciat,  alors  qu'aucun  contrôle  ne  pesait  sur  les  indi- 
vidus? Souvent  le  seul  frein  à  tout  cela  était  l'autorité  plus 
ou  moins  compromise  d'un  prieur  claustral  livré  aux 
mêmes  difficultés,  et  obligé  de  lutter,  tant  pour  son  compte 
que  pour  celui  de  ses  religieux,  contre  les  exigences  du 
bénéficier. 

Cette  conjuration  de  circonstances  si  peu  propres  à  aider 
le  développement  normal  ou  à  maintenir  les  forces  pour- 
tant si  vives  de  rinslitution  monastique,  n'excuse  point 
les  faiblesses  de  ceux  qui,  loin  de  résister  au  couraut,  se 


-  2G9  — 

laissaient  douceraent  entraîner  par  lui.  Elle  explique  cepen- 
dant, croyons  nous,  comment  les  mailles  de  la  discipline 
religieuse  avaient  pu  s'élargir  peu  à  peu  ;  elle  fait  toucher 
du  doigt,  avec  les  causes  du  mal,  les  remèdes  énergiques 
qui  s'imposaient,  et  l'inutilité  des  demi-mesures  qu'on 
avait  essayé  d'employer.  Elle  fait,  en  même  temps,  res- 
sortir davantage  le  caractère  vigoureux  qui,  dans  les  mains 
de  la  Providence,  fut  l'instrument  docile,  destiné  à  rendre 
une  sève  nouvelle  au  rameau  desséché  de  l'arbre  béné- 
dictin. 

Ajoutons  à  ces  causes  de  décadence  les  trop  nombreuses 
vocations  forcées,  dont  l'appoint  ne  pouvait  certes  com- 
penser les  lacunes  d'esprit  religieux  et  de  discipline  que 
nous  avons  signalées. 

Préoccupées  d'assurer  à  leurs  enfants  une  position  sociale 
honorable,  les  familles  ne  craignaient  pas  de  les  engager, 
de  les  presser  quelquefois  avec  menaces,  d'entrer  dans  la 
carrière  ecclésiastique  ou  monastique,  qui  jouissait  d'un 
grand  crédit.  L'espoir  plus  ou  moins  problémalique  d'ob- 
tenir plus  tard  un  riche  bénéfice  tenait  lieu  de  vocation,  et 
les  candidats,  plus  soucieux  d'une  situation  matérielle  que 
d'avantages  spirituels,  s'inquiétaient  fort  peu  des  obliga- 
tions de  l'état  où  ils  s'engageaient. 

En  compulsant  les  Archives  de  la  S.  Congrégation  des 
Evéques  et  Réguliers,  nous  avons  pu  le  constater:  presque 
toutes  les  démarches  faites  à  cette  époque  pour  obtenir  la 
dispense  des  vœux  de  religion,  s'appuient  sur  le  défaut  de 
liberté,  lors  de  l'entrée  au  monastère;  nous  avons  mt^me 
trouvé  plusieurs  cas,  où  les  châtiments  corporels  n'y 
avaient  pas  été  étrangers. 

Les  efforts  entrepris  et  les  règlements  dressés  pour  la 
réforme  dont  nous  voudrions  retracer  les  phases,  feront 
d'eux  mêmes  ressortir  les  vices  intérieurs  qui  s'étaient  peu 
à  peu  glissés  dans  la  constitution  monastique.  Forle  en 
son  cadre  primitif,  elle  s'était  malheureusement  amoin 


—  270  — 

drie  et  débilitée  sous  Tinfluence  des  causes  extérieures  si- 
gnalées. Nous  nous  sommes  plus  longuement  arrêté  en 
face  de  celles-ci,  parce  que  ce  travail,  fait  surtout  au  point 
de  vue  historique,  doit  relater  tout  spécialement  les  gran- 
des raisons  qui  amenèrent  la  réforme  entreprise  par  le  pieux 
et  zélé  prieur  de  Saint- Vannes  de  Verdun,  Dom  Didier  de 
la  Cour  de  la  Vallée. 

Les  sources  auxquelles  nous  avons  puisé  pour  cette  étude, 

sont  principalement,  parmi  les  imprimés  : 

Histoire  du  vénérable  Dom  Didier  de  la  Cour,  Réformateur 
des  Bénédictins  de  Lorraine  et  de  France,  tirée  d'un  ma- 
nuscrit original  de  Tabbaye  de  Saint- Vannes,  par  un  reli- 
gieux bénédictin  de  la  Congrégation  de  Sainl-Maur  (1) 
Paris,  L-F.  Quillau,  1772. 

(1)  L'auteur  do.  celle  Vie  est  Dom  Charles-Michel  Haudiqier,  reli- 
gieux do  l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés.  Composée,  selon  Dom  A. 
Calmet,  a  d'après  un  mauvais  manuscrit  »,  cette  vie  a  plus  en  vue  d'édi- 
fier le  lecteur  que  de  lui  offrir  un  travail  historique.  Les  dates  y  sont 
trop  rares,  les  événements  enchevêtrés,  et  souvent  les  réflexions  per- 
sonnelles de  l'écrivain  y  tiennent  lieu  de  critique  et  de  méthode.  Ces 
qualités  étaient  moins  requises  dans  un  ouvrage  entrepris,  ainsi  que  le 
déclare  l'auteur  dans  sa  Préface,  «  pour  ces  personnes  qui  se  font  un 
devoir  de  méditer  avec  attention  les  grands  exemples  que  leur  ont 
laissé  les  héros  du  Christianisme,  aussi  bien  que  pour  ses  confrères  ». 
La  difficulté  de  l'œuvre  n'a  pas  échappé  à  Dom  Michel,  ainsi  qu'il 
'l'avoue,  difficulté  provenant  surtout  du  manuscrit  de  Saint- Vannes, 
a  Après  l'avoir  examiné,  dit-il,  j'ai  compris  la  difficulté  de  l'cnti-eprise. 
En  effet,  rien  de  plus  informe  que  ce  manuscrit  ;  les  faits  y  sont  placés 
comme  au  hasard,  sans  dates,  sans  liaisons,  sans  réflexions,  sans  cri- 
tique: beaucoup  de  minuties,  une  multitude  de  petits  détails...  et  un 
style  maussade.  •  Nous  pourrions,  à  notre  tour,  regretter  que  Dom 
Haudiquer  ait  trop  suivi  et  imité  son  auteur.  C'est  une  des  raisons 
qui  nous  ont  fait  abandonner  le  projet  de  le  rééditer  purement  et  sim- 
plement, comme  de  savants  amis  nous  l'avaient  conseillé.  Tout  en  fai- 
sant de  larges  emprunts  à  ce  travail  divisé  en  deux  parties  dont  le 
commencement  sérieux  de  la  réforme  marque  le  centre,  nous  nous  en 
écarterons  pour  l'ordre,  et  nous  tâcherons  d'y  ajouter  plusieurs  docu- 
ments importants  pour  l'histoire. 

A  chaque  partie,  Dom  Haudiquer  annexe  un  chapitre  de  notes  inté- 
ressantes, dont  plusieurs,  après  contrôle,  méritent  de  trouver  place  au 
cours  de  notre  travail.  Il  complète  son  œuvre  par  une  Ode  latine  en 


—  271  — 

D.  Hlmbeht  Rollet  (1)  :  La  Vie  du  H.  P.  Dom  Didier  de  la 
Cour,  Réformateur  de  la  Congrégation  de  Saint- Vannes, 
insérée  au  tome  IV  des  Chroniques  de  l'Ordre  de  Saint- 
Benoit,  par  Yepez,  traduction  française  de  D.  Martin 
Rétheiois  (2),  de  la  Congrégation  de  Saint- Vannes. 

M.  Jacqueline  DE  Blémur,  Année  bénédictine,  tome  de  novem- 
bre (14).  Vie  édifiante  extraite  en  grande  partie  en  vuede 
prouver  la  vertu  de  son  héros  et  renfermant  de  ce  chef 
bien  des  détails  intéressants  reproduits  par  D.  Rhételois 
et  1).  Haudiquer. 

D.  Calmet.  —  Bibliothèque  lairaine  ou  histoire  des  hommes 
illustres, 

D.  Calmet.  —  Histoire  de  Lorraine, 

D.  Calmet.  —  Notice  de  la  Lorraine, 

Akmellinl  •—  Bibliotheci  cassinensis, 

l'honneur  de  son  héros,  ode  accompagnée  de  sa  traduction  et  composée 
par  Dom  Simplicien  Gody,  de  la  Congrégation  de  Saint-Vannes  (p.  â70- 
284)  ;  il  la  termine  par  une  Apologie  de  l'état  monastique  (p.  281,  fin). 

(1)  D.  Hubert  Rollet,  que  nous  trouvons,  dos  l'origine  de  la  réforme, 
parmi  les  quatre  premiers  novices  de  Didier  de  la  Cour,  était  k  même 
d'écrire  une  vie  exacte  de  son  maître,  et  de  donner  de  nombreux  dé- 
tails sur  l'œuvre  du  prieur  de  Saint-Vannes,  dont  il  devint  bien  vite 
l'auxiliaire  dévoué.  Dom  Haudiquer  a  connu  cette  vie,  écrite  d'un  style 
agréable  et  naturel:  nous  y  regrettons  l'absence  de  dates,  dont  les  his- 
toriens de  notre  héros  semblent  avoir  fait  trop  bon  marché.  Pourtant 
la  comparaison  des  deux  textes  nous  a  souvent  guidé  pour  la  suite  des 
événements,  décrits  avec  plus  de  précision  par  D.  Rollet.  Nous  revien- 
drons ailleurs  sur  ce  bénédictin  de  Saint-Vannes. 

(2)  D.  Martin  Rétheiois,  bénédictin  de  la  Congrégation  de  Saint- 
Vannes,  naquit  à  Verdun  et  fit  profession  à  l'abbaye  de  Saint-Mihiel  le 
17  juin  1628. 11  a  traduit  de  l'espagnol  en  français  les  Chroniques  de 
l'&rdre  de  Saint-Benoit,  composées  par  D.  Ant.  Yepez,  abbé  de  la  Con- 
grégation de  Valladolid.  Imprimé  à  Toul  en  1G47  et  les  années  suivantes, 
l'ouvrage  du  P.  Rétheiois  contient,  pour  bien  des  mona8t^res,  de  nom- 
breuses additions  inconnues  à  Yepez. 

L'obligeance  d'un  de  nos  confrères,  D  Alphonse  Pothier,  moine  de 
l'abbaye  de  Saint-Wandrille  (anc.  Fontenclle),  nous  a  valu  de  posséder 
la  copie  de  tout  ce  qui  touche  à  notre  héros,  dans  les  Chroniques  de 
Rétheiois,  aujourd'hui  rares  à  trouver.  Nous  sommes  heureux  de  lui 
exprimer  ici  toute  notre  reconnaissance.  On  ne  nous  incriminera  point, 
nous  l'espérons,  d'adresser  le  même  tribut  à  notre  frère,  M.  le  curé  de 
Thiéfosse,  qui  a,  pendant  nos  divers  séjours  dans  les  Vosges,  mis  à 
•notre  complète  disposition  sa  belle  collection  lorraine. 


—  272  — 

DoM  J.  François.  —  Bibliothèque  des  écrivains  de  l'Ordre  de 

Saint  BenoU,  t.  I. 
Hklyot.  —  Dictionnaire  des  Ordres  monastiques, 
ZiEGELBAUER.  —  HistOTia  m  litterariœ  0.  S,  B. 
D.  Philippe  Lecerf.  —  Bibliothèque  de  la  Congrégation  de 

Saint-Maur,  1722. 
Matricula  religiosorum  professorum  cleric,  et  sac.  Cong.  SS. 

Vitoni  et  Hidulphi,  1722. 
Article  dans  VAlmanach  de  Bar,  1863. 
Articlesdans  le  Kirchenlexicon,  Moreri,  Michaud,  Feller,  etc. 
Article  de  M.  Léon  Germain  sur  la  tombe  de  D.  Didier  de  la 

Cour,  dans  le  Journal  de  la  Soc.  d'archéologie  lorraine, 

1891,  p.  42  et  193  (aussi  tiré  à  part). 
Gallia  christiana,  passim. 
L'Abbé  Guillaume.  —  Histoire  du  diocèse  de  TotU. 
L'Abbé  Eug.  Martin.  —  Histoire  des  diocèses  de  Tout,  de 

Nancy  et  de  Saint  Dié,  II. 
Robinet.  —  Pouillé  du  diocèse  de  Veixlun. 
D.  H.  Belhomme.  —  Historia  Mediani  monasterii, 
D.  Joseph  de  L'Islr.  —  Histoire  de  l'c^baye  de  Saint-Mihiel. 

Nous  ne  rappelons  ici  que  les  sources  générales  sur  la 
Congrégation  de  Saint- Vannes  et  Saint-Hydulphe,  et  la  vie 
de  son  fondateur.  Les  autres  sources  particulières  seront 
indiquées  au  cours  du  travail. 

Parmi  les  manuscrits  : 

Paris.  —  Archives  nationales  de  France,  G.  553:  Histoire 
abrégée  de  V origine  de  la  Congrégation  de  Saint-  Vannes.  — 
Ibid.,  991,  Acti,  Capitulorum  generalium  Congrcgationis 
SS.  VitOîii  et  Hidulphi  usqice  ad  erectionem  Congregationis 
S.  iîauriin  liegno  Galliœ,  etc. 

Bibliothèque  nationale,  Fonds  latin  5208,  pouillé  de  Toul, 
12661,  12666,  12777,  12779,  12780  varia,  etc  ,  13859.  — 
Instaurati  in  Gallia  Dencdictini  Ordinis  seu  Congrégation 


—  273  — 

nis  S.  Mauri  Annales,  auctore  D.  Josepho  Mege,  tomus  I  ; 
Fonds  français,  Dupuy,  Moreau,  Brîenne,  passim.  —  Col 
lection  de  lorraine,  27J,  276.  284,  289,  329,  334,  453,  483, 
497,  715,  etc. 

Rome.  —  Archives  de  la  S.  Congrégation  des  Evêques  et  Ré- 
guliers, du  commencement  à  Tannée  1620,  lettres,  B.  T.  V, 

Rome.  —  Archives  de  la  Consistoriale,  Acta  C,  3065,  et  R. 
3067,  p.  387,  etc. 

Rome.  —  Archives  de  la  Secrétairie  des  Brefs,  passim, 

Rome.  —  Archives  du  Vatican,  passim. 

Rome.  —  Bibliothèque  Angelica,  Taxae  monasteriorum.  — 
Lettres  de  Nonces. 

Florence.  —  Archivio  di  Stato^  Titulus  Refarmationum,  t.  II. 

Meurthe.  —  Archives  départementales,  série  H. 

Nancy.  —  Bibliothèque  de  la  VillCy  n»  40;  P.  Abram,  Histoire 

-  de  l'Université  de  Pont-à-Mousson,  trad.  Marigothus. 

Epinal.  —  Bibliothèque  départementale, 

Saint-Dié.  —  80,  xvi-xviH,  Notes  manuscrites  de  I).  Calmet 
sur  la  vie  de  Dom  Didier  de  la  Cour  (1),  et  la  Congrégation 
de  SaiJit- Vannes, 

(1)  Nous  ne  pouvons  terminer  cette  revue  bibliographique  sans  dire 
un  mot  des  notes  recueillies  par  D.  Pierre  Munier,  moine  de  la  Con- 
grégation de  Saint-Vannes.  Ce  religieux,  né  à  Paris  en  1672,  fut  envoyé 
en  Lorraine  pour  y  faire  ses  humanités.  Entré  à  Saint-Mansuy  deToul, 
il  y  fit  .profession  le  7  juin  1689.  Il  s'appliqua  à  l'étude  du  grec,  puis 
devint  professeur  de  théologie  à  Saint-Evre  de  Toul  et  fît,  pendant 
deux  ans,  des  conférences  au  palais  épiscopal  de  celte  ville.  D.  Hubert 
Belhomme,  voulant  faire  composer  l'histoire  des  réformes  bénédictines 
de  Saint-Vannes,  Saint-Maur  et  Cluny,  jeta  les  yeux  sur  Dom  Munier, 
qui  se  mit  à  l'œuvre  en  1710.  Ses  recherches  et  ses  visites  dans  les 
monastères  durèrent  trois  ans,  après  lesquels  il  rassembla  ses  maté- 
riaux en  14  volumes  in-folio,  qu'il  rédigea  ensuite  en  6  volumes.  Bien 
que  diffuse,  dit  D.  Calmot,  qui  en  a  tiré  bon  nombre  de  noies  pour 
ses  ouvrages,  l'œuvre  de  Dom  Munier  est  précieuse  par  la  multitude 
de  détails  qu'elle  contient  Du  temps  de  l'abbé  de  Senones,  les  14  volu- 
mes de  documents  se  trouvaient  dans  la  Bibliothèque  de  Moyenmou- 
lier  ;  les  six  volumes  rédigés,  dans  celle  de  Senonos.  La  Révolution  a 
dispersé  toutes  ces  richesses  et  il  nous  a  été  impossible,  hélas  !  malgré 
de  longues  et  minutieuses  recherches,  d'en  retrouver  la  trace  (cf.  D. 
Calmet,  Bibl.  lorr.,  art.  Munier). 


PREMIÈRE  PARTIE 


Do  la  naissance  de  Didier  de  la  Cour 

à  la  visite  apostolique  des  monastères  lorrains 

1550-1605. 

CHAPITRE  PREMIER 

Naissance  de  Dom  Didier  de  la  Cour  (1550).  Il  entre  à  S. -Vannes  (1568). 
—  L'abbaye.  —  La  profession  de  Dom  Didier  (1575).  —  Ses  études  à 
Pont-à-Mousson,  à  Reims,  puis  à  Pont-à-Mousson  (1578  à  1584).  — 
Ses  essais  de  vie  religieuse  plus  sévère.  —  Son  voyage  à  Rome,  de 
1587  à  1589.  —  Il  tente  la  vie  érémitique  ù  Rarécourt  (1589).  —  II 
essaie  la  vie  des  Minimes  (liiîK)).  —  II  rentre  définitivement  à  Saint- 
Vannes. 

C'est  dans  l'humble  village  de  Montzéville  (1),  au  fond 
d'une  riante  vallée  et  à  quelques  lieues  de  Verdun,  que 
naquit  Didier  de  la  Cour  de  la  Vallée.  L'impossibilité  de 
retrouver  son  acte  de  baptême  nous  oblige  à  lui  donner 
dès  maintenant  déjà  son  nom  de  profession  religieuse,  le 
seul  connu  jusqu'ici.  On  était  à  la  fin  de  1550  (2). 

(1)  Montzéville,  village  d'environ  600  habitants,  situé  sur  le  ruis- 
seau de  Montzéville,  se  trouve  noté  dans  le  cartulaire  de  S. -Vannes  k 
différentes  époques  :  imonzei  villa  ei  Flaviniacus  (940)  —  Amensei 
Villa  (952)  —  Àmoncei  villa  (962)—  Àmorrei  villa  (980)  —  Amonsei 
villa  (1047,  1061)  —  Villa  Àmonseia  (1049).  Dans  un  diplôme  de 
l'empereur  Othon,  en  ^9,  on  lit  :  Amonzei  villa.  Dans  la  Collection 
de  Lorraine  (Paris,  B.  N.,  266,  p.  33:  À  mon  zey  vil  le.  Dans  Wassebourg, 
Àntiquilez  de  la  Gaule  belgicque  :  Montzéville  (1549).  Item,  Coll.  de 
Lorr.  268,  49  A.  4,  en  1515.  Nous  trouvons  encore  passim  :  Monzen- 
ville  (1549)  —  Monzey ville  «1549)  —  Amouzeville  (1564)  —  Motisse- 
ville  (lr)64)  —  Moiissuinville  {VjQi),  (1745). 

D'apr^îs  le  Fouillé  de  1460  (Bibl.  nat.,  Moreau,  789,  fol.  272),  l'église 
de  Ste-Marie  de  Monzeville  était  à  la  présentation  de  l'abbé  de  Saint- 
Vannes. 

(2)  Nous  proposons  cette  date  plutôt  que  celle  de  1551   préférée  par 


—  275  — 

Les  parents  de  Didier  «  appartenaient  aux  plus  ancien- 
nes familles  de  Lorraine  (1)  )),  quoique,  à  Tépoque  où  il 
vint  au  monde,  leur  situation  de  fortune  fût  assez  réduite. 
C'est  ainsi  que  parle  Dom  Haudiquer,  sans  nous  donner 
d'autres  détails  généalogiques  du  côté  des  De  la  Cour; 
aussi  pouvait-on  se  demander,  jusqu'à  nouvelle  décou- 
verte, pourquoi  Dom  Didier  de  la  Cour  ajoutait  à  ses 
armes  et  à  son  nom  ceux  de  «  la  Vallée  ». 

Une  lettre  de  Dom  Bénigne  de  la  Haye  (2),  adressée  de 
Bouzonville  à  D.  Calraet  le  6  mars  1753,  nous  donne  la  clé 
du  problème  en  ces  termes  :  «  ...  Ma  3*  remarque  (sur  cer 
«  tains  articles  de  la  Bibliothèque  hrraine  de  l'abbé  de 
«  Senones)  porte  sur  D.  Didier  de  la  Cour  de  la  Vallée. 
«  Votre  Révérence  a  supprimé  de  la  Vallée  avec  tous  les 
«  autheurs  qui  en  ont  parlé,  si  j'en  excepte  la  mère  de 
«  Blémur.  Ce  nom  pourtant  ne  pourrait  que  faire  honneur 
«  à  ses  disciples...  Au  surplus  je  n'ai  vu  nulle  part  que 
((  dans  votre  livre,  que  M.  de  la  Vallée  resta  à  Saint-Vannes 


M.  L.  Germain  dans  son  article  sur  La  Tombe  de  D.  Didier  de  la  Cour, 
{Journal  de  la  Société  d'archêoL  lorraine,  1891,  p.  194,  note  3.)  Voici 
nos  raisons.  En  mettant  la  naissance  de  D.  Didier  à  la  fin  de  1550,  p. 
ex.  en  décembre,  il  n'avait  pas  encore  73  ans  au  14  nov.  1523,  et  cela 
concorde  bien  avec  l'inscription  de  la  tombe  :  Aet.  72.  —  D.  Rollet 
{Chron.  de  Réthelois)  est  formel  :  Didier  naquit...  l'an  jubilaire  1550. 
EnGn,  D.  Calmet,  dans  son  manuscrit  (Bibl.  de  S.  Dié,  80-XVI),  dit  de 
même  1550,  et  le  confirme  en  disant  que  Didier  fut  prêtre  à  31  ans  en 
1581. 

(1)  Nous  renvoyons  pour  la  généalogie  de  Dom  Didier  de  la  Cour  au 
travail  de  M.  Léon  Germain,  dont  nous  avons  déjà  parlé  plus  haut,  sur 
lu  tombe  du  prieur  de  S.  Vannes.  11  nous  sera  permis  cependant  de 
signaler  une  opinion  difTércnte  sur  l'origine  do  la  famille  de  la  Vallée, 
que  nous  croyons  venue  de  Bretagne.  Nos  recherches  personnelles 
n'ont  rien  ajouté,  en  dehors  de  ce  détail,  aux  données  de  ce  savant 
article. 

(2)  D.  Bénigne  de  la  Haye,  prof  es  à  S.  Hydulphe  de  Moyen  mou  tier 
le  22  mai  1712,  mourut  au  prieuré  de  Lay  le  24  mars  1773. 

La  lettre  dont  nous  parlons  fait  partie  de  la  collection  des  Lettres 
de  D.  Calmet  conservées  au  Grand  Séminaire  de  Nancy  ;  manuscrit, 
n«  210. 


--  276  — 

((  pour  y  euseiguer  les  jeunes  religieux,  mais  seulement 
«  /).  Didier,  dont  il  était  Voncle  maternel  (1)  ». 

Les  premières  années  de  Didier  s'écoulèrent  paisibles 
à  Tombre  du  foyer  paternel.  Les  exemples  de  travail  et 
de  piété  suppléèrent  pour  lui  à  ce  que  le  manque  de 
loisirs  lui  dérobait  en  soins  de  la  part  de  ses  parents. 
Cette  atmosphère  de  sérieux  cadrait  bien  avec  le  tempé- 
rament tranquille  de  l'enfant,  éloigné  des  jeux  bruyants 
et  trouvant  déjà,  aux  heures  de  tristesse,  une  consola- 
tion immédiate  l\  la  vue  d'un  livre.  Bertrand  de  la  Cour 
ne  se  désintéressait  pourtant  point  de  l'éducation  de  ses 
enfants,  et,  le  soir,  il  aimait  à  les  réunir  autour  de  la 
table  de  famille  pour  leur  faire  lire  un  ouvrage  pieux,  le 
plus  souvent  la  a  Vie  des  Saints  ».  Didier  trouva  sans 
doute  dans  ces  premières  lectures  le  germe  de  sa  vocation; 
il  en  garda  toute  sa  vie  l'habitude  ;  jamais  dans  la  suite  il 
ne  prit  son  repos  sans  avoir  relu  l'un  de  ces  passages  qui 
avaient  frappé  son  imagination  et  son  âme  d'enfant. 

Bientôt  l'épreuve  vint  frapper  à  la  porte  de  cette  maison 
paisible  :  Didier  n'avait  que  sept  ans,  quand  une  mort 
rapide  lui  enleva  son  père  :  Bertrand  de  la  Cour  laissait 
à  Jeanne  Bouoard  la  lourde  et  difficile  tache  d'achever 
l'éducation  de  ses  jeunes  enfants.  Trop  faible  malgré  son 
courage  pour  s'y  soumettre  seule,  Jeanne  crut  prudent  de 
s'appuyer  sur  une  main  plus  forte  ;  elle  se  remaria,  ayant 
en  vue  également  de  donner  un  prolecteur  à  ses  enfants  et 
de  sauvegarder  plus  sûrement  leurs  intérêts  temporels  (2). 

Le  nouveau  chef  de  famille  répondit  mieux  à  la  seconde 
partie  de  sa  tache  qu'à  la  première,  et  l'éducation  de  ses 
enfants  adoplifs  dut  céder  devant  les  embarras  et  les  obli- 
gations des  affaires:  plus  tard  toutefois,  il  songea  à  com- 
pléter leur  instruclion  un  peu  négligée  jusque  là. 

(1)  D.  Haidîqier,  op.  cit.,  p.  2(),  indi(iuc  bion  que  Christophe  de  la 
Vallée  0  (Hait  parent  de  ï).  Didi<^r  »,   mais  il    ne  dit  pas  à  quel  degré. 

(2)  Aucun  des  historiens  du  réformateur  ne  nous  a  laissé  le  nom  du 
second  mari  de  Jeanne  Bouoard. 


—  277  -« 

Didier  venajt  d'entrer  dans  sa  dix-septième  année  :  il 
était  temps  de  Torienter  vers  une  carrière  et  de  lui  en  ouvrir 
la  voie  par  la  connaissance  des  belles-Ietlres.  Aussi  bien 
son  caractère  porté  à  Tétude  que  son  désir  de  répondre 
dignement  aux  exigences  de  son  nom,  le  poussaient  vers 
une  profession  libérale  :  Verdun  n'était  pas  loin,  et  les 
Jésuites  y  tenaient  un  collège  florissant  (i)  ;  quelques 
parents  de  la  famille  y  résidaient  et  pouvaient  offrir  au 
jeune  étudiant  un  asile  sûr  et  peu  coûteux.  Verdun  fut 
choisi,  et  Didier  fut  confié  à  une  pieuse  tante  (2),  qui  Tac- 
cueillit  comme  un  fils.  Le  nouvel  étudiant  se  mit  à  Tœuvre 
avec  ardeur,  mais  bientôt  d'autres  pensées  surgirent  dans 
son  esprit. 

A  peu  de  distance  de  la  demeure  de  Didier,  se  trouvait 
la  célèbre  abbaye  de  Saint- Vannes  (3),  et  souvent  la  tante 
et  le  neveu  se  rendaient  à  l'église  du  monastère  pour  y 
assister  aux  offices  des  religieux. 

Dédiée  par  saint  Saintin,  disciple  de  saint  Denis,  selon 
une  tradition,  et  premier  évéque  de  Verdun,  l'église,  aujour- 
d'hui placée  sous  le  patronage  de  S.  Vannes,   portait  au 

(1)  Le  collège  des  Pères  Jésuites  fut  établi  en  li>oS  par  N.  Psaulmr, 
évéque  de  Verdun,  qui  lui  destina  l'hépital  appartenant  k  l'abbaye  de 
Châtillon.  Tout  d'abord  tenu  par  des  professeurs  appelés  de  divers 
lieux,  il  fut  confié  en  loGo  aux  Jésuites,  qui  durent  le  quitter  à  cause 
de  la  poste  en  1568.  Ils  y  revinrent  en  1570,  le  transférèrent  dans 
l'bépital  do  Saint-Nicolas  de  Graviôre  et  y  enseignèrent  les  humanités. 
En  1593,  un  cours  de  philosophie  y  fut  Institué,  (cf.  D.  Calmet,  Notice 
de  la  Lorraine^  art.  Verdun.) 

(â)  Quelle  était  cette  tante  ?  Une  sœur  ou  une  belle-sœur  de  Jeanne 
Boucard  très  probablement,  comme  nous  pourrions  presque  le  déduire 
des  relations  inUmes  de  Didier  avec  l'un  des  Boucard,  gouverneur  de 
la  ville  à  cette  époque,  selon  D.  Haudiquer.  Les  autres  historiens  ne 
nous  donnent  aucun  indice  précis. 

(3)  Voici  ce  que  dit  Mabillon  au  sujet  de  l'église  de  St- Vannes  :  Haec 
insignis  Basilica,  olim  extra  muros,  nunc  in  ipsa  urbis  arce  posila, 
]am  inde  a  primis  receptae  cbrislianae  religionis  temporibus  condila 
creditur  ;  primorum  illius  urbis  Episcoporum  sepulttfra  celobris... 
Monachos  sœculo  decimo  in  illa  basilica  institutos  fuisse  constat,  ma- 
gno  loci  honore  et  ornamento,  qui  sanctissimorum  inde  monachorum 
et  anlistitum  seminarium  fuit.  (Annal,  bened.,  lih.  %t,  ad  annum  753,} 


—  278  — 

début  les  titres  des  SS.  Apôtres  Pierre  et  Paul  (1).  Au 
v°  siècle,  révoque  saint  Pulchrone  transporta  sa  chaire  à 
l'église  Ste-Marie,  qui  ne  cessa  plus  depuis  d'être  le  siège 
épiscopal,  et  il  mit  à  l'ancienne  cathédrale  une  commu- 
nauté de  clercs  chargés  d'y  célébrer  TofTice  divin.  Peu  de 
temps  après,  l'évoque  S.  Vannes  qui,  par  les  sages  réformes 
imposées  à  la  communauté  nouvelle,  en  avait  préparé  la 
destination  dérinitive,fut  enseveli  dans  l'église  des  SS.  Apô- 
tres, et  son  nom  se  substitua  aux  leurs.  Au  ix«»  siècle,  huit 
prébendes  furent  créées  par  l'un  de  ses  successeurs, Bérard, 
et  sous  Bérenger,  au  x^  siècle,  des  moines  y  furent  appelés 
de  Saint-Evre  de  Toul.  Plusieurs  chanoines  et  prêtres  sécu- 
liers, émus  par  un  fait  extraordinaire,  avaient  formé  le 
projet  d'abandonner  le  siècle  :  Bérenger  voulait  les  em- 
pêcher de  s'éloigner  de  Verdun.  L'empereur  aida  l'évêque 
dans  son  entreprise,  en  établissant  une  expresse  défense 
aux  clercs  de  Verdun  de  se  rendre  dans  d'autres  monas- 
tères que  celui  de  Saint- Vannes  (2). 

Peu  à  peu,  les  possessions  déjà  assurées  à  l'église  primi- 
tive et  cédées  à  la  nouvelle  abbaye  se  virent  accrues,  grâce 
à  la  bienveillance  dont  l'empereur  d'Allemagne,  Henri  II, 
entoura  le  bienheureux  Richard,  abbé  de  Saint- Vannes  (3). 
L'âge  d'or  commençait  pour  l'abbaye  tant  au  spirituel  qu'au 
temporel  :  le  duc  Frédéric,  devenu  moine,  fut  bientôt 
rejoint  dans  le  cloître  par  d'autres  personnages  nobles,  et 
la  sage  conduite  du  saint  abbé  donna  à  la  vie  de  son 
cloître  une  activité  qui  devait  porter  ses  fruits  dans  le 
fameux  schisme  suscité  contre  Hildebrand,  le  pape  Gré- 
goire VIL  II  y  eut  bien,  dans  l'intervalle  entre  la  mort  du 
Bienheureux  Richard,  le  18  des  Kalendes  de  juillet  1046, 


(1)  Gallia  Christiana,  dioc.  Vird. 

(2)  Cf.   Bullam   Joannis   XII   A.   9;S6,    confirmantis   institutioncm  et 
possessiones  Abbatiae. 

(3)  Richard  fut  abbé  de  Saint-Vannes  de  lOOi  à  1046  (cf.  Bollandistes 
et  Gallia  christiana). 


-  279  - 

et  réleclion  du  vaillant  Rodolphe,  un  léger  aiïaiblissement 
de  la  discipline,  sous  le  gouvernement  du  trop  indulgent 
Grimoldus  (1),  mais  Rodolphe,  élu  en  1073,  ramena  facile- 
ment la  ferveur  parmi  ses  confrères,  et  sa  résistance  éner- 
gique au  schisme  de  Cadaloûs  mit  une  auréole  au  blason 
de  l'abbaye  de  Saint- Vannes.  Chassé,  avec  la  plupart  de  ses 
moines,  par  révoque  de  Verdun,  Thierry,  partisan  fana- 
tique du  schisme,  Rodolphe  s'enfuit  vers  la  Bourgogne,  où 
il  fut  reçu  à  bras  ouverts  par  Tabbé  de  Saint-Bénigne  de 
Dijon,  Jarenton,  et  demeura  sept  ans  dans  cette  nouvelle 
abbaye  (2).  Pendant  ce  temps,  Fulcrade,  abbé  de  Saint- Paul 
de  Verdun  (3),  s'emparait  du  gouvernement  de  Saint-Van- 
nes, d'accord  avec  l'évêque  schismatique  ;  les  quelques 
moines  laissés  par  Rodolphe  dans  son  cloître  de  Verdun 
furent  amenés  devant  le  prélat,  mis  en  demeure  de  prêter 
serment  de  fidélité  à  l'antipape  Clément,  et,  sur  leur  refus, 
dépouillés,  fustigés  et  chassés  ignominieusement  de  la 
ville.  Ils  allèrent  rejoindre  leurs  frères  à  Dijon. 

En  1088,  le  successeur  de  Thierry  sur  le  siège  de  Verdun, 
Richer,  rappela  les  moines  de  Saint-Vannes  (4)  ;  mais,  à  sa 
mort,  Richard,  nouvel  élu,  reprit  contre  eux  les  armes  de 
la  persécution.  Profitant  d'une  absence  de  Laurent,  succes- 
seur de  Rodolphe  dans  l'abbatiat  (1099),  Tévéque  se  pré- 
valut de  l'investiture  que,  par  privilège  extorqué  au  pape 

(1)  Grimoldus,  1060  ad  1075,  6  déc,  quo  fuit  remotus  a  rcgimlne 
{Gallia  christiana). 

(2)  Ce  fut  l'occasion  d'une  union  étroite  entre  les  deux  monastères 
[Gallia  christiana). 

(3)  L'abbaye  de  Saint- Paul  do  Verdun  était  encore  occupée  à  ce 
moment  par  les  bénédictins.  Ce  n'est  qu'au  douzième  siècle  qu'elle  fut 
cédée  aux  Prémontrés.  C'est  le  môme  Fulcrade  qui  fut  envoyé  par 
l'Évéque  Richer  pour  sceller  l'autel  de  saint  Michel,  au  moment  où 
cette  église  voulait  passer  de  l'évéché  de  Verdun  à  celui  de  Toul  (Bou- 
quet, t.  XIII,  p.  624). 

(4)  Richer  après  avoir  obtenu  l'absolution  du  Pape,  voulut  recevoir 
celle  des  moines  et  du  clergé  de  Verdun.  Il  mourut  en  1107  et  fut 
enterré  à  Saint- Vannes,  suivant  son  désir,  devant  l'autel  de  saint 
Laurent. 


—  280  - 

Pascal,  il  avait  reçue,  par  la  crosse  et  Tanneau,  des  mains 
de  l'empereur  Henri.  Les  moines  se  refusèrent  à  le  recon- 
naître et  interdirent  même,  à  quelque  temps  de  là,  au 
clergé  de  la  ville,  la  participation  à  la  fête  de  saint  Vannes, 
célébrée  d'ancienneté  par  les  moines  réunis  au  clençé. 
Celui-ci  s'insurgea  contre  cette  défense  ;  des  scènes  san- 
glantes s'ensuivirent.  L'évêque  interdit  l'abbé,  qui  se 
retira  une  seconde  fois,  avec  ses  moines,  à  Saint-Bénigne 
de  Dijon.  Hugues  de  Flavigny  (1)  lui  fut  substitué  par 
l'évêque,  dont  la  mort  seule,  en  1114,  mit  fin  à  ces  tristes 
événements.  Laurent  reprit  le  chemin  de  Saint-Vannes,  où 
il  vécut  jusqu'en  1139,  occupé  à  reconquérir  à  son  abbaye 
les  biens  usurpés  et  détenus  par  l'évêque  Henri,  successeur 
de  Richer. 

Conon,  élu  en  1142,  pour  remplacer  Ségardus,  mort 
aussitôt  après  sa  confirmation  dans  Tabbatiat,  développa 
les  possessions  de  l'abbaye  ;  il  l'entoura  d'un  mur  d'en- 
ceinte; il  s'occupa  activement  d'honorer  saint  Vannes,  dont 
il  fit  l'exhumation  et  la  translation  en  un  lieu  plus  hono- 
rable, le  V  des  ides  denov.  (9  nov.  114.).  C'est  sous  son 
abbatiat  que  les  églises  de  Flavigny  et  de  Neuviller  furent 
unies  au  monastère. 

Les  siècles  suivants  se  passèrent  sans  incident  remar- 
quable pour  les  moines  de  Verdun  :  la  commende  vint  là, 
comme  ailleurs,  préparer,  dès  le  milieu  du  xv»  siècle,  la 
décadence  temporelle  et  spirituelle  de  la  noble  abbaye,  que 
nous  trouvons  finalement,  en  1572,  unie  à  l'Evêché  de 
Verdun.  Ce  fut  son  salut,  ainsi  que  nous  le  verrons. 


(i)  Hugues  de  Flavigny,  dans  sa  chronique  poussée  jusqu'à  l'an  HOO, 
a  laissé  une  «  Historia  monasterii  S.  Vitoni  Virdunensis  »  Bibl.  nal., 
lai.,  12780,  fol.  339-348)  cl  une  a  Vita  D,  Richardi  Abbatis  n  {Ibid.,  fol. 
349-3G2). 

On  peut  aussi  consultor  la  chronique  ou  hisloirc  des  évéques  de 
Verdun,  écrite  par  Laurent  de  Liègo,  pour  faire  suite  à  celle  de  Ber- 
lairc  et  à  celle  d'un  moine  anonyme  de  Salnl-Vannes  (cf.  Bouquft, 
l.  XIU,  p.  028,  note). 


~  281  - 

Au  point  de  vue  du  temporel,  la  misère  h*avait  pas 
épargné  les  moines  de  Saint- Vannes,  surtout  après  la  divi- 
sion des  menses  en  abbatiale  et  conventuelle. 

Taxée  en  cour  romaine  à  66  florins  2/3  (1),  Tabbaye  de 
Saint-Vannes  était  inscrite  aux  a  Rolles  de  décimes  »  pour 
800  francs  (2)  ;  elle  avait  sous  sa  dépendance  plusieurs 
prieurés  (3)  :  Flavigny-sur-Moselle,  au  diocèse  de  Toul  ; 
Neuviller-Saint-Pierre,  au  diocèse  de  Toul  ;  Chaudefon- 
taine,  au  diocèse  de  Chftlons;  MontSaint-Martin,  près  de 
Longwy  ;  Munau  ;  Auzécourt  ;  Paul-Croix,  etc.,  et  de  nom- 
breuses paroisses  :  20  au  dioc.  de  Verdun  ;  10  dans  celui 
de  Toul  ;  7  dans  celui  de  Trêves  ;  2  dans  celui  de  Liège  ; 
2  dans  celui  de  Cbàlons  ;  1  dans  celui  de  Metz,  dont  la 
collation  était  au  choix  de  Saint  Vannes  (4). 

(1)  BiBL.  AuG.  il2,  Taxœ  monasteriorum,  p.  438,  >•. 

(2)  BiBL,  Nat.,  Moreau,  789,  p.  278.  Rôle  du  xV  siècle. 

(3)  BiBL.  Nat.,  CîoU.  de  Lorr.,  715,  f.  148.  Robinet,  Fouillé  ^u  dioc. 
de  Verdun,  t.  I,  p.  205. 

(4)  Au  dioc.  de  Verdun—  Dec.  Urban.  :  Eccl.  S.  Pétri  Angelati.— 
Dec.  de  Forgiis  :  Monzeville;  S.  Nicolai  de  Chastancourt^  cum  annexa 
de  Cuniinier  ;  Marre;  Neufville,  cum  annexa  de  Vacherauvifle;  Samo- 
giieux^  cum  annexa  de  Haulmont  ;  Maulcourt^ cum  annexa  de  Mogeville 
et  de  Gincrey.  Dec.  de  Claromonle  :  Eccl.  de  Parois^  cum  annexa  de 
Uraucouri;  Rarecourtj  cum  annexa  de  lulneconrt.Dec.  deSoullerlis: 
Kccl.  de  I}u//a mt;i7/e  (postea  uniia  eccl.  de  Nub€Court).Dec.  deSancto 
MichaClc  :  Eccl.  do  Tilly,  cum  annexa  de  Villers  ;  de  Boucquemonl. 
Dec.  do  Hattonls  Castro;  Eccl.  de  Morville^  cum  annexa  de  Lavigneville 
et  de  Dounoux.  —  Bibl.  Nat.,  Moreau  789  ;  Rotulus  Eccles.  Parroch. 
civ.  et  diocesis  Virdunensis  necnon  patronorum  et  collatorum 
earumdem. 

Au  dioc.  de  Toul.  —  Dec.  de  Spinallo  :  Eccl.  de  Igneyo.  Dec.  de  Sainc- 
toix  :  Eccl.  de  Flavigniaco^  de  Novovillari,  de  Wadevilla^  de  Hode- 
monte,  de  Granlheno,  de  Haplemonte,  de  Curvocampo,  de  Girber- 
cnria.  Dec.  de  Danubrio  :  Eccl.  de  Enviaulx.  Dec.  de  Porlu  :  Eccl.  de 
Esseyo  ad  Nanceyujn.  Dec.  de  Prineyo  :  Eccl.  de  Esseyo  in  Vippria, 
Bibl.  nat.,  at.  5208  :  Regestruni  Ecclesiarum  Tullens.  1402.  Cf.  Lepage. 
Fouillé  du  dioc.  de  Toul.—  In  docanatude  Bazellles  :  Eccl.  de  Bellodio^ 
de  Rchont.  Dec.  de  Luxemburg:  Eccl.  Boviovillarium.  Dec.  Arluneus. 
Eccl.  de  Longuico,  de  Villari-monle.  Bibl.  nal.,  Acta  riaitattomn.  Coll. 
de  Lorr.,  270,  f.  126,  148,  153,  156. 

L'abbaye  de  Saint-Vannes  possédait  également  l'ermitage  Saint-Fir- 
min,  près  Dieulouard.  Il  fut  donné  plus  tard    (le   24  déc.   1574),   aux 

19 


—  282  — 

Mais  cette  influence  qui  pouvait,  en  d'autres  conditions 
et  d'autres  temps,  sembler  un  signe  de  richesse,  devait 
plutôt  accroître  les  charges  de  l'abbaye  que  les  dimi- 
nuer à  répoque  où  nous  sommes. 

De  l'antique  gloire  du  Mont  Saint- Vannes,  il  ne  restait,  à 
vrai  dire,  que  le  culte  divin,  entretenu  soit  par  la  nécessité 
de  répondre  aux  exigences  du  chœur,  soit  par  une  sorte  de 
tradition  familiale. 

Située  hors  des  murs  de  la  ville  et  dominant  la  vallée  de 
la  Meuse,  Téglise  de  l'abbaye  gardait  encore,  à  la  fin  du 
xvi®  siècle,  avec  l'un  des  plus  riches  trésors  de  reliques,  un 
reste  de  cachet  médiéval. 

Son  portail  roman  du  xii«  siècle,  flanqué  de  deux  tours 
du  môme  temps,  formait  un  contraste  original  avec  le 
vaisseau  à  trois  nefs  de  style  gothique,  percé  de  grandes 
fenêtres  à  meneaux  et  coupé  brusquement  sans  abside  à 
l'extrémité. 

De  nombreux  corps  saints  reposaient  dans  les  diverses 
chapelles  ;  c'ét^iient  ceux  des  saints  évoques  Saintin  (1),  Pul- 
crone.  Possesseur,  Firmin  (2),  Vannes  et  du  Bienheureux 
abbé  Richard.  La  piété  des  fidèles  les  entourait  d'une  con- 
fiante vénération  et,  aux  temps  de  calamités,  venait  les 
invoquer  par  de  pressantes  prières  ;  saint  Saintin  était 
l'objet  d'un  culte  spécial  dans  ces  moments  d'angoisse  ;  les 
processions,  faites  avec  la  châsse  qui  renfermait  ses  restes 
vénérés,  étaient  presque  toujours  suivies  d'une  accalmie  ou 
d'un  signe  évident  de  la  protection  divine.  Les  Annales  de 

Jésuites  de  Pont-à-Mousson  pour  en  faire  leur  maison  de  campagne. 
Ce  fut  la  contribution  de  l'abbaye  à  la  fondation  de  la  célèbre  Univer- 
sité (Martin,  L'Univeraité  de  Pont-à-Mousson,  op.  cit.). 

(i)  Saint  Saintin  était  mort  à  Mcaux  vers  336.  Son  corps  n'avait  été 
transporté  i\  Verdun  qu'au  xi"  siècle. 

(2)  Le  corps  do  saint  Firmin  fut  transporté  dans  l'église  du  prieuré 
do  Klavigny  sur-Moselle,  dépendant  de  l'abbaye  de  Saint-Vannes,  par 
le  Bienheureux  Richard,  selon  l'abbé  Guillaume  {Notice  sui'  te  prieuré 
de  Flavigny),  ou  par  Humbert,  3'  abbé  de  Saint- Vannes  (952-972),  selon 
le  P.  Benoit  Piciirt,  dans  son  Pouillé  du  diocèse  de  Tout  (art.  Flavigny). 


-283  - 

Tabbaye  mentionnent,  à  ce  sujet,  nombre  de  faits  justi- 
ficatifs. 

Il  se  formait  ainsi  comme  un  courant  surnaturel  autour 
de  ces  tombes  saintes,  vers  lesquelles  un  puissant  attrait 
conduisait  les  pèlerins.  Didier  de  la  Course  laissa  douce- 
ment entraîner  au  bonheur  qu'il  ressentait  dans  ces  visites, 
et  les  multiplia  autant  que  ses  loisirs  le  lui  permirent. 
Quoique,  pour  le  reste,  les  religieux  de  Saint-Vannes  se 
fussent  relâchés  de  Texactitude  monastique,  jamais  ils 
n'avaient  négligé  Toffice  divin,  et  ils  se  faisaient  un  point 
d'honneur  de  remplir  V  «  Œuvre  de  Dieu  »,  comme  dit 
saint  Benoit  dans  sa  Règle,  avec  toute  la  dignité  et  la  solen- 
nité possibles.  Leur  église  était  très  fréquentée  ;  on  y 
goûtait  le  chant,  et  les  cérémonies  s'y  déroulaient  avec  une 
aisance  et  une  ampleur  qui  ravissaient  les  assistants.  L'àme 
pure  et  sérieuse  de  Didier  fut  bien  vite  pénétrée  de  cette 
grande  et  imposante  voix  de  l'Eglise,  et  son  cœur  fut  peu 
à  peu  attiré  vers  cette  vie  où  la  prière  tient  la  première 
place,  et  où  les  lèvres  peuvent  à  l'aise  traduire  les  senti- 
ments de  la  plus  haute  et  de  la  plus  tendre  piété. 

Après  quelque  temps  de  réflexion,  le  jeune  étudiant 
s'ouvrit  à  sa  tante  des  impressions  et  des  désirs  qui  l'enva- 
hissaient; finalement  il  la  persuada  de  consentira  quel- 
ques démarches  auprès  des  religieux,  dont  il  brûlait  de 
devenir  le  compagnon,  ne  fût  ce  que  sous  l'humble  livrée 
du  convers  (1).  Ne  connaissant  que  très  peu  les  belles- 
lettres,  et  point  du  tout  la  langue  latine,  il  n'osait  pré- 
tendre au  rang  de  religieux  de  chœur.  Dieu  en  avait  dis- 
posé autrement;  par  un  concours  de  circonstances  où 
l'amour-propre  humain  de  ses  parents  tint  une  large  place, 
Didier  fut  admis  à  Saint  Vannes  comme  novice  de  chœur 

(I)  Nos  lecteurs  savent  que  les  religieux  des  abbayes,  à  partir  du 
moment  où  le  nombre  des  prôtres  s'y  accrut,  furent  divisés  en  deux 
catf^gories  principales  :  les  religieux  de  chœur  voués  à  l'oftice  ou  au 
culte  divin  et  c'i  l'étude,  et  les  religieux  convers  ou  laïcs,  chargés  des 
emplois  matériels  et  des  travaux  manuels. 


sur  la  demande,  presque  sur  Tordre,  de  l'évéque  de  Ver- 
dun (1).  Son  entrée  eut  lieu  vers  1568. 

Dans  ces  conditions,  elle  ne  pouvait  assurer  au  nouveau 
venu  la  bienveillance  des  anciens.  Comment,  avec  un 
esprit  surnaturel  si  débilité  par  le  reh^chement,  eussent- 
ils  dominé  le  mépris  qu'ils  ressentaient  pour  ce  postulant 
dénué  de  fortune  et  d'instruction  ?  Celui-ci  n'avait  à  son 
actif  qu'une  voix  assez  belle  et  souple  déjà  formée  au 
plain  chant.  C'était  bien  peu  pour  gagner  leurs  bonnes 
grAces  ! 

Du  premier  jour  de  son  noviciat,  Didier  fut  un  vrai 
religieux  par  sa  régularité,  ce  qui  ne  corrigea  pas  en  sa 
faveur  les  fâcheuses  dispositions  de  ses  confrères.  Sans  la 
ténacité  humble  et  patiente  qui  faisait  le  fond  de  son  ca- 
ractère, le  modeste  postulant  n'aurait  pu  résister  aux  mau- 
vais procédés  et  aux  mauvais  traitements  dont  on  usa 
envers  lui  ;  ces  mômes  qualités,  fortifiées  par  un  sin- 
cère et  inébranlable  désir  de  la  vie  religieuse,  finirent  par 
toucher  le  prieur  de  Saint-Vannes,  Dom  Ancelin,  et  un 
autre  moine,  Dom  Boncompan.  Tous  deux  levèrent  l'in- 
terdit qui  pesait  sur  le  pauvre  rebuté,  dont  personne  ne 
voulait  s'occuper,  et  tentèrent  de  lui  enseigner  les  éléments 
de  la  langue  latine.  L'Age  de  l'élève  et  l'irrégularité  des 
leçons  firent  obstacle  àdesprogrès  sérieux:  il  fallut  re- 
courir à  un  maître  du  dehors.  L'évoque,  dont  la  sollici- 
tude ne  s'était  pas  démentie  en  faveur  de  Dom  Didier, 
confia  celui-ci  à  un  jeune  professeur  qui  commençait  alors 
à  se  distinguer  dans  la  ville  de  Verdun,  Christophe  delà 


11)  Didier  s'étant  ouvert  de  son  dessein  ù  son  oncle  materne],  qui 
était  aussi  son  tuteur,  celui-ci  s'opposa  formellement  à  l'entrée  de  son 
neveu  comme  convers  à  Saint- Vannes.  Les  religieux  ne  voulaient 
point  l'admettre  à  un  autre  titre.  Le  sieur  Boucard,  alors  gouverneur 
de  Verdun,  s'en  plaignit  k  l'évéque,  Nicolas  Psaulme,  qui  usa  de  son 
inQuence  et  de  son  autorité  pour  obliger  les  moines  ù  recevoir,  parmi 
les  novices  île  rhuMir,  son  jeune  protégé. 


—  285  — 

Vallée  (1),  oncle  maternel  (le  Didier.  Après  quelques  mois 
de  leçons,  et  grAceà  une  application  soutenue,  l'élève  était 
en  état  de  travailler  seul  II  se  mit  à  traduire  en  français 
la  Règle  de  saint  Benoît  (2).  Malheureusement  le  départ  de 
Christophe  de  la  Vallée,  appelé  à  d'autres  fonctions,  le 
laissa  trop  tôt  livré  à  ses  propres  forces. 

Le  noviciat  de  Dom  Didier  fut  long  Enfin  le  21  mars 
1575,  il  eut  le  bonheur  de  faire  profession  dans  Téglise  de 
Tabbaye  de  Saint  Vannes.  Peu  lui  importaient  les  épreuves: 
il  avait  réalisé  son  dessein  ;  il  était  moine. 

Peu  après  sa  profession,  le  prieur  de  Saint- Vannes,  d'ac 
cord  avec  D  Boncompan^  résolut  de  renvoyer  faire  ses 
études  à  Pont-à-Mousson  :  le  monastère  et  la  famille  s'en- 
gagèrent à  payer  concurremment  les  frais  du  voyage  et  du 
séjour  à  la  nouvelle  Université  (3).  Un  jeune  religieux, 
D.  Claude  François,  non  encore  profès,  lui  fut  adjoint 
comme  compagnon  ;  il  devait  être  plus  tard  le  bras  droit 
du  Réformateur. 

(1)  Christophe  do  la  VaUôc,  né  à  Abrainvillo,  dans  le  Clcrmontois, 
au  diocèse  de  Verdun,  était  fils  de  Christophe  de  la  Vallée  et  de  F*cr- 
rette  Richierde  Vandelaincourt.  Il  étudia  en  théologie  à  l'Université  de 
Paris  et  obtint  du  Pape  en  commcnde  l'abbaye  cistercienne  de  La 
Chalade.  Chargé  par  le  Duc  Charles  de  Lorraine  et  Catherine  de  Vau- 
démont  de  l'éducation  du  jeune  prince  Erric  de  Vaudémont,  il  sut  se 
concilier  la  bienveillance  du  duc,  et,  peu  de  temps  après,  il  fut  nommé 
d  l'évôché  de  Toul  (1;)87.).  Il  le  gouverna  vingt  ans  et  mourut  dans  sa 
résidence  de  Lifcrdun,  le  27  avril  1607.  (D.  Haudk^ukr,  !'•  partie, 
note  10.) 

(2)  Dans  la  lettre  de  D.  Bénigne  La  Haye,  citée  plus  haut  et  adres- 
sée ù  D.  Calmcl,  nous  lisons  :  V.  R.  marque  :  «  et  son  plus  grand 
plaisir  (de  Dom  Didier)  était  alors  de  mettre  en  français,  i'i  l'aide  d'un 
dictionnaire,  tiuehiues  lignes  de  la  règle  de  S.  Benoit  ».  Mes  mémoires 
portent  qu'il  la  traduisit  entièrement  et  qu'il  y  réussit  très  bien,  après 
y  avoir  pris  une  peine  indicible  et  s'y  être  appliqué  avec  un  travail  que 
l'on  ne  pourrait  pas  exprimer  aisément.  Il  avoua,  dans  la  suite,  que  la 
prière  aux  pieds  du  Crucifix  lui  avait  été  d'un  puissant  secours  et 
qu'il  y  avait  puisé  des  lumières  dans  les  diflicultés  les  plus  épineuses. 

|3)  LTniversité  de  Pont-à-Mousson  venait  d'être  fondée  par  la  Bulle 
de  (irégoire  XIII  In  Superennnenti  du  ;>  décembre  1572,  ù  la  demande 
du  Cardinal  de  Lorraine  en  ce  moment  à  Rome,  et  confiée  aux  Jésuites. 
(Cf.  Martin,  op.  cil.) 


—  286  — 

Dom  Didier  fut  reçu  en  troisième  à  Pont-à-Mousson  la 
veille  des  calendes  de  «  mars  de  Tannée  1578  »,  dit  le 
P.  Abram  (1)  ;  le  professeur  d'humanités  était,  cette  année, 
le  P.  de  Surmond.  A  la  fin  de  sa  troisième  année,  une  épi- 
démie le  força  de  quitter  Pont-à  Mousson,  pour  aller  conti- 
nuer momentanément  ses  études  à  Reims  (2),  où  il  fut  reçu 
en  rhétorique.  L'épidémie  arrêtée,  il  revint  à  Pont-à-Mous- 
son.  y  fit  sa  philosophie,  sous  le  Père  Clément  du  Puy,  et 
commença  en  1581  sa  théologie,  qu'il  continua  avec  succès 
jusqu'en  1584.  Dès  la  première  année,  ses  supérieurs, 
pour  récompenser  sa  ferveur  et  son  travail,  l'avaient  fait 
ordonner  prêtre.  Ce  dut  être  vers  la  fin  de  1581. 

Le  cours  ordinaire  des  études  achevé,  Dom  Didier  ren- 
tra à  Saint- Vannes,  où  il  ne  fit  que  passer,  car  sa  vie  exem- 
plaire ne  put  s'accommoder  du  relâchement  général,  et 
ses  confrères,  pour  qui  cette  vie  était  un  reproche  tacite, 
avaient  le  désir  de  l'éloigner  encore.  Les  succès  remportés 
par  lui  dans  son  premier  cours  leur  fournirent  un  pré- 
texte pour  lui  persuader  de  retourner  à  Pont-à  Mousson, 
afin  de  s'y  perfectionner  dans  l'étude  de  la  théologie  et  des 
langues  grecque  et  hébraïque.  Ainsi,  par  un  aveuglement 
providentiel,  ils  s'employaient  maintenant  à  mettre 
au  dessus  du  niveau  intellectuel  ordinaire  celui  à  qui  ils 

(1)  Histoire  do  TUniversilé  de  Pont-à-Mousson,  Iradullc  par  Marigo- 
thus,  manuscrit,  Bibl.  rie  la  ville  de  Nancy,  n"  40,  t.  IV,  p.  123. 

Nous  croyons  qu'il  y  a  erreur,  car,  on  tenant  compte  des  diverses 
données  que  nous  avons,  nous  «établirons  ainsi  les  études  de  Dom 
Didier  :  entrée  en  3%  mars  1577  (la  peste  vint  cette  année-l^:  Cf.  Mar- 
tin, oj).  cit.,  p.  3i)  ;  entrée  en  Rhétorique,  octobre  1577,  à  Reims,  où 
Didier  fut  dispensé  de  la  Seconde  :  entrée  en  Philosophie  h  Pont-à- 
Mousson,  octobre  1578  à  1581  ;  entrée  en  Théologie  i\  Pont-à-Mousson, 
octobre  1581, 

(2)  Cf.  Cauly,  Hiatoire  du  Collège  des  lions- Enfants  de  ^Université 
de  Reims  :  Reims,  1885,  p.  682.  Les  Recteurs  de  l'Université  de  Reims 
furent,  en  1758,  Jean  Anceltn,  et,  en  1581,  Michel  Ancelin.  Nous  avons 
dit  que  le  prieur  de  Saint-Vannes,  Dom  Ancelin,  fut  l'un  des  deux  pre- 
miers religieux  gagnés  d  la  cause  de  Dom  Didier  de  la  Cour.  Le  séjour 
k  Reims  n'aurait-il  pas  eu  pour  occasion  quelque  rapport  de  parenté 
entre  ces  divers  personnages  de  même  nom  ? 


—  -^87  — 

s'étaient  refusés  d'apprendre  les  éléments  du  latin.  Dum 
Didier  acquiesça  à  leur  désir  et  retourna  à  TUniversité. 
Déjà  Maître  es  Arts,  il  compléta  son  éducation  théolo- 
prique.  11  surveillait,  en  même  temps,  celle  d'un  cousin,  le 
fils  du  sieur  Boucard,  gouverneur  de  Verdun,  dont  nous 
avons  parlé  et  qui  avait  témoigné  le  désir  de  voir  Dom 
Didier  s'occuper  de  ce  jeune  homme.  Dom  Didier  dut  bien- 
tôt abandonner  cette  tâche,  le  succès  ne  répondant  pas  à 
ses  efforts. 

A  côté  de  cette  épreuve,  Didier  de  la  Cour  trouva,  durant 
son  troisième  séjour  à  l'Université,  une  compensation 
dans  l'amitié  de  deux  étudiants  pieux  et  travailleurs 
comme  lui,  qui  plus  tard  devaient  avoir  sur  deux  Congré- 
gations célèbres  la  même  inlluence  que  lui  sur  celle  de 
Saint- Vannes  :  Pierre  Fourier(l),  le  saint  curé  de  Mattain- 

(1)  Né  il  Mirecourt,  le  30  novembre  156:5,  Ue  Deman^^c  ou  Dominique 
Fourier  et  do  Anne  Nacquard,  et  envoyc!'  de  bonne  heure  à  l'Université 
de  Pont  à-Mousson,  où  il  fit  toutes  ses  classes  de  grammaire  et  de  phi- 
losophie avec  un  succès  remarquable,  que  rien  ne  dépassait,  sinon  sa 
piété  angélique.  En  li>8o,  il  entra  comme  novice  ù  l'abbaye  des  Cha- 
noines réguliers  de  Saint-Augustin  à  Chaumousey,  retourna  ensuite' 
à  Ponl-à-Mousson  pour  y  faire  sa  théologie,  fut  ordonné  prêtre  à 
Trêves  en  li589.  En  liSÎK),  il  choisit,  parmi  les  paroisses  qu'on  lui  offrait, 
la  pauvre  cure  de  Mattaincourt,  qu'il  transforma  par  ses  exemples  et 
ses  prédications.  En  1597  il  institua  la-  Congrégation  de  Notre-Dame 
avec  l'aide  de  la  Mère  Alix  le  Clerc,  première  recrue  de  son  Institut  ; 
en  1598,  il  écrivit  le  Règlement  provisionnel  qui  devait  servir  de  base 
aux  vrayes  constitutions  de  la  Congrégation  de  Notre-Dame.  L'ins- 
titut se  propagea  rapidement.  En  1621  il  entreprit  la  réforme  des  cha- 
noines réguliers,  réforme  approuvée  par  bulle  du  2  novembre  1G28, 
pour  la  nouvelle  Congrégation  dite  de  Notre  Sauveur.  (Rogie,  Histoire 
du  Bienheureux  Pierre  Fourier,  Verdun,  Laurent.)  D.  Haudiqucr  ré- 
sume ainsi  les  rapports  des  trois  réformateurs  :  «  On  peut  dire  qu'a- 
prés  avoir  opéré  la  réforme  des  Bénédictins,  Dom  Didier  de  la  Cour 
n'inOua  pas  peu,  par  ses  avis,  dans  celles  des  Prémontrés  et  des  Cha- 
noines Réguliers  »  {op.  cit.,  p.  219).  S.  Pierre  Fourier  mourut  en  1610. 
V.  aussi,  sur  le  même  sujet,  l'intéressant  article  de  M.  le  chanoine 
Jules  Didiot  dans  le  Bulletin  de  la  Canonisation  du  Bienheureux 
Pierre  Fourier  du  2  avril  1897.  Le  savant  professeur  de  l'Université  de 
Lille,  retraçant  en  quehiues  lignes  la  vie  édifiante  des  trois  futurs 
réformateurs,  lorsqu'ils  faisaient  ensemble  leur  philosophie  à  VÀlma 
Mater,  ajoute  qu'il  possède  le  Dictionarium   trilingue    de  Sébastien 


—  288  — 

court,  réformateur  des  Chanoines  réguliers  de  saint  Au- 
gustin, et  Servais  de  Lairuels  (1),  réformateur  des  Pré- 
montrés. 

La  régularité  de  leur  vie,  leur  goût  pour  le  travail  et 
pour  la  piété,  les  réunissaient  bientôt  dans  une  étroite  et 
sainte  amitié.  Ils  habitaient  même  ensemble,  au  m  21  de 
la  rue  du  Camp,  dans  la  maison  Munier. 

Munster,  imprimé  h  Bâle  en  1543,  dont  fr.  Didier  de  la  Cour  dut  se 
servir  il  Ponlà-Mousson.  Il  porte  cette  inscription ,  Ego  su  m  fratris 
Desiderii  a  curia  ». 

(1)  Servais  de  Lairuels  naquit  en  1562  ù  Soignies,  dans  le  Hainaut  ; 
il  était  le  neveu  du  prieur  de  l'abbaye  de  Saint-Paul  de  Verdun,  de 
l'ordre  des  Prémontrés.  Il  entra  dans  celtp  abbaye  et  y  fit  profession 
en  1580.  C'est  alors  qu'il  vint  à  Pont-à-Mousson  commencer  ses  études, 
qu'il  termina  à  Paris.  Rentré  à  Pont-à-Mousson,  il  y  vivait  k  la  façon 
relAchée  de  ses  confrères,  quand  une  maladie  réveilla  son  zèle.  Un  ins- 
tant il  songea  à  rejoindre  Dom  Didier  de  la  Cour  à  Saint- Vannes  ;  mais, 
retenu  par  son  directeur,  U  commença  à  mener  personnellement  une 
vie  plus  austère,  attendant  l'heure  où  il  pourrait  la  faire  adopter  par 
ses  confrères.  Nommé  visiteur  de  la  circurie  de  Lorraine,  il  vint  à 
Pont-à  Mousson,  où  l'abbé  de  Sainte-Marie  le  prit  en  estime  et  le  de- 
manda comme  coadjuteur.  Servais  obtint  les  Bulles  et  succéda  pou 
après  ik  Daniel  Piciirt.  Grâce  à  ses  elTorts  bénis  de  Dieu,  la  ferveur 
commença  à  renaître  à  Sainte-Marie  et  bientôt  les  règles  tracées  pour 
ses  religieux  sous  le  titre  de  Optica  regularium  se  répandirent  dans 
plusieurs  abbayes  et  permirent  h  l'abbé  de  Pont-à-Mousson  d'obtenir 
pour  «on  Ordre,  le  18  juillet  1617,  une  Bulle  de  réforme  générale.  Ce  fut 
le  principe  de  la  Congrégation  des  Prémontrés  dite  de  Sainte-Marie 
Majeure  ou  de  l'antique  rigueur.  Servais  de  Lairuels  mourut  le 
18  octobre  1631  k  Sainte-Marie-aux-Bois  (Eug.  MarUn,  Servais  de 
Lairuels  et  la  réforme  des  Prémontrés,  Nancy,  Vagner,  1893). 

(Sur  S.  Pierre  Fourier  et  Servais  de  Lairuels  voir  le  résumé  de  leur 
réforme  dans  le  savant  ouvrage  de  M.  l'abbé  Eug.  Martin,  Histoire  des 
diocèses  de  Tout,  de  Sancy  et  Saint-Dié,  t.  H,  livre  VIII,  chap.  3  et  4.) 


CHAPITRE  II 

Essais  d'une  vie  religieuse  plus  austère  à  Saint- Vannes.  —  Voyage  de 
Dom  Didier  à  Rome  (1587  à  1589).  Sa  vie  érômitique  à  Rarêeourt, 
i589.  —  wSon  entrée  chez  les  Minimes.  —  Son  retour  définitif  ii  l'ab- 
baye de  Saint-Vannes,  1590. 

Lorsque  Didier  de  la  Cour  rentra  à  Saint- Vannes  (1),  il 
trouva  les  choses  dans  le  môme  état  qu'à  son  départ.  Sans 
doute,  on  n'y  était  point  choqué  par  les  graves  scandales 
que  Ton  pouvait  reprocher  à  d'autres  abbayes  :  l'office 
divin,  nous  l'avons  dit,  s'y  faisait  avec  décence,  mais  la 
vie,  en  dehors  de  ce  seul  point  resté  intact,  au  moins  exté- 
rieurement, s'y  passait  dans  l'oisiveté  ;  les  religieux,  au 
sortir  de  l'église,  se  répandaient  dans  la  ville,  ou  attiraient 
dans  l'abbaye  des  jeunes  gens  pour  jouer  avec  eux  ;  quel- 
ques-uns môme  ne  se  gênaient  point  pour  y  recevoir  des 
dames,  au  détriment  des  règles  de  la  clôture.  Aux  travaux 
intellectuels  avaient  succédé  la  légèreté  et  la  dissipation  ; 
à  l'austérité  et  au  silence,  la  vie  facile  ;  les  exercices  de 
piété  étaient  devenus  individuels,  de  publics  et  communs 

(1)  Combien  de  temps  dura  le  troisième  séjour  de  Dom  Didier  à 
Pont-à- Mousson  ?  Nous  ne  le  savons  pas  au  juste.  Le  cours  complet  des 
études  théologiques,  nous  apprend  M.  l'abbé  Martin,  était  de  six  ans. 
Dom  Didier  ne  fît  certainement  pas  trois  nouvelles  années  en  plus  de 
colles  écoulées  de  1581  à  1584.  D'autre  part,  d'après  les  historiens  de 
Pierre  Fourier,  celui-ci,  entré  en  1585  chez  les  Chanoines  Réguliers, 
profès  en  1586,  serait  revenu  alors  à  Pont-à-Mousson,  où  il  aurait 
connu  Dom  Didier.  Cela  nous  parait  difficile  ;  car,  entre  sa  rentrée  à 
Saint-Vannes  et  son  voyage  à  Rome  (nov.  1587),  Didier  de  la  Cour  eut 
le  temps  d'être  à  deux  reprises  maître  des  novices.  Quatre  mois  sont 
bien  courts  pour  cela.  Nous  croirions  donc  plus  volontiers  que  D. 
Didier  connut  P.  Fourier  et^  Servais  de  Lairucls  dans  son  premier  et  son 
deuxième  séjour  ù  Pont-à-Mousson,  et  qu'il  ne  passa  guèr?,  que  deux 
années  k  l'Université  dans  son  troisième  séjour,  c'est-à-dire  les  armées 
scolaires  de  1584  à  158G.  11  aurait  donc  pu  connaître  P.  Fourier,  avant 
qu'il  fût  Religieux,  pendant  ses  études  de  grammaire,  et  aussi  peut-être 
de  1584  à  1585. 


—  290  — 

qu'ils  devaient  être.  Il  fallait,  pour  vivre  en  vrai  religieux 
dans  un  tel  milieu,  une  force  de  caractère  peu  commune, 
et  une  grande  patience. 

L'autorité  que  la  science  donnait  au  nouveau  maître 
sorti  de  Pont-à-Mousson,lui  fit  un  devoir  de  chercher,  dans 
son  humble  sphère,  à  enrayer  un  tel  désordre:  les  difficul- 
tés que  sa  vie,  contrastant  avec  celle  de  ses  confrères,  lui 
suscitait  chaque  jour  davantage,  le  poussèrent  à  une  dé- 
marche auprès  de  révoque  de  Verdun,  abbé  de  Saint- 
Vannes,  le  prince  Charles  de  Lorraine,  cardinal  de  Vaudé- 
mont  (1).  L'intervention  du  Cardinal,  à  la  suite  de  ces 
plaintes,  n'eut  pour  effet  que  d'irriter  plus  violemment  les 
esprits  contre  celui  qui  était  la  cause,  on  Ten  soupçonnait 
du  moins,  des  reproches  faits  par  l'évoque.  Le  premier 
pas  était  franchi  ;  l'humble  et  fervent  religieux  fit  le  second 
en  acceptant  la  charge  de  Maître  des  novices,  dans  l'espoir 
de  former  un  noyau  de  jeunes  uioines  échappés  à  la  perni- 
cieuse influence  des  anciens.  Ceux-ci  malheureusement  ne 
lâchèrent  point  prise,  et  ce  fut  le  Maître  des  novices  qui 
dut  céder  la  place  au  mauvais  vouloir,  ne  pouvant  assez 
soustraire  ses  disciples  à  l'atmosphère  de  relâchement  qui 
les  entourait.  Une  seconde  fois,  il  reprit  le  poste  abandonné; 
une  seconde  fois  découragé,  il  dut  le  quitter.  Le  cardinal 
intervint  de  nouveau  et,  convaincu  de  l'inutilité  des  demi- 
mesures,  menaça  les  moines  d'une  réforme  complète,  s'ils 
ne  voulaient  accepter  de  vivre  plus  conformément  à  leur 
état.  Il  appela  môme  à  Verdun  le  prieur  de  Senones,  Dom 
Poirot,  pour  s'entendre  avec  lui  sur  les  bases  de  la  réforme. 

(1)  Charles  de  Lorraine,  Cardinal  de  Vaud«'îmont,  né  en  1539  au  châ- 
teau de  Nomeny,  de  Nicolas  de  Lorraine,  comte  de  Vaudémont,  et  d'Anne 
de  Savoye-Nemours,  (étudia  k  Pont-à-Mousson,  où  il  soutint  avec  succès, 
en  1579,  plusieurs  thèses  sur  l'Eglise,  sous  la  direction  du  P.  Luc 
Pinelli,  son  professeur.  Il  fut,  peu  de  temps  après,  nommé  cardinal, 
puis  évoque  de  Toul.  En  15K),  il  passa  à  l'évéché  de  Verdun,  et  mou- 
rut deux  ans  après,  laissant  la  réputation  d'un  émule  de  saint  Charles 
Borromée  (28  octobre  1857).  (Hauuiqurr,  note  17;  Martin,  Wniver- 
site  de  Pont'à'Mousson.) 


—  291  — 

Les  religieux  de  Saint- Vannes  prirent  sérieusement  peur, 
et  usèrent  de  leurs  dernières  ressources  pour  échapper  à 
ces  menaces.  La  mort  du  cardinal,  survenue  le  28  octobre 
1587,  les  rassura  pour  un  moment,  mais  ils  cherchèrent  à 
éloigner  l'auteur  de  toutes  ces  tentatives  de  réforme,  en 
profitant  de  Toccasion  favorable  qui  se  présentait  à  eux. 

L'abbaye  de  Saint- Vannes,  possédée  en  commende  par  le 
célèbre  Cardinal  de  Lorraine,  archevêque  de  Reims  (1),  avait 
étécédée  parlui,  et  transférée  à  Tévêché  de  Verdun  en  1572, 
malgré  la  résistance  des  moines.  A  sa  mort,  ils  reprirent 
espoir  d'obtenir  la  désunion  de  Tabbaye  de  la  mense  épis- 
copale,  tant  pour  échapper  aux  charges  matérielles  de  la 
commende,  que  pour  éluder,  du  môme  coup,  l'autorité  des 
évoques  de  Verdun.  On  en  tint  conseil,  et  il  s'en  suivit  qu'on 
proposa  à  Dom  Didier  de  la  Cour  de  poursuivre  celle  aflaire 
en  cour  de  Rome  ;  bien  entendu,  on  ne  mil  en  avant  que  la 
gloire  de  l'abbaye,  le  bien  qu'elle  ressentirait  de  la  désu- 
nion, et  même  l'intérêt  de  la  réforme,  que  tous  déclaraient 
désirer.  On  le  voit,  rien  ne  manquait  à  l'intrigue.  Il  fut,  de 
plus,  assuré  que  personne,  en  dehors  des  moines,  ne  sau- 
rait le  but  du  voyagea  Rome;  qu'il  serait  représenté  comme 
un  simple  pèlerinage,  et  qu'enfin,  une  fois  arrivé  dans  la 
Ville  éternelle,  rien  ne  ferait  défaut  au  mandataire,  ni 
pour  sa  subsistance,  ni  pour  les  dépenses  nécessaires  à 
l'entreprise. 

(1)  Nous  devons  corriger  ici  une  faute  de  D.  Haudiquer.  A  la  page  45 
de  son  ouvrage,  il  dit  :  a  Les  moines  devaient  cependant  se  souvenir 
qu'après  la  mort  du  Cardinal  de  Lorraine,  prédécesseur  immédiat  de 
M.  Psaulme,  ayant  élu  pour  leur  abbé  M.  Toussaint  Hocédy,  depuis 
évéque  de  Toul,  ils  n'avaient  pu  le  maintenir.  »  Or  le  cardinal  prédé- 
cesseur de  Psaulme  à  Verdun  mourut  en  1573.  Toussaint  Hocédy  était 
mort  en  1565.  La  vérité  est  que,  en  1548,  Nicolas  de  Lorraine  résigna 
son  abbaye  de  Saint-Vannes  au  Cardinal  Charles  de  Lorraine,  qui  en  fut 
abbé  jusqu'en  1575,  et  eut  pour  successeur  Nicolas  Psaulme.  La  «  Gal- 
Ha  n  marque,  comme  cinquantième  abbé  de  Saint-Vannes,  Toussaint  Ho- 
cédy, de  1554  à  1565,  époque  de  sa  mort.  Il  est  à  croire  que  les  moines 
l'élurent  en  effet,  mais  que  le  cardinal  garda  sa  commende.  Il  n'était 
pas  question  alors  de  désunion,  l'union  n'ayant  eu  lieu  qu'en  1572. 

Cf.  RoBi.NET,  Fouillé  de  VerduUy  et  la  Gallia  christiana. 


—  292  — 

Doni  Didier  demanda  quelques  jours  pour  réfléchir.  Soit 
désir  de  rendre  service  à  son  abbaye,  pour  laquelle  il  pro- 
fessait un  sincère  amour,  soil  nécessité  d'échapper  pour 
quelque  temps  encore  à  ce  milieu  peu  propice  à  une  ré- 
forme durable,  soit  enfin  occasion  de  visiter  des  sanctuai- 
res chers  à  son  ame  si  profondément  pieuse,  il  se  laissa 
persuader.  Une  des  visées  de  ses  confrères  lui  échappa  : 
ceux-ci  lui  avaient  représenté  les  droits  de  l'abbaye  comme 
indéniables  ;  mais,  dans  le  fond  de  leur  pensée,  ils  n'étaient 
pas  aussi  assurés  qu'ils  le  disaient  du  succès  de  leur  cause. 
Peu  leur  importait;  en  cas  d'échec,  ils  seraient  les  pre- 
miers à  désavouer  leur  mandataire  et  à  rejeter  sur  lui  toute 
la  responsabilité  des  démarches  faites  en  leur  nom  : 
l'évoque  vainqueur  ne  pardonnerait  pas  facilement  à  son 
adversaire  vaincu,  et  celui  ci  ne  pourrait  plus  user  de  son 
influence  ruinée,  pour  obtenir  des  ordres  de  réforme.  Le 
plan  était  habilement  conçu:  Didier  de  la  Cour  ne  pouvait 
pas  en  deviner  toute  la  malice  et,  comme  la  nomination  du 
futur  évoque  ne  devait  pas  larder,  on  le  pressa  de  partir, 
malgré  l'hiver  qui  s'avançait. 

Le  9  novembre  1587,  le  chapitre  de  l'abbaye  fut  convo- 
qué. On  y  renouvela  la  promesse  des  secours  de  voyage  et 
de  procédure,  et,  muni  de  ces  pièces,  le  pèlerin  s'achemina 
vers  Rome. 

D'après  Dom  Haudiquer  (1),  Didier  de  la  Cour  partit 
accompagné  d'un  de  ses  frère^,  chanoine  régulier  de  l'ordre 
de  Saint  Augustin,  et  d'un  neveu,  m.iis  il  fui  privé  de  leur 
société,  à  cause  d'une  maladie  survenue  en  cours  de  roule 
au  chanoine,  maladie  qui  obligea  le  frère  et  le  neveu  à 
rebrousser  chemin.  Dom  Calmel,  qui  possédait  un  meilleur 
manuscrit,  prétend  que  le  procureur  de  Saint-Vannes  avait 
pour  compagnon  l'un  des  chanoines  de  la  cathédrale  de 
Verdun,  Jean  de  Rambervillers  (2).  Celui  ci  se  serait  rendu 

(1)  Haudiquer,  op.  cit.^  p.  îiO. 

(2)  Jean  de  Rambervillers,  chanoine  de  Verdun,  s'était  fait  élire  par 


^  293  - 

à  Rome  pour  y  soutenir  ses  droits  à  Tévêché  de  Verdun, 
contre  le  candidat  du  Roi,  M.  Boucher  (1).  Nous  croyons 
plutôt  ici  à  la  version  de  D.  Haudiquer,  à  cause  du  secret 
motif  de  son  voyage,  qu'il  eût  été  imprudent  de  révéler  à 
un  évoque  de  Verdun.  Cela  nous  est  confirmé  par  les  aveux 
du  pieux  moine  sur  le  bonheur  goûté  par  lui,  pendant  la 
route,  à  la  méditation  des  psaumes,  dont  seules  la  rencontre 
des  voyageurs  et  la  bienséance  le  distrayaient. 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  malgré  Tabsence  de  détails  sur 
ritinéraire  de  Dom  Didier,  qui  ne  dut  guère  s'écarter  de 
la  route  obligée  (c'est  à-dire  par  Metz  et  Bàle,  le  Saint- 
Gotliard,  la  Lorabardie),  nous  pouvons  nous  faire  une 
idée  de  ce  qu'il  dut  être,  en  plein  hiver,  à  travers  la  Lor- 
raine, l'Alsace,  la  Suisse  et  l'Italie,  où  il  arriva  au  com- 
mencement du  printemps  1388.  Les  modiques  ressources 
emportées  pour  la  route  étaient  épuisées.  Dora  Didier, 
comptant  sur  la  parole  des  moines  de  Saint-Vannes,  ne 
doutait  point  de  trouver  à  Rome  des  lettres  dechangesuffi- 
santes  pour  parer  à  toutes  les  dépenses  :  il  n'y  trouva  rien. 
Ses  illusions  tombèrent  alors  ;  abandonné  à  la  Providence, 
il  gravit  le  mont  Pincio  et  alla  frapper  à  la  porte  des 
Minimes  français  qui  desservaient  l'église  de  la  Trinité.  Il 

le  chapitre  le  7  novembre  1587.  —  Nicolas  Boucher  avait  été  nommé 
par  le  pape  Sixte  V  ;  l'affaire  fut  portée  et  jugée  à  Rome  ;  Boucher  fut 
maintenu  en  la  possession  de  son  bénéûce  et  présenta  ses  bulles  au 
chapitre  le  li  novembre  1588.  U  fut  sacré  à  Paris  le  1*'  décembre  sui- 
vant. (Robinet,  Pouillé  de  VerduUy  1"  tome,  p.  39.) 

(1)  Nicolas  Boucher,  né  en  152i  à  Cernay-en-Dormols,  près  Grandpré, 
diocèse  de  Reims,  d'un  pauvre  laboureur,  s'éleva  par  son  mérite  per- 
sonnel. D'abord  professeur  de  philosophie  dans  l'Université  de  Reims, 
ensuite  recteur,  chanoine  de  la  cathédrale,  supérieur  du  séminaire 
jusqu'en  1574,  ayant  été  nommé  précepteur  des  princes  de  la  maison 
de  Lorraine,  il  mérita  l'estime  du  duc  de  Lorraine,  qui  lui  procura  pour 
récompense  l'évôché  de  Verdun  en  1587,  après  la  mort  du  Cardinal  de 
Vaudémont.  11  mourut  le  19  avril  15913  et  fut  inhumé  dans  sa  cathé- 
drale. M.  Boucher  avait  les  mœurs  très  pures  et  beaucoup  de  capacité; 
malheureusement  il  était  dur  et  sévère,  et  il  eut  le  tort  de  se  jeter 
dans  le  parti  de  la  Ligue,  (Haudiquer,  1"  partie,  note  24).  Cf.  Cauly, 
op.  cit.,  p.  252,  255. 


y  fut  reçu  à  bras  ouverts  ;  on  lui  donna  ce  qui  iui  était 
nécessaire  pour  ses  démarches,  et  aussitôt  il  lança  Tallaire 
et  présenta  au  Souverain  Pontife  la  requête  tendant  à  la 
désunion  de  Tabbaye  de  Saint-Vannes  de  la  mense  épis- 
copale  (1). 

Comme  on  le  voit  d'après  la  pétition,  le  principal  argu- 
ment mis  en  relief  est  la  fausseté  du  prétexte  qui  avait  servi 
à  obtenir  la  bulle  d'union  :  la  pauvreté  de  Tévéché  de  Ver- 
dun. Dom  Didier  se  réservait  de  développer  aux  Cardinaux 
de  la  S.  Congrégation  tous  les  motifs  de  la  demande  des 
moines  lorrains.  Nous  croyons  utile  de  ne  pas  omettre  cet 
exposé  très  intéressant  des  conditions  matérielles  de  Tab- 
baye  de  Saint- Vannes,  qui  dut  être  présenté  en  deux  fois  à 
la  Congrégation  consistoriale(2). 

(1)  Voici  le  texte  de  celte  requête,  que  nous  avons  retrouvée  écrite 
de  la  main  de  Dora  Didier,  dans  les  Archives  de  la  Consistorialc,  R. 
3067,  p.  387. 

Beatissime  Pater, 
Cum  monasterium  Sancti  Vitoni  ordinis  B.  Benedicti  in  Urbe  Vir- 
dunensi  celcl)errimum  et  antiquîssimum  cxstet,  factam  estutadpreces 
R.  Epi  eiusdem  urbis  per  fel.  roc.  Gregorium  XHI,  sub  pr»elcxlu 
pauportatis,  Episcopatui  perpétue  unirctur;  cum  tamen  eodem  tem- 
pore  quo  dicta  unio  facta  est,  fructus  mens»^  Episcopalis  cssent  duc«- 
tus  XVI  millium,  ex  qua  unione  monachi  dicti  monasterii  tara  in  spi- 
ritualibusquam  temporalibus  multum  gravantur:  non  solum  quia  per 
hanc  unionem  extincto  nomine  et  titulo  abbatia*  monasterium  cum 
un l verso  conventu  religlosorum  eidem  Epo  acsi  illorumordinem  expresse 
processus  foret  in  omnibus  subjicitur,  sed  rtiam  quia  ta  m  iis  qua*  ad 
divinum  cultum  quam  iis  quœ  ad  congruam  eorum  habitationem  neces- 
saria  sunt  privantur.  Quare  ut  suis  miseriis  et  necessitatlbus  succurre- 
rent,  coacti  fuerunt  unum  ex  suis  fratribus  Romam  mittere  ad  pedes 
Sanctitatis  Vestne  confugere,  illam  humiliter  supplicando  quatenus 
dignetur  gravamina  huiusmodi  (qufe  non  exprimuntur  sigillatim  ne 
S.  V.  illorum  prolixitate  gravetur)  viris  religiosis  sui  vel  alterius  ordi- 
nis cognoscenda  et  S.  V.  referenda  committere  ;  sic  enim  diclis  grava- 
minibus  ad  plénum  cognitis  poterit  cadem  S.  V.  tôt  incommodis  ac 
necessitatibus  prout  in  Domino  ei  videbitur  providerc.  Quam  Dominus 
Ecclesiie  sua»  ad  multos  annos  incolumem  servare  dignetur. 

Fr.  Desiderius  a  Curia. 

(2)  Illustrissimi  et  Reverendissimi  Domini. 

In  civitate  Virdunensi  est  venerabile  ot  antiquissimum  monasterium 
S.  Vitoni  ordinis  B.  Benedicti  annui  redditus  ducatorum  quatuor  mil- 


-  295  — 

A  la  première  lecture,  le  sentiment  de  la  Congrégation  se 
dessina  en  faveur  des  moines  :  ((  Déjà,  dit  Dom  Haudi- 

lium  habens  numerum  monachorum  viginti  soptem  dequollcct  mona- 
chi  non  debuissont  ab  aliquo  molestari,  nihilominus  Episcopus  tune 
temporis  Nicolaus  Psalmeus  nuncupatas,  qui  lied  ex  suo  Episeopalu 
pedditus  16  milita  dueatorum  pcrciporct,  tune  dictam  abbatiam  non 
citatis  monaehis  soeundum  formam  Sacri  Ck)ncilii  scss.  24  can.  13  sub 
prictextu  paupcrtutis  Episcopalui  perpctuo  uniri  cura  vit. 

Mortuo  Episcopo  fuit  recursum  ad  S.  Sedera  pro  rcvocatione  dieta» 
unionis  (juia  surrcplitia  cssct  nompe  quod  dicorct  Episcopatum  pau- 
pereni  et  eum  nihilominus  notorium  essct  habcre  redditus  XVI  mille 
dueatorum:  tum  quia  nuUa  est  quod  (ut  supra  dictum  est)  monachi 
citati  non  fuerunt. 

Ex  dicta  unione  quam  plurima  gravamina  et  damna  tam  circa  cul- 
tum  divinum  quam  circa  monachos  orta  sunt  et  quotidie  oriuntur. 

!•  Pra.'fati  monachi  valdr  gravantur  eo  quod  in  omnibus  et  per  omnia 
dicto  pnpsuli  ac  si  ordinem  illorum  professus  foret  subjiciuntur,  et 
datur  cidem  facultas  constituendi  Priorem  aliumve  prœpositum  super 
ipsos  cum  tamen  causa  unionis  ad  ista  se  non  exlenderet. 

2"  (iravantur  quia  non  assignantur  redditus  sufficientes,  ad  eorum 
sustontationem,  et  praHerea  capelhpct  dormitorium  eiusdem  monastcrii 
ruinam  minantur  nec  ab  aliquo  reparantur,  nam  monachi  ob  ablatas 
facultates  ea  reparare  ncqueunt. 

'S*  Privantur  jure  recipiendi  redditus  sede  vacante,  vel  mortuo  abbate, 
cum  justius  slt  ut  ipsi  quam  alii  récipient  fructus  sui  monasterii. 

4"  (iravantur  quod  a  tempo re  unionis  coacti  sunt  agere  vigilias  super 
muros  civitatis  et  alere  milites  cum  Episcopus  soeundum  lenorem  bul- 
la)  unionis  tencatur  omnia  onera  monasterii  supportare. 

5"*  Sunt  sex  Prioratus  eiusdem  monasterii  in  quibus  offieium  divinum 
omnino  negligitur. 

6»  Ecclesia  (in  qua  multa  eorpora  Sanctorum  requiescunt)  privatur 
cappis,  easulis,  dalmatieis  aliisque  paramentis  ad  eultum  divinum 
necessariis  ;  multa  et  sacella  eiusdem  Eeclesiœ  diruta  et  prophanata  sunt 
ita  ut  offieium  divinum  in  ipsis  fieri  non  possit. 

7"  In  dieto  monasterio  est  derelieta  bibliotheca,  infir maria  mona- 
chorum et  in  ipso  dormitorio  multa  eubicula  ad  habitationem  religio- 
sorum  nocessarla  desunt. 

Idco  pro  parte  monachorum  post  obitum  Episcopi  et  in  actu  collatio- 
nis  Episcopatus  fuit  reelamatum  ut  alteri  Episcopo  novo  non  conferre- 
tur  Episcopatus  cum  dicta  unione  et  ideo  lUmi  Dni  providentes  nulli- 
tatem  et  gravlimlna  decreverunt  expectandum  esse  quousque  de 
Episcopatu  provisum  esset,  de  quo  cum  hodie  provisum  sit  pnefati 
monachi  supplicant  pro  annulaUone  dictée  unionis  aut  saltem  pro 
provisione  tum  cullus  divini  quam  reparationis  monasterii  atque  victus 
monachorum  quibus  ad  minus  necossaria  est  tertia  pars  reddituum 
monasterii  ad  debitam  et  congruam  eorum  substentationcm. 

Deinde    ne  successu    temporis    officia  eleemosinaril  et  thesaurarii 


—  296  - 

quer  (1),  on  parlait  des  mesures  à  prendre  pour  leur 
rendre  justice,  mais  l'éveil  était  donné.  Un  des  amis  du 
candidat  présenté  par  le  Roi  écrivit  au  cardinal  Farnèse 
la  lettre  dont  nous  donnons  ici  la  traduction  :  ((  Illus- 
trissime et  Révérendissimc  Seigneur,  Tabbaye  de  Saint- 
Vannes,  située  dans  la  ville  de  Verdun,  est  unie  à  l'Eglise 
Cathédrale  de  Verdun  ;  le  bruit  s'est  répandu  que  quel- 
ques religieux  de  cette  abbaye  se  sont  remués,  à  l'oc- 
casion delà  vacance  de  ladite  Eglise,  pour  faire  ressortir 
quelques  charges  qu'ils  prétendent  causées  par  cette  union, 
en  faisant  parvenir  à  N.  S.  P.  un  mémoire  sur  ce  sujet.  Sa 
Sainteté  l'ayant  remis  à  V.  Seigneurie  Illustrissime  et  Ré- 
vérendissimc pour  l'étudier  et  en  référer,  comme  à  bref 
délai  on  espère  que  Sa  Sainteté  pourvoira  de  pasteur  la  dite 
Église,  on  supplie  humblement  V.  Seigneurie  Illustrissime 
et  Révérendissimc  de  vouloir  bien  réserver  la  solution  de 
cette  affaire  à  l'évêque  qui  sera  nommé  à  Verdun,  et  de  qui 
les  religieux  en  question  recevront  toute  la  satisfaction  dési- 
rable. » 

La  supplique  n'est  pas  signée,  parce  que,  sans  doute, 
elle  était  accompagnée  d'une  lettre  personnelle  au  cardinal 
que  le  Pape  avait  chargé  de  l'affaire. 

La  nomination  de  l'évoque  de  Verdun  ne  tarda  pas  ;  dans 
la  Congrégation  consistoriale  du  30  mars  1388  (2),  le  Pape, 

vcniant  in  manu  Stecularium  sicut  pra'faii  sex  prioralus,  monachi  simi- 
liler  supplicant  ut  dicta  ofûcia  quap  semper  a  Rcligiosis  eiusdem  mo- 
nastorii  posscssa  sunl,  post  mortem  eleeinosinarii  et  thesaurarii  con- 
ventui  uniantur. 

Poslremo  pra»fatl  monachi  pclunt  ut  sede  vacante  vel  mortuo  abbatc 
ipsi  liabeant  Jus  rccipiendi  rcdditus  monastcrii  et  cligendi  Priorem 
(sicut  antc  unionem  habobant)  qui  solus  hal)eat  potestatem  in  illos 
quantum  ad  rogularem  disciplinam,  quœ  omnia  ad  *gIoriam  Dci  el 
icdificationem  EcclcsiiP  sibi  concedi  humiliter  supplicant.  —  Proconventu 
et  monacliis  S.  Vitoni. 

(1)  HAuoiguER,  op.  cit.,  p.  55. 

(2)  Romieap.  S.  Petrum  die  mercuriiSO  niartii  1588  fuit  consistorium 

in  quo  SSraus  Dnus  N dixit  vacante  Ecclesia  Virduncnsi  per  obitum 

Cardinalis  de  Vaudemonl,  capîtulum  Verduncnsem  praedicta  Kcclesim 
(electionem  succcssoris)  ad  sespectarc  vigore  Concorda  torum  (asseruisse); 


-  297  — 

à  qui  la  succession  était  dévolue,  parce  qu'elle  venait  d'un 
cardinal,  ainsi  que  le  disent  les  Actes,  nomraa  N.  Boucher 
à  révôché  de  Verdun.  C'est  aussitôt  après  que  Dom  Didier 
présenta  un  nouveau  mémoire,  celui  que  nous  avons  donné, 
et  dans  lequel  il  est  fait  allusion  à  la  provision  accomplie 
de  révôché. 

Le  cardinal  Farnèse,  à  qui  avait  été  adressée  la  lettre 
précédente,  ne  fut  pas  le  seul  auprès  de  qui  le  procureur 
de  Saint- Vannes  dut  se  présenter  pour  soutenir  le  bien 
fondé  de  sa  cause. 

Bien  que  sa  modestie  et  sa  timidité  fussent  opposées  à 
toutes  les  démarches  auxquelles  il  dut  se  soumettre,  il  ne 
négligea  rien  pour  mener  son  action  avec  énergie.  Malheu- 
reusement, il  ne  recevait  que  fort  peu  d'argent  de  ses 
confrères,  et  il  en  eût  fallu  beaucoup  pour  subvenir  à  tous 
les  frais  ;  si  les  Minimes  ne  l'avaient  aidé  avec  la  plus 
grande  générosité,  et  si  personnellement  il  n'avait  eu  l'es- 
prit d'économie  le  plus  strict,  jamais  il  n'eût  pu  se  mainte- 
nir aussi  longtemps  dans  une  telle  situation.  Pour  ne  pas 
être  trop  à  charge  aux  religieux  qui  lui  donnaient  si  chari- 
tablement l'hospitalité  et  l'appui  de  leur  influence,  Didier 
de  la  Cour  consentit  à  enseigner  la  philosophie  à  leurs  jeu- 
nes scholastiques,  et  il  y  réussit  aux  applaudissements  de 
tous:  ils  organisèrent  des  séances  publiques  où  ses  élèves 
soutinrent  heureusement  des  thèses  en  présence  de  plu- 
sieurs cardinaux.  Cela  augmenta  encore  auprès  de  ceux- 
ci  le  crédit  dont  le  pieux  moine  jouissait  déjà  par  sa  droi- 

ipsiim  commisissc  causam  Congni  Cardinalium  super  rébus  Consisto- 
rialibus,  qui,  audilis  juribus  dicU  Capituli  renucrunt  quoddam,  et  non 
concesso  quod  Goncordata  citarentur,  banc  provisionem  ad  Stem  Suam 
spectare  eu  m  Ecclcsia  prœdicta  vacaverit  per  obi  lu  m  Cardinalis.  Et 
ideo,  Sanctitate  Sua  proponente,  providit  dictam  Ecclesiam  Virdunen- 
sem...  de  persona  Nicolai  Boucher  Remensis  diœcesis,  ipsumque ilii  in 
Episcopum  pricfecit...  cum  reservatione  monastcriorum  et  prioratuum 
quos  obUnet...  sine  prciudicio  iurium  ipsius  Capituli  Yirdunonsis  si 
qua  habet  super  prsedicta m  Ecclesiam  Virdunensem  ...  Referentc  Rmo 
CarafTa  (Arcbiv.  S.  Congnis  Ck)nsistorialis,  Acta  G.  3065, 15,  p.  114). 

20 


—  298  — 

ture  et  sa  vie  si  édifiante.  L'aflaire  de  la  désunion  gagnait 
du  terrain ,  lorsque  Tévêque  de  Verdun  nouvellement 
nommé,  informé  des  tentatives  de  Dom  Didier,  s'émut  et 
envoya  à  Rome  un  avocat  pour  défendre  sa  cause.  Celui-ci, 
arrivé  en  toute  hâte,  chercha  par  tous  les  moyens  à  discré- 
diter la  mission  du  procureur  de  Saint-Vannes,  qu'il  rendit 
responsable  de  toute  l'affaire.  Pendant  ce  temps,  à  Verdun, 
les  choses  n'allaient  pas  mieux  ;  après  une  lettre  de  menaces 
envoyée  aux  religieux  de  l'abbaye  le  25  juillet  1588,  de  Pont- 
à-Mousson  où  il  se  trouvait,  l'évêque  vint  en  personne  à 
Saint- Vannes  et  reprocha  leur  tentative  aux  moines.  Ceux- 
ci  prirentpeur,  désavouèrent  leur  procuration,  révoquèrent 
les  pouvoirs  donnés  à  leur  mandataire  et  prièrent  celui  ci 
de  rentrer  à  l'abbaye.  De  son  côté,  l'évêque  écrivit  à  Dom 
Didier,  lui  prodiguant  les  éloges  et  lui  faisant  mille  pro- 
messes, s'il  se  désistait  de  ses  revendications:  ce  qui  l'avait 
le  plus  touché,  c'était  l'exposé  des  revenus  de  son  évôché, 
fait  par  D.  Didier  en  cour  de  Rome  ;  on  le  comprend:  il 
n'avait  pas  encore  ses  bulles,  et  leur  taxe  devait  être  fixée 
d'après  ces  revenus,  ainsi  que  les  annates. 

Tant  de  revers,  au  moment  où  il  touchait  au  but,  abatti- 
rent un  instant  le  courage  de  Dom  Didier.  La  faiblesse  de 
ses  confrères,  qui  lui  répondait  si  peu  de  l'avenir,  le  res- 
sentiment à  craindre  de  la  part  de  l'évêque-abbé,  le  dégoût 
de  rentrer  dans  une  communauté  où  déjà  il  avait  tant  souf- 
fert du  relâchement  général,  tout  cela  suscita  en  lui  une 
lutte  terrible  qui  fut  sur  le  point  de  l'éloigner  à  jamais  de 
Saint-Vannes.  Accueilli  d'autre  part  avec  déférence  par  les 
Minimes,  recherché  môme  par  eux,  édifié  de  leur  vie  calme 
et  régulière,  il  se  demandait  s'il  ne  valait  pas  mieux  pour 
lui  se  donner  à  eux  et  leur  consacrer  sa  vie  et  ses  forces 
inutilement  perdues,  à  ce  qu'il  croyait,  dans  la  poursuite 
d'une  œuvre  humainement  impossible.  Mais  Dom  Didier 
comptait  sans  cette  profonde  affection  qui  reste  au  fond  du 
cœur,   malgré  tout,  pour  le  lieu  que  l'on  a  choisi  tout 


—  299  — 

d'abord,  affectioa  que  les  misères  et  les  ennuis  peu- 
vent assoupir,  mais  qu'ils  ne  tuent  jamais.  Il  était  trop 
bénédictin  et  avait  trop  goûté  la  suave  et  forte  discrétion 
du  Patriarche  des  moines  d'Occident,  il  avait  trop  joui 
d'une  vie  imprégnée  de  la  prière  liturgique,  pour  se  lais- 
ser tenter  par  les  dehors  d'une  perfection  actuelle  et  per- 
sonnelle plus  douce  et  plus  facile  en  apparence.  Il  préféra 
tout  perdre  aux  yeux  des  hommes  qui  lui  conseillaient  un 
changement  en  soi  légitime,  et  ne  consentit  pas  à  renoncer 
à  son  habit.  Il  prit  le  parti  de  quitter  Rome. 

Au  mois  de  septembre,  il  se  disposa  à  partir,  après  s'être 
muni  d'une  lettre  de  recommandation  du  cardinal  J.  Ma- 
druce  (1)  pour  l'évéque  de  Verdun.  Cette  lettre  était  datée 
du  17  septembre  1588.  Les  Minimes,  mus  par  le  désir  de 
garder  Dom  Didier  plus  longtemps  et  par  le  secret  espoir 
de  se  l'attacher  définitivement,  aussi  bien  que  par  la  crainte 
de  le  voir  affronter  les  dangers  d'un  nouveau  voyage  en 
hiver,  le  supplièrent  de  rester  jusqu'au  printemps.  Il  se 
laissa  convaincre  et  continua  renseignement  de  la  philoso- 
phie aux  jeunes  Minimes  ;  mais  il  eut  soin  d'écrire  à  l'évê 
que  de  Verdun,  pressé  de  le  revoir,  une  lettre  datée  du 
4  octobre,  dont  le  Père  Haudiquer  nous  a  gardé  la  subs- 
tance (car  elle  est  manifestement  traduiteen  style  moderne) 
et  qui  témoigne  fidèlement  de  l'esprit  de  droiture  et  de 
respect  pour  l'autorité,  qui  animait  son  auteur  (2). 

(1)  Jean  Madrucc,  évcVjue  de  Trente  par  la  résignation  do  son  oncle 
Christophe  Madrucc,  fut  crée  cardinal  par  Pie  IV  on  1501.  L(Sgat  on 
Allemagne  en  1î)82,  il  travailla  avec  succès  dans  les  affaires  les  plus  im- 
portantes de  l'Eglise.  Il  mourut  à  Rome  le  20  avril  1600. 

{2)  «  Monseigneur,  j'ai  vu,  par  les  lettres  de  mes  Confrères,  que  votre 
Grandeur  me  rappelle  à  Saint- Vannes.  Je  n'ai  assurément  rien  de  plus  à 
cœur  que  de  lui  obéir,  mais  la  proximité  do  l'hivor  ot  les  instances  que 
me  font  mes  amis,  me  dissuadent  d'enlroprondro  pour  le  moment  un 
si  long  voyage,  à  cause  dos  pluies  et  des  glaces.  Je  crois  <|u'un  pareil 
inconvénient  est  bien  suffisant  pour  me  faire  différer  mon  rolour  jus 
qu'au  printemps,  sans  trahir  mon  devoir.  Personne  n'est  tenu  ù  l'imi 
possible.  D'ailleurs  mon  Supérieur  et  mes  confrères  ne  m'ordonnen 
point  positivement  de  m'en  retourner  ;  ils  semblent  plut(U  laisser  à 


.—  300  - 

L'affaire  de  la  désunion  était  enterrée  :  le  procureur  sus- 
pendit ses  démarches  et  se  remit  à  sa  vie  religieuse  jus- 
qu'au commencement  du  printemps. 

m:i  disposition  le  temps  de  mon  départ.  Mais,  quand  bien  mAme  la 
rigueur  do  la  saison  ({ui  approche  no  s'y  opposerait  pas,  je  croirais 
encore  pour  une  autre  raison  pouvoir  me  dispenser  de  me  mettre  en 
chemin.  On  ne  voyage  point  sans  argent  ;  j'en  suis  absolument 
dépourvu.  Mes  confrères  qui  m'en  avaient  promis  beaucoup  m'en  ont 
très  peu  envoyé.  Puisque  ce  n'est  qu'à  leur  prière  que  je  suis  venu  ici, 
il  convient  qu'ils  m'en  envoient  davantage  pour  faciliter  mon  retour. 

«  J'ai  appris  au«»si,  Monseigneur,  que  Votre  Grandeur  était  fort  en 
colère  contre  moi,  surtout  au  sujet  de  la  supplique  où  j'ai  marqué 
expressément  les  revenus  annuels  do  l'Evèché  de  Verdun  et  ceux  de 
l'Abbaye  de  Saint- Vannes.  Je  puis  vous  assurer  que  je  me  suis  conduit 
dans  cette  affaire  sans  mauvaisoîi  Intentions.  Celle  surtout  d'avoir 
cherché  à  vous  déplaire  ne  peut  avoir  eu  Heu  de  ma  part.  Le  siège 
épiscopal  de  Verdun  était  vacant,  lorsque  je  suis  parti  pour  Rome,  et 
je  ne  savais  sur  qui  tomberait  le  choix  de  la  divine  Providence  pour  le 
remplir.  Aussi,  si  j'ai  eu  le  malheur  de  vous  offenser,  ce  n'a  été  que 
par  accident,  et  sans  aucun  dessein  relatif  à  votre  personne.  Au  sur- 
plus, je  <Iéfic  qui  (jue  ce  soit  de  me  reprendre  de  mensonge.  Tout  co 
que  j'ai  proposé  dans  la  Congrégation  des  affaires  consistorlales  est 
exactement  vrai  et  je  peux  le  démontrer  aussi  facilement  à  Roaic  que 
dans  le  pays  même.  Mais  les  choses  ont  bien  changé  de  face  :  mes 
confrères  ont  voulu  ci-devant  que  j'agisse  :  Us  ne  le  veulent  plus  aujour- 
d'hui. Je  ne  veux  rien  faire  contre  leur  gré. 

«  Dans  le  fond.  Monseigneur,  sommes-nous  coupables  de  prendre  en 
main  les  intérêts  de  notre  maison  ?  J'en  appelle  à  votre  justice,  abs- 
traction faite  de  la  dignité  dont  vous  êtes  maintenant  revêtu.  Pouvons- 
nous  voir  indifféremment  une  union  faite  par  subreptlon  ?  Dans  quel 
état  se  trouve  maintenant  l'Abbaye  de  Saint-Vannes,  autrefois  si  célèbre 
et  si  florissante  ?  Le  temporel  y  est  dans  le  plus  affreux  désordre,  ainsi 
que  le  spirituel.  Le  mal  serait  peut-être  supportable,  si  au  moins  nous 
avions  directement  affaire  ii  nos  Seigneurs  les  Evôques-Abbés  ;  mais 
nous  sommes  livrés  ii  des  gens  qui,  tout  à  fait  étrangers  à  l'état  reli 
gieux,  se  font  un  jeu  do  nous  nuire,  en  les  Indisposant  malignement 
contre  nous.  Un  ressentiment  aussi  juste  que  lenùtre  ne  doit  donc  point 
être  pris  en  mauvaise  part. 

«  Quant  à  mol,  Monseigneur,  je  n'ai  fait  pour  notre  Maison  que  ce 
que  vous  voudriez  que  fit  un  homme  employé  à  votre  service  pour  le 
succès  de  vos  affaires.  C'est  pourquoi  je  supplie  Votre  Grandeur  qu'elle 
daigne  juger  de  ma  conduite  selon  la  raison  et  l'équité,  et  non  selon  les 
vues  de  l'intérêt  et  le  rapport  des  hommes.  Enfin  je  suis  déjà  tout 
accoutumé  aux  di.sgrAces  ;  s'il  faut  en  encourir  une  nouvelle,  je  me 
souviendrai  de  ces  paroles  si  consolantes  de  l'Evangllo  :  Heureux  ceux 
qui  souffrent  persécution  pour  la  justice,  parce  que  le  Royaume  des 
Cieuxest  à  eux.  »  (Haudiquer,  op.  cit. ^  p.  63  et  sulv.) 


—  301  — 

Un  instant  encore  il  se  demanda  s'il  devait  regagner 
Verdun,  et  s'il  ne  ferait  pas  mieux,  en  désespoir  de  cause, 
d'éclianger  la  règle  bénédictine  contre  celle  des  Minimes. 
L'amour  de  saint  Benoit  triompha  de  nouveau  dans  son 
cœur,  et,  au  commencement  du  printemps  1589,  il  reprit 
le  chemin  déjà  parcouru  dix-huit  mois  auparavant  II  le 
fit  comme  la  première  fois,  seul,  absorbé  dans  la  prière  et 
la  méditation,  et  dut  arriver  en  Lorraine  vers  le  commen- 
cement de  l'été  de  la  môme  année  (1). 

Ses  confrères  le  reçurent  mal  :  il  s'y  attendait  ;  Tévéque 
l'accabla  de  reproches  et  les  gens  de  service  du  prélat  ne 
manquèrent  pas  de  faire  leur  cour  en  cette  circonstance,  en 
traitant  le  pèlerin  de  Rome  avec  toutes  sortes  d'indignités. 
Rien  n'émut  le  fervent  moine  qui  se  confina  dans  sa  cel- 
lule, d'où  il  ne  sortait  que  pour  l'office  divin  et  les  exerci- 
ces de  communauté  :  ceux-ci  étaient,  du  reste,  fort  peu 
nombreux.  Quelques  mois  se  passèrent  ainsi,  pendant  les- 
quels l'animosité  des  confrères  se  calma  légèrement,  mais 
sans  donner  aucun  espoir  d'amélioration  dans  leur  con- 
duite antimonastique. 

Didier  de  la  Cour  ne  se  contenta  pas  de  la  tranquillité 
relative  dans  laquelle  on  le  laissait  :  il  aurait  voulu  que  la 
discipline  fût  remise  en  vigueur  autour  de  lui.  D^  nou- 
veaux doutes  l'assaillirent  sur  sa  vocation  ;  il  s'en  ouvrit  à 
ses  directeurs,  qui  le  retinrent  à  Saint  Vannes,  mais  lui 
permirent  de  suivre  son  attrait  pour  un  plus  parfait  accom- 
plissement de  ses  vœux  monastiques.  En  conséquence  le 
fervent  religieux  se  dépouilla  de  tout  le  superflu  qui  se 

(1)  Les  dates  pri^cisfts  nous  manquent;  mais,  on  admettant  que  Dora 
Didier  de  la  Cour  quitta  Rome  vers  la  fin  de  fc^vrier,  il  faut  compter 
environ  trois  ou  quatre  mois  de  voya^ye.  D'autre  part,  dès  le  milieu 
d'août,  la  permission  lui  fut  concédée  de  se  retirer  à  Rnrécourt,  après 
un  nouvel  essai  de  vie  ù  Saint- Vannes,  où  il  «Hait,  ainsi  (|ue  nous  l'ap- 
prend un  détail  de  D.  Haudiquer,  à  la  saisf)n  où  l'on  cultive  les  jardins. 
«  Dom  Didier  de  la  Cour  ayant  arraché  les  Heurs  de  son  jardin  pour  y 
planter  des  légumes  »...  Ihid.,  p.  83. 


—  302  — 

trouvait  dans  sa  cellule,  et  fit  renouveler  toutes  les  per- 
missions que  déjà  son  prieur  Dom  Anselin  lui  avait  don- 
nées pour  l'usage  du  nécessaire.  Le  repos  que  cet  acte 
d'abnégation  lui  procura  fut  de  courte  durée  et  les  idées  de 
changement  de  vie  revinrent  à  son  esprit,  mais  cette  fois 
avec  une  direction  dilïérente:  sans  abandonner  la  vie  béné- 
dictine, Didier  de  la  Cour  se  proposa  d'en  chercher  une 
forme  nouvelle  dans  la  vie  érémitique  que  saint  Benoît 
lui-môme  permet  aux  moines  «  déjà  exercés  dans  les  com- 
bats de  la  vie  cénobitique  (1)  »,  et  pour  laquelle  il  se  sen- 
tait un  attrait  spécial. 

Non  loin  de  Verdun,  rattachée  à  l'église  dépendant  de 
Saint  Vannes  au  village  de Rarécourt(2j,s'élevaitunehum- 
ble  chapelle  entourée  d'un  champ  et  placée  sous  le  vocable 
de  Saint-Christophe  (3).  Didier  de  la  Cour  la  connaissait, 
soit  parce  qu'elle  n'était  pas  loin  de  son  pays  natal,  soit 
parce  qu'elle  appartenait  à  la  mense  abbatiale  de  Saint- 
Vannes;  il  la  demanda  à  son  prieur  et  à  ses  confrères,  avec 
la  permission  d'y  résider,  leur  promettant  de  se  contenter 
d'une  portion  de  pain  qu'on  lui  ferait  passer  toutes  les 
semaines.  Une  telle  proposition  parut  tout  d'abord  aux 
moines  une  véritable  folie,  puis  l'insistance  de  Dom  Didier 
et  le  désir  qu'ils  avaient  de  le  voir  s'éloigner  les  décidèrent 
à  consentir  à  sa  demande  ;  ils  se  firent  même  forts  d'obte- 
nir l'agrément  de  l'évoque  abbé.  Celui-ci,  revenu  de  sa 
première  irritation,  donna  par  écrit  sa  permission  le  10 
août  de  la  même  année  1389  ;  bien  plus,  il  offrit  de  bâtir 
une  cellule  à  côté  de  la  chapelle  pour  le  nouvel  ermite. 

(1)  Cf.  R«>gle  de  saint  Benoit,  chap.  I".  Des  diverses  espèces  de  moines. 

(2)  Cf.  Rolie  des  Eglises  paroissiales  du  diocèse  de  Verdun,  dans  notice 
Saint- Vannes  nt  sup. 

(3)  L'évoque  de  Verdun  était  collalour  de  l'église  de  Rarécoiirl, 
comme  abbé  commendalairo  de  Saint-Vannes.  Elle  appartient  au  doyenné 
deCIcrmont.  La  chapelle  Saint-Christophe  qui  dépendait  de  Rarécourt, 
fut  détruite  au  commencement  du  xvm'  siècle. 

Cf.  Haudiqubr,  op.  cit.,  et  Robinet,  Pouillè  de  Verdun, 


—  303  — 

Didier  de  la  Cour  refusa  et,  se  contentant  de  la  promesse  de 
pain,  changée  ensuite  en  celle  de  froment,  il  se  rendit  dans 
sa  solitude  où  il  s'accommoda  un  gîte  sur  le  plafond  de  la 
chapelle.  Il  y  avait  accès  par  une  échelle  qu'il  retirait 
ensuite.  Il  ne  sortait  de  sa  retraite  que  pour  cultiver  son 
champ  et  recevoir  le  pain  bis  et  Teau,  qui,  pendant  les  huit 
mois  de  son  séjour  à  Saint-Christophe,  furent  sa  seule 
nourriture  et  sa  seule  boisson. 

Au  bout  de  ce  temps,  les  Huguenots  répandus  dans  la 
région  découvrirent  la  retraite  du  solitaire  et  le  dépouil- 
lèrent des  quelques  provisions  qu'il  conservait  :  une  femme 
du  voisinage,  prévenue  du  jeûne  forcé  de  Termite,  lui  pro- 
cura un  peu  de  nourriture.  On  était  alors  au  commence- 
ment d'avril  1590.  Sur  le  conseil  de  deux  Pères  jésuites 
que  la  Providence  dirigea  à  cette  époque  vers  Rarécourt, 
Didier  quitta  sa  retraite  trop  exposée  aux  incursions  des 
soldats  et  revint  à  Saint- Vannes.  Son  intention  n'était  point 
pourtant  d'y  demeurer,  car,  après  avoir  conféré  pendant 
quelques  jours  avec  l'évéque,  il  reçut  de  lui  l'autorisation 
de  tenter  un  essai  chez  les  Minimes  :  le  souvenir  de  la  paix 
goûtée  chez  ces  religieux  à  la  Trinité  des  Monts  ne  l'avait 
point  quitté.  L'autorisation  lui  fut  accordée  le  18  avril  1590, 
et,  quelques  jours  plus  tard,  malgré  ses  quarante  ans, 
Didier  de  la  Cour  entrait  au  noviciat  des  Minimes  de  Ver- 
dun (1).  Aucun  exercice  ne  le  rebutait  et  la  ponctualité  de 
son  obéissance  était  pour  tous  un  sujet  d'édification.  Pen- 
dant quelque  temps,  il  sembla  avoir  trouvé  sa  véritable 
voie  :  sa  tranquillité  ne  fut  pas  de  longue  durée,  etsix  mois 
ne  s'étaient  pas  écoulés,  que  le  fils  de  saint  Benoit,  sentant 
comme  une  sorte  de  reproche  continuel  en  lui- môme  à 
cause  de  son  changement  de  vie,  rentra,  vers  la  fin  de  1590, 

(1)  Les  Minimes  avaient  Hé  établis  ù  Verdun  en  1575  par  l'év<V|ue 
Nicolas  Psuuimo,  A  l'endroit  où  était  autrefois  le  monastère  des  Reli- 
gieuses pénitentes  de  Sainte-Magdeleine,  dans  Tlle  de  Tilly. 

D.  Calmbt,  Notice  de  la  Lorraine^  art.  Verdun, 


—  304  — 

dansTabbayede  Saint-Vannes.  Il  ne  devait  plus  la  quitter. 
Fatigué  des  luttes  incessantes  auxquelles  son  âme  avait 
été  livrée  chaque  fois  qu'elle  avait  tenté  de  quitter  la  vie 
bénédictine,  Didier  de  la  Cour  attendit  l'heure  de  Dieu.  Il 
continua,  pendant  plusieurs  années,  à  mener  la  vie  paisible 
et  obscure  du  cloître,  édifiant  ses  confrères  et  cherchant  à 
réaliser  personnellement  le  type  du  moine  bénédictin.  Il 
se  préparait  ainsi,  sans  le  savoir,  à  le  réaliser  dans  les 
autres,  par  une  vie  partagée  entre  le  travail  silencieux,  la 
pénitence  et  Toffice  divin. 


CHAPITRE  III 

Essais  divers  de  rérormc  générale  en  loîKS,  puis  particulière  à  Notre- 
Dame  de  Nancy  et  à  Saint-Vannes.  —  Visite  canonique  du  Prince  Erric 
à  Saint-Vannes  en  1598.  —  Il  y  dresse  d'inutiles  règlements.  —  Elec- 
tion de  Dom  Didier  de  la  Cour  comme  prieur  de  Saint-Vannes  (1598). 
—  Nouveaux  essais  infructueux  de  mitigation.  —  Dom  Didier  de  la 
Cour  commence  un  noviciat  avec  quelques  compagnons.  —  Sépara- 
tion d'avec  les  anciens.  —  Prise  d'habit  le  20  janvier  4599.  —  Plusieurs 
moines  de  Saint-Vannes  opposés  à  la  réforme  sont  envoyés  à  Moyen- 
moutier.  --  Les  prieurés  de  Mont-Saint-Martin,  près  de  Longwy,  et 
de  Chaudefontaine  sont  détachés  de  l'abiiaye  de  Saint- Vannes  et 
donnés  aux  Jésuites. 

Par  Bref  en  date  du  12  mai  1")91,  le  Pape  Grégoire  XIV 
avait  institué  le  cardinal  Charles  de  Lorraine,  fils  de  Char- 
les III,  son  Légat  a  latere  pour  la  réforme  des  monastères 
de  sa  Province.  Le  cardinal  ne  put  se  mettre  à  l'œuvre 
avant  1595.  Il  convoqua  à  Saint-Mihiel  les  abbés  réguliers 
elles  prieurs  conventuels  de  rOrdre.  Huit  seulement  répon- 
dirent à  son  appel  : 

D.  Jacques  de  Tavagny,  abbé  de  Saint-Evre  de  Toul  (1)  ; 
D.  Didier  Sarrion,  abbé  de  Saint-Airy  de  Verdun  (2)  ; 
D.  Jean  Sellier,  abbé  de  Notre-Dame  de  Bouzonville  (3)  ; 
D.  Nicolas  de  Neufville,  coadjuteur  de  Saint-Avold  (4)  ; 

(1)  Issu  d'une  ancienne  et  noble  famille  de  Bourgogne,  Jacques  de 
Tavagny  fit  profession  de  la  Règle  de  saint  Benoit  à  l'abbaye  de  Saint- 
Evre,  dans  laquelle,  d'après  les  anciens  statuts,  on  ne  recevait  que  des 
nobles.  U  était  trésorier  de  l'abbaye  quand  11  fut  élu  abbé,  le  15  mars 
1559,  après  la  mort  d'Adrien  Baudaire.  Il  mourut  le  1"  mars  1590, 
après  avoir  été  abbé  pendant  38  ans,  laissant  une  réputation  de  bonté 
et  de  charité.  Il  rebâtit  l'église  et  dressa  des  règlements  pour  le  bon 
gouvernement  de  l'abbaye  en  l'année  1567  ;  nous  aurons  occasion  de 
remarquer  son  zèle  pour  l'établissement  de  la  réforme  monastique. 

(2)  Didier  Sarrion,  qui  plus  tard  devait  introduire  la  réforme  à  Saint- 
Airy,  et  dont  la  Gallia  consacre  la  mémoire  pjir  ces  quelques  mots  : 
de  monasterio  optime  merilus. 

(3)  Jean  Sellier  était  de  l'Ordre  de  CIteaux  et  moine  de  Beaupré.  Les 
moines  de  Bouzonville  l'avaient  élu  en  1589. 

(4)  L'abbé  de  Saint-Avold  était  alors  Jean  de  Trêves. 


—  306  — 

D.  Jeaa  Jérôme,  prieur  de  Saint-Mihiel  (1)  ; 

D.  Louis  de  Thullières,  prieur  de  Moyenmoulier  (2)  ; 

D.  Didier  Anselin,  prieur  de  Saint- Vannes  de  Verdun  (3)  ; 

D.  César  Rotarius,  prieur  de  Mont-Saint-Martin  ou  de 
Notre-Dame  de  Nancy  (4). 

L'Assemblée  se  tint  sous  la  présidence  d'Antoine  Four- 
nier,  suffragant  de  Metz,  évoque  in  partibus  de  Basilite,  et, 
pour  la  circonstance,  vice  légat  du  cardinal  (5).  Une  messe 
du  Saint-Esprit  fut  célébrée  le  7  juin,  jour  de  l'ouverture 
des  délibérations.  Le  vice-légat  exposa  aux  abbés  et  prieurs 
réunis  au  chapitre  les  causes  de  leur  convocation  :  le  désir 
de  restaurer  ou  de  consolider  la  discipline  éteinte  ou  affai- 
blie dans  bon  nombre  de  monastères;  il  proposa,  comme 
moyen  le  plus  convenable,  la  formation  d'une  Congréga- 
tion selon  les  décrets  du  Concile  de  Trente. 

Les  capitulants  aquiescèrent  unanimement  au  projet  et 
demandèrent  qu'on  en  dressât  un  instrument  authentique  ; 
après  quoi,  le  vice  légat  déclara,  au  nom  du  cardinal,  qu'il 
ratifierait  les  décisions  de  l'Assemblée,  puis  il  se  retira. 

Les  abbés  et  les  prieurs,  quittant  eux  aussi  le  chapitre, 
se  réunirent  dans  la  chambre  du  prieur  claustral,  pour  élire 
le  président  de  cette  nouvelle  Congrégation  et  du  chapitre, 

(1)  L'abbaye  de  Saint-Mihiel  était  tenue  en  commende  par  le  Cardinal 
de  Lorraine. 

(2)  Erric  de  Lorraine  avait  obtenu  ses  bulles  de  commende  en  1588, 
évinçant  Louis  de  Thullières  élu  par  les  moines. 

(3)  Nous  l'avons  nommé  au  sujet  de  la  réception  et  des  études  de 
Didier  de  la  Cour. 

(4)  Prieuré  dépendant  de  l'abbaye  de  Molesme  et  qui  devait,  quelques 
années  après,  être  uni  à  la  Primatiale  érigée  h  Nancy. 

(5)  Le  R.  Père  Antoine  Fournier  ou  Fermier,  chanoine  régulier  de 
Saint-Denys  de  Reims,  docteur  en  théologie,  célèbre  prédicateur,  fut 
appelé  dans  la  ville  de  Metz  par  le  cardinal  Charles  de  Lorraine,  qui  en 
était  évéque  ;  il  devint  son  grand  vicaire  et  ensuite  son  sufTragant 
sous  le  titre  de  Basilite  in  partibus. 

Le  Cardinal,  légat  du  Saint-Siège  dans  la  Lorraine,  le  Barrois  et  les 
Trois-Evèchés,  employa  Mgr  Fournier  pour  travailler  avec  lui  à  l'œuvre 
de  la  réforme  des  Ordres  religieux.  L'évéque  de  Basilite  mourut  le  25 
novembre  1610.  —  Gvlmet,  Bibl.  lor.,  art.  Fournier. 


—  307  — 

ainsi  qu'un  secrétaire.  Dom  Jacques  de  Tavagny  fut  choisi 
pour  président  et  visiteur  ;  Dom  Claude  Riquechier,  pour 
secrétaire  (1).  Les  abbés  commendataires  furent  exclus  de 
la  confédération. 

{{)  D.  Claude  Riquechier,  né  à  Commercy-sur-Meuse,  profôs  de  Sainl- 
Evre-les-TouI,  y  était  prieur  dès  1595  ;  il  rédigea,  comme  secré- 
taire de  l'assemblée  de  Saint-Mihiel,  les  36  articles  qui  devaient  être 
la  base  de  la  réforme. 

Plus  tard  D.  Claude  Riquechier  devait  jouer  un  rôle  important  dans 
la  réforme,  en  1610,  de  l'abbaye  de  Saint-Evre,  où  il  eut  à  lutter  con- 
tre Louis  de  Tavagny.  En  1619,  il  travailla,  de  concert  avec  Mgr  do 
Maillanne,  à  l'introduction  d3  la  réforme  au  prieuré  du  Breuil  destiné 
à  devenir  un  séminaire  d'études  pour  la  Congrégation  de  Saint-Vannes. 

Voici  les  36  articles  rédigés  par  les  Pères  de  Saint-Mihiel.  La  copie 
du  procès-verbal  de  cette  Assemblée  se  trouve  avec  la  signature  de 
D.  Riquechier  à  l'Archive  nationale  de  Florence.  Àrchivio  dislato,  Tit. 
Reformationum  II,  n»  560.  Cette  pièce  est  en  latin,  nous  donnons  seu- 
lement le  résumé  traduit  des  articles. 

La  présence  de  ce  document  parmi  les  papiers  de  Lucalberti,  le  Visi- 
teur Apostolique  dont  nous  aurons  à  parler  plus  lard,  montre  bien  la 
relation  des  articles  délibérés  en  1595  à  Saint-Mihiel,  avec  ceux  que  le 
Visiteur  laissa  en  1606  au  cardinal  légat  avant  de  reprendre  le  chemin 
de  l'Italie.  (V.  plus  loin  chap.  II  de  la  2'  partie.) 

Le  1"  article  concernait  la  formation  du  gouvernement  de  cette  nou- 
velle congrégation,  dans  la  1"  session. 

^  Session. 

2.  L'office  divin  sera  célébré  décemment  dans  chaque  monastère, 
selon  les  traditions  de  ce  monastère,  jusqu'à  ce  que  l'on  puisse  avoir 
un  bréviaire  commun  ;  le  Visiteur  y  pourvoira  le  plus  rapidement 
possible. 

3.  On  gardera  les  heures  adoptées  pour  l'office  divin,  en  tâchant,  dans 
la  mesure  du  possible,  de  se  conformer  aux  prescriptions  de  la  Règle 
de  saint  Benoit. 

4.  Dans  les  monastères  gouvernés  par  des  abbés  on  des  prieurs  com- 
mendataires, on  députera  deux  ou  trois  religieux  prudents  pour  la 
confession. 

5.  Les  prêtres  célébreront  la  messe  an  moins  une  fois  par  semaine  ; 
les  diacres  et  les  sous-diacres  communieront  le  dimanche  ;  les  frères 
plus  jeunes,  une  fois  par  mois. 

6.  C'est  le  Supérieur  qui  indiquera  à  l'hebdomadler  le  moment  de 
commencer  l'office.     • 

7.  Le  Chapitre  se  tiendra  trois  fois  par  semaine,  et  le  Supérieur  y 
fera  une  exhortation  en  langue  vulgaire. 

8.  Le  silence  sera  de  règle  au  chœur,  au  dortoir  et  au  réfectoire. 

9.  Le  Visiteur   s'attachera   à  découvrir  les  points  de   la   Règle  qui 


—  -.308  — 

Une  deuxième  session  fut  tenue  le  môme  jour,  dans 
laquelle  on  rédigea  les  vingt  premiers  articles.  Le  lende- 
main 8  juin,  deux  autres  sessions  donnèrent  les  autres  ar- 

seraient  négligés  et  y  portera  prudemment  remède. 

10.  Les  religieux  n'auront  rien  qui  ne  leur  ait  été  donné  par  le  Supé- 
rieur et  ne  pourront  conserver  d'argent  auprès  d'eux. 

11.  Ils  devront  être  prêts  k  tout  abandonner  sur  l'ordre  du  Supérieur 
régulier. 

12.  Au  réfectoire  on  gardera  les  anciennes  traditions  pour  le  chant 
des  prières  et  le  silence. 

13.  La  table  sera  commune  à  tous  ;  on  ne  pourra  manger  en  dehors 
du  réfectoire  sans  permission  et  l'on  ne  pourra  également  ad  mettre  sans 
autorisation  aucun  étranger  au  réfectoire. 

14.  En  ce  qui  concerne  les  vêtements,  on  suivra  les  traditions  dos 
anciens  Pères  ou  celles  de  chaque  monastère. 

15.  Défense  de  porter  la  barbe  et  les  cheveux  longs  ;  obligation  de 
porter  la  tonsure. 

16.  Les  vêtements  d'étoffe  étrangère,  de  soie,  etc.,  sont  interdits, 
ainsi  que  les  chemises  brodées,  les  anneaux  et  les  bijoux.  Les  habits 
seront  décents  et  modestes. 

17.  Les  serviteurs  seront  habillés  convenablement. 

18.  Les  femmes  sont  absolument  exclues  de  la  demeure  et  de  la  clô- 
ture des  moines. 

19.  Chaque  monastère  aura  une  hôtellerie  et  tout  ce  qui  y  touche. 

20.  Les  moines  en  voyage  devront  demander  l'hospitalité  dans  les 
monastères  de  la  même  congrégation. 

8  Juin,  —  3*  Session. 

21.  On  gardera,  pour  la  distribution  des  aumônes,  les  traditions  éta- 
blies, qu'on  suivra  sans  fraude  ni  pour  la  quantité,  ni  pour  la  qualité. 

^.  Les  Supérieurs  choisiront,  dans  leurs  monastères,  un  religieux 
capr.ble  d'instruire  ses  confrères  ou,  à  son  défaut,  un  séculier  docte  et 
honnête. 

23.  On  ne  recevra,  pour  l'admission  des  novices,  que  ce  que  les  Cons- 
titutions permettent  de  recevoir. 

2i.  Les  postulants  qui  désireront  être  admis  au  monastère,  feront 
leur  demande  eux-mêmes  ou  bien  par  leurs  parents.  Si  les  Supérieurs 
et  le  couvent  les  admettent,  on  les  éprouvera  selon  les  prescriptions  de 
la  Règle  de  saint  Benoit. 

25.  Les  moines  leront  leur  profession  solennelle  à  l'âge  requis  par  le 
Concile  de  Trente,  ou,  s'il  plait  aux  abbés,  à  18  ans  ;  ils  la  feront,  en 
tout  cas,  avant  d'être  présentés  aux  ordres  sacrés 

26.  L'office  divin  exigeant  un  certain  nombre  de  moines,  et  ce  nom- 
bre étant  diminué,  les  Supérieurs  devront  le  combler  avant  deux  ans 
par  des  fondations,  ou  alors  le  Visiteur  y  pourvoira. 

27.  En  ce  qui  concerne  la    collation  des  bénélices,   source   do  tant 


—  309  - 

ticles  auxquels  le  vice-légat  demanda  qu'on  fît  les  additions 
suivantes  : 

1.  Les  religieux  dormiront  tous  au  dortoir  (1). 

2.  Nul  ne  sortira  du  monastère  sans  la  permission  de  son 
Supérieur  et  sans  compagnon. 

3.  Les  portes  du  monastère  seront  tenues  fermées  pen- 
dant la  nuit,  et  le  Supérieur  en  gardera  les  clés  (2). 

Avant  de  se  quitter,  les  capitulants  signèrent  les  statuts 
avec  les  additions  et  indiquèrent  pour  le  mardi  d'après 
l'Octave  du  Saint-Sacrement  1598,  à  Saint-Mansuy-les- 
Toul,  le  prochain  Chapitre  général.  Saint-Mansuy,  il  est 
vrai,  ne  faisait  point  partie  de  Tessai  de  Congrégation 
résolue  à  Saint-Mihiel  :  le  Visiteur  fut  chargé  officielle- 
d'abus,  on  devra  revenir  aux  Constitutions,  en  les  conférant  selon  l'âge, 
le  rang,  la  dignUc,  la  science. 

28.  Les  abbayes  seront  soumises  à  la  Visite,  ainsi  que  les  prieurés 
qui  en  dépendent. 

29.  Les  prieurs  conventuels  et  les  autres  dignitaires  de  l'Ordre  seront 
élus  par  le  couvent  et  confirmés  par  les  abbés  réguliers.  Pour  les 
abbayes  en  commende,  la  confirmation  reviendra  au  Visiteur. 

30.  On  installera  une  infirmerie  dans  chaque  monastère  de  la  dite 
congrégation. 

3L  Avant  d'appeler  le  médecin  du  corps,  l'inGrmier  appellera  le  prê- 
tre aûn  que  le  malade  pense  à  son  âme  en  premier  lieu. 

4'  Session. 

32.  Le  jeûne  et  l'abstinence  saront  gardés  pendant  l'A  vent  et  les  autres 
jours  prévus,  c'est-à-dire  les  veilles  dos  grandes  fêtes  comme  celles  du 
Corpus  Christi  et  de  la  sainte  Vierge,  et  cela  hors  du  réfectoire  comme 
à  l'intérieur. 

33.  Le  Visiteur  pourra  déléguer  pour  la  visite,  mais  les  monastères 
ayant  un  abbé  ne  pourront  être  visités  que  par  un  abbé. 

3i.  Les  dépenses  du  Chapitre  général  et  des  Visites  se  répartiront 
sur  chacune  des  maisons  qui  y  prennent  part. 

35.  Les  Supérieurs  invités  ou  cités  au  Chapitre  triennal  seront  punis 
d'amende  k  répartir  sur  les  dépenses  do  la  Congrégation,  s'ils  n'y 
viennent  pas. 

36.  On  fera  toute  diligence  pour  récupérer  les  biens  aliénés. 

(1)  Le  dortoir,  dans  la  règle  bénédictine,  est  la  partie  du  monastère 
renfermant  les  cellules  des  moines,  non  une  salie  commune,  ainsi  qu'on 
l'entend  aujourd'hui. 

(2)  Cf.  Haudiqukr,  op.  cit.,  p.  101. 


—  3i0  — 

ment  par  les  capitulants  de  tenter  quelques  démarches  afin 
de  Vy  faire  entrer,  ainsi  que  Tabbaye  de  Saint  Pierre  de 
Senones,  celles  de  Saint-Vincent,  Saint  Clément,  Saint- 
Symphorien  et  Saint-Arnould  de  Metz,  et  Saint-Mansuy  de 
Toul. 

Ratifiés  par  le  Cardinal-Légat,  les  règlements  de  l'assem- 
blée de  Saint-Mihiel  semblaient  devoir  promptement  remé 
dieraux  principaux  désordres.  Mais  la  routine  était  trop 
grande  parmi  les  anciens  religieux  pour  céder  devant  de 
si  nombreuses  prescriptions  ;  il  eût  fallu  prévoiries  excu- 
ses de  natures  habituées  à  leurs  aises,  le  refus  formel  de 
pratiquer  une  règle  qui  n'existait  pas  au  moment  de  la 
profession,  et  qu'on  n'avait  jamais  eu  le  dessein  de  suivre  : 
c'était,  en  un  mot,  trop  demander  à  des  âmes  éloignées  de 
la  ferveur  initiale  ;  quant  à  ceux  des  religieux  qui  débu- 
taient dans  la  vie  monastique,  les  statuts  n'en  parlaient 
que  très  peu  et  les  assimilaient  trop  aux  anciens. 

Les  Supérieurs,  zélés  au  début,  se  découragèrent  bien 
vite  ;  plusieurs  autres,  qui  auraient  eu  besoin  d'une  réfor- 
me personnelle,  n'y  tenaient  point  :  la  torpeur  envahit  de 
nouveau  tout  le  monde.  Pour  comble  de  malheur,  le  Visi- 
teur, Jacques  de  Tavagny,  mourut  à  peu  de  temps  de  là,  le 
4  mars  1596. 

L'éloignement  du  Chapitre,  fixé  à  1598,  engagea  le  Cardi- 
nal-Légat à  nommer  un  Visiteur  provisoire  dans  la  per- 
sonne de  Jean  Sellier,  abbé  de  Bouzonville,  puis  à  avancer 
le  Chapitre  qui  fut  réuni  à  Saint  Evre  les  Toul,  le  23  avril 
1597. 

Selon  les  résolutions  de  l'assemblée  de  Saint-Mihiel,  de 
nouvelles  instances  avaient  été  faites  auprès  des  quatre 
abbés  bénédictins  de  Metz.  Ceux-ci,  pour  se  mettre  à  l'abri 
du  cardinal  et  pour  se  dispenser  d'assister  aux  chapitres 
convoqués  par  lui,  dressèrent,  cette  môme  année  1397,  des 
statuts  pour  le  bon  gouvernement  de  leur  monastère  (1). 

(1)  Bibl.  lorraine  de  Dom  Cal  met,  art.  Valladier, 


—  311  — 

Leur  but,  disaient  ils,  était  de  former  entre  eux  une  Con- 
grégation à  laquelle  ils  se  proposaient  d*amener  d'autres 
monastères  (1). 

Les  statuts  qu'ils  firent  ne  furent  point  observés,  et  les 
abbés  de  Metz,  quelques  années  après,  se  firent  donner,  de 
la  part  du  roi  Henri  IV,  une  défense  d'assister  aux  assem- 
blées et  de  recevoir  une  visite  sous  prétexte  de  réforma- 
tion  (2). 

L'assemblée  de  Saint-Evre  n'eut  aucun  effet  :  présidée 
au  nom  du  Légat  par  M.  Thiriet,  abbé  commendataire  de 
Saint-Léon,  chanoine  et  officiai  de  Toul,  elle  ne  tarda  pas  à 
se  diviser  au  sujet  de  la  nomination  d'un  Visiteur. 

Les  uns  prétendaient  que  seuls  les  abbés  pouvaient  être 
élus  ;  les  autres  voulaient  que  tout  religieux,  même  sans 
litre  ou  dignité,  fût  éligible. 

D'autres  enfin  faisaient  difficulté  de  donner  leur  vote, 
pour  la  raison  que  plusieurs  abbés  manquaient  au  Cha- 
pitre. 

Le  cardinal,  informé  de  ces  incidents,  déclara  l'Assem- 
blée dissoute  et  se  réserva  de  faire  savoir  aux  abbés  et 
prieurs  le  jour  et  le  lieu  d'une  nouvelle  réunion. 

Toutefois,  découragé,  il  écrivit  au  Pape  Clément  VIII,  le 
priant  de  trancher  la  difficulté  en  supprimant  tout  à  fait 
les  Bénédictins  dans  la  Province  de  sa  légation.  Mais  s  le 

(1)  A  des  époques  antérieures,  en  1332  d'abord,  des  statuts  avaient 
été  dressés  pour  le  bon  gouvernement  des  abbayes  de  Metz  par  Adémar 
de  Montell,  évoque  de  cette  ville.  Lui-môme  ne  faisait  que  confirmer 
les  règlements  dictés  dans  le  même  but  dix  ans  auparavant  par  les 
échevins  de  la  cité,  obligés  d'intervenir  pour  réprimer  les  désordres 
des  religieux. 

En  1433,  Conrad  Bayer  de  Boppart,  l'un  des  successeurs  d'Adémar, 
composa,  mais  en  vain,  de  nouveaux  statuts  de  réforme. 

(2)  L'acte  dont  il  s'agit,  daté  du  17  janvier  1606,  avait  pour  objet  direct 
de  récuser  Tintervention  du  Visiteur  Apostolique,  dont  nous  aurons 
bientôt  à  parler.  Il  n'osa  pas  y  pénétrer  ;  mais,  peu  de  temps  après,  le 
Cardinal  de  Lorraine  obtint  du  même  roi  Henri  IV  un  Brevet  pour  la 
réforme  des  quatre  abbayes  messines.  —  D.  Calmkt,  Bibl.  lorr.^  art. 
Yalladier.  t 


—  312  - 

Pape  lui  répondit  qu'il  Tavait  envoyé  pour  guérir  et  non 
pour  étouffer  le  malade  ;  pour  relever  le  bâtiment  qui 
menaçait  ruine,  et  non  pour  achever  de  le  détruire  :  que 
Tordre  de  saint  Benoît  avait  rendu  de  si  grands  services 
à  TEglise,  que  l'idée  seule  de  l'abolir  lui  semblait  crimi- 
nelle, et  qu'il  n'y  avait  au  contraire  rien  de  plus  glorieux 
que  de  contribuer  à  son  rétablissement  (1)  ». 

Cette  réponse  rendit  au  légat  une  nouvelle  ardeur. 

Abandonnant  cette  fois  l'idée  d'une  congrégation,  le 
Légat  voulut  tenter  la  réforme  sur  un  terrain  plus  limité  : 
près  de  lui  se  trouvait  le  prieuré  de  Notre-Dame  à  Nancy  (2). 
Il  écrivit  à  l'abbé  de  Saint-Maximin  de  Trêves  (3)  pour  lui 
demander  deux  religieux.  Celui-ci  lui  envoya  D.  Nicolas 
Peltre  (4),  lorrain  de  naissance  et  D.  Agricius,  qui  fut 
nommé  Prieur  claustral  de  Notre-Dame.  Malgré  le  zèle  de 
ces  deux  religieux,  l'entreprise  échoua. 

A  Saint-Mihiel,  dont  il  était  abbé  commenda taire,  le 
cardinal  voulut  introduire  la  réforme,  ses  commissaires 
durent  se  retirer  devant  les  menaces  des  religieux  résolus 
à  les  repousser  de  vive  force  (S). 

Le  cardinal  assembla  alors  quelques  abbés  réguliers, 
pour  choisir  de  concert  avec  eux  un  monastère  capable  de 

(1)  Cf.  Haudiquer,  op.  cit.,  p.  4 et  103. 

(2)  Dans  la  suite  le  prieuré  Notre-Dame  eut  un  autre  sort  que  celui  de 
la  réforme,  par  son  incorporation  à  la  Primatiale  de  Nancy  et  la  sup- 
pression de  son  titre. 

(3)  Cette  abbaye,  dont  la  Gallia  fait  remonter  l'origine  à  Const^inUn, 
avait  pris  le  nom  de  saint  Maximin  dont  elle  reçut  le  corps.  Au  x'  siècle 
les  moines,  relâchés  de  leur  ferveur,  furent  expulsés.  C'est  Henri  I"  qui,  j 
après  avoir  rétabli  leur  monastère  obtint  de    relever   directement   de  j 
Rome;  l'abbé  était  alors  Régner  (11)83-1014).  (Gallia  christiana). 

(4)  Nicolas  Peltre  devint,  sous  le  litre  de  Nicolas  IV,  abbé  de  Sainl- 
Avold  et  fut  bénit  le  13  avril  Vôdd  {Gallia  christ.}.  L'abbaye  de  St-Avold 
ou  St-Nabord  fut  fondée,  sous  ce  titre,  vers  750  par  Chrodogang,  évô<|uc 
de  Metz.  On  croit  qu'elle  existait  déjà  auparavant  sous  le  vocable  de 
Saint-Paul. 

(5)  Voir  plus  loin,  à  propos  de  la  visite  apostoli(iue  de  Dom  Laurent 
Lucalberti,  les  diverses  péripéties  de  la  réforme  de  Saint-Mlhiel 
IP  partie,  chap.  I.  , 


—  313  — 

recevoir  la  réforme  et  de  la  communiquer  ensuite  peu  à 
peu  aux  autres  abbayes.  Leur  choix  se  fixa  sur  l'abbaye  de 
Saint-Vannes  de  Verdun  :  possédée  alors  en  commende  par 
Erric  de  Lorraine  (1),  évoque  du  diocèse,  elle  promettait, 
grâce  à  rinlervention  de  son  abbé,  favorable  aux  desseins 
du  Légat  et  doué  de  qualités  administratives  sérieuses,  de 
répondre  au  désir  de  tous. 

L*évéque-abbé  accepta  la  mission  que  lui  confiait  le  car- 
dinal et  se  mit  sans  tarder  à  Tœuvre.  Il  venait  de  prendre 
possession  de  son  Evôché  !  Ayant  réuni  un  certain  nombre 
d'ecclésiastiques  et  de  religieux  en  son  palais  épiscopal,  il 
fut  décidé  qu'il  ferait  une  visite  canonique  en  l'abbaye  de 
Saint- Vannes,  mais  que,  vu  l'ignorance  où  l'on  se  trouvait 
alors  de  la  manière  dont  la  Règle  bénédictine  devait  être 
observée^  on  se  contenterait  de  ramener  les  moines  à  la 
pratique  de  leurs  vœux  et  à  une  vie  plus  honnête. Un  prieur 
claustral  serait  nommé  et  armé  de  toute  l'autorité  spiri- 
tuelle et  temporelle  pour  la  gloire  de  Dieu  et  le  succès  de 
la  réforme. 

Le  nouveau  prieur  fut  choisi  à  Senones,  où  déjà  il  exer- 
çait la  même  charge  :  c'était  D.  Philippe  FrançoisCollart  (2). 

(1)  Erric  ou  Henry  de  Lorraine,  fils  de  Nicolas  de  Lorraine,  comte  de 
Vaudémont,  cl  de  Catherine  d'Aumale,  sa  troisième  femme,  naquit  à 
Nancy,  le  14  mars  1576 .  On  lui  donna  comme  précepteur  Christophe 
de  la  Vallée^  le  futur  évoque  de  Toul.  A  la  mort  de  Nicolas  Boucher, 
évé(|ue  de  Verdun,  Erric  fut  pourvu  de  ce  bénéfice  et  il  obtint  ses 
Bulles  en  1595.  La  mémo  année,  il  prit  possession  de  son  évéché,  mais 
ne  reçut  la  consécration  épiscopîile  qu'en  1()02.  Le  nouvel  évôciue, 
reprenant  l'œuvre  du  Cardinal  de  Lorraine, mit  tout  son  zèle  à  lavisitedes 
paroisses  de  son  diocèse  et  ii  la  réforme  des  ordres  religieux.  Son  titre 
d'abbé  commcndataire  de  St-Vannes  de  Verdun  et  de  St-Hydulphe  de 
Moyenmoulier,  l'aida  puissamment  dans  la  réforme  de  ces  deux 
abbayes  et  l'érection  de  la  Congrégation  de  St-Vannes  et  St-Hydulphe. 
En  1611,  le  prince  Erric  donna  sa  démission  de  son  évéché.  Il  mourut 
à  Nancy,  le  28  avril  1023,  au  retour  d'un  voyage  à  Rome. 

D.  Calmet,  lUbliothèque  lorraine,  art.  Erric. 

(2)  l).  Philippe  François-Collart,  né  à  Lunéville  le  25  mars  1579,  était 
fils  d'un  conseiller  de  S.  A.  de  Lorraine  11  reçut  une  excellente 
éducation.  Dès  l'Age  de  dix  ans,  il  fut  conduit  à  l'abbaye  de  Senones, 
où  Jean  Lignarius,  cousin  de  sa  mère,  lui    donna  l'habit.  H  l'envoya 

21 


—  314  — 

Peu  après,  l'évoque  de  Verdun  fit  annoncer  sa  visite  (1).  Il 
vint  à  Saint-Vannes  le  8  avril  1598,  parcourut  les  différentes 
parties  du  monastère  et,  après  s'être  rendu  compte  des  abus 
et  des  manques  d'observance,  dressa  quelques  statuts  qu'il 
fit  lire  en  chapitre  et  dont  voici  la  teneur  : 

((  Savoir  que  cy  après  on  ne  conserverait  plus  de  grandes 
hosties  dans  le  saint  ciboire,  parce  que  ce  n'était  pas  la 
coutume  de  l'église  ;  qu'on  ferait  un  ciboire  d'argent  et 
qu'on  ne  conserverait  plus  la   Sainte  Eucharistie  dans 

ensuite  à  Pontà-Mousson,  où  il  fut  Tun  des  plus  brillants  élèves  et  se 
distingua  surtout  dans  la  connaissance  de  la  langue  grecque.  Il  n'avait 
pas  vingt  ans  quand  on  le  demanda  prieur  de  St- Vannes  :  son  jeune 
âge  ne  lui  permit  pas  d'y  rester,  mais  il  y  revint  quelques  années 
après  et  y  embrassa  la  réforme,  le  21  janvier  i60i.  Il  enseigna  ensuite 
la  théologie  à  St-Mibiel,  retourna  en  1607  comme  maître  des  novices 
à  St- Vannes  et  y  composa  peu  après,  à  l'usage  des  novices,  plusieurs 
ouvrages  de  vie  intérieure,  tels  que  :  la  guide  spirituelle  pour  les 
novices  (imprimé  à  Paris  en  1616)  ;  les  Exercices  des  novices  ;  la 
Règle  de  S.  Benoît  traduite;  le  Noviciat  des  vrais  bénédictina^  etc., 
ouvrages  qui  servirent  aux  noviciats  de  la  congrégation  de  St-Vannes, 
et  furent  même  adoptés  en  1618  par  la  Congrégation  belge  de  la  Pré- 
sentation Notre-Dame. 

D.  Philippe  François  devint  prieur  de  St-Airy  en  1612  et  exerça 
les  premières  charges  de  la  Congrégation,  dont  il  fut  visiteur  en  1609, 
1611,  1613,  1616,  1620,  et  président  en  1622.  11  mourut  à  St-Airy,  le 
S7  mars  16a'). 

D.  Calmet,  Bibliothèque  lorraine,  art.  François  (D.). 

(1)  Voici  comment  le  compte-rendu  envoyé  au  Pape  sur  l'adminis- 
tration du  prince  Ërric  dans  les  quatre  premières  années  de  son 
épiscopat,  s'exprime  au  sujet  de  cette  visite  faite,  dit-il,  «  sub  inilio 
verls  anni  sequentis  (adventum  in  civit.  Virdunensem  10  oct.  1397). 
Illmus  Dnus  monasterium  S.  Vltoni  visitandum  suscepit  quod  quidem 
praocipuum  est  eorum  quac  ei  iure  ordinario  in  dicta  civitate  subsunt 
estque  mensœ  episcopali  perpetuo  unitum. 

Et,  ut  tota  visitatio  felicius  succederet,  accersiri  curavitR.  P.  Priorem 
S.  Apri  doctorem  Theologum  et  eiusdem  ordinis  religiosum,  ut  eius 
consilio  in  dicta  visitatione  uteretur._        ^ 

Inchoata  igitur  visitatione,  cum  Illmus  Dnus  collapsam  omni  ratione 
disciplinam  religiosam  in  diclo  monasterio  reperisset,  sublalis 
primum  scandalls  et  essentialibus  regulao  et  votorum  obligationibus 
restitutis,  priorem  seniorem  religiosae  disciplinée  minus  sollicitum 
deposuit  aliumque  eius  loco  probatae  vitae  religiosum  de  monachorum 
etiam  electione  restituit...  » 

(Archives,  Evéques  et  Réguliers,  1602,  s.  1.  V. 


-  315  - 

une  boîte  d'yvoire  ;  que,  par  le  temps  et  lieu  convenable, 
il  pourvoirait,  par  la  grâce  de  Dieu,  à  la  consécration  et 
à  la  dédicace  de  l'église  ;  qu'on  détruirait  toutes  les  cellu- 
les qui  étaient  dans  les  jardins  des  religieux  ;  que  ces 
jardins  néanmoins  resteraient  pour  leurs  récréations  ; 
qu'on  bâtirait  dans  le  dortoir  une  salle  dans  laquelle  tous 
les  novices  prendraient  ensemble  leur  sommeil;  qu'il  y 
aurait  toujours  deux  cierges  allumés  sur  Tautel  où  Ton 
célébrerait  la  messe  ;  que  le  supérieur  désignerait  deux 
confesseurs  des  religieux  et  des  domestiques,  tous  les 
autres  étant  exclus  de  cet  office,  à  moins  que  le  supérieur 
ne  juge  nécessaire  de  les  en  charger. 

«  Que  chaque  religieux  seretireraità  sa  chambre  et  gar- 
derait le  silence  dans  les  lieux  prescrits  par  la  règle,  et 
qu'il  voulait  qu'elle  fût  exactement  gardée  ;  qu'on  tien- 
drait trois  fois  la  semaine  Chapitre  pour  les  corrections: 
savoir  le  lundy,  le  mercredy  et  le  vendredy,  et  qu'il  ne 
serait  permis  à  personne  de  s'en  absenter  ;  qu'on  puni- 
rait selon  la  qualité  des  fautes  ceux  qui  y  seraient  tombés, 
sans  acception  de  personnes,  suivant  les  constitutions  et 
la  Règle.  Que  tous  les  vendredys  il  y  aurait  une  exhorta- 
tion faite  par  le  supérieur  ou  par  quelqu'autre  député 
par  lui  ;  qu'on  lirait  pendant  tout  le  repas,  premièrement 
l'Ecriture  Sainte,  ensuite  un  autre  livre  tel  que  le  supé- 
rieur ou  le  maître  des  novices  l'ordonnerait. 

«  Que  les  lectures,  Toraison,  la  méditation,  les  exercices 
corporels  et  le  temps  de  la  récréation,  seraient  réglés 
par  la  volonté  du  supérieur,  qui  ferait  en  sorte  que  le 
temps  fût  utilement  employé  et  que  les  religieux  ne 
demeurassent  point  dans  l'oisiveté.  Après  Compiles,  le 
portier  apportera  toutes  les  clefs  à  la  chambre  du  supé- 
rieur ;  il  ne  sera  permis  à  aucun  religieux  d'aller  dans  la 
chambre  de  son  confrère  pendant  le  temps  du  silence,  de 
l'étude,  de  l'oraison  et  du  repos, 

a  Tous  les  religieux  habiteront  et  dormiront  dans  le 


-  316  — 

môme  dortoir,  qui  sera  diligemment  fermé  toutes  les 
nuils  par  le  supérieur.  Les  novices  auront  une  salle  com- 
mune où  ils  dormiront  ensemble  dans  des  lits  séparés, 
proche  de  la  chambre  de  leur  père  maître,  qui  sera 
obligé  de  les  aller  voir  souvent  et  de  veiller  sur  eux,  et 
ces  lits  seront  séparés  par  des  rideaux  à  cause  de  Thon- 
néteté.  Personne  ne  pourra  sortir  du  monastère  sans  la 
permission  du  supérieur,  sans  l'habit  convenable  et  sans 
compagnon  ;  aucun  religieux  ne  possédera  rien  en  parti- 
culier et  ne  retiendra  point  d'argent,  à  moins  que  la 
nécessité  de  son  office  ne  Texige,  comme  les  prieurs  et 
économes,  mais  ils  recevront  tous  leur  nourriture  et  leurs 
habits  des  supérieurs  ou  des  économes  selon  la  Règle, 
parce  que  cet  article  en  est  un  point  essentiel  (1).  m 

Pour  donner  plus  de  force  à  ces  articles,  Tévôque-abbé 
ordonna  qu'ils  seraient  lus  tous  les  quinze  jours,  le  ven 
dredi  pendant  le  dîner,  et  quelque  temps  après,  en  juillet, 
il  vint  de  nouveau  à  Saint- Vannes  pour  se  faire  remettre, 
sous  peine  de  censure  à  encourir  par  les  récalcitrants,  tout 
ce  que  chacun  possédait  en  son  particulier. 

Le  nouveau  prieur  ne  put  tenir  devant  les  difficultés  et 
même  les  insolences  que  ces  mesures,  cependant  si  légiti- 
mes et  si  douces,  lui  valurent  de  la  part  des  anciens  reli- 
gieux, sensibles  seulement  à  la  menace  des  censures. 
Quelques  mois  après  son  installation,  il  dut  rentrer  à 
Senoncs,  laissant  Tabbaye  de  Saint- Vannes  en  proie  aux 
mêmes  misères  et  aux  mômes  souffrances.  Dom  Anselin 
s'excusa  sur  son  âge,  qui  lui  rendait  impossible  la  reprise 
de  la  charge  de  prieur,  et  il  fallut  songer  à  une  nouvelle 
élection. 

Trois  candidats  pouvaient  se  partager  les  voles  : 

Dom  Boncompan  (celui  qui,  avec  Dom  Anselin,  avait 
aidé  à  l'entrée  de  Dom  Didier  de  la  Cour  à  Saint- Vannes). 

I)  Bibliolhèiiuo  de  Saint-Dié,  XVI.  —  Notes  manuscrites  de  Dom 
Calmet. 


—  317  — 

Dom  Claude  François  (dont  nous  verrons  plus  lard  le 
rôle  important  dans  Tœuvre  de  la  réforme);  il  était  alors 
procureur  de  Tabbaye. 

Dom  Didier  de  la  Cour. 

Ce  dernier  surtout  était  redouté  des  anciens  religieux  ; 
ils  voulaient  à  tout  prix  Técarter,  et  usèrent  pour  cela  d'un 
stratagème  assez  habile.  L'opposition  deThumble  religieux 
et  sa  répugnance  à  toute  charge  étaient  connues  et  prou- 
vées. Pourquoi  ne  pas  profiter  de  ces  dispositions  et  Tobli- 
ger  à  en  faire  une  protestation  définitive  qui  l'excluerait  à 
jamais  de  la  charge  de  prieur,  et  qui  peut  être  môme  le 
pousserait  à  s'en  préserver  en  quittant  Saint- Vannes?  Per- 
suadés que  Didier  de  la  Cour  s'enfuirait  plutôt  que  de  se 
soumettre  à  une  charge  dont  il  n'avait  que  trop  pressenti  la 
responsabilité  et  le  peu  de  succès,  ils  s'entendirent  pour 
lui  donner  leurs  voix.  A  l'unanimité,  Didier  de  la  Cour  fut 
élu  prieur.  Déconcerté  par  un  vote  si  inattendu,  l'humble 
religieux,  sans  se  douter  qu'il  répondait  ainsi  au  plus  vif 
désir  des  ennemis  de  la  réforme,  quitta  le  Chapitre,  pro- 
testant de  son  refus  absolu . 

Mais  Dieu  veillait  sur  son  œuvre  :  il  permit  qu'à  la  porte, 
le  prieur  fugitif  rencontrât  deux  religieux  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus,  en  qui  il  avait  pleine  confiance,  et  qui  étaient 
venus  pour  connaître  le  résultat  de  l'élection.  Apprenant 
les  intentions  de  Dom  Didier,  ils  se  récrièrent,  et  s'unirent 
pour  lui  représenter  la  culpabilité  de  sa  faiblesse  ;  ils  le 
firent  si  bien  que,  vaincu,  le  moine  rentra  au  Chapitre,  et 
déclara  se  soumettre  à  la  décision  de  ses  confrères. 

Ce  fut  un  coup  de  foudre  que  ce  revirement  pour  les 
moines  opposants  ;  leur  impression  fut  si  profonde,  que 
l'un  d'entre  eux  ne  tarda  pas  à  quitter  en  secret  l'abbaye, 
ainsi  que  l'habit  religieux,  laissant  par  écrit  le  témoignage 
de  l'odieuse  machination  dont  il  avait  été  le  principal  orga- 
nisateur. On  était  au  milieu  de  l'année  1598  [[\ 

(1)  Lii  Mère  de  Blôinur,  op,  cit.,    parlant  de  l'élcclion  du  prieur  de 


—  318  — 

Le  nouveau  prieur  commença  son  gouvernement  par  un 
acte  pieux  envers  l'un  de  ses  prédécesseurs.  Le  Bienheu- 
reux Richard,  abbé  de  Saint- Vannes,  reposait  dans  Tune 
des  chapelles  de  l'église  :  Didier  le  fit  exhumer  et  lui 
ménagea,  dans  le  chœur  môme,  une  sépulture  digne  de  sa 
renommée.  L'évéque  entra  dans  les  vues  du  prieur,  et 
changea  en  l'honneur  de  la  Sainte  Trinité  la  messe  dite 
jusque-là  pour  le  suffrage  de  Tàme  du  saint  abbé.  C'était 
un  protecteur  puissant  acquis  à  la  réforme  (1598). 

Confiant  en  son  appui,  Didier  de  la  Cour  se  mit  coura- 
geusement à  l'œuvre  ;  deux  voies  s'ouvraient  devant  lui  : 
l'une  delà  mitigation,  qui  consistait  à  ramener  par  de  sages 
avis,  par  des  encouragements,  ou  au  besoin  par  des  répres- 
sions, les  anciens  moines  à  une  vie  honnête  et  digne  de 
leur  état  ;  l'autre,  qui  seule  lui  semblait  avoir  chance  de 
succès,  excluait  les  anciens  de  tout  essai  sérieux  et  formait 
à  côté  d'eux  une  communauté  nouvelle,  complètement 
séparée  de  l'influence  des  anciens,  et  élevée  selon  les  plans 
d'une  réforme  radicale. 

L'évéque-abbé,  à  qui  le  prieur  développa  ses  raisons  en 
faveur  du  second  mode,  n'osa  l'accepter  sans  conseil  ;  il 
réunit,  pour  en  délibérer,  plusieurs  personnes  très  graves 
du  clergé  séculier  et  régulier.  Parmi  les  membres  de 
l'assemblée,  un  certain  nombre  ignoraient  la  vraie  notion 
de  la  vie  monastique  ;  d'autres  avaient  peur  de  voir  une 

Saint-Vannes,  dit  :  a  Ce  fut  donc  en  l'an  fo96  qu'il  plut  à  Dieu  de  jeter 
les  yeux  de  sa  mis<^ricorde  sur  les  maisons  de  saint  Benoit,  se  servant 
de  la  personne  du  P.  Didier  de  la  C!our,  pour  rétablir  la  sainte  Règle 
dans  son  ancienne  splendeur  ». 

Nous  nfî  pouvons  admettre  cette  date,  quoiqu'elle  soit  donnée  aussi  par 
D.  Réthelois  (Chron.  Vepez),  puisque  le  Chapitre  général  où  l'on  décida 
de  tenter  la  réforme  d'une  abbaye,  d'abord,  n'eut  lieu  qu'en  1597,  et 
qu'alors  D.  Didier  fut  nommé  maître  des  novices,  charge  qu'il  dut 
abandonner  comme  ineflicace  pour  l'œuvre  projetée.  (Cf.  D.  Calmet, 
Bibl.  Saint-Dié,  qui  donne  aussi  cette  date  de  i:i98.) 

Le  prince  Erric,  dans  la  relation  de  sa  visite  à  Saint-Vannes  en  1598, 
dit  nettement  qu'il  déposa  l'ancien  prieur  [D.  Ànselin)  et  en  fit  élire  un 
autre  {D.  Didier). 


—  319  — 

nouvelle  institution  diminuer  Tinflueuce  de  la  leur  ;  plu- 
sieurs enfin  désiraient  garder  les  relations  agréables  que 
Saint' Vannes  leur  offrait  avec  son  ancienne  observance.  Ces 
différents  points  de  vue  empêchèrent  Didier  de  la  Cour  de 
triompher  dans  sa  demande  de  réforme  complète.  Il  s'in- 
clina devant  les  décisions  de  l'Assemblée. 

Pour  donner  plus  de  poids  aux  quelques  règlements  éla- 
borés dans  cette  réunion,  Tévêque  vint  lui-même  à  Saint- 
Vannes,  et  réunit  en  chapitre  tous  les  Religieux.  Comme  le 
point  de  la  propriété  personnelle  était  celui  qui  causait  le 
plus  de  désordres,  il  ordonna  aux  moines,  sous  peine  de 
censures,  d'apporter  ce  qu'ils  possédaient,  leur  promettant 
du  reste  que  le  Procureur,  Dom  Claude  François,  leur  four- 
nirait tout  ce  dont  ils  auraient  besoin.  Malgré  cette  assu- 
raâce,  malgré  les  termes  minutieux  dans  lesquels  elle  fut 
donnée,  les  moines  habitués  à  se  pourvoir  eux-mêmes  de 
tout,  à  leur  gré,  ne  se  rendirent  à  l'invitation  de  l'évoque 
que  par  la  crainte  des  peines  dont  ils  se  voyaient  menacés. 

La  charité  et  l'empressement  avec  lesquels  Dom  François 
répondit  aux  demandes  de  ses  confrères  ne  calma  nulle- 
ment leur  mécontentement:  ils  se  rendirent  même  d'autant 
plus  arrogants  qu'on  se  montrait  plus  condescendant  ; 
d'autant  plus  exigeants  qu'on  était  plus  bienveillant,  et  les 
désordres  du  passé  ne  firent  que  changer  d'objet.  En  face 
de  cette  mauvaise  volonté,  le  prieur  n'avait  qu'une  alter- 
native :  ou  se  démettre  de  sa  charge,  ou  obtenir  ce  qu'il 
avait  demandé,  une  réforme  sans  mitigation.  L'évêque, 
mal  conseillé,  recula  une  seconde  fois  :  deux  Pères  Jésui- 
tes, distingués,  du  reste,  par  leur  savoir  et  leur  zèle,  le 
Père  Toronce  et  le  Père  de  la  Tour  se  firent  forts  de  conver- 
tir les  opposants,  «  qu'ils  savaient  être  de  braves  gens 
et  qui  appartenaient  presque  tous  à  la  Congrégation  de 
Notre-Dame  ».  Sur  leur  proposition,  Didier  de  la  Cour 
consentit  à  ce  que,  les  uns  après  les  autres,  ses  moines 
fussent  mis  en  retraite  sous  la  direction  des  deux  Pères 


—  320  — 

Jésuites.  Le  résultat,  hélas  !  du  second  essai  fut  semblable 
au  premier  :  rien  ne  changea  dans  les  habitudes  des  reli- 
gieux de  Saint-Vannes.  Les  deux  conseillers  qui  avaient 
promis  à  l'évoque  un  plein  succès  durent  eux-mêmes  se 
convertir  à  la  conviction  de  Dom  Didier  de  la  Cour  :  seule, 
une  rénovation  pure  et  simple  du  personnel,  des  habitu- 
des, et  de  l'esprit,  pourrait  opérer  une  réforme  durable. 
Leur  persuasion  entraîna  celle  de  Tévêque  (1)  et  résolution 
fut  prise  pour  mettre  courageusement  la  main  à  l'œuvre. 
La  première  mesure  indispensable  était  d'éloigner  de 
Saint- Vannes  les  religieux  les  plus  mal  disposés  parmi  les 
anciens.  Le  prince  Ërric  avait  obtenu  la  commende  de 
l'abbaye  de  Moyenmoutier,  au  diocèse  de  Toul.  Celte  abbaye, 
aussi  peu  fervente  que  celle  de  Saint  Vannes,  avait,  sous  le 
gouvernement  d'un  prieur  indigne  (2),  perdu  de  sa  codsi- 

(1)  ....  Sed  ciim  inveterata  Vivendi  licenUa  lus  statuUs  necdum  plane 
continori  posset  novaque  el  graviora  scandala  orircntur,  de  perforliori 
integriorique  disciplinaB  roligiosie  in  dicto  monastcrio  rosUtuUonc  cim- 
silium  inllt. 

Quod  eu  m  sine  quorumdam  Religiosorum  magis  discolarum  Iransla- 
tione  tieri  non  posset,  Illmus  Dnus  consUtuit  aliquot  monachos  in  aliiid 
sibicooimcndatum  inonaslcrium  transferre.  Quamobrcm  obtenta  cius  rei 
facultatoab  Illmo  Cardinali  Legalo  quinquc  rcligiosos  e  dicto  manaslorio 
S.  Vitoni  Virduncnsis  ad  Médium  monasterium  Tullensis  sou  nullius 
diœcesis  transtulit«  de  dictorum  etiam  religiosorum  translalorum  con- 
sr'nsu  et  postulatione.... 

(Relation  des  actes  du  prince  Erric  fi  la  sacrée  Congrégation  des  Evo- 
ques et  Réguliers,  1G02,  suite.) 

(2)  Le  prieur  dont  il  s'agit  est  Dom  Louis  de  Thulliëres.  A  la  mort 
du  cardinal  Charles  de  Vaudémont,  il  avait  été  élu  abbé  de  Saint-Hy- 
dulphe  de  Moyenmoutier,  mais  son  élection  n'avait  pas  été  confirmée 
à  Rome  et  la  commende  de  l'abbaye  avait  été  dévolue  au  prince  Erric 
en  mars  ilîHS.  Dom  Louis  de  Thulli(^res  garda  sa  charge  de  prieur, 
mais  ses  excès  personnels  et  les  abus  qu'il  toléra  dans'  son  monastère 
devaient  être  plus  tard  l'occasion  d'une  visite  Ciinonique  suivie  d'en- 
quête et  de  condamnation.  Lui  et  ses  moines  avaient  cru  l'éviter,  dit 
la  Méro  de  Blémur,  on  se  montrant  faciles  à  recevoir  les  Vannistesque 
leur  envoyait  le  prince  abbé.  Nous  aurons  sous  peu  à  revenir  sur  la 
triste  situation  de  l'abbaye  de  Moyenmoutier  au  commencemonl  du 
xvii*  siècle.  Voici  comment  D.  Bolhomme  rapporte  l'arrivée  dos  nou- 
veaux moines  :  «  1599,  die  22  Januarii,  cum  ita  imminulus  essel  reli- 
giosorum mediancnsium  numerus  ut  divinis  rite  peragendis  impares 


—  321  - 

dératioo  et,  ne  recevant  plus  de  vocations,  menaçait  de 
s'éteindre  sous  peu.  Le  prieur  Erric,  qui  déjà  avait  pensé  à 
la  réformer,  crut  mieux  faire  d'attendre  que  Tessai  nou- 
veau de  Saint-Vannes  eût  porté  ses  fruits,  mais  il  profita  de 
la  diminution  de  religieux  à  Moyenmoutier  pour  y  envoyer 
les  mécontents  de  Saint- Vannes,  avec  l'agrément  du  cardi- 
nal-légat. 

Le  22  janvier  1599,  cinq  Religieux  Vannistes  arrivaient  à 
Moyenmoutier  ;  les  autres  opposants  restés  à  Verdun  fu- 
rent mis  dans  les  bâtiments  du  monastère  donnant  sur  la 
cour,  non  sans  protestation  de  leur  part  et  de  celle  des  amis 
qu'ils  avaient  su  se  ménager  dans  la  ville  (1). 

En  même  temps  que  l'on  écartait  les  obstacles  à  l'éla- 
blissement  de  la  réforme,  on  s'occupait  de  recruter  de 
nouvelles  vocations.  Les  Pères  Toronce  et  de  la  Tour  avaient 
promis  de  fournir  vingt-quatre  jeunes  gens:  leur  succès 
ne  répondit  pas  à  leurs  espérances,  et  trois  seulement  con- 
sentirent à  entrer  à  Saint- Vannes  ;  les  Récollets  en  envoyè- 


essent,  quinquc  religiosi  VitoDiani  reformationcm  recentcr  introductam 
récusantes  ad  mcdianuin  cœnobium  dirifçunlur»  et  in  eo,  jussu  Ërricl 
abbatis  recipiunlur.  Quod  factuni  est  ut  Vitoniani  illi  Doinno  Ludovico 
de  Thullièrcs  priori  claustral!,  tanquam  superiori  In  omnibus  obtem- 
perarent  :  officialcs  monasterii  in  suis  ofliciis  nuUatcnus  turbarent,  et 
locum  post  mcdiancnses  semper  et  ubique  habercnt,  de  cœtero  cum- 
deni  inter  se  servantes  ordinem  quem  in  monasterlo  Vitoniano  tonue- 
rant.  (Uist.  Mediani  monast.) 

(1)  Cœteros  vcro  in  supra  vivendi  licenlia  inveteratos  vel  caducos 
extra  claustrum  in  atrium  ejusdem  monasterii  transtulit,  ne  suo  malo 
exemplo  aliis  religiosis  monasticiEdisciplinc-e  studiosis  ofTendiculo  essont 
eosquc  a  proposilo  averterent,  lis  soUs  in  dicto  claustro  retentis  qui 
libère  religiosie  diseiplinu»  se  submittebant 

Ac  ne  dictum  monasterium  hominibus  deslitueret,  octo  vel  novom 
circiter  juvenes  ad  religiosam  perfectionem  aspirantes  sorvatis  antiquis 
regulît  statutis  cl  cercmoniis  recepit  regulamque  S.  Benedicti  juxta 
cxplicalionem  R.  Patrum  congregationis  S.  Juslinae  montis  Cassinensis 
obscrvandam  Iradidit,  esumque  carnium,  lineorum  usum  omnemque 
proprietatem  perpetuo  substuiit,  communitalomqne  victus  et  vestitus, 
babitum  religiosum,  jejunium  byemalo,  vigilias,  malulina  cœterasque 
regulîe  observa tiones  restituit...  (Relations  du  Prince  Erric  à  la  S. 
Congr.  des  Ev.  et  Rég.,  1602,  suite). 


1 


—  322  — 

renl  un  quatrième.  C'était  là  tout  le  noyau  destiné  à  germer 
et  à  grandir  avec  une  sève  nouvelle  :  il  faut  avouer  que, 
humainement  parlant,  aucune  espérance  sérieuse  ne  pou- 
vait se  fonder  sur  un  si  pauvre  commencement  et  dans  des 
circonstances  si  défavorables. 

Arrivés  au  commencement  de  janvier  1600  à  l'abbaye, 
les  postulants  furent  reçus  avec  toute  la  charité  possible 
par  le  prieur,  mais  avec  non  moins  de  défiance  et  d'hosti- 
lité par  les  anciens.  Ceux  ci,  heureux  de  trouver  chez  l'un 
des  nouveaux  venus  l'absence  d'études  suffisantes,  chez 
l'autre  peu  de  santé,  chez  tous  l'ignorance  du  chant  et  des 
cérémonies,  en  profitèrent  pour  formuler  contre  eux  un 
refus  net  d'acceptation  et  pour  les  discréditer,  eux  et  la  ré- 
forme, jusqu'au  dehors  de  la  clôture.  Didier  de  la  Cour  raf- 
fermit ses  disciples  contre  le  découragement  trop  facile  à 
craindre  et  à  prévoir,  et  leur  donna,  le  20  janvier  1599, 
l'habit  des  novices,  c'est-à-dire  la  tunique,  le  scapulaire 
sans  capuce,  et  le  bonnet  carré  (1). 

Le  noviciat  se  composait  de  quatre  sujets,  Dom  Denys 
Froment,  Dom  Jean  Barthélémy,  Dom  Jean  Thibaut  et  Dom 
Hubert  Rollet.  Sauf  D.  Jean  Barthélémy  et  surtout  D.  Hu- 
bert Rollct,  qui  plus  tard  rendit  des  services  éminents  à  la 
Congrégation,  les  novices  ne  donnaient  pas  lieu  de  croire 
qu'ils  fussent  des  colonnes  bien  solides  pour  le  nouvel  édi- 
fice, et  les  difficultés  que  les  anciens  ne  tardèrent  pas  à  leur 
créer,  semblaient  plutôt  faire  présager  une  ruine  complète 
de  l'œuvre  tentée.  Rien  ne  manqua,  en  effet,  à  l'épreuve  du 
noviciat  canonique  pour  les  postulants  de  Saint-Vannes  : 
au-dedans,les  moines  irrités  d'être  gênés  dans  leurmanière 
de  vivre  libre  et  inoccupée,  par  Texemple  de  la  régularité 
et  du  travail  de  confrères  plus  jeunes,   se  rejetaient  sur 


(1)  Cette  ci^rémonie  se  faisait  alors  sans  solennité  dans  un  apparte- 
ment du  monastère.  Plus  tard,  quand  les  Constitutions  nouvelles  furent 
acceptées,  c'est  au  chapitre  que  les  candidats  reçurent  l'habit  de  l'Ordre. 
D.  C.\LMBT,  Comment,  sur  la  règle  de  S.  Benoit, 


—  323  — 

rinexpérience  de  ceux-ci  dans  raccomplissement  deToffice 
divin  et  leur  reprochaient  de  ridiculiser  cette  action  sainte 
aux  yeux  de  toute  la  ville.  Toute  occasion  était  !»onne  pour 
les  humilier  et  les  décourager;  les  serviteurs  eux-mêmes, 
heureux  de  flatter  les  désordres  de  leurs  anciens  maîtres, 
se  mettaient  de  la  partie  et  s'ingéniaient  à  tourmentei'  les 
fervents  novices  jusque  dans  leur  nourriture.  Au  dehors, 
les  amis  des  anciens  religieux,  habitués  à  partager  les  jeux 
de  ceux-ci  et  des  personnes  de  tout  rang,  furent  indisposés 
à  dessein  contre  Tessai  de  réforme. 

Malgré  tant  d'épreuves,  grâce  à  la  prudente  fermeté  et  à 
la  bonté  de  leur  maître,  aucun  des  nouveaux  postulants  ne 
songea  tout  d'abord  à  s'effrayer  pour  l'avenir:  leur  ferveur 
augmentait  à  mesure  que  les  difficultés  redoublaient.  Dieu 
leur  ménageait cependant,de ci  de  là, quelques  consolations; 
peu  de  temps  après  leur  prise  d'habit,  ils  virent  les  anciens 
Religieux  quitter  d'eux-mêmes  par  dépit  le  réfectoire  et  le 
cloître  intérieur  et  se  faire  comme  une  nouvelle  commu- 
nauté :  ce  fut  pour  Didier  de  la  Cour  l'occasion  d'introduire 
l'abstinence  perpétuelle  et  le  travail  manuel,  qu'il  regar- 
dait comme  indispensables  à  sa  réforme. 

L'abstinence  de  la  viande  ordonnée  par  saint  Benoît,  avec 
exception  pour  les  seuls  malades,  n'était  pas  regardée  alors 
comme  une  mortification  extraordinaire;  elle  était  un  prin- 
cipe admis  par  tout  l'ordre  monastique,  où  l'on  n'avait 
point  encore  à  se  préoccuper  de  l'état  des  santés,  devenu 
depuis  si  généralement  précaire,  ni  du  surmenage  si  fré- 
quent de  nos  jours. 

Quant  au  travail  manuel,  saint  Benoît  l'avait  imposé  à 
ses  moines,  aussi  bien  pour  remplir  les  intervalles  laissés 
libres  par  l'office  divin  et  la  méditation,  que  pour  a  subve- 
nir, le  cas  échéant,  aux  nécessités  ou  à  la  pauvreté  »  du 
monastère.  Selon  lui,  a  les  frères  doivent  se  regarder 
comme  étant  vraiment  moines,  s'ils  vivent  du  travail  de 
leurs  mains  à  l'exemple  des  Pères  (du  désert)  et  des  Apô- 


—  324  — 

très  »  {S.  Ilegnla,  cap.  40,  passim.),  La  mesure  suivant  la- 
quelle le  travail  manuel  devait  trouver  place  dans  le  cadre 
de  la  vie  bénédictine  dépendait  de  Tabbé,  qui,  cependant, 
devait  veiller  à  ce  que  les  moines  peu  accoutumés  à  ce 
genre  d'occupations,  ou  trop  faibles,  ne  fussent  pas  effrayés 
par  Ses  exigences.  Chacun  sait  les  controverses  suscitées, 
au  xviii^'  siècle,  entre  Mabillon  et  Tabbé  de  Rancéà  cesujet. 
Ce  que  les  assertions  de  ce  dernier  avaient  d'excessif  res- 
sort suffisamment  de  l'histoire  monastique  bénédictine, 
où  Ton  trouve  parallèlement  ou  successivement  retracé  le 
travail  du  moine  «défricheur»,  du  moine  «  écrivain  »,  du 
moine  «  apôtre  »,  du  moine  «  architecte»,  du  moine  «  ar- 
tiste »,  selon  que  la  société  civile  et  l'Eglise  le  demandaient. 
Faire  uniquement  du  moine  bénédictin  l'homme  de  la- 
bour, c'est  lui  enlever  un  de  ses  plus  puissants  moyens 
d'action  bienfaisante.  Tous  les  réformateurs  l'ont  parfaite- 
ment compris  et,  aussi  bien  à  Bursfeld  qu'à  Valladolid, 
chez  les  Exempts  qu'au  Mont  Cassin,  le  travail  manuel 
avait  sa  part,  mais  une  part  restreinte,  et  le  travail  intel- 
lectuel avait  pris  l'importance  principale  dans  la  vie  mo- 
nastique. Dom  Didier  de  la  Cour  n'avait  pas  l'ombre  de 
doute  sur  ce  qu'il  devait  choisir:  comment  du  reste  la 
situation  des  abbayes  à  réformer  se  serait-elle  prêtée  à  une 
autre  organisation  ?  Situées  pour  la  plupart  dans  des  villes, 
elles  auraient  fourni  peu  de  matière  à  l'activité  monasti- 
que. L'exemple  de  Saint-Vannes,  où  l'absence  d'occupa- 
tions intellectuelles  avait  laissé  les  religieux  tomber  dans 
une  oisiveté  périlleuse  et  indigne  de  leur  état,  l'avait  trop 
convaincu  du  besoin,  pourses  jeunes  novices,  d'une  forma- 
tion sérieuse  de  l'inlelligence.  Et  il  ne  négligea  rien  pour 
les  mettre  à  hauteur  de  leur  futur  ministère;  pour  lui,  «un 
bénédictin  ignorant  était  une  espèce  de  monstre  »  et  sou- 
vent, dans  sa  vie,  on  Tentendait  souhaiter  «  que  la  Congré- 
gation fiU  tenue  indispensablement  de  servir  le  public 
quant  à  l'enseignement  dans  les  Collèges  et  au  ministère 


—  325  — 

de  la  chaire,  afin  que  les  réformés  fussent  forcés  par  là 
de  mieux  étudier  et  de  donner  Tessorà  leurs  talents  (1).  » 

Le  règlement  qu'il  composa  pour  ses  disciples,  parta- 
geait le  temps  libre  entre  les  offices  liturgiques,  et  le  consa- 
crait soit  à  rétude  de  la  Règle,  de  TÉcriture  Sainte,  du 
chant  et  de  la  liturgie,  soit  aux  divers  travaux  intérieurs 
du  cloître.  Les  récréalionselies-mêmes  se  passaient  en  entre- 
tiens sérieux,  de  sorte  qu'aucun  instant  n'était  sacrifié  à 
la  volonté  propre  ou  à  l'oisiveté. 

L'année  s'avançait  sans  que  rien  semblât  devoir  la  trou- 
bler, lorsque  tout  à  coup  Dom  Didier  tomba  gravement 
malade  :  son  invincible  fidélité  aux  observances  de  la 
Règle,  dont  seule  la  volonté  de  l'abbé-évôque  put  l'obli- 
ger à  se  dispenser  en  quelques  points,  l'empêcha  de  se 
remettre  aussi  vite  et  aussi  complètement  qu'avec  des 
soins  assidus.  Ses  disciples  ne  purent  se  préserver  de 
toute  tentation  de  découragement  :  stimulés  et  peut-être 
intimidés  par  les  exemples  de  leur  supérieur,  ils  n'osèrent 
pourtant  l'avouer,  et  continuèrent  vaillamment  à  souffrir 
avec  patience  les  épreuves  et  les  incertitudes  qui  se  mul- 
tipliaient chaque  jour. 

Vers  le  mois  de  juin,  alors  que  Dom  Didier  se  trouvait 
presque  rétabli  de  sa  maladie,  la  venue  d'un  nouveau 
novice  rendit  espérance  à  tous.  Son  âge,  sa  science  et  sa 
profonde  humilité  devaient  être  pour  ses  jeunes  confrères 
un  secours  et  un  encouragement  bien  opportuns.  Après 
avoir  rempli,  pendant  de  longues  années,  la  charge  de 
prieur  dans  l'abbaye  de  Saint-Airy  de  Verdun,  Dom 
Biaise  Waltier  avait  pris  la  résolution  d'embrasser  la  ré- 
forme. Son  arrivée  à  Saint-Vannes  soulagea  beaucoup  Dom 
Didier,  qu'il  aida  dans  la  formation  des  jeunes  novices 
pour  l'étude  du  chant  et  des  cérémonies  ;  il  se  chargea 
également  de  chanter  chaque  jour  la  messe  conventuelle 
pour  les  nouveaux  venus. 

(1)  Cf.  Haudiquer,  op.  cit.,  p.  194  et  195. 


-  326  — 

Presque  en  môme  temps,  le  prieur,  cédant  aux  instances 
réitérées  d'un  oblat  du  monastère  qui,  à  peine  âgé  de 
quinze  ans,  demandait  de  prendre  place  parmi  les  novices, 
lui  donna  Thabit.  Trop  faible  pour  supporter  l'obser- 
vance des  réformés,  Jacques  Somnin  dut  interrompre 
l'essai  et  le  réserver  à  plus  tard. 

Au  courant  de  cette  année  1599,  l'abbaye  de  Saint- 
Vannes  perdit  deux  des  prieurés  qui  dépendaient  d'elle  : 
celui  de  Mont-Saint-Martin,  auprès  de  Longwy,  et  celui  de 
Chaudefontaine  :  là  manière  dont  ils  lui  furent  enlevés 
peina  beaucoup  le  pieux  prieur,  qui  n'avait  jusqu'alors 
manifesté  que  de  la  confiance  aux  auteurs  ou  instigateurs 
de  cet  acte.  Nous  laisserons  parler  D.  Haudiquer,  plus 
explicite  que  D.  Rolletdans  son  récit  :  «  Les  Jésuites  de 
Verdun  voulant  faire  unir  à  leur  collège  le  Prieuré  de 
Saint-xMartiu  près  de  Longwi,  au  diocèse  de  Trêves, 
dépendant  de  l'abbaye  de  Saint-Vannes,  demandèrent, 
outre  le  consentement  de  TÉvèque-Abbé,  celui  des  Reli- 
gieux de  la  Communauté.  Ceux-ci  l'accordèrent  gra 
cieusement,  à  condition  que  les  Jésuites  donneraient  tous 
les  ans  une  redevance  consistant  en  un  franc  barrois. 
C'était  assurément  peu  de  chose  sur  la  totalité  d'un 
assez  bon  bénéfice.  Mais,  dans  les  Bulles  d'union  qu'un 
Notaire  Apostolique  vint  signifier  à  la  communauté  assem- 
blée en  Chapitre,  on  ne  trouva  pas  la  moindre  trace  de 
redevance.  On  se  récria  en  vain...  Les  Jésuites  répondi- 
rent nettement  qu'ils  voulaient  que  leurs  bénéfices  fus- 
sent absolument  affranchis  de  toute  servitude.  »  [Op,  cit., 
p.  169-170.) 

«  La  seconde  affaire  tira  beaucoup  plus  à  conséquence 
pour  la  maison  de  Saint  Vannes.  Il  y  avait  plus  de  80  ans 
que  le  riche  prieuré  de  Chaudefontaine,  près  de  Sainte- 
Menehould,  était  entre  les  mains  des  séculiers  et  même 
des  Huguenots.  Il  vint  enfin  à  vaquer,  après  une  aussi 
longue  aliénation,  et  l'Évêque-Abbé  de  S.-Vannes,  qui  en 


-  327  — 

était  collateur,  le  donna  à  Dom  Didier  de  la  Cour  en 
faveur  de  la  réforme.  Il  y  eut  un  compétiteur  avec  lequel 
on  s'accommoda  aisément.  Le  sieur  Hénard,  archidiacre 
de  Verdun,  qui  avait  envie  d'entrer  chez  les  Jésuites,  et 
qui  n*y  voulait  paraître  qu'avantageusement,  importuna 
tant,  de  concert  avec  eux,  le  prince-évéque,  que  ce  prélat 
demanda  le  Prieuré  au  nouveau  titulaire,  et  cela  sur  de 
faibles  raisons.  Dom  Didier  sentit  toute  l'indignité  de  la 
manœuvre  et  n'eut  garde  d'abord  de  s'y  prêter.  Mais 
les  intéressés  revinrent  si  souvent  à  la  charge,  ils  repro- 
chèrent tant  les  services  rendus  par  l'évéque  à  la  réfor- 
me, sans  oublier  ceux  qu'il  pouvait  encore  lui  rendre, 
que  le  P.  Prieur,  qui  avait  autant  en  horreur  la  cupidité 
que  les  tracasseries,  prit  le  parti,  pour  la  décharge  de 
sa  conscience,  d'assembler  la  Communauté.  L'affaire  mise 
en  délibération,  il  fut  résolu  qu'on  sacrifierait  le  Prieuré 
au  bien  de  la  réforme...  et  peu  après,  conformément  au 
projet  des  Jésuites,  on  l'annexa  à  leur  Collège  de  Reims  » 
{Ibid.)  (1). 

(i)  Après  rimpression  du  tome  IV  des  Chroniques  de  TOrdre  de 
saint  Benoit  par  D.  Réthelois  en  1648,  dans  lesquelles  sont  rapportées  ces 
désunions  de  prieurés,  les  Jésuites  se  plaignirent  que  l'auteur  eût 
donné  d'eux  l'idée  de  gens  qui  cherchent  à  s'emparer  des  prieurés 
bénédictins. 

Ils  firent  même  une  réclamation  au  Chapitre  général  de  1()65.  Le 
Chapitre  général  répondit  au  R.  P.  Cordlcr,  Provincial,  qu'il  n'avait 
pas  été  du  tout,  dans  l'intention  de  l'auteur  des  Chroniques,  de  blesser 
les  Religieux  de  la  Compagnie.  Il  renouvela  la  défense  faite  en  1649  ii 
D.  Réthelois  d'imprimer  un  nouveau  tome  sans  la  permission  du  Pré- 
sident de  la  Congrégation  ou  de  ses  Supérieurs. 

D.  Calmet,  Bibl,  larr.,  art.  Réthelois. 


CHAPITRE  IV. 

Profession  des  premiers  rcli^îlcux  de  la  réforme  le  30  janvier  1600.  — 
Quelques  hésitants  se  laissent  toucher  parla  grAce.  —  La  vie  austère 
des  nouveaux  moines.  —  Dom  Didier  de  la  Cour  tombe  malade.  11 
veut  se  démettre  de  sa  charge.  —  Intervention  de  l'évéque-abbé.  — 
Nouvelles  professions  :  Pierre  Rozet.  —  Retour  de  Dom  Claude 
François.  —  Des  moines  françiiis  viennent  embrasser  la  réforme  à 
Saint-Vannes. 

L*année  canonique  louchait  à  sa  fin,  et  la  date  de  la  pro 
fession  solennelle  avançait  rapidement  ;  Didier  de  la  Cour, 
ignorant  les  craintes  qui  couvaient  dans  l'àme  de  ses  disci- 
ples, rendait  déjà  grâces  à  Dieu  de  la  moisson,  humble 
sans  doute,  mais  bien  mûre,  qu'il  allait  pouvoir  recueillir. 
Il  n'avait  rien  ménagé  pour  la  mettre  à  Fabri  de  toutes  les 
tempêtes  intérieures  et  extérieures  qui  ne  discontinuaient 
pas  à  Saint- Vannes  ;  malheureusement  l'intimidation  avait 
peu  à  peu  fait  son  œuvre. 

Outre  les  quatre  novices  nommés  et  Dom  Waltier,  deux 
religieux  anciens  avaient  appuyé  et  promis  de  partager 
l'œuvre  :  Dom  Claude  François  et  Dom  Philippe  Lambinet. 
Celui  ci  n'eut  pas  le  courage  d'aller  jusqu'au  terme  de 
l'épreuve  et  reprit  rang  parmi  les  anciens.  Dom  François 
couvrit  sa  retraite  momentanée  par  un  voyagea  Rome  :  il 
voulait  y  gagner  les  indulgences  du  Jubilé  et  aussi  peut- 
être  attendre  là  ce  qui  adviendrait  de  l'œuvre  de  Didier. 
Celui-ci  fut  profondément  affligé  de  son  départ,  et,  quoi- 
qu'il ne  doutât  point  de  le  voir  revenir  près  de  lui  et  eni-. 
brasser  la  réforme,  la  privation  qu'il  ressentit  à  cette 
occasion,  de  son  meilleur  ami  et  de  son  plus  fidèle  appui, 
lut  plus  pénible  à  son  àme  que  toute  autre  difficulté. 

La  date  de  la  profession  qui  devait  avoir  lieu  le  20  jan- 
vier 1600,  fut  remise  au  30,  à  cause  d'un  voyage  entrepris 
par  le  prince  Erric.  Quelques  jours  auparavant,  Didier  de 


—  329  — 

la  Cour  proposa  à  ses  novices  une  formule  de  serment 
par  laquelle  chacun  s'engageait  «  à  ne  recevoir  jamais  dans 
la  Congrégation  aucun  religieux  qui  ne  fût  disposé  à  en 
garder  exactement  les  statuts,  tels  qu'ils  avaient  été 
observés  pendant  Tannée  du  noviciat,  et  à  ne  choisir 
aucun  Supérieur  qui  ne  fût  zélé  et  affectionné  pour  la 
réforme  ». 

Agréée  par  les  novices,-  la  formule  fut  ratifiée  par  le 
prince-évôque.  Enfin  le  30  janvier  arriva.  Didier  de  la 
Cour,  pour  marquer  l'importance  de  ce  jour,  duquel  date 
vraiment  l'établissement  de  la  réforme,  avait  invité  à  la 
cérémonie  de  la  profession  les  abbés  voisins  et  une  grande 
partie  des  chanoines  et  officiers  ecclésiastiques,  ainsi  que 
des  personnes  notables  de  la  ville. 

Uniquement  préoccupé  de  la  grande  action  qui  allait 
s'accomplir,  le  prieur  de  Saint- Vannes  ne  se  doutait  pas  que 
ses  espérances  étaient  sur  le  point  de  s'évanouir.  Trois  de 
ses  novices,  parmi  lesquels  Dom  Waltier,  avaient  cédé  au 
découragement,  et  si,  par  timidité  ou  par  crainte  de  peiner 
leur  maître,  ils  ne  lui  avaient  pas  découvert  leur  dessein, 
ils  n'en  étaient  pas  moins  résolus  à  quitter  l'abbaye  le 
jour  môme  de  la  profession.  L'abbé  de  Saint- Airy  devait 
reprendre  son  prieur  ;  les  autres  avaient  fait  venir  leurs 
parents  et  se  proposaient  de  partir  avec  eux.  Dieu  les 
arrêta  :  au  moment  où  ils  allaient  sortir,  l'évéque  arriva 
en  grande  pompe  avec  tout  son  cortège.  Il  n'était  plus 
temps  pour  eux  d'échapper  à  la  cérémonie  ;  changeant 
tout  à  coup  de  résolution,  ils  virent  dans  cet  événement 
inattendu  un  signe  providentiel,  et  se  rendirent  à  l'église 
pour  accomplir,  cette  fois  sans  regret,  leur  sacrifice.  Seul, 
D.  Philippe  Lambinet  resta  en  arrière,  pour  peu  de  temps, 
il  est  vrai. 

La  profession  monastique  a  toujours  eu  un  caractère 
spécial  de  solennité,  et  saint  Benoît  s'est  inspiré,  pour 
celle  de  ses  fils,  des  anciennes  traditions  du  monachisme 

22 


—  330  — 

oriental.  Regardée  à  la  fois  comme  uoe  sorte  de  second 
baptême  et  comme  un  contrat  indestructible,  elle  avait  été, 
dès  son  origine,  accompagnée  de  rites  qui  en  relevaient  la 
dignité  et  en  traduisaient  la  signification. 

Bien  des  Ordres  religieux  ou  des  Congrégations  ont 
emprunté  une  partie  de  ces  rites,  et  plus  tard  l'Eglise,  en 
les  approuvant,  leur  a  conféré  la  môme  force  et  la  même 
valeur  officielle  que  pour  TOrdre  monastique  ;  mais  il 
reste  à  celui-ci  un  symbole  particulier  :  celui  d'une 
consécration  complète  du  .«  moine  »  au  service  divin 
liturgique.  Et  voilà  pourquoi  la  cérémonie  de  la 
profession  monastique  se  faisait,  et  doit  se  faire  encore, 
pendant  la  Messe,  afin  que  le  novice  bénédictin  qui  émet 
ses  vœux  sache  qu'il  les  émet  spécialement  pour  être 
((  rhomme  de  la  liturgie  ». 

A  Saint  Vannes,  on  avait  conservé  la  tradition  intacte  sur 
ce  point;  la  profession  des  nouveaux  réformés  se  fit,  selon 
la  règle,  à  l'Offertoire  de  la  messe  solennelle,  célébrée  ce 
jour- là  par  Dom  Didier  de  la  Cour. 

Après  l'Évangile  el  le  sermon,  le  pieux  prieur  alla  dépo- 
ser sa  chasuble  et  l'évêque-abbé,  assis  devant  l'autel,  reçut 
sa  profession.  Puis,  laissant  son  trône  à  Dom  Didier,  il 
assista  à  son  tour  à  la  profession  que  Dom  Waltier  (1)  et 
les  autres  novices  firent  entre  les  mains  de  leur  prieur,  à 
la  grande  édification  et  joie  de  tous  ceux  qui  étaient  pré- 
sents. La  réforme  était  dès  lors  un  fait  accompli  et,  à  partir 
de  ce  jour,  30  janvier  1600,  elle  ne  devait  plus  enregistrer 
que  des  succès  toujours  croissants. 

Dom  Philippe  Lambinet,  ému  de  ce  qu'il  venait  de  voir, 
supplia  le  prieur  de  Saint-Vannes  de  recevoir  sa  profession. 
Dom  Didier  de  la  Cour  ne  voulut  point  accéder  trop  vite 
aux  désirs  de  ce  Religieux,  dont  il  craignait  les  indécisions 

(1)  Dom  Biaise  Waltier  n'avait  que  six  mois  de  noviciat;  l'évoque 
le  dispensa  du  resle  et  l'admit  h  prononcer  ses  vœux  avec  les  autres 
novices  (Haudiquer,  op.  cit.,  p.  452). 


-  331  - 

et  le  peu  de  ténacité  dans  la  volonté.  Il  lui  imposa  un 
retard  de  quelques  jours,  et  enQn,  le  3  février,  lui  permit 
de  renouveler,  en  particulier,  ses  vœux  selon  la  ré- 
forme (1). 

Le  prince  Erric  songea  aussitôt  à  établir  pour  les  Reli- 
gieux anciens  une  manière  de  vivre  qui  les  empochât  de 
nuire  à  Taccroissement  de  la  petite  et  fervente  commu- 
nauté. 

Ne  pouvant  demander  et  espérer  beaucoup  de  leur  fai- 
blesse, il  dressa  seulement  neuf  règlements,  dont  les  sui- 
vants étaient  les  principaux  : 

Il  était  permis  aux  non-réformés  de  demeurer  dans  la 
grande  cour  du  monastère,  réservant  Tintérieur  du  cloître 
aux  réformés. 

Ils  ne  pouvaient  sortir  de  cette  cour  sans  une  permission 
spéciale  du  prieur  claustral. 

Défense  leur  était  faite,  sous  peine  de  prison,  de  fré- 
quenter les  cabarets  et  d'introduire  dans  leurs  cellules 
aucune  personne  du  sexe,  sous  aucun  prétexte. 

Ils  devaient  assister  à  roffîce  divin,  et  se  confesser  tous 
les  huit  jours. 

Sauf  en  ce  qui  concernait  les  affaires  communes  et  tem- 
porelles du  monastère,  ils  n'avaient  pas  voix  au  chapitre  et 
ne  pouvaient  prendre  part  aux  délibérations  concernant 
la  réforme,  ni  prétendre  à  aucune  autorité  sur  les  réfor- 
més. 

Le  prince  s'occupa  également  de  la  situation  matérielle 
des  nouveaux  profès,  auxquels  il  assigna  quelques  fonds 
pour  leur  vêtement  et  leur  nourriture.  Enfin,  il  fit  quel- 
ques statuts  sur  les  réparations  nécessaires  dans  les  lieux 
réguliers  de  l'abbaye. 

(1)  D.  Philippe  Lambinet  ne  fut  pas  sans  raison  retardé  pour  sa  pro- 
fession. Didier  de  la  Cour  vit  ses  craintes  malheureusement  justifiées 
à  quelque  temps  de  là.  D.  Philippe  fit  déclarer  sa  profession  nulle  et 
se  retira  du  monastère  (Haudiquer,  op.  cit. y  p.  153). 


—  332  — 

La  cérémonie  qui  venait  de  s'accomplir  avait  dissipé 
bien  des  préjugés  répandus  dans  la  ville  de  Verdun  contre 
la  réforme  ;  la  vie  de  ceux  qui  l'avaient  embrassée  devait 
bientôt  elle-même,  en  s'imposant  par  son  exemplaire  aus- 
térité et  sa  constante  ferveur,  vaincre  les  derniers  assauts 
de  l'opposition.  Les  anciens  moines  ne  pouvaient  long- 
temps supporter  avec  indifférence  la  vue  de  leurs  confrères 
uniquement  occupés  à  prier  et  à  travailler;  ils  ne  pouvaient 
non  plus  partager  leur  observance,  dont  chaque  détail 
contrariait  leurs  habitudes,  ni  même  s'accoutumer  à  la 
vie  digne,  mais  relativement  facile,  que  leur  imposait 
l'abbé. 

Nous  les  avons  vus  déjà  quitter  d'eux-mêmes  le  réfec- 
toire ;  ils  ne  tardèrent  pas  à  se  désintéresser  des  affaires 
traitées  en  chapitre  et  à  déserter  celui-ci  ;  comme  si  cela 
ne  suffisait  pas  encore  pour  apaiser  leurs  mécontente- 
ments ou  calmer  leurs  remords,  après  avoir  également 
quitté  le  dortoir  commun,  ils  allèrent  pour  la  plupart 
rejoindre  les  Religieux  que  le  prince  Erric  avait  envoyés  à 
Moyenmoutier.  Ils  n'y  furent  pas  longtemps  à  l'abri  de  la 
réforme. 

Leur  départ  servait  à  merveille  les  vœux  et  les  intérêts 
de  Dom  Didier  de  la  Cour  et  de  ses  disciples  :  eux  présents, 
il  fallait  accepter  aussi  les  services  des  domestiques  atta- 
chés à  leurs  personnes  ;  après  leur  éloignement,  il  devenait 
facile  de  congédier  ceux-ci.  Le  prieur  le  fit,  accomplissant 
par  là  une  œuvre  favorable  à  la  réforme,  et  un  acte  de 
justice  envers  les  nouveaux  moines,  que  ces  serviteurs 
avaient  traités  d'une  manière  si  odieuse  depuis  leur  entrée 
à  l'abbaye. 

Nombre  de  points  des  Constitutions  cassiniennes  adop- 
tées par  les  réformés  étaient  restés  lettre  morte  jusqu'alors  : 
ils  furent  mis  en  vigueur,  et  Taspectdu  monastère  changea 
tout  à  coup,  provoquant  l'admiration  de  tous  ceux  qui  en 
approchaient. 


—  333  - 

Autrefois  toute  Tobservance  des  religieux  de  Saint- Van- 
nes se  résumait  dans  l'office  divin  décemment  récité,  et  le 
reste  de  leur  existence  s'écoulait  à  la  recherche  de  dis- 
tractions soit  au  dedans,  soit  au  dehors  du  monastère, 
sans  aucun  souci  de  la  clôture  ou  du  silence.  On  aimait  à 
voira  leur  place  les  nouveaux  venus,  non  moins  appliqués 
que  leurs  devanciers  à  la  célébration  de  la  liturgie,  consa- 
crer le  temps  laissé  libre  par  ce  devoir  primordial  à  des 
méditations  ou  à  l'étude  des  sciences  ecclésiastiques,  ou 
môme  à  des  travaux  manuels.  Plus  de  sorties  inutiles  ;  plus 
d'étrangers  admis  sans  raison  grave  dans  le  monastère  : 
le  cloître  avait  retrouvé  son  silence  par  la  cessation  des 
jeux  bruyants  qui,  jusqu'à  ce  jour,  l'avaient  troublé.  Quel- 
ques récréations,  passées  dans  des  entretiens  pieux,  étaient 
la  seule  distraction  de  ces  vrais  fils  de  saint  Benoît,  livrés 
tout  entiers  au  recueillement  et  à  la  vie  intérieure.  Leur 
règlement,  conforme  à  celui  du  Mont  Cassin,  ne  laissait 
rien  au  hasard,  et  il  nous  est  facile  de  reconstituer  Tune 
de  ces  journées  monastiques  telles  qu'elles  se  succédaient 
à  Saint-Vannes  après  la  réforme  (1). 

Éveillés  dès  deux  heures  du  matin  —  plus  tôt  même  aux 
jours  de  fôte  —  ils  se  rendaient  à  l'église  pour  y  chanter 
ou  réciter  les  Nocturnes  et  les  Laudes,  dont  la  durée  et  la 
solennité  dépendaient  de  la  fête.  Ils  retournaient  ensuite 
dans  leurs  cellules  pour  y  lire  ou  étudier  (2). 

(1)  Telle  fut  la  Journée  du  bénédictin  à  Saint- Vannes  dès  le  principe, 
toile  elle  fut  pendant  toute  la  durée  de  la  Congrégation,  à  part  les 
modifications  que  les  lieux  et  diverses  circonstances  durent  amener. 
Elle  se  trouvait  presque  réglée  comme  nécessairement  par  les  heures 
de  l'office  divin  qui  en  était  le  pivot.  Les  décrets  des  Chapitres  généraux 
signalent  les  changements  sanctionnés  et  nous  les  noterons  au  passage 
chaque  fois  que  l'occasion  s'en  présentera  et  qu'ils  pourront  être  de 
quelque  intérêt  pour  l'histoire  de  la  Congrégation.  Sans  y  attacher 
une  importance  excessive,  on  doit  les  observer,  parce  qu'ils  révèlent 
souvent  la  physionomie  d'une  époque  monastique  ou  l'état  et  les 
besoins  d'une  abbaye  en  particulier.  C'est  ainsi  que  les  maisons  où  plus 
tard  on  établit  les  centres  d'étude  pour  les  jeunes  religieux,  durent 
accommoder  l'horaire  ou  l'observance  aux  travaux  qui  s'y  faisaient. 

(2)  Dans  le  principe,  les  moines  de  la  Congrégation  do  Saint- Vannes 


—  334  — 

Un  peu  avant  cinq  heures  et  demie,  ils  se  trouvaient 
réunis  de  nouveau  à  l'église  pour  y  satisfaire  leurs  dévo- 
tions privées  et  s'y  livrer  à  la  méditation.  A  six  heures  on 
récitait  Prime,  que  Ton  achevait  au  Chapitre;  immédiate- 
ment après,  venait  le  Chapitre  des  coulpes  (1),  où  chacun 
s'accusait  des  manquements  extérieurs  commis  la  veille 
contre  la  règle.  On  distribuait  ensuite  le  travail  de  la  jour- 
née et  l'on  récitait  Tierce. 

Selon  que  c'était  jour  de  jeûne  ou  non,  Sexte,  None  et  la 
Messe  conventuelle  se  célébraient  à  11  heures  ou  à 
10  heures,  et  précédaient  toujours  le  seul  repas  de  la  jour- 
née. A  table,  jamais  la  viande  n'apparaissait  et  jamais  on 
ne  parlait. 

Le  repas  était  suivi  d'une  récréation  commune  de 
trois  quarts  d'heure,  après  laquelle  chacun  retournait  au 
travail  ;  c'était  généralement  à  ce  moment  qu'on  se  livrait 
au  travail  manuel,  jusqu'au  premier  son  des  Vêpres.  A 
trois  heures  et  demie,  celles-ci  étaient  chantées,  puis  on 
rentrait  en  cellule  jusqu'à  l'heure  de  la  collation,  c'est-à 
dire  cinq  heures  les  jours  ordinaires,  cinq  heures  et  demie 
les  jours  de  jeûne  régulier,  ou  jusqu'à  Compiles,  qui  se 
disaient  toujours  à  six  heures  et  demie,  et  précédaient  la 
collation  aux  jours  de  jeûne  ecclésiastique.  A  partir  de 
Compiles,  régnait  le  silence  rigoureux,  et  à  sept  heures 
trois  quarts,  tout  le  monastère  devait  être  dans  le  repos  : 
les  portes  en  étaient  rigoureusement  fermées  et  les  clés 
déposées  chez  le  supérieur. 

Le  départ  des  serviteurs  laïques  avait  augmenté  les  tra- 
vaux matériels  des  Pères  de  Saint  Vannes  :  aucun  novice 
convers  ne  s'était  présenté  jusqu'alors  ;  chacun  se  soumit 

ne  se  couchaient  pas  après  les  Laudes,  mais  le  Cliapitre  de  1621  décida 
que  cela  était  permis  :  «  Dictiini  usum  licttum  declaramus  ». 

(Il  Pendant  les  50  premières  années,  le  Chapitre  des  coulpes  se 
Unt  tous  les  jours  (cf.  les  éditions  des  constitutions  de  1610,  1625,  1640), 
mais  à  partir  de  1674,  nous  le  voyons  prescrit  deux  fois  la  semaine 
seulement. 


-  335  — 

de  bon  cœur  à  la  nécessité  de  pourvoir  aux  offices  laissés 
vides,  tant  pour  Tentretien  et  la  propreté  du  monastère, 
que  pour  la  cuisine  elle-même.  Ce  n'était  point  chose  nou- 
velle dans  rhistoire  religieuse  des  abbayes,  et  il  suffît  d'en 
parcourir  les  annales  pour  y  rencontrer  nombre  de  faits  de 
ce  genre  :  il  est  probable  que  les  moines  de  Saint- Vannes 
aimaient  à  se  les  rappeler  comme  encouragemeot  au  milieu 
de  leurs  fatigues,  et  comme  consolation  des  bévues  aux- 
quelles leur  inexpérience  les  exposait  nécessairement.  La 
providence  vint  bientôt  à  leur  secours,  en  leur  envoyant 
un  auxiliaire  précieux  dans  la  personne  du  premier  frère 
convers  de  la  réforme,  Simon  Gouthier,  aussi  pieux 
qu*habile  dans  tout  ce  qui  regardait  le  service  intérieur  de 
Tabbaye  ,1). 

Les  novices  arrivaient  également  pour  le  chœur  :  le  21 
mars  1600,  le  frère  Nicolas  Fabius  prononçait  ses  vœux 
solennels  ;  le  11  juillet,  c'était  le  tour  du  frère  François 
Séguret. 

Dom  Didier  de  la  Cour  voyant  son  noviciat  augmenter, 
et  prévoyant  de  nouvelles  vocations,  crut  le  moment  venu 
de  séparer  et  les  novices  et  les  jeunes  profès  des  religieux 
plus  anciens,  afin  de  donner  aux  premiers  une  formation 
plus  complète  et  plus  conforme  aux  idées  de  la  réforme. 
Les  règles  canoniques,  aussi  bien  que  les  Constitutions 
cassiniennes,  le  demandaient,  et  les  occupations  du  prieur 
Tengagaient  à  se  décharger  de  la  délicate  et  importante 
mission  de  maître  des  novices,  sur  un  autre  qui  pût  s'y 
employer  uniquement.  Parmi  ses  disciples  il  avait  de 
bonne  heure  distingué  D.  Hubert  Rollet  :  celui-ci  avait  à 
peine  22  ans  à  ce  moment.  Dom  Didier  de  la  Cour  lui 
confia  cette  charge  en  la  fête  Je  l'Assomption  de  Notre 

(i)  «  Nonobstant  ses  occupations  continuelles,  le  frère  Simon  Gou- 
thier assistait  avec  tant  d'édification  aux  exercices  spirituels,  qu'il  y 
aurait  beaucoup  à  dire  de  sa  ferveur  et  de  ses  autres  vertus  ».  ifEPEZ, 
Chroniques,  t.  IV,  ch.  VIU,  par.  25. 


—  336  — 

Dame,  et,  quelques  jours  après,  le  nouveau  mattre  pouvait 
déjà  présentera  son  prieur  un  nouveau  profès:  D.  Bernard 
Loterlot. 

Fidèle  à  son  programme,  le  réformateur  reprit,  point  par 
point,  les  diverses  constitutions  dont  il  avait  la  garde,  afin 
d'en  préciser  la  portée  et  d'en  rendre  plus  facile  et  plus 
pratique  l'observance  :  jusqu'alors  l'idée  d'une  congrégation 
ne  s'était  pas  encore  dessinée;  il  s'appliquait  à  tout  ce  qui 
pouvait  affirmer  son  œuvre  à  Saint-Vannes.  Commençant 
par  l'office  divin,  il  insista  sur  la  grandeur  de  ce  devoir, 
ne  dédaignant  pas  lui-môme  d'en  remplir  les  plus  humbles 
fonctions,  pour  en  inspirer  un  profond  sentiment  de  respect 
aux  jeunes  religieux.  On  avait,  par  un  zèle  malentendu, 
tenté  de  lui  faire  abandonner  ce  qui  paraissait  trop  exté- 
rieur, comme  le  chant  :  il  n'avait  pas  prêté  l'oreille  à  ces 
conseils  qui  eussent  «  dénaturé  l'esprit  bénédictin)).  Au 
lieu  de  rien  enlever  à  ce  qu'il  avait  trouvé  de  digne  et  de 
solennel  dans  la  liturgie  de  Saint- Vannes,  il  chercha  à  la 
rendre  plus  accessible  au  peuple,  en  la  rendant  plus  agréa- 
ble; il  ne  craignit  pas  d'entreprendre,  en  compagnie  de  son 
maître  des  novices,  le  voyage  de  la  chartreuse  du  Mont- 
Dieu  (1),  afin  d'y  recueillir  des  principes  pour  la  psalmodie 
et  le  plain  chant.  Il  en  revint  tout  pénétré  d'un  nouveau 
zèle,  non  seulemient  en  ce  qui  concernait  la  liturgie,  mais 
aussi  sur  plusieurs  points  de  gouvernement,  que  les  Char- 
treux lui  avaient  enseignés  (2).  Pour  mieux  se  les  assimi- 

(1)  Cette  chartreuse,  située  sur  la  rivière  de  Bar  entre  l'Aisne  et  la 
Meuse,  à  quatre  lieues  de  Sedan,  fut  fondée  en  1430  ou  1134  par  Eudes, 

abbé  de  S. -Rémi  de  Reims,  du  consentement  de  l'archevêque  Raynaud,  i 

qui  contribua  à  cet  établissement,  avec  plusieurs  autres  personnes... 
S.  Bernard  allait  de  temps  à  autre  chercher  dans  cette  chartreuse  une  j 

retraite  plus  solitaire.  On  y  conservait  avec  soin  sa  chambre. 
Haudiqi'Er,  op.  cit.,  2«  partie,  p.  252,  note  7. 

(2)  D.  Haudiquer  nous  donne  quelques  détails  intéressants  sur  ce 
voyage  de  D.  Didier  de  la  Cour  et  de  son  compagnon.  Les  Chartreux 
c  les  reçurent,  dit-il,  avec  beaucoup  d'honnêtetés.  On  leur  donna 
toutes  les   instructions  qu'ils  cherchaient  et  surtout  les  règles  pour 


—  337  - 

1er,  il  se  retira  pendant  quelques  jours  chez  les  Jésuites  de 
Verdun,  et  y  rédigea  tout  un  programme  de  nouvelles 
observances,  en  plus  de  celles  que  pratiquaient  déjà  ses 
disciples.  Heureusement  les  Jésuites  arrêtèrent  son  ar- 
deur, et  lui  persuadèrent  de  s'en  tenir  aux  constitutions 
adoptées,  et  d'en  exiger  seulement  de  plus  en  plus  l'exacte 
pratique.  Le  conseil  était  sage;  l'humble  réformateur  s'y 
soumit,  et  rentra  à  Saint- Vannes,  où  il  reprit  la  direction 
de  sa  fervente  communauté. 

La  Providence  lui  réservait  une  nouvelle  consolation 
dans  l'arrivée  au  noviciat  de  Tune  des  futures  colonnes  de 
la  réforme,  Dom  Pierre  Rozet,  vers  le  mois  d'octobre  1600. 
Le  nouveau  moine  avait  déjà  fait  sa  profession  dans  l'ordre 
de  Saint-Benoît,  et  était  prieurde  Notre-Dame  à  Nancy.  Au 
moment  où  il  était  question  d'unir  son  prieuré  à  la  Prima- 
liale  de  cette  ville,  D.  Rozet  entendit  parler  des  progrès 
que  faisait  chaque  jour  la  réforme  à  Saint- Vannes,  et  il  réso- 
lut de  s'y  rendre.  Il  y  était  devancé  par  la  réputation  d'un 
homme  versé  dans  le  maniement  des  affaires,  bon  théolo- 
gien, habile  canoniste  ;  son  extérieur  était  digne,  presque 
majestueux,  et  sa  conversation  douce  et  aisée.  Les  services 
qu'il  rendit  bientôt  à  la  congrégation,  justifièrent  l'accueil 
favorable  qu'il  y  reçut,  et  lui  obtinrent  de  renouveler  sa 
profession  le  21  mars  1601,  six  mois  seulement  après  son 
entrée  au  noviciat. 

De  bonnes  nouvelles,  pendant  ce  temps,  arrivaient  d'Italie, 
où  D.  Claude  François  terminait  son  pèlerinage  jubilaire. 
Lui  aussi,  réjoui  et  réconforté  par  les  progrès  quotidiens 

la  psalmodie  et  le  pla  in -chant.  Ces  règles  furent  adoptées  depuis 
chez  les  Vannistes  ».  Ils  donnèrent  également  à  Dom  Didier  de 
la  Cour  d'excellents  conseils  sur  le  gouvernement  à  établir  dans  sa 
congrégation,  insistant  particulièrement  sur  les  chapitres  généraux  et 
les  actes  de  visites,  qu'ils  regardaient  comme  des  moyens  puissants 
pour  maintenir  rétroitc  observance.  La  congrégation  de  Saint-Vannes 
ne  négligea  rien  dans  la  suite  pour  sauvegarder  ces  deux  points  impor- 
tants de  son  régime.  Uauoiquer,  op,  cit.,  p.  162  et  suiv. 


—  338  — 

de  Tœuvre  de  Dom  Didier  de  la  Cour,  avait  accepté,  en 
allaat  au  Mont-Cassin  prier  sur  le  tombeau  de  saint  Benoit, 
d'y  étudier  la  manière  de  vivre  des  religieux,  et  de  leur 
demander  des  éclaircissements  sur  la  pratique  de  leurs 
constitutions  récemment  adoptées  à  Saint- Vannes.  Rien  ne 
nous  empêche  de  croire  que  ce  fut  grâce  à  lui  que  Didier 
de  la  Cour  obtint  un  modèle  d'habit,  tel  que  le  portaient 
les  moines  cassiniens  et  que  ce  fut  alors,  et  non  comme 
d'aucuns  le  prétendent,  le  jour  de  la  profession,  que  les 
moines  de  Saint  Vannes  le  revêtirent.  Il  semble,  au  pre- 
mier abord,  que  ce  fait  n'ait  qu'une  importance  médiocre 
dans  l'histoire  de  la  nouvelle  congrégation.  Pourtant,  mal- 
gré son  autorité  et  malgré  l'adoplton  des  constitutions  du 
Mont-Cassin,  le  réformateur  n'avait  pas  osé  changer  l'habit 
en  usage  à  Saint- Vannes,  et  il  attendait  une  occasion  favo- 
rable, afin  de  mettre  pour  ainsi  dire  le  sceau  à  la  complète 
observance  des  nouveaux  règlements.  Il  le  fit  solennelle- 
Fnent  en  chapitre,  et  avec  lui  D.  Rollet,  et  bientôt  tous  leurs 
confrères  suivirent  leur  exemple  (1). 

Un  danger  qui  devait,  à  double  reprise,  provoquer 
le  réformateur  lui-même,  menaça,  vers  la  fin  de  l'année 
1600,  l'œuvre  si  heureusement  ébauchée.  Dom  Didier  de  la 
Cour  tomba  gravement  malade:  les  soucis  qui.  depuis  plu- 
sieurs années,  avaient  pesé  sur  lui,  et  les  austérités  inces 
santés  qu'aucune  fatigue  ne  pouvait  interrompre,  avaient 


,  (1)  Aussi  bien  que  sur  les  autres  articles  de  la  vie  monasUque,  le 
relâchement  s'était  peu  k  peu  introduit  à  Saint-Vannes  et  dans  d'autres 
monastères,  en  ce  qui  regardait  le  vêtement.  La  pauvreté  pour  les 
uns,  le  luxe  pour  les  autres,  ou  bien  également  la  recherche  du  plus 
commode,  avaient  introduit  toutes  sortes  d'abus  et  il  n'y  avait  de  règle 
fixe  que  pour  les  novices,  ainsi  que  nous  l'avons  dit.  Les  divers  règle- 
ments élaborés  au  cours  des  tentatives  de  réforme  portent  à  ce  sujet 
des  ordres  précis.  C'est  un  caractère  presque  général  à  toutes  les  épo- 
ques de  décadence,  que  celui  de  la  recherche  personnelle  ou  du  caprice 
dans  la  matière  ou  la  forme  des  vêtements  :  ce  qui  explique  suffisam- 
ment le  soin  des  réformateurs  à  préciser  ces  questions,  secondaires  en 
elles-mêmes. 


—  339  - 

eu  raison  de  la  forte  santé  du  prieur  ;  pour  la  deuxième 
fois,  ses  disciples  se  crurent  sur  le  point  de  le  perdre. 
Généreux  et  calme,  plus  occupé  de  consoler  ceux  qui 
rapprochaient,  et  de  les  rassurer  en  leur  parlant  de  la-con- 
fiance  que  le  passé  lui  donnait  pour  Tavenir  dans  la  pro- 
tection de  Dieu,  il  se  préparait  sans  trouble  à  la  mort. 
Mais,  cette  fois  encore,  lu-  seul  sacrifice  de  sa  bonne  volonté 
fut  agréé  de  Dieu,  et  Dom  Didier  guérit. 

Toutefois,  profitant  de  cette  occasion,  il  chercha  à  se 
démettre  de  sa  charge  de  prieur  :  en  changeant  d'objet, 
rinquiétude  n'en  demeura  pas  moins  vive  à  Saint- Vannes. 
Sans  doute,  le  Père  Rollet,  sur  lequel  il  pensait  se  déchar- 
ger de  son  office,  avait  la  confiance  et  la  sympathie  de  tous, 
mais  il  était  bien  jeune,  et  lui-môme,  à  qui  Dom  Didier,  au 
cours  de  leur  voyage  au  Mont-Dieu,  s'en  était  ouvert,  était 
effrayé  d'une  telle  responsabilité  et  refusait  de  s'y  sou- 
mettre. Le  prieur  était  inflexible  ;  on  le  menaça  de  l'auto- 
rité épiscopale  ;  il  se  crut  fort  contre  celle-ci,  parce  que, 
au  moment  de  son  élection,  l'évêque  lui  avait  promis  par 
écrit  de  le  décharger  de  la  supériorité,  aussitôt  que  la 
réforme  serait  établie  ;  il  cessa  même  tout  acte  d'autorité, 
montrant  à  qui  voulait  lui  parler  comme  prieur,  cette  pro- 
messe écrite  ou,  comme  il  l'appelait,  «  ses  patentes  de 
simple  religieux  ». 

Le  prince  Erric,  averti  de  ce  qui  se  passait,  vint  aussitôt 
à  l'abbaye,  sous  prétexte  d'y  faire  une  simple  visite.  Le 
grand-vicaire  qui  l'accompagnait  et  à  qui  il  avait  donné 
ses  instructions,  devait  chercher  à  convaincre  le  prieur,  et, 
s'il  n'y  réussissait  pas,  lui,  l'évêque  abbé,  se  réservait 
d'user  de  son  autorité  pour  le  forcer  à  garder  sa  charge. 
Les  paroles  menaçantes  du  grand  vicaire  firent  impression 
sur  le  réformateur  ;  il  s'inclina  devant  sa  volonté  et  reprit 
le  gouvernement  de  l'abbaye. 

L'évêque  de  Verdun  continuait  aux  moines  de  son 
abbaye  de  Saint -Vannes  sa  bienveillance  et  son  appui. 


—  340  - 

Souvent  il  venait  les  voir,  admirant  leur  vie  simple  et 
austère,  aimant  à  s'entretenir  avec  eux.  «  Son  intérêt  pour 
eux  alla  si  loin  qu'il  eut,  dit-on,  envie  de  désunir  de 
révêché  de  Verdun  la  meuse  abbatiale  de  Saint-Vannes, 
afin  que  les  réformés,  rentrant  par  là  dans  tous  les  biens 
qui  leur  avaient  été  donnés  par  les  fondateurs,  pussent 
entretenir  une  plus  nombreuse  communauté.  Des  per- 
sonnes influentes  le  détournèrent  de  ce  beau  projet,  et 
il  l'abandonna  (1).  )> 

Dom  Claude  François  ne  tarda  pas  à  rentrer  à  Saint- 
Vannes  ;  il  amenait  avec  lui  deux  religieux  de  l'abbaye  de 
Corbeil,  en  Normandie,  Dom  Jacques  Pichard,  manceau 
d'origine,  et  Dom  Pierre  du  Loir,  normand. 

Tous  deux  étaient  allés  à  Rome  pour  gagner  les  indul 
gences  de  l'année  sainte,  mais  aussi  dans  le  but  de  trouver 
un  monastère  auquel  ils  pussent  s'agréger.  Leur  abbaye 
n'était,  non  plus  que  celles  de  Lorraine,  un  foyer  d'obser- 
vance, et  ils  désiraient  travailler  sérieusement  à  leur  per 
faction  religieuse  dans  une  communauté  en  règle.  Avant  de 
passer  les  monts,  ils  avaient  bien  essayé  la  vie  des  Feuil- 
lants (2),  et  se  réservaient,  faute  de  mieux,  de  l'embrasser  à 
leur  retour.  Mais  quand,  à  Rome,  ils  se  furent  mis  en  rela- 
tion avec  Dom  François,  ils  résolurent  de  passer  avec  lui 
en  Lorraine,  pour  y  voir  cette  nouvelle  réforme  dont  ils 
apprenaient  le  succès  toujours  croissant. 

La  joie  fut  grande  à  Saint  Vannes  quand  les  trois  pèlerins 
y  arrivèrent  au  printemps  de  l'année  1601.  Dom  Didier  de  la 
Cour  était  particulièrement  heureux  du  retour  de  Dom  Fran- 


(1)  Dom  Haudiqubr,  op.  cit.yp.  167. 

(2)  La  réforme  dile  des  t  FcuillaDts  »  avait  été  entreprise  par  le 
Bienheureux  Jean  de  la  Barrière,  abbé  commendalaire  de  l'abbaye  de 
ce  nom,  en  Gascogne.  Malgré  bien  des  contradictions,  cette  réforme, 
commencée  vers  l'année  1580,  s'était  fortifiée,  et,  dès  1589,  Jean  de  la 
Barrière  était  venu,  avec  soixante  religieux,  prendre  possession  du 
monastère  fondé  par  Henri  III,  au  faubourg  Saint-Honoré  à  Paris.  Ce 
monastère  avait  pris  le  nom  de  l'abbaye  du  Languedoc. 


—  341  ~ 

çois.  Celui-ci,  né  en  1559  d'une  famille  parisienne  établie 
à  Verdun,  était  entré  comme  oblat  (1)  à  Vàge  de  10  ans  dans 
Tabbaye  de  Saint- Vannes,  un  peu  après  que  Dom  Didier  de 
la  Cour  y  avait  demandé  son  admission.  Lorsque  Didier  de 
la  Cour  fut  envoyé  à  Pont-à-Mousson  pour  y  continuer  ses 
éludes,  les  parents  du  jeune  Claude  obtinrent  du  prieur 
Dom  Anselin  de  lui  confier  leur  fils,  et  tous  deux  se  lièrent 
d'une  étroite  amitié.  La  peste  qui  obligea  Didier  à  se 
rendre  à  Reims  pendant  une  année,  éloigna  Claude  Fran- 
çois vers  Paris,  où  il  acheva  ses  études  et  eut  beaucoup  à 
souffrir  durant  le  siège  de  cette  ville  par  Henri  IV.  Rentré  à 
Saint- Vannes,  D.  Claude  François  y  fit  profession  le  21  mars 
1589,  alors  que  Dom  Didier  terminait  son  séjour  à  Rome, 
et  se  préparait  à  regagner  la  Lorraine.  Pendant  les  années 
qui  suivirent,  Dom  Claude  François,  chargé  de  la  procure 
ou  mieux  de  la  «  cellérerie  m  du  monastère,  fut  un  cons- 
tant et  fidèle  auxiliaire  du  prince  Erric  dans  ses  essais  de 
réforme.  L'inutilité  de  ces  efforts  le  découragea  ;  c'est  alors 
qu'il  demanda  à  se  rendre  à  Rome,  à  l'occasion  de  l'année 
sainte  1600. 

Ses  deux  compagnons  séjournèrent  quelque  temps  à 
Saint-Vannes,  et  demandèrent  d'y  être  admis  en  qualité  de 
novices,  non  cependant  sans  exprimer  le  désir  de  faire 
auparavant  un  voyage  à  Paris,  en  vue  d'y  terminer  quel- 
ques affaires.  L'entrée  du  noviciat  leur  fui,  après  quelques 
objections  de  la  part  du  prieur,  assurée  en  môme  temps 
que  la  permission  de  s'absenter,  et  ils  se  rendirent  à  la 
capitale.  L'austérité  qui  régnait  à  Verdun,  les  difficultés 
qu'ils  avaient  rencontrées  chez  Dom  Didier  au  sujet  de 
leur  admission  (2),  et  surtout  les  doutes  répandus  à  Paris 

(1)  Quoique  primitivement  le  titre  d'  n  oblat  »  entrainât  pour  l'en- 
fant l'obligation  de  se  consacrer  au  service  du  monastère  auquel  ses 
parents  l'avaient  offert,  il  fallait,  à  l'époque  où  nous  sommes,  que  ce 
titre  fût  ratifié  spontanément  et  librement  par  l'enfant  devenu  adulte, 
qui  faisait  ainsi  une  véritable  profession. 

(2)  Dom  Haudiquer,  qui  fait  ressortir  dans  un  autre  passage  de  son 


—  342  — 

sur  la  durée  de  la  réforme,  les  découragèrent  dans  leur 
projet  et^  sans  rien  dire,  ils  entrèrent  chez  les  Feuillants. 
C'est  là  q ue  Dom  Claude  François,  envoyé  par  le  prieur  Erric 
en  Bretagne  pour  y  soutenir  ses  intérêts  d*abbé  commen- 
dataire,  les  trouva  après  de  nombreuses  recherches.  Il 
avait  le  droit  de  leur  reprocher  leur  manque  de  parole  et 
il  n'y  faillit  pas  ;  les  deux  fugitifs  étaient  d'ailleurs  fatigués 
de  leur  nouvel  essai  ;  ils  virent,  dans  le  passage  imprévu 
du  moine  lorrain,  une  indication  providentielle,  se  ron- 
dirant  à  ses  exhortations  et  décidèrent  de  quitter  Paris, 
mais  seulement  l'un  après  l'autre,  pour  ne  pas  trop  attirer 
l'atteation.  Dom  Jacques  Pichard  regagna  la  Lorraine  vers 
le  mois  de  novembre,  et  prit  l'habit  le  8  décembre. 
L'année  canonique  fut  rigoureusement  observée  pour 
éprouver  sa  volonté  et,  malgré  son  âge  avancé,  il  dut  subir 
des  humiliations  plus  nombreuses,  devant  lesquelles  il  ne 
recula  pas  un  instant.  Il  flt  profession  le  8  décembre 
1602,  âgé  de  quarante  et  un  ans  (1).  Son  confrère  Pierre  du 

livre,  la  bonté  et  la  facilité  avec  laquelle  le  réformatear  acceptait  les 
postulants  chez  qui  il  remarquait  une  sincère  bonne  volonté,  ne  nian> 
que  pas  de  développer  les  raisons  de  la  conduite  de  Dom  Didier  envers 
les  deux  nouveaux  candidats. 

L'expérience  pouvait  lui  faire  craindre  que  leur  âge,  leur  formation 
antérieure,  leur  supériorité  même  sur  les  jeunes  novices  ne  fussent 
autant  d'obstacles  à  leur  persévérance.  La  pensée  de  les  exposer  au 
découragement  dans  les  épreuves  et  les  humiliations  d'un  noviciat 
austère,  lui  faisait  également  redouter  la  contagion  de  ce  décourage- 
ment pour  ses  jeunes  disciples.  La  conduite  des  deux  pèlerins  ne 
devait  pas  tarder  à  prouver  que  Dom  Didier  avait  deviné  leurs  secrètes 
frayeurs. 

(1)  D.  Martin  Rhételois,  dans  sa  traduction  des  Chroniques  d'Yepez, 
consacre  à  D.  Jacques  Pichard  un  article  élogicux  {ibtd.,  t.  III,  p.  18à}. 
Six  mois  après  sa  profession,  dit-il,  D.  Pichard  fut  envoyé  à  Moycn- 
moutier  avec  D.  Claude  François.  La  maladie  qui  chassa  les  réformés, 
le  ramena  à  Saint-Vannes,  où  il  se'montra  si  fervent  et  si  capable,  qu'il 
ne  tarda  guère  d'être  employé  aux  premières  charges  de  la  réforme. 
Appliqué  à  la  vie  intérieure,  il  était  d'une  exactitude  exemplaire  à 
l'ofTice  divin.  On  lui  attribue  plusieurs  guérisons  qui  semblent  tenir 
du  miracle,  par  exemple  celles  qu'il  opéra  sur  quelques  malades  en  leur 
faisant  l'aumône.  11  prédit  également  la  mort  tragique  de  M.  de  Marcillac, 


—  343  — 

Loir  le  suivit  quelque  temps  après,  et  renouvela  ses  vœux 
le  21  mars  1604. 

L'année  1602  compte,  parmi  ses  profès,  le  jeune  oblat 
que  sa  faiblesse  avait  obligé  de  quitter  le  premier  noviciat 
de  la  réforme;  le  21  juin,  Jacques  Somnin  prononçait  ses 
vœux  solennels  entre  les  mains  de  Didier  de  la  Cour. 

pour  lors  gouverneur  de  Verdun,  décapité  plus  tard  à  Paris.  Les  supé- 
rieurs majeurs  de  la  congrégation  avaient  la  plus  grande  estime  pour 
lui  et  vinrent  le  visiter  dans  sa  dernière  maladie.  Il  mourut  pieuse- 
ment le  5  Juin  1628,  à  l'âge  de  67  ans,  laissant  la  réputation  d'un  saint 
et  d'un  grand  serviteur  de  la  Sainte- Vierge. 


CHAPITRE  V 

Le  prince  Erric  obtient  un  bref  de  réforme  du  Pape  Clément  VIÏI  pour 
l'abbaye  de  Sainl-Hyduiphc  de  Moyenmoutier,  19  mai  1601.  —  Il  fait 
la  visite  canonique  de  ce  monastère,  dépose  le  prieur,  établit  la  réforme 
de  Saint-Vannes  par  l'introduction  de  quelques  moines  de  Verdun.  — 
Il  communique  à  l'abbaye  ainsi  réformée  les  privilèges  de  la  congré- 
gation cassinienne  de  Sainte- Justine.  —  Le  prieur  de  Saint- Vannes  est 
institué  visiteur  de  Moyenmoutier.  —  Etrange  maladie  des  réformés. 
—  Leur  retour  à  Verdun.  —  La  question  de  a  stabilité»  soumise  aux 
docteurs  de  Ponl-à-Mousson. 

Les  moines  envoyés  de  Verdun  à  Moyenmoutier  au  mois 
de  janvier  1599  n'y  avaient  pas  apporté  un  élément  de 
réforme,  mais  ils  avaient  permis  au  prince  Erric  de  cons- 
tater le  bienfait  de  la  mesure  prise  dans  sa  ville  épiscopale. 
Encouragé  par  raffermissement  progressif  d'une  vie  monas- 
tique édifiante  à  Saint-Vannes,  il  voulut  renouveler  égale- 
ment son  abbaye  de  Moyenmoutier,  en  y  introduisant  quel- 
ques moines  réformés.  Au  courant  de  Tannée  1601 ,  il  écrivit 
au  Pape  Clément  VIII,  en  vue  d'obtenir  un  bref  lui  permet- 
tant de  visiter,  au  nom  du  siège  apostolique,  les  abbayes 
qu'il  tenait  en  commende  ou  qui  dépendaient  de  sa  juridic- 
tion épiscopale, et  d'y  prendre  toutes  les  mesures  nécessaires 
pour  les  ramener,  si  besoin  en  était,  à  une  observance  plus 
parfaite.  En  date  du  19  mai  de  cette  même  année,  le  Pape 
lui  accorda  le  bref  désiré,  avec  pleins  pouvoirs  d'informa- 
tion, de  législation,  de  correction  et  de  répression,  selon 
qu'il  jugerait  utile  au  cours  de  son  enquête  (1). 

(1)  Clemens  Papa  VIII.  Vencrabilis  frater,  salutem  et  Apostolicam 
benedictionem. 

Gum  sicut  semper  nobis  exponi  fecisti  in  S.  Hydulphi  monasterii 
0.  S.  Benedicti,  TuUcnsis  dicecesis,  necnon  Belli-Loci  in  Argona  CIu- 
niacensis  Ordinis,  Virdunensis  dioecesis  monasteria  quae  ex  concessione 
et  dispensationc  apostolica  in  commcndam  ad  tui  vitam  obtincs,  ac  in 
quibus  nonnuUi  monachi  scandalosi  et  forsan  incorrigi biles  reperiun- 
tur  visitare  intendas,  nos  dictorum  monasteriorumsalubri  dircctioni  et 
prospcro  statui  quantum  cum  Domino  possumus  consulere  volenles, 


—  345  — 

Au  mois  d'octobre  suivant,  le  prince  Erric  se  transporta 
à  Moyenmoutier  pour  y  faire  la  visite  canonique.  L'enquête 

de  tua  pietate,  prudentia  ac  religionis  zelo  plurimum  in  Domino  confisi, 
tibi  ut  tanquam  noster  et  apostolicae  sedis  delegatus,  per  te  vel  alium 
seu  alios  a  te  deputandam  yel  deputandos,  monasteria  prœdicta  semei 
tantum  visitare,  ac  tam  in  capite  quam  in  membris  corrigere  et  refor- 
mare,  ac  in  singulorum  monachorum  vitam,  ritus,  mores  et  discipli- 
nam  diligenter  inquirere,  necnon  Ëvangelic»  et  Apostolicae  doctrinsB 
sacrorumque  canonum  et  conciliorum  generalium  decretis,  sancto- 
rumque  Patrum  traditionibus,  ac  ordlnum  dictorum  monasteriorum 
insUtutis  inhserendo  quaBcumquemutatione,  correctione,  reformatione, 
emendatione,  revocatione,  renovatione  aut  etiam  ex  integro  editione 
indigcre  agnoveris,  renovare  et"  de  novo  constituere,  condita  sacris 
canonibus  et  Goncilii  Tridentini  decrelis  non  repugnantia  conflrmare, 
abusus  quoscumque  tollere,  bonas  ac  laudabiles  inslitutiones  ac  impri- 
mis  cultum  divinum,  monasticam  disciplinam  et  observantiam  regu- 
larem,  ubicumque  excidcrint,  modis  congruis  restituere,  monachosque 
pnedictoB  ad  debitum  et  honeist»  vitae  modum  reducere.  Si  aliquos  in 
aliquo  delinquentes  rcpercris,  eos  juxta  canonicas  sanctiones  et  eorum 
regularia  instituta,  punire  et  castigare  illosque,  prout  expodire  judica- 
veris,  ad  alia  monasteria  seu  regularia  loc^  e]usdem  ordinis  per  te  in 
commendam  aut  alias  forsan  obtenta  Iransferre,  quœcumque  vero 
graviora  repereris,  ea  in  scriptis  redacta  ad  nos  diligenter  deferri 
facere,  contradictores  quoslibet  ac  rebelles,  eisque  auxilium,  consilium 
vel  favorem  publiée  vel  occultô,  directe  vel  indirecte,  quovis  qusesito 
colore  vel  ingcnio  prœslantes,  cujascumque  status,  gradus,  ordinis  ac 
conditionis  fucrint,  per  privationem  eorum  olficiorum  et  dignitatum, 
ac  inhabilitatis  ad  illa  et  alia  in  posterum  obtinenda,  et  quascumque 
alias  arbitrio  tuo  vel  a  te  dcputandas,  imponendas  et  infligendas  pœ- 
nas,  ac  demum  per  aliquas  censuras  ecclesiasticas  aliaque  opportuna 
juris  et  factl  remédia,  appeliatione  postposita  compescere,  ac  legiti- 
mis  super  bis  babendis  servatis  processibus,  pœnas  et  censuras  ipsas 
liera' is  vicibus  aggravare,  interdictum  ecclesiasticum  apponere  ac 
etiam,  si  opus  fuerit,  auxilium  bracbii  soecularis  invocare,  omniaque 
alia  quœ  ad  visitationem  correctionem  et  reformationem  pertinent,  pro 
dictorum  monasteriorum  prospère  statu  dirigendo,  neccssaria  et  oppor- 
tuna facere  et  exequi  libère  et  licite  possis  et  valeas,  auctoritate  apos- 
tolica,  tenore  prœscntium  licentiam  concedimus  et  impertimur.  Non 
obstantibus  prsemissis  ac  quibusve  apostolicis  necnon  in  provincialibus 
et  synodalibus  conciliis  editis  generalibus  vel  spccialibus  constitutio- 
nibus  et  ordinationibus,  ac  dictorum  monasteriorum  et  illorum  ordi- 
num  etiam  juramento  conflrmatione  apostolica  vel  quavis  firmitate 
alia  roboratis,  statutis  et  consuetudinibus,  privilogiis  quoque  indultis 
et  litteris  apostolicis,  sub  quibuscumque  tenoribus  et  formis  ac  cum 
quibusve  clausulis  et  decretis  in  génère  vel  in  specie  ac  alias  in  contra- 
rium  pnemissorum  quomodolibet  conccssis  conflrmatis  et  approbatis  : 
quibus  omnibus  et  singulis  eorum  tenores  prœsentibus  pro  expressis 

23 


—  346  — 

dont  il  rendit  compte  aussitôt  au  souverain  Pontife  f),  ne 
lui  révéla  que  trop  l'état  misérable  de  son  abbaye  :  le  prieur 
fut  convaincu  de  crimes  contre  la  religion  et  la  morale,  et 
dut  avouer  ses  fautes.  Le  visiteur  le  déposa  de  sa  chaîne 
de  trésorier  et  de  prieur,  et  le  priva  de  voix  active  et  pas- 
sive ad  vitam,  puis  le  chassa  du  monastère.  C'est  seulement 
à  la  prière  du  prévôt  de  Saint-Dié  (2)  et  des  abbés  de  Seno- 
nés  (3)  et  d'Étival  (4),  qu'il  renonça  à  le  condamner  à  la 
prison,  vu  son  âge  et  ses  infirmités.  Jusqu'à  ce  qu'on  lui 
eût  assigné  un  monastère,  il  devrait  vivre  parmi  les  cha- 
noines de  Saint-Dié,  et  on  lui  donnerait  une  pension 
annuelle  de  800  francs,  soit  700  pour  son  entretien  et  100 
pour  se  libérer  de  ses  autres  obligations.  Sous  peine  de 
prison  perpétuelle,  il  lui  fut  enjoint  de  renoncer  à  ses 
crimes  passés  (5). 

Un  autre  décret  fut  également  porté  contre  un  religieux, 
D.  Claude  Mourreux,  convaincu  de  plusieurs  crimes  d'in- 
conduite.  Il  fut  privé  de  son  office  de  chantre  du  monas- 
tère, et  condamné  à  la  prison  (6)  pour  trois  ans,  après  les- 

habentcs,  illls  allas  in  suo  robore  pcrmansuris,  bac  vice  duntaxal  spe- 
cialiter  et  expresse  derogamus  cœterisque  contrariis  quibuscamque. 
Datum  Romae,  apud  S.  Marcum,  sub  annulo  piscatoris  die  XIX  ma|i 
MDCI,  poDtifîcalus  nosLri  anno  decimo. 

(1)  Cf.  Arch.  Év.  et  Rég.,  a.  1601,  où  nous  avons  trouvé  cette  rela- 
tion. 

(2)  Gabriel  de  Reynette. 

(3)  Jean  Lignarius. 

(4)  Antoine  Doridan. 

(5)  En  1606,  le  prieur  déposé  adressa  à  la  S.  CongrégaUon  des  Ev.  et 
Rég.,  une  requête  en  vue  de  pouvoir  accepter  des  bénéfices  sans  charge 
d'âmes  ou  des  canonicats,  afin  do  pourvoir  à  sa  subsistance.  La  Sainte 
Congrégation  lui  fit  répondre  de  s'adresser  au  Pape  lui-même. 

Archives  Ev.  et  Rég.  Anno  1606. 

(6)  D'après  les  nouvelles  constitutions,  le  régime  do  la  prison  dans 
les  monastères  consistait  à  être  renfermé  dans  une  cellule,  à  vivre 
séparé  de  la  communauté,  qui  avait  défense  de  communiquer  avec  le 
coupable.  De  temps  à  autre,  selon  le  conseil  de  saint  Benoit  {reg.  Il, 
cap.  27 1,  on  lui  envoyait  quelque  religieux  capable  do  l'encourager  à 
supporter  chrétiennement  sa  peine,  à  expier  ainsi  sa  faute.  Les  seules 
lectures  permises  au  prisonnier    étaient  des  lectures    pieuses.   Son 


—  347  — 

quels  il  devrait  quitter  la  contrée,  et  se  rendre  dans  le 
monastère  qui  lui  serait  assigné. 

Quelques  jours  après,  le  3  novembre,  en  présence  de 
Tabbé  de  Senones,  de  Nicolas  Hénart,  son  vicaire  général, 
de  D.  Jacques  Boucher,  son  vicaire  pour  les  abbayes  et  les 
monastères,  de  D.  Claude-Jacques  Chamagne,  prieur  de 
Senones,  de  D.  Nicolas  Oubry,  prieur,  et  de  Nicolas  Grillot, 
tous  d'eux  d'Etival,  et  de  plusieurs  autres  prêtres,  curés 
des  églises  dépendantes  de  Moyenmoutier,  le  prince  Erric 
fit  proclamer  solennellement,  au  chapitre  de  ladite  abbaye, 
la  charte  de  réforme.  D.  Belhomme,  dans  son  histoire  de 
Moyenmoutier,  nous  a  conservé  le  texte  intégral  de  cette 
charte  dont  nous  n'avons  extrait  littéralement  que  le  bref 
pontifical,  et  dont  nous  ne  donnerons  que  les  principales 
idées.  Le  prince-abbé  ayant  constaté  le  relâchement  des 
anciens  religieux  rebelles  aux  avertissements  réitérés,  et 
voulant  y  remédier  plus  eflicacement,  demanda  au  Pape 
Clément  VIII  un  bref  qui  lui  permît  de  prendre  les  moyens 
nécessaires  pour  étoufler  le  mal.  En  date  du  19  mai,  le 
bref  lui  fut  expédié,  et,  en  vertu  de  l'autorité  qui  lui  était 
donnée,  le  prince  fit  la  visite  canonique  de  son  abbaye. 
Les  plus  coupables  des  religieux  furent  punis  par  la  priva- 
tion de  leurs  offices  et  de  la  voix  active  et  passive;  quant  à 
ceux  qui  ne  pouvaient  ou  ne  voulaient  pas  se  soumettre  à 
la  réforme,  ils  furent  dispersés  dans  divers  monastères.  A 
leur  place,  continue  le  prince,  «  nous  avons  introduit 
et  établi  comme  les  vrais  membres  de  ce  monastère,  les 
UR.  PP.  Claude  François  et  Pierre  Rozet,  prêtres,  les  frères 
Nicolas  Fabius  et  Bernard  Loterlot,  religieux  profès  de 
Tordre  de  Saint  Benoît,  de  notre  monastère  réformé  de 
Saint- Vannes  de  Verdun,  leur  donnant  tous  et  chacun 

régime  élait  proportionné  au  délit.  Le  prisonnier,  on  le  voit,  était 
dans  toute  autre  condition  que  celle  des  prisonniers  de  nos  jours  et 
que  celle  décrite  quelquefois  avec  fantaisie  par  des  historiens,  heu- 
reux d'évoquer  l'image  de  supplices  cruels  et  inhumains. 


—  348  - 

droits,  privilèges,  fruits,  revenus,  profits  et  gains,  qui  sont 
connus  comme  appartenant  ou  qui  appartiendront  plus 
tard  au  couvent  ou  chapitre  dudit  monastère,  et  les  avons 
mis  en  réelle  et  actuelle  possession  dudit  monastère  ;  nous 
leur  avons  assigné  leur  stalle  au  chœur  et  leur  place  au 
chapitre  (1),  déclarant  et  décernant  que  ces  dits  religieux 
introduits  par  nous,  et  mis  en  place  des  anciens,  ainsi 
que  leurs  successeurs,  observeront  désormais  parfaitement 
la  règle  de  saint  Benoit,  interprétée  d'après  les  déclarations 
des  Pères  de  la  congrégation  de  Padoue,  c'est-à-dire  du 
Mont-Cassin,  garderont  Tabstinence  de  la  viande  hors  le 
cas  de  maladie,  pratiqueront  le  jeûne  d*hiver  et  les  vigiles 
nocturnes  selon  les  prescriptions  de  la  règle,  et  n'useront 
pas  de  linge  fait  de  lin  ».  L'abbé  déclare  abrogée  toute 
coutume  contraire  à  ces  règlements,  et  il  établit  que  pour 
mieux  sauvegarder  la  réforme  introduite  par  lui,  les  no- 
vices qui  seront  reçus  à  Moyenmoutier,  après  avoir  récilé 
la  formule  de  profession  telle  que  la  règle  Ja  donne,  devront 
prêter  serment  sur  les  saints  Evangiles  «  de  ne  jamais  se 
soustraire  à  l'observance  réformée  de  la  règle,  de  ne  rece- 
voir aucun  religieux  qui  n'ait  la  volonté  sincère  de  l'ob- 
server, et  de  n'élire  aucun  supérieur  qui  ne  soit  zélé  pour 
son  maintien  (2)  ». 

Pour  assurer  davantage  encore  la  durée  de  la  réforme,  le 
prince  Erric  décide  que,  chaque  trois  ans,  le  prieur  de  Saint- 

(1)  Le  moine  ayant  comme  centre  de  vie  Toffice  divin,  on  comprend 
pourquoi  son  installation  se  faisait  et  se  fait  encore  aujourd'hui  par 
l'assignation  de  sa  stalle  au  chœur.  Le  chapitre  n'est  dans  l'institution 
monastique  qu'un  prolongement  du  chœur,  mais  comme  c'est  là  que 
se  délibèrent  les  grands  intérêts  de  la  communauté,  celui  qui  vient 
d'être  adopté  par  celle-ci,  doit  y  être  introduit  solennellement.  Ailleurs, 
la  prise  de  possession  se  faisait  par  la  remise  des  clés  des  lieux  régu- 
liers et  du  monastère,  ou  encore  par  la  tradition  des  vases  sacrés.  Le 
symbole  de  ces  diverses  cérémonies  se  découvre  de  lui-même.  (Cf. 
Hist.  de  Beaulieu  en  Àrgonne,  par  Auguste  Lcmaire). 

(2)  Ce  serment,  institué  par  Didier  de  la  Cour,  se  prêta  pendant  toute 
la  duréo  do  la  congrégation  de  Saint- Vannes  et  Saint-Hydulphe.  Cf. 
Constitutionis  anni  1774  professionis  forma,  p.  11.  scctio  11%  n*  14. 


—  349  — 

Vannes  pro  tempore  existens  pourra  et  devra  visiter  ses 
religieux  de  Saint-Hydulphe,  et  prendra  les  mesures  qu'il 
jugera  bon  pour  les  maintenir  ou  les  ramener  aux  règles 
de  la  congrégation  de  Sainte-Justine,  ainsi  que  pour  récu- 
pérer les  biens  et  les  revenus  de  Tabbaye,  sans  pouvoir 
cependant  rien  en  distraire.  Le  visiteur  et  ses  compagnons, 
lesquels  ne  pourront  être  plus  nombreux  que  trois,  y  com- 
pris le  serviteur,  seront  entretenus,  à  l'aller  et  au  retour, 
par  le  monastère  visité,  à  charge  de  conscience  pour  le 
visiteur  de  ne  pas  prolonger  au-delà  du  nécessaire  leur 
séjour  à  Moyenmoutier.  A  chaque  visite,  le  prieur  de  Saint- 
Vannes,  après  avoir  exposé  les  raisons  de  sa  venue,  fera 
lire  les  articles  précédents  en  chapitre,  et  cette  visite  ne 
pourra  en  rien  préjudicier  aux  droits  qui  appartiennent  à 
Tabbé  commendataire  présent  ou  à  ses  successeurs.  Si 
quelque  empêchement  ou  négligence  survient  et  empêche 
la  visite,  les  religieux  de  Moyenmoutier  ne  seront  nulle- 
ment tenus  de  la  demander  ou  de  la  reconnaître  par  un 
cens  quelconque.  L'abbaye  de  Moyenmoutier,  sauf  ce  cas 
de  visite,  reste  absolument  autonome  (1),  et  s'il  arrivait 
qu'à  Saint- Vannes  on  se  relâchât  de  la  réforme,  surtout 
en  ce  qui  regarde  l'abstinence  de  la  chair  ou  l'usage  de  la 
laine  au  lieu  de  toile,  les  religieux  de  Saint  Hydulphe  ne 
seraient  plus  tenus  d'accepter  la  visite  du  prieur  de  Ver- 
dun. 

Une  des  sources  de  désordre  et  de. pauvreté  pour  le 
monastère  était  l'indépendance  de  plusieurs  offices,  tels 

(1)  Erric,  en  maintenant  l'autonomie  de  Moyenmoutier,  entrait  par- 
faitement dans  le  plan  de  sjint  Benoit,  qui  veut  la  famille  monastique 
complète  en  elle-mômc  et  capable  de  s'administrer.  Le  contrôle  qu'il 
imposait  à  cette  abbaye,  contrôle  déterminé  et  limité  k  certains  actes, 
devait  faciliter  l'érection  d'une  congrégation  ;  mais  le  prince  évoque 
ne  s'en  souciait  pas  ;  aussi  eut-il  soin  de  ré8erv<^r  tous  ses  droits  d'abbé 
commendataire.  A  l'heure  où  la  bulle  d'érection  parut,  cette  opposition 
se  fit  jour  par  le  refus  momentané  d'enregistrer  le  document  pontifical, 
qui  détruisait  la  juridiction  de  l'abbé  commendataire,  pour  ne  lui 
laisser  que  la  jouissance  des  revenus. 


—  350  — 

que  ceux  du  prévôt,  du  trésorier  et  du  vicaire  (1)  ;  le 
prince  Erric  la  supprima  en  réunissant  sur  la  tête  de  Dom 
Claude  François,  la  charge  et  les  revenus  de  ces  offices. 

Enfin,  quelques  jours  plus  tard,  le  7  novembre,  en  vertu 
des  mêmes  pouvoirs  qui  l'avaient  autorisé  à  Tintroduction 
de  la  réforme,  Tévéque  abbé,  assemblant  de  nouveau  les 
religieux  réformés,  en  chapitre,  leur  fit  donner  lecture  de 
la  charte  par  laquelle  ils  participaient,  eux  et  leurs  succes- 
seurs dans  ledit  monastère,  aux  a  grâces,  privilèges,  au- 
((  torités,  pouvoirs  et  indulgences  de  ladite  congrégation 
((  (de  Sainte- Justine)  dont  ils  avaient  accepté  l'observance 
«  avec  toutes  ses  charges...  ».  Ils  pouvaient  désormais 
((  se  servir  du  bréviaire  de  cette  congrégation,  soit  dans  le 
((  chœur,  soit  hors  du  chœur,  recevoir  des  frères  commis 
v  ou  convers,  et  les  admettre  à  la  profession  des  vœux 
«  simples  et  conditionnels,  avec  permission  de  les  relever 
«  de  ces  vœux,  du  consentement  de  la  majeure  partie  du 
{(  chapitre  (2)  ». 

(1)  C'est  le  3  novembre  égalemenl  1601,  devant  les  mêmes  témions 
que  ci-dessus,  que  fut  accomplie  l'union  de  ces  divers  bénéfices  claus- 
traux avec  la  charge  prlorale.  D.  Hubert  Belhomme  rapporte  les  actes 
d'union  (op.  cit.). 

(2)  Voici  la  teneur  du  document  dans  sa  partie  essentielle  : 
Erricus  a  Lotharlngia  Dei  et  Apostolics  sedis  gratia  Episcopns  et 

Comes  Vlrdunensis,  Abbas  monasterii  S.  Uidulpbi,  etc.,  omnibus  prœ- 
sentes  litterus  visuris,  salutem  in  Domino  sempiternani...  Auctorilate 
apostolica  nobis  in  bac  visitatione  delegata,  omnes  et  singulas  gratias, 
indulta,  privilégia,  facultates,  immunitates,  prerogativas,  aulhoritatcs, 
indulgentias  qusB  ab  apostolica  scdeaut  superioribusdictiOrdinis,  Con- 
gregationis  Patrum  S.  Justinje  seu  Montis  Cassini  unquam  datae  et  colla- 
tse  sunt,  omnibus  et  singulis  communiter  et  divisim  Religiosis  hujus 
monasterii  et  eorum  in  dicto  monasterio  Breviario  dictœ  Congregalio- 
nis,  maxime  eo  quod  lypis  anno  1(300  oxcusum  est,  in  dicto  monaslcrio 
et  extra  illud,  tam  in  choro  quam  extra  illum,  ex  dictarum  gniUarum 
et  facullatum,  constitulionum  et  privilegiorum  diclîe  Congregationis 
communicatione  uti  posse  et  debere,"  commissosque  seu  con versos  fra- 
très  juxta  dictîe  Congregationis  constitutionum  déclara tiones  recipere, 
et  ad  professionem  simplicium  et  conditionalium  volorum,  juxta  dic- 
tas Constitutiones  nccessarium  judicarent,  per  priorem  dicti  monas- 
terii, de  consensu  et  judicio  omnium  vel  saltcm  majoris  partis  CapituU 
dispensandi,  absolvendi,  et  dictes   commissos  ab  eorum    obligatione 


^  351  — 

Rien  ne  semblait  mieux  organisé  que  cette  réforme, 
dans  laquelle  tout  était  prévu  au  temporel  comme  au  spi- 
rituel. Les  religieux  venus  de  Verdun  ne  devaient  cepen- 
dant pas  tarder  à  subir  la  persécution  qui  s'attaque  à  toute 
œuvre  providentielle.  En  arrivant  à  Moyenmoutier,  Dom 
Claude  François  avait  choisi  la  partie  du  monastère  qui 
pût  incommoder  le  moins  les  anciens  religieux  autorisés  à 
demeurer  dans  leur  cloître  ;  sa  délicatesse  n'éteignit  point 
le  mécontentement  de  ceux-ci,  et  bientôt  une  guerre 
ouverte  fut  déclarée.  Pendant  plusieurs  semaines,  le  nou- 
veau prieur  et  ses  compagnons  n'eurent  pour  lits  que  le 
plancher  de  leurs  cellules,  et  pour  aliments  que  ceux 
qu'ils  trouvaient  dans  l'intérieur  ou  dans  le  jardin  de 
l'abbaye.  Une  sorte  de  ban  fut  proclamé  contre  eux,  et  sans 
le  concours  de  quatre  serviteurs  dévoués  qu'ils  obtinrent 
de  Saint-Vannes,  ils  n'auraient  même  pu  se  procurer  les 
choses  les  plus  nécessaires  à  leur  entretien. 

Un  tel  régime  ne  pouvait  que  trop  les  prédisposer  à 
toute  espèce  de  maladie:  il  s'en  déclara  bientôt,  en  eflet, 
sous  une  forme  étrange,  que  plusieurs  historiens  ont  cru 
devoir  attribuer  à  des  maléfices.  Quelle  qu'en  fût  la  cause, 
cette  maladie  les  éprouva  cruellement  tous;  sept  d'entre 
eux  moururent  dans  l'espace  d'un  an  ;  les  six  autres 
demeurèrent  pendant  un  long  temps  perclus  des  membres. 
D.  Claude  François  résista  d'abord,  puis  fut  atteint  à  son 
tour  et  si  gravement  que,  ne  voyant  aucun  remède  à  son 
mal,  il  se  fit  transporter  à  Verdun.  A  peine  y  arriva-t-il, 
qu'il  fut  pris  de  syncopes,  et  on  dut  le  laisser  pour  quel- 


liberos  dimittendi.  Non  obstantibus  ordinationibus,  constitutionibus, 
indultis  et  privilcgiis  quibuscnmque,  quavis  authoritato'  roboratis, 
aliisque  omnibus  et  singulis  qu^  sanctissimus  Dominus  noster  in 
delegatione  commissionis  nostrîe  voluil  non  obstare.  In  quorum  fidom 
etc..  Datum  in  monasterio  S.  flidulphi  die  septima  novembris  anni 
millesiml  sexcentesimi  primi.  —  Sign.*.  Erricusa  Lotharingia  Episco- 
pus  et  cornes  Virdunensis. 
D.  H.  Belhomme,  Hist,  Mediani  mononasterii. 


—  352  — 

ques  jours  aux  soins  de  sa  famille,  avant  de  le  rendre  à 
l'abbaye  de  Saint-Vannes.  La  maladie  céda  rapidement  aux 
soins  dont  il  fiit  l'objet,  mais  la  convalescence  se  fit  longue, 
et  D.  Claude  François  ne  se  trouva  rétabli  complètement 
qu'après  une  année  (1). 

Une  difficulté  s'éleva  à  cette  époque  dans  l'abbayede  Saint- 
Vannes,  et  nous  croyons  devoir  en  parler  parce  qu'elle 
touche  à  un  point  essentiel  de  la  constitution  monastique  : 
celui  de  \3i  stabilité  (2), 

Le  nombre  des  religieux  malades,  qui,  de  Moyenmoutier, 
demandaient  à  revenir  à  leur  monastère  de  profession,  ne 
tarda  pas  à  inquiéter  les  religieux  de  Saint- Vannes,  à  cause 
du  surcroît  d'occupations  et  de  dépenses  imposé  par  leur 
triste  état  de  santé,  et  leurs  voyages  répétés.  Auquel  des 

(i)  Cf.  D.  Haudiquer,  op,  cit.^  2'  partie,  pages  198, 199.  Cette  maladie  se 
manifestait  surtout  par  des  douleurs  d'intestins  si  violentes,  que  lors- 
que la  crise  prenait  le  malade,  trois  hommes  des  plus  robustes  avaient 
peine  à  le  retenir  dans  son  lit.  Bien  que  très  étrange  au  premier 
abord,  une  telle  inûrmité  s'explique  assez  par  la  mauvaise  nourriture 
et  les  conditions  déplorables  dans  lesquelles  les  nouveaux  venus  se 
trouvèrent  à  Moyen moutier,  sans  qu'il  soit  besoin  de  faire  intervenir 
d'agent  préternaturel.  Dom  Didier  de  la  Cour  était  lui-même  persuadé 
qu'on  devait  l'attribuer  à  la  mauvaise  qualité  de  certaines  eaux.  Ibid, 

(2)  La  stabilité  que  le  moine  voue  à  son  monastère,  l'oblige  à  ne  pas 
quitter  celui-ci  de  sa  propre  volonté,  et  lui  confère  quelques  droits, 
comme  par  exemple,  celui  de  revenir  ik  ce  monastère,  si  l'obéissance 
l'a  envoyé  ailleurs  pour  un  certain  temps.  Par  la  stabilité,  il  prend 
place  dans  la  famUle  qui  l'a  reçu,  éprouvé,  admis  après  examen  :  celle- 
ci  ne  peut  le  renier,  ni  lui  enlever  son  titre  familial,  sinon  dans  les  cas 
prévus  par  le  droit  général  ou  les  constitutions  particulières  ;  le  moine, 
do  son  côté,  ne  peut  y  renoncer  sans  cause  légitime  et  sans  l'autori- 
sation de  ses  supérieurs.  Ce  vœu,  si  mal  compris  souvent,  tout  en 
fixant  le  moine  dans  telle  abbaye  ou  tel  prieuré,  no  l'cmpéchc  nulle- 
ment d'être  transféré  provisoirement  par  l'obéissance  dans  un  autre 
monastère.  Si  ce  transfert  était  rendu  définitif  pour  des  raisons  ma- 
jeures, le  .vœu  de  stabilité  se  transporterait  par  le  fuit  même  à  ce 
nouveau  monastère,  où  le  moine  retrouverait  les  droits  qu'il  aurait 
perdus  dans  sa  première  résidence.  La  stabilité,  établie  par  saint 
Benoit  lui-môme,  a  pour  but  de  prot<^ger  le  moine  contre  les  périls 
d'une  vie  errante,  telle  que  certains  solitaires  d'Orient  la  pratiquaient 
au  détriment  de  la  religion,  et  en  même  temps  de  faciliter  l'organisa- 
tion de  la  famille  religieuse,  l'un  des  .éléments  principaux  du  régime 
monastique. 


—  353  - 

deux  monastères  ces  dépenses  devaient-elles  être  inscrites  ? 
A  Saint-Vannes,  où  ces  moines,  par  leur  profession,  avaient 
acquis  un  droit  de  stabilité,  ou  bien  à  Moyenmoutier,  où 
Tautorité  apostolique  leur  avait  assigné  une  stalle  dans  le 
chœur  et  une  place  au  chapitre  ?  Transférés  dans  ces  con- 
ditions d'autorité  et  de  solennité,  n'avaient-ils  point,  par  le 
fait,  abandonné  leurs  droits  de  profession  et  comme  trans- 
porté leur  stabilité  à  Saint-Hydulphe?  Dans  ce  dernier  cas, 
ce  n'était  pas  au  monastère  de  Saint- Vannes  de  subvenir 
aux  frais  de  leur  maladie,  mais  à  celui  de  Moyenmoutier, 
et  les  religieux  malades  n'avaient  aucune  espèce  de  droit 
h  demander  leur  retour  à  Verdun,  d'autant  qu'aucun  con- 
trat, ni  aucun  lien  d'association  n'existaient  entre  les  deux 
abbayes. 

L'affaire  alla  assez  loin  pour  que  l'on  se  décidât  à  la  sou- 
mettre au  jugement  de  l'Université  de  Pont-à-Mousson  :  les 
juristes  de  la  docte  aima  mater  ne  virent  en  cela  qu'une 
question  de  justice,  et,  partant  de  ce  principe  que  les  reli- 
gieux ne  pouvaient  avoir  une  prébende  monacale  en  deux 
lieux  différents,  ils  se  prononcèrent  en  faveur  de  Saint- 
Vannes:  les  moines  de  Verdun  n'étaient  nullement  tenus  à 
recevoir  leurs  anciens  confrères  tombés  malades,  et  même 
ils  avaient  le  droit  de  se  faire  indemniser  des  dépenses 
occasionnées  par  eux. 

Quant  au  dévouement  des  réformés  envoyés  à  Moyen- 
moutier, à  l'instabilité  de  la  réforme  dans  ce  monastère, 
à  l'absolue  impossibilité  d'y  être  soigné,  il  n'y  était  pas 
fait  allusion. 

Dom  Claude  François  et  ses  confrères  de  Saint-Hydulphe, 
alarmés  de  cette  sentence,  déclarèrent  alors  qu'ils  préfé- 
raient renoncera  des  droits  éventuels  sur  Moyenmoutier, 
qu'à  ceux  que  leur  profession  monastique  leur  avait  assu- 
rés à  Saint-Vannes. 

Ce  fut  très  probablement  à  la  suite  de  cette  difficulté 
que  fut  projeté  et  rédigé  le  traité  d'union  entre  les  deux 
monastères. 


CHAPITRE  VI 

Traité  d'union  spirituelle  et  temporelle  entre  les  deux  abbayes  de  Saint- 
Vannes  et  de  Moyen  mou  tier  (30  avril  1603)  —  Projet  de  congré- 
gation ;  difficultés.  —  Dom  Rozet  obtient  la  bulle  d'érection  des 
deux  monastères  en  congrégation.  —  L'évéque  de  Verdun  refuse 
d'accepter  et  de  promulguer  la  bulle.  —  Il  s'y  résigne  ensuite  et  la 
fait  promulguer  à  Moyenmoutier.  —  Premier  chapitre  général  tenu 
à  Saint-Vannes  le  31  Juillet  1604.  —  Décrets  de  ce  chapitre:  question 
de  la  juridiction  des  prieurs  résolue  par  le  bref  du  23  juillet  1605.  — 
Le  cardinal  étudie  les  moyens  d'appliquer  la  réforme  dans  l'étendue 
de  sa  légation. 

Ce  n'était  point  la  première  fois  que  Tabbaye  de  Moyen- 
moutier contractait  union  avec  une  autre  abbaye,  et  il  n'est 
pas  sans  intérêt  de  rapprocher  de  celui-ci  le  contrat  passé 
en  1323,  entre  Bencelin,  abbé  de  Saint-Hydulphe  et  Jacques 
de  Dompierre,  abbé  de  Saint-Airy  de  Verdun  (1).  Les  prin- 
cipales clauses  regardaient,  il  est  vrai,  les  rapports  spiri- 
tuels des  deux  monastères,  sur  lesquels  les  deux  abbés 
échangeaient  leur  autorité  ;  elles  réglaient  les  honneurs  à 
rendre  ou  les  prières  à  offrir  en' cas  de  décès  des  supé- 
rieurs ou  des  moines,  mais  il  n'y  manquait  pas  non  plus 
une  sorte  de  compénétration  ;  en  effet,  l'abbé  reçu  dans  le 
monastère  uni,  pouvait  y  w  tenir  le  chapitre,  remettre  les 
peines,  réconcilier  les  discordants  avec  leur  abbé  »  ;  le 
moine  y  était  considéré  «  comme  l'un  des  profès  de  l'ab- 
baye »  ;  on  le  recevait,  et  il  prenait  part  aux  délibérations 
du  chapitre.  Ce  n'était  donc  pas  exclusivement  une  asso- 
ciation spirituelle  :  ce  qui  la  distingue  des  unions  conclues 
plus  tard,  non  seulement  entre  deux  monastères,  mais 
entre  plusieurs,  c'est  que  celles-ci,  en  gardant  à  chaque 
monastère  son  autonomie,  le  mettaient  sous  le  contrôle 
d'un  supérieur  unique  et  constituaient  une  véritable  hié- 

(1)  Cf.  l'abbé  Léon  Jérôme,  l'abbaye  de  Moyenmoutier,  Bulletin  de 
la  Société  philomatique  vosgieime,  1899-1900,  p.  80  et  suiT. 


—  355  - 

r«nrchie,  tandis  que  la  première  met  les  droits  des  supé- 
rieurs au  même  niveau  ;  cela  était  possible  entre  deux 
monastères,  cela  ne  se  pouvait  point  pour  toute  une  confé- 
dération d'abbayes  ou  de  prieurés. 

Le  traité  qui  fut  signé  entre  Saint-Vannes  et  Saint-Hy- 
dulphe  participe  déjà  du  principe  hiérarchique  tel  qu'il 
existait  dans  la  congrégation  de  Sainte-Justine  de  Padoue, 
et  tel  qu'il  devait  s'affirmer  à  l'organisation  complète  de 
la  congrégation  lorraine  issue  de  cette  union  des  deux 
monastères. 

En  voici  la  teneur  : 

In  nomine  Domini^  Amen. 

«  Nous  soubscrits,  promettons  soub  l'obligation  de  nos 
v«Hux,  que  moiennant  la  grâce  de  Dieu,  nous  tiendrons  et 
observerons  entre  nous  une  telle  union  et  concorde  de 
charité  fraternelle,  que,  pour  choses  quelconques,  nous  ne 
nous  séparerons  les  uns  des  autres,  soit  en  prospérité  ou 
adversité,  indigence  ou  abondance,  et  que,  (quand  Dieu  le 
permettra  ainsi)  nous  supporterons  tous  également  toute 
l'indigence  et  incommodité  qui  en  pourra  arriver,  cher- 
chant tous  en  général  et  en  particulier  le  bien  et  le  soula- 
gement de  nos  confrères  affligez,  sans  s'attribuer  aucune 
chose  de  son  labeur,  industrie,  ménage,  rentes  et  revenus 
tant  du  commun  que  des  particuliers  :  et  que  nous  garde- 
rons en  toute  perfection  la  pauvreté  religieuse,  avec  com- 
munication de  tous  biens  et  maux,  qu'il  plaira  à  Dieu 
envoler  à  Tune  ou  l'autre  maison. 

Pour  l'observation  de  ce  que  dessus,  soub  la  mesme 
obligation  susdite,  jurons  et  promettons  que  nous  rendrons 
l'obéissance  au  supérieur  commun,  tel  qu'il  sera  choisy 
de  toute  la  Congrégation,  tant  au  spirituel  qu'au  temporel, 
lequel,  assisté  de  ses  Anciens,  sera  obligé  de  tellement  dis- 
poser du  spirituel  et  du  temporel,  que,  sans  respect  de  l'une 
plus  que  de  l'autre  maison,  eu  égard  au  seul  honneur  de 


—  356  — 

Dieu,  il  pourvoiera  aux  nécessités  de  chacune  maison  et 
des  religieux  d'icelle. 

Et,  afin  qu'il  puisse  mieux  exécuter  ce  que  dessus,  il  aura 
puissance  avec  le  conseil  de  ses  Anciens  de  se  servir  des 
moiens  de  l'une  des  maisons  pour  subvenir  à  l'autre,  n'en- 
tendant aucunement  qu'il  y  ait  aucune  propriété  entre  les 
deux  maisons  tant  au  spirituel  qu'au  temporel,  sans  avoir 
égard  si  les  dits  moîens  viennent  de  l'une  ou  l'autre  mai- 
son. 

Et  cas  advenant  qu'il  fallût  défendre  son  bien  par  Jus- 
tice (ce  qui  ne  se  pourra  commencer  ou  terminer  sans 
l'adveu  du  supérieur  commun  et  de  ses  Anciens  y  compris 
les  Prieurs,  qui  partout  tiendront  les  premiers  lieux  entre 
les  Anciens  et  en  toutes  décisions  (sauf  où  ils  seraient 
parties),  tous  les  frais  seront  supportez  aux  frais  com- 
muns, sans  distinction  ou  division  en  cecy,  non  plus  qu'en 
autre  chose  quelconque,  et  ne  se  pourront  défendre  sinon 
avec  toute  Justice,  observant  en  tout  et  partout  la  bien- 
séance et  modestie  religieuse. 

Que  s'il  arrivait  que,  par  procèz  ou  autre  fortune,  l'une 
des  maisons  soit  ruinée  en  tout  ou  en  partie,  l'autre  sera 
obligée  de  nourir  et  de  pourvoir  aux  nécessités  des  Reli- 
gieux comme  à  eux-mêmes  sans  aucune  diOérence  ou 
reproche. 

Toute  l'espargne  qui  se  fera  en  l'une  ou  l'autre  maison 
sera  tellement  à  la  disposition  du  Supérieur  commun, 
qu'il  en  pourra  avec  l'advis  de  ses  Anciens  accomoder 
autant  bien  celle  qui  ne  l'aura  pas  épargné  que  l'autre, 
sans  que  l'une  ou  l'autre  y  prétende  droit  particulier. 

S'il  est  question  de  faire  rachapt  de  quelques  biens  alié- 
nés de  l'une  ou  l'autre  maison,  il  se  fera  de  la  bource  corn 
mune,  sans  que  l'autre  puisse  prétendre  droit  de  répéti 
tion,  à  raison  que  les  commoditez  qui  réussiront  de  tels 
réachapts  se  feront  au  profit  des  personnes  qui  font  la 
congrégation  et  non  des  maisons,  comme  n'étant  qu'un 


-  357  - 

corps,  sans  pouvoir  prétendre  être  de  l'une  elnon  de  l'autre 
maison,  ains  de  Tune  et  l'autre  suivant  la  disposition  des 
Supérieurs. 

Non  seulement  ceux  qui  sont  présentement  profez  signe- 
ront ce  que  dessus,  mais  aussi  ceux  qui  viendront  à  mesure 
qu'ils  feront  profession. 

Le  tout  à  condition  qu'il  n'y  ait  rien  en  tous  les  susdits 
articles  qui  ne  soit  selon  Dieu,  justice  et  raison,  ou  qui 
contrarie  aux  décrets  des  saints  Canons,  le  tout  soub  le  bon 
plaisir  de  Sa  Saincteté.  Ainsi  arrêté  ce  30  avril  1603.  » 

Ce  traité  était,  il  faut  le  dire,  une  charte  de  bonne 
entente  entre  les  frères  éloignés  d'une  même  famille  ;  il 
se  ressentait  avant  tout  des  difficultés  qui  venaient  de  sur- 
gir au  point  de  vue  matériel  et  au  retour  desquelles  il  vou- 
lait apporter  un  obstacle  insurmontable.  Mais  il  est  facile 
de  voir  que  ce  n'était  et  ne  pouvait  être  qu'une  ébauche 
de  congrégation,  nullement  une  véritable  constitution  des- 
tinée à  régler  les  rapports  de  monastères  divisés  par  les 
intérêts,  réunis  seulement  par  les  liens  d'une  commune 
observance  à  promouvoir  et  à  soutenir.  Né  d'un  fait,  ce 
traité  ne  pouvait  avoir  l'extension  d'une  organisation  des- 
tinée à  appliquer  des  principes  généraux  ;  il  réglait  un 
état  particulier  :  les  relations  de  deux  maisons,  dont  Tune 
était  la  fille  de  l'autre,  et  n'était  occupée  que  par  les  moines 
de  celle  ci.  Les  intérêts  étaient  communs,  mais  il  n'en 
serait  plus  de  même  du  jour  où  les  religieux  ayant  fait 
profession  à  Moyenmoutier  deviendraient  assez  nombreux 
pour  créer  et  soutenir  des  intérêts  locaux. 

De  plus,  à  ce  moment,  le  même  abbé  tenait  les  deux 
abbayes  en  commende  ;  et  le  supérieur  était  également 
accepté  par  les  moines  des  d*^ux  maisons,  tant  pour  son 
intervention  dans  les  afiaires  spirituelles  que  pour  son 
contrôle  dans  les  affaires  temporelles.  Du  jour  où  la  com- 
mende se  divisait,  ou  bien  si  quelque  maison  étrangère 
demandait  à  entrer  dans  l'association,  le  traité  se  trouvait 


—  338  — 

trop  spécifié  dans  ses  articles,  pour  répondre  à  Tun  et  à 
Tautre  de  ces  changements. 

Il  fallait  doncquelque  chose  de  plus  large  comme  champ 
d'application,  et  de  plus  précis  comme  organisation  (1). 
Dom  Didier  de  la  Cour  en  fut  rapidement  convaincu,  et  en 
parla  à  Tévéque.  Celui  ci  convoqua  une  assemblée  d'ecclé- 
siastiques, qu'il  présida  lui-même,  et  à  laquelle  il  soumit 
le  projet  d'unir  les  deux  monastères  réformés  en  une 
congrégation  régie  par  les  mêmes  constitutions  que  celle 
de  Sainte-Justine  de  Padoue.  Les  deux  monastères  avaient 
déjà  adopté  l'observance  de  la  congrégation  cassinienne,  il 
s'agissait  seulement  d'en  adopter  le  régime  et  l'organisa- 
tion. 

De  toute  l'assemblée,  seul  le  P.  Florent,  récollet,  per- 
sonnage de  vertu  et  d'expérience,  partagea  l'idée  de  Dom 
Didier  et  de  Dom  Claude  François.  Leur  avis  fut  cependant 
accepté,  et  l'on  décida  d'envoyer  à  Rome  un  procureur 
chargé  de  poursuivre  l'érection  des  deux  abbayes  en  une 
Congrégation. 

Dom  Pierre  Rozet  fut  chargé  de  cette  mission  délicate. 
L'Evêque  écrivit  à  Rome  à  divers  cardinaux  pour  leur 
recommander  le  mandataire  à  qui,  le  15  décembre  1603,  il 
remit  sa  procuration. 

Dom  Rozet  se  mit  en  route  dès  les  premiers  jours  de 
l'année  suivante.  A  son  arrivée  à  Rome,  il  alla  présenter 
ses  lettres  de  créance  au  cardinal  Baronius,  qui  le  reçut 
avec  toutes  les  démonstrations  possibles  d'adection.  Grâce 
à  l'influence  de  ce  cardinal,  le  procureur  de  Saint- Vannes 
ne  tarda  pas  à  être  admis  en  audience  par  le  Pape,  et  à 
voir  sa  mission  couronnée  de  succès. 

(1)  Peu  de  jours  après  ce  traité  d'union,  une  confraternité  fui  établie 
entre  les  deux  monastères  lorrains  et  le  Mont-Cassin  par  le  chapitre 
général  de  la  congrégation  do  Sainte-Justine  tenu  in  agro  Mantuano 
le  13  mai  1603.  L'acte  est  signé  par  le  Présidont  des  moines  cassiniens, 
D.  Ambroslus  a  Dupio  et  le  Secrétaire  D.  Dominicus  a  Golonia  [BibL 
Saint'Dié.  ms  XVI). 


—  359  - 

La  bienveillance  dont  il  était  entouré  permit  à  Dom 
Rozet  de  demander  au  Procureur  des  Cassiniens  copie  des 
privilèges  accordés  par  les  Souverains  Pontifes  à  la  con- 
grégation de  Sainte  Justine,  depuis  son  érection^.  Sa  prière 
fut  exaucée  et,  dans  un  voyage  qu'il  entreprit  au  Mont- 
Cassin,  le  procureur  lorrain  fit  transcrire  et  réunir  les 
copies  authentiques  qu'il  désirait.  Le  Pape  devait,  en  effet, 
bientôt  donner  la  bulle  d'érection,  et  Dom  Rozet  voulait 
avoir  en  main  les  pièces  officielles  contenant  les  privi- 
lèges auxquels  la  nouvelle  congrégation  allait  participer. 

Le  7  avril  de  cette  année  1604,  Clément  VIII  érigea,  sous 
le  titre  de  Saint- Vannes  et  Saint-Hydulphe,  la  Congréga- 
tion qui  rapidement  devait  grandir  et  sortir  des  limites  de 
la  Lorraine,  pour  laquelle  on  l'avait  désirée  (1). 

(I)  Glemens  Papa  octavus.  Ad  perpetuam  rei  memoriam.  Quantum 
oz  monasteriis  pie  ioslitutis  et  recte  administratis  in  Ecclesia  Del 
splendorls  atque  utilitatis  oriatur  perpendentes  id  unutn  ex  debilo 
pastoralis  officii  prsestare  cupimus  ut  velus  et  regularis  disciplina  ubi 
eollapsa  est  restauretur  et  constantius  ubi  conservata  est  perse?orct  ac 
regulares  personse  ad  Régulas  quant  professa  sunt  prœscriptum,  vi- 
tam  suam  instituant  et  componant,  cui  rei  aliùs  sicut  accepimus,  cum 
venerabilis  frater  Errlcus  Episcopus  Virdunensis  diligenter  incumberet 
superioribus  annis  dlvlni  Numinis  providentia  ac  cura  et  diligenlia 
dicti  Errici  Episcopi  in  S.  Vitoni  Virdunensis  quod  unitum  est  mensse 
^piscopali  Virdunensi  et  S.  Hyduiphi  loci  Mediani  Monasterli,  Tul- 
lensis  seu  nuUins  diœcesis,  quod  ipse  Erricus  episcopus  ex  concession e 
et  dispensatione  apostolica  commendam  ad  sui  vitam  obtinet,  ordlnis 
S.  Benedicti  monasteriis,  reformaUo  observantiœ  regularis  juxta  ins- 
titula  et  Constitutiones  Montls  Cassinensis  Gongregationis  Introducta 
fuit  ac  monachi  utriusque  monasterli  hujusmodi  etiam  sponte  accep- 
taverunt,  omnibusque  huiusmodl  instilutis,  constltutionibus  hactenus 
sese  exacte  conformaverunt  et  in  futurum  conformare  Intendunt. 
Cum  autem  credibiie  non  sit  eiusmodi  reforma tionem  fore  diuturnam 
nisi  annuis  visitatlonibus  excolatur,  quae  tamen  ûeri  non  possunt  nisi 
inter  illos  allqua  Congregatlo  in  qua  Superiores  deputentur  qui  huius- 
modl munera  et  alla  ad  observantlam  et  reformationem  conservandam 
necessaria  subeant,  instituatur.  Pro  parte  Errici  episcopi  ac  dilectorum 
filiorum  Priorumet  Convcntuum  dlctorum  monasteriorum  nobls  humi- 
liter  supplicatum,  quatenus  eongregationem  dlctorum  duorum  monas- 
teriorum crigere  et  instituere  aliasque  in  prsemissis  opportune  provi- 
dere  de  auctoritate  apostolica  dignaremur. 

Nos   Igitur  plum  ac  nunquam  satis  laudandum  proposltum  Errici 


—  360  — 

La  jeunesse  de  la  réforme  empêchait  l'observance  de 
l'un  des  points  les  plus  importants  des  Constitutions  cas- 
siniennes  ;  il  fallait  plusieurs  années  de  vie  religieuse 
pour  être  élîgible  aux  charges,  sept  ans  pour  le  supériorat, 

episcopi  ac  Priorum  ac  conveQtuum  prifidiclorum  plurimum  in  Domino 
coinmendantos,  ac  eos  et  eoium  quemlibel  a  quibusvis  cxcommunica- 
tionis  suspensionis  el  intcrdicti  aliisque  ecclesiasticis  scntentiis  cen- 
suris  et  pœnis  a  jure  vel  ab  homine  quavis  occasiooe  Tel  causa  latls, 
si  quibus  quoinodolibet  innodati  existant,  ad  eflectum  prdBsentium 
duntaxat  consequendum  série  absolventes  et  absolûtes  fore  censentés, 
huiusinodi  supplicalionibus  inclinali,  ex  sententia  reforma tioni  praefec- 
torum  quibus  boc  universum  negotium  diligenter  examinandum  et 
nobis  référendum  commisimus,  Congregationom  perpetuam  diclorum 
monastoriorum  S.  Vitoni  et  S.  Hydulphi  ad  instar  Congregationis  Cas- 
sincnsis  scu  S.  JustinsB  de  Padua,  apostolica  auctoritate  tenore  praesen- 
tium  crigimus  et  instituimus  ;  ita  ut  capitulum  générale  et  ab  eo  electi 
pnesides  et  visitatorcs  enmdem  habeant  auctoritatem  in  dictée  Congre- 
gationis monasteria  prœdicta  ac  Regulares  in  eis  commorantes,  quam 
alii  Priesides  et  Visitatores  in  dicta  Congregatione  Montis  Cassinensis 
sou  S.  Justinie  de  l^adua,  teneanturque  suas  Ckingregationîs  monas- 
teria fréquenter  visitareot  illorum  reformatloni  incumbereel  ea  obser- 
var(>  quae  in  sacris  canonibus  et  Goncilio  Tridentino  sunt  décréta,  nec- 
non  cidcm  Congregationi  per  présentes  sic  erectœ  et  institutse  omnia 
et  singula  privilégia,  grattas,  induigentias,  immnnilates,  exemptiones, 
lit)ertates,  favores  et  indu  Ita  praedicta  Ck)ngregationis  Montis  Cassinen- 
sis seu  S.  Justinse  de  Padua,  illiusque  singuiis  monasteriis  per  quos- 
cumque  '^omanos  Pontificcs  praedecessores  nostros,  et  sedem  aposto- 
licam,  aut  aliàs  quomodolibet  concessa  et  in  futurum  concedenda  eis- 
dem  auctoritate  et  tenore  concedimus  et  impartimur  ac  omnibus  et 
singuiis  dictorum  monasteriorum  personis  et  praesidentibus  et  visita- 
toribus  ut  illis  potiri  et  gaudcre  necnon  qusBCumque  alia  monasteria 
il  la  ru  m  partium  quorum  conventus  et  monacbi  rcgularis  disciplinée 
observantiam  sou  reformationem  acceptare  illamque  sabire  voluerint 
cidem  Congregationi  praedictas  ercctae  aggrcgare.  illlsquc  omnia  et 
singula  privilégia,  gratias,  indulgentias,  immunitates  excmptiones, 
libertates,  favores  et  indulta  eis  concessa  et  concedenda  communicaro 
libère  et  licite  valeant  indulgemus.  Et  quamvis  etiam  sicut  acccpimus 
quodam  statuto  eiusdem  Congregationis  caveatur  et  expresse  probi- 
bcatur  ne  quis  ad  aliquem  supcrioritatis  gradum  assumi  possit,  nibi 
complète  scptcnnio  post  sacerdotium  in  Congregatione  susceptum  aut 
ad  cura  m  Novitlorum  nisi  complète  novcnnio,  neque  illi  qui  Sacerdotes 
ad  Congrcgationem  vcnerint,  nisi  decimo  sexto  et  decimo  octave  res- 
pective in  Congregatione  complète,  et  nemo  in  priorem  aut  abbatcm 
promoveri  possit,  nisi  quinquonnio  in  docanatu  aut  prioratu  respective 
laudabililor  vixcrit,  nibilominus  quia  nulli  vd  saltem  pauci  adhuc 
sunt  juxta  dictum  statutum  qualiûcali  et  diilicile  est  ut  in  futurum 


—  361  — 

neuf  ans  pour  Toflice  de  maître  des  novices,  à  compter  de 
la  date  du  sacerdoce,  si  on  l'avait  reçu  dans  Tordre,  et  res- 
pectivement quinze  ans  et  dix- sept  ans  à  compter  de  la 
profession,  si  Ton  était  entré  prêtre  au  monastère. 

On  exigeait  pour  les  prieurs  ou  abbés,  qu'ils  eussent 
passé  respectivement  cinq  ans  comme  doyens  ou  comme 
prieurs  avant  d'être  éligibles  à  ces  charges.  Le  procureur 
fit  valoir  la  difficulté  de  trouver  des  supérieurs  ayant  rem- 
pli ces  conditions,  et  le  pape  y  pourvut  dans  la  bulle  dont 
nous  donnons  ici  un  court  résumé,  laissant  le  texte  latin 
en  note. 

semper  reperiantur,  PraBsidenU  futuro  Congregationis  per  prsescntes 
ercctse  hujusmodi    ac   successoribus  suis   super    hujusmodi    statuto 
dispensandi  quolies  nccesse  erit  facultatem  tribuimus  et  potestatem  ; 
sicque  per  quoscumque  Judices  et  commissarios,  quayis  auclorilate 
fungentes,    sublata  eis  et  eorum  cuilibet   quavis   aliter  )udicandi  et 
interpretandi  facultato  et  anctoritatc,  ubique  Judicari  et  definiri  debere, 
nccnoD  irritatum  et  inane  quidquid  secus  super  bis  quavis  auctoritato 
scieiiter  vel  ignoranter  contigerit  attentari.  Quocirca  dilectis  (iliis  cau- 
sarum  curiœ  Camerae  apostolicae  genorali  Auditori  et  Decano  Ecclesiaï 
Virdunensis  et  PrîBposilo  Ecclesiaï  Gollegiatte  S.  Deodati  Tullensis  seu 
nullius  Diaecesis  per  praesentes  committimus  seu  mandamus  quatenus 
ipsi  vel  duo  aut  unus  eorum  per  se  vel  alium  seu  alios  przesentcs  lit- 
teras  et  in  eis  contenta  qusecumque  ubi  et  quando  opus  fuerit  publi- 
ciintes  faciant  auctorltate  nostra  omnia  observari  ;  contradictores  quos-  . 
libet  et  rebelles  et  pnemissis  non  obtempérantes  per  sententias,  cen- 
suras et  pœnas  ecclesiasticas  aliaque  opportuna  |uris  et  facll  remédia 
appellatione  postposita  compescendo,  invocato  etiam   ad  hoc  si  opus 
fuerit  auxilio  brachii  s^cularis.  Non  obstantibus  felicis  recordationis 
Bonifacii  Papaî  VIH  praedecessoris  nostri  de  una  et  Concilii   generalis 
de  duabus  disetis,  dummodo  vigore  prsesentium  ad  judicium  ultra  très 
dietas  non  trahatur  alilsque  constltutionibus  et  ordinationibus    apos- 
tolicis,  necnon  praedictis  et  aliis  dicti  ordinis  statutis,  consuetudinibus,. 
privilegiis  quoque  indultis  et  litteris    apostolicis   sub   quibuscumque 
tenoribus  et  formis   ac  cum   quibusvis  clausulis  et  decretis  in  génère 
vel  in  specie  quomodolibet  concessis   approbatis  et  innovatis  ;  quibus 
omnibus  etiamsi  de   ilIis   specialis,    speciGca,  expressa   et  individua, 
non  autem  per  clausulas  générales  idem  importantes  mentio  seu  quievls 
alia  expressio  habenda  foret,  illorum  tenores  pro  expressis  habentes, 
illis  allas  in  suo  robore  permansuris,  bac  vice  duntaxat  speclaliter  et 
expresse  derogamus  ceterisque   contrariis  quibuscumque.  Datum  Ro- 
mœ  apud  S.  Petrum  sub  annulo  piscatoris  die  VII  aprilis  MDCIV  pon- 
tiûcatus  nostri  anno  XIII.  M.  Vestrius  Barbianus. 


-  362  — 

Après  avoir  rappelé  Tutililé  que  TEglise  retire  des  ins- 
tituts monastiques  bien  gouvernés  et  fidèles  à  leurs  règles, 
Clément  VIII  rend  hommage  au  zèle  de  Tévèque  de  Verdun, 
le  prince  Erric,  qui  a  ramené  la  discipline  dans  les  deux 
monastères  de  Saint- Vannes  et  de  Saint-Hydulphe,  dont, 
par  dispense  apostolique,  il  cumule  la  commende. 

Pour  répondre  au  désir  de  Tévêque  et  des  moines,  et  afin 
de  consolider  cette  réforme  par  les  visites  annuelles,  le 
Pape,  après  avoir  consulté  ceux  qu'il  avait  préposés  à 
rétude  de  la  réforme,  érige,  de  son  autorité  apostolique, 
((  une  congrégation  stable  des  deux  monastères  de  Saint- 
Vannes  et  de  Saint-Hydulphe,  en  la  forme  et  sur  le 
modèle  de  la  congrégation  du  Mont  Cassin,  autrement 
de  Sainte-Justine  de  Padoue.  De  sorte  que  le  chapitre 
général  et  les  présidents  et  visiteurs,  qui  y  seront  élus, 
aient  la  môme  autorité  que  ceux  du  Mont-Cassin  sur  les 
monastères  qui  leur  sont  soumis  ».  Avec  Taulorité,  le 
Pape  conférait  à  la  nouvelle  Congrégation  les  w  privilèges, 
((  grâces,  indulgences,  immunités,  exceptions,  libertés  et 
((  faveurs,  octroyés  à  la  Congrégation  de  Sainte-Justine  », 
avec  le  droit  pour  ses  chefs,  d'aggréger  de  nouveaux 
monastères  et  de  leur  donner  part  aux  mômes  concessions 
obtenues  ou  à  obtenir  dans  la  suite. 

Quant  au  choix  des  supérieurs  dans  les  commencements. 
Clément  VIII  donne  pouvoir  aux  présidents  futurs  de  la 
Congrégation,  de  dispenser  autant  de  fois  qu'il  en  sera 
besoin,  des  délais  imposés  pour  Téligibilité. 

La  bulle  prévoyait  enfin  la  résistance  possible,  et  donnait 
tout  pouvoir  au  prévôt  de  Téglise  de  Saint-Dié  et  au  doyen 
de  l'église  de  Verdun,  chargés  de  la  publier,  pour  procé 
der  contre  les  opposants,  les  frapper  des  peines  et  cen- 
sures ecclésiastiques  et,  au  besoin,  avoir  recours  à  l'appui 
du  bras  séculier. 

C'est  un  véritable  succès  que  Dom  Rozet  avait  obtenu 
dans  un  délai  si  bref,  et  avec  des  clauses  aussi  larges  et 


—  363  — 

aussi  formelles  :  il  fut  reçu  avec  une  vive  joie  à  Saint- 
Vannes  ;  le  pieux  réformateur  surtout  voyait  ainsi  avec 
bonheur  son  œuvre  définitivement  consacrée  par  l'autorité 
apostolique.  On  se  préoccupa  aussitôt  de  la  publication  du 
document  pontifical,  et  il  semblait  que  tout  devait  aller 
sans  obstacle,  quand  inopinément  on  se  heurta  au  refus  du 
prince  Erric  lui-même. 

Bien  qu'il  eût  le  premier  consenti  à  l'érection  de  1% 
Congrégation  bénédictine,  l'évoque  de  Verdun  ne  pensait 
peut-être  pas  dès  l'abord,  que  cette  érection  dût  modifier 
l'exercice  de  son  autorité  sur  les  monastères  unis  dont  il 
était  l'abbé  commendataire.  Le  Pape,  dans  sa  bulle,  louait 
bien  le  zèle  et  l'activité  du  prince  pour  la  réforme  qu'il 
avait  si  sagement  introduite  ;  mais,  après  déclaration  faite 
par  son  autorité  apostolique  de  l'union  des  deux  abbayes 
en  Congrégation,  il  n'était  plus  fait  mention  que  du  chapi- 
tre général,  des  présidents  et  visiteurs  nommés  par  celui- 
ci,  sans  allusion  à  l'autorité  de  l'évêque  sur  la  nouvelle 
Congrégation.  L'administration  de  celle-ci  lui  échappait. 

Au  point  de  vue  du  droit,  c'était  légitime  et  môme  indis- 
pensable ;  la  commende  ne  pouvait  plus  entrer  en  ligne  de 
compte  dans  l'organisation  d'une  société  où  elle  n'existait 
que  de  fait  et  tradition,  non  en  vertu  d'un  principe. 

De  plus,  la  nouvelle  Congrégation,  recevant  le  pouvoir 
de  s'aggréger  d'autres  monastères,  et  participant,  par  la 
commission  des  privilèges,  à  l'exemption  de  la  Congréga- 
tion de  Sainte-Justine,  devait  être  dégagée  de  toute  inféo- 
dation  et  sujétion  à  tel  diocèse  ou  à  tel  évêque. 

Le  prince  Erric  était  d'un  caractère  trop  droit  pour  ne 
pas  se  rendre  compte  de  tout  cela  ;  mais,  à  plusieurs  repri- 
ses, nous  avons  pu  constater  que  sa  droiture  n'était  pas 
toujours  servie  par  un  volonté  assez  ferme  et  qu'il  se  lais- 
sait volontiers  influencer.  Autour  de  lui  et  plus  que  lui- 
même  peut  être,  on  s'inquiétait  de  l'autonomie  dévolue  à 
la  Congrégation  ;  on  voyait  s'échapper  l'autorité  jusque  là 


—  364  — 

réservée  toute  entière  à  Tévêque  ;  on  prévoyait  surtout  la 
un  plus  ou  moins  prochaine  de  la  «  commende  »,  qui  allait 
trouver  dans  la  «  régularité  »  une  ennemie  inévitable.  Le 
prince  Erric  prit  peur,  et  refusa  de  recevoir  et  de  publier 
la  bulle. 

Cette  résistance  inattendue  raviva  chez  les  religieux  de 
Saint-Vannes  la  crainte  d'un  naufrage  au  moment  où  ils 
iouchaient  au  port.  Didier  de  la  Cour  lui-même  s'en  émut  ; 
il  ne  ménagea  ni  prières  près  de  Dieu,  ni  instances  auprès 
de  celui  qui  l'avait  engagé  dans  l'œuvre  de  la  réforme,  et 
qui  semblait  alors  vouloir  tout  ruiner.  Il  gagna  sa  cause. 
Le  prince  Erric  se  rendit  et  donna  son  acquiescement  à  la 
fulmination  de  la  bulle,  après  l'avoir  lui-même  reçue  et 
acceptée. 

Il  fut  décidé  que  la  proclamation  solennelle  en  serait 
faite  à  Moyenmoutier  en  présence  du  couvent  et  de  deux 
délégués  de  Saint-Vannes.  Elle  eut  lieu  en  effet  le  8  juillet 
suivant. 

Gabriel  de  Raynette,  prévôt  et  chanoine  de  l'insigne  col- 
légiale de  Saint-Dié,  en  vertu  des  pouvoirs  que  lui  confé- 
rait le  Pape,  fît  lire  la  bulle  d'érection  dans  le  chapitre  de 
Moyenmoutier,  et  prononça  contre  les  opposants  et  les 
rebelles  de  l'extérieur  la  peine  d'excommunication,  contre 
ceux  du  couvent  la  suspense  a  divinis,  contre  les  chapelles 
et  églises  des  dits  rebelles  l'interdit.  Il  intima  en  outre  à 
tous  clercs,  notaires  et  tabellions  publics,  etc.,  de  prêter 
leur  concours,  s'il  était  nécessaire,  pour  procéder  contre 
les  opposants  après  leur  avoir  fait  les  trois  monitions 
requises. 

Acte  fut  dressé  aussitôt  de  cette  publication,  en  présence 
de  Jean  Lignarius,  abbé  de  Senones,  Antoine  Doridan,  abbé 
d'Etival,  de  Fr.  Claude  Jaquot,  autrement  dit  Chamagne. 
prieur  claustral,  et  Fr.  François  Mallau,  prêtre  et  religieux 
profès  du  monastère  de  Senones,  de  noble  sieur  François 
Fournier,  percepteur  des  revenus  de  S.  A.  le  duc  de  Lor- 


—  365  — 

raine  à  Saint-Dié  et  Raon,  témoins  appelés  foroiellenient 
pour  assister  à  la  présente  déclaration. 

La  publication  finie,  rédigée  et  soussignée  par  le  notaire 
J.  Ruyr,  les  religieux  présents  furent  invités  à  formuler 
l'acceptation  de  la  bulle,  ce  que  le  prieur  de  Moyenmoutier 
fit  en  son  nom  et  au  nom  de  ses  moines  ;  D.  Aubert  Rollet 
ainsi  que  D.  J.  Pichard  confirmèrent  cette  déclaration, 
tant  pour  eux  que  pour  le  prieur  et  le  couvent  de  Saint- 
Vannes,  dont  ils  étaient  les  représentants.  Le  même  notaire 
en  dressa  Tacte  officiel  (1). 

Ainsi  fut  érigée  et  constituée  la  Congrégation  lorraine 
bénédictine  de  Saint  Vannes  et  de  Saint-Hydulphe,  le  8 
juillet  1604.    Elle    comptait    alors  vingt  trois  profès  de. 
chœur. 

L'organisation  du  régime  s'imposait  ;  c'était  le  chapitre* 
général  qui  devait  s'en  occcuper  ;  on  le  réunit*  le  31  du 
même  mois  dans  l'abbaye  de  Saint- Vannes. 

Dom  Didier  de  la  Cour  en  fut  élu  président,  ainsi  que  de 
la  Congrégation,  sans  abandonner  pour  cela  le  titre  de 
prieur  de  Saint-Vannes  ;  Dom  Pierre  Rozet  fut  nommé 
visiteur;  Dom  Claude  François,  prieur  de  Moyenmoutier. 
Parmi  les  principales  questions  soumises  au  chapitre, 
nous  devons  citer  celle  concernant  les  pouvoirs  des  nou- 
veaux supérieurs  de  la  congrégation.  Les  constitutions  du 
Mont  Cassin  adoptées  par  les  Vannistes  se  référaient  à  la 
juridiction  et  aux  pouvoirs  de  supérieurs  revêtus  du  titre 
d'abbés:  les  réformés  de  Lorraine  n'avaient  que  des  prieurs, 
et  il  ne  semblait  pas  que,  avant  bien  longtemps,  ils 
eussent  d'autres  titulaires.  La  difficulté  pouvait  devenir 
grave  en  face  des  abbés  commendataires  toujours  prompts 
à  reprendre  l'autorité  à  laquelle,  plus  ou  moins  forcément, 
ils  avaient  dû  renoncer. 

Le  chapitre  général  résolut  de  s'adresser  de  nouveau  à 

(1)  Cf.  D.  H.  Belhomme,  Hist.  Med.  mon. 


—  366  - 

Rome  afin  d'obtenir  une  solution  du  doute  sur  l'extension 
de  Tautorité  des  prieurs  lorrains  réformés  ;  il  confia  celte 
mission  à  Dom  P.  Rozet,  qui  revenait  à  peine  de  la  Ville 
éternelle.  Il  ne  partit  que  quelques  mois  plus  tard,  au 
commencement  de  Tannée  i605. 

Les  constitutions  de  ce  chapitre  (1)  portent  en  grande 
partie  sur  des  doutes  liturgiques.  On  y  décida  que,  aux 
matines  de  la  férié,  on  chanterait  Thymne  ;  aux  matines  des 
fêtes  doubles,  la  première  hymne,  le  Te  Deum,  le  Te  decet 
laus,  TEvangile,  TOraison  et  les  Laudes  depuis  le  Capitule, 
ainsi  que  les  Mémoires  aux  Laudes  et  aux  vêpres  (n'I). 

Dans  le  triduum  avant  Pâques^  les  matines  seront  chan- 
tées en  latin,  sauf  les  répons  (n*>  2). 

Le  jour  de  Noël,  Tlnvitatoire  et  le  psaume  Venite  seront 
chantés  par  deux  chantres  en  chapes  (n^  3). 

On  célébrera,  selon  le  rit  usité  dans  le  pays,  les  fêtes  de 
la  Purification  et  de  l'Annonciation  de  Notre-Dame  (n^  4, 
5,6). 

Le  Kyrie  eleison  qui  se  chante  avant  le  Pater  et  l'Orai- 
son à  Tofïice,  sera  chanté  en  se  tournant  vers  l'autel  (n*  7). 

Les  n^  8  et  9  règlent  les  psaumes  du  chant  et  le  ton  du 
Deus  in  adjutorium,  ainsi  que  la  bénédiction  du  feu  qui 
se  fera  more  romano. 


(1)  C'est  aux  Archives  nationales  à  Paris  que  nous  avons  trouvé  le 
texte  des  décrets  ou  constitutions  des  chapitres  généraux  de  Saint- 
Vannes,  sous  la  cote  LL,  991. 

Le  cahier  qui  les  contient  servit  à  la  congrégation  de  S.-Maur, 
comme  de  source  authentique.  On  se  contenta  d'adapter  à  l'usage  de 
cette  congrégation  les  décrets  édictés  pour  la  congrégation  lorraine,  et 
les  modifications  furent  insérées  dans  le  texte  même  ;  elles  sont  peu 
nombreuses  du  reste. 

Voici  le  titre  du  recueil,  fol.  26,  r*  :  Scquuntur  acta  capitulornra 
generalium  Congregationis  SS.  Vitoni  et  Hidulphi  usque  ad  ereclionem 
Congregationis  S.-Mauri  in  rqgno  Galliîe.  Quas  Patres  Gongr.  S.  Mauri 
observari  mandarunt  prœter  ea  qiiœ  delela  sunt,  (Chapitres  de  t60i  à 
1622,  fol.  26  à  42).  A  la  suite  se  trouvent  les  décrets  des  chapitres 
généraux  do  la  congrégation  de  S.-Maur  depuis  1618,  époque  de  sa 
formation. 


—  367  — 

Désormais  on  suivra  exactement  Je  bréviaire,  pour 
la  récitation  de  Tofiice,  sans  rien  changer,  ajouter,  ni 
retrancher  (n^  10). 

La  réception  des  novices  et  leur  profession  se  feront 
désormais  selon  le  rite  du  Mont  Cassin,  en  conservant 
toutefois  l'usage  de  choisir,  en  chapitre,  entre  les  vête- 
ments du  siècle  et  les  habits  monastiques  (n""  11). 

Chaque  fois  qu'il  plaira  au  R.  Père  Président  de  se  trans- 
porter dans  un  autre  monastère  que  celui  de  sa  ré&idence 
habituelle,  il  sera  nourri,  ainsi  que  son  socius  et  son  domes- 
tique, aux  frais  de  ce  monastère  pendant  son  séjour.  Les 
frais  du  voyage  seront  mis  au  compte  de  la  Congrégation, 
tant  pour  l'aller  que  pour  le  retour  (n^  12). 

Pendant  l'absence  de  Dom  Rozet,  la  charge  de  visiteur 
revint  à  Dom  Didier  de  la  Cour.  A  cette  occasion,  il  fit 
plusieurs  fois  à  pied,  le  voyage  de  Saint-Vannes  à  Moyen- 
moutier,  où  les  religieux  s'acclimataient  peu  à  peu,  depuis 
que  les  vexations  des  anciens  et  de  leurs  amis  du  dehors 
les  laissaient  en  paix.  Au  retour  de  l'un  de  ces  voyages,  le 
réformateur  s'arrêta  à  Nancy,  appelé  d'office  par  le  cardinal- 
légat  :  Dom  Didier  de  la  Cour  n'avait  pas  eu  le  temps  de  faire 
disparaître  les  traces  de  fatigue  d'une  route  si  pénible 
pendant  la  mauvaise  saison  ;  il  dut  se  présenter  avec  toutes 
les  apparences  d'un  homme  exténué,  et  reçut  du  cardinal- 
légat  de  sérieux  reproches  sur  la  manière  dont  il  traitait 
sa  santé.  Allant  même  plus  loin,  au  cours  de  la  conversa- 
tion engagée  sur  le  terrain  de  la  réforme,  dont  il  désirait 
la  propagation  dans  les  trois  évêchés  et  toute  la  Lorraine, 
le  cardinal  représenta  à  Didier  de  la  Cour  l'influence  dan- 
gereuse que  son  austérité  pouvait  avoir  sur  les  novices  de 
bonne  volonté,  mais  de  faible  santé.  Il  lui  rappela  comme 
exemple  les  souffrances  des  moines  de  Saint  Hydulphe. 

C'étaient  toujours  les  mêmes  objections  qui,  une  pre- 
mière fois,  avaient  ruiné  les  essais  de  réformes  tentés  par 
le  légat  et  qui  revenaient  encore  à  son  esprit.  Le  réforma- 


I 


—  368  — 

leur  ne  se  laissa  nulleineot  troubler  :  bien  qu'en  pratique 
il  se  fût  beaucoup  modifié,  il  ne  voulait  pas  admettre  en 
principe  que  des  mitigations  pussent  avoir  plus  de  succès 
qu'une  franche  observance  II  exposa  ses  vues  au  cardinal, 
expliqua  les  malheurs  de  ses  confrères  de  Saint-Hydulphe 
en  montrant  qu'il  fallait  les  attribuer  à  des  causes  étran- 
gères à  l'observance  de  la  réforme,  et  en  donna  comme 
preuve  leur  prompt  rétablissement  dès  qu'ils  furent  de 
retour  à  Verdun. 

Le  cardinal,  satisfait  des  réponses  et  des  explications 
du  pieux  religieux,  lui  soumit  son  plan  au  sujet  de  l'ex- 
tension de  la  réforme,  et  lui  lit  part  de  son  projet  d'en 
écrire  au  Procureur  de  la  Congrégation  et  au  Pape,  afin 
d'obtenir  un  bref  lui  donnant  sur  ce  point  toute  autorité. 
Didier  de  la  Cour  l'approuva. 

Dom  Rozet  avait  pendant  ce  temps  présenté  sa  requête 
en  cour  de  Rome  et,  le  23  juillet,  le  Pape  Paul  V  lui  accor- 
dait la  concession  désirée  par  le  chapitre  général  de  l'année 
précédente  (1). 

(1)  Paulus  V.  Ad  perpetuam  rei  memoriam.  Ex  iuncto  nobis  dosuper 
apostolicse  servitulis  oflicio,  ad  ea  libentcr  LDtendimiis  ut  regulares  per- 
soDie  quse  ad  suœ  profcssionis  pcrfeetloncm  altineat  fideliter,  observent 
etquse  proptcrca  a  scde  apostolica  facta  fuisse  coinperimus  ut  firiniiis 
subsistant,  approbamus  et  confirmamus.  Dudura  siquidem  fol.  rec. 
Clemens  PP.  VIÏI  praedecessor  Doster  certis  causis  adductus  eongrega- 
tionem  monasteriorum  SS.  Vitoni  Virdunensis,  et  Uydulpbi  TuUensis, 
seu  nullius  diœcesis,  ordinis  S.  Benedicti  ad  instar  congregationis  Men- 
tis Gassinensis  seu  S.  Justinae  de  Padua  apostolica  auctoritate  perpc- 
tuo  erexit  ila  ut  générale  capitulum  et  ab  eo  electi  priesides  vel  visl- 
tatores  eamdem  baberent  aucloritatem  in  dictée  congregationis  monas- 
teria  pnedicla  ac  regulares  in  ois  commorantes,  quam  aiii  pra^sides  ac 
vlsitalorcs  in  dicta  congregatione  Monlis  Gassinensis  seu  S.  Justimr  de 
Padua,  dictieque  congregutiuni  sic  erecUe  omnia  et  singula  privilégia, 
gratias,  indulgentias,  cxomptiones,  libertates,  favores  et  indulta  dicla^ 
congregationis  Montis  Ga.ssini  seu  Sanctée-Justinae  illiusque  singulis 
monasteriis  per  quoscumquc  llomanos  Pontificos  et  dicta  m  sedem  aut 
alias  quomodolibet  concessœ  et  in  futuruoi  concedendie  dicta  auctori- 
tate concessit  ac  omnibus  et  singulis  dictorum  monasteriorum  perso- 
nis  et  praesidentibus  et  visitatoribus,  ut  illis  potiri,  uli  et  gaudere  ac 
ea  communlcare  libère  valeant  induisit,  prout  in  litterls  dicti  pncde- 
cessoris  desuper  die  sepUma  aprilis  1604  confcctis  plcnius  continetur. 


—  369  — 

Après  avoir  rappelé  rérection  faite  par  son  prédéces- 
seur Clément  VIII,  de  la  Congrégation  de  Saint- Vannes  et 
de  Saint  Hydulphe,  et  la  communication  au  chapitre  géné- 
ral, aux  présidents,  et  aux  visiteurs  qui  la  gouvernent,  des 
privilèges,  immunités,  exemptions  concédés  dans  le  passé 
à  la  Congrégation  du  Mont-Cassin  ou  à  concéder  dans  Tave- 
nir,  ainsi  qu*il  ressort  des  lettres  apostoliques  du  7  avril 
1604,  Paul  V  expose  le  doute  soumis  par  le  procureur  de 
cette  congrégation,  D.  Pierre  Rozet,  au  sujet  des  supé-^ 
rieurs  dépourvus  du  titre  d'abbé. 

Cum  autem  sicuU  dilectus  fîlius  Petrus  Roset,  procurator  geacralis 
congregationis  SS.  Vitoni  et  Hidulphi  huiusmodi  nomine  ipsius  con- 
grogalioDis  exponi  nobis  nupcr  fecit  forsan  a  nonnullis  ambigi  possit 
an  prsesides,  visitatores,  priores,  aliiqao  superiores  in  dicta  congro- 
gaUone  SS.  Vitoni  et  Hidulphi  principale  rcgimen  habentes  non  abba- 
tos,  possint  habere  eamdem  auctoritatem  vigore  dictarum  litterarum 
quam  in  dictae  congregationis  Montis  Cassini  scu  Sancto^  JustinaB  do 
Padua  monasteria  babeant  :  Nos  omnem  in  priemissis  dubitandi  mate- 
riam  amputarc  cupiontcs  ac  tcnorcm  diclaram  litterarum  proinde  ac 
si  do  verbo  ad  verbum  insororontur  prrtîsentibus  pro  exprossis  haben- 
tes, ex  voto  Venerabilium  fratrum  nostrorum  S.  R.  Ecclesiie  Gardina- 
lium  super  negotiis  Kpiscoporum  et  Rcgularium  deputalorum  crec- 
lionem  et  privilogiorum  ot  aliorum  praedictorum  concessionem  et 
communicationom  ac  indultum  per  litteras  pr<pdictas  ac  omnia  et  sin- 
gula  in  eis  contenta  aposlolica  auctoritate  tonore  pra'sentium  pcrpotuo 
approbamus  ot  con(lrm:iinus  ita  ut  praîsidcnles,  visitatores,  priores, 
aliique  superiores  principale  regimen  dictîc  congregationis  SS.  Vitoni 
et  Hidulphi  pro  temporo  habentes  in  monasteria  ipsius  congregationis 
SS.  Vitoni  et  Hidulphi  ac  personas  in  eis  pro  temporc  coramorantes 
eamdem  auctoritatem  prorsus  habeant  et  eisdem  privilogiis  a  Romanis 
Ponlificibus  priedocessoribus  nostris  concessis  uti  possint  etsi  illi  abbates 
non  sint,  quam  pra>sidenles  et  visitatores  aliique  superiores  dictie  con- 
gregationis Montis  Cassini  habent  et  habere  poterunt  quomodolibet  in 
futurum  quibusque  utuntur,  fruuntur,  potiuntur  et  gaudent  ac  uti 
frui  potiri  et  gaudore  valebunt,  sicque  per  quoscumque  indices  et 
commissarios  quavis  auctoritate  fungentes,  sublata  eis  eorum  cuilibet 
quavis  aliter  iudicandi  et  interpretandi  facultate  et  auctoritate  ubique 
indicari  et  definiri  debere,  irritum  quoque  et  inane  decernimus  si 
socus  super  his  a  quoquam  quavis  auctoritate  scionter  vel  ignoranter 
contigeril  attentari.  Non  obstantibus  pnemissis  ac  quibusvis  constitu- 
tionibus  et  ordinationibus  apostolicis  necnon  omnibus  illis  quae  dictus 
prîedccessor  in  suis  litteris  pnedictis  voluit  non  obstare  cœterisque 
contrariis  quibuscumque. 

Datum  Romœ,  apud  S.  Marcum  die  XXIII  julii  1605,   P.  N.  anno 
primo. 

M.  Vestrius  Barblanus. 


-    370  - 

«  Pour  enlever  tout  doute  sur  ce  point,  dit  le  Pape, 
renouvelant  les  privilèges  et  les  concessions  de  Notre 
Prédécesseur,  du  conseil  des  Emes  Cardinaux  préposés 
aux  affaires  des  Evoques  et  Réguliers,  Nous  voulons,  que 
les  Présidents,  Visiteurs,  Prieurs  et  autres  Supérieurs 
chargés  du  gouvernement  majeur  de  la  dite  Congrégation 
des  Saints  Vannes  et  Hydulphe,  jouissent  sur  les  monas- 
tères qui  en  dépendent,  ainsi  que  sur  ceux  qui  les  habi- 
tent, 'de  la  même  autorité  et  des  mêmes  privilèges  qui 
ont  été  concédés  par  Nos  Prédécesseurs  aux  Présidents, 
Visiteurs,  et  autres  Supérieurs  de  la  Congrégation  du 
Mont-Cassin,  quand  bien  même  les  dits  Supérieurs  de 
Saint- Vannes  ne  seraient  point  abbés.  » 

Et  ce,  nonobstant  toute  tentative  et  toute  constitution 
contraires. 

Lorsque  la  nouvelle  de  cette  faveur  parvint  en  Lorraine, 
le  cardinal-légat  se  mit  à  Tœuvre  pour  obtenir  le  bref  en 
vue  de  l'extension  projetée  de  la  réforme,  et  il  en  écrivit 
à  Dom  Rozet  afin  que  celui-ci  prolongeât  son  séjour  à 
Rome.  Le  procureur  n'y  perdit  point  son  temps.  Plu- 
sieurs demandes  présentées  par  lui  cette  année  existent 
encore  dans  les  archives  de  la  Congrégation  des  évèques 
et  réguliers  ;  Tune  implore  pour  les  Vannistes  l'induit 
de  dispense,  dont  plusieurs  autres  ordres  jouissent,  par 
rapport  aux  offices  de  la  Sainte-Vierge  et  des  défunts, 
marqués  comme  obligatoires  pour  les  chapitres,  dans 
rédition  du  bréviaire  monastique  ordonnée  par  S.  Pie  V. 
Le  procureur  insiste  spécialement  pour  que  l'induit  soit 
accordé  aux  religieux  légitimement  dispensés  de  la  pré- 
sence au  chœur. 

La  Congrégation,  avant  de  donner  une  réponse,  demanda 
si  la  règle  de  Saint-Benoit  ne  s'y  opposait  pas,  et  le  procu- 
reur lui  exposa  que  rien  dans  la  règle  ne  prescrivait  ces 
offices. 

Malgré  cet  éclaircissement,  il  ne  semble  pas  que  Dom 


—  371  — 

Rozet  obtint  tout  ce  qu'il  demandait,  car  les  constitutions 
portent  certaines  indications  pour  les  jours  où  Ton  doit 
réciter  au  chœur  roffice  de  la  Sainte-Vierge  ou  celui  des 
défunts. 

Il  fut  plus  heureux  sur  un  autre  point  beaucoup  moins 
important,  en  recevant,  pour  les  supérieurs  des  monastères, 
le  pouvoir  de  déléguer  un  frère  convers  dans  la  prépara- 
tion des  vases  sacrés  de  la  messe. 

Entre  temps,  il  fit  un  second  voyage  au  Mont  Cassin  et  y 
reçut  des  conseils  précieux  qu'il  rédigea  en  douze  articles, 
lesquels  servirent  de  base  aux  décrets  portés  plus  tard  par 
le  cardinal-légat  sur  le  gouvernement  de  la  congrégation 
lorraine. 

Quatre  professions  marquèrent  pour  le  chœur  cette 
année  1603;  entre  autres,  celle  de  D.  Hydulphe  Jobarf, 
profès  le  7  septembre- à  Moyenmoutier.  Ce  religieux  devait, 
dans  une  vie  monastique  assez  courte  (il  mourut  à  Saint- 
Mihiel  le  20  septembre  1632),  rendre  de  vrais  services  à  la 
Congrégation,  dont  il  exerça  les  principaux  emplois,  et 
dont  il  fut  même  élu  président  l'année  qui  précéda  sa 
mort  (1). 

Le  chapitre  général  de  cette  année  1605  nomma,  comme 
président,  D.  Claude  François,  alors  prieur  de  Moyenmou- 
tier, et  continua  de  s'occuper  surtout  des  modifications  à 
introduire  dans  certaines  coutumes  liturgiques,  comme  en 
ce  qui  concernait  les  funérailles  des  frères  (art.  1'^'*)  ;  la 
fêle  de  la  Translation  de  Saint-Benoît  (au  11  juillet),  laquelle 
aurait  une  octave,  et  se  célébrerait  solennellement  (art.  2)  ; 
les  fêtes  des  saints  Vannes  et  Hydulphe,  déclarés  patrons 

(i)  D.  Hydulphe  Jobart  a  composé  : 

!•  L'honneur  du  prince  regretté  sur  la  vie  et  le  trépas  de  Henri  II, 
duc  de  Lorraine^  1625  ; 

2"  L'histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Mihiel,  2  vol.  in-fol.  —  Le  pperaier 
a  pour  titre  :  Antiquité  de  l'ancienne  abbaye  de  Saint-Mihiel.  Le 
deuxième  rapporte  tout  ce  qui  s'est  passé  au  temps  de  l'introduction 
de  la  réforme.  D.  Galmbt,  Bibl.  lorraine. 


—  372  — 

principaux  de  la  Congrégation  (art.  3)  ;  la  sonnerie  des 
cloches  (art.  4)  ;  le  rite  à  suivre  à  la  fête  de  la  Sainte-Trinité 
(art.  5);  la  distribution  de  Teau  bénite  (art.  6)  ;  la  manière 
de  réciter  les  oraisons  (art.  7)  ;  Tadoration  de  la  Croix  le 
Vendredi-Saint  (art.  8)  ;  les  inclinations  profondes  au 
chœur  (art.  9)  ;  la  première  messe,  que  les  nouveaux 
prêtres  ne  chanteront  que  quinze  jours  après  leur  ordina- 
tion, et  le  rôle  d'hebdomadier  qu'ils  feront  pendant  six 
semaines  (art.  10)  ;  les  Patrons  des  monastères  (art.  11)  ; 
la  rubrique  à  suivre  dans  la  variation  des  tons  du  Gloria  à 
la  messe,  lesquels  tons  sont  au  nombre  de  quatre,  non 
compris  celui  de  Pâques  (art.  12). 

Les  autres  articles  ont  rapport  aux  a  Déclarations  »  pro- 
prement dites  (1).  Le  n^  13  porte  que  les  supérieurs  auront 
un  modèle  des  habits  monastiques  ;  le  n®  14,  que  les  novices 
seront  soumis  à  Texamen  du  chapitre  quatre  mois  après 
leur  entrée  au  noviciat,  puis  de  nouveau  quatre  mois  après. 

II  y  aura  (u»  15)  trois  clés  pour  fermer  Tarchive  et  le 
trésor  où  Ton  conservera  les  objets  précieux.  L'une  de  ces 
clés  sera  en  la  possession  du  prélat  ;  les  deux  autres  seront 
confiées  à  deux  anciens  qui,  autant  que  possible,  seront 
présents,  lorsqu'on  devra  sortir  quelque  objet  de  ces  deux 
endroits. 

Le  serviteur  de  table  prendra  son  repas  avec  le  lectenr 
dans  les  monastères  importants  (n®  16). 

On  tiendra  une  liste  de  tous  les  profès  avec  le  jour, 
l'année  et  le  nom  du  monastère  où  ils  auront  émis  leurs 
vœux  (no  17). 

Les  détails  de  la  vie  des  réformés  se  précisaient  ainsi 
chaque  année  ea  revenant  aux  traditions  anciennes  et  à 
une  saine  interprétation  de  la  règle  bénédictine.  Concentrée 

(1)  Le  mot  «  Déclarations  »  mis  ici  pour  Constitutions^  indique  un 
mode  spécial  d'explications  ou  développements  ajoutés  aux  chapitres 
de  la  ri^gle  proprement  dite  ou  d'additions  aux  constitutions  elles- 
mêmes.  D.  Galmet,  Biblioth,  lorr.^  art.  J. 


-  -  373  — 

dans  Vopus  Dei,  Toffice  divin,  rattention  des  Vannistes  se 
portait  en  premier  lieu  sur  ce  qui  était  de  nature  à  donner 
à  celle  œuvre  principale  une  organisation  régulière  et 
édifiante,  et  cela  explique  les  minutieux  décrets  liturgiques 
des  divers  chapitres  généraux.  Didier  de  la  Cour  répondait 
par  là  aux  exigences  monastiques  de  la  vie  bénédictine  et 
attirait  en  môme  temps  de  nombreux  admirateurs  dont 
plusieurs  ne  tardaient  pas  à  trouver  leur  voie^  comme  lui 
avait  trouvé  la  sienne,  au  contact  de  ce  courant  liturgique. 

La  formation  des  novices  était  aux  yeux  du  réformateur 
d'une  importance  capitale  :  ce  qu'il  avait  établi  dès  le 
principe  pour  les  rompre  à  Tobéissance  et  à  Thumililé, 
était  maintenu  sans  faiblesse  comme  sans  rigueur.  Mais  il 
voulait  faire  des  hommes  prêts  à  toutes  sortes  de  missions. 
A  réducation  de  la  volonté,  il  joignit  celle  de  l'esprit  par 
des  cours  sérieusement  organisés  ;  nous  verrons  bientôt  le 
chapitre  général  et  les  supérieurs  du  régime  prendre  en 
mains  la  direction  des  études,  et  leur  donner  une  impul- 
sion nouvelle. 

On  pouvait,  par  ces  premiers  fruits,  juger  du  bien  que 
la  réforme  devait  opérer  là  où  elle  s'établirait.  Ceux  qui 
lui  avaient  fait  opposition  revenaient  peu  à  peu  de  leurs 
préjugés  :  elle  sortait  insensiblement  de  la  période  des 
essais,  pour  devenir  un  fait  accompli  et  accepté. 

Dom  Didier  de  la  Cour  lui  même,  dont  la  prudente 
réserve  et  les  timidités  du  commeucement  s'expliquent 
trop  bien  par  les  difficultés  de  Tœuvre,  avait  retrouvé 
toute  confiance  :  il  semblait  voir  clairement  le  doigt  de 
Dieu  dans  la  transformation  inespérée  dont  il  était  le 
témoin  Personne  plus  que  lui  n'était  capable  de  l'appré- 
cier, parce  que  personne  comme  lui  n'avait  senti  le  néant 
des  appuis  et  des  elîorts  humains  dans  son  accomplisse- 
ment. Tout  s'était  passé  presque  malgré  ceux  qui  s'étaient 
employés  de  tout  leur  zèle  à  la  provoquer:  les  vues  person- 
nelles,  les  intérêts   temporels,  les  mesquines  questions 


-  374  - 

d'influence,  les  intrigues  multiples  dont  les  détenteurs  de 
Tautorité  avaient  peine  à  apercevoir  la  trame,  le  défaut  de 
ressources,  tout  se  conjurait  au  dehors  pour  la  ruine.  Au 
dedans,  elle  allait  à  rencontre  de  l'ambition  et  de  la  faci- 
lité de  vie  et  n'apportait  pour  toute  attraction,  en  dehors 
des  espérances  de  Téternité,  qu'une  perspective  d'humilia- 
tions et  de  renoncements  quotidiens. 

Souvent  le  succès  de  l'entreprise  parut  compromis  ; 
chaque  fois,  elle  sortit  du  danger  plus  assurée  et,  à  peine 
le  pieux  réformateur  commençait-il  à  désespérer,  qu'une 
indication  providentielle  venait  relever  son  courage  et 
ranimer  son  ardeur. 

En  lisant  les  diverses  péripéties  de  cette  page  d'histoire, 
on  pourrait  se  demander  pourquoi  Didier  de  la  Cour  se 
laissait  si  facilement  abattre,  et  si  les  désirs  fréquents  de 
changer  de  vie  dont  il  fut  saisi  n'enlèvent  pas  à  son  carac- 
tère ce  trait  de  ténacité  douce  que  nous  lui  avions  reconnu 
à  son  entrée  en  religion  ? 

Il  suffit,  pour  dissiper  ce  doute,  de  se  rendre  compte  du 
genre  d'œuvre  auquel  la  Providence  l'avait  appelé.  La 
ténacité  peut  s'exercer  quand  elle  a  pour  objet  une  disci- 
pline nettement  tracée,  proposée  à  des  volontés  tenues  de 
s'y  soumettre.  Tel  n'était  point  le  cas.  La  réforme  ne  pou- 
vait avoir  force  de  loi,  qu'avec  le  concours  spontané  des 
religieux  à  qui  on  la  présentait.  Or,  ceux  de  Saint-Vannes 
d'abord,  de  Moyenmoutier  ensuite,  étaient  loin  de  cette 
générosité,  et  ils  n'étaient  tenus  d'observer  que  les 
prescriptions  strictes  auxquelles  la  profession  les  enga- 
geait. Leur  refus  d'aller  plus  avant  était  appuyé  par  leurs 
amis  du  dehors,  et  l'autorité  ecclésiastique,  ébranlée  par 
ceux-ci,  n'osait  intervenir  pour  réduire  leurs  objections. 

En  face  de  ces  obstacles  humainement  insurmontables, 
quelle  volonté  ferme  n'eût  pas  fléchi  ou  cédé  ?  Dieu  seul 
pouvait  apporter  le  remède  :  l'humilité  du  pieux  réforma- 


1 


-  375  - 

leur  ne  Tautorisait  pas  à  croire  que  Dieu  mettrait  la  main 
à  l'œuvre  dont  il  se  sentait  Tinfirae  instrument. 

Mais,  du  jour  où  quelques  caractères  généreux  et  résolus 
se  groupèrent  autour  de  lui,  Didier  de  la  Cour  reprit  espoir, 
et  quand,  après  bien  des  luttes,  il  vit  sa  petite  phalange 
définitivement  enrôlée  sous  la  réforme,  et  prête  à  tous  les 
sacrifices,  il  n'hésita  plus.  La  victoire  était  assurée,  le 
temps  achèverait  de  la  rendre  complète. 

C'est  l'heure  où  la  réforme,  sanctionnée  par  l'autorité 
apostolique,  soutenue  par  le  légat  et  fortifiée  par  la  pré- 
sence d'un  délégué  du  Saint-Siège,  allait  prendre  sa  cons- 
titution définitive.  L'autorité  personnelle  de  Didier  de  la 
Cour  cédait  la  place  à  l'autorité  de  l'Eglise  ;  son  influence 
ne  cessa  pas  pour  cela  d'inspirer  tous  les  actes  et  toutes  les 
décisions  qui  devaient  promouvoir  le  développement  de 
son  œuvre. 


DEUXIÈME  PAKTIE 


De  la  Visite  jusqu'à  la  mort  de  Dom  Didier  de  la  Cour 
(1605-1623) 

CHAPITRE  PREMIER 

Le  cardinal -légat  obtient  un  bref  pour  l'exteoslon  de  la  réforme,  27 
septembre  1605.  —  Dom  Rozet  revient  avec  un  visiteur  apostolique  : 
Dora  Laurent  Lucalberti.  —  Visite  des  monastères,  d'après  la  rela- 
tion adress('îe  au  Souverain  Pontife.  ~  Considérations  générales  sur 
les  abbayes  de  Lorraine  ;  état  de  la  réforme  ;  visite  de  Saint-Mibiel 
(introduction  de  la  réforme),  de  Longueville,  Saint  Nabor,  Bouzon- 
ville. 

La  réforme,  si  bien  commencée  ù  Saint- Vannes  de  Ver- 
dun et  à  Saint-Hydulphe  de  Moyenmoutier,  ne  devait  pas 
tarder  à  prendre  de  l'extension.  Pressé  par  ceux  qui  dési- 
raient en  voir  les  fruits  se  multiplier,  le  cardinal  de  Lor- 
raine l'eprit  confiance  en  constatant  Theureux  succès  des 
efforts  du  prince  Erric,  et  se  laissa  persuader  de  demander 
à  Rome  un  bref  pour  l'introduction  de  ladite  réforme  dans 
les  abbayes  dépendantes  de  sa  juridiction. 

Dom  Pierre  Rozet  se  trouvait  encore  en  Italie,  où  il  venait 
d'obtenir  si  heureusement  plusieurs  privilèges  pour  la 
nouvelle  Congrégation  ;  le  cardinal  lui  écrivit,  le  priant 
de  poursuivre  l'envoi  d'un  nouveau  bref  en  vue  de  son 
projet.  La  lettre  que  nous   donnons   en   note  (1),  nous 

(1)  Quum  ab  Illma  Dominatione  Vestra  pro  salutari  reformat ione 
monastcriorum  monacborum  0.  S.  Benedicti  provintiiie  et  dislrictus 
istius  legationis  prudenter  proposlta  sunt  uti  ab  ea  quam  prœ  se  fert 
singulari  pictate  et  zelo  pcrfecta  Ilmo  D.  N.  grata  admodum  fuerunt. 
Nam  et  Hcutitudini  suie  antiquius  nibil  est  quam  regularom  discipli- 
nam  sarlam  tcctamquc  conservare  ac  sicuti   collapsa   et  imminuta  cl 


-  377  - 

montre  que  Dom  Rozet  l'obtint  sans  peine  ;  elle  date  du 
20  septembre  1605. 

Pendant  qu'on  rédigeait  le  bref,  le  Pape  fit  écrire  à  Dom 
Chrysostome,  président  de  la  congrégation  cassinienne  en 
Lombardie  (1),  pour  lui  enjoindre  de  donner,  comme  com- 
pagnon à  Dom  P.  Rozet,  un  moine  de  sa  Congrégation, 
renommé  par  sa  science  théologique  et  sa  prudence,  Dom 
Laurent  Lucalberti  (2),  religieux  de  la  célèbre  abbaye  de 

sublevata  ac  in  pristinum  et  antiquum  splcDdorem  restituere  quod 
solo  opportune  reforma Uonis  remedio  effici  posse  vldetur.  Hoc  ipsum 
monasteriis  istis  adhiberi  S.  S.  vehementer  probavit  atque  ideo  litte- 
ras  in  forma  Brevis  ad  id  necessarias  expedire  mandavit  sperans 
Illma  Dominatione  Vestra  negotium  promovente  ac  Deo  piis  eius  cona- 
tibus  aspirante  féliciter  confectum  iri.  Quod  tamen  ut  facilius  et  ube- 
riore  cum  fructu  consequi  possit  Illma  Dominatio  Vestra,  animadvertit 
eadem  Sanctitas  Sua  planeque  ei  opus  esse  judicavit  ad  hujusmodi 
mlnisterium  opéra  alicujus  monachi  non  minus  vitse  integritatc  quam 
regularis  disciplinée  peritia  prsestantis,  arctiorique  vitae  assuati  quo- 
ad  omnia  sedulo  uti  possit.  Delegit  vero  ad  id  munus  uti  peridoneum 
R.  virum  Laurentium  Oorentinum  monachum  prsedicti  ordinis  Congnis 
Cassincnsis  qui  ad  omnia  visitatlonis  peragenda  munia  Illmse  Domina- 
tion! Vie  presto  aderit  opusquo  Del  diligentes  faciet.  Iset  Sanctitatis  S. 
]ussu  et  superiorum  suorum  permissu  isto  proQciscitur  ;  eum  quin 
bénigne  pro  sua  singularl  humanitate  susceptura  suaquc  ope  et  consillo 
in  omnibus  adjutura  sit  nec  dubitat  eadem  Sanctitas  Sua  cui  gratum  id 
in  primis  est  futurum.  Nihil  ipso  laboris  non  suscipit  ut  lUmse  Dni 
Vaî  in  hoc  Sancto  Visitatlonis  opère  deserviat,  sive  ipsa  personaliter  id 
oblre  voluerit,  sive  eum  una  cum  aliis  piis  et  prudentibus  viris  ad  hoc 
destinare.  Dei  ipse  gloriam  animarumque  salutem  ac  domus  Dei  splen- 
dorem  priecipuum  visitatlonis  scopum  ob  oculos  sibi  tantum  proponet 
nihilque  ei  antiqulus  erit  quam  lUmae  Dni  Vie  qua  auctore  tam  prce- 
clarum  opus  aggrediendum  e^t,  iussis  et  mandatis  in  omnibus  ut  par 
est  obtemperare. 

Hhîc  sunt  quœ  Sanctitas  Sua  ad  lUmam  Dnem  Vam  hisce  litteris 
perfercnda  esse  mandavit,  eorum  executionem  perspectœ  eius  pru- 
dentiiB  et  dextcritati  relinquens.  Cœterum  manus  Vestra)  IllmiB  Dnis 
humillime  deosculor,  ciquc  a  Deo  optimo  maximo  salutem  et  bonorum 
omnium  copiam  exopto. 

Romie,  20  sept.  1605. 

Arch.  Ev.  et  Rég...»  a.  1605  (Gard.  Galli). 

(1)  La  lettre  que  nous  avons  retrouvée  à  l'Archive  des  Ev.  et  Rég. 
dit  que  le  moine  choisi  par  Sa  Sainteté  pour  aller  avec  D.  Rozet  en 
Lorraine,  emportera  le  bref  do  réforme  et  qu'il  devra  sans  retard  ni 
excuse  se  mettre  en  route.  Arch.  Ev.  et  Rég.,  1605,  20  sept. 

(2)  Voici  la  notice  que  Dom  Marianus  Armellini  consacre  à  Laurent 
Lucalberti  dans  sa  a  Bibliotheca  Cassinensis  »  à  l'appendice  de  la 

£5 


—  378  — 

Sainte-Marie  de  Florence  et  doyen  de  la  Congr^tioo  cas- 
sinienne.  Sa  présence  en  Lorraine,  outre  qu'elle  serait  d'un 
secours  aux  visiteurs  que  le  légat  nommerait,  serait  un 
appui  moral  pour  leurs  décisions. 

Les  deux  voyageurs  arrivèrent  à  Nancy  vers  la  seconde 
moitié  du  mois  de  novembre  1603,  et  allèrent,  le  21  suivant, 
présenter  au  cardinal-légat  le  bref  dont  ils  étaient  chargés 
et  les  lettres  de  créance  du  moine  florentin. 

La  nouvelle  de  la  visite  qui  allait  s'ouvrir  émut  les  pré- 
lats, dont  plusieurs  n'étaient  rien  moins  que  disposés  à  se 
laisser  réformer.  Parmi  les  plus  actifs  à  l'empêcher,  se 


îr  partie  intitulé  :  «  Catalogi  très  Episcoporum,reforinatoruin,  et  viri- 
rum  sanctitate  illustrium  e  Congregatione  Gassinensi  »  : 

Laurentius  Lucalberti  Florentiae  io  lucem  prodiit,  ibidemque  in 
monastcrio  S.  Mariie,  bencdictlnai  militise  rudimenla  posuit  anno 
1573  die  £3  aprilis. 

Linguarum  pcritia,  sacra  tbeologia,  aliisque  scienliis  celebris  fuit, 
quibus  regularià  disciplinie  zclus,  morum  gravitas,  actuumque  cir- 
cumspeclio  decus  addebant. 

His  cogniliSf  Paulua  V  Pont.  Maximus  in  Lotharingiam  et  Burgun- 
diam  eu  m  misit,  ut  Cardinali  Carolo  a  Lotbaringia  PontiQcio  Legalo 
in  reforma tione  monasteriorum  earum  regionum  prsesto  adesset  eisquc 
Congregationis  nostrie  ritui,  consuetudines  ac  leges  prapscriberet 
earumquo  observantiim  introducendam  curaret.  Ex  ea  itaque  Visita- 
tlone  et  Reformatione,  triplez  Congn*gatlo  monastica  Régulai  obser- 
vantissima,  Deo  bene  juvante  emersit,  Sanctorum  scilicct  Vitoni  et 
Hydulphi  in  Lotbaringia  et  Burgundia,  S.  Placidi  in  Belgio,  S.  Mauri 
in  Gallia,  sanctitate  ac  liltcris  in  hodiernum  usque  diem  florentissima. 
Reversus  post  hîec  in  Italiam  Laurentius,  et  in  ruralem  Abbatisp  Flo- 
rentin^p  ecclcsiam,  sibi  et  sludiis  vacaturus  secedens,  ibidem  infelici 
fato  occubuit,  noclu  a  latronibus  vel,  ut  ab  aliquibus  audivi,  a  proprio 
famulo  proditorie  obtruncatus  anno  1021,  setatis  suse  70. 

Ailleurs  il  dit  :  ...quibus  peractls  (visitationis  scil.  opère)  Lucalber- 
tius  animadvcrtcns  Congncm  SS.  Vitoni  et  liydulphi  |am  stabilitam 
et  in  perfecta  observanlia  regulie  formatam  ut  aut  minime  jam  omittcre, 
aut  rejicore  posset  ordlnem  conversationis  a  R.  P.  D.  Desiderlo  a  Curia 
Introductum  :  passim  dictilans  Ileligiosos  sic  reformates  veros  angelos 
esse  quibus  sanctiores,  sapicntiores  ac  perfcctiores  monacbos  nuspiam 
vidissot  arbltransque  se  salis  edoclum  de  statu  illius  Congregationis, 
ut  l'onlillci  Maxime  suisque  suporioribus  de  co  roferret,  statuit  de 
Modiano  monasterio  tandem  recederc  et  in  Italiam  regrodi  circa  finem 
monsis  Augusli  anni  1606,  postquam  annum  fere  inte^rum  apud 
Congnem  SS.  Vitoni  et  Hydulphi  perstitissel... 


—  379  — 

trouvait  l'abbé  de  Saint-Evre  de  Toul,  Dom  Louis  de  Tava- 
gny,  qui,  en  succédant  à  son  oncle  dans  Tabbatiat,  n'avait 
point  recueilli  rhéritage  du  zèle  montré  par  celui-ci  pour 
la  réforme.  Le  cardinal  ne  se  'laissa  pas  arrêter  par  les 
demandes  de  «  mitigation  >)  qui  lui  étaient  proposées.  Le 
bref  du  27  septembre  lui  enjoignait,  en  effet,  de  proposer  la 
réforme  de  Saint-Vannes  «  à  tous  les  monastères  en  géné- 
ral, soit  qu'il  y  eût  des  abbés  réguliers  ou  non,  sans 
néanmoins  les  contraindre  de  la  recevoir,  mais,  en  cas 
de  refus,  de  les  astreindre  à  une  façon  de  vie  plus  mo- 
deste et  retenue  que  du  passé  ;  d*unir  tous  les  monas- 
tères soub  la  même  Congrégation,  avec  obligation  d'obéir 
et  de  reconnaître  los  Supérieurs  choisis  par  les  Pères  de 
la  réforme  ;  d'empescher  que  ceux  qui  n'accepteraient  la 
réforme  ne  reçussent  aucun  novice,  et  de  faire  renvoyer 
ceux  qui  n'étaient  pas  encore  profès,  s'ils  n'étaient  pas 
jugés  capables  d'être  admis  en  la  réforme,  au  cas  qu'ils 
la  demandassent;  de  faire  en  sorte  que  les  abbés  et  supé- 
rieurs qui  ne  seraient  pas  de  la  réforme  n'eussent  rien 
de  commun  avec  les  réformés,  établissant  des  menses 
séparées  et  capables  de  les  entretenir;  et,  finalement,  qu'au 
cas  où  quelqu'un  s'opposât  aux  commissions  susdites, 
de  le  priver  de  ses  bénéfices  et  le  contraindre  d'y  déférer 
par  censures  et  autres  voies  de  droit  »  (1). 

Dom  Claude  François  qui,  à  ce  moment,  était  prieur  de 
Moyenmoutier  et  président  de  la  nouvelle  Congrégation, 
fut  mandé  parle  légat  pour  s'entendre  avec  lui  et  le  Père 
Lucalberti,  sur  les  moyens  à  prendre  en  vue  de  l'exécution 
du  bref  pontifical. 

Pour  donner  plus  de  force  et  d'autorité  à  la  visite,  on 
résolut  de  la  confier  à  un  délégué  pris  hors  de  l'ordre, 
chargé  de  représenter  le   légat  et  assisté  par  les  Pères 

(1)  Ybpez,  Chron.^  trad.  Rhételois,  t.  IV.  —  M"*  de  Blémur,  op.  cit. 
Ce  bref  a  été  édité  par  D.  Joseph  de  Tlsle,  dans  son  Histoire  de 
Vabbaye  de  Saint-Mihiel^  p.  50â. 


—  380  — 

Lucalberti  et  Dom  Claude  François.  Celui-ci  pourtant,  par 
prudence  et  discrétion,  crut  mieux  de  ne  point  paraître 
officiellement  dans  la  commission  et  se  contenta  de  suivre 
les  deux  autres  commissaires  dans  Taccomplissement  de 
leur  mandat.  Le  délégué  choisi  fut  le  sieur  de  la  Ferté, 
docteur  en  théologie  et  commandeur  de  Saint-Antoine  de 
Pont-à-Mousson  :  doué  d'une  science  reconnue,  d'une 
prudence  et  d'une  discrétion  parfaites,  animé  d'un  véri- 
table zèle,  le  sieur  de  la  Ferté  fut  d'un  grand  secours  à  la 
réforme  et  aux  visiteurs. 

Presque  aussitôt  tous  trois  se  mirent  à  l'œuvre.  11  nous 
sera  facile  de  les  suivre  à  travers  les  abbayes  de  Lorraine, 
grâce  au  rapport  que  Lucalberti  composa  pour  le  Pape  à 
son  retour  en  Italie,  et  qu'un  de  nos  confrères  a  bien  voulu 
nous  donner,  l'ayant  par  hasard  rencontré  à  la  Biblio- 
thèque Vaticane  (1).  Nous  l'avons  plus  tard  collationné 

(1)  BiBL.  Vatic.  fonds  latin,  n«  79i3,  fol.  429  :  Relazione^  etc. 

«  Le  Pape  Paul  V  avait  ordonné  par  bref  à  rillustrissime  cardinal  de 
Lorraine,  son  Légat  dans  ces  régions,  de  visiter  et  de  réformer  les 
abbayes  de  l'Ordre  de  saint  Benoit  situées  dans  les  limites  de  sa 
légation,  avec  l'assistance  de  quelques  moines  cassiniens.  Sa  Seigneu- 
rie, retenue  par  des  infirmités,  se  substitua  le  Révérendissime  Mgr 
Nicolas  de  la  Ferté,  religieux  commandeur  de  Saint-Antoine  de  Ponl-à- 
Mousson,  homme  de  sainte  vie,  de  grande  prudence  et  de  doctrine 
auquel,  selon  les  ordres  transmis  de  la  part  du  Pape  par  rillustrissime 
cardinal  Galli,  elle  m'adjoignit  moi  D.  Laurent,  florentin,  comme 
assistant,  de  sorte  que,  dans  toutes  les  visites,  conseils  et  décrets  qui 
en  furent  la  suite,  je  tins  toujours  la  première  place  par  déférence 
pour  Celui  qui  m'avait  délégué.  Aussi  puis-je  exactement  rapporter 
tout  ce  qui  s'est  passé,  comme  en  effet  je  le  fais  à  présent,  ou  du 
moins  les  choses  principales,  et  en  particulier  ce  qui  regarde  le  bon 
désir  et  le  zèle  actif  manifestés  par  l'Illustrissime  Légat  dans  la 
réforme  des  moines. 

Voici  quelques  remarques  générales  sur  la  Provinte  de  Lorraine.  La 
partie  soumise  à  la  Sérénissime  famille  de  Lorraine  est  profondément 
catholique  et  religieuse,  grâce  non  seulement  à  la  sollicitude  et  à  la 
piété  de  l'Illustrissime  Légat,  mais  encore  k  celles  de  ces  Princes 
Sérénissimes.  Leurs  peuples  les  ont  imités  et  bien  qu'entourés  de 
toutes  parts  de  provinces  infestées  par  l'hérésie,  ils  se  sont  conservés 
catholiques  et  enfants  soumis  du  siège  apostolique.  Dans  la  partie  de 
la  Lorraine  sujette  de  la  couronne  de  France,  les  villes  de  Toul  et  de 


-  381  - 

avec  le  brouillon  qui  se  trouve  à  Florence  (Archivio  di 
Stalo,  Badia  di  S.  Maria,  vol.  II  Reformationum,  fol.  360). 
Rédigé  en  italien,  le  rapport  comprend  deux  parties:  Tune 

Verdun  sont  catholiques,  tandis  que  la  ville  de  Metz,  la  principale  do 
toute  la  région,  est  partie  catholique,  partie  protestante. 

Les  abbayes  bénédictines  de  la  Lorraine  sont  au  nombre  de  quinze 
et  deux  d'entre  elles  seulement  étaient  réformées  quand  nous  y 
entrâmes  :  l'abbaye  de  Saint-Vannes  de  Verdun  et  l'abbaye  de  Saint- 
Hydulphe  au  diocèse  de  Toul.  L'abbé  commendatairc  de  ces  deux 
deux  abbayes  est  rillustrissime  et  Révércndissime  Erric  de  Lorraine, 
évoque  de  Veidun  ;  il  les  réforma  dès  l'année  1599,  en  excluant  les 
anciens  moines  de  mœurs  dépravées,  et  leur  assignant  une  pension 
suffisante  pour  vivre.  Il  y  laissa  seulement  Didier  de  la  Ck)ur,  prieur, 
homme  versé  dans  la  théologie,  qui  promit  par  serment  d'observer  la 
Règle  de  saint  Benoit  selon  les  Institutions  cassiniennes.  Bientôt,  à  ce 
Père,  se  joignirent  quelques  moines  de  ces  dites  abbayes  et  d'autres 
monastères,  ainsi  que  quelques  postulants,  et  ce  fut  le  commencement 
de  cette  réforme,  à  laquelle  ils  se  mirent  avec  un  grand  esprit  de  fer- 
veur, par  une  assiduité  constante  k  la  prière  et  aux  exercices  spirituels, 
leur  zèle  pour  l'office  divin,  l'hospitalité,  la  charité,  l'éloignement  des 
personnes  du  monde,  l'abstinence  soutenue  dans  le  boire  et  le  manger, 
l'austérité  dans  les  vêtements  et  le  sommeil,  et  l'observation  exacte  de 
la  Règle  de  saint  Benoit.  Toutes  leurs  actions  respirent  tant  de  sain- 
teté qu'ils  sont  en  haute  estime  non  seulement  dans  leur  ville,  mais 
aussi  dans  les  provinces  voisines,  et  que  de  toutes  parts  un  grand 
nombre  de  religieux  et  de  séculiers  se  présentent  à  eux,  demandant 
d'ôtre  admis  dans  leur  Congrégation. 

Des  religieux  aussi  fervents  avaient  besoin  non  pas  d'ôtre  réformés, 
mais  d'être  exhortés  à  la  pçrsévérance  et  k  la  discrétion  dans  les  pre- 
mières années,  afin  que  leur  austérité  ne  leur  valût  pas  des  infirmités 
incurables,  à  leur  détriment  et  à  celui  de  leur  observance  :  c'est  ce  qui 
leur  fut  recommandé  à  plusieurs  reprises  et  par  moi  et  par  les  Révé- 
rends Pères  Jésuites. 

Cette  Congrégation,  toute  neuve  encore,  n'avait  pas  de  régime  déter- 
miné, et  il  n'y  avait  en  France  aucune  Congrégation  à  laquelle  elle  pût 
emprunter  le  moyen  de  s'administrer;  je  leur  donnai,  d'après  ce  qui 
se  passe  dans  la  Congrégation  d'ilalie,  quelques  constitutions  et  dispo- 
sitions pour  élire  leurs  supérieurs,  veillant  surtout  ci  trois  choses  :  la 
première,  que  leurs  supérieurs  ne  fussent  point  à  vie;  la  seconde,  qu'ils 
eussent  leur  autorité  limitée  de  façon  à  ce  que,  au  cas  d'abus,  ils  pus- 
sent être  retenus  et  châtiés  ;  la  troisième,  que  d'ans  toute  la  province 
un  seul  monastère  eût  le  droit  de  recevoir  les  novices,  ce  qui  permet- 
trait de  mieux  les  former  et  d'éviter  toute  occasion  de  querelles  et  de 
dissensions.  Ces  dispositions,  proposées  par  moi  et  acceptées  par 
eux,  furent  examinées  au  Conseil  de  l'Illustrissime  Légat  et  confir- 
mées par  sa  Seigneurie  Illustrissime  par  un  Bref  du  mois  d'août. 

Au  sujet  des  cérémonies,  ils  étaient  divisés:  aulant  que   je  le   pus, 


-  382  - 

renferme  des  considérations  générales  sur  l'état  de  la  Lor- 
raine et  de  ses  abbayes  bénédictines,  Texposé  des  essais  et 
des  succès  de  la  réforme,  et  de  quelques  moyens  à  prendre 

]e  cherchai  à  les  ramener  aux  cérémonies  romaines  et  à  nos  usages 
monastiques  cassiniens,  soit  parce  que  cela  me  paraissait  plus  raison- 
nable, soit  encore  parce  que  l'uniformité  des  cérémonies  aide  aussi  à 
maintenir  l'union  et  la  concorde  des  esprits. 

Les  études  les  préoccupent  peu,  et  ils  consacrent  le  temps  que 
l'office  laisse  libre  h  des  travaux  manuels.  Toutefois  le  voisinage  des 
hérétiques,  la  rareté  des  curés,  et  le  petit  nombre  de  religieux  font 
que  les  babitants  de  ce  pays  auraient  besoin  d'être  secourus  par  des 
prédications,  des  catéchismes,  des  disputes,  des  confessions  et  l'admi- 
nistration des  sacrements,  et  les  religieux  de  notre  ordre  devraient  s'en 
préoccuper  d'abord,  ceux-là  surtout  qui  vivent  de  revenus  de  monas- 
tères, qui  ont  en  quelque  manière  comme  annexe  le  soin  des  âmes,  et  qui 
auraient,  avec  un  peu  d'exercice,  des  sujets  très  aptes  k  ce  ministère. 
Les  moines  lorrains  présentèrent  leurs  excuses  sur  ce  point  à  l'Hlus- 
trissime  Légat,  promettant  pour  l'avenir  d'y  faire  attention.  Emu  par 
leur  réponse,  le  Légat  ne  fit  sur  ce  point  aucune  ordonnance  et  Je  ne 
voulus  pas  non  plus  les  importuner,  afin  qne  ma  bonne  intention  ne 
fût  pas  mal  interprétée  d'eux. 

Pour  maintenir  et  étendre  la  réforme  commencée  avec  tant  de  fer- 
veur et  de  bonne  volonté,  1''  il  serait  nécessaire  qu'ils  fussent  relevés  de 
l'autorité  de  leurs  abbés,  et  gouvernés,  punis  ou  récompensés,  par  leurs 
prieurs  {les  abbés  étant  commendataires),  et  qu'ils  se  réunissent  entra 
eux  pour  tenir  leurs  Chapitres  et  élire  leurs  supérieurs.  Les  abbés 
n'auraient  d'autre  autorité  que  dans  ce  qui  concerne  l'office  divin,  et 
les  moines  ne  pourraient  rien  aliéner  de  la  mense  conventuelle  sans 
leur  consentement  ;  pour  le  reste,  les  moines  auraient  leur  action  libre 
réglée  par  leurs  prieurs  et  leurs  Chapitres,  car  il  n'est  pas  raison- 
nabli  que  des  prélats  de  vie  licencieuse  et  ignorants  de  la  vie  monas- 
tique veuillent  gouverner  et  juger  les  acUons  de  roligi'iux  réformés  : 
ils  feraient  tout  de  travers. 

â*  Il  serait  très  utile  que  le  général  ou  président  des  réformés  eût 
le  titre  d'abbé,  en  donnant  le  titre  d'abbaye  à  l'un  ou  à  l'autre  de  leurs 
prieurés,  afin  qu'il  pût,  avec  plus  d'autorité  et  de  renom,  figurer  dans 
les  congrégations  où  interviennent  les  abbés  non  réformés,  et  que  ses 
propres  sujets  l'eussent  en  plus  grande  vénération. 

3"  Il  faudrait  de  même,  pour  répondre  au  désir  exprimé  dans  le 
Bref  de  S.  S.  le  Souverain  Pontife  et  non  encore  réalisé,  faute  de  temps, 
qu'U  fût  assigné  aux  moines  une  mense  en  biens  immeubles  séparée  de 
la  mense  abbatiale,  et  en  même  temps  des  revenus  pour  les  bâtiments 
et  les  ornements  de  l'église.  Les  revenus  de  la  mense  seraient  admi- 
nistrés par  les  moines  seuls,  mais  ceux  des  bâtiments  par  un  commun 
accord  entre  les  moines  et  l'abbé. 

4"  Pour  éviter  la  tyrannie  des  supérieurs,  occasionnée  par  leur  per- 
pétuité, principale  cause  de  ruine  des  ordres  religieux  en  France,  on 


—  383  — 

pour  la  forfifier  et  retendre  ;  l'autre  est  une  description 
sommaire  de  Tétat  particulier  des  monastères  visités. 

Nous  donnerons  en  note  la  traduction  fidèle  de  ce  docu- 
ment, qui  révèle,  à  côté  de  bien  des  misères,  fruits  de  la 
pauvreté  et  de  la  commende,  de  sérieux  efforts  de  relève- 
ment dans  Tordre  monastique.  En  le  lisant,  il  ne  faut  pas 

observerait  les  statuts  acceptés  par  eux,  à  savoir  que  les  supérieurs 
des  réformés,  qu'il  s'agisse  des  supérieurs  des  monastères  ou  des  supé- 
rieurs chargés  du  gouvernement  général  de  la  Congrégation,  ne  pour- 
ront être  nommés  à  vie,  mais  devront  être  absous  de  leurs  charges 
après  3  ou  5  ans  et  devront  rentrer  dans  la  vie  privée  au  moins  pour 
deux  ans. 

5*  Pour  former  plus  complètement  la  jeunesse  et  pour  éviter  les 
désordres,  il  n'y  aurait,  dans  toute  la  province,  qu'un  seul  monastère 
où  les  novices  prendraient  l'habit,  en  nombre  sufflsant  pour  toute  la 
province. 

6'  Il  serait  à  désirer  que  les  Pères  réformés  fondassent  un  collège 
ou  au  moins  transportassent  un  prieuré  ou  une  abbaye  dans  la  ville  de 
Pont-à-Mousson,  où  se  trouve  l'Université  des  études,  et  là  on  enverrait 
les  jeunes  moines  qui  auraient  l'esprit  plus  élevé,  afin  qu'ils  eussent 
occasion  de  se  stimuler  aux  études  des  arts  et  des  spéculations  les 
plus  sublimes  ;  cela  n'empêcherait  pas  que,  dans  chaque  monastère, 
il  y  aurait  toujours  des  lecteurs  chargés,  selon  les  circonstances, 
d'instruire  les  moines  et  en  particulier  la  jeunesse. 

Parmi  les  autres  abus,  il  faut  noter  que  chaque  monastf're  a  son  bré- 
viaire particulier  et  différent  des  autres,  avec  une  grande  diversité  de 
prières  :  outre  la  confusion  qui  s'en  suit,  il  y  a  là  danger  de  supersti- 
tion et  il  me  semblerait  utile  et  convenable  de  donner,  à  tous  les  moines 
réformés  ou  non  de  la  dite  Lorraine  et  de  toute  la  France,  un  même 
bréviaire,  le  Romain,  en  tenant  compte  des  particularités  voulues  par 
saint  Benoit  dans  sa  Règle:  c'est-à-dire  du  nombre  des  psaumes  et 
des  leçons. 

Les  moines  des  abbayes  non  réformées  mènent  une  vie  scandaleuse, 
livrés,  pour  une  bonne  part  d'entre  eux,  à  l'ivrognerie,  au  jeu  et  au 
concubinage,  tiennent  une  table  opulente,  vivent  pour  la  plupart 
chargés  de  dettes  et  meurent  faillis  ;  ils  sont  très  négligents  pour  le 
culte  divin  et  n'observent  ni  ne  savent  les  décrets  et  constitutions 
portés  par  les  Souverains  Pontif:s  sur  la  vie  honnête  des  Réguliers. 
Les  novices  y  sont  admis  soit  par  fourberie,  soit  par  menace  de  parents 
qui  n'ont  rien  pour  les  nourrir,  ou  ne  veulent  pas  démembrer  leur 
héritage  entre  des  fils  très  nombreux  ;  ils  dépensent  à  l'entrée  une 
bonne  somme  d'argent  en  cadeaux  et  on  banquets  ofTcrts  à  l'abbé  et 
aux  moines  ;  une  fois  entrés,  ils  y  sont  élevés  sans  aucune  connais- 
sance de  règle  ou  de  vœux  monastiques.  L'Illustrissime  cardinal  de 
Lorraine  tenta  de  les  réformer  en  1595,  mais  en  vain  ;  aussi  le  bref  de 
Votre  Béatitude  était-il  bien  nécessaire  à  cet  effet.  » 


—  384  - 

perdre  de  vue  ce  que  nous  avons  dit  brièvement  du  désar- 
roi politique  et  civil  de  la  Lorraine  à  cette  époque,  désar- 
roi qui  ne  pouvait  que  trop  se  communiquer  à  la  société 
religieuse. 

Les  mesures  que  le  Visiteur  suggère  au  Pape,  en  ce  qui 
vise  l'absence  de  travail  intellectuel,  concernent  seulement 
les  abbayes  non  réformées.  Le  premier  soin  de  Didier  de 
la  Cour  avait  été,  en  effet,  d'appuyer  sa  réforme  morale  et 
monastique  par  de  sérieux  règlements  sur  le  travail  et  les 
études,  et  l'une  des  principales  préoccupations  des  Chapi- 
tres généraux  de  la  Congrégation  ne  cessa  dans  la  suite  de 
se  porter  sur  le  môme  point  :  assurer  aux  jeunes  moines 
une  bonne  formation  intellectuelle. 

La  perpétuité  des  supérieurs  devait  nécessairement 
effrayer  alors  un  Visiteur  obligé  de  constater  les  déplora- 
bles conséquences  que  ce  régime  avait  amenées  sous  la 
Commende.  Si  l'on  ajoute  à  cela  que  D.  Lucalberti  appar- 
tenait à  une  Congrégation  réformée  elle-même  depuis  peu 
sur  la  base  d'un  régime  triennal,  on  ne  s'étonnera  plus  de 
l'insistance  qu'il  meta  représenter  la  perpétuité  des  supé- 
rieurs comme  le  plus  grand  danger  contre  le  succès  et  la 
durée  de  la  réforme  ;  le  principal  ennemi  de  celle-ci  était 
réellement  la  commende,  et  surtout  la  commende  à  vie. 

Nous  aurons,  dans  le  cours  de  l'histoire  de  la  Congré- 
gation de  Saint-Vannes,  l'occasion  de  revenir  sur  cette 
question  du  Régime  ;  elle  y  fut  souvent  discutée  et  semble 
n'y  avoir  jamais  reçu  de  solution  satisfaisante  dans  la  pra- 
tique, sinon  celle  de  la  continuation  indéfinie  dans  les 
charges  par  Mecrion  du  Chapitre  général.  Elle  équivaut 
pour  la  durée,  mais  ne  répond  pas,  pour  l'autorité,  à  celle 
de  la  perpétuité  franche,  atec  le  contrôle  du  Chapitre  géné- 
ral, telle  qu'elle  a  été  admise  pour  les  Congrégations 
modernes.  N'anticipons  pas  cependant,  et  suivons  nos  Visi- 
teurs dans  leur  course  apostolique  à  travers  les  abbayes  de 
la  région.  Deux  n'avaient  pas   besoin  de  visite,  puisque 


—  385  — 

d'elles-mêmes  avait  été  formée  la  nouvelle  Congrégation  : 
Saint-Vannes  de  Verdun,  Saint-Hydulphe  de  Moyenmou- 
tier.  II  est  bien  possible  cependant  que  le  Visiteur  ne  les 
ait  pas  négligées  :  c'était  un  moyen  pour  lui  de  se  rendre 
compte  de  Tétat  de  la  réforme. 

La  relation  nous  conduit  à  Saint- Mikiel,  à  Longetille^  à 
Saint'Avold,  à  BouzonviUe,  à  Toul,  soit  pour  la  visite  de 
Tabbaye  de  SaintEvre,  soit  pour  celle  de  Tabbaye  de 
Saint'Mansuj/,  et  enfin  elle  nous  amène  à  Senones. 

Quant  aux  abbayes  de  Metz,  à  savoir  Saint-Arnould, 
Saint-Clément,  Saint  -  Symphorien,  Saint  -  Vincent,  ai  nsi 
qu'aux  monastères  de  SaintAiry  de  Verdun  et  de  Beaulieu- 
en-Argonne,  le  Visiteur  s'excusa  de  ne  point  s'y  être  trans- 
porté, parce  qu'elles  dépendaient  du  royaume  de  France 
et  que  ses  pouvoirs  ne  s'étendaient  pas  jusque  là. 

Pour  faciliter  l'exécution  de  la  Visite,  le  cardinal  or- 
donna, ((  en  vertu  de  l'obéissance,  à  tous  les  abbés  réguliers 
et  commendalaires  et  autres  supérieurs  des  monastères  de 
recevoir  les  députés,  de  les  entendre,  de  leur  déférer  en 
tout  et  partout,  même  de  les  défrayer,  eux  et  leur  suite, 
pendant  tout  le  temps  des  dites  visites,  condamnant  par 
anticipation,  toutes  les  oppositions,  réclamatio.is  ou  appels 
qu'on  sçaurait  faire.  »  (Rmételois,  op.  cit.,  chap.  X,  §  5). 


Visite  de  Tabbaye  de  Saint-Mihiel 

La  commission  des  Visiteurs  date  du  7  décembre  1603; 
ils  se  rendirent  tout  d'abord  à  l'abbaye  de  Saint-Mihiel, 
possédée  en  commende  par  le  cardinal  de  Lorraine  et  ils  y 
arrivèrent  sur  la  fin  de  Tannée. 

Fondée  et  enrichie  en  709  par  le  comte  Wulfoade  et  sa 
femme,  Adalsinde,  l'abbaye  de  Saint-Mihiel  dominait  le 
mont  Châtillon,  à  une  lieue  de  la  ville.  Un  siècle  plus  tard, 
sous  le  gouvernement  du  célèbre  Smaragde,  elle  avait  été 


-^  386  — 

transportée  sur  le  bord  de  la  Meuse,  ne  gardant  à  Ghâtil- 
Ion  que  le  lieu  de  sépulture  des  moines,  auprès  de  Téglise 
consacrée,  dit  on,  par  le  pape  Etienne  II  lui-même  en  753. 
Cinquante-huit  abbés  s'étaient  succédé,  tantôt  réguliers, 
tantôt  séculiers,  à  la  tête  de  ce  monastère,  jusqu'au  jour 
où  le  cardinal  Charles  de  Lorraine  la  reçut  en  comraende, 
en  1587.  Bien  que  privée  par  Frédéric,  duc  de  Mosellane, 
d'une  partie  de  ses  possessions,  elle  valait  encore  à  ce 
moment  dix  mille  livres  de  rente  à  Tabbé  (cf.  Revenus  du 
dioc.  de  Verdun  :  Bibl.  nat.,  Moreau,  789).  En  cour  romaine, 
elleétaittaxée666  florins  (Bibl.ang.,  195.  Taxaemonasterior, 
f.  438).  Il  est  vrai  qu'on  avait  réuni  à  la  mense  principale 
plusieurs  de  ses  dépendances,  en  particulier  les  prieurés 
de  Bar  (1),  de  Saint-Biaise  (2),  d'Amance  (3),  et  de  Vieux- 
Moutiers  (4)  ;  plusieurs  autres  ne  devaient  pas  tarder  à 
être  affectées  à  des  bénéfices  étrangers  à  l'ordre  de  Saint- 
Benoit.  Tels  le  prieuré  de  Salone  (5),  qui  fut  uni  à  la  Pri- 

(1)  La  suppression  et  l'extinction  du  prieuré  de  Bar  furent  opérées  en 
1480  par  Sixte  IV  et  les  revenus  unis  à  l'abbaye  de  Saint-Mihiel,  moitié 
à  la  mense  conventuelle,  moitié  à  colle  de  l'abbé.  Ce  fut  le  commen- 
cement de  la  distinction  des  menses,  car  jusque-là  les  abbés,  soit  régu- 
liers, soit  séculiers,  avaient  fourni  des  pensions  aux  religieux,  partie 
en  argent,  partie  en  nature.  (Bibl.  nat.,  Lorraine,  289  ;  Abb.  et  Prés., 
fol.  171). 

(2)  Saint-Biaise ^  au  diocèse  de  Verdun,  cédé  ensuite  aux  Capucins, 
du  consentement  des  moines. 

(3)  Laitre-sous-Àmancey  diocèse  de  Metz,  uni  à  la  Trésorerie. 

(4)  VieuT-MoutierSy  diocèse  de  Verdun,  amodié  à  un  religieux  de  La 
Chalade. 

(5)  Le  prieuré  de  Salone  fut  fondé  par  Fulcrade,  abbé  de  Saint-Denis, 
au  vin*  siècle,  et  placé  sous  l'invocation  de  la  sainte  Vierge,  de  saint 
Privât  et  de  saint  Hilaire. 

En  815,  l'abbaye  de  Saint-Denis  donna  ce  prieuré  à  Smaragde,  abbé 
de  Saint-Mihiel,  moyennant  une  reconnaissance  annuelle  de  cinq  marcs 
d'argent.  Cette  donation  fut  suivie  de  celles  de  plusieurs  manses  et 
vignes  par  Charles  le  Simple,  le  8  des  calendes  d'août  890,  et  par  Louis 
d'Outre-Mer  en  950.  A  différentes  reprises,  l'exemption  du  prieuré  de 
la  Juridiction  des  évèqucs  de  Metz  fut  mentionnée  et  reconnue. 

En  1598,  à  la  mort  de  Pierre  de  Saint- Vincent,  docteur  en  théologie 
et  titulaire  de  ce  prieuré,  celui-ci  n'eut  pas  d'autre  possesseur  et  le 
cardinal  de  Lorraine,  en  sa  qualité  d'abbé,  se  le  réserva  pour  l'unir 


—  387  — 

matiale  de  Nancy,  celui  de  Saint-Michel  de  Pont-à-Mousson 
employéàla  fondation  du  séminaire  de  Tévôché  de  Metz  (1), 
celui  de  Harréville  (2),  incorporé  à  la  collégiale  de  La 
Mothe,  celui  de  Saint-Thiébaut  de  Saint-Mihiel,  cédé  aux 
Minimes  (3),  celui  de  Saint-Léonard  enlevé  parles  Hugue- 
nots du  comté  de  Fénétrange  (4),  enfin  ceux  de  Mérode  (5) 
et  de  Rancourt,  attribués  à  d'autres  titulaires. 

Le  cardinal  de  Lorraine,  à  son  retour  de  Rome  en  1592, 
ému  de  la  vie  que  menaient  les  religieux  de  son  abbaye 
de  Saint  Mihiel,  résolut  de  leur  rendre,  si  possible,  Tesprit 
monastique  qu'ils  avaient  perdu.  Pour  s'assurer  leur  bonne 
volonté,  il  fit  unir,  sur  leur  prière,  le  prieuré  de  Laître- 
sous-Amance  à  l'office  du  Trésorier,  et  ramena  de  Nancy, 
où  on  les  avait  transportés  pour  les  soustraire  aux  dépré- 
dations des  soldats,  tous  les  objets  précieux  de  l'abbaye. 

Profitant  de  l'Assemblée  des  abbés  et  prieurs  conven- 
tuels réunis  pour  conférer  de  la  réforme  générale  des  ab- 
bayes de  sa  légation  (6),  il  soumit  à  son  approbation  un 
certain  nombre  de  décrets  qu'il  désirait  faire  observer  à 

peu  de  temps  après,  en  1602,  à  la  Primatiale  de  Nancy,  contre  le  gré 
des  religieux. 

Sur  Salone,  v.  l'abbé  Picrson,  dans  Mémoires  de  la  Soc.  d* Archéologie 
lorraine,  1870,  p.  114  139. 

(1)  Les  moines  voulurent  en  vain  s'opposer  à  ce  démembrement  ;  le 
cardinal  finit  par  l'obtenir. 

(2)  La  fondation  du  prieuré  à' Harréville  (Haute-Marne)  remonte  à 
l'an  1032,  sous  l'abbatial  de  Nanterre,  abbé  de  Saint-Mibiel.  Une  partie 
de  SCS  revenus  seulement  fut  attribuée  à  la  Collégiale  de  La  Mothe.  Plus 
tard,  le  prieuré  fut  de  nouveau  réuni  à  l'abbaye  de  Saint-Mibiel,  par 
lettres  apostoliques  du  23  août  1749.  —  D.  Calmet,  îîoiice  de  la  Lor- 
raine^ art.  Harréville. 

(3)  Les  Minimes  prirent  possession  du  prieuré  de  Saint-Thiébaut  le 
25  octobre  1598,  Clément  VIII  ayant  accordé  les  bulles  d'union.  Les 
religieux  de  Saint-Mibiel  se  réservèrent  toutefois  le  droit  d'aller  y 
chanter  la  messe  les  jours  de  la  fête  du  patron  et  de  la  dédicace,  ainsi 
que  les  premières  et  deuxièmes  vêpres.  —  D.  Joseph  de  l'Isle,  Histoire 
de  l'abbaye  de  Saini-Mihiel. 

(4)  Saint- Léonard^  au  diocèse  de  Metz. 

(5)  Merodorum,  nommé  dans  la  bulle  de  Pascal  II  (1106),  probable- 
ment Méroué  près  Montbéliard,  dit  Dom  Calmet,  Notice,  art.  Marey. 

(6)  V.  !'•  Partie,  ch.  IIÏ.  Essais  divers  de  réforme. 


—  388  - 

titre  d'essai,  dans  son  abbaye  de  Saint-Mihiel.  L'Assemblée 
approuva  lesdits  statuts  et  le  cardinal  les  promulgua  (1). 

(1)  Charles,  par  la  divine  Providence,  cardinal  du  titre  de  Sainte- 
Agathe  et  légat  de  Lorraine,  évèque  de  Strasbourg  et  de  Metz,  abtié 
de  Saint-Mihiel,  désirant  de  rétablir  la  discipline  régulière  d(*laiss(^e 
pour  la  plupart  par  la  malice  des  temps  en  notre  abbaye  et  monastère 
de  Saint-Mihiel,  nous  ordonnons  ce  qui  s'ensuit  : 

!•  Que  les  prieur  et  religieux  tant  profés  que  novices  assisteront 
diligemment  et  dévotement  et  avec  toute  révérence  au  Saint  Servie© 
qui  se  dira  à  heures  limitées  selon  la  (orme  et  coutume  ancienne  de  la 
maison,  accompliront  les  fondations  des  messes  et  autres  services  selon 
les  intentions  des  fondateurs  et  selon  qu'ils  y  sont  obligés. 

2^  Lesdits  prieurs  et  religieux  se  lèveront  à  minuit  et  se  trouveront 
en  l'église  pour  y  dire  les  matines. 

3*  Rendront  obéissance,  honneur  et  révérence  au  prieur,  comme  à 
notre  personne,  lequel  ne  permettra  les  vices  et  scandales  régner  parmi 
eux,  mais  les  châtiera  et  punira  selon  la  gravité  des  fautes  commises 
sans  exception  de  personnes  ;  et  voulons  que  la  correction  des  vices 
soit  faite  selon  la  forme  prescrite  dans  la  Règle  de  saint  Benoit  et  sta- 
tuts anciens  de  la  maison,  que  nous  voulons  être  remis  en  usage. 

V  Lesdits  religieux  vivront  en  commun  et  leur  seront  distribués  les 
vivres,  habillements  et  autres  choses  nécessaires  comme  le  prieur  le 
trouvera  expédient. 

5*  Ledit  prieur  retiendra  ses  religieux  qui  sont  en  charge  dans  l'en- 
clos de  la  maison,  et  ne  leur  sera  loisible  aller  en  ville  ou  aux  champs 
sans  la  permission  du  prieur,  qui  ne  leur  sera  donnée  pour  aller  aux 
noces,  festins  et  banquets,  mais  pour  choses  nécessaires,  conformément 
à  leur  état. 

6*  Les  novices  qui  se  présenteront  pour  prendre  l'habit,  seront  dili- 
gemment examinés  sur  les  mœurs,  doctrines,  disposition  du  corps  et 
intention.  Tous  banquets  excessifs,  présents  et  conditions  qui  sentent 
la  simonie,  seront  retranchés. 

?•  Lesdits  novices,  étant  arrivés  a  l'Age  de  quinze  ans,  seront  avertis 
par  le  prieur  de  se  mettre  on  l'an  de  probation,  durant  lequel  ils  seront 
diligemment  instruits  par  le  prieur  de  l'état  et  charge  de  la  religion  et 
des  vœux  qn'ils  auront  h  faire. 

8*  Le  seizième  de  leur  Age  expiré  et  accompli,  ils  feront  profession 
solennelle  en  présence  de  deux  notaires  apostoliques,  qui  en  feront 
registre,  et  sera  ladite  profession  inscrite  au  livre  du  chapitre. 

9°  Et,  où  lesdits  novices  ne  se  trouveraient  pas  capables  ou  refuse- 
raient do  faire  ladite  profession,  aussit<H  ils  seront  renvoyés  ù  leurs 
parents,  et  il  leur  sera  rendu  ce  qu'ils  auront  apporté  à  leur  entrée 
dans  la  maison,  sauf  i\  déduire  la  nourriture  pour  le  temps  qu'ils  auront 
été  dans  la  dite  maison. 

10°  Les  novices  ne  recevront  pas  les  saints  Ordres  avant  qu'ils  aient 
fait  profession. 

11*  Le  prieur  claustral  choisira  deux  maîtres,  de  bonnes  mœurs  et 


—  389  — 

Ces  décrets  furent  en  partie  observés  pendant  six  mois. 
Le  Visiteur  vint  alors  pour  se  rendre  compte  de  Tétat  de 
Tabbaye  :  on  le  reçut  bien,  mais  le  tout  se  borna  à  quelques 
cérémonies  ;  la  peste,  qui  sévit  ensuite  dans  la  ville  de 
Saint-Mihiel,  fit  perdre  le  peu  d'observance  rétablie  parles 
statuts. 

Les  choses  en  étaient  là,  quand  arriva  la  nouvelle  du 
bref  obtenu  à  Rome  par  le  cardinal-légat  en  1605,  et  Tan- 
nonce  d*une  visite  faite  au  nom  du  Pape.  Les  religieux  de 
Saint-Mihiel,  les  premiers  menacés,  écrivirent  à  Dom  Louis 
de  Tavagny,  abbé  de  Saint-Evre,  opposé  comme  eux  à 
une  réforme  absolue.  Il  leur  répondit  de  demander  et 
d'accepter  les  statuts  proposés  en  1595,  se  réservant  de 
provoquer  une  assemblée  d'abbés  et  de  prieurs,  pour  conve- 

doctrine  sufOsante,  pour  inslruire  lesdits  novices,  tant  en  ce  qui  est  du 
service  de  l'Eglise  et  Télat  de  la  religion,  que  de  grammaire  et  autres 
doctrines,  s'il  en  est  besoin,  et  leur  seront  limitées  les  heures,  pour 
éviter  désordre  et  confusion.  Ledit  prieur  tiendra  la  main  à  cette 
bonne  œuvre,  comme  en  toutes  autres  qui  se  feront  pour  l'instruction 
desdits  novices. 

12*  Les  religieux  porteront  la  tonsure  accoutumée  en  l'Ordre  ;  ils 
feront  couper  leur  barbe,  porteront  des  habillements  modestes,  décents 
et  convenables  à  l'état  de  la  religion,  k  quoi  le  prieur  prendra  garde. 

13*  Les  bénéflces  et  offices  claustraux  ne  se  donneront  qu'à  ceux  qui 
auront  fait  profession  et,  en  ce,  les  anciens  qui  en  seront  capables, 
seront  préférés. 

14"  Ceux  qui  auront  bénéfice  dans  la  maison  y  feront  résidence  pour 
faire  leur  devoir,  sans  charger  la  maison,  et  il  ne  sera  loisible  à  un 
religieux  de  tenir  ensemble  bénéfice  et  office  dépendants  de  la  maison, 
à  qui  que  ce  soit  sans  exception. 

lo*  Nous  défendons  à  nos  religieux,  de  quelque  qualité  qu'ils  soient, 
de  nourrir  chiens  de  chasse,  porter  armes  défendues  aux  ecclésiasti- 
ques, et  commandons  à  notre  prieur  d'en  faire  une  recherche  exacte, 
sous  peine  de  nous  en  prendre  à  lui. 

16"  Nous  mandons  et  ordonnons  à  notre  prieur  de  faire  effectuer 
promptement  tout  ce  que  dessus,  sans  toutefois  déroger  aux  anciens 
statuts  et  règles  de  la  maison,  que  nous  entendons  ^tre  remis  en  usage  ; 
et,  où  il  se  trouverait  quelque  rebelle  ou  réfractaire  à  nos  ordonnances 
ledit  prieur  nous  en  donnera  avis,  afin  d'agir  comme  trouverons  à  faire 
de  droit. 

D.  Joseph  db  l'Islr,  Hist.  de  l'abbnye  de  Saint-Mihiel. 


—  390  — 

nir  d'une  sorte  de  mitigation.  Nous  avons  vu  que  ses 
efforts  furent  vains. 

Sans  espoir  de  ce  côté,  les  religieux  de  Saint-Mibiel  se 
tournèrent  vers  le  roi  de  France  et  s'adressèrent,  par  Tin- 
termédiaire  d'un  d'entre  eux,  au  Président  de  Bournon  à 
Verdun,  père  dudit  moine.  Le  Président,  plus  sage  qu'eux, 
désapprouva  leur  dessein  et  leur  fît  voir  l'embarras  où  ils 
allaient  se  mettre.  Ils  retirèrent  la  demande  qu'ils  avaient 
projetée,  de  se  faire  exempter  de  4a  visite  comme  sujets 
du  roi. 

Les  Visiteurs  arrivaient  à  Saint-Mihiel.  Dom  Jérôme, 
grand-prieur,  alla  les  recevoir  dans  une  maison  voisine  de 
l'abbaye,  accompagné  de  quelques  anciens.  Les  Visiteurs 
déclarèrent  l'objet  de  leur  mission  et  remirent  au  lende- 
main l'accomplissement  de  leur  mandat.  Au  jour  dit,  la 
communauté  fut  assemblée  au  chapitre  ;  lecture  fut  donnée 
des  pouvoirs  des  Visiteurs,  et  ceux-ci  commencèrent  la 
visite  de  l'église,  delà  sacristie,  ainsi  que  des  ornements  et 
de  l'argenterie.  Les  moines  virent  bien  qu'ils  ne  pouvaient 
plus  empêcher  l'exécution  de  la  réforme  ;  ils  refusèrent 
toutefois  de  l'accepter  pour  eux-mêmes,  ne  se  sentant  pas 
le  courage  d'en  supporter  les  obligations. 

Les  députés  se  retirèrent  la  veille  de  Noël,  M.  de  la  Ferlé 
à  Pont-à-Mousson,  Dom  Lucalberti  et  Dom  Claude  François 
à  Saint-Vannes.  Ils  y  demeurèrent  peu  de  temps,  car  le 
cardinal  les  convoqua  aussitôt  à  Nancy  avec  le  grand- 
prieur  et  trois  religieux  anciens  de  Saint-Mihiel,  pour 
conférer  avec  eux  sur  la  situation  à  faire  aux  réformés  et 
aux  anciens. 

La  plupart  de  ceux-ci  vivaient  comme  de  simples  parti- 
culiers :  point  de  noviciat  ;  point  de  profession.  Gomment 
obtenir  quelque  changement  dans  de  telles  conditions  ? 
Comment  imposer  une  vie  aussi  austère  que  celle  de  Saint- 
Vannes,  à  des  individus  qui  n'avaient  de  leur  état  que 
l'enseigne?  Une  seule  ressource  restait:  offrir  une  pension 


—  391  - 

aux  anciens  religieux  et  renouveler  entièrement  le  per- 
sonnel (1).  Pour  les  récalcitrants,  c'était  le  dernier  moyen 
d'échapper  aux  censures  ou  à  la  dispersion  ;  ils  s'y  rési- 
gnèrent et  acceptèrent  de  se  retirer,  en  promettant  de  vivre 
plus  dignement,  moyennant  qu'on  leur  donnerait  les  deux 
tiers  des  revenus  de  la  mense  conventuelle.  Ils  étaient  dix- 
huit,  et  les  religieux  destinés  à  les  remplacer  devaient 
venir  au  nombre  de  treize:  ils  avaient  donc  la  belle  part. 
Dom  Lucalberti  écrivit  aussitôt  à  Dom  Didier  de  la  Cour, 
prieur  de  Saint-Vannes,  pour  négocier  avec  lui  l'acceptation 
de  la  nouvelle  abbaye,  et  le  prier  de  lui  envoyer  douze 
moines  de  son  choix. 

Dom  Didier  de  la  Cour  trouva  avec  raison  que,  soit  au 
point  de  vue  des  sujets  demandés,  soit  surtout  au  point  de 
vue  des  moyens  de  subsistance  qui  leur  étaient  offerts, 
l'incorporation  de  l'abbaye  de  St-Mihiel  allait  être  une 
lourde  charge  pour  la  Congrégation,  jeune  encore.  Il  avait, 
par-dessus  tout,  la  crainte  d'être  obligé  d'envoyer  en  fon- 
dation des  sujets  non  formés,  et  sa  prudence  se  défendait 
contre  la  rapidité  avec  laquelle  on  semblait  vouloir  mar- 
cher. D.  Lucalberti  ne  recevant  probablement  pas  de 
réponse  à  sa  demande,  écrivit  une  seconde  fois,  exposant 
au  prieur  de  Saint-Vannes  l'ennui  qu'il  avait  de  devoir  trop 
longtemps  demeurer  hors  de  sa  Congrégation,  et  lui  repro- 


(1)  (Suite  (le  la  relation  de  D.  Lucalberti).  «  Passons  au  particulier. 
L'abbaye  de  Saint-Mihiel,  située  dans  la  terre  du  môme  nom  au  diocèse 
de  Verdun,  fut  visitée  la  première,  parce  que  son  abbé  est  l'IUustris- 
sime  Légat,  et  qu'elle  est  la  plus  riche.  Les  moines  do  cette  abbaye,  en 
personnes  raisonnables  et  de  bonne  éducation,  objectèrent  pour  leur 
défense  qu'ils  n'avaient  jamais  fait  profession  ni  tacite  ni  expresse,  et 
qu'ils  avaient  été  placés  dès  leur  enfance  dans  le  monastère  Ils  fini- 
rent cependant  par  se  laisser  persuader  de  sortir  de  l'abbaye  et  de 
mener  une  vie  réglée  et  honnête,  se  réservant,  comme  ils  étaient  dix- 
huit,  les  deux  tiers  de  la  mense  conventuelle  ;  l'autre  tiers  fut  donné 
à  douze  moines  réformés  qui  furent  introduits  dans  ladite  abbaye  à  la 
grande  satisfaction  et  joie  de  toute  la  ville,  et  à  la  louange  de  l'Illus- 
trissime Légat,  n 


—  392  — 

chant  sa  défiance  envers  Dieu.  Didier  de  la  Cour  lui  répon- 
dit par  la  lettre  que  nous  donnons  en  note,  où  il  s'excuse  de 
la  difflculté  qu'il  a  ressentie  d'accepter  les  conditions  pro- 
posées, non  certes  par  défiance  de  Dieu,  mais  par  obéis- 
sance aux  décrets  pontificaux  sur  la  réception  des  reli- 
gieux dans  un  monastère  dénué  de  fonds  suflisants  pour 
les  nourrir.  Il  Tencourage  enfin  à  poursuivre  l'œuvre  de 
Dieu  à  laquelle  il  a  été  consacré,  et  qui  lui  vaudra  tant  de 
mérites  (1). 

Le  21  janvier  1606,  après  que  Ton  eut  dressé  l'état  des 
revenus  des  deux  menses  abbatiale  et  conventuelle,  un 
traité  ou  règlement  fut  rédigé  :  les  anciens  moines  devaient 
quitter  les  lieux  réguliers  et  le  cloître,  pour  s'établir  dans 
la  première  cour  du  monastère.  Une  pension  leur  futassi- 

(1)  Pax  Chrisli.  Révérende  Pater. 

Binas  a  te  literas  accepimus  quibas  nos  quasi  consolaris  quod  iniqui» 
conditionibus  cogamur  monasterium  Sancti  Michaelisaccipere.  Quceres 
ctsi  nobis  durior  visa  est,  tamen  quia  audimus  et  speramus  id  futurum 
gratum  lllustrissimo  Domino Cardinali,  etDco  juvante,  nostrae  congre 
gationi  aliquem  commodum  ac  fructum  sumi,  nos  libenter  tanto  oneri 
humeros  supponemus.  Quod  autem  nos  aliquo  modo  diffidentiae  erga 
Deum  accusas,  sciât  tua  paternitas  quod  id  non  ex  diffidentia  processit, 
sed  ex  priBcepto  summi  Pontiûcis  Clementis  VIII  et  aliorum,  qui  in 
quadam  bulla  cavit  ne  in  ullo  monasterio  plures  recipiantur  reiigiosl 
quam  possunt  ali  ex  redditibus  monastcrii.  Sed  quidquid  sit,  spero  nos 
propedie  plures  hablturos  monacbos  quam  necesse  erit  ad  reforma- 
tionem  monastcriorum  quas  evacuanda  erunt. 

Quod  autem  scribis  te  moleste  ferre  quod  tamdiu  absis  a  monasterio 
et  fratrum  tuorum  consortio,  non  id  qnidem  mirandum,  cum  nihU 
molestius  acciderc  possit  uni  religiose  devoto  quam  sua  devotione  ac 
tranquillitateprivari.  Demum  si  haec  tranquillitas  cum  fructu  qui  ex 
tuis  laboribus  proveniat  comparetur,  potius  molesta  isla  tranquillitas 
Judicanda  est  quam  tam  fructuosus  labor,  qui  licet  te  a  tuis  separet, 
non  tamen  a  Deo  dijungit  ad  eu  jus  gloriam  tam  diligcnter  navas  operam. 
Quare  non  est  quod  tua  paternitas  moleste  ferat  absentiam  suorum,  sed 
potius  Immensas  Deo  0.  M.  gralias  référât  qui  te  dignum  tamlaudabili 
opiTC  judicaverit.  Faxit  Deus  ut  tibi  omnia  et  nobis  omnibus  prospère 
succédant. 

....  JanuariilGOe 

fr.  Desiderius  a  CuHa, 
V«»  ReverentisB  devotas. 
Au  dos  :  Au  R.  Père  visiteur 
delà  congrégation  du  Mont-Cassin,  àToul. 

{Arch.  Florence:  Réform.,  t.  II.) 


—  393  - 

gnée  selon  leurs  offices  ou  leur  rang  d'ancienneté  (1).  Si 
Tun  d'entre  eux  mourait,  le  suivant  par  âge  pouvait  échan- 
ger sa  pension  contre  celle  du  défunt,  au  cas  où  celle-ci 
était  supérieure  à  la  sienne.  Exception  était  faite  pour  les 
pensions  du  grand  prieur  et  du  Trésorier,  qui  devaient,  à 
leur  mort,  revenir  directement  aux  réformés.  Les  autres 
devaient  leur  appartenir  au  furet  à  mesure  qu'elles  étaient 
laissées  libres  par  le  décès  du  premier  titulaire  ou  des 
titulaires  qui  lui  auraient  été  substitués.  En  cas  de  sécula- 
risation d'un  ancien,  sa  pension  se  partageait  entre  les 
autres  au  prorata  de  la  leur  (2). 

Quant  au  spirituel,  le  cardinal  imposa  aux  réfractaires 
les  points  suivants  :  i^  l'office  sera  récité  en  commun  dévo- 
tement et  distinctement^  dans  la  chapelle  deTéglise  appelée 
Pierrefort:  les  matines  à  cinq  heures  ;  prime,  tierce,  sexte 
et  la  messe  à  sept  heures  ;  none,  vêpres,  complies  à  deux 
heures  du  soir. 

2^  Les  religieux  se  confesseront  une  fois  par  mois  et 
communieront  ou  diront  la  messe  selon  les  Canons.  3^  Ils  ne 
quitteront  jamais  l'habit  et  porteront  la  tonsure.  40  Ils  ne 
pourront  ni  élever  des  chiens,  ni  chasser.  5*^  Pour  sortir  du 
monastère,  ils  devront  se  munir  d'une  permission.  6°  Sous 

(1)  D.  Jérôme,  grand-prfcur,  reçut  1200  francs  pour  sa  pension.  — 
D.  François  de  Serocourt  de  Belmont,  800  fr.,  plus  100  fr.  pour  la  Tré- 
sorerie à  céder  aux  réformés.  D.  Didier  Bournon,  600  fr.  —  Item,  D. 
Didier  Chasteaux.  —  D.  Philippe  de  Neufville,5fô  fr.  —  D.  Gérardin,  dit 
de  Maisi,  525  fr.  —  D.  Jean  d'Haronville,  500  f r.  —  D.  François  de  Geury, 
D.  Warin  Maillet,  D.  Jean  de  Gustines,  D.  François  Vignolcs,  chacun 
400  fr.  —  D.  Gabriel  Vignoles,  300  fr.  —  D.  Charles  le  Pougnant,  ancien 
moine  de  La  Chalade,  gardait  l'amodiation  du  Vieux-Mou  lier. 

(2)  Les  religieux  réformés  introduits  à  Saint-Mihiol  furent  :  D.  Claude 
François,  qui,  malgré  ses  résistances,  dut  accepter  le  titre  de  grand- 
prieur.  —  D.  Jacques  Richard.  —  D.  Bernard  Loterlot.  —  D.  Nicolas 
Matbis.  —  D.  Phi  lippe- François  Collard.  —  D.  Hydulphe  Jobard.  — 
Fr.  Jacques  Somnin.  —  Fr.  Maur  Golly.  —  Fr.  Benott  Corvisier.  — 
Fr.  Jean  Donné.  ~  Fr.  Jean  Placide.  — -  Fr.  François  Paul  Cachet.  Tous 
étaieut  clercs.  —  Fr.  Nicolas  Rézet,  commis. 

Cf.  D.  Joseph  de  l'Isle,  Histoire  de  l'abbaye  de  saint-Mihiel,  etc.^ 
1757. 

26 


—  394  — 

peines  canoniques,  défense  de  visiter  des  femmes  de  répa- 
tation  suspecte.  7^^  Défense  de  se  livrer  aux  jeux  de  hasard 
et  de  prendre  part  à  des  banquets. 

Ce  règlement  fut  intimé  aux  intéressés  le  27  janvier,  par 
le  sieur  de  Belchamp,  archidiacre  de  Sarrebourg,  manda- 
taire du  cardinal  légat,  accompagné  de  Dom  Claude  Fran- 
çois. 

Le  cardinal  pourvut  aux  difficultés  pécuniaires.  En  plus 
de  la  part  prise  sur  la  mense  conventuelle,  il  laissa  aux 
réformés  9  à  10000  francs  pour  bâtir  et  meubler  selon  leur 
gré  leur  rfouvelle  résidence.  C'est  le  10  février  1606  que 
les  anciens  religieux  se  retirèrent,  faisant  place  aux  douze 
religieux  mandés  de  Saint- Vannes.  A  la  télé  de  ceux-ci  le 
cardinal  plaça  Dom  Claude  François  lui-même,  et  bientôt 
Tabbaye  réformée  devint,  grâce  aux  ressources  assurées 
par  le  légat  et  à  la  prudence  du  prieur,  l'une  des  colonnes 
de  la  Congrégation  (1). 

Visite  de  l'abbaye  de  St-Martin  de  Longeville 

De  Saint-Mihiel,  le  rapport  du  Visiteur  passe  à  Tabbajc  de 
Longeville  (2),  dédiée  à  saint  Martin  et  également  connue 
sous  le  nom  de  Glandicres.  Fondée  au  ix«  siècle,  elle  n'avait 

(1)  Cf.  Bibl.  nat.,  Lorr.  289,  fol.  128,  Faclum  pour  le  prieur  et  les  reli- 
gieux de  SainlMihiel,  16 pages  impr. 

(2)  Happorl  do  D.  Lucalbcrti  (suite).  —  «  L'abbaye  de  Saint-Marlin  do 
Longeville,  au  dioc^.se  de  Metz,  était  en  état  pire  que  toutes  les  autres: 
les  bAtiments  étaient  en  ruines,  les  revenus  hypothéqués,  le^  terres 
aliénées  et  chargées  de  dettes,  l'église  sans  calices,  sans  livres  de  chœur, 
sans  ornements  ;  1<1  vivaient  4  ou  5  moines  qui  ne  disaient  point  la 
messe,  mémo  le  dimanche.  Les  excès  de  l'abbé  étaient  des  plus  énor- 
mes et  publics  :  on  en  fit  un  procès,  ratifié  par  la  confession  dudit  abbé; 
celui-ci  fut  déposé  de  sa  charge  et  relégué  dans  un  monastère  de 
réformés  pour  y  )eûner  et  y  faire  d'autres  pénitences  salutaires,  qu'il 
accepta  en  toute  humilité,  avouant  qu'il  en  méritait  de  plus  grandes, 
et  là  il  remercie  Dieu  d'avoir  ainsi  pourvu  au  salut  de  son  àme. 

L'abbayo  fut  donnée  à  son  coadjuteur,  homme  de  sainte  vie  et  de 
grande  doctrine,  dont  on  espère  beaucoup  do  bien  et  qui  introduisit 
aussitôt  des  religieux  réformé?.  » 


-  395  — 

eu,  jusqu'à  Tépoque  où  nous  sommes,  que  des  abbés  régu- 
liers ;  mais,  si  elle  avait  échappé  à  la  commende,  elle  n'avait 
pu  se  soustraire  aux  incursions  de  troupes,  se  trouvant 
bâtie  sur  la  route  nationale  de  Lorraine  en  Allemagne. 
Voisine  de  la  France  et  du  Luxembourg,  elle  avait  égale- 
ment dû,  à  plusieurs  reprises,  lutter  contre  l'un  ou  l'autre 
de  ces  pays,  désireux  de  se  partager  les  quelques  dîmes  qui 
faisaient  tout  son  revenu.  Pendant  le  xvi»  siècle,  surtout 
au  moment  des  guerres  civiles,  elle  avait  beaucoup  souf- 
fert, non  seulement  dans  ses  revenus  pécuniaires  (1),  mais 
même  dans  ses  richesses  intellectuelles  :  trésor  reli- 
gieux et  bibliothèque,  tout  avait  été  pillé  par  les  troupes. 
Dieu  permit  que,  en  plus  de  ces  ruines  matérielles,  un  abbé 
indigne  de  ce  nom  achevât  de  dévaster  moralement  le 
monastère  de  Longeville.  La  Gallia  christiana  consacre  ces 
quelques  lignes  à  l'abbé  en  question,  dont  les  dernières 
années  rachetèrent  heureusement  en  partie  les  fautes  : 
«  Claudius  Eliphi,  1582,  pessimos  mores  habuit.  In  carcere 
inclusus  est  Mediani  monasterii,  ubi  obiit  a.  1611  ». 

Dom  François  Thierry,  qui  était  le  coadjuteur  de  Claude 
Eliphi  depuis  l'année  1603,  fut  appelé  à  lui  succéder  dans  le 
gouvernement  de  l'abbaye.  11  n'était  profès  de  la  règle 
bénédictine  que  depuis  le  3  novembre  1605,  mais  il  entra 
immédiatement  dans  les  vues  du  légat  et  des  Visiteurs,  en 
introduisant  la  réforme  dans  son  abbaye  le  29  septem- 
bre 1606. 

Visite  de  Pabbaye  de  Saint- Avold. 

A  côté  de  Saint-Martin  de  Glandières  se  trouvait  située, 
dans  le  même  diocèse  de  Metz,  et  presque  dans  les  mômes 

(1)  Le  Pouillé  général  (Bibl.  nat.,  Moreaii  783]  lui  donne  comme  valeur 
6.000  livres. 

En  cour  romaine,  elle  était  taxée  à  370  florins  (Bibl.  ang.,  Taxse 
monast.,  i\2). 

Sur  diverses  possessions  revendiquées  par  Tabbaye  ^e  Longeville,  v. 
Bibl.  nat.,  Lorr.  286,  fol.  64,  66,  67  etc.,  et  271  ;  Aff.  ceci.,  224. 


conditions  défavorables,  Tabbaye  de  Saint-Nabor  (<),  ou  de 
Saint- Avold.  La  date  de  l'origine  de  cette  abbaye  est  incer- 
taine. Dom  Calmet  la  place  a^sez  longtemps  atant  Tannée 
750,  en  laquelle  Tévêque  de  Metz  Chrodegang  déposa  le 
corps  du  saint  martyr  Nabor  dansTéglise  de  ladite  abbaye. 
La  Gallia  christima,  où,  à  la  date  de  791,  nous  trouvons  le 
quatrième  des  48  prélats  qu'il  donne  jusqu'à  Marcel  Hann, 
ne  semblerait  pas  reculer  aussi  loin  la  fondation  de  cette 
abbaye.  Quoiqu'il  en  soit,  Saint-Avold  ne  tarda  pas  à  deve- 
venir  l'un  des  principaux  monastères  de  la  province,  grâce 
aux  largesses  d'Angelrame,  évéque  de  Metz  (1817  ou  818), 
l'un  de  ses  plus  insignes  bienfaiteurs.  Honoré  du  titre  de  . 
premier  baron  de  l'évêché,  l'abbé  de  Saint-Avold  tenait 
le  premier  rang  parmi  les  autres    abbés  aux  assises  de 
Metz.  En  cour  de  Rome,  l'abbaye  de  Saint-Avold  était  taxée 

(1)  Relation  de  Lucalberti  (suite).—  «  L'abbaye  de  Saiol*Nabor,  dans  la 
terre  du  môino  nom,  diocèse  de  Melz,  est  en  assez  bon  état  pour  ce  qui 
regarde  les  bâtiments  ;  mais  elle  est  chargée  d'une  infinité  de  dettes,  a 
beaucoup  do  biens  aliénés  et  hypothéqués,  grâce  aux  exactions  des 
nobles  et  des  soldats  do  la  garnison  de  Metz^  lesquels,  dans  leurs  excur- 
sions, font  beaucoup  de  dommages  aux  abbayes  sises  aux  alentours  de 
la  ville,  grâce  surtout  aussi  principalement  au  mauvais  gouvernement 
et  à  la  prodigalité  de  l'abbé  mort  pendant  mon  séjour  en  Lorraine.  Los 
moines  élurent  alors  un  profès  de  leur  monastère,  homme  prudent  et 
de  vie  honnête,  et  qui,  ayant  été  cellérier,  s'entend  très  bien  aux  affaires 
temporelles  et  pourra  aider  beaucoup  ses  confrères.  En  cour  de  Rome, 
l'abbaye  fut  donnée  à  Mgr  de  Maillane,  protonotaire  apostoUque,  an 
grand  murmure  des  moines  et  des  séculiers,  protestant  que  c'était  leur 
enlever  leurs  privilèges  que  do  leur  donner  un  abbé  non  élu  par  eux, 
et  leur  causer  des  pertes,  parce  que  les  revenus  de  l'abbaye,  diminues 
de  peu  que  ce  fût,  par  une  rente  à  payer  audit  abbé,  ne  seraient  plus 
suffisants  pour  alimenter  le  nombre  de  moines  nécessaire  au  service 
de  leur  église,  dans  une  contrée  si  vaste  et  si  populeuse. 

En  ce  qui  concerne  leur  vie,  ces  moines  prétendent  être  de  la  Congré- 
gation do  Saint-Maximin  de  Trêves  et,  par  suite,  ne  pas  être  obligée  à 
autre  réforme,  à  quoi  on  répondit  que  celte  Congrégation  n'existait  plus, 
sinon  dans  un  ou  deux  monastères  chargés  do  dettes  ;  qu'il  n'était  pas 
bon  que  leur  abbaye  fût  unie  â  des  monastères  hors  du  pays  ;  que  leur 
argent  sortait  de  la  province  et  qu'on  le  savait,  ainsi  que  leur  principe 
d'admettre  seulement  des  novices  allemands,  chose  déplaisante  pour  leur 
souverain.  Mais,  à  cause  de  la  controverse  touchant  l'abbé  élu  et  l'abbé 
commcndataire,  on  remit  â  plus  tard  la  résolution  â  prendre,  u 


-  397  — 

à  cent  florins  avant  Tannée  1456,  où  le  Pape  Calixte  III  lui 
annexa  l'église  paroissiale  de  Riperg  (alias  Ruperilii)  ce 
qui  lui  donna  une  plus  value,  et  éleva  la  taxe  à  106  florins 
2/3  (Bibl.  ang.,  Taxœ  monast.  112,  fol.  272).  Au  pouillé  des 
abbayes  (Bibl.  nat.,  Moreau,  784,  fol.  9  v»),  elle  est  estimée 
à  six  mille  livres  (cf.  ibid,  Moreau,  783,  xvii®  s,). 

Unie  tout  d'abord  à  la  Congrégation  de  Bursfeld,  elle  fut 
réformée  par  l'abbé  Mathieu  (flolS).  A  l'époque  delà  visite, 
c'était  Nicolas  Peltre  qui,  depuis  1599,  occupait  l'abbatiat: 
le  Visiteur  n'en  fait  pas  précisément  l'éloge.  Il  mourut  du 
reste  dans  le  courant  de  l'année  1606,  et  eut  pour  succes- 
seur D.  Marcel  Hann,  de  Saint-Maximin  de  Trêves,  qui  fut 
élu  le  11  mai  de  la  même  année.  La  réforme,  que  le  Visiteur 
n'osa  pas  introduire  à  cause  de  la  compétition  entre  l'abbé 
élu  et  Mgr  des  Porcelets  de  Maillane,  pénétra  cependant  à 
Saint- Avold  en  1607. 

Visite  de  Tabbaye  de  Sainte- Croix  de  Bouzonville. 

De  Saint-Avold,  les  Délégués  apostoliques  revinrent  vers 
Toul  en  passant  par  Bouzonville  (l),  sise  également  au  dio- 
cèse de  Metz.  Moins  déchue  que  les  autres  monastères, 
l'abbaye  de  Sainte-Croix  de  Bouzonville  avait  eu  cepen- 
dant ses  jours  d'épreuve.  Fondée  en  1033  par  le  comte 
Adalbert,  tige  de  la  maison  de  Lorraine,  et  par  la  comtesse 
Judith,  sa  femme  (2),  l'abbaye  dut  son  nom  à  une  relique 

(1)  Suite  de  la  relation  :  o  L'abbaye  de  Sainte-Croix  de  Bouzonville,  au 
diocèse  de  Metz,  est  sous  le  patronat  du  duc  do  Lorraine;  elle  a  main- 
tenant pour  abbé  Jean  Sellier,  moine  profèsdo  l'ordre  de  Saint-Benoit  ; 
elle  est  en  assez  bon  état  en  ce  qui  regarde  les  bâtiments  et  en  ce  qui 
concerne  le  service  de  l'église.  Les  moines,  au  nombre  de  12,  observent 
les  prescriptions  essentielles  de  la  Règle  ;  on  dut  les  laisser  dans  la 
même  situation,  les  Pères  réformés  n'ayant  pas  le  nombre  sufTîsant  de 
moines  pour  remplir  actuellement  cette  abbaye.  » 

(2)  Cf.  D.  Calmet,  Notice  de  la  Lorraine,  art.  Bouzonville.  —  Bibl. 
nat.,  Lat.,  Miscell.  monast.,  12777,  p.  210-212.  — -  GaUia  chriMiana, 
Bouzonville.  —  Bibl.  nat.,  Lorr.  284-497-276.  —  Lat.  1266G  :  diverses 
donations,  confirmations  ou  transactions  avant  le  xvii"  siècle. 


—  398  — 

de  la  vraie  Croix,  que  le  comte  rapporta  de  Jénisalem.  Doté 
par  celui-ci  de  nombreux  alleux,  le  monastère  garda,  dans 
la  suite,  la  protection  spéciale  des  descendants  du  comte. 
Sur  le  désir  de  Tévéque  de  Metz  Adalberon,  Gérard  d'Al- 
sace, petit-fils  d'Adalbert,  échangea  ses  droits  sur  l'abbaye 
contre  le  château  de  Commercy  {Commaniaco).  «  retinens 
8ibi  posterisque  suis  advocationem  loci  jure  hctreditario  ».  Les 
avoués  du  duc  ne  mirent  malheureusement  pas  le  même 
dévouement  que  leur  seigneur  dans  la  défense  des  droits 
de  l'abbaye,  et  à  plusieurs  reprises  celle-ci  dut  se  défendre 
contre  eux  (notamment  en  1123  et  1184.).  A  la  fin  du  xvr 
siècle,  le  19  mai  1583,  Fabbaye  fut  totalement  dévastée,  sauf 
l'église.  Jean  Sellier,  élu  abbé  en  1589,  consacra  son  abba- 
tial à  la  relever  de  ses  ruines  ;  c'est  lui  également  qui,  en 
1612,  devait  y  introduire  la  réforme. 


CHAPITRE  II 


Visite  des  abbayes  de  Saint-Mansuy  et  Saiot-Evre  de  Toul,  de  Saint- 
Pierre  de  Scnones.  —  Six  monastères  échappent  à  la  visite  :  à  Metz, 
Saint-Clément,  Saint-Symphorien,  Saint-Arnould,  Saint-Vincent  ; 
l'abbaye  de  Beaulieu-en-Argonne  et  Saint-Airy  de  Verdun.  —  Dé- 
crets du  Visiteur.  —  Son  retour  en  Italie. 


Visite  de  l'abbaye  de  Saint-Mansuy  de  Toul. 

Après  la  visite  de  Bouzonville,  eut  lieu  celle  des  abbayes 
de  Toul,  Saint-Mansuy  (1)  et  Saint-Evre.  Commencée  par 
saint  Gauzelin,  évéque  de  Toul,  vers  930  (2),  la  fondation  de 
l'abbaye  de  Saint  Mansuy  date  vraiment  de  982,  époque  à 
laquelle  saint  Gérard,  successeur  de  saint  Gauzelin  sur  le 
siège  de  Toul,  «  a  estably  un  abbé  nommé  Adam  et  des 
religieux  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît,  avec  assignation  de 
rentes  et  revenus  suffisants  pour  leur  entretien,  confir- 
mant les  donations  auparavant  laites  audit  lieu,  tant  par 
Gauzelin,  son  prédécesseur  évêque,  que  par  autres  fidèles, 

(1)  Relation  de  Lucalbcrti,  suite.  —  «  L'abbaye  de  Saint-Mansuy,  au 
faubourg  de  la  ville  de  Toul,  quoique  pourvue  de  bonnes  rentes,  n'eq 
est  pas  moins  dans  une  très  mauvaise  impasse,  grâce  à  soixante  ans 
passés  sous  le  gouvernement  d'un  abbé  commendataire  italien  qui  en 
a  tiré  plus  de  12000  écus,  sans  en  dépenser  même  cent,  de  sorte  que  les 
bâtiments  tombent  en  ruines  et  que  la  sacristie  en  est  réduite  à  n'avoir 
pas  une  seule  cbasuble  noire.  Le  vicaire  de  cet  abbé  est  Monsieur 
Chaumont,  chanoine  de  la  ville  de  Toul.  Ayant  porté  plainte  à  la  cou- 
ronne de  France,  il  empocha  la  réforme  de  s'établir  ;  les  moines  ont 
des  mœurs  déréglées,  comme  ceux  que  nous  avons  déjà  cités.  L'un 
d'entre  eux,  M.  Guissard  (?),  les  ayant  quittés  pour  entrer  chez  les 
réformés,  a  laissé  une  deAto  de  200  écus  (ou  sols  ?)  provenant  des 
dépenses  ordinaires  qu'il  est  de  tradition  de  faire  dans  ce  monastère  à 
leur  entrée  et  à  leur  ordination  sacerdotale  ;  il  supplie  Sa  Sainteté  de 
permettre  que  ses  créditeurs  soient  payés  avec  la  valeur  de  la  pension 
que  devrait  lui  servir  le  monastère  au  lieu  do  la  nourriture  qu'il  n'y 
reçoit  plus,  afin  que  son  père,  qui  est  pauvre,  n'en  soit  point  rendu 
responsable.  » 

(2)  D.  Galmbt,  Notice  de  la  lorr.,  art.  Toul. 


—  400  — 

lesquels  il  affranchit  et  exempte  de  toute  juridiction,  et 
entre  autres  l'enclos  et  le  circuit  dans  lequel  est  situé  lexlit 
monastère  de  Saint-Mansuy,  avec  les  terres  et  le  ban  aux 
environs  (1)  m. 

Parmi  les  possessions  que  cette  charte  assurait,  citons 
les  principales  :  l'église  de  Bonnay  (2),  la  chapelle  du  Mont 
de  Bar,  l'église  de  Moienvic,  les  églises  de  Naives,  de  Hode- 
lincurt,  de  Tulley»  les  chapelles  de  Saint-Florentin  de  Chel- 
mes,  de  Seixey,  d'Orisim,  de  Benneron  et  quelques  pièces 
de  terre  (3).  En  988,  saint  Gérard  ajoute  les  dimes  de 
Gelaincourt  (4). 

En  1096,  Lancelina  donne  à  Saint-Mansuy  l'église  et  une 
partie  de  la  seigneurie  de  Bures  (5). 

En  1246,  l'abbaye  obtient  les  églises  de  Germay  et  de 
Bretoncourt  (6). 

En  1264,  les  églises  de  Lezeville,  Espihon,  Solencourt, 
Germeville,  Sommelenance  (7). 

En  1284,  deux  autres  cures  sont  mentionnées  :  Eflin- 
court  et  Montreul  (8),  etc. 

Parmi  les  prieurés  qui,  au  cours  des  siècles  relevèrent 
de  Saint-Mansuy,  citons  ceux  que  nous  donne  unerequôte 
faite  plus  tard  pour  obtenir  l'indépendance  de  l'abbaye  vis 
à  vis  de  la  ville  de  Toul  (9)  :  Notre  Dame  de  Neufchâteau, 
Saint-Jacques,  Bieurville,  Rinel,  Saint  Don,  Fontenoy  en 
Vosges,  Saint-Thiébaut,  Passay,  Hamaureux,  Saint-Michel 
du  Mont  de  Bar  (10).  Les  cures  à  la  collation  sont,  à  la  même 

(1)  Bibl.  nat.,  Lorr.  329,  Toul,  fol.  26-27  :  Inventaire  motivé  des 
Titres  do  Saint-Mansuy.  XVll\ 

(2)  Bonnay,  Bibl.  nat.,  Lorr.  329,  Titre  1,36. 

(3)  Monl  de  Bar,  Tulley,  Orisons  ou  Orisim,  Bodelincourt,  ibid., 
D*  36  (1050). 

(4)  Gelaincourt,  ibid.,  titre  3. 

(5)  Bures,  ibid.,  titre  4. 

(6)  Germay,  ibid.   Utre  6. 

i7)  Sommetonnance,  ibid.,  n»  8,  n»  10,  n«  11,  n»  12,  n«  13, 

(8)  Lézeville,  Upihon,  Solencourt.  Bibl.  Nat.  Dupuy  124  (126i). 

(9)  Bibl.  nat.,  Lorr.  334,  Toul. 

(10)  Citons  quelques  actes  de  conGrmaUon  :  965,  cartul.  d'Othon  H, 


—  401  — 

date,  au  nombre  environ  de  trente,  les  chapelles,  de 
sept. 

Au  commencement  du  xvii*  siècle,  les  revenus  de  Tabbé, 
outre  les  rentes  en  nature,  s'élevaient  à  17812  fr.,  5  gros  (1)  ; 
on  comprend  ainsi  les  réflexions  du  Visiteur,  le  rendant 
responsable  des  ruines  accumulées  pendant  un  abbatial  de 
60  ans,  uniquement  occupé  à  percevoir  les  revenus,  sans 
acquitter  les  charges.  Nous  avons  la  confirmation  de  ce 
triste  état  de  choses  dans  la  déclaration  suivante  faite  par 
les  moines  en  1610  ;  ils  y  exposent  :  a  Que  tous  les  bâti- 
ments de  leur  église,  couvent  et  monastère,  en  ce  qui  est 
resté  debout  et  en  estre,  sont  fort  vieilz  et  caducques,  et 
menassent  ruyne  imminente  par  tous  et  pareillement 
aussy  tous  les  autres  bastiments  en  deppendantz....  ;  que 
les  usuynes  comme  moulin,  four,  pressoirs  et  autres 
bâtiments  de  mesnage  de  leur  abbaye,  ayent  esté  pour  la 
plupart  ruynés  par  les  guerres  dernières,  en  sorte  qu'ils 
sont  contraints  d'y  employer  par  chacun  an  pour  le  moins 
3.000  livres  en  réparation  (2).  » 

Toutefois,  pour  être  juste,  on  ne  peut  tout  rejeter  sur  le 
dernier  abbé  qui  précéda  la  réforme.  Depuis  sa  fondation, 
vers  930,  jusqu'à  l'arrivée  des  commendataires,  trente-cinq 
abbés  réguliers  s'étaient  succédé  dans  l'abbatiat,  agrandis- 
sant peu  à  peu  le  domaine  temporel  de  leur  monastère, 
ainsi  que  les  documents  nous  le  montrent.  Citons  pour 

Bibl.  nat.,  Lorr.  329,  n"  44.  —  1152,  Bullo  d'Eugène  III,  ibid,  n«  37.  — 
1134,  Bulle  d'Adrien  IV,  n»  38.  —  1103,  cart.  de  Pibon,  n»  36.  —  1118, 
cart.  de  Riquinus,  n"  35. 

Autres  possessions  à  Lézeville^  haneufveville^  1262,  Bibl.  nat.,  Lorr. 
329,  n»  7  î  —  à  Pargney-sur-Meuse,  Rigney,  Bussoncourt,  1263,  ibid, 
n»  40;  —  Longeaux,  1284,  ibid.  ;  —  Demgerei,  Malezei,  Bibl.  nat., 
Dupuy,  124, 1282;  —  Fussey,  1292,  ibid.  —  La  Borde  (maladrerlc)  Bibl. 
nat.,  Fr.  18859  ;  etc....:  cf.  Déclaration  de  revenus,  1610,  Bibl.  nat.,  Lorr., 
Toul,  n«  17;  -  1624  ;  ibid.  fol.  198-210. 

(1)  Bibl.  nat.,  Lorr.  329,  Toul,  1  fol.  198-210,  Déclaration  de  revenus, 
1624  et  passim. 

(2)  Ibid,  398,  Toul^  SainiMansny,  f.  45-46.  Déclaration  de  revenus, 
1610. 


—  402  — 

simple  mémoire  :  Faribertus,  971  ;  Odon  ou  Dodon,  1050  ; 
Theomar,  1103  et  1118  ;  Raynal,  1135;  Jean,  1152  ;  Aubert, 
1189';  Otton,  1264  ;  Gérard,  1284,  etc.  (1).  Entre  temps  nous 
trouvons  l'un  ou  l'autre  d'entre  eux  cherchant  également 
à  affermir  les  intérêts  spy-ituels  de  leur  abbaye  par  des 
actes  d'association  avec  d'autres  monastères  ;  c'est  Rainai 
qui,  au  xii«  siècle,  établit  des  liens  entre  l'abbaye  de  Saint- 
Mansuy  et  celle  de  Moutier-Saint-Jean  (Reomense),  dont  Ber- 
nard est  alors  l'abbé  ;  en  1294,  Guillaume,  l'un  de  ses  succes- 
seurs, confirme  cette  association  ;  en  1299,  c'est  Gérard  qui 
établit  les  mêmes  relations  spirituelles  avec  son  homonyme 
de  Saint-Evre  de  Toul,  etc.  (2). 

Mais  avec  Jean  de  Lamballe,  vers  1480,  était  venue  la 
commende  ;  puis,  durant  le  xvi'  siècle,  les  guerres  ;  puis 
enûn  le  fameux  abbé  Nicolas  Ususmaris,  italien  naturalisé 
par  lettres  dul3oct.  1552 '3).  Les  titres  deSaintMansuy(4) 
sont  remplis  des  échos  de  la  procédure  engagée  ou  subie 
par  l'abbé  contre  les  détenteurs  des  dîmes  de  son  bénéfice, 
ou  contre  ses  moines,  dont  il  néglige  de  payer  la  pension. 

Vers  1592,  le  duc  de  Lorraine  s'occupa  de  procurer  à 
Mgr  Jean  des  Porcelets  de  Maillane,  encore  étudiant  à 
l'Université  de  Pont-à-Mousson,  la  coadjutorerie  de  l'abbaye 
de  Saint-Mansuy  ;  il  en  écrivit  dans  ce  sen§  au  sieur  de 
Lutzelbourg  son  cousin  et  ambassadeur  à  Rome,  le  25  juil- 
let 1592  (5).  Le  Pape  la  lui  conféra  en  1597  (6),  et  non  pas 
en  1603,  comme  le  voudrait  la  Gallia  christiana.  Ce  n'est 
qu'en  1607,  à  la  mort  de  Nicolas  Ususmaris,  que  Mgr  des 
Porcelets  de  Maillane  se  mit  en  mesure  de  prendre  pos- 
session de  l'abbaye  de  Saint-Mansuy. 

L'arrivée  des  Visiteurs  réveilla  la  torpeur  des  moines  et 

(1)  Bibl.  nat.,  Lat.  42779,  fol.  26. 

(2)  Bibl.  nat.,  Lat.  12779.  Diplom.  monast. 

(3)  Bibl.  nat.,  Fr.  2742. 

(4)  Bibl.  nat,  Lorr.  271,  329,  398  et  399. 

(5)  Bibl.  nat.,  Lorr.  398,  Saint-Mansuy,  fol.  16-17. 

(6)  Bibl.  nat.,  Dupuy,  124,  fol.  205. 


-  403  — 

tout  leur  sembla  bon  pour  échapper  à  la  réforme  :  nous 
aurons  occasion  de  parler  de  leur  opposition,  en  môme 
temps  que  de  celle  des  religieux  de  Saint-Evre  ;  signa- 
lons seulement  le  stratagème  du  vicaire  de  Tabbé,  qui 
recourut  au  roi  de  France  pour  le  supplier  d'intervenir  et 
d'empêcher  la  réforme  ;  mais  le  duc  de  Lorraine,  appuyant 
le  désir  du  cardinal-légat,  écrivit  à  Tabbé  Ususmaris,  qui, 
à  ce  moment,  se  trouvait  à  Gènes  pour  soigner  sa  santé, 
et  se  plaignit  des  agissements  de  son  vicaire  Dominique 
Chaumont.  Le  2  décembre  1606,  Tabbé  de  Saint-Mansuy 
s'excusa  par  lettres,  auprès  du  duc  de  Lorraine,  de  ne  pou- 
voir se  transporter  cette  année  à  Toul  pour  remplacer  son 
vicaire  ;  il  lui  exprima  la  peine  qu'il  éprouvait  de  l'ennui 
que  ledit  Chaumont  avait  dû  causer  à  Son  Altesse,  et  lui 
promit  d'aller,  au  mois  de  mai  suivant,  à  Saint  Mansuy, 
remettant,  au  cas  où  il  ne  pourrait  pas  s'y  rendre,  toute 
son  autorité  abbatiale  au  Duc  lui-même.  Enfin,  il  lui  ma- 
nifesta son  adhésion  absolue  au  vœu  du  cardinal-légat 
touchant  la  réforme  de  ses  moines  (1). 

Visite  de  l'abbaye  de  Saint-Evre  (2). 

Fondée  au  vi*  siècle  par  saint  Evre,  7®  évêque  de  Toul, 
en  l'honneur  de  saint  Maurice,  l'abbaye  avait  été  placée 
sous  la  Règle  de  saint  Benoit,  et  gouvernée  par  Apollinaire, 

(1)  Bibl.  nat.,  Lopr.  329,  Toul,  f.  234>5. 

(2)  Relation   de  Lucalberti  (suite).  «  L'abaye  de  Saint-Evre,  au  fau-  J 
bourg  de  Toul,  a  pour  abbé  monsieur  Tavagné  [Louis    de   Taragny), 

religieux  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît.  C'est  un  homme  qui  fait  profes-  | 

sion  de  noblesse,  mais  qui  dépen.«e  on  procès  et  en  dîners  les  revcnuâ  \ 

de  l'abbaye,  sans  aucun  souci  des  bt^liments  ni  des  pauvres  :  on  pré-  j 

tend  qu'il  ne  sait  pas  dire  l'office  ;  quant  à  la  messe,  il  la  dit  rare- 
ment. Les  moines  sont,  h  son  exemple,  de  mœurs  très  libres,  excepté 
le  prieur,  théologien  de  la  faculté  de  Paris,  prédicateur  de  grand 
renom  dans  ces  provinces,  et  de  vie  très  sainte  ;  il  s'appelle  monsieur 
Claude  Riquechier  et  favorise  de  toutes  ses  forces  la  réforme.  Mais 
les  moines,  du  consentement,  dit-on,  de  l'abbé,  ayant  mis  à  leur  tète 
monsieur  de  la  Plance  (Planche),  homme  de  très  mauvaise  vie,  firent 


—  404  - 

à  la  fois  abbé  du  nouveau  monastère  et  de  ceux  d'Agaune- 
en-Valais  et  de  Saint- Bénigne  de  Dijon.  C'est  vers  le 
milieu  du  ix*  siècle,  que  son  nom  de  Saint-Maurice  fit 
place  à  celui  de  son  fondateur,  saint  Evre.  A  la  môme 
époque,  Charles  le  Gros  donnait  à  Fulbert,  abbé  de  Saint- 
Evre,  par  une  charte  datée  du  xvi*  jour  des  kalendes  de 
mars  (1),  quatre  manses  de  terre  situées  «  dans  et  dehors 
la  ville  de  Toul,  avec  toutes  les  terres  arables  en  dépen- 
dantes, comme  aussy  les  vignes,  prés,  paquis,  bois,  mou- 
lins, rivières,  et  même  aussi  les  sujets  mainmortables 
qui  lui  appartenaient  audit  lieu  (2)  ».  Cette  donation 
ajoutait  une  garantie  aux  possessions  de  Saint-Evre,  en 
donnant,  comme  condition  obligatoire,  que  le  monastère 
serait  gouverné  par  un  abbé  capable  d'aider  ses  frères  et 
pris  dans  le  sein  de  leur  communauté  ou  d'une  autre 
semblable.  Outre  ces  terres,  Saint-Evre  possédait  le  do- 
maine de  Saint-Maximin,  situé  aux  portes  du  monas- 
tère (3).  En  935,  Gauzelin,  évéque  de  Toul,  confirma  les 
biens  de  l'abbaye  et  exprima  le  projet  d'y  rétablir  une 
stricte  observance  delà  Règle,  renouvelant  pour  les  moines 

recours  auprès  des  intendants  royaux  de  Toul  et  de  Metz,  qui  empé* 
obèrent  toute  tentative  de  réforme.  II  faut  noter  ici  la  mauTaise 
action  de  ces  moines,  qui  s'adresseront  au  tribunal  civil,  y  faisant  de 
fausses  accusations  contre  leur  prieur  et  contre  rniustrissimo  Légal,  et 
disant  que  les  Italiens  voulaient  se  déclarer  les  maîtres  dans  ces  pro- 
vinces, ainsi  que  leur  rébellion  contre  leur  prince  naturel,  en  affirmant 
que  les  faubourgs  appartenaient  à  la  couronne  de  France,  tandis  que, 
de  mémoire  d'bomme,  il  est  notoire  qu'ils  ont  toujours  été  possédés 
sans  conteste  par  les  princes  de  Lorraine  comme  seigneurs  absolus. 
Mais  c'est  cbose  habituelle  dans  ces  pays,  que  les  prélats,  voulant 
châtier  leurs  sujets,  on  soient  empêchés  sous  couleurs  diverses  par  le  par- 
lement de  Paris  et  autres  ministres  du  Roi,  qui,  de  différentes  manières, 
s'occupent  à  trouver  des  raisons  pour  empêcher  les  supérieurs  ecclé- 
siastiques d'agir,  d'où  vient  que  le  clergé  est  peu  régulier.  » 

(1)  Bibl.  nat.,  Lat.  12779,  Diplom.  monast.  La  Gallia  christiana  donne 
la  date  du  xi*  jour  des  Kalendes  de  juillet. 

(2)  Ces  biens  devinrent  plus  tard  possession  de  l'abbaye  Saint-Man- 
suy,  ainsi  que  le  prouve  le  titre  classé  parmi  ceux  de  Saint-Mansuy, 
Bibl.  nat.  Lorr.  329,  Toul.  Inventaire  motivé  des  Titres,  n'32,  f.  21. 

(3)  Gallia  christiana,  Toul,  Saint-Epvre. 


-    408  - 

le  privilège  d^élection  de  leur  abbé  :  «  Item  constituimus  ut 
eidem  coenobio  abbas  semper  praeficiatur  ex  electione  mona- 
chorum  qui  secundum  Regulam  praefati  Patris  Benedicti 
praeesse  et  prodesse  fratribus  utiliter  queat  d. 

Si  Ton  en  juge  par  le  soin  mis  à  conserver,  dans  les 
archives  de  Tabbaye,  les  titres  de  ce  privilège,  on  peut  con- 
clure que  Tabbaye  de  Saint-Evre  eut  à  lutter  à  diverses 
reprises  pour  garder  son  droit  d'élection  (1).  Au  x°  siècle, 
la  mense  de  Saint-Evre  s'enrichissait  de  l'église  de  Co- 
lombiers (2)  et  du  prieuré  de  Bainville  (3),  pendant  que 
révoque  Brunon  commençait  à  relever  le  monastère  deux 
fois  incendié  et  que,  sous  son  successeur  Berthold,  l'abbé 
Guillaume  de  Saint-Bénigne  de  Dijon  y  restaurait  la  disci- 
pline. Tout  d'abord  mal  acceptée,  cette  réforme  fit  bientôt 
sentir  son  heureuse  influence  et  attira  de  nombreuses 
donations  à  Saint-Evre  :  en  1072,  Pibon,  évoque  de  Toul, 
lui  accordait  l'église  de  Blénod-lès-Pont-à-Mousson  et  celle 
de  Fains,  ultra  Mosam  apud  Barrum  castrum.  En  1116,  les 
moines  recevaient  l'église  d'Ochey  ;  en  1150,  le  domaine 
de  Gerbécourt  et  la  chapelle  de  Chatenois  (4).  Mais,  aussi 
bien  que  l'histoire  de  Saint-Mansuy,  celle  de  Saint-Evre 
relève  des  difficultés  nombreuses  créées  par  ses  défen- 
seurs naturels,  les  voués  des  ducs  de  Lorraine.  Déjà  ruinée 
à  plusieurs  reprises,  l'abbaye  le  fut  de  nou7eau  en  partie 

(1)  Bibl.  nat.,  Lorr.  [VM,  Toul,  fol.  33,  ad  a.  d36.  Cette  prérogative  se  trouve 
confirmée  en  1179  dans  une  Bulle  d'Alexandre  III  à  Hugues,  abbé  de 
Saint-Evre  :  a  Obeunte  te  vero  i)unc  ejusdem  loci  abbate  vel  tuorum 
quolibet  successorum,  nullus  ibi  qualibet  subreptlonis  astuUa  seu  vio- 
lentia  praeponatur,  nisi  quem  fratres  communi  consensu,  vel  fratrum 
pars  consilii  sanioris  secundum  Dei  timorem  et  beat!  Bene  dictl  Regu- 
lam providerint  eligendum.  ».  Ces  titres  furent  la  base  des  réclama- 
tions faites  contre  les  coadjutours  de  Louis  de  Tavagny  et  de  M.  de 
Ciccon  au  xvii'  siècle.  Bibl.  nat.,  Lorr.,  334. 

(2)  Au].  Colombey  probablement  (v.  Lepage,  Stat.  de  la  Meurthe).  Cf. 
acte  de  1258.  Bibl.  nat.,  Dupuy,  124  f.  181. 

(3)  Bainville  (aux  Miroirs),  prieuré  fondé  au  x'  siècle  (cf.  Lepage, 
Siai.  de  la  Meurlhe), 

(4)  Gallia  christiana,  Toul,  SaintEpvre. 


-  406  - 

en  l'an  1532,  qui  vit  détruire  son  église  (i).  Pendant  les 
années  qui  suivirent,  les  moines  firent  Tofrice  divin  dans 
le  réfectoire  vaste  et  voûté  de  Tabbaye.  transformé  momen- 
tanément en  oratoire.  Jacques  de  Tavagny,  élu  en  1559, 
commença  la  reconstruction  du  sanctuaire,  que  son  neveu, 
Louis  de  Tavagny,  évêque  titulaire  de  Christopole  et  son 
successeur  dans  l'abbatiat,  devait  achever  et  consacrer  le 
30  août  1613. 

Taxée  en  cour  romaine  (2)  à  130  florins,  l'abbaye  de 
Saint-Evre  avait  sous  sa  dépendance  cinq  prieurés,  Lan- 
décourt  (3),  Gondrecourt  (4),  Deuilly  (5),  Chatenois  (6), 
Bainville,  cinq  chapelles  et  environ  la  collation  de  qua- 
rante cures.  Le  Fouillé  de  1402  lui  donne  une  valeur  de 
900  livres  (7). 

A  plusieurs  reprises,  l'abbaye  de  Saint-Mansuy  avait  dû 
être  reconstituée  spirituellement,  presque  chaque  fois 
après  une  période  de  ruines  matérielles.  Nous  avons  men- 

(1)  D.  Calmet,  Notice  de  la  Lorraine  :  Toul,  SainUEpvre, 

(2)  BiBL.  ANG.,  Tax^e  monast.,  etc. 

(3)  Landécourt,  fondé  au  commencement  du  xii'  siècle  {Landecuria). 
(Lepage). 

(4)  Gondrecourty  dans  le  Nantois,  estimé  dans  le  pouillé  à  cent  sols 
toulois,  fondé  au  xi"  siècle  (D.  Calmet). 

(5)  Deuilly  (Saint-Georges  de),  situé  près  du  château  de  Deuilly, 
dans  les  bois,  sur  le  chemin  de  Tignécourt  à  Serécourt,  fondé  au 
XI'  siècle.  Plus  tard,  probablement  à  la  fin  du  xvu<)  siècle,  on  le  trans- 
porta à  Morizécourt.  (D.  Calmet,  Notice  de  la  Lorr.).  La  Congrégation 
de  Saint-Vannes,  après  la  réforme,  y  nommait  un  prieur,  un  sous- 
prieur  et  un  autre  religieux.  Le  pouillé  lui  donne  une  valeur  décimale 
de  25  sols  toulois.  Le  prieur  avait  la  collation  de  onze  églises  ou  an- 
nexes. Bibl.  nat.,  Lat.  3208,  PouUlé  de  1402,  fol.  23  {D.  Calmbt,  Notice 
de  la  Lorr.). 

(6)  Chatenois  (Saint-Pierre  et  Notre-Dame  de).  Ce  prieuré  fondé  par 
Hadwide  de  Namur,  épouse  du  duc  Gérard  d'Alsace,  en  1069,  fut  donné 
vers  1070  à  l'abbaye  de  Molesme,  puis  en  1116  à  l'abbaye  de  Saint- 
Evre.  Sa  valeur  décimale,  d'après  le  pouillé  de  1402,  était  de  cent  sols 
toulois.  Grâce  à  la  malheureuse  invasion  de  la  commendc,  le  prieuré 
de  Chatenois  ne  put  suivre  son  abbaye-mère  dans  la  réforme.  Ce  n'est 
qu'en  1636,  sous  M.  de  Mauléon  de  Labastidc,  que  les  bénédictins  van- 
nistesy  furent  introduits;  v.  Bibl.  nat.,  Lat.  12661  (varia).  — D. Calmet, 
Notice.  —  Mém.  Soc.  d'Arch.  lorr.  (M.  de  Chanteau),  1879,  p.  283. 

(7)  Bibl.  nat.,  Lat.  5208.  Cf.  Lepage,  op.  cit. 


—  407  — 

tioDDé  le  projet  de  réforme  de  Gauzelin  au  x«  siècle,  celui 
de  Guillaume  de  Saint-Bénigne  de  Dijon,  exécuté  au  xi«  siè- 
cle ;  Hermann  d'Ogéviller,  qui,  de  prieur  de  Flavigny, 
était  devenu  abbé  de  Saint-Evre,  suivit  leurs  traces  ;  après 
avoir  exposé  ses  plans  de  réforme  dans  une  réunion  d'ab- 
bés tenue  à  Toul  en  1420,  en  vue  d'une  restauration  géné- 
rale derOrdre,  il  en  avait  fait  l'application  à  son  abbaye. 
En  1567,  Dom  Jacques  de  Tavagny  publia  des  statuts  pour 
son  monastère,  et  nous  savons  par  ailleurs  le  rôle  impor- 
tant qu'il  joua  pour  le  succès  de  la  réforme  dans  les 
diverses  tentatives  faites  par  le  cardinal  de  Lorraine  (V. 
Ir«  partie,  ch.  3).  Sa  mort  arrêta  le  tout.  Son  neveu,  en  héri- 
tant de  son  gouvernement  abbatial,  fut  loin  d'en  recueillir 
la  sainte  et  ferme  prudence.  Louis  de  Tavagny  était  un 
prélat  de  carrière,  et  les  quelques  notes  caractéristiques 
que  nous  donne  à  son  sujet  le  Visiteur  ne  sont  pas  de 
nature  à  faire  attendre  de  lui  un  appui  sérieux  pour  la 
réforme. 

D'accord  avec  les  moines  de  Saint-Mansuy,  qui,  de  leur 
côté,  avaient  trouvé,  dans  le  chanoine  Chaumont,  un  appui 
contre  l'introduction  de  la  réforme,  les  religieux  de  Saint- 
Evre,  ayant  à  leur  tête  Dom  Claude  de  la  Planche,  adres- 
sèrent au  roi  de  France  une  requête  d'opposition  à  la  dite 
réforme.  En  toute  autre  circonstance,  ils  se  seraient  défen- 
dus d'appartenir  à  la  ville  de  Toul  et  par  conséquent  à  la 
France  ;  mais  il  fallait  une  raison  ou  un  prétexte  à  leur 
refus  d'accéder  au  désir  du  légat  ;  peu  importait  la  non 
valeur  de  ce  prétexte  (!}. 

Le  31  janvier  1606,  ils  firent  au  roi  les  déclarations  dont 
nous  donnons  ici  la  substance. 

1.  Les  religieux  des  abbayes  de  Saint-Mansuy  et  de 
Saint-Evre  font  partie  du  clergé  de  la  ville  de  Toul  et  ont 
voix  élective  à  la  création  des  magistrats  de  la  ville. 

(1)  Bibl.  nat.,  Dupuy  124,  fol.  214-216. 


-  408  - 

2.  L'abbaye  de  Saint-Evre n'admet  que  des  gentilshom- 
mes de  famille  ;  les  religieux  de  Tordre  du  Mont-Cassin  ne 
sont  que  de  condition  servile. 

3.  Les  religieux  sont  élevés  dès  leur  enfance  à  Tabbaye, 
ce  qui  n'a  pas  lieu  pour  ceux  du  Mont-Cassin. 

4.  Les  religieux  de  Saint-Evre  administrent  eux-mêmes 
leurs  revenus,  possèdent  huit  ou  dix  beaux  villages  : 
l'ordre  du  Mont-Cassin  a  un  économe,  Magister  Cellarius^ 
et  l'introduction  de  cet  officier  ne  fait  pas  prévoir  une 
meilleure  gestion  des  biens. 

5.  La  création  des  officiers,  laissée  à  l'arbitre  des  réfor- 
mateurs, sera  un  préjudice  pour  l'abbaye  et  un  mépris  de 
l'intention  des  fondateurs. 

6.  La  levée  des  revenus  sera  soustraite  aux  religieux  et 
conférée  à  l'économe. 

7.  Les  religieux  ont  le  droit  de  choisir  les  moines  à 
quinze  ans,  et  de  les  choisir  parmi  les  familles  appartenant 
à  la  même  noblesse  qu'eux. 

8.  Enfin,  ce  sera  la  perte  des  anciens  religieux,  qui  se  ver 
ront  ainsi  sans  demeure,  sans  règle,  etc..  (1). 

Le  mémoire  était  habile,  tant  à  cause  de  l'appel  fait  au 
roi,  toujours  heureux  de  voir  s'étendre  les  confins  de  son 
royaume,  qu'à  cause  du  motif  principal  invoqué  :  l'ingé- 
rence des  moines  italiens  Le  roi  agréa  en  partie  la  requête 
et,  le  3  juin  suivant,  son  procureur  fit  à  Toul  opposition  à 
ce  que  les  Bénédictins  du  Mont-Cassin  fussent  introduits 
dans  la  dite  abbaye  de  Saint-Evre,  du  moins  sans  l'agré- 
ment de  son  Souverain  (2).  Le  procès-verbal  de  cette  inti- 
mation est  du  16  juin  suivant  (3). 

Plus  tard,  les  opposants  souscrivirent  aux  propositions 
du  légat,  et  acceptèrent  de  se  retirer  moyennant  qu'on 
leur  ferait  une  rente  de  700  francs  pris  sur  la  mense  con- 

(1)  Bibl.  nat.,  Dupuy  12i,  fol.  214-216. 

(2)  Bibl.  nat.,  Français  2742,  fol.  323. 

(3)  Ibid. 


—  409  — 

ventuelle.  Le  cardinal,  à  qui  le  bref  de  réforme  donnait 
toute  latitude,  accepta  ce  traité  ;  mais,  au  moment  de  le 
signer,  le  chef  de  l'opposition,  Dom  de  la  Planche,  se 
rétracta  (1).  Les  autres  s'adressèrent  au  Roi  pour  le  sup- 
plier d'annuler  leur  première  requête  et  Dom  de  la  Planche 
fut  expulsé.  Le  3  décembre  de  Tannée  suivante  1607,  un 
arrêt  du  Conseil  d'Etat  lui  alloua,  sur  le  revenu  du  tem- 
porel, une  certaine  somme  pour  son  entretien  (1). 

L'abbé  Louis  de  Tavagny  travaillait  également  pour  sa 
part  avec  ardeur  contre  l'introduction  de  la  réforme  ;  déjà 
il  s'était  signalé  lors  de  l'arrivée  des  Visiteurs  par  son  zèle 
à  empêcher  la  visite,  promettant  d'amener  sans  cela  les 
monastères  à  un  mode  de  vie  plus  conforme  à  leur  état. 
Quand  les  délégués  furent  sur  le  point  d'agir  à  Saint-Evre, 
le  ^cardinal  légat  pria  le  Duc  d'intervenir  et  celui-ci  écri- 
vit à  l'abbé  pour  l'avertir  que  la  réforme  allait  être  mise 
dans  son  monastère,  mais  que  lui  abbé  ne  serait  pas  sujet 
aux  ordonnances  qui  en  ressortiraient,  sauf,  par  exemple, 
pour  les  aumônes,  réparations...  Les  pensions  laissées  aux 
religieux  anciens  qui  vivraient  hors  du  monastère,  re- 
viendraient à  leur  mort,  par  moitié,  à  l'abbé  et  au  couvent, 
à  charge  pour  eux  cependant  de  payer  les  dettes,  s'il  y  en 
avait,  et  les  frais  des  funérailles. . .  Enfin,  au  fur  et  à  me- 
sure que  la  construction  commencée  de  l'église  avancerait, 
les  religieux  et  le  couvent  satisferaient  à  ce  qui  est  de 
l'accord  sur  ce  fait.  La  lettre  est  datée  du  12  mai  1606  (2). 
Les  résistances  des  opposants  neutralisèrent  le  zèle  de 
Dom  Claude  Riquechier,  prieur  de  l'abbaye  et  chaud  parti- 
san de  la  réforme.  Celle-ci  ne  fut  introduite  à  Saint-Evre 
qu'en  1611. 

DeToul,  les  Visiteurs  se  rendirent  à  Senones,  leur  der- 
nière étape  (3). 

(1)  Ibid. 

(2)  Bibl.  nat.  Lorr.  334,  Toiil,  fol.  14. 

(3)  Relation  de  Lucalberti  (suite),  a  Les  moines  de  l'Abbaye  de  Senones, 

Î7 


•  I 


-  410  -- 

Visite  de  l'abbaye  de  Senones. 

Au  vii«  siècle,  Gondelbert  s'était  retiré  dans  la  solitude 
des  Vosges.  Il  y  bâtit  ud  monastère,  auquel  il  donna  le  nom 
de  Senones  (1)  ;  le  roi  Childéric  II,  sur  sa  demande,  lui 
accorda  remplacement  de  Tabbaye  et  y  ajouta  tout  le 
ml  de  Senones,  ainsi  que  Vipucelle  et  Plaine.  Cette  donation 

afin  de  fuir  la  réforme  en  se  soustrayant  à  l'autorité  du  duc  de  Lor- 
raine, ont  obtenu  l'assistance  d'un  comte  hérétique,  auquel  ils  sont 
soumis,  de  sorte  qu'on  n'y  a  pu  faire  la  visite  ni  aucune  autre  tenta- 
tive; ils  alfîrment  que  leur  abbaye  est  impériale  et  ne  relève  pas  de 
la  juridiction  de  l'évéque  de  Metz  et,  par  conséquent,  n'est  pas  com- 
prise dans  le  bref  de  réforme  :  l'abbé  de  Senones,  s'il  n*est  pas  très 
entendu  en  affaires  temporelles,  n'en  est  pas  moins  un  homme  de  sainte 
vie,  charitable  et  très  zélé  pour  le  culte  divin.  Ayant  été  déchargé  de 
l'administration  de  l'abbaye,  il  a  reçu  comme  coadjuteur  messire  Térel, 
âgé  seulement  de  vingt-deux  ans  et  de  vie  très  dissolue.  On  n'est  pas 
sûr  qu'il  ait  fait  une  véritable  profession,  ayant  fait  son  noviciat  dans 
le  monastère  de  Longeville,  où  il  n'y  a  que  quatre  ou  cinq  moines 
livrés  au  concubinage,  et  un  abbé  encore  plus  dissolu.  Lui-même,  dans 
la  ville  de  Nancy,  où  réside  le  légat,  ne  porte  pas  l'habit,  de  sorte 
qu'il  n'y  a  pas  de  doute  que,  sous  son  gouvernement,  l'abbaye  se  rui- 
nera entièrement.  Lorsque  l'abbé,  très  dévoué  au  Saint-Siège,  eut 
connaissance  de  la  valeur  de  ce  successeur,  il  ne  dit  rien,  sinon  qu'il  se 
soumettait  à  la  volonté  de  Sa  Sainteté,  mais  cela  me  peine  de  voir  que 
cet  abbé  mal  informé  ne  puisse  s'avouer  toute  la  vérité  ii  cause  de  la 
puissance  et  de  la  faveur  dont  jouit  son  adversaire.  Le  meilleur  re- 
mède serait  que  Sa  Sainteté  ordonnât  la  translation  de  l'abbaye  et  des 
moines  au  prieuré  de  Baccarat,  lequel  se  trouve  dans  le  duché  de 
Lorraine.  De  cette  façon  on  pourrait  y  introduire  des  moines  réfor- 
més et  l'on  conserverait  à  l'abbaj'e  ses  revenus,  dont  une  petite  partie 
seulement  se  trouve  dans  le  domaine  du  comte,  faisant  défense  au 
nouvel  abbé  de  rien  aliéner,  mais  passant  sous  silence  les  aliénations 
faites  dans  le  passé,  afin  d'éviter  des  procès  sans  issue.  » 

(1)  L'absence  du  nom  de  Gondelbert,  au  vu*  siècle,  dans,  les  listes 
épiscopaies  de  la  métropole  de  Sens,  jette  un  grand  doute  sur  ce  point 
afûrmé  par  Ilichcr  dans  sa  Chronique  et  reproduit  par  les  historiens  de 
l'abbaye  de  Senones.  Pour  ne  pas  nier  absolument  tout  rapport  entre 
ces  vocables  de  Senones  et  de  Sens,  ainsi  que  le  fait  M.  le  Docteur 
Fournier  :  Quelques  noms  de  lieux  vosgiens^  Bull,  de  la  Soc.  philom. 
cosgiemie^  t.  XXVI,  p.  54,  nous  inclinons  vers  l'opinion  émise  par 
Mabillon  {Ànn.,  t.  1,  Lucse,  p.  425),  que  saint  Gondelbert  aurait  été  l'un 
des  chorévéques  de  la  province  de  Sens,  si  l'on  doit  accepter  comme 
impeccables  les  listes  chronologiques  des  évêques  de  cette  province. 

V.  D.  Calmkt,  Hist.  de  l'abbaye  de  Senones.  -•  Gallia  christiana. 
—  Bibl.  nat.,  Lorr.  288,  Abbayes,  S.  —  Bib.  nat..  Franc.  42696.  —  Bibl. 
nat..  Franc.,  Nouv.  acq.  2'}29.  —  Bibl.  ang.,  195,  Taxas  mon.,  fol.  426 


—  411  — 

fut  confirmée  par  Adalbéron,  évoque  de  Metz,  sous  Tabbé 
Rambert  au  x®  siècle,  puis,  à  la  prière  du  dit  évoque,  par 
leroiOthon  en  949,  plus  tard  par  l'empereur  Henri  IV, 
qui  augmenta  les  possessions  de  Tabbaye,  par  Calixte  II  en 
1123,  par  Eugène  III  en  1152.  Dès  le  xii*  siècle  commença, 
avec  les  princes  de  Salm,  cette  lutte  qui  occupe  toute 
la  force  vitale  de  Tabbaye,  et  qui,  interrompue  par  des 
semblants  de  trêves,  recommence  sans  cesse,  grâce  aux  em- 
piétements des  lieutenants  du  prince.  Au  xvi'  siècle,  Tab- 
baye  fut  détruite  par  un  incendie,  sous  Tabbatiat  de  Thi- 
rion  d'Anthelup,  et  ne  tarda  pas  à  subir  l'influence  des 
guerres,  tant  au  temporel  qu'au  spirituel.  Les  possessions 
lui  assurent  oflîciellement  10,000  1.  de  rentes.  La  cour 
romaine  la  taxe  à  134  flor.  2/3. 

De  l'abbaye  de  Senones  dépendaient  les  prieurés  de 
Mervaville  (1),   de  Xures  (2),  de  Vie  (3)  du  Monniet  ou 

(1)  Mervaville^  prieuré  fondé  sous  le  vocable  de  la  Sainte- Vierge 
dans  la  banlieue  do  Glonville,  diocèse  de  Toul,  au  xii"  siècle,  par  Cuné- 
gonde,  dame  de  Viviers,  achevé  vers  le  milieu  du  xiii*  siècle,  par 
Gcitherine  de  Limbourg,  duchesse  douairière  de  Lorraine.  Thicbaut  II 
donna  au  prieuré  de  Mervaville,  par  son  testament  de  1312,  dix  sols 
petits  tournois.  Il  fut  uni  plus  tard  au  prieuré  du  Breuil.  Le 
prieuré  de  Mervaville  n'a  laissé  de  trace  que  dans  la  forme  du  nom 
de  ia  localité  située  entre  Flin  et  Glonville,  près  d'Azerailles.  D.  Calmet, 
Piotice.  —  Jouve,  Etudes  sur  le.^  possessions  de  Senones, 

(2)  Xures^  fondé  par  dame  Cunégondc,  veuve  de  Mainfroi,  seigneur 
de  Taincry,  fut  consacré  par  Etienne  de  Bar,  évoque  de  Metz,  en  1129. 
Ce  prieuré  était  situé  dans  le  canton  de  Vie. 

(3)  Vie,  S.-Christophe,  fondé  en  1120  par  Antoine,  abbé  de  Senones,  et 
dédié  solennellement  par  Etienne  de  Bar,  évoque  de  Metz,  le  21  juin 
112i.  Nous  le  voyons  cité  en  1244,  1297  ;  puis  en  1380  il  fut  détruit,  et 
son  titre  transporté  au  couvent  des  Cia risses.  Au  xv'  siècle,  les  Cor- 
deliers  y  furent  installés,  mais  l'abbé  de  Senones  s'opposa  à  leur  entrée. 
A  la  fin  du  môme  siècle,  les  bénédictins  s'occupèrent  de  relever  l'an- 
cienne église  du  prieuré.  Donné  en  commende  k  Jean  de  Neuville, 
curé  de  Maxey-sur-Meuse,  le  prieuré  fut  traîtreusement  cédé  aux 
Cordeliers  moyennant  pension.  L'abbé  de  Senones,  irrité,  retira  le  prieuré 
aux  Cordeliers  en  1567.  En  1596,  un  accord  fut  passé  entre  le  prieur 
Dom  Poirot  et  l'abbé  Lignarius,  et  confirmé  en  1598.  En  1600,  le  21  mal, 
la  nouvelle  église  du  prieuré  fut  consacrée  par  Antoine  Fourier,  suf- 
fragant  du  cardinal  de  Lorraine.  {Xhhé  Pir.iMioy,  Le.  prieuré  de  Saint- 
Christophe  à  Vie,  dans  Mëm.  Soc.  d*archM.  lorr.,  1869,  p.  524-539. 


-  412  - 

Deneuvre  (l),de  Fricourt  (2)  et  environ  18 cures  à  la  colla* 
tion  de  l'abbé,  réparties  entre  les  doyennés  de  Deneuvre 
et  de  Port  ^3).  Les  revenus  avaient  été  réglés  par  différents 
rôles  ou  contrats  passés  entre  Tabbé  d'Anthelup  (4)  et  ses 
religieux,  et  reproduits  presque  fidèlement  par  tous  ses 
successeurs. 

L'abbé  Jean  Lignarius,  dont  parle  le  Visiteur  (o),  avait 
à  la  fois  contre  lui  les  lieutenants  des  ducs  de  Lorraine  et 
ceux  du  prince  de  Salm,  qui  se  disputaient  la  souverai- 
neté de  Tabbaye  de  Senones.  La  Bibliothèque  nationale 
garde  diflérents  «  traités  des  pritilèges  de  Vabbaye  de  Se- 
nones »,  composés  à  cette  époque  pour  protester  contre  les 
entreprises  des  officiers  de  la  Maison  de  Salm  (6). 

Trop  âgé  pour  soutenir  ces  luttes,  Jean  Lignarius  avait 
jeté  les  yeux  sur  son  jeune  parent,  Philippe-François  Col- 
lart,  qu'il  avait  élevé  lui-même,  pour  en  faire  son  coadju- 

(1)  Le  Monniet  ou  Deneuvre  fondé  en  1126  pur  Antoine,  abbé  de 
Senones,  dans  un  vallon  assez  solitaire  au-dessous  de  la  ville  et  do 
château  de  Deneuvre,  dédié  i\  saint  Etienne,  sans  doute  k  cause  du 
bienfaiteur,  Etienne  de  Bar,  qui  en  avait  donné  le  terrain  à  l'abbé  de 
Senones.  Il  fut  d'abord  conventuel  ;  puis,  en  1480,  sur  la  demande  des 
relif^ieux  de  Senones,  il  tut  incorporé  aux  menscs  abbatiale  etconven  • 
tuelle  par  Sixte  IV  et  son  titre  éteint  (Cf.  H.  Lepace,  Statistique  (te  la 
Meurthe  et  D.  C.vl.met,  Notice  de  la  lorr.). 

(2)  Fricourt  (V.  infra). 

Située  dans  la  chûtellenic  de  la  Garde,  au  diocèse  de  Metz,  le  prieuré 
do  Frtcoîtr^  avait  été  érigé  sous  le  tifrede  Notre-Dame  de  Bon  Secours. 
Il  est  cité  dans  une  Bulle  d'Innocent  ÏII  en  1152.  D.  Calmkt,  Notice^ 
art.  Fricourt. 

(3)  Voici,  d'après  le  Fouillé  de  1402,  la  liste  de  ces  cures  «'i  la  collation 
do  Senones  :  Wypucelle,  Plaignes,  Senones,  Selles,  Magneville,  Estenaulz, 
Waqueville,  Broville,  Saint-Clément,  Saint-Etienne,  Moyen,  Deneu>Te, 
Kambervillcrs,  Ilablainviller,  Saussures,  dans  le  doyenné  de  Deneuvre; 
Arches,  .\rchotles,  Saint-Epvre,  au  doyenné  de  Port. 

(4)  Nous  avons  publié  ce  document-type  dans  le  Bulletin  de  la  So- 
ciété philomatique  vosgicnne  (année  1899-1900;. 

(5)  Jean  Lignarius  était  le  53'  abbé  do  Senones  et  gouverna  son 
abbaye  de  1588  à  1625. 

(6)  Bibl.  nat.,  Lorr.,  328,  Abbayes  et  Prieuré,  Senones  (V.  la  liste  des 
documents  qui  concernent  celte  abbaye  dans  notre  notice  sur  le  Rôle 
de  D'Anthelup,  toc,  ci7. 


—  413  - 

leur.  Quand  Dom  Philippe  François  eut  fini  ses  éludes, 
l'abbé  de  Senoncs  lui  proposa  d'accepter  cette  charge. 
Dom  Philippe  s'y  refusa  et,  pour  mieux  s'en  défendre,  se 
retira  à  Saint-Vannes,  où  il  embrassa  la  réforme  (1). 

C'est  alors  que  Jean  Lignarius  fit  nommer  coadjuteur 
le  sieur  Térel,  dont  l'ambition  ne  larda  pas  à  se  manifes- 
ter. A  peine  élu,  il  fit  le  procès  de  celui  à  qui  il  devait  sa 
charge,  et  Jean  Lignarius  eut  à  se  défendre  en  cour  de 
Rome  contre  les  imputations  calomnieuses  qui  y  furent 
portées. 

Parmi  les  lettres  adressées  de  Lorraine  à  Dom  Lucal- 
berli  après  son  retour  en  Italie,  nous  en  avons  retrouvé 
plusieurs  du  malheureux  abbé  de  Senones.  se  justifiant 
des  fautes  qu'on  lui  prôtail,  et  suppliant  l'ex-Visiteur 
apostolique  de  le  défendre  en  cour  de  Rome  (2). 

Nous  ne  suivrons  pas  les  péripéties  de  la  lutte,  ni  les 
diverses  difficultés  que  la  réforme  eut  h  vaincre  pour  péné- 
trer dans  l'abbaye  de  Senones.  Dom  Calmet  les  a  suffi- 
samment exposées  dans  l'histoire  de  ce  monastère  (3). 

(1)  Sur  D.  Philippe-François  Collart,  v.  D.  Calmet,  Bibl.  lon\,  art. 
Philippe  François. 

(2)  Archivio  di  Stato,  Firenze,  Tit.  Réf.  II. 

(3)  D.  Calmet,  Hist.  de  l'abbaye  de  Senones,  publiée  par  Dinago. 
Relation  de  Lucalberti  (suite).  «  Quatre  abbayes  situées  à  Metz,  une 

non  réformée  à  Verdun,  celle  de  Saint-Airy  et  celle  de  Beaulieu  dans  le 
nu^me  diocèse,  no  purent  iMre  visitées,  parce  qu'elles  se  trouvent 
sous  la  dépendance  des  rois  de  France. 

En  ce  qui  concerne  les  revenus  des  abbayes,  je  n'ai  rien  k  dire, 
sinon  que,  par  suite  de  la  vie  irréjjuliére  des  moines  et  la  négligence 
des  abbés,  elles  sont  très  loin  d'égaler  les  anciennes  richesses,  et  on 
no  peut  cependant  les  comparer  aux  abbayes  d'Italie,  ce  pays  étant 
sans  argent.  Avec  tout  cela,  ces  moines  peuvent  vivre  honorablement 
ainsi  que  leurs  abbés,  excepté  ceux  des  monastères  de  Saint-Nabor  et 
de  Saint-Martin  de  Longevillc.  Je  ne  puis  rien  certiiier  en  particulier, 
parce  que  je  savais  qu'ils  auraient  souffert  difficilement  mes  questions 
k  ce  sujet.  Aussi  je  ne  voulus  pas  y  mettre  de  curiosité,  de  peur  de 
passer  pour  chercher  leurs  revenus  et  leur  imposer  des  décimes,  uu 
lieu  do  m'occuper  de  la  réforme  des  mœurs.  Ils  ont  sur  ce  point  une 
sorte  de  préjugé  contre  les  Italiens,  qu'ils  regardent  avec  défiance  et 
contre  lesquels  ils  murmurent,  à  tort  ou  à  raiso  i,  que  les  ministres  du 


-  414  — 

La  visite  apostolique  se  borna  à  ces  abbayes  dépen- 
dantes des  ducs  de  Lorraine.  Les  autres,  relevant  de  la 
souveraineté  des  rois  de  France,  ne  pouvaient  être  abor- 
dées sans  une  délégation  toute  spéciale  du  roi. 

Avant  de  terminer  sa  relation,  Dom  Lucalberti  s'excusa 
de  ne  pouvoir  donner  de  détails  sur  les  revenus  des  di- 
verses abbayes  visitées,  à  cause  de  la  défiance  naturelle 
que  sa  qualité  d'Italien  pouvait  soulever,  s'il  avait  voulu 

Saint-Siège  sont  plus  exigeants  dans  leurs  prétentions  que  ne  le  vou- 
draient leur  titre  ou  office,  aussi  bien  dans  la  Lorraine  que  dans  les 
provinces  voisines. 

La  réforme  de  ces  moines  ne  peut  se  faire  que  par  l'extinction  des 
anciens,  mais  jamais  par  leur  réunion  avec  les  réformés  sous  un  même 
supérieur.  Il  est  de  même  impossible  de  réformer  les  abbés,  à  cause  de 
leurs  mauvaises  habitudes  et  de  leur  trop  grande  autorité. 

Pour  réformer  les  abbayes  qui  ne  le  sont  point,  il  faut  en  chasser 
les  anciens,  et  y  implanter  de  jeunes  novices  qui  soient  éduqués  dans 
la  crainte  de  Dieu  et  l'observance  de  la  règle.  Ce  qui  aide  beaucoup  et 
retient  les  mauvais,  et  ce  qui  favorise  la  discipline  ecclésiastique,  est 
l'autorité  do  l'Illustrissime  Cardinal-Légat.  Une  bonne  partie  de  ces  mo- 
nastères se  trouvent  exempts  des  évéquos  ;  ceux-ci,  d'autre  part,  ont  de 
très  grands  diocèses  qu'ils  tiennent  du  Roi  de  France  et  les  mettent  en 
défiance  contre  les  ducs  de  Lorraine,  et  il  s'ensuit  qu'il  leur  est  diffi- 
cile de  remédier  aux  désordres.  L'illustre  Légat,  étant  le  fils  de  Son 
Altesse  le  Duc,  joint  au  contraire  l'autorité  temporelle  à  la  spirituelle, 
et  personne  autre  que  lui  ne  pourra  jamais  aussi  utilement  servir  la 
réforme.  Déjà  il  a  renouvelé  l'ordre  des  Prémontrés  et  a  donné  un 
grand  élan  à  la  foi  et  à  la  piété  catholiques,  en  employant  à  l'instruc- 
tion de  ses  peuples  des  Jésuites,  des  Capucins  et  des  Minimes,  ide  telle 
sorte  qu'il  a  éloigné  l'hérésie,  et  corrigé  beaucoup  d'abus,  ce  qui  ne  de- 
mandait pas  moins  que  tout  son  zèle  et  toute  son  autorité. 

Voilà  tout  ce  que  j'ai  jugé  digne  de  relater  des  visites  et  des  réformes 
des  monastères  lorrains,  réformes  non  encore  terminées  par  l'Illustris- 
sime Légat  quand  je  partis.  Mais,  comme  les  principales  étaient  accom- 
plies et  que  les  autres  exigeront  beaucoup  de  temps,  je  ne  pensais  pas 
nécessaire  d'être  là  ;  aussi  je  demandai  et  obtins  la  permission  de  m'en 
retourner,  avec  le  bon  plaisir  de  l'Illustrissime  Légat,  d'autant  plus 
qu'il  la  fin  du  mois  d'août,  il  partit  pour  accomplir  un  vœu  de  pèleri- 
nage à  une  église  de  Notre-Dame  dans  les  Pays-Bas,  église  très  fréquen- 
tée par  la  dévotion  des  peuples.  Comme  l'aller  et  le  retour  exigeaient  au 
moins  deux  mois,  je  n'aurais  pu,  si  j'avais  attendu  son  retour,  tra« 
verser  les  Alpes  avant  les  mauvais  temps,  et  j'aurais  dû  passer  encore 
cet  hiver  en  Lorraine,  ce  qui  m'eûtété  très  pénible.  Aussi,  je  me  hâtai 
d'obtenir  la  permission  de  me  mettre  en  route,  ne  voyant  pas  que  ma 
présence  fût  bien  nécessaire  à  la  cause  de  la  réforme.  » 


—  415  — 

s'ingérer  danr  les  questions  temporelles.  Selon  lui,  et  en 
cela  il  ne  faisait  que  confirmer  la  conviction  que  Didier  de 
la  Cour  avait  toujours  soutenue,  la  réforme  devait  se 
constituer  dans  chaque  abbaye  parTextinction  ouTéloigne- 
ment  des  anciens  moines  irréformables,  et  par  Fintroduc- 
tion  d'une  nouvelle  phalange,  pleine  d'une  sève  fraîche, 
qui  pût  résister  à  la  contagion  funeste  de  l'indifférence  ou 
de  la  tiédeur.  Le  Visiteur  se  rendait  compte  cependant  que 
ce  n'était  pas  chose  facile  partout;  l'autorité  et  le  zèle 
du  Légat  et  du  duc  de  Lorraine  avaient  favorisé,  sur  leur 
domaine,  et  conduit  déjà  la  réforme  à  bonne  fin  ;  mais  les 
quelques  oppositions  ressenties,  lui  présent,  dans  lesabbayes 
ayant  l'un  ou  l'autre  prétexte  pour  échapper  à  la  juridic- 
tion et  à  la  souveraineté  de  ces  princes,  ne  lui  laissaient  pas 
d'illusion  sur  les  Juttes  que  l'avenir  pouvait  lui  réserver. 

De  retour  à  Nancy,  à  la  cour  du  cardinal-légat,  le  Visi- 
teur apostolique  rédigea  un  certain  nombre  de  constitu- 
tions en  rapport  avec  les  besoins  des  abbayes  non  encore 
réformées,  mais  propres  en  môme  temps  à  affermir  le  bien 
dans  celles  qui  avaient  embrassé  le  nouveau  genre  de  vie. 
Voici  la  substance  de  ces  constitutions,  dont  plusieurs 
reproduisaient  les  règlements  tracés  par  l'assemblée  des 
abbés  et  prieurs  tenue  à  Saint-Mihiel  en  1595. 

1.  Les  Prieurs  devront  veiller  à  l'observance,  et  à  leur 
défaut  les  Visiteurs  rappelleront  les  délinquants  au  devoir. 

2.  Aucun  religieux  ne  retiendra  rien  à  son  usage,  qui  ne 
lui  ait  été  concédé  par  son  supérieur  (cf.  1595,  n^  10). 

3.  Aucun  religieux  ne  recevra  d'argent  pour  se  vêtir  ou 
se  nourrir  {ibid.,  n^  10). 

4.  L'administration  des  revenus  conventuels  sera  confiée 
à  un  religieux.  Celui-ci  rendra  compte  de  sa  gestion  cha- 
que semaine  au  prieur,  chaque  mois  au  prieur  et  au  cou- 
vent, chaque  année  au  Chapitre  général. 

5.  Le  moine  ne  pourra  posséder  aucun  objet  ni  vêtement 
de  prix. 


—  416  — 

6.  Chaque  religieux  fera  Tinvenlaire  de  ce  qu'il  a  dans 
sa  cellule  ;  le  prieur  le  transcrira  sur  un  livre  et  fera  cha- 
que mois  la  visite  des  cellules,  ayant  soin  de  punir  ceux 
qui  garderaient  des  objets  non  déclarés. 

7.  Le  religieux  ne  pourra  faire  aucun  acte  d'achat  ou  de 
vente. 

8.  Les  officiers  déposeront  l'argent  de  leurs  offices  chez 
le  prieur  et  lui  demanderont  ce  dont  ils  auront  besoin.  Un 
cahier  sera  tenu  des  entrées  et  sorties  de  chaque  office. 

9.  Aucun  moine  n'aura  de  serviteur,  en  dehors  des  offi- 
ciers, qui  pourront  en  avoir  selon  que  cela  sera  nécessaire. 

10.  Les  religieux  ne  pourront  disposer  des  restes  de  leurs 
portions  de  nourriture.  Elles  seront  données  aux  serviteurs 
ou  aux  pauvres. 

11.  Le  supérieur  pourvoira  aux  vêtements  des  religieux 
et  veillera  à  ce  qu'ils  soient  convenables  quant  à  la  quanti- 
té, à  la  taille,  à  la  qualité,  etc. 

12.  Les  religieux  rendront  les  vêlements  vieux  en  rece- 
vant les  neufs. 

13.  Aucun  moine  ne  portera  de  vêtements  de  couleur  non 
admise,nidesoieou  recouvert  d'ornements  (cf.  1595, n»  16). 

14.  Les  chemises  de  lin,  pour  ceux  qui  auront  la  permis- 
sion d'en  porter,  devront  être  unies,  sans  dentelle  ni  bro- 
derie (cf.  1595,  n^  16). 

15.  Le  prieur  fera  en  Chapitre  le  serment  de  ne  donner 
d'argent  qu'aux  officiers  ;  s'il  contrevient  à  son  serment,  il 
sera  déposé.  Il  en  sera  de  même  du  cellérier. 

16.  Les  abbés  seront  tenus  d'entourer  leurs  monastères 
de  murs  de  clôture  dans  l'espace  de  trois  mois,  sous  peine 
de  voir  séquestrer  une  partie  de  leurs  revenus.  On  devra 
veiller,  avec  une  grande  attention,  à  ce  que  la  clôture  soit 
strictement  gardée. 

17.  Les  religieux  qui  sortiront  dans  la  ville  où  se  trouve 
leur  monastère  ne  pourront  le  faire  sans  permission,  sans 
coulle  et  sans  compagnon. 


—  417  — 

18.  Les  religieux  ne  pourront  habiter  que  dans  les  monas- 
tères de  leur  congrégation,  lorsqu'ils  seront  en  voyage  (cf. 
1595,  n<>  20). 

19.  Aucun  religieux  ne  pourra  sortir  sans  l'habit.  Le  dé- 
linquant sera  puni  par  la  prison. 

20.  Il  est  défendu  à  tout  religieux,  sous  peine  d'excom- 
munication, de  porter  les  armes  sans  permission,  soit  au 
dedans,  soit  au  dehors  de  son  monastère. 

21.  Sous  aucun  prétexte,  les  femmes  ne  pourront  fran- 
chir la  clôture  (cf.  1593,  n°  18). 

22.  Lorsqu'un  religieux  aura  à  s'entretenir  avec  une  per- 
sonne de  l'autre  sexe,  il  le  fera  toujours  en  présence  de 
témoin.  Il  lui  est  interdit  de  fréquenter  des  personnes  sus- 
pectes. S'il  le  fait,  on  l'avertira,  et  s'il  recommence,  on  le 
punira. 

23.  Le  prieur,  assisté  d'un  compagnon,  devra  visiter  les 
demeures  des  moines. 

24.  Les  religieux  dormiront  dans  un  dortoir  commun, 
dont  la  clef,  ainsi  que  celle  de  la  sacristie,  sera  remise  au 
supérieur. 

25.  Tous,  sauf  permission,  prendront  part  à  la  table 
commune,  et  il  est  interdit  d'admettre  sans  permission  des 
séculiers  à  table  (cf.  1595,  n*»  13). 

26.  En  voyage  seulement,  le  moine  pourra  manger  à 
l'auberge. 

27.  Selon  le  texte  de  la  Règle,  on  fera  la  lecture  à  table 
et  Ton  observera  le  silence,  ainsi  que  les  cérémonies  tradi- 
tionnelles pour  les  prières  (cf.  1595,  n<>  12). 

28.  L'usage  de  la  chair  sera  permis  selon  la  constitution 
de  Benoît  XT,  sauf  le  Carême,  TA  vent,  etc. 

29.  On  jeûnera  le  vendredi. 

30.  Les  religieux  ne  porteront  ni  chevelure  ni  barbe  (cf. 
1595,  no  15). 

31.  Ils  ne  pourront  se  livrer  aux  jeux  de  cartes  ou  de 
hasard,  selon  les  décrets  des  moines  de  Sens  et  de  Reims, 
en  1379. 


-  418 


^  32.  Aucun  officier  ni  supérieur  ne  pourra  avoir  de  ser-  | 

viteur  jeune.    Il   leur  est  Interdit    d'user    de  vêtements  < 

luxueux. 

33,  Aucun  religieux  ne  pourra  vivre  seul,  pas  même  les 
prieurs. 

34.  Défense  de  se  livrer  à  la  chasse  à  courre  ou  aux 
oiseaux. 

33.  Chaque  abbaye  suivra  son  rite  dans  la  célébration 
de  l'office  divin. 

36.  Dans  chaque  monastère,  le  supérieur  choisira  deux 
ou  trois  moines  prudents  et  instruits  pour  entendre  les 
confessions.  Deux  ou  trois  fois  par  an,  il  se  mettra  lui-même 
à  la  disposition  de  ses  religieux,  se  contentant  de  les  invi- 
ter, sans  les  forcer,  à  s'adresser  à  lui  (cf.  1595,  n»  4). 

37.  Les  prêtres  doivent  célébrer  trois  fois  la  semaine. 
Abbés  et  moines  sont  tenus  d'entendre  la  sainte  messe 
chaque  jour  (cf.  1595,  n°  5). 

38.  Les  diacres  et  sous-diacres  feront  la  communion  cha- 
que dimanche  (cf.  n^  5). 

39.  L'hebdomadier  ne  commencera  l'office  qu'au  signe 
du  supérieur  (cf.  n^  6). 

4°  On  aura  grand  soin  des  vêtements  et  des  vases  sacrés. 
Les  prieurs  auront  une  vigilance  spéciale  sur  ce  point,  et 
les  visiteurs  devront  les  rappeler  à  l'ordre  s'ils  y  manquent. 

41.  On  gardera  exactement  le  silence  au  dortoir  et  à  l'ora- 
toire, surtout  pendant  Toffice  (cf.  n^  8), 

42.  On  gardera  pour  les  aumônes  les  traditions  établies, 
sans  rien  changer  ou  frauder  sur  la  qualité,  la  quantité, 
etc.  (cf.  1595,  no  2i). 

43  On  choisira  un  moine  capable  pour  proposer  et  résou- 
dre les  cas  de  conscience  trois  fois  par  semaine. 

44.  On  tiendra  également  le  chapitre  des  coulpes  trois 
fois  par  semaine,  et  le  supérieur  y  fera  une  exhortation  en 
langue  vulgaire  (cf.  1595,  n»  7). 

45.  Le  nombre  des  moines  ne  suffisant  plus  pour  la  celé- 


—  419  — 

ration  de  Toffice  divin,  les  supérieurs  devront,  avant  deux 
ans,  y  pourvoir  par  des  fondations,  sinon  le  Visiteur  s'en 
chargera  (cf.  1595,  n^  26). 

46.  La  collation  des  bénéfices  se  fera  suivant  Tâge,  le 
rang,  la  dignité,  le  mérite  (cf.  1595,  n«  27). 

47.  Dans  chaque  monastère  on  installera  une  infirmerie 
(cf.  1595,  n^  30). 

48.  On  mettra  toute  diligence  à  Tassistance  des  mourants 
(cf.  no  31). 

49.  On  emploiera  toutes  les  voies  possibles  pour  récupé- 
rer les  biens  aliénés  (cf.  1595,  u^  36). 

50.  On  exhorte  les  abbés  réguliers  à  voyager  avec  un 
compagnon. 

51.  Dans  la  cellule  de  chaque  moine,  il  y  aura  un  choix 
de  livres  pieux  qu'il  emploiera  pro  opportunitate.  Il  devra 
chaque  jour  méditer  la  Passion  du  Sauveur  et  faire  Texa- 
men  de  sa  conscience. 

52.  Chaque  religieux  aura  un  exemplaire  de  la  Règle  de 
saint  Benoit  et  une  image  du  saint  Patriarche  dans  sa  cel- 
lule. On  aura  soin  que  nos  églises  aient  les  images  des 
saints  de  TOrdre. 

53.  Chaque  jour  on  lira  au  réfectoire  un  chapitre  de  la 
Règle,  afin  que  personne  ne  puisse  s'excuser  d'ignorance. 

54.  Les  abbés  remettront  à  leurs  prieurs  le  soin  des 
affaires  temporelles,  afin  de  pouvoir  s'occuper  des  âmes. 

55.  Ils  devront  pourvoir  aux  réparations,  ou  créer  une 
rente  pour  en  couvrir  les  frais. 

Le  Visiteur  proposait  ces  points,  non  comme  des  lois, 
mais  comme  des  avis,  leur  enlevant  toute  obligation  de 
conscience,  sauf  pour  la  matière  des  vœux,  et  il  ajoutait 
que  ces  constitutions  ne  devaient  nullement  détruire  les 
louables  constitutions  de  chaque  monastère. 

Vers  la  fin  du  mois  d'août  de  cette  année  1606.  Lucalberti 
repritlecheminderitalie,accompagnéjusqu'àBàleparDom 
Pierre  Rozet.  Le  20  du  même  mois,  le  cardinal  de  Lorraine 


-  420  - 

avait  écrit  au  cardinal  Galli,  Préfet  de  la  Congrégation  des 
Evoques  et  Réguliers,  tant  pour  lui  rendre  compte  de  ses 
efiorts  dans  l'introduction  de  la  réforme,  que  pour  louer  le 
Visiteur,  «  dont  il  ne  pourrait  jamais  assez  reconnaître  la 
science,  le  zèle,  la  piété,  l'habileté  et  les  travaux  accomplis 
ea  Lorraine  ».  Le  légat  protestait  enfin  de  nouveau  que,  là 
où  les  circonstances  le  demanderaient,  il  emploierait, 
comme  par  le  passé,  toute  sa  peine,  toute  son  autorité, 
pour  rendre  à  l'Ordre  de  saint  Benoit,  qu'il  aimait,  sa 
pleine  vigueur.  Cette  lettre  était  datée  de  Nancy  (1). 

Peu  de  jours  après,  le  cinq  septembre,  la  Congrégation 
des  Evéques  et  Réguliers,  pressée  sans  doute  par  les  supé- 
rieurs de  Lucalberti,  écrivait  au  cardinal-légat  afin  de  le 
prier  de  laisser  revenir  le  Visiteur.  «  Sa  mission  est  rem- 
plie, disait-elle  ;  il  Ta  remplie  avec  zèle  et,  si  tout  n'est 
pas  complètement  terminé,  ce  qui  reste  à  faire  n'exige 
plus  sa  présence  en  Lorraine,  tandis  que  son  absence 
d'Italie  peut  être  à  lui  et  à  ses  supérieurs  assez  pénible  ». 
Aussi  la  sacrée  Congrégation  avait-elle  demandé  au  Pape 
de  permettre  au  Visiteur  de  revenir  dans  sa  patrie,  et  sa 
Sainteté  l'avait  concédé.  Pourtant,  si  le  cardinal-légat 
jugeait  opportun  que  le  Visiteur  restât  auprès  de  lui  plus 
longtemps,  la  S.  Congrégation  s'en  remettait  à  sa  pru- 
dence (2). 

Evidemment,  Dom  Lucalberti  avait  manifestée  plusieurs 
reprises  le  désir  de  rentrer  dans  sa  Congrégation,  tout  ea 
rendant  compte  à  ses  supérieurs  de  ses  faits  et  gestes.  La 
lettre  que  Dom  Didier  de  la  Cour  lui  avait  écrite  en  janvier 
160«>  y  faisait  allusion  déjà. 

Les  deux  lettres,  celle  du  légat  au  cardinal  Galli,  et  du 
cardinal  au  légat  se  croisèrent  et,  le  13  octobre  (3).  le 
cardinal    Charles    de   Lorraine    écrivit   de  nouveau    au 

(1)  Archives  de  la  S.  Gong,  des  Ev.  et  Réguliers,  1606,  20  aug. 

(2)  Ibid.,  1606,  5  sept. 
(31  Ibid.,  1606,  13oct. 


-  421  — 

cardinal  Préfet  des  Ev.  et  Rég.  pour  lui  accuser  récep- 
tion de  sa  lettre  et  lui  annoncer  le  départ  du  Visiteur 
((  qu'il  a  laissé  partir  de  façon  à  lui  permettre  de  faire  la 
route  à  son  aise  et  de  rendre  compte  de  sa  mission,  chose 
peut-être  déjà  accomplie  ».  (1) 

Lucalberti  emportait  le  meilleur  souvenir  du  réformateur 
et  des  réformés.  Dans  une  lettre  adressée  aux  députés  du 
chapitre  de  Saint-Vannes,  il  leur  conseilla  de  s'en  rappor- 
ter à  Dom  Didier  sur  toutes  les  affaires,  a  Ses  sentiments, 
leur  disait-il,  doivent  être  pour  vous  comme  ceux  de  saint 
Benoît  même.  Car,  si  Dieu  a  choisi  autrefois  notre  saint 
Patriarche  pour  fonder  l'Ordre  monastique,  il  a  de  môme 
choisi,  dans  ces  derniers  temps,  Dom  Didier  de  la  Cour 
pour  le  rétablir  ».  (2) 

Le  Visiteur  laissa  du  reste  aux  Vannistes certains  articles 
propres  à  affermir  leur  Constitution,  notamment  en  ce  qui 
concernait  la  liturgie  et  les  études.  On  ne  trouvera  pas 
déplacée  ici  une  parole  de  regret  sur  la  fin  tragique  de  cet 
ami  des  moines  lorrains.  Armelliui  nous  apprend  qu'en 
1621,  alors  qu'il  se  trouvait  dans  une  campagne  dépendante 
de  l'abbaye  Sainte-Marie  de  Florence,  il  fut  assassiné  la 
nuit  par  des  voleurs,  d'autres  disent  par  son  propre  servi- 
teur (3).  La  nouvelle  de  cette  fin  tragique  ne  dut  certaine- 
ment point  passer  inaperçue  dans  la  Congrégation  lorraine 
à  laquelle  il  avait  fait  tant  de  bien. 

(t)  Les  relations  de  D.  Lucalberti  avec  les  bénédictins  lorrains  ne 
cessèrent  pas  à  son  retour  en  Italie.  Plusieurs  fois  ceux-ci  eurent 
recours  à  lui,  notamment  D.  Lignarius  (y.  plus  haut)  et  D.  Claude 
Riquechier,  qui  lui  soumit  des  questions  relatives  à  l'office  divin,  tel 
qu'on  le  célébrait  à  Saint-Evre,  3  février  1607.  Dès  le  5  décembre  1606, 
D.  Hozet  s'était  enquis  des  nouvelles  de  son  voyage  auprès  du  moine 
florentin,  trop  silencieux  à  son  gré.  Archivio  di  Stato,  Florence  tit 
cit.,  p.  274,  275,  276. 

(2)  Haudiquer,  op.  cit.,  p.  210. 

(3)  Bibt.  Cass.,  loc.  cit.,  vide  supra. 


CHAPITRE  III. 

Quelques  décrets  du  cardinal-légat.  —  Chapitre  général  de  1606  et 
i607.  —  Réforme  de  l'abbaye  des  Bénédictines  de  Salnt-Maur  à  Ver- 
dun. —  Réforme  de  Saint-Avold .  —  L  e  roi  de  France  consent  à  la 
réforme  des  abbayes  de  Toul.  —  Chapitre  général  de  1608  et  de  1G09: 
1'*  édition  des  constitutions  de  la  Congrégation  de  Saint-Vannes  et  de 
Saint-Hydulpbe.  —  Chapitre  général  de  1610. 

La  visite,  outre  les  fruits  immédiats  de  réforme  qu'elle 
produisit  dans  plusieurs  monastères,  et  qu'elle  prépara 
dans  les  autres,  eut  pour  heureux  résultats  d'affermir  et 
de  préciser  les  constitutions  de  la  jeune  Congrégation  de 
Saint-Vannes.  Les  chapitres  généraux  qui  la  suivirent, 
s'inspirant  des  conseils  du  Visiteur  et  des  désirs  du  légat, 
mirent  peu  à  peu  en  ordre  les  points  jusque-là  restés  obs- 
curs, soit  pour  le  gouvernement  général  de  la  Congréga- 
tion, soit  pour  la  formation  des  novices.  De  concert  avec 
le  président  du  régime,  Dom  Claude  François,  le  cardinal- 
légat,  en  publiant  le  décret  qui  unissait  à  la  Congrégation 
de  Saint- Vannes  son  abbaye  de  Saint-Mihiel  (1)  et  le  prieuré 
de  Sainte-Croix  de  Belval  (2),  y  avait  joint  plusieurs  arti- 

-  (1)  Voir,  plus  haut,  la  réforme  de  Saint-Mihiel  au  cours  de  la   visite 
(20  janvier  4606). 

(2)  La  Celle  de  Belval  avait  été  fondée  en  1097  par  un  moine  de 
Moyenmoutier,  désireux  de  mener  la  vie  érémitique  et  auquel  le  comte 
Gérard  donna  une  de  ses  propriétés.  Plus  tard  le  même  comte,  vou- 
lant pourvoir  au  salut  de  son  âme  et  à  celui  de  ses  ancêtres,  fit  bâtir  et 
dota  la  nouvelle  Celle  en  l'honneur  de  la  sainte  Croix,  de  la  Sainte- 
Vierge  et  de  saint  Spinule,  disciple  de  saint  Hydulphe.  En  ilOl  l'abbé 
de  Moyenmoutier,  du  consentement  de  ses  moines,  fit  transporter  ù 
Belval  le  corps  de  saint  Spinule,  qui  y  devint,  par  ses  miracles,  un  cen- 
tre de  dévotion.  Les  comtes  de  Va  udémont  augmentèrent  à  l'cnvi  le 
patrimoine  du  nouveau  prieuré,  dont  l'é-glise  fut  consacrée  en  1134 
par  Henri,  évéque  de  Toul.  En  1^2,  à  la  suite  de  l'incendie  de  Moyen- 
moutier, le  comte  Henri  consentit  à  suppléer  aux  documents  disparus 
dans  le  feu  en  renouvelant  et  confirmant  toutes  les  donations  faites 
par  ses  prédécesseurs  au  prieuré  de  Belval.  Il  y  ajouta  même  de  nou- 
velles donations,  de  sorte  que  le  domaine  de  la  primitive  Celle,  borné 


-  423  - 

des  présentés  par  les  Pères  Visiteurs  et  les  supérieurs 
majeurs  de  la  Congrégation.  L'objet  particulier  de  ces 
décrets  était  le  régime  auquel  serait  soumis  le  renouvelle- 
ment des  supérieurs,  quand  le  nombre  des  monastères  le 
permettrait  (1).  Ces  articles  étaient  : 

lo  Le  chapitre  général  se  tiendra  tous  les  ans,  et  on  ne 
pourra  s'en  dispenser  sous  aucun  prétexte  ni  dans  aucun 
temps  (art.  2). 

2«>  Le  président  et  les  Visiteurs  ne  demeureront  en  charge 
que  pendant  un  an  et  vaqueront  de  leur  office  pendant  deux 
ans  (art.  3). 

3°  Les  supérieurs  des  maisons  ne  pourront  rester  en 
place  que  pendant  cinq  ans  dans  leurs  monastères  ou  dans 
d'autres,  après  quoi  ils  devront  vaquer  deux  ans  (art.  4). 

d'abord  à  Belval,  s'était  augmenté  de  fragments  de  terres  ou  de  reve- 
nus, principalement  à  Châtel,  Rancourty  Portieux,  Moriville^  Este- 
non,  etc.. 

Uni  par  le  décret  de  1606,  à  la  Ck)ngrégalion  de  Saint- Vannes  et  de 
Saint-Hydulphe,le  prieuré  de  Sainte-Croix  de  Belval  ne  reçut  lesbéné- 
dictins  réformés  qu'en  1608.  D.  Pierre  Rozet,  alors  prieur  de  Moyen- 
moutier,  en  prit  procession  au  nom  de  la  Congrégation,  et  quelques 
années  plus  tard,  vers  l'an  1614,  après  la  cession  du  compétiteur,  on  y 
mit  une  communauté.  Deux  ans  apr^s,  le  prieuré  était  annexé  à  l'ab- 
baye Sainte-Croix  de  Nancy.  D.  Bklhommb,  Bist.  Mediani  Monast.  -—  D. 
Calmet,  Notice  de  la  Lorraine.  —  Bibl.  nat.,  Différends  du  prieur  de 
Belval  avec  le  seigneur  de  Portieux,  Lorr.  271,  281,  453,  483. 

(I)  Arch.  .nat.,  g.  533-4.  Histoire  abrégée  de  la  Congrégation  de  Saint- 
Vannes,  faisant  partie  d'un  mémoire  au  sujet  du  régime  de  la  dite 
Congrégation. 

(2)...  Ordinamus  capitulum  nostrum  générale  célébra  ri  debere  per 
patres  et  fratres çongregationis  nostrae...  et  boc  singulis  quidem  annis 
domlnica  tertia  id  est  vigesima  prima  die  post  resurrectionem  Domini 
nostri  Jesu  Cbristi.  Pars  prima  conslitutionum  çongregationis  cassi- 
nensis  pro  directioneregiminis^  Florentiœ,  1520,  cap.  I. 

(3)...  neminem  vero  eorum  qui  quatuor  proxime  prseteritis  annis 
Prœsidens  fuerit  regiminis  in  l^ssidentem  anni  pr<i?sentis  eligi  posse 
declaramus...  Ibid.^  cap  21 

Statuimus  tamen  quod  is  qui  fuerit  visltator  anno  prseterito,  nisi 
elapso  bicnnio,  in  visitatorcm  minime  eligi  possit...  Ibid.,  cap.  24. 

(4)...  Hoc  sane  attendentes,  quod  si  quis  priPlatorum  in  aliquomonas- 
terio  per  quinquennium  steterit  :  illo  iterum   non  instituatur,  nisi  ex 


-  424  - 

  peu  de  chose  près,  ces  articles  reproduisaient  les 
ordonnances  de  la  Congrégation  cassinienne,  mais  ils 
devaient  être  l'objet  de  nombreux  changements  dans  la 
suite. 

Les  études  fixèrent  également  l'attention  de  Dom  Claude 
François,  qui  dressa  l'article  suivant  : 

On  érigera  aux  frais  communs  de  la  Congrégation  un 
monastère  dans  la  ville  de  Pont-à-Mousson  pour  entretenir 
les  jeunes  religieux  propres  à  l'étude,  sous  des  supérieurs 
qui  prendront  soin  de  leur  conduite,  tant  pour  les  mœurs 
que  pour  ce  qui  regarde  les  études.  Ces  jeunes  religieux 
réciteront  ensemble  les  heures  de  l'office  divin,  mais  non 
aussi  lentemaent  que  dans  les  communautés  ordinaires  : 
ils  entendront  une  messe  basse  et  observeront  les  règle- 
ments qui  leur  seront  prescrits. 

C'était  l'époque  où  presque  tous  les  ordres  religieux  de 
Lorraine  formaient  le  projet  d'avoir  une  de  leurs  maisons 
à  proximité  de  la  célèbre  Aima  Mater,  où  jusque-là  leurs 
jeunes  sholastiques  avaient  dû  vivre  isolément.  La  pau- 
vreté de  la  Congrégation  empêcha  l'exécution  de  ce  projet, 
que  nous  verrons  plus  lard  repris  (1621).  Il  se  réalisa 
enfin  par  l'installation,  dans  le  prieuré  du  Breuil,près  de 
Commercy  (1),  d'un  cours  d'études  pour  les  jeunes  moines 
qui  ne  pouvaient  en  trouver  dans  leur  propre  monastère. 

Ces  divers  articles  avaient  été  soumis  au  chapitre  géné- 
ral avant  de  recevoir  la  sanction  du  cardinal  ;  à  ce  moment, 
Dom  Lucalberti,  partant  pour  l'Italie,  écrivit,  dit  Dom 


cvidcnti  causa  utilitalis  illius  monasterii  fuerit  pcr  defifinitorcs..,  otiam 
per  annum  secum  dispcnsalum.  Ibid.^  cap.  22. 

Ce  fut  précisément  celle  clause,  nisi  ex  evidenti  causa  qui  fut  la 
source  et  des  nombreuses  discussions  et  des  divers  changements  ten- 
tés au  sujet  du  régime  dans  la  Congrégation  de  Saint-Vannes  ;  les  uns 
la  voulant  exclure,  les  autres  l'admettre. 

(1)  EuG.  Martin,  L'Université  de  Pont  à-Mousson.  —  Dom  Calmbt, 
Bibl.  lorr.y  art.  Claude  François. 


—  42o  — 

Uaudiquer,  aux  Pères  qui  se  rendaient  à  ce<!hapitre  tenu 
à  Saint- Vannes  le  3  septembre  (1). 

Dom  Pierre  Rozetfutélu  président  du  régime.  Voici  les 
constitutions  qui  y  furent  décrétées  (2). 

1-  Les  cérémonies  de  la  messe  seront  désormais  obser- 
vées par  tous  et  chacun  selon  le  nouveau  missel  corrigé 
par  ordre  du  Pape  Clément  VIII. 

2<>  Les  choristes  revêtus  de  la  chape  seront  assis  au 
milieu  du  chœur.  Lorsqu'on  chantera  V Alléluia,  on  ne  dira 
le  neume  qu'à  la  fm. 

3°  Le  dernier  coup  de  l'office  divin  se  sonnera  l'espace 
d'un  Miserere,  quand  on  sonnera  toutes  les  cloches. 

4<>  Désormais  quand  on  se  couvrira  la  tète  de  la  calotte, 
dans  les  villes,  dans  le  monastère  où  à  la  campagne,  on 
mettra  également  le  capuce. 

50  Les  religieux  qui  auront  reçu  de  leurs  supérieurs  le 
pouvoir  de  confesser  pourront  également  entendre  les 
confessions  des  serviteurs  attachés  au  monastère,  à  moins 
que  les  supérieurs  n'aient  limité  ce  pouvoir. 

6<>  Au  chapitre  on  lira  seulement  le  texte  de  la  Règle, 
mais  au  réfectoire  on  lira  également  la  déclaration  accom- 
pagnant le  texte  qui  aura  été  lu  ce  jour-là  au  chapitre. 

7"  Aucun  religieux  ne  pourra  plus  désormais  sortir  du 
monastère  pour  traiter  les  affaires,  excepté  le  cellérier. 

8'  Dans  l'absence  des  supérieurs,  toute  l'autorité  spiri- 
tuelle et  temporelle  sera  dévolue  au  supérieur  chargé  du 
soin  du  monastère,  ainsi  que  le  marquent  les  Déclarations. 

90  Les  novices,  en  émettant  leurs  vœux,  continueront  à 
faire  sur  les  saints  évangiles  le  serment  d'observer  les 
constitutions  de  la  réforme. 

10<>  Les  humiliations  (3)  se  feront  à  l'église  au  milieu  du 
chœur  la  face  tournée  vers  l'autel. 

(1)  Cf.  supra. 

(2)  AhCH.  NAT.,  LL.  991. 

(3)  S.  Benoit,    dans   sa  Règle,   veut  que  le  moine  s'humilie  aussitôt 


—  426  — 

11^  Il  a  été  décidé  que  chaque  monastère  paiera  60  francs 
barrois  par  religieux,  afin  de  couvrir  les  dépenses  pour 
rhabillement  et  les  voyages  et  d'éviter  toute  cause  de 
litige  ;  nous  déclarons  que  cette  caisse  commune  commen- 
cera au  l®""  octobre  de  cette  année  1606,  à  cette  condition 
cependant  que  tout  ce  qui  sera  donné  de  neuf  ou  de  vieux 
à  chacun  des  Frères  par  les  supérieurs  sera  la  propriété  de 
la  Congrégation  et  non  du  monastère  où  ils  se  trouvent. 
Ces  monastères  devront  verser  leur  quote  part  comme  s'ils 
n'avaient  rien  fourni,  en  tenant  cependant  compte  à  leur 
actif  des  objets  neufs  et  non  usés  qui  se  trouvent  dans  le 
vestiaire,  et  cela  selon  leur  prix  et  valeur. 

12o  Et,  afin  d'enlever  tout  doute  au  sujet  du  vestiaire, 
nous  déclarons  que,  sous  le  nom  de  vêlements,  nous  com- 
prendrons le$  coiffures,  vêtements,  tuniques,  flanelles,  les 
chemises  de  laine  et  de  drap,  les  caleçons  et  les  bas  de 
laine,  les  chaussures,  le  chapeau,  la  coulle,  les  scapulaires 
allant  jusqu'aux  genoux,  les  calottes  et  les  manteaux  dont 
le  collet  aura  moins  de  deux  doigts  de  largeur. 

Avec  l'argent  de  la  caisse  commune,  on  pourvoira  aussi 
aux  deux  nécessités  suivantes  :  c'est-à-dire  aux  dépenses  du 
R.  P.  Président  et  des  Visiteurs,  ainsi  que  des  Pères  et 
Frères  envoyés  quelque  part  sur  l'ordre  du  Chapitre  général 
du  Président  ou  du  régime,  et  des  délégués  au  chapitre  ou  à 
la  Diète. 

13^  La  collation  du  soir  aura  lieu  à  5  heures  en  hiver  ; 
en  été,  à  3  h.  1/2. 

Le  Chapitre  suivant,  de  1607,  s'occupa  de  plusieurs  détails 
liturgiques  que  nous  signalons  au  passage  ;  ils  concernent 
l'usage  des  lampes  au  chœur,  le  chant  des  grâces,  le  ser- 
vice de  la  table,  les  récréations  qui  précèdent  l'A  vent  et  le 
Carême.  Les  portes  du  monastère  ne  s'ouvriront  plus  à 

qu'il  s'est  trompé  dans  quelque  point  de  roffice  divin,  et  s'il  ne  s'humUic 
spontanément,  il  devra  être  soumis  à  une  satisfaction  plus  grande.  Reg. 
cap.  45. 


—  427  — 

personne  après  huit  heures,  sinon  dans  un  cas  urgent  ;  les 
hôtes  eux-mêmes  devront  être  retirés  à  cette  heure-là. 

Dans  le  cours  de  cette  année,  dix-sept  nouvelles  profes- 
sions furent  enregistrées  tant  à  Saint-Vannes  qu'à  Moyen- 
moutier.  Du  nombre  était  celle  de  Dom  Pulcrone  Lavi- 
gnon  (1),  futur  abbé  de  Saint-Avold,  dontle  gouvernement 
fut  si  tourmenté. 

C'est  vers  cette  époque  que  nous  devons  placer  la 
réforme  de  Saint-Maur  de  Verdun,  réforme  à  laquelle  le 
pieux  prieur  de  Saint- Vannes  se  décida  sur  le  désir,  sinon 
sur  Tordre  du  prince  Erric. 

Fondée  en  Tan  1000  par  Tévêque  Haymon,  à  côté  de 
l'église  dédiée  d'abord  à  saint  Médard,  puis  à  saint  Maur, 
deuxième  évoque  de  Verdun,  l'abbaye  reçut,  dit-on,  comme 
premières  religieuses,  des  bénédictines  portugaises,  dont 
l'abbessefut  Adelberge,  surnommée  Ave  ou  Eve  (2). 

La  ferveur  première  s'était  éteinte  au  cours  des  siècles, 
et,  à  la  fin  du  xvi«,  l'abbaye  de  Saint-Maur  était  devenue 
une  collégiale  de  chanoinesses  vivant  selon  leur  volonté, 

(1)  Profèsde  Saint- Vannes  le  17  février  1607,  D.  Pulcrone  Lavignon  ou 
L'Avignon  fut  canontquement  élu  abbé  de  Saint-Avold  le  16  septembre 
1624,  élection  confirmée  par  le  vicaire-général  de  Metz  et  par  le  duc 
Charles  IV.  Mais,  aussitôt  que  la  mort  de  Mgr  de  Maillanc,  auquel 
succédait  D.  Lavignon,  fut  connue  à  Rome,  M.  de  Bourlémont.  qui  s'y 
trouvait,  demanda  et  obtint  du  Pape  la  succession  de  l'évcquc  de  Toul 
à  l'abbaye  de  Saint-Avold.  Son  père  se  présenta  le  3  février  162i)  pour 
prendre  possession  au  nom  de  son  fils.  D.  Lavignon  transigea  avec  son 
concurrent  pour  une  partie  des  revenus  à  condition  que  cette  transaction 
serait  ratifiée  ^i  Rome.  La  ratification  ne  fut  point  obtenue  et  le 
contra  resta  sans  valeur.  Cité  à  Rome,  l'abbé  de  Saint-Avold  partit  sans 
permission  fut  arrêté  à  Phaisbourg,  relégué  à  Senones  et  déclaré  sus- 
pens de  sa  charge  jusqu'au  chapitre  général  suivant.  Son  élection  fut 
contestée  à  Rome  par  M.  de  Bourlémont.  D.  Lavignon,  cité,  ne  comparut 
pas  et  fut  condamné  aux  galères  par  coutumace.  La  sentence  ne  fut  jamais 
entérinée  et  resta  sans  effet.  Son  Innocence  fut  enfin  reconnue  par  les 
Etats  de  Metz,  et  11  fut  remis  en  possession  de  son  abbaye,  où  il  mourut 
paisiblement  le  19  février  1660.  D.  Calmet,  Notice  de  la  Lorraine^  art. 
L'Avignon. 

(2)  D.  Calmet,  Notice,  art.  Verdun.  Brûlé  en  1254,  le  monastère  fut 
recommandé  par  le  pape  Alexandre  IV  à  la  charité  des  trois  évéchés. 


—  428  — 

sans  clôture,  sans  vie  commune  et  administrant  chacune 
leurs  revenus  (1). 

En  1599,  le  prince  Erric  avait,  au  cours  de  sa  visite  cano- 
nique, remarqué  et  essayé  de  corriger  les  plus  apparents 
de  ces  abus  ;  il  se  heurta  à  une  opposition  formelle.  Les 
religieuses  s'adressèrent  à  Borne  pour  se  plaindre  des  ten- 
tatives de  révoque  au  sujet  de  la  clôture,  et  demander 
qu'on  voulût  bien  entendre  leurs  raisons  avant  de  les  y 
astreindre  (2). 

Voyant  Tinutilité  de  ses  efforts,  le  prince  Erric  pensa 
que  la  persuation  pourraitobtenir  ceque  ne  pouvait  l'au- 
torité. Quelques  années  se  passèrent,  après  lesquelles  ii 
put  faire  accepter  à  Tabbesse,  Catherine  de  Choiseul  (3),  de 
recevoir  les  conseils  du  prieur  de  Saint- Vannes.  Celui-ci 
était  loin  de  désirer  pareille  tâche,  soit  à  cause  de  sa  répu- 
gnance à  se  retrouver  dans  le  monde,  soit  à  cause  de  son 
humilité,  qui  le  portait  à  se  regarder  comme  incapable  de 
succès  dans  une  affaire  aussi  délicate.  Sur  le  désir  formel 
de  révéque,  il  se  rendit  à  Saint-Maur  dans  le  courant  de 
Tannée  1606,  et,  pendant  plus  d'un  an  et  demi,  il  persévéra^ 
donnant  deux  fois  par  semaine  des  conférences  aux  reli- 
gieuses sur  la  Règle  de  saint  Benoit. 

Enfin  Dieu  bénit  ses  efforts  et  son  obéissance.  L'abbesse, 
touchée  de  ses  exhortitions,  admit  l'étroite  observance  sem- 
blable à  celle  de  Saint- Vannes  ;  elle  en  reçut  l'habit  de^^ 
mains  de  Dom  de  la  Cour,  le  21  mars  1608f  ainsi  que  sa 
nièce  et  coadjutrice,  Ursule  de  Saint-Astier,  et  plusieurs 
autres  (4^ 

(1)  C'est  l'abbcssc  de  Marguerite  de  Bar,  130i,  qui  partagea,  à  la  Gn  du 
XIII*  ou  au  commencement  du  xiv*  siècle,  les  prc^bendcs  entre  les  reli- 
gieuses et  leur  permit  do  vivre  à  part.  Ibid. 

(2)  Arch.  Ev.  et  RÉo.  ad  annum  1600,  lettre  V. 

(3)  Catherine  de  Choiseul,  42'  Abbesse  de  Saiot-Maur,  mourut  le  5 
juillet  1611. 

(i)  Sur  la  n^formc  de  l'abbayo  de  Saint-Maur,  qui  servit  de  modèle  à 
bon  nombre  d'autres  maisons  de  Bénédiclines,  v.  D.  Uhételois,  C/tro/iî^i/^ 
d'Yepez,  t.  v.  page  554  et  suiv. 


-  429    - 

La  réforme  si  bien  commencée  fut  bientôt  mise  en  péril  ; 
en  l'acceptant,  les  religieuses  avaient  stipulé  que  Tévéque 
promettrait  de  les  laisser  sous  la  direction  des  Pères  de 
Saint-Vannes,  donnant,  comme  principal  argument,  qu'à 
l'origine  de  leur  abbaye  c'était  un  abbé  de  Saint- Vannes, 
le  bienheureux  Richard,  qui  les  avait  gouvernées.  L'évo- 
que n'entendait  nullement  se  priver  ainsi  du  droit  de 
visite,  et  il  obtint  un  Bref  de  Rome  lui  donnant  pleine  et 
entière  juridiction  sur  les  dames  de  SaintMaur.  Celles  ci, 
faisant  appel  à  des  personnages  inQuents,  empêchèrent 
rintimalion  du  Bref,  et  le  prieur-évéque  dut  rentrer  en  son 
palais  sans  avoir  pu  le  leur  signifier. 

A  rinsu  de  Dom  Didier  de  la  Cour,  qui  redoutait 
cette  direction,  Tabbesse  s'adressa  à  Rome  et  en  reçut 
non  seulement  une  permission,  mais  un  ordre  pour  les 
Vannistes  de  continuer  à  gouverner  les  religieuses  de  Saint- 
Maur :  une  seule  réserve  leur  permettait  de  faire,  après  un 
an  d'essai,  les  remontrances  qu'ils  jugeraient  bon  de 
faire  (2). 

Le  prieur  de  Saint-Vannes,  ayant  eu  connaissance  du 
décret  émané  du  Saint-Siège,  en  fut  consterné,  car  il  crai- 
gnait de  passer  aux  yeux  de  l'évêque  pour  avoir  intrigué 
dans  ce  sens  ;  par  prudence  et  délicatesse,  il  consentit  à  ne 
rien  changer  pour  le  moment.  Dans  l'intervalle,  il  se  pour- 
vut auprès  du  Saint-Siège,  qui  retira  son  ordre,  laissant 
toute  liberté  aux  moines  de  Saint-Vannes  d'accepter  ou  de 
refuser  la  direction  des  dames  de  Saint-Maur.  Nouvelles 
alarmes  et  protestations  de  celles-ci,  qui  déclarèrent  hau- 
tement qu'elles  allaient  abandonner  une  réforme  acceptée 
sous  la  condition  formelle  d'être  dirigées  par  les  moines. 

Enfin,  après  bien  des  discussions,  on  conclut  que  les 
religieux  de  la  Congrégation  de  Saint- Vannes  garderaient 
ladite  direction,   sous  l'autorité  et  consentement  néan- 

(2)-  Cf.  D.  Haudiqubu,  op.    cit.,  p.  213  elsulv 


—  430  — 

moins  des  évoques  de  Verdun.  Cet  arrangement  calma  les 
esprits  et  Tabbaye  de  Saint-Maur  continua  ses  progrès 
dans  la  voie  de  la  réforme  ;  ce  qui  fut  pour  Dom  Didier  de 
la  Cour  une  grande  consolation, 

C'est  vers  la  fin  de  Tannée  1607  que  la  réforme  pénétra 
à  Saint- Avold,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  (1).  Dans  le  même 
temps,  les  négociations  se  poursuivaient  pour  son  intro- 
duction à  Saint-Mansuy  et  à  Saint-Evre,  et  la  question 
semblait  alors  toute  entière  entre  les  mains  des  officiers 
du  roi^  qui  s'opposaient  à  l'entrée  d'étrangers  dans  les 
abbayes  dépendantes  de  l'autorité  royale.  Les  moines 
n'étaient  que  trop  de  leur  avis. 

Au  mois  d'août  1609,  le  roi  donna  à  ses  officiers  de  Toul 
un  règlement  à  ce  sujet  :  ((  Sa  majesté,  y  était-il  dit, 
approuve  l'introduction  des  religieux  réformés  aux  abbayes 
où  il  y  en  a  d'autres.  Mais  ce  changement  ne  se  devant 
faire  sans  son  su  et  sa  permission,  elle  en  doit  être  avertie 
auparavant.  De  sorte  que  ses  officiers  font  leur  devoir 
quand  ils  s'opposent,  jusqu'à  ce  qu'ils  ayentreçu  ses  com- 
mandements sur  cela.  Et  est  mesmeà  propos  qu'en  telles 
occasions  ils  voyent  la  bulle  en  vertu  de  laquelle  se  fait 
une  telle  réformation,  pour  tenir  sa  Majesté  avertie  s'il  y 
a  rien  contre  sok  autorité  ». 

C'était,  avec  des  réserves,  l'approbation  de  la  réforme 
vanniste. 

L'abbaye  de  Saint-Mansuy  se  rendit  et  reçut  los  moines 
réformés.  Saint  Evre  lutta  encore  deux  ans  et  ne  s'aggré- 
gea  à  la  Congrégation  qu'en  16H. 

Les  supérieurs  majeurs  de  la  Congrégation,  voyant  que 
celle  ci  s'affermissait  et  s'étendait  chaque  jour  davantage, 
crurent  qu'il  était  bon  de  fixer,  d'une  manière  définitive,  sa 
constitution  et  son  régime. 

En  1608  (2),  le  Chapitre  détermina  quelques  nouveaux 

(1)  V.  plus  haut  :  Visite  de  D.  Lucalberti  à  Saint-Avold  en  1606. 

(2)  Arch.  nat.,LL.  991. 


—  431  - 

points  du  cérémonial  et  de  la  Règle  ;  en  particulier  il  sla 
tua  que  les  jeunes  moines  feraient  la  communion,  aux 
jours  de  fête,  à  la  messe  solennelle,  les  autres  jours,  aux 
messes  privées  (art.  4)  ;  qu'on  nommerait  dans  chaque 
monastère  quelqu'un  chargé  de  veiller  à  Tobservation 
uniforme  des  rubriques  (art.  5)  ;  que  Toffice  divin  serait 
réglé  de  telle  façon  que  le  dîner  fût  à  10  heures  aux  jours 
exempts  de  jeûne,  à  H  heures  aux  jours  de  jeûne  régulier, 
à  midi,  aux  jours  de  jeûne  ecclésiastique  (art.  6)  ;  que  la 
récréation  serait  de  trois  quarts  d'heure,  à  la  suite  du 
dîner,  et  qu'elle  même  serait  suivie  de  la  sieste  en  été 
(art.  7).  On  dispensera  de  la  discipline  le  vendredi,  aux 
fêtes  de  précepte  (art.  8),  et  du  jeûne  régulier  à  certains 
jours  prévus  par  les  Déclarations  (art.  9). 

Les  Visiteurs  précéderont  le  supérieur  en  temps  de  visite, 
le  suivront  en  autre  temps  (art.  12).  Leurs  vœux  seront 
exécutés  s'ils  revêtent  la  forme  d'ordonnances  (art.  13).  Ils 
auront  soin  de  s'informer  si  les  Supérieurs  excèdent  en 
conversation  aux  heures  indues  (art.  14). 

Les  supérieurs,  aussi  bien  que  les  moines,  s'abstiendront 
d'acheter  quoi  que  ce  soit  qui  touche  aux  objets  quoti- 
diens (art.  14)  ;  les  religieux  garderont  l'uniformité  dans  le 
vêtement  (art.  15),  pour  lequel  chaque  maison  paiera  sa 
part  au  vestiaire  commun,  selon  le  nombre  des  moines 
qu'elle  doit  avoir,  qu'ils  y  soient  de  fait  ou  non  (art.  16). 
Si  même  leur  nombre  n'est  pas  complet  par  la  faute  du 
supérieur,  c'est  à-dire  si  celui-ci  refuse  de  demander  ou 
d'accepter  des  moines*  il  paiera  cinquante  francs  en  plus 
de  sa  part  (art  17). 

Les  Frères  commis  auront  un  maître  spécial  (art.  18),  et 
interviendront  autant  que  possible  à  la  lecture  de  table 
et  à  toutes  les  conférences  (art.  20). 

En  1609  (1),  il  n'y  eut  pas  de  constitutions  nouvelles, 

(<)  Ibid. 


-  432  - 

probablement  parce  que  celte  année-là  on  s'occupa  en 
général  de  la  révision  des  constitutions,  qu'on  fit  impri- 
mer l'année  suivante  1610,  à  Verdun,  chez  Valpy.  C'était 
la  première  édition,  destinée  à  remplacer  les  Constitutions 
de  la  Congrégation  cassinienne  jusque  là  suivies  en  Lor- 
raine. Cette  première  édition,  renouvelée  depuis,  apportait 
peu  de  changement  au  régime  adopté  dès  l'origine,  tant 
pour  le  gouvernement  général  de  la  Congrégation,  que 
pour  celui  des  monastères. 

Le  point  central  du  Régime,  dont  la  1^'  section  de  la 
Ir*  Partie  s'occupe,  était  le  Chapitre  général.  Il  se  tenait 
tous  les  ans  et  comprenait,  comme  membres  obligés  d'y 
intervenir,  le  Président,  les  Visiteurs  et  les  abbés  ou  supé- 
rieurs de  chaque  monastère,  avec  un  moine  de  chaque  mai* 
son  élu  par  le  couvent.  Chaque  Supérieur  devait  produire 
au  Chapitre  les  noms  de  ses  religieux,  ceux  des  défunts 
depuis  le  dernier  Chapitre,  les  comptes  des  recettes  et  des 
dépenses.  Le  Chapitre  général  constitué  recevait  la  démis- 
sion du  Président  et  des  Visiteurs,  nommait  des  Définiteurs, 
un  Président  du  Chapitre,  des  Conservateurs,  un  Secré 
taire,  un  Chancelier,  un  Vicaire  du  Chapitre,  des  Audi- 
teurs des  causes  et  un  Dépositaire  (1).  Le  Chapitre  procé- 
dait ensuite  à  l'examen  de  l'état  des  monastères,  à  celui 
des  finances  de  la  Congrégation  et  à  la  nomination  des 
supérieurs,  c'est-à-dire  du  Président  du  Régime,  des  Visi- 
teurs, du  Procureur  en  Cour  et  des  supérieurs  des  monas- 
tères. L'autorité  et  les  pouvoirs  de  chacun  étaient  déter- 
minés dans  une  2""  section  des  constitutions,  qui  reprodui- 

(1)  Une  des  forces  de  cette  organisation  était  le  contrôle  sérieux  des 
différentes  charges,  qui  ne  pouvaient  ainsi  souffrir  longtemps  de  l'arbi- 
traire auquel  la  faiblesse  humaine  les  exposait.  Les  abus  de  pouvoir 
étaient  plus  faciles  à  réprimer  ;  mais  d'autre  part  ce  contrôle  semblait 
favoriser  les  plaintes  des  subordonnés  contre  leurs  supérieurs  ;  les 
Chapitres  généraux  suivants  y  portèrent  remède  en  n'admettant  que 
les  rapports  écrits  opportunément,  convenablement  et  religieusement 
dressés.  (Cf.,  plus  bas,  Chap.  général  de  1614,  art.  19.) 


-  433  - 

saient  à  peu  près  les  mêmes  prescriptions  que  celles  du 
MoDt-Cassin.  Une  deuxième  partie  traitait  des  observances 
et  pratiques  à  garder  dans  le  monastère,  des  personnes  qui 
le  constituent  et  enfin  des  affaires  temporelles. 

Sauf  quelques  points  d'observance  modifiés  au  cours  de 
la  Congrégation,  les  constitutions  restèrent  intactes  dans 
toute  sa  durée.  La  dernière  édition  de  1774,  mise  en  paral- 
lèle avec  les  constitutions  cassiuiennes  qui  servirent  de 
base  à  l'édition  de  1610,  en  diffère  très  peu.  Nous  avons 
déjà  signalé  les  deux  seuls  articles  d'une  certaine  impor- 
tance qui  varièrent  ;  la  tenue  des  Chapitres  généraux, 
annuelle  à  l'origine,  triennale  depuis  environ  l'année 
1740(1),  et  la  vacance  des  Supérieurs,  dont  la  question  se 
posa  en  1625,  presqu'aussitôt  après  la  mort  de  Dom  Didier 
de  la  Cour  (2). 

Au  Chapitre  général  de  1610  (3),  on  trancha  quelques 
difficultés  sur  divers  points  de  liturgie(art.  12,11);— le  règle- 
ment des  Frères  convers  fut  précisé:  désormais  les  commis 
auront  une  demi-heure  environ  après  une  heure  de  l'après- 
midi.  Pendant  ce  temps,  ils  pourront  lire  ou  prier.  A  sept 
heures  et  demie,  ils  se  coucheront,  et  se  lèveront  à  quatre 
heures,  excepté  celui  qui  éveille  les  religieux  pour  mati- 
nes. Ils  pourront  cependant  se  lever  plus  tôt  s'ils  veulent  ; 
mais,  aussitôt  levés,  ils  diront  leur  office,  entendront  la 
messe  et  se  mettront  à  leur  obédience  (art.  4).  Puis  on  statua 
quelques  autres  articles.  Au  cas  où  tout  le  Régime  (Prési- 
dent et  Visiteurs)  résiderait  dans  le  môme  monastère,  la 
visite  de  celui-ci  se  fera  par  deux  Visiteurs  spéciaux  nom- 
més par  le  Président  (art. 5);  celui-ci  aura  soin  de  faire  payer 
la  pension  du  procureur  en  cour  de  Rome  (art.  6).  —  Per- 


(1)  Arch.  Dép.  de  la  Meurthb,    Série  H,  217  :  Mémoire  imprimé  sur 
lo  mode  d'élection  des  Supérieurs. 

(2)  Arch.  nat.,    G»,  533-4  :   Histoire   abrégée  de  la  Congrégation  de 
Saint-Vannes. 

(3)  Arch.  nat.,  LL.  931  :  Constitutlones  Capitulorum,  etc. 


-  434  — 

sonne  n e  pou rra ,  sans  perm  ission  et  sans  corn  pagnon ,  ou  vrir 
pendant  la  nuit  la  porte  du  monastère  (art.  7).  —  On  gardera 
exactement  la  règle  pour  les  redditions  de  compte  (art.  9), 
ainsi  que  pour  les  ordinations,  à  moins  d'exception  faite 
par  le  Chapitre  ou  le  Régime  (art.  12).  —  Désormais  le 
moine  député  au  chapitre  général  par  le  Couvent,  sera 
élu  par  scrutin  écrit  secret. 


CHAPITRE  IV 


La  réforme  vanniste  est  demandée  de  divers  points  de  la  France  : 
PariSf  Toulouse,  Besançon.  —  Le  roi  de  France  donne  son  consente- 
ment, 1610.  —  Réforme  de  Beaulieu-en-Argonne  et  de  Saint- Airy  de 
Verdun,  1611.  —  Réforme  du  Collège  de  Cluny  à  Paris,  1613.  —  Cha- 
pitres généraux  de  1611  et  1612.  —  Réforme  de  Faverney,  en  Fran- 
che-Comté. 


Lors  de  la  Visite  apostolique  de  Dom  Lucalberti,  six  des 
abbayes  lorraines  s'étaient  soustraites  à  l'autorité  du  délé- 
gué du  Saint-Siège  en  se  retranchant  derrière  leur  dépen- 
dance du  roi  de  France.  Parmi  elles,  l'abbaye  de  Beaulieû- 
enArgonne  et  l'abbaye  de  Saint-Airy  de  Verdun  ne  devaient 
pas  longtemps  soutenir  la  résistance. 

Le  Pape  Clément  VIII,  dans  sa  bulle  d'érection  de  la 
Congrégation  lorraine,  avait  étendu  la  communication  des 
privilèges  de  la  Congrégation  cassinienne  à  tous  les  mo- 
nastères d'au-delà  des  monts  qui  voudraient  s'agréger  à 
Saint-Vannes  et  Saint-Hydulphe  (1)  ;  de  ce  côté,  il  n'y 
avait  aucune  difficulté;  mais  la  surveillance  jalouse  des 
officiers  du  roi  de  France  ne  permettait  pas  l'empiétement 
des  moines  lorrains  sur  les  provinces  dont  ils  avaient  la 
garde.  Ce  qui  s'était  passé  à  Toul  avait  servi  d'avertisse- 
ment aux  supérieurs  majeurs  de  la  Congrégation  ;  ils 
avaient  d'autre  part  conscience  que  développer  trop  rapi- 
dement leur  cadre  d'action,  c'était  affaiblir  leurs  forces 
encore  jeunes,  et  ils  tenaient  à  ne  laisser  essaimer  les  mo- 
nastères qu'à  bon  escient. 

Pourtant,  de  bien  des  points  de  la  France,  les  demandes 
se  faisaient  pressantes.  Du  centre  et  du  midi,  les  lettres 
les  plus  élogieuses  arrivaient  à  Saint- Vannes,  suppliant  le 
pieux  réformateur  de  se   laisser  toucher   et  de   ne  pas 

(1)  Cf.  1"  Partie,  ch.  VI,  Bulle  d'éreclion. 


~  436  - 

réservera  la  seule  Lorraine  le  bienfait  d'une  régénéralioa 
monastique  si  heureusement  accomplie,  a  Monsieur  de 
Verdun,  premier  Président  du  Parlement  de  Toulouse,  dit 
Dom  Kaudiquer  (1),  écrivit  jusqu'à  douze  fois  dans  la 
même  année  au  Père  Didier  de  la  Cour  et  aux  autres 
Supérieurs  ». 

Aux  moines  français  dont  nous  avons  déjà  signalé  Tar- 
rivée  à  Saint-Vannes,  d'autres  étaient  venus  se  joindre  : 
de  Saint  Faron  de  Meaux,  Dom  Isaac  Noyau,  Dom  Nicolas 
Dagron,  Dom  Benoit  Tristan  ;  de  Luxeuil,  Dom  Atkanase 
de  Mouzin  ;  de  Saint-Pierre  de  la  Règle  à  Limoges,  Dom 
Anselme  Rolle,  alors  élève  au  Collège  de  Cluny  à  Paris  ; 
de  Lézat,  Dom  Colomban  Corleus,  etc.. .  (2). 

Dom  Laurent  Bénard  (3),  prieur  du  Collège  de  Cluny  à 
Paris,  enthousiasmé  par  ce  qu'il  entendait  dire  de  la  vie 
des  moines  vannistes,  demandait  la  réforme  pour  son  Col- 
lège, avec  espoir  de  la  propager  dans  l'ordre  de  Cluny, 
bien  déchu  à  cette  époque.  De  Besançon,  l'abbé  Dom  Guil- 
laume Simonin,  dissimulant  sa  dignité,  était  venu  à  Saint- 
Hydulphe  de  Moyenmoutier  vers  le  mois  de  juillet  (4),  pen- 
dant l'absence  du  prieur,  Dom  Pierre  Rozet,  convoqué  au 
Chapitre  général.  11  avait  humblement  demandé  de  pren- 
dre place  parmi  les  simples  religieux,  y  était  resté  quelques 
jours  sans  être  reconnu.  Puis,  quand  son  étude  fut  faite,  il 
révéla  qui  il  était,  oflicia  pontiQcalement,  fit  une  exhor- 
tation pathétique  aux  religieux,  déclarant  vouloir  intro- 
duire la   réforme  dans  son  monastère,  et  partit  laissant 

(i)  D.  Haudiquer,  op.  cit.,  p.  232. 

Cf.  D.  Rhételois,  op.  cit.,  t.  IV,  par.  2. 

(2)  Cf.  Dom  Hacoiquer  :  op.  cit.  —  D.  Mège  :  Congragationi  SanctU 
Maurl  Annales,  t.  I,  (Bibl.  nal.,  Lett.  13859),  pag.  109  cl  sq.  —  Dom  Rhé- 
telois, Chroniques  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît,  tome  IV,  chap.  XII, 

§1,2. 

(3)  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  ce  moine,  si  ardent  défenseur  de 
la  réforme  monastique. 

(i)Cf.  D.  Calmet,  Bibl.  lorr.,  art.  D.  GuilL  Simonin. 
io)  D.  Ciilmet  dit  :  iîn  octobre  1610,  erreur  évidente. 


-  437  -^ 

entre  les  mains  du  sous-piieur  une  supplique  écrite  dans 
ce  sens  et  datée  du  16  août  1610. 

De  tous  côtés  les  demandes  affluaient,  et  ceux  qui  les 
adressaient  se  mettaient  en  mesure,  dans  le  même  temps, 
de  solliciter  les  autorisations  nécessaires.  Le  roi  de  France, 
rois  au  courant  du  triste  état  où  la  vie  monastique  se  trou- 
vait dans  toute  retendue  de  son  royaume,  malgré  différents 
essais  de  réforme  (1)  tentés  sur  plusieurs  points  et  à  diffé- 
rentes époques,  prêta  une  oreille  bienveillante  aux  sollici- 
tations qui  lui  étaient  faites.  Le  18  septembre  de  cette 
année  1610,  il  donna  des  lettres-patentes  permettant  aux 
religieux  de  Saint- Vannes  d'envoyer  des  moines  en  France 
pour  y  rétablir  la  discipline  (2). 

C'était  le  moment  attendu  par  le  prince  Ërric,  alors  abbé 

(1)  Le  principal  avail  été  la  formation  de  la  Congrégation  deChezal- 
Benolt.  L'abbaye  de  ce  nom,  située  au  diocèse  de  Bourges,  fondée  en 
1093  par  André,  religieux  de  Vallombreuse,  était  devenue  le  centre 
d'une  sorte  de  confédération  érigée  par  bulles  du  Pape  Léon  X  en  1516. 
Elle  avait  sous  sa  dépendance  les  monastères  de  Saint-Sulpice  de 
Bourges,  de  Saint- Allyre  de  Clermont,  Saint-Martin  de  Séez,  Saint- 
Vincent  du  Mans  et  cinq  autres  monastères  de  religieuses.  Elle  dura 
jusqu'en  1633,  époque  ù  laquelle  elle  s'unit  à  la  Congrégation  de  Saint- 
Maur.  —  D.  Haudiqubr,  op.  cit.,  note  14,  p.  2o5.  —  V.  également,  dans 
Revue  bénédictine  l'histoire  de  cette  Congrégation  par  D.  Ursmer 
Berlière,  0.  S.  B.,  a.  1900-1901. 

Citons  aussi,  paraPôlement  à  cette  tentative,  celle  des  Exempts  de 
Flandre. 

(2)  Voici  la  tttneur  de  ce  document  :  «  Supplicantium  suggestionlbus 
inclina ti  et  eorum  propagandie  reformationis  propositum  omni  que 
potest  regia  majestas  auxilio  atque  favore  communire  cupientes 
utpote  ecclesiaslicu3  nostrseque  rei  saluberrimum  necnon  divine  cul- 
tui  amplificando  quam  maxime  commodum,  pra$sertim  veroquum. 
monasterii  Sanrli  Viioni  monachisint  regnoet  ditioninostris  oriundi, 
de  honoratissimae  et  augustae  matris  rcgentis  consilio,  facultatem 
illistota  qua  valemus  authorltate  regia,  damus  ut  quelles  a  monas- 
teriornm  benedictini  institut!  abbatibus  prioribusque  ad  resarciendas 
disciplinsB  monasticœ  jacturas  acciti  fuerint,  monachos  illuc  mitant, 
quotquot  judicaverint  necessarios  qui  disciplinam  ibidem  restituant 
simllem  ci  quie  in  monasterio  obscrvatur,  collapsosque  mores  ad 
pristinum  rigorem  pro  viribus  revocent  atque  restaurent  ».  D.Mège, 
op.  cit. 

Ces  lettres  furent  renouvelées  et  conGrmées  au  mois  de  juillet  1611. 
Arch.  NAT.,  Go,  533  4. 


—  438  — 

commendataire  de  Beaulieu,  pour  tenter  de  relever  la  vie 
monastique  dans  cette  antique  abbaye.  Depuis  sa  fonda- 
tion au  VII*  siècle  par  saint  Rouin  (1),  moine  écossais  venu 
à  Tholey  en  628,  l'abbaye  de  Vasloge  avait  subi  bien  des 
vicissitudes.  Tout  d'abord  très  prospère  et  très  observante, 
elle  avait  dù^  dès  le  commencement  du  xi«  siècle,  être 
ramenée  à  une  vie  plus  fervente  par  le  Bienheureux 
Richard,  abbé  de  Saint-Vannes.  Avec  la  ferveur,  la  pros- 
périté avait  reparu  dans  l'abbaye  de  Vasloge,  transformée 
en  Beatdieu  par  l'abbé  Poppo  (2),  à  cause  du  site  agréable 
qu'elle  occupait. 

A  la  fin  du  xiii®  siècle  et  au  commencement  du  xiv^ 
les  moines  de  Beaulieu  sont  aux  prises  avec  les  comtes  de 
Bar,  qui  revendiquent  la  protection  de  l'abbaye,  sur 
laquelle  le  roi  de  France  prétend  des  droits  (3).  Vers  1297, 
l'abbaye  est  saccagée  et  pillée  par  le  comte  Henri  III,  ainsi 
que  les  villages  qui  en  dépendent  (4).   Philippe  le  Bel  con- 

(l)(Âgreberti  Episcopi  Virdunensis)  tcmporeSanctusCrodingus  Waslo- 
gium  monasterium  construxit  et  subditione  Ecclcsiae  noslrse  constituit. 
Bertarius,  De  gestis  Ep,  Yird.  iMigne,  Pat,  laL^  132,  p.  5U}.  Vasloge 
était  un  lieu  solitaire  dans  la  forôt  d'Argonne,  à  6  lieues  de  Verdun. 
Chassé  de  sa  retraite  par  Austrasius,  seigneur  du  lieu,  saint  Rouin 
alla  à  Rome  en  pèlerinage.  A  son  retour  il  guérit  Austrasius  tombé 
dangereusement  malade  et  reçut  de  lui  en  reconnaissance  le  territoire 
qu'il  avait  tout  d'abord  choisi.  Il  s'y  retira  avec  quelques  moines  ame- 
nés d'Argonne  et  vécut  avec  eux  selon  la  règle  de  ce  célèbre  monas- 
tère. Saint  Rouin  mourut  en  680. 

Son  culte  était  déjà  célèbre  au  x'  siècle,  époque  à  laquelle  on  portait 
au  Mont-Joui  la  châsse  contenant  ses  reliques,  en  même  temps  que  de 
Verdun  on  y  apportait  celles  de  saint  Airy  et  de  saint  Vannes.  D.  Cal- 
MET,  Notice  de  la  Lorraine,  art.  Beaulieu. 

(2)  Poppo,  10*  abbé  de  Beaulieu,  gouverna  également  les  abbayes  de 
Saint- Waast  d'Arras  et  de  Stavelot,  où  il  mourut  en  1048.  Il  semble 
qu'il  ait  été  plutôt  prévôt  qu'abbé,  laissant  ainsi  l'honneur  de  Tabba- 
tiat  au  Bienheureux  Richard  [Gallia  christiana), 

(3)  Sur  l'histoire  cîo  l'abbaye  de  Beaulieu,  voir  la  savante  étude  de 
M.  Auguste  Lemaire  :  Recherches  historiques  sur  l'abbaye  et  le  comté 
de  Beaulieu  en  ArgonnCy  et  la  Notice  de  la  Lorraine  de  Dom  Calmet. 

(4)  Ces  villages  étalent  :  Aubercy,  Beaulieu^  Brabant,  Brizcaux^ 
Char montois-V abbé,  Le  Chemin,  Eclaires,  Evres,  Fleury,  Foucuu- 
court,  Grigny,  Gumont,  lavoge,  Pretz,  Riau<:ourl,  Senart,  Sommains, 


—  439  — 

damne  Henri  III,  en  1301  (1),  à  compenser  ia  ruine  du  mo- 
nastère par  une  forte  indemnité  ;  pour  mieux  se  sauve- 
garder, Tabbé  Gui  de  Pernes,  premier  du  nom,  obtient,  le 
14  juin  1301,  une  bulle  du  Pape  Boniface  VIII,  unissant 
Beaulieu  à  l'Ordre  de  Cluny,  tout  en  lui  laissant  son  auto- 
nomie. L'abbaye  dépeuplée  se  relève  à  peine  de  ses  mal- 
heurs, quand,  en  1401,  elle  est  de  nouveau  prise  d'assaut 
et  ravagée.  Un  siècle  plus  tard,  elle  est  mise  encommende 
et  c'est  ainsi  que  l'évèque  de  Verdun  en  prend  possession 
en  1590,  mais  en  quel  état  de  dégradation  !  Plusieurs 
années  se  passent  dans  cette  triste  situation.  Enfin, 
encouragé  par  ses  succès  à  Saint-Vannes  et  à  Moyenmou- 
tiers,  le  nouvel  évèque-abbé  vient  à  Beaulieu,  muni  d'un 
bref  pontifical,  fait  la  visite  canonique  du  monastère  et 
laisse  à  côté  de  l'ancien  prieur,  Dom  Jean  Lebœuf,  celui 
qui,  en  d'autres  circonstances  déjà,  s'est  distingué  par  sa 
prudence  et  son  zélé  ;  Dom  Claude  Riquecbier  de  Toul. 
Celui-ci  interroge  chacun  des  anciens  religieux  au  sujet  de 
la  réforme  que  l'abbé  se  propose  d'introduire  ;  chacun 
d'eux  s'excuse  sur  son  âge  et  ses  habitudes.  Pourtant,  ils 
ne  s'opposent  nullement  à  l'introduction  des  réformes  ; 
Dom  Riquecbier  en  informe  aussitôt  le  prince  Erric,  qui 
obtient  de  Dom  Didier  de  la  Cour  une  nouvelle  phalange 
de  religieux  (2). 

Arrivés  à  Beaulieu  dans  le  courant  de  cette  année  1610, 
les  réformés  prirent  aussitôt  possession  des  lieux  réguliers 
par  les  cérémonies  d'usage,  c'est-à-dire  la  tradition  des 
vases  sacrés  pour  l'église,  et  des  clés  pour  le  monastère,  et 
par  l'installation  au  chapitre. 

Triaucourt,  Vouliers.  Lrmaire,  éclaire.  23,  Cf.  Bibl.  nat.,  coll.  Moreau 
789,  XVI'  siècle  :  L'abbaye  de  Beaulieu  est  du  Royaume,  elle  consiste 
«en  dix-sept  beaux  et  bons  villages  sur  lesquels  l'abbé  est  comte  et 
seigneur,  haut,  moyen  et  bas  jusUcier,  et  peut  valoir  le  revenu  pour 
l'abbé  8000  livres  de  rente  ». 

(!)  D.  Galmet,  op.  cit. 

(2)  Lemaire,  op.  cit. 


-  440  - 

Une  pension  fut  assurée  aux  religieux  anciens,  qu'oA 
laissa  sous  la  conduite  de  leur  prieur,  Dom  Lebœuf .  Le 
Frère  Pierre  Florentin,  qui  n*était  encore  que  novice,  lut 
envoyé  à  Saint- Vannes  pour  y  faire  ses  études  ;  quant  aux 
religieux  réformés,  on  leur  assura  le  libre  et  exclusif  usage 
des  lieux  réguliers,  en  assignant  aux  anciens  une  partie  du 
monastère  en  dehors  de  la  clôture  (1). 

La  situation  matérielle  des  Vannistes  à  Beaulieu  n'était 
pas  brillante.  Charles  de  Lorraine  qui  succéda,  le  29  mars 
1611,  au  prieur  Erric  comme  abbé  commendataire,  s'em- 
pressa de  leur  concéder  une  redevance  estimée  à  deux 
cents  livres  tournois.  C'était  une  bien  faible  ressource,  et 
Ton  dut,  peu  de  temps  après,  renvoyer  à  Verdun  quelques- 
uns  des  nouveaux  venus.  Cette  mesure  af&igea  grandement 
Dom  Didier  de  la  Cour.  De  Paris,  où  il  se  trouvait  alors,  il 
écrivit  à  Dom  Nicolas  de  la  Vallée,  religieux  de  Beaulieu, 
une  lettre  de  regrets,  dans  laquelle  il  exprimait  sa  crainte 
que  ce  retranchement  fait  au  service  de  Dieu  n'entrainât, 
en  retour,  un  retranchement  de  ses  bienfaits  et  de  sa  grâce. 
Outre  la  ressource  d'une  économie  mieux  entendue,  que 
n'a  t-on,  ajoute-t-il,  recours  au  prince Erric,dont  la  piété 
ne  cesse  d'enrichir  le  couvent  (des  capucins)  de  Saint- 
Nicolas  et  d'autres  monastères  ?  Enfin  pourquoi  ne  pas 
s'adresser  au  titulaire  actuel,  w  (2  décembre  1612)  (2). 

La  profession  à  Saint-Vannes  de  Dom  Biaise  Waltier, 
ancien  prieur  de  Saint-Airy,  n'avait  pas  été  sans  causer 
une  vive  impression  et  sur  l'abbé  et  sur  les  moines  de  celte 
dernière  abbaye.  Sa  situation  indépendante  de  Tévèquede 
Verdun  enlevait  à  celui-ci  la  possibilité  de  forcer  la  main 
aux  opposants  de  la  réforme:  il  y  avait,  dans  leurs  excuses, 
une  véritable  conviction  que  les  traditions  dont  ils  vivaient 

(1)  Voici  les  noms  des  anciens  religieux  de  Beaulieu  à  celte 
époque  :  Jean  Lebœuf,  prieur  et  infirmier.  ~  Mangin  Dubaut.  — 
Antoine  le  Hérat.  —  Antoine  Millet,  chambrier.  —  Nicolas  de  la  Vallée, 
aumônier.  —  Pierre  Florentin,  novice.  —  Lemairb,  op.  cit,  (éclalicic, 
27).  —  :2)  Ibid. 


—  441  - 

valaient  les  «  nouveautés  »  qu'on  voulait  leur  imposer,  et 
qu'ils  n'étaient  pas  aussi  déchus  qu'on  se  plaisait  a  le 
dire.  Telle  fut,  du  moins,  la  réponse  de  l'abbé  Saryon  au 
visiteur  Lucalberti,  lorsque  celui-ci,  invité  à  dîner  à  Saint* 
Airy,  répondit,  un  peu  sévèrement  peut-être,  qu'il  ne  pou- 
vait, d'après  la  Règle,  diner  ailleurs  que  dans  les  maisons 
de  l'Ordre,  ce  qui  voulait  dire  de  la  réforme,  quand  il  s'en 
trouvait  à  proximité.  Le  Visiteur  séjournait  alors  à  Saint- 
Vannes  au  mois  de  mai  1606,  et  le  diner  projeté  devait 
être  l'occasion  d'une  conférence  sur  la  réforme  de  Saint- 
Airy. 

Piqué  au  vif,  Tabbé  Saryon  refusa  toute  autre  entrevue 
et,  dans  sa  réponse,  à  laquelle  nous  avons  fait  allusion  plus 
haut,  il  pria  le  Visiteur  de  mettre  par  écrit  ses  desiderata^ 
afm  qu'ils  pussent  être  étudiés  et  par  l'abbé  et  par  le 
chapitre.  Les  négociations  en  restèrent  là  avecDom  Lucal- 
berti  (1). 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  des  essais  de  réforme 
avaient  échoué  devant  les  vieilles  habitudes  des  moines  de 
Saint-Airy.  Cette  abbaye  avait  eu,  elle  aussi,  cependant, 
ses,  heures  de  ferveur  depuis  sa  fondation  par  Rambert, 
évéque  de  Verdun,  qui  éleva,  près  de  la  chapelle  de  Saint- 
André  convertie  en  église  par  saint  Airy,  le  monastère 
dédié  aux  saints  Martin  et  Airy.  Huit  moines  étaient  venus 
de  Saint-Maximin  de  Trêves  pour  l'occuper,  ayant  à  leur 
tète  Baudry,  le  Premier  des  abbés  du  nouveau  monastère 
(1037)  (2). 

Dans  le  cours  de  son  histoire,  Saint-Airy  ne  fui  point  à 
l'abri  de  toute  misère  spirituelle  et  temporelle.  Moins  d'un 
siècle  après  sa  fondation,  le  monastère  était  la  proie  des 
flammes  (1120).  Rebâti  vingt  ans  après  par  l'abbé  Richard, 

(1)  Archivio  di  Stato.  Firenze,  lit.  de  Réf.  p.  268-269.  Lettre  de 
Lucalberli  à  Didier  Saryon,  datée  de  Sainl-Vanaes,  le  2  mai  i606,  et 
réponse  de  Dom  Saryon,  du  5  mai  suivant. 

(2)  Gallia  chrisUana^  Verdun,  Sancii-Agerici. 


—  442  — 

il  devenait  le  théâtre  d'une  lutte  enire  les  moines  et 
Tabbé  Radulphe,  obligé  de  céder  à  l'opposition  et  de  ren- 
trer à  Saint-Vannes,  où  Tun  de  ses  parents,  Segardus,  tenait 
la  crosse  abbatiale.  Le  célèbre  abbé  de  Clairvaux,  saint 
Bernard,  proposa  son  candidat,  Gilles,  aux  moines  de  Saint- 
Airy,  qui  Tacceptèrent  (1140),  Une  période  de  calme  suivit 
jusqu'au  milieu  du  xif  siècle,  où  Dudo,  moine  de  Saint- 
Vannes,  devenu  abbé  de  Saint-Airy,  laissa  tomber  la  disci- 
pline (1).  Quinze  ans  plus  tard,  Jean  lit  la  séparation  des 
menses  abbatiale  et  conventuelle,  et  les  abbés  se  succédèrent 
dans  la  commende,  s'occupant  plus  de  leurs  revenus  que 
des  intérêts  spirituels  des  religieux. 

En  1577,  l'évoque  de  Verdun,  Nicolas  Bousmard,  se  trans- 
porta à  Saint-Airy  pour  y  faire  la  visite  canonique  (2)  ;  le 
12  mai,  il  édicta  quelques  règlements  touchant  l'office 
divin  et  les  autres  exercices  religieux,  mais  sans  grand 
succès  apparemment  ;  car,  en  1598,  le  prince  Erric,  fai- 
sant à  son  tour  la  visite  des  monastères  de  sa  ville  épisco- 
pale,  dut  en  promulguer  de  nouveaux  sur  les  points  essen- 
tiels de  la  pauvreté  :  il  ne  trouvait  pas  l'abbé  et  les  reli- 
gieux disposés  à  accepter  une  parfaite  observance  de  la 
régie  (3).  » 

Didier  Saryon,  neveu  de  son  prédécesseur,  dont  il  avait 
été  fait  coadjuteur  et  dont  il  chercha  à  reproduire  la  bonne 
administration,  avait  fait  ses  études  à   Saint  Maximin  de 


(1)  Gallia  christiana,  loc.  cit. 

(2)  D.  Calmet,  Bibl.  lorr.,  art.  Bousmard. 

(3)  Aimo  1598...  ((  Illustrissimus  visitationcin  in  civilute  iachoatam 
eontinuando  visitavit  monasterium  S.  Agerici  0.  S.  B.  quod  mœnibus 
dictac  civitatis  continetur,  in  qua  visitatione  cum  abtiatem  et  reli- 
giosos  ad  perfectaai  Regulae  obscrvationcin  a  longisaimo  tempore 
contraria  consuetudlne  sublalam  disposilos  minime  repcrerit  cssen- 
tialia  duntaxat  regulae  hae  prima  visitatione  restituit  proprietatemque 
«  omnem  et  particularem  sui  vcstitus  administralionem  reiigiosls 
«  interdixit.  » 

Archives  de  la  S.  Gong,  des  Ev.  et  Rég.  1G02,  v.  :  Séries  rerum  ges- 
tarum  ab  Illuslrissimo  Dno  Enrlco,  etc. 


^ -  443  — 

Trêves  ;  il  fut  élu  abbé  à  la  mort  de  son  oncle,  arrivée  le 
2  mars  1598. 

Grand  ami  des  lettres,  il  enrichit  la  bibliothèque  de 
Tabbaye  des  ouvrages  des  Pères  et  des  théologiens  de 
marque,  ne  négligeant  point  pour  cela  les  autres  devoirs 
de  sa  charge.  La  sacristie  reçut  de  nouveaux  et  précieux 
ornements  ;  la  châsse  de  saint  Airy  fut  recouverte  de  lames 
d'argent  ;  le  chœur,  entièrement  restauré. 

Avec  des  idées  aussi  larges,  touchant  les  deux  points 
essentiels  de  la  vie  monastique,  l'office  divin  et  Tétude^ 
Tabbé  de  Saint- Airy  ne  pouvait  manquer  d'apprécier  le  bien- 
fait d'une  institution  appelée  à  favoriser  ces  mêmes  vues  ; 
aussi  ne  tardat-il  pas  à  accepter  la  réforme,  qui  pénétra 
dans  son  abbaye  au  courant  de  l'année  1611.  Quelques  mois 
après,  le  6  novembre  de  cette  année,  Didier  Saryon  mou- 
rait, laissant  une  mémoire  heureuse  dans  les  annales  de 
Saint-Airy. 

La  demande  de  Dom  Guillaume  Simonin,  faite  au  prieur 
de  Moyenmoutier,  ne  resta  pas  sans  effet.  De  retour  dans 
son  monastère,  il  adressa  aux  princes  Albert  et  Claire- 
Eugénie  une  supplique  demandant  de  pouvoir  introduire 
la  réforme  à  Saint-Vincent  de  Besançon  (1).  Leurs  Altesses 
y  consentirent  par  lettres  du  2  octobre  1610,  et  le  Pape  lui 
fit  expédier  un  bref  dans  le  même  sens,  à  la  date  du  30  dé- 
cembre suivant.  Dom  Simonin  (2)  s'adressa  aussitôt  aux 
supérieurs    de    la  Congrégation  de  Saint- Vannes  et,  le 

(1)  La  tradition  veut  que  cette  abbaye  ait  été  bâtie  par  Benoit 
d'Anianc  sur  le  tombeau  des  saints  Fcrréol  et  Ferjeus,  puis  ruinée 
ensuite  et  transportée  ailleurs.  Les  Bénédictins  y  entrèrent  sur  la  fin 
du  XI'  siècle.  L'abbé  de  Saint- Vincent  était  nommé  par  l'évèi|ue  de 
Besançon;  mais,  en  retour,  il  pren-iit  part  à  l'élection  de  celui-ci- 
Déchu  de  sa  ferveur,  l'abbaye  dut  subir  une  visite  canonique  ordonnée 
par  Paul  V  en  1610;  et,  à  la  suite  de  cette  visite,  la  réforme  fut  décidée. 
Gallia  chrisliana^  Bisunt.  (supplément  Hauréau,  t.  xv.) 

(2)  Profès,  chantre,  sacristain  et  enfin  abbé  de  Saint-Vincent, 
D.  Simonin  avait  fait  vœu,  quand  il  fut  présenté  avec  deux  autres  pour 
l'élection,  que,  s'il  devenait  abbé,  il  établirait  la  réforme  dans  son 
monastère.  D.  Calmet,  Bibl.  lorr.,  art.  Simonin. 


—  444  - 

29  mars  1611,  qui,  cette  année  là,  était  le  mardi  de  la 
Semaine  Sainte,  Dom  Pierre  Rozet,  prieur  de  Moyenroou- 
lier  et  dom  Jean  Barthélémy,  sous-prieur  de  Senones,  arri- 
vèrent à  Besançon  avec  quelques  autres  moines.  L'abbé, 
gagné  par  Dom  Simonin  à  l'idée  de  la  réforme,  les  accueil- 
lit favorablement  ;  mais  les  anciens  religieux  ne  voulurent 
point  entendre  parler  des  nouveaux  venus.  Le  Jeudi  Saint 
au  soir,  un  mal  étrange  saisit  Tabbé,  les  anciens  et  quel- 
ques réformés  ;  le  lendemain,  le  plus  opposé  à  la  réforme 
vint  faire  sa  soumission  et  Tabbé  en  profita  pour  mettre 
les  moines  vannistes  en  possession  de  Tabbaye.  Lesanciens 
se  turent  ;  mais,  le  4  avril  suivant,  ils  renouvelèrent  leur 
protestation  contre  l'introduction  de  la  réforme  L'arche- 
vêque tint  bon  et  ât  défense  à  tous  les  religieux  sans  dis- 
tinction de  franchir  les  murs  du  monastère  sans  la  permis- 
sion du  prieur  Dom  Rozet  ;  puis  il  dressa  des  statuts  pour 
les  récalcitrants. 

Le  29  juillet  suivant,  il  assigna  des  revenus  pour  Tentre- 
tien  des  réformés.  Toutes  ces  mesures  devaient  être  rati- 
fiées deux  ans  après  par  des  lettres  patentes  de  Leurs 
Altesses,  en  date  du  9  mars  1613.  Quelques  années  plus 
tard,  Tabbé  sembla  se  repentir  de  ce  qu'il  avait  fait  en 
faveur  delà  réforme  et  créa  des  difficultés  aux  Vannistes 
au  sujet  de  la  juridiction  qu'il  prétendait  vouloir  conserver, 
mais  se  désista  de  ses  plaintes  en  1619  et,  le  12  février  1623, 
il  mit  définitivement  le  sceau  à  la  réforme  de  son  abbaye, 
en  signant  avec  les  Vannistes  une  transaction  sur  le  tem- 
porel (1). 

De  Paris,  Dom  Laurent  Bénard  continuait  ses  relations 
avec  ses  élèves  entrés  au  noviciat  de  Saint-Vannes;  son 
grand  désir  de  réformer  l'ordre  de  Cluny  semblait  revivre 
en  lui  plus  fort  que  jamais,  au  récit  de  ce  qui  s'accomplis- 

(1)  D.  Simonin  mourut  dans  son  château  de  Ville-Palei  (diocèse  de 
Besançon),  le  26  août  1630  et  fut  enterré  dans  son  abbaye  de  Saint- 
Vincent.  C'était  un  prélat  zélé,  prudent  et  très  habile  en  affaires. 


i 


-  445  - 

sait  en  Lorraine.  Mais  son  expérience  du  passé  n'avail-elle 
p^s  suffisamment  d'obstacles  à  lui  représenter  pour  le 
décourager  dans  ses  projets  ?  Et,  si  ses  confrères  n'avaient 
pu  supporter  quelques  règlements  voués  par  eux,  comment 
accepteraient  ils  une  règle  étrangère  ?  Le  prieur  de  Cluny 
voulut  se  rendre  compte  par  lui-môme  et  se  rendit  à  l'ab- 
baye de  Saint-Mihiel.  Là  il  ne  tarda  pas  à  constater  la  vérité 
des  récits  qu'on  lui  avait  faits  ;  son  admiration  grandit 
pour  ces  moines  qu'il  voyait  réaliser  une  vie  si  rapprochée 
de  l'observance  prescrite  dans  la  Règle  de  saint  Benoît  ; 
mais  aussi,  hélas  !  sa  crainte  de  ne  pouvoir  jamais  le  faire 
adopter  s'accrut.  Partagé  entre  ces  deux  sentiments,  il 
rentra  au  collège  de  Cluny  et  y  médita  un  plan  de  réforme 
mitigée,  que  bientôt  il  abandonna  pour  poursuivre  l'intro- 
duction de  la  réforme  pure  et  simple. 

Il  en  écrivit  aussitôt  à  Dom  Anselme  RoUe  (1),  qui  com- 
muniqua sa  lettre  aux  Pères  de  la  Congrégation  réunis  en 
Chapitre  ;  ceux-ci  hésitèrent  tout  d'abord  sous  l'influence 
des  mêmes  craintes  que  nous  avons  signalées  plus  haut, 
puis  se  décidèrent  à  envoyer  à  Paris,  pour  traiter  cette 
affaire,  D.  Pierre  du  Loyr(2)et  D.  Anselme  Rolle  lui-môme 

(i)  D.  Anselme  Rolle,  qui  avait  depuis  peu  renouvelé  sa  profession  à 
Saint-Vannes,  fut  un  des  principaux  ap(Mros  de  la  réforme  et  prit 
part  ù  toutes  les  conférences  qui  donnèrent  lieu  à  l'érection  de  la  Con- 
grégation de  Saint-Maur.  Prieur  de  Corbic  en  1621,  il  mourut  en  1627  à 
Sainte-Croix  de  Bordeaux.  11  est  le  premier  qui  ait  donné  quelque 
ouvrage  nu  public  dans  la  congrégation  gallicane  parisienne,  en  faisant 
paraître  dos  œuvres  faussement  attribués  à  saint  Benoît  et  annotées 
par  lui. 

D  CiLMKT,  Bibl.  lon.^  art.  Rolle. 

(2)  D.  Pierre  du  Loyr  était  Tun  des  doux  moines  que  D.  Claude 
François  avait  ramonés  do  Rome  *a  Saint- Vannes  ;.  il  appartenait  à 
l'abbaye  de  Cormeil  et  avait  suivi  D.  Jacques  Pichard  chez  les  Feuil- 
lants, puis  à  Rome,  puis  enfin  en  Lorraine,  où  il  avait  fait  profession 
de  la  réforme  dans  l'abbaye  de  Moycnmoutier,  le  21  mars  160i.  Après 
plusieurs  années  passées  on  France,  il  revint  en  Lorraine  et  mourut  à 
Saint- Arnould  de  Metz  on  1657. 

D.  Haudiql'er,  op.  ft(.,  p.  173  et  suivantes,  ot  la  Malricula  Religio- 
sorum. 


—  446  — 

qui  venait  de  renouveler  sa  profession  à  Saint- Vannes,  le 
23  mai,  ils  prirent  l'hospitalité  à  Saint  Denys-laCharlre 
pour  ne  pas  éveiller  les  soupçons  et  conférer  en  toute 
liberté  avec  Dom  Bénard.  Dom  Didier  de  la  Cour,  que  le 
Chapitre  avait,  malgré  lui,  élu  président  de  la  Congréga- 
tion, crut  devoir  les  rejoindre  dans  la  capitale,  laissant 
entre  les  mains  de  Dom  Claude  François,  prieur  de  Saint- 
Mihiel,  et  des  Visiteurs,  le  gouvernement  de  la  Congré- 
gation. 

La  réforme  du  Collège  de  Cluny  présentait  de  sérieux 
obstacles,  parmi  lesquels  Tabsence  de  consentement  écrit 
de  l'abbé,  l'incertitude  des  moyens  de  vivre,  la  crainte  que 
les  réformés  en  fussent  tôt  ou  tard  chassés  par  le  roi, 
méritaient  d'être  surmontés  avant  de  penser  à  une  tenta- 
tive pratique. 

D.  Laurent  réfuta  les  objections  dans  deux  lettres  aux 
supérieurs  majeurs  de  Saint  Vannes,  assurant  que  l'abbé 
était  favorable  à  la  réforme  du  collège,  que  celui-ci  avait 
des  possessions  fermes,  et  enfin  que  la  présence  de  moines 
loirains  n'y  pouvait  porter  ombrage  à  personne,  le  collège 
comptant  50  cellules,  dont  27  pour  les  religieux  clunisiens, 
et  le  reste  pour  les  étrangers^  allemands,  italiens,  etc. 

Malgré  ces  déclarations,  les  supérieurs  réunis  en  diète 
extraordinaire,  tout  en  louant  le  zèle  de  Dom  Bénard,  ré- 
clamaient des  garanties  plus  fortes  :  une  déclaration  écrite 
et  formelle  du  consentement  de  l'abbé  de  Cluny,  ratifiée 
par  le  Saint-Siège  et  sanctionnée  par  le  Conseil  du  roi,  la 
promesse  que  les  réformés  dépendraient  seulement  des 
supérieurs  nommés  par  la  congrégation  de  Saint- Vannes. 

Dom  Bénard  obtint  de  son  abbé,  le  17  décembre  1612,  un 
consentement  notarié  et  promit  pour  plus  tard  l'asseati- 
ment  du  Pape  et  du  roi.  Il  supplia  les  supérieurs  lorrains 
de  ne  point  tarder  à  lui  envoyer  des  moines  qui  seraient 
chargés  des  cours  et  inculqueraient,  par  leurs  principes 
et  leurs  exemples,  l'amour  de  la  réforme  à  leurs  élèves.  Il 


—  447  — 

lut  eafiQ  exaucé  et,  dès  les  premiers  mois  de  1613,  un 
groupe  de  réformés  arriva  à  Paris,  conduit  par  Dom  Jean- 
Placide  Gollard  (1). 

Dom  Bénard  les  accueillit  avec  toutes  sortes  de  marques 
de  bienveillance,  leur  assigna  à  chacun  une  classe,  où  ils 
lurent  installés  par  le  Président,  Dom  Didier  de  la  Cour, 
et  les  pria  de  dresser  eux-mêmes  leur  règlement,  qu'il  rati- 
fia pleinement.  Pour  mieux  garder  intacte  leur  dépen- 
dance vis  à- vis  de  leurs  supérieurs  lorrains,  il  fit  devant 
notaire  une  déclaration  formelle,  par  laquelle  il  se  désis- 
tait de  toute  juridiction  sur  eux  et  les  dégageait  de  l'obliga- 
tion d'obéissance  monastique.  L'acte  est  du  8  mai  1613  (1). 

(1)  Dom  Jean-Placide  CoHard  avait  fait  profession  à  Saint-Vànnes  le 
7  janvier  1604  ;  il  remplit  dans  In  Congrc^gation  de  Saint- Vannes  les 
premiers  emplois  avec  distinction.  Six  fois  il  fut  nommé  Visiteur  et 
autant  de  fois  Président.  La  mission  dont  on  le  chargea,  de  conduire 
les  réformés  A  Cluny,  montre  la  confiance  qu'on  avait  en  lui.  C'est  lui 
également  qui  devait,  en  ir)38,  confirmer,  en  qualité  de  Visiteur  de  la 
province  de  Gliampagne,  l'acte  par  lequel  les  religieux  réformés  éta- 
blis à  Cluny  s'y  stabilisèrent.  L'acte  est  du  1"  septembre.  Les  moines 
ainsi  transfères  étaient  :  D.  Firmin  Rainssant,  D.  Charles  des  Crochets, 
D.  Simplicicn  Gody,  D.  Placide  Roussel,  D.  Colomban  Boban,  D.  Ignace 
Philibert,  D.  Albert  Marchand,  D.  Anselme  Guschemant,  D.  Timothée 
Bourgeois,  D.  Sylvestre  Perreciol. 

Cf.  D.  Edmo.nd  Martkne,  Hist.  ms.  de  la  Cong.  de  Saint-Maur,  §  ^, 
page  492. 

(i)  Frater  Laurentius  Bcnard,  facullatis  Parisiensis  doctor  theologus 
prioratus  collegii  reguiaris  Cluniacensis  in  Academia  lutetiana  fundati 
humiiis  prior,  omnibus  et  singulis  has  présentes  inspecturis  salutem 
in  Domino. 

Notum  facimus  quod  cum  die  octava  mensis  maij  anni  1613  venera- 
biles  et  dilecti  in  Christo  fratres  Domni  Joannes  Placidus,  Franciscus 
Paulus,  Joannes  Chrysostoraus,  AtlianasiusMongin,Uieronymus  Coque- 
lin  et  frater  Alexius  Gobort,  omnes  reiigiosi  professi,  0.  S.  Ben.  Cong. 
S.  Vitoni  Virdunensis,  in  pnesentia  Pelri  le  Couturier  put>lici  authori- 
taie  Aposlolica  et  euria^  episcopalis  parisisiensis  notarii  jurait,  et  Fran- 
cisci  de  Lanson,  Claudii  Fouqucreau  et  Christophori  Bardeau,  testium 
vocalorum  a  nobls  admissi  fucrint  in  reiigiosos  mansionarios  reforma- 
tes dicli  noslri  prioratus  et  Collegii  Cluniacensis  pro  copia  et  potestate 
nobis  data  per  litteras  patentes  ab  illmo  principe  et  revmo  DD.  Ludo- 
vico  a  Lotharingia  duce  et  arehiepiscopo  Remensi,  pari  Franciae  primo, 
legato  nato  et  Cluniacensi  abbate,  die  17  decembris  novissimi  super  ins- 
tilutione  reiigiosorum   reformatorum  in  dicto  prioratu   seu  Collegio 


-  448  - 

Sous  la  direction  des  nouveaux  maîtres,  le  collège  de 
Cluny  s*accrut  rapidement  en  régularité  et  en  nombre.  T>e 
prieur  lui-même  donnait  l'exemple  de  la  fidélité  aux  règle- 
ments tracés  par  les  Vannistes,  et  ne  s'en  exemptait  en 
aucun  point.  C'est  du  collège  de  Cluny  que  devait,  quelques 
années  plus  tard,  partir  le  mouvement  de  réforme  du  grand 
Ordre  clunisien,  réforme  favorisée  par  le  cardinal  de 
Richelieu  et  qui  finit  par  l'union  de  Cluny  à  la  Congréga- 
tion de  Saint-Maur  (1636).  L'extension  que  prenait  la  Con- 
grégation de  Saint-Vannes,  loin  d'a&aiblir  sa  vitalité,  lui 
procurait  chaque  année  un  nombre  plus  grand  de  reli- 
gieux. Sept  professions  avaient  marqué  l'année  16H  ;  1612 
en  compte  vingt-cinq,  dont  nous  avons  déjà  cité  quelques- 
unes.  Ajoutons  les  noms  de  Dom  Laurent  Majoret,  cité  par 
Dom  Calmet  dans  sa  Bibliothèque  lorraine  comme  auteur 
d'un  éloge  funèbre  de  Catherine  de  Lorraine  ;  celui  de  Dom 
Mathias  Pothier,  envoyé  plus  tard  en  Belgique  pour  la 
réforme  de  l'abbaye  de  Saint-Hubert;  enfin  ceux  de  Dom 
Charles  Cuny  et  Dom  André  Roger,  qui  devaient,  à  peu  de 
temps  de  là,  porter  la  réforme  à  Saint-Remy  de  Reims. 

Les  Chapitres  généraux  continuaient  à  veiller  sur  i'ob 
servance  exacte  de  la  Règle  et  à  déterminer  chaque  point 
douteux.  Celui  de  1611  prescrit  le  jeûne  quadragésimal 
pour  les  vigiles  des  fêtes  de  la  Pentecôte,  de  l'Assomption 
de  la  Sainte  Vierge  et  de  la  Toussaint  (1)  ;  il  rappelle  la 

Cluniaceosi  conformiter  ad  actum  consensus  dati  per  yen.  fr.  D.  Girar- 
dum  prioratus  S.  Stephani  Nivernensis  priorem  ac  procuratorem  ge- 
neralem  Ord.  Clunlac,  coram  praefato  Petro  le  Couturier  notario  pu- 
blico  die  23  mensis  fobruarii  novissime  elapsi  initum;  nuUam  nobis 
prœfati  admissi  fratres  jurarint  obedieiitiam  ecclesiasticam,  regularem 
atque  monasticam  quam  solis  lenentur  cxhibere  rev.  patribus  pne- 
fat£  Congnls  S.  Vitoni  Virdun.  et  non  nobis  qui  nullam  in  eos  in  vir- 
tute  nostrsB  dignitatls  prioralis  jurisdictionem  habere  prsetendimus, 
uedeos  ab  otnni  noslra  potestate  immunes  et  integros  profitemur  atque 
declaramus  per  prsescntes  manu  noslra  scriplas  et  propria  syngrapha 
consignatas  atque  adeo  nostri  prioratus  atque  Collcgii  majore  sigillo 
munitas,  octava  die  maij,  a.  D.  1613.  —  S.  :  fr.  Laurenlius  Benard.  — 
D.  Mèoe,  op.  cit.,  a.  1612. 


—  449  — 

défense  aux  officiers  du  monastère  de  garder  en  secret  de 
l'argent  auprès  d'eux  ;  toutes  les  valeurs  doivent  être  dé- 
posées dans  un  coffre  fermé  à  trois  clés,  dont  Tune  sera 
chez  le  supérieur,  les  deux  autres  chez  deux  sénieurs  (3);  il 
confirme  la  décision  du  chapitre  de  1606  sur  le  vestiaire  (4); 
il  décide  que  les  dépenses,  en  temps  de  maladie  conta- 
gieuse, seront  au  compte  du  monastère  où  se  trouve  cette 
maladie,  sauf  celles  du  médecin,  du  chirurgien,  du  phar- 
macien, ou  les  dépenses  excédant  les  ressources  de  cette 
maison,  auxquels  cas  les  supérieurs  majeurs  devront'pour- 
voir  selon  les  prescriptions  de  la  charité  (5)  ;  il  règle  l'heure 
des  récréations  (2)  ;  enfin,  il  ordonne  qu'un  registre  soit 
formé  et  tenu  des  actes  des  Chapitres  généraux  (6). 

En  1612,  plusieurs  points  du  cérémonial  sont  expliqués: 
on  proportionnera  l'observation  des  règles  du  missel  ro- 
main, pour  la  messe  solennelle,  au  nombre  des  moines; 
l'encensement  aux  --vêpres  et  aux  matines  des  grandes 
fêtes  dépend  rade  la  facilité  qu'on  aura  à  le  faire  (n^^  1,2).  Le 
chapitre  rappelle  expressément  aux  supérieurs  qu'ils  doi- 
vent avoir  la  main  à  l'observation  de  la  Règle,  des  Déclara- 
tions et  des  Constitutions,  soit  des  Chapitres  généraux  soit 
des  Visiteurs  (n^S).  Les  lettres  du  Chapitre  seront  munies 
des  sceaux  de  la  Congrégation  (n''4).  En  l'absence  du  supé- 
rieur, l'autorité  du  monastère  reviendra  au  premier  doyen 
ousénieur  (n^  5).  Défense  désormais  d'assister  aux  déclama- 
tions, dispu  tations  et  au  très  exercices  scolaires  pu  blics  (n^  6). 
La  profession  des  commis  se  fera  en  Chapitre,  sans  cérémo- 
nies^ en  présence  de  tout  le  couvent  et  à  l'heure  du  chapi- 
tre, ainsi  que  le  porte  le  livre  des  Déclarations.  Leur  habit 
sera  un  peu  plus  court  que  celui  des  clercs,  et  leurs  scapu- 
laires  un  peu  plus  étroits  ;  ils  auront  deux  bandelettes  atta- 
chéesaux  épaules  etdescendantjusqu'aux  genoux  (n"7).  Dans 
le  tridutim  qui  précède  Pâques,  la  discipline  se  prendra  le 
matin  avant  la  méditation  (n^  8]. 

Peu  de  temps  après  le  Chapitre  de  1612,  la  réforme  s'ou- 


vrit  une  voie  vers  la  Franche  Comté,  qui  devait  plus  lard 
devenir  Tune  de  ses  trois  provinces.  Assez  près  de  la  limite 
sud  de  la  Lorraine  se  trouvait  Tabbaye  de  Faverney,  au  dio- 
cèse de  Besançon.  Fondée  pour  des  religieuses  d'abord, 
puis  confiée  à  des  moines  par  Tarchevéque  de  Besancon 
Anseric  en  1132,  Tabbaye  de  Faverney  avait  passé  aux 
mains  des  commendataires  de  par  Tautorité  de  Grégoire 
XIII,  en  1582,  et  avait  subi  toutes  les  conséquences  de  ce 
changement.  Un  miracle  arrivé  en  1608  fut  l'occasion  pro- 
videntielle de  son  relèvement  spirituel.  Au  milieu  d'un 
incendie  qui  dévasta  Téglise,  la  Sainte  Hostie  qui  servait 
de  Réserve,  demeura  suspendue  intacte  au  milieu  des  flam- 
mes. Un  pèlerinage  sortit  de  ce  prodige  et,  en  1613,  Dom 
Doresmiens,  abbé  de  Faverney,  en  prit  occasion  pour  y  in- 
troduire la  réforme.  Un  ancien  religieux  de  ce  monastère, 
Dom  Claude  Hidulphe,  fut  envoyé  à  Moyenmoutier  pour  y 
renouveler  son  noviciat.  Après  y  avoij  émis  sa  profession 
selon  l'observance  lorraine,  le  JO  juillet  1614,  il  revint  à 
Faverney  pour  y  enseigner  la  philosophie  et  la  théologie. 
A  peu  de  temps  de  là,  il  devait  être  nommé  prieur,  puis 
coadjuteur  de  l'abbé  en  1622  et  chargé  du  noviciat,  inauguré 
dans  son  monastère  en  1624.  GrAce  à  la  charité  qui  le  carac- 
térisait et  à  sa  conduite  exemplaire,  il  fut  d'un  grand 
secours  pour  l'établissement  de  la  réforme  et  des  bonnes 
études,  qui  firent  de  Faverney,  dans  la  suite,  une  des  princi- 
pales abbayes  de  la  Congrégation  (1). 

(1)  D.  Calmkt,  Bibl.  lorr.,  art.  Hydulphe  {D.  Claude).  D.  Hydulphe  ne  se 
contenta  pas  de  promouvoir  les  éludes  parmi  ses  confrères  plus  jeunes. 
U  fonda  dans  son  abbaye  un  véritable  séminaire  pour  l'éducation  des 
jeunes  nobles.  En  16H0,  D.  Hydulphe  se  fît  bénir  abbé,  sans  changer 
rien  pour  cela  à  sa  vie  édifiante.  11  fut  nommé  visiteur  des  monastères 
do  ciuny  en  Franche  Comté  et  s'occupa  do  la  réforme  d'un  certain 
nombre  d'autres  maisons  religieuses,  en  particulier  de  l'abbaye  de 
Luxeuil.  Il  mourut  k  Saint-Mibiel  au  retour  d'un  Chapitre  général  tenu 
à  Saint- Vannes  en  1662,  le  jour  de  l'Ascension.  En  1673,  ses  restes 
furent  transportés  a  Faverney. 


CHAPITRE  V 

lotroductioD  de  la  réforme  à  Saint- Augustin  de  Limoges.  —  A  Saint- 
Nicolas  de  Port  (1613).  —  Chapitres  généraux  de  1613  et  1614  ;  nou- 
velle formule  de  serment  pour  les  profès.  —  Quelques  nouvelles  vo- 
cations françaises.  —  Réforme  de  Saint-Julien  de  Noalllé  et  de  Saint' 
Faron  de  Meaux,  1615.  —  En  Lorraine,  plusieurs  abbayes  désirent  la 
réforme.  —  Réforme  de  Jumièges  en  Normandie,  1616. 

Le  voyage  de  Dom  Didier  de  la  Cour  à  Paris  n'eut  pas 
seulement  comme  résultai  la  réforme  du  collège  de  Cluny. 
Dom  Laurent  Bénard,  en  attirant  les  Bénédictins  lorrains 
dans  son  prieuré,  leur  avait  laissé  espérer  que  d'autres 
monastères  désireraient  s'unira  la  Congrégation  de  Saint- 
Vannes.  Plusieurs  abbés,  en  effet,  lui  avaient  demandé 
conseil  à  ce  sujet  et,  en  particulier,  celui  de  Saint- Augustin 
de  Limoges,  Dom  Jean  Regnault,  à  qui  plusieurs  de  ses 
religieux  avaient  exprimé  le  désir  d'une  vie  plus  monas- 
tique. 

L'abbaye  de  Saint-Augustin  de  Limoges  était  doublement 
célèbre  pour  avoir  été  le  premier  sanctuaire  élevé  dans  les 
Gaules  en  l'honneur  du  Docteur  de  l'Eglise  de  Carthage, 
et  pour  avoir  compté  parmi  ses  abbés,  au  Moyen  Age,  de 
véritables  artistes  (1). 

Le  seixième  siècle,  en  introduisant  la  commende  à 
Saint- Augustin,  y  introduisit  la  ruine  temporelle  et  spiri- 
tuelle: les  édifices  furent  négligés,  les  moines  abandonnés 
à  eux  mômes  sans  direction  et,   lorsque  les  bandes  calvi- 

(1)  Au  xiii*  siècle,  l'abbé  Etienne  fabriqua  des  chapes,  des  calices,  des 
encensoirs  d'or  et  d'argent,  des  reliures  rehaussées  d'or  et  de  pierre- 
ries. L'un  de  ses  successeurs,  Raymond,  fit  de  ses  propres  mains  une 
grande  croix  d'argent  et  deux  calices  dorés  d'une  rare  beauté,  exécuta 
cinq  chapes  remarquables,  transcrivit  cinq  livres  estimés  et  sculpta  le 
tombeau  d'un  évoque.  L'abbé  Gérard  Fabry  bâtit  des  églises  gothiques 
et  introduisit  ce  style  dans  Torfèvrerie.  —  Laforest,  Limoges  au  XVll* 
siècle. 


-  452  - 

nistes  s'y  présentèrent  pour  piller  ce  qui  avait  échappé  aux 
abbés  coramendalaires,  l'abbaye  n'offrit  aucune  résistance. 
Le  procès-verbal  des  déprédations,  daté  du  23  octobre  1595, 
constate  qu'il  nese trouvait  à  Saint-Augustin,  en  ce  moment, 
que  huit  religieux,  lesquels  n'y  résidaient  même  pas  (I). 

Heureusement  Dieu  avait  ménagé  dans  Tabbé  Jean 
Regnault  un  homme  de  cœur,  qui  se  consacra  à  relever  les 
ruines  de  son  monastère  (2).  Réunissant  autour  de  lui  les 
restes  de  sa  communauté,  il  commença  par  poursuivre, 
devant  le  parlement  de  Bordeaux,  la  réintégration  des  biens 
usurpés  ou  irrégulièrement  aliénés.  11  s'adressa  ensuite  à 
l'évoque  de  Limoges  (3),  le  priant  de  lui  nommer  une  com- 
mission qui,  de  concert  avec  lui,  rédigerait  des  constitu- 
tions pour  ses  moines.  La  commission,  à  laquelle  furent 
appelés  les  prieurs  de  Brantôme,  du  Glandier  et  des  Ternes, 
composa  des  statuts  qui  parurent  trop  durs  à  quelques-uns 
des  religieux.  Ceux  ci  reçurent  une  pension  et  se  retirèrent. 
Les  autres  se  groupèrent  autour  de  Jean  Regnault,  qui, 
pour  consolider  son  œuvre,  forma  le  projet  d'agréger 
Saint-Augustin  à  l'une  des  congrégations  bénédictines 
encore  vivantes  :  Chesal-Benoît,  les  Feuillants  ou  les 
Exempts  (4).  11  pensa  même  à  la  Congrégation  anglaise,  qui 
avait  en  France  plusieurs  collèges  florissants.  S'étant  ouvert 
à  Dom  Laurent  Bénard  de  son  désir,  le  prieur  de  Cluny  lui 
fit  part  de  son  estime  pour  la  Congrégation  vanniste,  et 
l'engagea  à  s'adresser  à  elle  pour  obtenir  quelques  moines 

{i)Ibid. 

(2)  Dom  Jean  Rcgnaud  O'j  Regnault,  profès  de  la  Soaterre,  prévùté 
dépendante  de  Saint-Martial,  fut  reçu  docteur  de  la  faculté  de  Parts  et 
pourvu  par  Henri  IV,  en  1594,  de  l'abbaye  de  Saint-Augustin.  l\  pensa 
aussitôt  à  y  mettre  la  réforme  et  fit  pour  cela  plusieurs  tentatives  : 
seules,  celles  qu'il  fit  avec  les  Vanoistcs  aboutirent.  11  mourut  en  1622, 
après  avoir  fait  sa  démission  en  faveur  de  Dom  Maur  Dupont,  son 
prieur  claustral. 

D.  Haidiquer,  op.  cit.,  2*  partie,  note 29,  p.  262. 

(3)  Henri  de  la  Mahthome,  f  1618. 

(4)  Laforest,  op.  cit. 


^  4b3  - 

réformés.  Bien  mieux,  lorsqu'il  sut  le  voyage  à  Paris  des 
moines  lorrains,  il  en  écrivit  à  Dom  Regoault^  qui  se  mit 
aussitôt  en  route,  accompagné  de  deux  de  ses  moines,  non 
moins  ardents  que  lui  pour  la  réforme  :  Dom  Augustin 
Dupin,  prévôt  de  Tabbaye,  et  Dom  Placide  de  Vaux. 

Ils  arrivèrent  à  Paris  la  première  semaine  du  carême 
1613,  et  commencèrent  aussitôt  les  conférences  avec  Dom 
Didier  de  la  Cour  et  Dom  Laurent  Bénard  (1). 

Deux  religieux  de  Saint-Augustin,  neveux  de  Tabbé, 
furent  pris  de  peur  en  pensant  aux  conséquences  de  l'intro- 
duction de  moines  étrangers  :  c'était  pour  eux  la  ruine  des 
espérances  que  la  commende  de  leur  oncle  leur  laissait 
entrevoir.  Ils  firent  tous  leurs  efforts  pour  détourner  le 
coup,  et  peu  s'en  fallut  que  l'abbé,  subjugué  par  eux, 
n'abandonnât  le  but  de  son  voyage  précipité.  Déjà  il  parlait 
de  ne  recevoir  les  réformés  que  le  temps  nécessaire  pour 
développer  burs  principes  et  en  montrer  la  pratique,  après 
quoi  ils  pourraient  retourner  en  Lorraine.  Dom  Laurent 
Bénard,  à  qui  il  fit  part  de  ses  hésitations,  lui  reprocha 
avec  fermeté  son  changement  comme  une  faiblesse  inspirée 
par  l'ennemi  des  âmes  et,  pour  en  finir,  le  pria  de  donner 
le  lendemain  une  réponse  décisive. 

Dom  Jean  Regnault  convint,  eu  les  méditant,  de  la  jus- 
tesse des  paroles  du  prieur.  Le  lendemain,  avant  de  se 
rendre  au  lieu  des  conférences,  il  visita  quelques  sanctuai- 
res sur  son  chemin. 

Dom  Laurent,  le  voyant  arriver  à  Cluny,  le  félicita  et 
l'encouragea  de  nouveau,  lui  faisant  entrevoir  le  mérite 
qui  couronnerait  la  réalisation  de  son  projet.  A  ce  moment 
arrivait  Dom  Didier  de  la  Cour  avec  quelques  moines 
réformés.  La  demande  de  ceux-ci  concernant  les  biens  des 
anciens  religieux,  qu'ils  désiraient  avoir,  rendit  toutes  ses 
terreurs  à  l'abbé.  Il  comprit,  par  les  détails  de  leurs  con- 
ditions, qu'un  de  ses  moines  avait  exposé  à  nu   toute  la 

(1)  D.  MisoE,  Annales,  ad.  a.  1613. 


-  434  - 

situation  ;  il  lui  en  fit  sur  le  champ  d'amers  reproches  et 
s'indigna  de  ce  que  les  Lorrains  avaient  cherché,  plus  que 
de  justice,  à  pénétrer  dans  les  affaires  de  Saint-Augustin  (1). 

Dom  Didier  de  la  Cour,  se  levant  avec  calme  et  modestie, 
remercia  l'abbé  de  sa  bonne  volonté,  protesta  qu'il  ne 
voulait  rien  enlever  des  biens  de  son  monastère  et  qu'il 
désirait  laisser  tout  en  paix.  Là-dessus,  les  autres  per- 
sonnes présentes  se  levèrent  et  firent  mine  de  sortir.  Pen- 
dant ces  quelques  instants,  Dom  Regnault  s'était  promené 
très  agité.  Enfin,  inspiré  de  Dieu,  il  revint  sur  ses  hésita- 
lions,  reprit  son  projet  et  promit  aux  réformés  non  seule- 
ment ce  qu'ils  demandaient,  mais  plus  encore,  et  cela 
librement  et  spontanément.  Sur  le  champ,  il  fit  venir  un 
notaire  apostolique;  on  rédigea  l'acte  d'union  de  Saint- 
Augustin  de  Limoges,  qu'il  signa  avec  les  autres  personnes 
présentes  (5  mars  1613)  (2). 

Dom  Didier  de  la  Cour  envoya  peu  après  à  Limoges  deux 
de  ses  religieux,  Dom  Claude  Jacob  et  Dom  Mathieu  Oudin, 
afin  de  préparerles  voies  à  la  colonie  qui  devait  s'y  rendre. 
Ils  trouvèrent  tout  en  triste  état.  Dom  Anselme  Rolle  les  rejoi- 
gnit et  fut  installé  prieur,  et  quelques  années  s'écoulèrent 
avant  d'amener  un  complet  changement  dans  la  physiono- 
mie du  monastère  de  Limoges,  qui  était  la  première  enclave 
française  de  la  Congrégation  lorraine. 

En  Lorraine  même,  ellene  restait  pas  inactive  et  gagnait 
chaque  année  quelque  nouvelle  abbaye  ou  quelque  nou- 
veau prieuré.  Bouzon ville  s'était  incorporé  à  la  fin  de  1612, 
sous  Tabbatiat  de  Jean  Sellier  (3). 

En  1613,  les  Vannistes  rentrèrent  en  possession  d'un 

(1)  D.  Rhéthclois  résume  ainsi  la  situaUoo  de  Tabbaye  de  Limoges: 
«  Le  monast^Te  était  ruiné  en  ses  bâtiments,  emlsarrassé  d'affaires, 
chargé  de  quarante-huit  procès,  et  de  petit  revenu  »  {op.  cit.^  t.  IV, 
chap.  XII,  p.  2). 

(2)  Haudiqubr,  op.  cit.  et  loc.  cit. 
Cf.  D.  MÈ6E,  Annales,  loc.  cit, 

(3j  V.  plus  haut,  Visite  de  Lucalberti  à  Bouzonville. 


-  435  — 

ancien  prieuré  bénédictin  à  Saint-Nicolas-de-Port.  Donné 
à  Tabbaye  de  Gorze  par  Angelram,  évèque  de  Metz,  le  do- 
maine de  Varangéville  avait  été  transformé  en  prieuré  sous 
i'abbé  Henry.  Lorsque  l'arrivée  des  reliques  de  saint  Nico- 
las eut  provoqué  un  pèlerinage  à  quelque  distance  de  là, 
les  moines  de  Varangéville,  chargés  de  desservir  la  chapelle 
où  étaient  exposées  les  reliques  du  saint  évoque  de  Myre, 
établirent  le  prieuré  de  Saint-Nicolas,  qui  s'appelait  alors 
Saint-Nicolas  de  Varangéville.  Nous  ne  relèverons  pas  ici 
les  noms  de  tous  les  personnages  qui  vinrent  en  pèlerins  à 
Saint-Nicolas  :  qu'il  nous  suffise  de  dire  que  les  ducs  de 
Lorraine  aimaient  à  se  mettre,  par  quelque  donation,  sous 
la  protection  de  ce  saint.  A  la  fin  du  xv^  siècle,  la  magni- 
fique basilique  d'aujourd'hui  remplaça  l'ancienne  et  mo- 
deste chapelle  ;  sa  construction  fut  achevée  en  1544.  Mal- 
heureusement, avec  l'achèvement  de  l'église,  commença  la 
période  de  décadence  du  prieuré  :  la  commende  y  fit  son 
œuvre  de  destruction,  les  guerres  du  xvi<^  siècle  consom- 
mèrent la  ruine.  Les  religieux  se  dispersèrent  et  des  prê- 
tres séculiers  firent  le  service  du  pèlerinage.  Au  moment 
où  l'abbaye  de  Gorze  fut  sécularisée  et  ses  revenus  affectés 
à  l'Université  de  Pont-à-Mousson  (1),  il  fut  question  de 
réduire  au  même  sort  le  prieuré  de  Saint-Nicolas  ;  le 
cardinal  de  Lorraine,  retenu  par  la  pensée  du  pèlerinage, 
fit  offrir  aux  moines  de  Saint-Vannes  le  prieuré  en 
détresse.  Le  petit  nombre  des  religieux  réformés  les  em- 
pêcha de  l'accepter. 

On  fit  alors  appel  à  des  religieux  ambrosiens  venus 
d'Italie.  Ceux  ci  ne  purent  longtemps  persévérer:  ils  se 
retirèrent  en  1613  dans  leur  pays.  Les  Jésuites  et  les  Mini- 
ment  s'offrirent  alors,  pendant  que  l'évéque  de  Toul  faisait 
des  démarches  pour  y  attirer  des  religieux  oblats  de  Saint- 
Charles  Borromée.  Entre  temps,  les  prieurs  de  Saint-Evre 

(1)  En  1572. 


^ 


—  456  - 

et  de  Saint- Maosuy  demandaient  qu'on  donnât  la  préférence 
à  leur  Ordre,  ce  à  quoi  l'évoque  consentit.  Un  traité  fut 
passé  pour  l'installation  le  8  septembre  1613,  et  Ton  créa  à 
la  nouvelle  communauté  un  fonds  pour  assurer  son  entre» 
tien(l). 

Plus  la  Congrégation  se  répandait^  plus  les  supérieurs 
majeurs  tenaient  la  main  à  la  formation  sérieuse  des 
moines:  au  chapitre  de  cette  année,  on  attira  l'attention 
des  supérieurs  locaux  sur  la  réception  des  Frères,  soit  au 
noviciat,  soit  à  la  profession,  leur  enjoignant  d*observer  à 
l'avenir,  mieux  que  par  le  passé,  le  chapitre  de  la  Règle  et 
des  Déclarations  qui  s*y  rapportait  (art.  5).  Il  ordonnait 
aux  supérieurs  et  aux  maîtres  des  novices  de  veiller  avec 
diligence  à  ce  que  les  nouveaux  venus  fussent  appliqués  à 
l'étude  de  la  sainte  Règle,  des  Constitutions,  des  Déclara- 
tions et  des  exercices  du  noviciat,  tout  le  temps  de  leur 
probation,  avec  défense  de  lire  des  ouvrages  qui  n'y  auraient 
pas  trait  (art.  6). 

J^  formation  des  frères  commis  ne  l'intéressait  pas  moins, 
et  les  Pères  du  chapitre  exhortaient  les  prélats  à  veiller 
aussi  avec  sollicitude  sur  les  travaux  des  commis,  à  leur 
donner  un  directeur  spirituel  et  à  ne  pas  permettre  qu'ils 
s'absentassent  des  conférences,  spécialement  aux  jours  de 
fêtes  (art.  7).  A  tous,  le  chapitre  enjoignait  l'absolue 
discrétion  sur  les  délibérations  des  réunions  capitulaires, 
soit  générales,  soit  particulières,  et  sur  les  visites  canoni- 


(1)  Bibl.  nat.,  Lai.  12688,  fol.  114-165,  L'Histoire dn  prieuré  de  Saint- 
Nicolas  en  Lorraine,  de  l'Ordre  de  Saint-Benott.  C'est  un  travail  sans 
date  ni  nom  d'auteur,  contenant  des  détails  intéressants  mêlés  parfois 
k  des  redites.  Il  comprend  une  préface,  puis  une  première  parUe  trai* 
tant  de  la  «naissance  du  prieuré  de  Saint  Nicolas  »  ;  une  seconde  par- 
tie :  a  des  progrès  du  prieuré  »  ;  et  une  troisième  partie  :  «  de  la  décadence 
du  prieuré  et  de  son  rétablissement  ».  A  la  suite,  dans  le  même  registre, 
fot.  166-169,  se  trouve  une  narration  d'une  écriture  différente,  conte- 
nant le  récit  de  plusieurs  miracles  ou  faits  de  salut  attribués  à  l'inter- 
cession de  saint  Nicolas  de  Port. 

Sur  Saint-Nicolas,  Bibl.  nat.,  Lorr.  Abb.,  «39. 


--  457  -~ 

ques  (art.  11),  ainsi  que  rburallité  à  garder  dans  restime 
de  leur  vocation,  défendant  à  tout  moine  de  juger  les 
personnages  civils  et  ecclésiastiques,  leurs  supérieurs  ou 
leurs  frères,  et  en  général  les  religieux,  de  quelque  ordre 
qu'ils  fussent  (art.  15).  Il  rappelait  aux  sénieurs  que  les 
seuls  signes  de  prééminence  auxquels  ils  auraient  droit 
dans  les  monastères  étrangers  an  leur  propre,  seraient  les 
suivants  :  donner  le  signal  pour  roflice  au  chœur,  enton- 
ner le  Te  Deum,  bénir  la  table,  chanter  TEvaugile  et  le 
Pater  aux  vêpres  et  à  laudes  (12)  ;  tous  les  autres  signes 
d'autorité,  comme  donner  la  bénédiction  de  sortie  ou  de 
retour,  recevoir  les  excuses  des  retardataires,  entendre  les 
coulpes  ou  tenir  chapitre,  imposer  quelque  pénitence^ 
étaient  réservés  à  celui  qui  succédait  dans  le  gouverne- 
ment au  supérieur  absent  (art.  13).  Quant  aux  doyens,  ils 
devaient  s'en  tenir  aux  prérogatives  prévues  par  les 
constitutions  (art.  20),  et  même  les  dignitaires  appelés 
à  faire  le  service  de  table  ne  pourraient  donner  aucun 
des  signes  qui  reviendraient  à  leur  charge  (art.  21). 

On  voit  que  le  chapitre,  jusque  là  occupé  de  régler  la 
plupart  du  temps  des  questions  de  détail,  sentait  la  néces- 
sité de  fortifier  son  cadre  contre  les  suites  à  craindre  de  la 
multiplicité  des  fondations,  laquelle  entraînait  aussi  la 
multiplicité  des  supérieurs  :  ceux-ci  devaient  quelquefois 
être  pris  parmi  les  profès  nouveaux,  jeunes  d'âge  ou  de  vie 
religieuse. 

Un  plus  grand  danger  se  dessinait,  c'était  la  reprise  de§ 
bénéfices  par  les  réformés  et  la  difficulté  d'en  accorder 
l'administration  ou  l'usufruit  avec  les  obligations  de  la 
pauvreté  monastique.  Le  Chapitre  général  y  pourvut  par  le 
décret  suivant  (1)  :  «  Afin  de  détruire  toute  ambition,  nous 

(1)  Ce  qui  venait  d'arriver  à  Saint- Airy  dut  provoquer  ce  décret  et 
appnler  l'attention  des  supérieurs,  afin  d'empêcher  que  le  fait  se  repro- 
duisît. D.  Didier  Saryon.  abbé  de  Saint-Airy,  mourut  le  6  novembre 
1611.  «  D.  Rozet,  qui  était  alors  Prieur  de  Saint-Vannes  et  Visitçur  de. 

3b 


—  458  - 

statuons  que  personne  de  notre  Congrégation  ne  pourra 
être  élu  ou  promu  abbé,  ou,  s'il  arrive  que  quelqu'un  le 
soit,  aussitôt  après  son  élection  ou  sa  promotion,  il  devra 
renoncer  au  gouvernement,  tant  spirituel  que  temporel, 
entre  les  mains  des  supérieurs  du  Régime,  près  de  qui 
Tadministration  restera  entièrement,  selon  la  teneur  du 
serment  prêté.  » 

Le  serment  dont  il  s'agit  ici  comprenait  rengagement 
déjà  imposé  auparavant  aux  réformés  :  de  ne  jamais  ad- 
mettre à  la  profession  dans  la  Congrégation,  ni  élire  à 
aucune  charge,  celui  qui  ne  voudrait  point  promettre  de 
vivre  selon  la  réforme.  Il  y  joignit  la  clause  concernant 
les  bénéfices,  ainsi  que  le  voulait  le  décret  ci-dessus,  et 
chaque  nouveau  profès  dut,  à  partir  de  ce  moment,  s'en- 
gager à  en  observer  la  double  obligation  (1). 

la  Congrégation,  eut  l'adresse,  dit  D.  Calmet,  de  s'en  (aire  élire  abbc  ; 
celte  démarche  eut  des  suites.  »  D.  Rozet  fit,  en  effet,  conûrmer  son 
élection  et  se  fit  bénir,  puis  il  prit  possession  de  l'abbaye.  «  Il  aurait 
voulu  la  conserver  jusqu'à  sa  mort,  mais  il  y  éprouva  tant  de  résis- 
tt  tance  de  la  part  des  supérieurs  majeurs,  qu'il  dut  se  désister  de  ses 
«  prétentions.  »  D.  Calmet,  Notice  de  la  lorr.,  art.  Rozet, 

(1)  Jusjurandum  ab  omnibus  faciendum  qui  profnsioneni  emitlunt. 

Quia  divina  gratia  largientc  hodierna  die  solemnem  professionem 
emissurus  sum,  ne  aliqua  ambiguilas  ex  quibusdam  professionis  meae 
verbis  oriatur,  dicoquod  pcr  istam  clausulam  sub  Congregatione  SS. 
Vitoni  et  Uydulphi,  intelligo  quod  in  posterum  vitam  meam  et  mores 
instituam  sccundum  Regulam  S.  Bcnedicti  a  Patribus  S.  JusUnse  de 
Padua  seu  Cassinensis  declaratametexpositam  prout  usque  ad  hodier- 
na m  diem  in  Congregatione  SS.  Vitoni  et  Hidulphi  observatur.  Et  etiam 
nullum  unquam  officium  ccdesiasticum,  praisidentiam,  abbatlam,  prio- 
ratum,  prseposituram,  adminislrationcm,  regimen  aut  uUum  Superiori- 
tatis  gradum  nulle  modo  mihi  ofTerri  curabo  aut  obiatum  admit- 
tam  aut  de  eo  admisse  disponam  nisi  sub  beneplacito  et  consensu 
regiminis  aut  definitorum  Capituii  Generalis,  nec  unquam  per  me 
eut  per  alium  ullum  talis  beneûcii,  priBsidentis,  abbatice,  prioratus, 
prspositurs,  administrationis,  regiminis  aut  cuiuslibet  superioritaUs 
mihi  commisse  prolongationem  in  uUa  curla  sive  ecclesiastica  sive  sae- 
eulari  directe  aut  indirecte  procurari  permittam  aut  curabo.  Insaper 
quod  nunquam  consentiam  ut  aliquis  cuiuscumque  status  in  bac  Con- 
gregatione Incorporetur  aut  in  Superiorem  eligatur  nisi  prias  consU- 
terit  de  ij[)sius  voluntate  et  dcsiderio  vivendi  secundum  reformaUo. 
nom  et  praddictas  superioritatum  sessiones  subeundi,  Juzta  Gonstita- 


-  459  - 

Pour  bien  se  rendre  compte  des  conditions  dans  les- 
quelles se  trouvaient  les  nouvelles  fondations,  le  Chapitre 
général  décida  que  les  supérieurs  de  ces  fondations  le 
tiendraient  au  courant  de  ce  qui  s'était  passé  à  leur  entrée 
dans  le  monastère  réformé  par  eux  (art.  22). 

Afin  d'éviter  toute  distinction  entre  ceux  qui  avaient  fait 
profession  avec  l'ancienne  formule  de  serment  et  les  futurs 
profès,  le  Chapitre  général  suivant  de  1614  décréta  que,  au 
retour  de  leurs  supérieurs,  les  moines  anciens  prêteraient 
entre  leurs  mains  et  sur  les  saints  évangiles,  le  nouveau 
serment  (art.  15). 

Il  détermine  également  la  manière  dont  on  renouvelle- 
rait les  vœux  (1),  et  en  quels  termes  (2)  chaque  année,  le 
premier  jour  de  l'an  ou  à  la  fête  de  l'Epiphanie  (arL  10)  ;  il 
étendit  la  règle  de  la  vacance  des  charges  aux  doyens  des 
monastères,  qui  devaient  être  absous  au  moins  pour  trois 
jours,  dans  le  cas  où  l'on  jugerait  convenable  de  les  conti- 
nuer dans  leurs  offices  (art.  12). 

Revenant  sur  la  formation  des  novices,  le  Chapitre  décida 

tiones  et  décréta  felicis  mcmoriic  Cardinalis  Caroli  a  Lotbaringia  a 
Sede  Apostolica  ad  id  spccialiter  deputati.  Arch.  Nat.,  LL.  991,  fol. 
34  et  35. 

(1)  Voici  le  cérémonial  de  cette  rénovation,  usité  encore  dans  les 
Congréfça lions  modernes.  Le  jour  de  la  Circoncision  et  de  l'Epiphanie, 
les  moines  se  réunissaient  en  cou  lie  au  chapitre  ou  dans  une  chapelle 
de  l'église  ;  l'autel  y  était  illuminé.  Tous  ii  genoux  chantaient  le 
Kent  Creator  et  le  président  ou  supérieur  disait  l'oraison,  puis  faisait 
une  courte  exhortation . 

Le  supérieur  montait  à  l'autel  et  y  faisait  la  rénovation  de  ses 
TŒUx,  puis  il  prenait  place  devant  l'autel,  et  les  religieux  venaient, 
chacun  à  tour  de  rôle,  lire  à  ses  pieds  la  formule  de  rénovation,  qu'ils 
tenaient  et  que  le  Supérieur  devait  également  toucher  en  même  temps. 
Ils  baisaient  ensuite  la  main  du  supérieur,  se  levaient,  s'inclinaient  et 
se  retiraient  à  leur  place. 

(2)  La  formule  de  rénovation,  on  latin  pour  les  choristes,  en  français 
pour  lesconvers,  était  la  suivante  :  In  nomino  F).  N.  J.  C.  Amen.  Ego 
N.  promitto  stabilitatem  meam  et  conversionem  morum  mcorum  et 
obedientiam  secundum  Regulam  S.  Bcnedicti  coram  Dco  et  omnibus 
sanctls  quorum  reliquiiu  habenlur  in  hoc  monasterlo  sub  Congrega- 
tione  Sanclorum  Vitoni  et  Hidulphi.   Arch.  Nat.,  LL.  991. 


—  460  — 

que,  à  chaque  présentation  des  novices  à  la  communauté, 
on  noterait  soigneusement  les  défauts  qui  leur  seraient 
reprochés  et  qu'on  les  en  avertirait,  afin  de  voir  s'ils  y 
prêtaient  attention  dans  la  suite  (art.  14).  A  rentrée  des 
postulants,  l'argent  de  ceux-ci  (sauf  réserve  de  trente 
francs)  serait  employé  pour  leur  procurer  les  vêtements, 
livres  ou  objets  nécessaires  (art.  13). 

Le  décret  sur  la  vigilance  à  ne  point  s'entretenir  des 
défauts  des  prélats  fut  confirmé,  et  les  délinquants  mena- 
cés de  peines  (art.  17). 

Divers  autres  articles  déterminaient  l'attribution  au 
budget  des  dépenses  générales  de  la  Congrégation,  ce  qui 
pouvait  excéder  ou  manquer  à  la  somme  de  60  francs 
fixée  pour  le  vestiaire  de  chaque  religieux  (art.  16),  et  décré- 
taient, avec  divers  points  de  loffice  ou  du  cérémonial  (IJ, 

(1)  Les  Commémoraisons  coiamunes  ne  se  chanteront  pas.  Le  Bene- 
dicamus  Damino  ne  se  chantera  que  lorsqu'on  terminera  avec  chant 
l'ofûce  divin  (art.  1).  L'aspersion  du  soir,  le  De  Profundis,  avec  les 
collectes,  seront  maintenus  jusqu'à  nouvel  ordre  du  Chapitre  (art.  2)  et 
l'on  ne  récitera,  le  soir,  les  litanies  brèves  des  Saints  ou  celles  de  la 
Sainte  Vierge  que  le  dimanche  aux  deux  compiles  et  les  fôtes  doubles 
(art.  3).  Là  où  c'est  la  coutume  de  réciter  les  matines  et  les  vôpres  dc^ 
défunts,  on  continuera  à  les  sonner,  s'il  y  a  concours  de  peuple  ;  sinon, 
à  l'exclusion  du  scandale,  le  supérieur  jugera  ce  qu'il  y  a  faire  (art.  4.i. 
L'anniversaire  des  défunts  comprendra  un  nocturne  et  trois  leçons 
{art.  5).  On  revêtira  la  coulle  à  toutes  les  fêtes  de  l'*  et  do  2*  classe,  à 
celles  de  la  Conception  de  la  Vierge,  de  sainte  Scholastique,  et  aux 
jours  indiqués  dans  le  cérémonial  (art.  9).  Les  psaumes  graduels  se 
diront  assis  ;  pour  le  reste,  on  suivra  les  indicaUons  du  bréviaire 
(art.  10).  Au  réfectoire,  le  psaume  d'action  de  grâces  sera  le  Miserere 
et  non  le  Laudate  (art.  11). 

Le  dimanche,  l'antienne  de  la  Vierge  se  dira  debout  pendant  tout  le 
temps  pascal  (art.  1,  addit.).  L'  \ngelus  et  l'aspersion  du  soir  suivront 
les  prières  de  compiles  (art.  â,  addit.).  La  lecture  de  la  Règle  à  prime  se 
fera,  jusqu'à  nouvel  ordre,  selon  les  Déclarations  (art.  3,  addit.).  On 
allumera  le  cierge  pascal  aux  compiles  du  Samedi  Saint,  le  jour  de 
Pâques  pendant  les  matines,  et  les  deux  jours  suivants  pendant  les 
laudes  et  la  messe,  vêpres  et  compiles  ;  jusqu'à  l'Ascension,  à  la  messe 
et  aux  vêpres,  le  dimanche  et  les  fêtes  doubles  (art.  5,  addit.].  Aux 
fêtes  les  plus  solennelles,  on  encensera  l'autel  au  commencement  de 
la  messe  et  des  vêpres  ;  aux  autres  fêtes  de  1"  et  de  2'  classe,  on  mettra 
deux  choristes,  si  on  le  peut,  et  on  encensera  l'autel  au  Magnificat 
(art.  6,  addit.}. 


—  461  — 

que  désormais  les  communications  des  moines  au  Chapitre 
général  se  feraient  par  écrit,  avec  ordre,  opportunément, 
et  seraient  inspirées  par  le  respect  et  la  modestie  (art.  19). 

Tous  ces  décrets  reçurent  la  sanction  du  Chapitre  de 
1615,  qui,  en  les  confirmant,  y  ajouta  quelques  nouvelles 
constitutions  prescrivant  :  de  suivre  les  traditions  locales 
pour  le  culte  rendu,  au  Saint-Sacrement,  à  la  fête  du  Corpus 
(art.  1)  ;  de  faire  usage  ,des  livres  de  chœur  nouvellement 
édités  (art.  2)  ;  de  soumettre  à  la  visite  du  médecin,  en 
présence  de  deux  sénieurs,  les  postulants  sur  le  point  de 
revêtir  Thabit  monastique  (art.  5)  ;  de  procéder,  non  plus, 
par  écrit,  mais  au  moyen  de  billes,  aux  votes  conventuels 
(art.  6). 

La  fermeté  du  Chapitre  général  à  maintenir  Tobser- 
vance  et  à  déterminer,  par  des  règles  précises,  tout  ce  qui 
concernait  la  formation  des  postulants,  n'arrêtait  ni  le 
concours  ni  la  persévérance  de  ceux-ci.  L'année  1612.  que 
nous  avons  vue  si  riche  en  professions,  fut  suivie  d'un 
nombre  presque  égal  d'engagements  nouveaux  les  années 
suivantes.  En  1613,  dix  huit  novices,  venus  de  différentes 
provinces,  prononcèrent  leurs  vœux  ;  parmi  eux,  nous 
citerons  Dom  Firmin  Rainssant  (1),  Dom  Marc  d'Abon- 
court  (2),   Dom   Théodore  May  (3),  Dom  Colomban  Ré- 

(1  D.  Firmin  Rainssant,  né  à  Suippe  en  Champagne,  on  1596,  profès  à 
Saint-Vannes  le  21  avril  1613,  fut  élu  prieur  du  BreuU  en  1627,  passa 
ensuite  à  Cluny,  puis  dans  la  Congrégation  de  Saint-Maur,  où,  en  1651, 
il  fut  nommé  Visiteur  do  la  province  de  Bretagne.  Il  mourut  cette 
année  Ih  même,  dans  l'exercicfï  de  la  visite  à  Saint-Léon  près  Dinan, 
le  8  novembre,  en  odeur  de  sainteté.  Dom  Le  Cerf  dit  de  lui  qu'il  fut  un 
des  plus  saints  religieux  de  la  Congrégation  de  Saint-Maur.  11  a  laissé  un 
vol.  in-12  de  Mèditntionff  pour  tinis  les  jours  de  Uaiinée  ;  Paris,  Bil- 
laine,  1633.  Cet  ouvrage  eut  diverses  éditions,  avant  celle  de  1699 
(in-4"*),  et  fut  en  usage  dans  les  Congrégations  de  Saint-Vannes  et  de 
Saint-Maur.  D.  Calmet,  Bibl.  lorr.,  art.  Rainssant  ;  D.  Le  Cerf, 
Biblioth.  art.  Rainssant. 

{2)D.  Marc  d'Aboncourt,  profès  le  1"  mars  1613  à  Saint-Mansuy  lès 
Toul,  mort  à  Bcaulieu  en  1651,  partisan  zélé  de  la  vacance  rigoureuse 
des  supérieurs.  D.  Calmet,  tbid.,  art.  Aboncourf. 

(3)  D.Théodore  Moy  (autrement  Théodore  de  la  Croix),  né  à  Saint- 


—  462  — 

gnier(l),  que  leurs  écrits  ou  leur  influence  distinguèrent 
dans  la  suite.  En  1614,  vingt  et  un  nouveaux  profès  sor- 
tirent des  différents  noviciats,  entre  autres  Dom  Augustin 
Dupin  (2),  Dom  Claude  Brenier(3),  Dom  Hugues  Ménnrd  (4), 
Dom  Maur  Tassin  (5).  La  moitié  des  profès  de  cette  année 
venaient  de  France  ou  de  Bourgogne  ;  trois  appartenaient 
à  Saint-Augustin  de  Limoges,  que  les  Vannistes  venaient 
d'occuper.  En  1615,  Dom  Laurent  Bénard  ouvrit  la  liste 
des  quatorze  nouveaux  réformés  profès.  Non  content  de 
de  pratiquer  au  collège  de  Cluny  les  vertus  monastiques 
selon  l'observance  des  moines  lorrains,  il  était  venu  à 
Saint-Vannes-pour  se  donner  définitivement  à  la  Congré- 
gation nouvelle  ;  mais  son  ardeur  fut  tempérée  par  la  pru- 

MihicI,profcs  h  Saint-Vannes  le  25  novembre  iG13,  mort  au  prieuré  de 
Sainte-Croix  à  Nancy  le  25  décembre  1635,  a  composé:  !•,  en  1628,  la  Vie 
de  saint  Hydulphe,  laquelle  est  restée  manuscrite,  2*  des  Essais  sur  des 
guérisons  opérées  à  Moyenmoutier,  3"  un  autre  ouvrage  intitulé  a  Phar- 
macie spirituollo  »,  resté  également  manuscrit.  D.  Calmbt,  op.  c if., 
art.  Croix. 

(1)  D.  Colomban  Régnier,  profès  le  15  décembre  1613  à  Saint- Vannes, 
après  avoir  été  formé  au  collège  de  Cluny,  y  retourna  après  sa  pro- 
fession, et  fut  l'un  dos  principaux  organisateurs  de  la  Congrégation  de 
Saint-Maur,  dont  il  devint  l'un  des  présidents  ;  plus  tard,  en  163i,  il 
fut  l'un  des  plus  actifs  apAtres  de  l'union  de  Cluny  à  sa  Congrégation. 
Il  mourut  ii  Jumièges  en  1637,  n'ayant  cessé  depuis  sa  profession 
jusqu'à  sa  mort,  dit  D.  Rhételois,  de  s'avancer  en  la  vertu  comme  un 
«  saint  et  de  travailler  au  rétablissement  de  son  ordre  comme  an 
apAtre  ».  D.  Rhételois,  op.  cii.^  passim. 

(2)  D.  Augustin  Dupin,  bientôt  après  envoyé  à  Saint-Augustin  de 
Limoges,  puis  ù  Noaillé,  pour  l'établissement  de  la  réforme.  Profès  h 
Saint- Vannes  le  2o  mars  1614,  il  est  mort  h  Sainte-Croix  de  Bordeaux, 
le  24  février  161)2,  laissant  en  manuscrit  l'Histoire  de  l'abbaye  de  Saint- 
Augustin  de  Limoges. 

(3)  D.  Claude  Bronier,  profès  h  Moyenmoutier  le  10  juillet  1614,  mort 
à  Saint-Mibiel  le  i^  mai  1662. 

(4)  D.  Hugues  Ménard,  né  â  Paris  en  1585,  profès  d'abord  à  Saint- 
Denis,  puis  k  Saint- Vannes,  le  15  août  1614,  entra  ensuite  dans  la 
Congrégation  de  Saint  Maur,  où  il  fut  l'un  des  plus  zélés  promoteurs 
des  bonnes  études.  Son  Martyrologe,  son  Sacramentaire  de  saint  Gré- 
goire et  sa  Concordia  Regularum,  l'ont  rendu  célèbre.  Il  est  mort  k 
Saint-Germain-des-Prés  en   164i, 

(5)  D.  Maur  Tassin,  profès  du  25  mars  16i4  à  Saint- Vannes,  mort 
en  1645. 


—  463  — 

dence  des  Supérieurs  majeurs,  qui  le  jugèrent  plus  apte  à 
les  aider  dans  la  propagation  de  leurs  principes,  en 
demeurant  indépendant.  Toutefois,  sll  ne  ûi  pas  profession 
formelle,  Dom  Laurent  Bénard  se  donna  d'une  manière 
complète  à  la  réforme  par  un  acte  authentique  équivalant 
à  la  profession,  en  date  du  5  mars  1615.  Le  12  mai  suivant, 
à  Saint-Mihiel,  le  futur  premier  Supérieur  général  de  la 
Congrégation  gallicane  ou  de  Saint-Maur,  Dom  Martin 
Tesnière  (1),  émettait  ses  vœux  de  religion. 

De  retour  à  Paris,  Dom  Laurent  Bénard  eut  à  s'occuper  de 
la  réforme  de  Tabbaye  de  Noaillé  (2),  au  diocèse  de  Poitiers. 
Le  17  août  1603,  le  Pape  Paul  IV,  par  sa  Bulle  «  In  supre- 
mœ  dignitatU  spécula  »...,  datée  de  Sainte-Marie -Majeure, 
introduisait  dans  cette  abbaye  des  religieux  feuillants  ; 
mais  ceux-ci  ne  tardèrent  pas  à  abandonner  leur  œuvre. 
L'abbé  commendataire,  François  de  la  Béraudière,  évèque 
de  Périgueux,  qui  avait  à  cœur  de  réformer  les  moines  de 
Noaillé,  apprit,  dans  l'un  de  ses  voj'ages  à  Paris,  l'entrée 
des  Vannistes  à  Saint- Augustin  de  Limoges,  et  se  trans- 
porta auprès  d'eux  pour  se  rendre  compte  de  l'observance 
qu'ils  y  tenaient.  Enchanté  de  leur  vie,  il  entra  aussitôt 
en  négociations  avec  l^urs  supérieurs  de  Lorraine,  et 
Dom  Laurent  Bénard  fut  chargé  d'emmener  deux  moines 
qui  iraient  se  joindre  à  quelques-uns  de  leurs  frères  de 
Limoges,  pour  se  rendre  ensuiteà  Noaillé. 

Au  mois  d'août,  la  colonie  rassemblée  à   Limoges  se 

(1)  Envoyé  au  monastère  des  Blancs-Manteaux  à  Paris  avec  D.  Maur 
Tassin,  D.  Martin  Tosnit're  travaillai  l'établissement  delà  Congréga- 
tion nouvelle,  qui  l'élut  son  Président  au  premier  chapitre  général  de 
1618  ;  il  fut  également  l'un  des  apôtres  de  la  réunion  de  Cluny  à  Saint- 
Maur.  11  mourut  eni&io. 

(2)  L'abbaye  de  Sain t-J union,  au  bourg  de  Noaillé  en  Poitou,  n'était 
d'abord  qu'un  prieuré  dépendant  do  l'église  Saint-Hilalre  de  Poitiers. 
Son  érection  en  abbaye  se  lit  sur  la  fin  dn  viii*  siècle.  Le  titre  de 
Saint-Junien  lui  fut  donné  peu  de  temps  après  l'an  830,  à  l'occasion  de 
la  translation  du  corps  de  ce  saint  solitaire.  D.  Haudiqubu,  op.  cit.,  II* 
partie,  note  33. 


—  464  - 

présenta  aux  portes  du  monastère  de  Noaillé,  mais  inutile- 
ment ;  elle  dut  se  retirer  devant  les  oppositions  formelles 
du  prieur,  Dom  Vérimaud,  et  des  anciens  qui  prétendaient 
ne  pouvoir  jamais  se  soumettre  à  un  régime  autre  que 
ôelui  auquel  ils  étaient  habitués  (i).  Les  réformés,  vaincus 
cette  fois,  revinrent  un  mois  après  le  15  septembre,  assis- 
tés de  Tabbé  de  Saint-Augustin  de  Limoges  et  de  celui  de 
Charraux.  Ceux-ci,  assemblant  les  religieux  anciens  à 
rheure  de  prime,  leur  signifièrent  la  volonté  de  leur  abbé 
commendataire  au  sujet  de  la  réforme,  et  présentèrent  une 
lettre  du  roi  leur  en  prescrivant  Tacceptation  (2). 

Le  prieur  Dom  Vérimaud,  le  sacristain  Dom  Benoit 
Mathon,  et  le  Réfectorius,  Dom  Jacques  Rîgaud,  se  décla- 
rèrent satisfaits  de  l'introduction  des  réformés  et  signèrent 
leur  déclaration.  Le  sous-prieur,  Dom  Claude  Jacquot,  le 
chambrier,  Dom  Jean-Chrysostome  Thomas,  l'aumônier. 
Frère  Pierre  de  Soindres,  le  sacristain,  Dom  Augustin 
Dupin,  et  le  chantre,  Dom  Jean  de  Vaux',  joignirent  leurs 
signatures  à  celles  des  anciens  et  tous  se  rendirent  à 
Tofflce  de  prime.  Là,  des  difficultés  surgirent  sur  la 
présidence  que  le  prieur  ancien  revendiquait  jusqu'à  ce 
que  les  réformés  eussent  un  autre  supérieur.  L'abbé,  au 

(1)  D.  Mège,  Annales...,  anno  46/3. 

(2)  De  par  le  Roi.  Cher  et  bien  aimé.  Ayant  oui  les  difficultés  que 
vous  faites  ((  à  l'établissement  des  religieux  réformés  de  votre  ordre, 
que  le  sieur  de  Périgueux,  abbé  de  l'abbaye  de  Nouaillé,  veut  instaUer 
en  ladite  abbaye,  étant  en  cela  fondé  en  arrêt  de  notre  Cour  et  Parle* 
ment  de  Paris  et  sentence  du  lieutenant  particulier  de  cette  ville,  com- 
missaire  pour  l'exécution  dudit  arrêt,  et  pour  ce  que  c'est  chose  qui 
regarde  l'honneur  et  le  service  de  Dieu,  et  qui  est  de  bon  exemple,  et 
pour  l'édification  du  public,  nous  avons  voulu  faire  cette  lettre  pour 
vous  dire  que  nous  désirons  que  les  receviez  et  establissiez  avec  vous 
pour  y  vivre  selon  leur  institution  et  réformation  et  sans  que  vous  y 
apportiez  aucun  empêchement  en  cela  à  l'arrêt  de  notre  dite  Cour  et  à 
notre  intention,  à  quoi  vous  ne  ferez  faute.  Donné  à  Poitiers  ce  12  de 
septembre  1615  ». 

Signé  :  Louis  ;  plus  bas,  Philippcaux. 
BiBL.  Nat.,  Lat.  18397  :  Recueil  de  chartes...  tirées  des  manuscrits  de 
D.  Fonteneau,  t.  XXII. 


-^  465  — 

sortir  de  TofQce,  convoqua  pour  le  lendemaiQ  à  la  même 
heure  les  moines  au  chapitre,  afin  d*y  délibérer  sur  l'in- 
troduction de  la  réforme  et  d'élire  un  coadjuteur  au  prieur, 
à  qui  son  grand  âge  rendait  impossible  l'exercice  de  sa 
charge. 

Le  prieur  protesta  dans  la  journée  contre  ce  projet,  et 
déclara  interjeter  appel  comme  d'abus  contre  l'abbé  de 
Limoges  et  l'évêque  dePérigueux.  L'abbé  persista  dans  sa 
volonté  d'établir  la  réforme  voulue  par  la  Cour  ;  et,  le  len- 
demain, au  sortir  de  prime,  eut  lieu  l'élection  qui  créa 
coadjuteur  pour  trois  ans  Dom  Claude  Jacquot,  à  charge 
pour  lui  de 'favoriser  la  réforme  (1). 

L'abbé  s'en  retourna  dans  son  abbaye,  après  avoir  ins- 
tallé ses  moines  réformés,  mais  sans  prendre  garde  à  leur 
assurer  des  moyens  de  vivre:  ils  étaient  donc  entre  les 
mains  des  anciens  religieux,  qui  ne  se  firent  pas  faute  de 
les  accabler  de  privations,  «  leur  mesurant  le  pain,  leur 
servant  très  peu  de  vin,  et  ne  leur  donnant  qu'un  seul 
plat  de  légumes  mal  apprêtés  ». 

Durant  l'hiver,  les  réformés  étaient  contraints  d'aller 
eux-mêmes  faire  la  provision  de  bois  dans  la  forêt,  pour  le 
service  de  la  cuisine  ou  des  pièces  chauffées. 

Aucune  plainte  ne  s'échappa  de  leurs  lèvres  ;  aucun 
d'eux  ne  songea  à  regagner  Limoges,  où  ils  auraient  eu  une 
vie  sinon  commode,  du  moins  pacifique. 

Ce  régime  aurait  duré  peut  être  de  nombreuses  années, 
si  le  Parlement  de  Poitiers,  secrètement  averti  par  quel- 
que témoin  de  ces  odieux  traitements,  n'y  avait  mis  bon 
ordre.  La  contrainte  dura  encore  longtemps,  dit  Dom 
Mège,  et  ne  finit  qu'à  la  mort  des  opposants  les  plus 
influents  (2). 

Presque  simultanément  s'accomplissait   la  réforme  de 

(1)  Bibl.  nat.  Latin,  18397,  Papiers  de  Dom  Fonteneau. 

(2)  D.  Mëge,  op.  C27.,  anno  1615. 


—  466  -- 

Noaillé  et  celle  de  Saint-Faron  de  Meaux  (1).  Dès  l'année 
1606,  trois  religieux  de  ce  monastère,  Dom  Isaac  Noyau, 
Dom  Nicolas  Dagron  et  Dom  Benoit  Tristan  avaient  été 
reçus  à  Saint- Vannes  et  y  avaient  fait  profession  selon  la 
nouvelle  observance  (2). 

En  1615,  Dom  Isaac  Noyau,  allant  à  Paris,  passa  par  son 
ancien  monastère,  dont  le  prieur  venait  de  mourir.  La 
tenue  du  moine  réformé  frappa  ses  confrères  d'autrefois, 
et  ils  furent  si  édifiés  de  sa  manière  de  parler  qu'ils  lui 
proposèrent  de  l'élire.  Celui  qui  avait  la  chance  de  Télec- 
tion  parmi  eux  se  désista  volontiers  en  sa  faveur.  Dom  Noyau 
déclina  modestement  cette  marque  de  confiance,  en  disant 
qu'il  ne  pouvait  quitter  la  Congrégation  à  laquelle  il  s'était 
voué,  et  que,  s'il  était  leur  prieur,  il  ne  pourrait  souffrir 
qu'on  vécût  autrement  à  Saint-Faron  qu'à  Saint- Vannes  (3). 

Les  moines  ne  se  tinrent  pas  pour  battus  ;  ils  écrivirent  à 
Dom  Didier  de  la  Cour  pour  obtenir  son  acquiescement  à 
leur  projet,  favorisé  par  l'évoque  de  Meaux.  Le  prieur  de 
Saint- Vannes  consentit  en  principe  à  l'élection. 

L'évéque  de  Meaux  vint  le  15  septembre  à  Saint-Faron 
et  y  commença  la  visite  canonique,  qui  aboutit  à  l'élection 
de  Dom  Isaac  Noyau.  La  réforme  était  donc  décidée.  Dom 
Didier  de  la  Cour  envoya  au  prieur  les  deux  moines  de 
Saint-Faron  laissés  à  Saint-Vannes,  ainsi  que  quelques 
autres  religieux  en  nombre  suffisant  (4). 

Des  difficultés  survinrent  de  la  part  du  vicaire  général  de 
l'évoque,  une  sorte  de  maniaque,  dit  Dom  Rhételois,  qui, 
s'imposant  à  Saint-Faron,  en  fit  fermer  les  portes  et  se  mit 
à  briser  et  à  dilapider  tout  ce  qu'il  trouvait  sous  la  main, 
en  haine  des  réformés.  L'un  des  moines  parvint  à  s'échap- 

(1)  L'abbaye  de  Saint-Faron  fut  bâtie  l'an  672  sous  le  vocable  de 
Sainlo-Croix,  auquel  fut  plus  tard  subsUtué  celui  de  son  saint  fonda- 
teur, qui  y  fut  enlrrn^.  D.  Haudiqufr,  op.  cit.,  H*  partie,  note  31. 

(2)  D.  Rhktelois,  op.  cit.,  t,  IV,  cbap.    XII,  p.  3,  4,5. 
i'.V)  D.  Haudiqukr,  op.  cit.,  p.  2^  et  suiv. 

(4)  D.  Mège,  Annales,  ad  a.  4G15. 


-  467  - 

per  par  une  fenêtre  et  alla  avertir  révoque  de  ce  qui  se 
passait  (1).  Le  prélat  arriva  en  toute  hâte,  accompagné  des 
magistrats  de  la  ville,  fit  enfoncer  les  portes  et  réduisit 
bientôt  à  rimpuissance  son  inconscient  vicaire. 

Les  actes  de  la  réforme  furent  dressés  ;  on  envoya  Tun 
des  moines  à  Paris  pour  les  faire  approuver  et  enregistrer 
par  Tautorité  royale  :  après  quelques  tentatives  de  résis- 
tance soudaine  de  la  part  de  l'ancien  religieux,  qui  avait 
cédé  à  Dom  Noyau  son  droit  à  l'élection,  les  actes  furent 
approuvés,  et  les  réformés  demeurèrent  tranquilles  posses- 
seurs de  l'abbaye  de  Saint-Faron. 

La  France  semblait  vouloir  surpasser  la  Lorraine  dans 
Taccueil  qu'elle  faisait  à  la  réforme  de  Saint-Vannes.  Il  y 
avait  une  accalmie  dans  notre  province,  ou  plutôt  une 
sorte  d'expectative  ;  car,  si  nous  n'avons  pas,  durant  ces 
années  de  1613  à  1618,  à  enregistrer  dt^  nouvelles  adhésions 
de  monastères,  le  terrain  se  préparait  lentement.  Dès 
1609,  les  moines  du  prieuré  de  Saint-Christophe  de  Lay 
avaient  adressé  à  Rome  une  supplique  pour  demander 
d'être  mis  en  nombre  suffisant  :  c'était  un  pas  vers 
plus  de  discipline  et  vers  la  réforme.  L'abbé  Valla- 
dier  s'employait  dans  le  même  sens  pour  son  abbaye  de 
Saint-Arnould  ;  à  Belval,  les  moines  réformés  avaient 
pris  possession  du  prieuré  (1614)  ;  à  Nancy,  on  projetait  la 
fondation  d'une  abbaye  nouvelle  (2).  Les  derniers  eHorts 
de  la  communauté  en  détresse  ne  purent  vaincre  le  mou- 
vement général,  et  la  vogue  que  les  constitutions  de  Saint- 
Vannes  obtenaient  à  la  Cour  de  France  encourageait  les 

(1)  L'évéquede  Meaux  était  alors  Joan  du  Vieux- Pont  (1603-1623), 
homme  de  zèle  et  do  charité,  grand  ami  des  Bénédictins  et  partisan 
zélé  de  la  réforme  (cf.  D.  Haudiquer,  op.  cit..  2*  partie,  note  32). 

(2)  Il  s'agit  de  l'abbaye  dénommée  plus  tard  Saint  Léopold  et  dont 
le  duc  Henri  demanda  la  fondation  ^i  Paul  V  en  161  i-.  Le  Pape  accorda 
ce  qu'on  demandait  le  29  décembre  1616.  En  1617,  on  commença  le 
mur  de  clôture  ;  mais,  à  cause  de  l'opposition  faite  par  les  bourgeois, 
les  travaux  ne  furent  repris  sérieusement  qu'en  1626.  Cf  D.  Calmbt, 
f^oiice  de  la  Lorraine ^  art.  Nancy  [Bénédictins). 


partisans  de  la  réforme.  On  n'était  pas,  en  effet,  sans  re- 
marquer le  changement  rapide  survenu  dans  les  disposi- 
tions du  roi,  jaloux  et  craintif  pour  son  autorité  quelques 
années  auparavant,  et  devenu,  presque  sans  transition,  un 
zélé  défenseur  de  ce  qu'il  prohibait  alors  par  lui-même  ou 
par  ses  officiers.  On  peut  attribuer  une  partie  de  ce 
revirement  à  l'essai  si  heureusement  tenté  à  Cluny,  et  en 
renvoyer  la  gloire  à  Dom  Laurent  Bénard,  dont  le  tact  et 
la  ferme  constance  avaient  grandement  aidé  Dom  Didier  de 
la  Cour  dans  cette  circonstance.  De  Cluny  était  partie  la 
réforme  de  Limoges  et  de  Noaillé;  de  Cluny,  elle  rayonna 
également  vers  la  Normandie,  où  elle  pénétra  grâce  à  une 
rencontre  inattendue  et  providentielle. 

Dans  le  courant  de  l'année  1615,  Dom  Adrien  ï^nglois, 
moine  de  la  célèbre  abbaye  de  Jumièges  (1),  était  venu  à 
Paris  pour  traiter  diverses  affaires.  Etant  entré  dans 
l'église  du  collège  de  Cluny  pour  y  dire  plus  tranquille- 
ment son  office,  il  y  trouva  quelques  religieux  réformés, 
dont  la  gravité  et  la  modestie  le  frappèrent.  11  s'informa 
de  leur  Congrégation  et  apprit  tout  ce  qui  s'était  passé  déjà 
pour  la  résurrection  de  l'ordre,  soit  en  Lorraine,  soit  en 
France.  Emu  jusqu'aux  larmes  par  le  récit  qu'on  lui  fai- 
sait, il  alla  trouver  Dora  Bénard,  qui  acheva  de  l'enthou- 
siasmer pour  la  nouvelle  observance  ;  Dom  I^nglois 
résolut  de  travailler  de  tout  son  pouvoir  à  l'introduire 
dans  son  abbaye. 

De  grands  obstacles  s'y  opposaient,  principalement:  la 
défense  faite  par  le  Parlement,  en  1607,  d'appeler  à 
Jumièges  des  moinéîs  étrangers  sous  prétexte  de  réforme; 
lesantiques  usages  du  monastère,  auxquels  les  religieux 
refusaient  de  renoncer  ;  le  peu  de  connaissance  des 
moines  de  Jumièges  dans  les  sciences  ecclésiastiques  ; 

(1)  L'abbaye  de  Saint-Pierro  de  Jumièges  romonle  au  vu'  siècle, 
époque  il  laquelle  (c.  6i)Û|  saint  Philibert  en  Jeta  les  fondements  sous 
Clovis  II  et  en  (ut  le  premier  abbé. 


enfin,  l'absence  en  Normandie  d'une  abbaye  bien  disci- 
plinée. 

Dom  Langlois,  élu  prieur  à  peu  de  temps  de  là,  n'en  pensa 
pas  moins  à  son  projet  et  alla  en  conférer  avec  l'archevêque 
de  Rouen  (1).  Celui-ci  vint  à  Jumièges  le  6  avril  1616,  et 
constata  tout  d'abord  que  le  maître  des  novices  titulaire 
était  curé  d'une  paroisse  et  ne  pouvait  ainsi  s'occuper  des 
jeunes  religieux.  Il  en  prit  occasion  de  persuader  les 
moines,  rassemblés  par  lui  au  Chapitre,  de  la  nécessité 
d'une  formation  sérieuse  pour  les  novices,  et  leur  proposa 
de  demander  deux  moines  lorrains  qui  pussent  subvenir 
à  cette  charge.  Les  moines  y  consentirent,  et  lui  don- 
nèrent acte  écrit  et  signé  de  leur  acquiescement,  refusant 
toutefois  l'union  de  leur  abbaye  à  la  Congrégation  lor- 
raine. 

Les  délégués,  aussitôt  envoyés  à  Saint-Vannes,  où  ils 
furent  accueillis  avec  joie  par  Dom  Didier  de  la  Cour,  lui 
exposèrent  le  but  de  leur  mission  et  obtinrent  deux  moi- 
nes, Dom  Anselme  Rolle  et  Dom  Maur  Tassin,  qu'ils  em- 
menèrent aussitôt.  Placés  à  la  tête  du  noviciat,  les  deux 
Vannistes  y  réussirent  parfaitement  et  rallièrent  à  la 
réforme  les  opposants  de  Jumièges.  Bientôt  après,  la 
réforme  fut  résolue  ;  acte  en  fut  dressé,  sans  cependant 
aucune  mention  de  la  Congrégation  lorraine,  afin  de  ne  pas 
éveiller  les  susceptibilités  du  Parlement  de  Normandie. 
Les  moines  déclaraient  s'unir—  autant  que  possible  —aux 
monastères  de  Noaillé,  Limoges,  etc.  Malgré  cette  précau- 
tion, le  Parlement  s'émut  et  chercha  à  inquiéter  les  réfor- 
més ;  ses  tentatives  furent  vaines,  l'œuvre  subsista  (2). 

Louis  XIII,  cette  même  année,  renouvela  l'assurance  de 
sa  protection  envers  la  Congrégation  de  Saint- Vannes,  en 
évoquant,  par  ses  lettres  patentes  du  28  octobre  1616,  toutes 
les  causes  de  cette  Congrégation  à  son  Grand  Conseil.  Ces 

(1)  François  do  Harlay. 

(2]  D.  MfeoE,  Annales,  anno  1615-1616. 


—  470  - 

lettres  reconnaissaient,  comme  réformées  en  France,  les 
abbayes  de  Beaulieu  en  Argonne.  Saint- Augustin  de  Limo- 
ges, Saint-Julien  de  Noaillé,  Jumièges  et  le  Collège  de 
Cluny  à  Paris  (1). 

Dom  Didier  de  la  Cour,  tout  en  suivant  avec  bonheur  ce 
développement  inespéré  de  la  réforme,  ne  laissait  pas  d'être 
très  attentif  à  ce  que  Tesprit  initial  qui  avait  animé  son 
œuvre  se  gardât  dans  toute  son  intégrité,  et  ceux  qui  le 
secondaient  dans  Tadministration  de  la  Congrégation  par- 
tageaient les  mêmes  préoccupations.  Nous  en  avons  la 
preuve  dans  les  ordonnances  successives  des  Chapitres 
généraux,  qui,  moins  attentifs  aux  détails  si  importants  au 
début,  sentent  la  nécsssité  de  fortifier  les  points  essentiels 
des  constitutions,  et  ne  craignent  pas  d'y  revenir  davan- 
tage et  d'une  manière  plus  rigoureuse,  à  mesure  que  la 
Congrégation  s'étend  au  loin.  Des  relations  nouvelles  se 
créent,  les  visites  des  étrangers  se  multiplient  ;  il  y  a  là  un 
péril  pour  l'esprit  religieux  et  pour  l'observation  de  la 
règle.  Le  Chapitre  général  de  1616,  après  avoir  conGrmé 
les  ordonnances  du  précédent,  rappelle  aux  supérieurs  le 
devoir  qu'ils  ont  de  veiller  à  l'observance,  spécialement  au 
silence,  aux  sorties,  aux  pertes  de  temps  ;  ils  les  veut  très 
attentifs  pour  les  permissions  à  donner  aux  moines,  quand 
il  s'agit  de  prendre  des  repas  avec  les  étrangers,  séculiers 
ou  réguliers,  ou  de  converser  avec  eux  (art.  1).  Il  leur  pres- 
crit la  sévérité  à  l'égard  des  rebelles,  des  désobéissants,  et, 
au  cas  où  ceux-ci  manifesteraient  du  mépris  pour  les  puni- 
tions  qu'ils  auront  jugé  bon  de  donner,  les  supérieurs 
locaux  devront,  du  conseil  des  Anciens,  en  référer  aux 
Supérieurs  majeurs.  11  ordonne  que,  là  où  elles  n'existent 
pas,  on  crée  des  cellules  ou  prisons  monastiques  (art.  2). 
A  l'égard  des  conversations  sur  les  défauts  des  personnages 
du  temps,  le  Chapitre  accentue  les  défenses  et  les  peines 

(I)  Aroh.  nat.    G'J.  533.  Histoire  abrégée,  etc. 


—  471  — 

déjà  établies  contre  les  délinquants  incorrigibles  (art.  3). 
Les  Supérieurs  n'approuveront  les  jeunes  religieux  pour 
la  prédication,  que  lorsque  ceux-ci  en  auront  fait  un  long 
exercice  en  présence  des  anciens  du  monastère  (art.  5) . 
Enfin,  les  Visiteurs  auront  soin  que  leurs  ordonnances 
soient  mises  en  pratique  avant  leur  départ  du  monastère 
où  ils  les  auront  portées  (1). 

En  1617,  le  Chapitre  régla  quelques  points  de  liturgie 
concernant  ou  bien  diverses  fêtes  :  saint  François  (art.  1), 
TExaltation  de  la  Sainte-Croix,  dans  laquelle  le  jeûne  doit 
être  observé,  à  moins  que  cette  fête  ne  soit  celle  du  patron 
ou  du  titulaire  de  l'abbaye  (art.  7),  ou  les  anniversaires 
des  défunts  (art.  2  et  3).  Il  défend  l'accès  de  la  cuisine  à 
tous  les  moines,  qui  devront  prendre  en  silence  au  réfec- 
toire tout  ce  que  la  règle  ou  l'autorité  leur  permettent  de 
prendre  hors  des  repas. 

(1)  Au  Chapitre  général,  les  Déûniteurs  eurent  un  assez  grand  nom- 
bre de  questions  à  résoudre  sur  l'interprétation  de  divers  points  des 
constitutions.  Ces  quesUons  étant  ou  locales  ou  de  peu  d'importance, 
nous  n'avons  pas  cru  nécessaire  de  les  rapporter  dans  ce  travail,  des- 
tiné à  suivre  le  développement  et  l'adaptation  des  articles  généraux 
empruntés  aux  constitutions  cassinicnnes,  base  des  constitutions  de 
Saint- Vannes.  II  y  a  bien  dans,  ces  décrets,  de  nombreux  articles  qui 
s'adressent  plutôt  au  cérémonial  ou  aucoutumier  qu'aux  constitu- 
tions ;  nous  les  avons  respectés  pour  ne  pas  ébrécher  par  trop  l'en-* 
semble  des  décisions  capitulaires. 


CHAPITRE  VI 

La  réforme  lorraine  désirée  hors  de  France,  spécialement  en  Belgique  : 
origines  de  la  Congrégation  de  la  Présentation  de  Notre-Dame.  —  Ereo 
tion  de  la  Congrégation  gallicane  parisienne,  1618.  —  Chapitre  géné- 
ral de  1618.  —  Réforme  de  Scnones  et  de  Salnt-Arnould  de  Metz.  — 
Réforme  du  Breuil.  —  Chapitre  général  do  1630  et  1621.  ~  Réforme 
de  Saint-Remy  de  Reims  et  de  Moircmont  —  Projet  de  retraite  de 
Dom  Didier  de  la  Cour  :  ses  travaux,  sa  sollicitude  pour  les  études.  — 
Règlements  édictés  à  ce  sujet  par  le  Chapitre  de  1622.  —  Dom  Didier 
de  la  Cour  se  prépare  ô  la  mort.  —  Réforme  du  Saint-Mont,  1^3.  — 
Maladie  et  mort  du  Réformateur.  —  Conclusion. 

Bien  que  nous  ne  puissions  ici  exposer  dans  le  détail 
tout  ce  qui  sortit  de  la  réforme  lorraine  et  de  l'œuvre  de 
Dom  Didier  de  la  Cour,  nous  ne  croirions  pas  avoir  rendu 
suffisamment  hommage  à  ses  mérites,  si  nous  ne  signalions 
pas  l'influence  heureuse  qu'elle  eut,  même  au  loin,  sur  des 
provinces  étrangères  à  la  France. 

De  Souabe  et  de  Bavière  on  vint  consulter  le  prieur  de 
Saint-Vannes  pour  l'érection  des  Congrégations  bénédic- 
tines qui  y  renaissaient.  Du  Mont  Cassin,  le  Président  delà 
Congrégation  de  Sainte  Justine  s'intéressait  aux  bénédic- 
tins d'Angleterre,  et  demandait  à  Dom  Didier  de  la  Cour 
de  vouloir  bien  admettre,  dans  les  noviciats  lorrains,  des 
moines  anglais,  qui  ensuite  iraient  travailler  aux  missions 
de  leur  pays,  ce  qui  lui  fut  accordé  facilement  (l).  La  Bel- 
gique, si  proche  de  la  Lorraine,  devait  principalement  res- 
sentir l'heureuse  influence  de  la  réforme  de  Saint- Vannes. 
Deux  abbés  belges,  ceux  de  Saint-Hubert  en  Ardennes  et 
de  Saint-Denis  près  de  Mons  en  Hainaut,  conçurent  le  pro- 
jet d'introduire  l'observance  de  Lorraine  dans  leurs  mo- 
nastères et  même,  si  c'était  possible,  de  les  unir  à  la  Gon- 

(1)  D.  Calmet,  Bipl,  lorr.,  art.  François. 


à 

I 


—  473  - 

grégation  nouvelle.  Ils  comptaient  sans  le  gouvernement 
et  sans  les  évêques  (1). 

Nicolas  Fanson,  moine  de  Saint-Hubert  (2),  religieux  à 
la  fois  très  savant  et  très  attaché  aux  pratiques  de  la  régu- 
larité^ rêvait  une  vie  plus  austère  que  celle  de  son  abbaye, 
où  cependant  régnait  une  bonne  observance.  Il  pensa  à 
entrer  cliez  les  Chartreux  et  fit  part  de  son  projet  à  Tun  de 
ses  confrères,  Dom  Louis  Viset,  qui  l'eu  détourna,  en  lui 
laissant  espérer  pour  Tabbaye  une  réforme  salutaire,  et  en 
lui  faisant  part  de  son  désir  d'entrer  à  Saint  Vaones.  L'un 
et  l'autre  sollicitèrent  leur  admission  dans  la  Congréga- 
tion lorraine.  C'est  alors  que  Jean  de  Masbourg,  abbé  de 
Saint-Hubert,  étant  mort  inopinément,  le  29  janvier  1611, 
Dom  Fanson  fut  élu  pour  son  successeur.  Aussitôt  après  sa 
bénédiction,  le  nouvel  abbé  mit  la  main  à  l'œuvre  de  la 
réforme,  en  commençant  par  retrancher  certains  abus  qui 
existaient  encore. 

Au  début  de  l'année  1612,  il  envoya  Dom  Viset  à  Verdun, 
sans  avouer  aux  moines  le  but  de  cette  mission.  Ils  furent 
bien  étonnés  quand,  l'année  suivante,  ils  virent  leur 
confrère  rentrer  parmi  eux  et  recevoir  la  charge  de  sous- 
prieur  (août  1613).  L'intention  de  l'abbé  se  fit  manifeste 
alors,  mais  cette  manière  de  procéder  à  la  dérobée  lui 
avait  aliéné  les  esprits  ;  il  dut  s'appuyer  sur  l'autorité  du 
nonce,  Antoine  Albergati,  qui  lui  écrivit  en  faveur  de  son 
projet  le  20  avril  1614,  et  sur  l'intervention  du  Prince-Evô- 
que  de  Liège  qui  vint  faire  la  visite  à  Saint-Hubert,  pour 
ramener  la  paix  parmi  ses  moines. 


(1)  Dom  Ursmer  Bcrlière  a  écrit  l'histoire  de  cotte  réforme  de  la 
Présentation  de  Notre-Dame,  faussement  appelée,  par  divers  auteurs, 
Réforme  de  Saint-Placide.  V.  Siuiien  und  MiiUieil.  aus  dem  bene- 
dictiner  Orden,  4886,  pp.  414-432,  et  Revue  bénédictine,  années  1896  et 
1897. 

(2)  Nicolas  Fanson,  né  en  1575,  avait  été  tout  d'abord  attaché  au 
service  do  l'abbé  de  Saint-Hubert  ;  en  1608,  il  avait  demandé  son 
admission  dans  la  communauté. 

31 


—  474  — 

Après  le  départ  du  prélat,  Tabbé  Faason  écarta  quelques 
religieux  opposants  et  reçut  quatre  postulants  qu'il  confw 
à  Dom  Vise  t.  Non  content  de  cela,  il  obtint  de  Paul  V,  en 
date  du  11  avril  1613,  un  bref  lui  accordant  libre  recours 
au  Saint-Siège  contre  quiconque  voudrait  s'opposer  à  son 
louable  désir  de  réforme  (i).  Fort  de  ce  document,  sans 
tenir  compte  de  la  juridiction  épiscopale,  dont  l'abbaye 
n'était  pas  exempte,  l'abbé  appela  les  Supérieurs  de  Lor- 
raine pour  introduire  la  réforme.  Cette  précipitation  com- 
promit tout.  Les  Supérieurs  de  Lorraine,  venus  à  Saint 
Hubert,  s'y  heurtèrent  à  une  vive  opposition  des  religieux 
anciens  qui,  dispersés  dans  les  prieurés  dépendants  de 
l'abbaye,  étaient  rentrés  dans  celle-ci  à  la  nouvelle  de 
l'arrivée  des  moines  étrangers,  et  y  revendiquaient  ferme- 
ment leurs  droits  capitulaires.  L'abbé  dut  céder  et  les 
Supérieurs  de  Lorraine,  se  retirer. 

Le  Prince-Evôque  reprit  cependant  l'œuvre  de  Dom  Fan- 
son,  et,  après  plusieurs  visites  et  conférences,  un  accord 
fut  dressé  entre  l'abbé  et  ses  moines  (le  21  avril  1618).  Il 
y  était  décidé  que  le  noviciat  maintenu  à  Saint-Hubert 
serait  confié  aux  Pères  réformés,  que  les  moines  anciens 
seraient  libres  de  vivre  selon  les  anciennes  traditions  du 
monastère,  suppression  faite  de  certains  abus,  que  les  nou- 
veaux profès  émettraient  leurs  vœux  selon  la  réforme  et 
qu'enfin  l'abbé  pourvoirait  à  l'entretien  des  moines  qu'il 
enverrait  dans  les  prieurés,  lesquels  moines  y  conserve- 
raient leur  voix  active  et  passive  pour  les  élections  du  Cha- 
pitre de  l'abbaye.  Les  conflits  seraient  désormais  portés 
devant  l'Ordinaire,  qui  en  serait  juge  (2). 

Le  14  juin  suivant,  deux  Pères  de  Lorraine  arrivèrent  en 


(I)  Dom  Ursmer  Bcrlière  a  publié  ce  bref,  avec  la  \eV  jo  Bellar- 
min  le  transmettant  à  son  destinataire.  Le  cardinal  c  /  excuse  de 
n'avoir  pu  obtenir  du  Pape  la  peine  de  l'excommunication  contre  les 
opposants  de  la  réforme.  Revue  bénédictine^  juin  1896. 

•^2)  Revue  bénédictine,  loc.  cit. 


-  475  — 

Belgique  et  six  postulants  reçurent  Thabit  de  la  réforme  à 
Saint-Hubert. 

De  Saint-Hubert  la  réforme  passa  à  Saint-Denis,  où  un 
noviciat  fut  érigé  sous  la  direction  des  Vannistes  (1),  à 
Saint-Adrien  de  Grammont  (2),  à  Afflighem  (3),  et  ces 
diverses  abbayes  (à  l'exception  de  Saint-Hubert,  soumise  à 
rOrdinaire),  en  suite  du  concordat  signé  à  Afilighem  le  26 
août  1628,  formèrent  la  Congrégation  de  la  Présentation 
de  Notre  Dame  (4). 

En  France,  on  pensait  sérieusement  à  Térection  d'une 
Congrégation.  Au  point  de  vue  de  Tunité  de  gouverne- 
ment, les  monastères  éloignés  offraient  de  véritables  diffi- 
cultés. Dans  plusieurs  il  n'avait  pas  été  question  des  Supé- 
rieurs lorrains,  soit  pour  ménager  la  susceptibilité  des 
religieux,  soit  pour  ne  pas  attirer  l'attention  des  Parle- 
ments provinciaux.  D'autre  part,  Dom  Didier  de  la  Cour  et 
ceux  qui  partageaient  avec  lui  la  responsabilité  du  Régi- 
me ne  pouvaient  se  désister  d'une  surveillance  nécessaire 
sur  les  maisons  qui  adoptaient  leur  observance,  et  où  plu- 
sieurs de  leurs  sujets  se  trouvaient  établis.  Enfin,  l'exten- 
sion de  la  réforme  en  France  trouverait,  à  la  longue,  des 
obstacles  dans  la  sujétion  à  une  autorité  étrangère. 

fl)  Le  noviciat  avait  été  confié  à  Dom  Maihias  Pothier  d'abord,  puis 
à  Dom  Cliarles  Cuny,  profès  de  Moyenmoulier,  le  6  mai  1612.  Dom  Cuny, 
qui  avait  travaillé  ^i  la  réforme  de  Saint-Remy  de  Reims,  fut  envoyé 
de  là  .'i  Saint-Denis  en  Broqucroie.  Plus  tard  il  dirigea  le  noviciat 
d'Afflighem  et  remplit  à  plusieurs  reprises  les  charges  de  Visiteur  et 
de  secrétaire  dans  la  Congrégation  belge.  Il  mourut  à  Saint-Adrien  de 
Grammont,  le  7  décembre  1641.  Revue  bénédtcline,  novembre  1896.  La 
réforme  fut  introduite  en  1623  k  Saint-Denis  et,  le  2*«  mars  162j,  Dom 
Mathias  Pothier  y  reçut,  au  nom  de  l'archevêque  de  Cambrai^  la  pro- 
fession des  réformes. 

(2)  1627. 

(3)  1627. 

(4)  Le  noviciat  se  fit  dans  ces  divers  monastères  avec  les  Exercices 
spiritveh  de  Dom  Philippe  François,  dont  on  imprima  en  1626  une 
édition  aux  frais  des  abbayes  do  Saint-Denys  et  de  Saint-Hubert. 
Revue  bénédictine^  loc.  cit. 


—  476  — 

Toutes  ces  considérations  amenèrent  le  Chapitre  général 
tenu  à  Saint  Mansuy  de  Toul,  sous  la  présidence  de  l'évé- 
que  (1),  au  commencement  de  mai  1618,  à  formuler  le 
désir  de  voir  les  monastères  de  France  s'unir  entre  eux  : 
les  moines  lorrains  ne  cesseraient  pas  pour  cela  de  prêter 
leur  concours  au  rétablissement  de  la  discipline  et  du 
véritable  esprit  monastique,  là  où  on  les  appellerait. 
Aussitôt  après  ce  Chapitre,  Dom  Laurent  Bénard,  prieur 
du  Collège  de  Cluny,  et  Dom  Anselme  Rolle,  de  retour 
à  Paris,  tinrent  une  assemblée  des  Supérieurs  des  monas- 
tères réformés  de  France,  et  se  formèrent  en  Congrégation 
sous  le  titre  provisoire  de  gallicane  parisienve  (2). 

Dom  Laurent  Bénard  fut  nommé  Procureur,  et  chargé,  à 
ce  titre,  des  démarches  à  faire  en  cour  de  Rome  et  auprès 
du  roi,  pour  Térection  canonique  et  légale  de  la  Congré- 
gation. Il  fit  le  serment  d'obéir  à  la  nouvelle  Congrégation, 
réserve  faite  des  autres  vœux  à  émettre  plus  tard.  L'assem- 
blée décida  enfin  qu'on  ferait  droit  à  la  demande  de  réfor- 
me de  l'abbé  de  Saint-Germain  des  Prés  (3),  à  condition 
qu'il  remettrait  les  bâtiments  en  état  convenable  (4). 

Le  roi  ne  tarda  pas  à  donner  les  lettres  patentes  d'érec- 
tion légale  de  la  nouvelle  Congrégation,  et  le  premier 
Chapitre  général  des  Supérieurs  qui  en  faisaient  partie,  se 

(i)  Mgr  des  Porcelets  de  Maillane,  abbé  commendataire  de  Saint- 
Mansuy,  dont  le  dévouement  envers  les  Bénédictins  n'avait  point  faibli 
un  instant.  D.  Rhételois,  op.  cit.^  t.  IV,  eh.  12,  p.  7. 

(2)  D.  MfeGE,  op.  cit.,  ad  a.  1618  ;  cf.  D.  Haudiqubr,  op.  cit. y  p.  235. 

(3)  Depuis  plusieurs  annéos,  les  moines  de  Saint-Germain  des  Prés 
avaient  demandé  aux  Bénédictins  de  Lorraine  de  leur  envoyer  quelques 
religieux  pour  introduire  la  réforme.  Le  nonce  de  France  s'était  entre- 
mis, sur  la  fin  de  1613,  pour  obtenir  cette  réforme,  sur  le  désir  de  la 
reine  qui,  peu  de  temps  après,  en  mai  1614,  écrivit  elle-même  au  Pape 
dans  ce  sens. 

Cf.  Bibl.  Ângcllca,  1224,  Lettre  du  22  décembre  1613  au  Nonce  de 
France.  Voir  aussi  la  lettre  de  la  reine  au  Pape  dans  Revue  bénèdtc- 
tine,  janvier  1901  :  La  Congrégation  de  Chezal- Benoît,  par  Dom  U.  Ber- 
.lièrc. 

(4)  1618. 


—  477  — 

réunit  au  monastère  des  Blancs  Manteaux  (1),  le  2  novem 
bre  de  cette  môme  année  1618  (2),  sous  la  présidence  de 
Dom  Claude  François,  délégué  de  Saint-Vannes. 

Le  monastère  choisi  pour  le  lieu  du  Chapitre  venait 
d'entrer  depuis  peu  dans  la  voie  de  la  réforme  ;  il  était  la 
première  conquête  des  moines  réformés  de  France,  qui,  en 
quelques  années,  occupèrent  quarante-cinq  maisons  divi- 
sées en  trois  provinces  :  France,  Aquitaine.  Bretagne. 

Ce  ne  fut  cependant  qu'en  1621,  par  ses  bulles  du  17  mai, 
que  le  pape  Grégoire  XV  érigea  canoniquement  la  Congré- 
gation gallicane,  devenue  depuis  la  Congrégation  de  Saint- 

(1)  Ce  monastère,  ainsi  appelé  à  cau^e  des  manteaux  blancs  que  por- 
taient les  premiers  religieux,  dont  le  véritable  nom  était  Sei'vites  ou 
Serviteurs  de  la  Vierge,  abolis  en  1297  par  le  Concile  de  Lyon,  avait  été 
fondé  en  1252  II  passa  aux  Guillelmites,  qui  le  conservèrent  jusqu'à  la 
réforme.  A  ce  moment,  il  était  dans  un  triste  état  temporel  et  spiri- 
tuel ;  en  vain,  le  provincial  de  Flandre,  Dom  Etienne  Léomel,  avait-il 
essayé  de  relever  l'observance  dos  religieux.  Ceux-ci,  pour  lui  échap- 
per et  éluder  ses  décrets,  firent  des  démarches  en  vue  de  céder  leur 
monastère  aux  Fouillants  :  l'acte  était  rédigé,  mais  le  mnltre  des  sceaux, 
M.  Brulart,  qui  avait  quelque  droit  en  l'église  des  Blancs- Manteaux, 
où  ses  parente  étaient  enterrés,  refusa  de  sceller  le  contrat  et  dénonça 
les  intrigues  de  l'atlalre  au  IVésident  Mole.  Celui-ci  fit  venir  l'un  des 
religieux,  D.  Wespereau,  lequel  autrefois  avait  étudié  à  Verdun  et  pos- 
tulé l'entrée  à  Saint-Vannes,  et  lui  demanda  quelles  étaient  les  causes 
de  ces  intrigues  et  quel  remède  il  serait  opportun  d'y  apporter.  Dom 
Wespereau  n'hésita  pas  :  il  conseilla  de  faire  venir  des  moines  van- 
nistps.  M.  Mole  entra  dans  ses  vues;  les  Guillelmites  eurent  beau 
s'agiter,  ils  leur  fallut  accepter,  pour  ne  point  passer  par  les  enquêtes 
dont  leurs  scandales  passés  les  menaçaient.  Les  GulUelmites  belges  se 
retirèrent;  des  moines  furent  envoyés  il  D.  Martin  Tesnière,  prieur  de 
Sainl-Faron,  le  priant  d'agréger  à  la  nouvelle  Congrégation  le  monas- 
tère des  Blancs-.Manteaux.  L'acte  d'union  fut  signé  le  '2  septembre  1618. 

ri)  Anno  Domini  millesimo  sexcentesimo  decimo  octavo,  die  2'»  novera- 
bris,  convenerunt  in  monaslerio  .-VIborum  Mantellorum  Patres  Bene- 
dictini  monasterii  S.  Auguslini  Lemovicensis,  S.  Justiniani  Nobiliacen- 
sls,  Collegli  Cluniacensis,  S.  FaronIs  Meldcnsis,  S.  IVtri  Gcmmeticensis 
et  Alborum  Mantellorum  in  prœsenlia  R.  P.  Claudii  Francisci  Prioris 
S.  Michaêlis  a  Si"  Michaêle  in  Lotharingia,  deputali  a  Congregationo 
SS.  Vitoni  et  Hydiilphi,  ut  darent  initium  Congregationi  GalliciE  Pari- 
siensi  ubi  elecli  sunt  in  Superlores  regiminis  :  Supcrior,  D.  Martinus 
Tesnière  ;  Coadjutoros  Superioris,  1).  Laurentius  Benard,  D.  .Vnselmus 
Rolle.  Bibl.  nat.,  Lat.,  1.38')2,  EI»'Cliones  Capitul  )rum  Generalium  Con- 
gregationis  S.  Maurî. 


—  478  - 

Maur,  la  rendant  participante  des  privilèges  de  celles  du 
Monl-Cassin  et  de  Sainl-Vannes. 

Le  Chapitre  de  Saint-Mansuy,  en  consentant  à  détacher 
de  la  Congrégation  vanniste  les  monastères  de  France, 
réservait  son  droit  sur  les  moines  employés  à  la  réforme  et 
momentanément  envoyés  hors  de  Lorraine  ;  il  renouvela 
le  mandat  de  ces  religieux,  dont  la  plupart  revinrent,  dans 
la  suite,  au  berceau  de  leur  profession.  Seuls,  les  religieux 
originaires  de  France  se  stabilisèrent  pour  la  plupart  dans 
les  nouveaux  monastères  du  royaume.  Les  rapports  offi- 
ciels entre  les  deux  Congrégations  ne  cessèrent  que  lorsque 
celle  de  Saint-Maur  fut  assez  forte  pour  se  suffire;  mais, 
pendant  près  de  dix  années,  il  y  eut  toujours  un  moine 
lorrain,  comme  représentant  de  la  Congrégation  de  Saint- 
Vannes,  aux  Chapitres  généraux  français. 

Parmi  les  quelques  ordonnances  de  1618,  notons  celle 
qui  recommande  aux  Supérieurs  d'exiger  (là  où  cela  se 
pourra  facilement)  des  parents  des  novices,  avant  la  pro- 
fession de  ceux-ci,  le  serment  de  protéger  en  toute  circons- 
tance la  Congrégation  et  d'avertir  les  Supérieurs  de  ce 
qui  serait  de  nature  à  les  intéresser  pour  leur  gouverne- 
ment (art.  1).  La  réception  des  novices  ne  se  fera  qu'après 
la  visite  du  médecin  (art.  4),  ainsi  qu'il  a  déjà  été  ordonné. 
En  l'absence  du  Supérieur,  le  moine  choisi  par  lui  sera  le 
dépositaire  de  l'autorité  (art.  o).  Quand  les  religieux  iront 
en  voyage,  le  supérieur  devra  leur  remettre,  avec  des  lettres 
testimoniales,  tout  ce  qui  leur  sera  nécessaire  pour  la 
route  (art.  2). 

Le  Chapitre  avait  également  enregistré  l'union  de 
l'abbaye  de  Senones  qui,  après  bien  des  luttes  et  des  diffi- 
cultés, avait  fini  par  laisser  pénétrer  des  moines  de  Saint- 
Vannes  (26  mars  1618).  Un  accord  avait  été  signé  entre  les 
anciens  et  les  réformés,  mais  les  premiers  ne  tardèrent 
pas  à  se  repentir  de  l'acquiescement  donné  par  eux  à  la 
volonté  de  Tévèque  de  Toul.  Une  requête  fut  envoyée  à 


■     —  479  — 

Rome  à  la  Sacrée  Congrégation  des  Evoques  et  Réguliers, 
pour  la  supplier  d'ordonner  audit  prélat,  a  lequel  a  intro- 
duit des  moines  réformés  dans  le  monastère  de  Senones 
sans  Tautorisation  du  Saint-Siège  et  sans  le  consente- 
ment de  l'abbé  »,  de  rappeler  ces  moines  et  de  les  ren- 
voyer dans  leurs  monastères  respectifs.  Il  était  demandé, 
en  outre,  que,  selon  le  contrat  dressé,  les  revenus  dont  les 
anciens  durent  rendre  compte  depuis  1603,  fussent  mis  en 
commun  et  ne  fussent  pas  consacrés  aux  seuls  réformés  (1). 

La  Sacrée  Congrégation  répondit,  en  date  du  9  octobre 
1618,  de  «  garder  la  teneur  deTaccord  ».  Or,  comme  elle  ne 
parlait  pas  du  renvoi  des  réformés,  une  nouvelle  supplique 
lui  fut  adressée,  insistant  sur  ce  point  que  les  moines  intro- 
duits mettaient,  par  leur  manière  de  vivre  particulière,  le 
désordre  dans  la  maison,  et  refusaient  Tobéissance  à 
l'abbé.  Rome  renouvela  sa  réponse  du  9  octobre,  «  de  garder 
la  teneur  de  l'accord  selon  le  décret  précédent  (2,  »  (16  no- 
vembre 1618).  Les  moines  ne  revinrent  pas  à  la  charge.    . 

Un  mois  après  cette  réponse  pour  Senones,  le  22  décem- 
bre, l'évêque  de  Toul  recevait  un  bref  lui  ordonnant  d'in- 
troduire la  réforme  dans  le  monastère  de  Saint-Arnould 
de  Metz  (3).  A  son  défaut,  l'exécuteur  du  bref  devait  être 
N.  Coëffeteau,  évêque  de  Dardanie  et  suflragant  de  Metz. 

(1)  Arch.  Gong.  Ev.  et  R<''g.,  ad  a.  i618,  lettre  T. 

(2)  Ibid. 

(3)  Paul  V,  en  ordonnant  la  réforme  de  l'abbaye,  laissait  les  moines 
libres  de  l'accepter  :  ceux  qui  l'adopteraient  auraient  droit  de  voix 
active  et  passive;  les  autres,  de  voix  active  seulement.  En  cas  d'insufTi- 
sance  de  religieux,  on  en  ferait  venir  d'autres  monastères,  et  ces  moines 
auraient  à  Saint-Arnould  les  mômes  droits  que  ceux  dont  ils  auraient 
joui  dans  leur  monastère  de  profession.  Les  novices  seraient  congédiés, 
ou,  s'ils  voulaient  accepter  la  réforme,  ils  seraient  envoyés  dans  des 
monastères  de  réformés  pour  y  achever  lour  noviciat  et  y  faire  leur 
profession  selon  la  nouv-^lle  observance  :  aucun  post'ilant  ne  serait 
admis  désormais  sans  promettre  do  vivre  selon  la  réforme.  Quant  aux 
abbés,  ils  seraient  nommés  selon  le  nouveau  régime,. si  l'abbaye  l'ac- 
cepte; sinon,  leur  nomination  reviendrait  au  Saint-Siège.  Enfin,  les 
opposants  devraient  être  réduits  à  l'acceptation  par  les  peines  du 
droit.  Le  bref  était  signé  de  Sainte-Marie-Majeure. 


—  480  — 

La  primitive  église  de  Tabbaye  de  Saint-Arnoul,  consa- 
crée en  rhonneur  de  saint  Jean  TEvangéliste,  et  détruite 
vers  le  milieu  du  v*  siècle,  avait  été  rebâtie  parl'évêque  de 
Metz  saint  Goëric,  qui  y  avait  fait  apporter  le  corps  de  son 
prédécesseur  saint  Arnoul,  mort  au  Saint-Mont  près  de 
Remireraont.  Ce  fut  l'origine  de  son  nom.  L'évèque  y 
plaça  des  chanoines,  qui  y  demeurèrent  jusqu'au  milieu 
du  x«  siècle,  époque  où,  leur  ferveur  s'étant  relâchée, 
Adalbéron  les  remplaça  par  des  Bénédictins.  Le  premier 
abbé  du  nouveau  monastère  fut  Arbert  ou  Héribert,  moine 
de  Gorze,  en  941.  La  fondation  fut  confirmée  par  l'empe- 
reur Othon  à  deux  reprises,  en  941  et  949,  et  le  pape 
Léon  IX  fit  au  siècle  suivant  (1049)  la  dédicace  de  la  nou- 
velle  église,  qui  devint  le  tombeau  de  nombreux  prin- 
ces (1). 

Jusqu'en  1552,  l'abbaye  royale  de  Saint-Arnoul  fut  flo- 
rissante, au  point  de  vue  temporel  du  moins  (2),  car,  à 
plusieurs  reprises,  des  tentatives  de  réforme  durent  y  être 
faites  (3).  Mais,  au  moment  des  guerres  du  xvi^  siècle,  le 
gouverneur  de  Metz,  François  de  Guise,  après  avoir  trans- 
porté les  corps  des  saints  et  des  princes,  de  l'église  de 
Saint-Arnoul  dans  celle  des  Dominicains,  y  fixa  égale- 
ment les  Bénédictins,  et  fit  raser  leur  église  et  leur  monas 

(1)  D.  Calmet,  Notice  de  la  Lorraine,  art.  Metz ^  Suint- Arnould, 

(2)  Elle  était  cotée  à  7,000  livres  au  Poulllô  général  :  Bibl.  nat., 
Moreau,  783-4.  A  Rome,  elle  était  taxée  à  i,400  Oorins.  Bibi.  ang.,  112, 
TaxsB  monasteriorum. 

(3)  Nous  avons  déjù  parlé  de  ces  essais  infructueux,  particulièrement 
de  ceux  d'Adhémar  de  Montcil,  évoque  de  Metz,  en  1332,  et  de  son 
successeur,  Conrad  Bayer  de  Boppart,  en  1433,  lequel  rédigea  quelques 
statuts,  de  concert  avec  Tabbé  de  Saint-Mathias  de  TH^ives,  Jean  de 
Rhodes,  «  personnage  fort  vertueux  et  lequel  avait  été  auteur  de  la 
Congrégation  réformée  de  Bursfold  en  Allemagne  ».  Un  nouvel  essai,  à 
la  fin  du  même  siècle,  fut  tenté  par  Georges  do  Baden,  qui  invita  les 
abbés  de  Mclz  à  l'assemblée  générale  de  la  Congrégation  de  Bursfeld. 
Enfin,  on  se  souxyent  des  statuts  rédigés  par  les  abbés  de  Metz  pour 
échapper  en  lo95  à  l'autorité  du  cardinal-légat.  Cf.  D.  Pikrre  des 
CaocHETS,  Histoire  de  l'abbaye  royale  de  Saint-Arnoul  :  Bibl.  Epinal, 
ms.  36. 


—  481  — 

tère,  comme  étant  de  nature  à  servir  de  poste  avancé  pour 
les  ennemis. 

A  la  mort  de  Charles  de  Senneton,  41^  abbé  bénédictin 
selon  la  Gallia,  André  Valladier,  dont  le  talent  oratoire 
et  la  science  étaient  alors  en  fçraude  renommée  au  pays 
messin  (1),  fut  sollicité  par  les  moines  de  Saint  Arnoui 
pour  être  leur  abbé,  contre  Charles  et  Louis  de  Senneton, 
frères  du  défunt.  Celui-ci  avait  poussé  à  une  ruine  com- 
plète l*abbaye,  déjà  grevée,  et  Ton  craignait  avec  raison  le 
gouvernement  de  ses  frères  (2). 

Le  pape  y  consentit  par  ses  buljes  du  5  novembre  1613,  à 
C3ndition  que  Valladier  ferait  un  noviciat,  après  avoir  reçu 
l'habit  bénédictin,  et  émettrait  la  profession  religieuse. 
Celle-ci  eut  lieu  le  29  avril  IfîlD  à  Notre-Dame  du  Puy,  et 
Tannée  suivante,  le  26  mars,  le  nouveau  profès  reçut  la 
bénédiction  abbatiale  à  Clermont.  Les  premières  années  de 
cet  abbatiat  furent  pleines  des  procès  que  Valladier  eut  à 
soutenir,  soit  avec  les  magistrats  de  Metz  au  sujet  de 
prééminences  et  immunités  diverses  (3),  soit  avec  des  reli- 

(1)  Né  à  Saint-Pol  dans  le  Forez  en  1o65,  André  Valladitîr,  après  de 
bonnes  études,  se  rendit  à  .\vignon  et  entra  dans  la  Compagnie  de 
Jésus  en  1586.  Prédicateur  en  vogue,  il  quitta  Avignon  à  la  suite  de 
quelques  difficultés  avec  son  Recteur,  vint  à  Lyon,  Moulins,  Dijon,  puis 
de  nouveau  à  Lyon.  Après  de  nouveaux  différends  avec  son  supé- 
rieu»»,  il  quitta  la  Compagnie  en  1(508  et  se  rendit  à  Rome,  pour  reve- 
nir ensuite  à  Paris,  où  il  devint  prédicateur  ordinaire  du  roi.  Le  car- 
dinal de  Givry,  nommé  évéque  de  Metz,  le  fît  son  vicaire  général. 
D.  Calmet,  Hibl.  lorr.,  art.  Valladier. 

(2)  Voici  les  raisons  exposées  par  les  moines  de  Saint -Arnoui  pour 
obtenir  confirmation  de  rélcction  précipitée  de  Valladier,  dont  ils  font 
un  pompeux  éloge  :  !•  le  brevet  royal  obtenu  par  le  sieur  de  Senne- 
ton ;  2"  la  gloire  de  Dieu  et  le  Bien  de  la  réforme  ;  3*  le  désir  de  rete- 
nir à  Metz  ce  prédicateur  si  redoutable  aux  hérétique**  et  si  aimé  de 
ses  concitoyens  ;  4'  le  sieur  de  Sonneton  serait  le  candidat  dos  héréti- 
ques ;  5"  l'élection  de  Valladier  sauvera  le  spirituel  et  le  temporel  de 
l'abbaye  ;  H*  le  relèvement  de  1  illustre  monastère  de  Saint-Arnoul 
entraînera  celui  des  autres';  7"  cette  élection  fait  la  joie  de  toute  la 
ville.  Suit  un  e^^posé  des  souffranc«^s  du  passé.  Bibl.  nat.,  Lorr.,  3i(>, 
Saint-Arnoul,  fol.  136-iO. 

(3)  ïbid. 


—  482  — 

gieux,  dont  Tenthousiasme  du  premier  jour  passa  à  l'excès 
opposé.  Les  pires  accusations  furent  portées  en  cour  du 
roi  contre  Valladier.  Les  moines  demandèrent  par  leur 
procureur  et  confrère,  Dom  Pètre,  que  François  de  Lor- 
raine fut  nommé  coadjuteur  de  Valladier  (27  avril  1618)  ; 
le  30  du  même  mois,  ils  retirèrent  leur  demande.  Quelques 
mois  après,  c'est  à  Rome  même  qu'ils  portèrent  leurs 
plaintes  et  leurs  accusations.  Heureusement,  Valladier  y 
fut  défendu  par  le  prince  Erric  de  Lorraine,  qui,  par  ses 
lettres  du  8  août  1618,  réduisit  à  néant  les  accusations  des 
moines.  Ceux-ci  envoyèrent  alors  un  Procureur,  Dora 
Christophe  Fletot,  prévôt  de  Téglise  collégiale  de  Saint- 
Thiébaut  de  Metz,  pour  soutenir  leur  cause  auprès  du  Saint- 
Siège  (acte  du  5  octobre  1618)  (1). 

Pendant  ce  temps,  François  de  Lorraine  à  qui,  par 
traité  du  13  septembre,  André  Valladier  cédait  son  droit, 
obtenait  ses  bulles  de  prise  de  possession,  le  13  septembre 
1618,  recevait  du  roi  ses  lettres  d'attache  le  27  octobre,  et 
prenait  de  fait  possession,  malgré  l'opposition  des  reli- 
gieux, en  décembre  1618  (2).  La  réforme  le  suivit  de  près. 
Le  6  février  1619,  le  roi  donnait  ses  lettres  pour  l'exécution 
du  bref  du  22  décembre  ;  des  pourparlers  eurent  lieu  entre 
les  religieux  de  Saint- Arnoul  et  les  Vannistes,  et  un  traité 
inUrvint  le  2  octobre  1619  (3). 

Le  11  novembre  suivant,  notification  fut  faite,  aux 
moines,  du  bref  de  Paul  V  et  de  la  volonté  du  roi,  par  le 
président  du  Parlement  de  Metz,  et,  le  même  jour,  Coëffe- 

(1)  Bibl.  nat.,  Lorr.,  327,  Saint-Arnoul,  fol.  114-127. 

(2)  Ibid. 

{A]  D.  Calmet,  Nolice  de  la  Lorr.,  art.  Valladier.  Voir  là  la  suite 
dos  difficultés  entre  l'abbé  do  Saint -Arnould  et  ses  moines.  Valladier 
essaya  en  UVSS  de  fonder  une  abbayo,  avec  dix  moines,  réformes  dans 
l'égliso  do  Suinte  Barl>o  près  de  Metz.  Les  revenus  n'y  suflisant  pas, 
cotte  égliso  fut  donnée  aux  Frères  mineurs  par  traité  du  22  décembre 
1(U)3,  ratilié  au  Chapitre  général  de  i()6t  ;  mais  le  roi  s'opposa  à  son 
exécution.  Los  Hénédiclins  durent  reprendre  leur  église.  Valladier 
mourut  en  IGiW.  Jbid. 


-  483  — 

teau,  évèque  de  Dardanie,  introduisit  ofTiciellement  les 
moiaes  réformés  dans  la  royale  abbaye.  La  paix  ne  fut  pas 
complète  pour  cela  ;  il  y  eut,  dans  la  suite,  des  diflicultés 
pour  l'exécution  des  traités  passés  entre  Tabbé  et  les 
moines,  et  ce  fut  seulement  en  1631  que  tous  les  différends 
prirent  fin. 

L'évéque  Jean  de  Maillane  travaillait  avec  ardeur  à  la 
réforme  des  maisons  religieuses  partout  où  son  zèle  était 
désiré.  Dans  le  courant  de  cette  môme  année  1619,  à  la 
requête  de  Dom  Claude  Riquechier,  prieur  de  Saint-Evre, 
Tun  des  plus  actifs  soutiens  de  la  Congrégation  bénédic- 
tine lorraine,  il  introduisit  la  réforme  dans  le  prieuré  de 
Notre-Dame  du  Breuil,  près  de  Commercy  (1).  Le  plan  du 
prieur  était  d'y  installer  un  séminaire  d'études  pour  les 
jeunes  moines,  la  Congrégation  n'étant  pas  assez  riche 
pour  réaliser  le  projet  d'une  maison  d'étudiants  à  Pont-à- 
Mousson  (2).  Les  études  théologiques  furent  installées,  en 
effet,  au  Breuil,  et  y  demeurèrent  jusqu'à  l'invasion  des 
Suédois  :  quelques  monastères  avaient,  pendant  ce  temps, 
conservé  leurs  cours  d'études  ;  après  cette  époque,  on  ne 
laissa  au  Breuil  que  les  cours  d'humanité  et  de  grammaire. 

L'impulsion  que  cette  fondation  donna  aux  études,  fit 
réclamer  presqu'aussitôt  un  tempérament,  et  le  Chapitre 
général  de  1620  défendit  de  compromettre  la  formation 
religieuse  des  jeunes  moines  en  les  appliquant  aux  études 
aussitôt  après  la  profession.  Il  fut  décidé  qu'on  les  laisse- 
ruit  encore  un  an  aux  exercices  du  noviciat  et  que,  pen- 
dant cinq  ans,  tout  en  suivant  les  cours  de  philosophie 
et  de  théologie,  ils  seraient  soumis  ù  l'autorité  du  maître 
des  novices  lart.  5).  Le  correctif  mis  au  zèle  indiscret  de 
quelques  supérieurs,  en  ce  qui  concerne  les  études,  dut 

(1)  D.  Calmbt,  Malice  de  la  Lorr.,  art.  Breuil  et  liibl.  Idrr.y  art. 
Riquechier.  « 

•  (2)  V.  Chapitre  général  de  4606  :  projet  de  D.  Claude  François, 
V*  partie,  ch.  VI. 


—  484  — 

également  être  appliqué  à  d'autres  points  de  leur  prouver 
nement.  Plusieurs,  désireux  sans  doute  d*appuyer  les  nou- 
velles réformes  rep:ardant  la   liturgie,  avaient  cru  bon  de 
faire  disparaître  jusqu'aux  vestiges  des  coutumes  ou  tra- 
ditions anciennes.   Le  Chapitre  (art.  4)   décida   que  l'on  1 
conserverait  avec  soin  les  ornements  sacrés  faits  à  Tan-  i 
cienne  mode,  ainsi  que   les    manuscrits,  et  défendit  aux 
supérieurs  de  les  vendre  ou  disperser  sous  aucun  prétexte. 

Réprimant  le  désir  de  la  nouveauté,  qui  hélas  !  prévalut 
plus  tard,  il  prohiba  tout  changement  dans  les  édifices  des 
monastères  et  dans  les  antiques  usages,  sans  4a  permis- 
sion du  Régime  (art.  4,  fin)  ;  il  ordonna  de  suivre,  pour  les 
nouvelles  constructions,  la  lettre  des  constitutions,  en  évi- 
tant les  dépenses  superllues  (art.  (>).  Enfin,  il  réprima  tout 
ce  qui,  dans  Tameublement  des  monastères,  pouvait  b\e^ 
ser  la  simplicité  (art.  7). 

D'autre  part,  il  encouragea  le  zèle  pour  roftice  divin,  en 
prescrivant  de  chanter  la  messe  conventuelle  tous  les  jours 
sans  excuse,  \k  où  il  y  avait  cinq  religieux  en  plus  du  Supé 
rieur  (art.  1).  de  réciter  les  Litanies  après  les  psaumes  de 
la  Pénitence  en  carême  (art.  2),  enfin,  de  députer,  dans 
chaque  monastère,  un  religieux  chargé  d'enseigner  la 
psalmodie  et  le  chant  (art.  3). 

Le  (Chapitre  de  lt):il  ne  fut  pas  moins  formel  sur  la  place 
prépondérante  à  gardera  l'oflice  divin,  qui,  dès  le  com- 
mencement de  la  réforme,  avait  été  l'objet  princii)al  des 
soins  et  de  la  surveillance  des  supéi-ieurs  :  les  monastères 
de  Saint  Evre  de  Tout,  de  Saint-Pierre  de  Senones,  de 
Saint-.Vrnoul  de  Melz,  furent  nommément  rappelés  aux 
Déclarations  sur  la  psalmodie  (art.  i),  et  il  fut  expressé- 
ment défendu  de  se  servir  du  prétexte  des  éludes,  pour  se 
dispenser  de  l'ofTice  divin  iibid). 

La  vigilance  des  supérieurs  fut  de  nouveau  réveillée  sur 
l'observance  de  la  Règle  et  des  constitutions  (art.  2». 
Chacun  d'eux  fut  invité  à  donner  à  toute  sa  communauté. 


-  485  - 

une  fois  par  semaine,  une  conférence  sur  la  Règle  (art.  6), 
el,  au  cas  où,  dans  le  courant  de  Tannée,  la  discipline  ten- 
drait à  se  relâcher  en  quelque  monastère,  le  Régime  devrait 
y  pourvoir  en  nommant  un  délégué  chargé  de  faire  toute 
diligence  pour  remédier  au  mal  ;  ce  délégué  ne  devrait 
point  quitter  le  monastère  en  danger,  avant  que  la  disci- 
pline y  fût  en  meilleur  état. 

Une  grave  question  qui,  jusque  là,  n'avait  pas  eu  lieu 
d'être  agitée,  et  qui  devait  Tètre  vivement  quelques  années 
après  la  mort  de  Dom  Didier  de  la  Cour  se  posa,  aux  capi- 
tulants. L'un  des  décrets  intimés  par  le  cardinal  de  Lor- 
raine, en  160C,  portait  que  les  supérieurs  des  monastères, 
après  cinq  années  de  gouvernement,  devraient  rentrer 
dans  la  vie  commune  et  vaquer  deux  ans  de  la  supériorité. 
Pendant  plusieurs  années,  ce  décret  ne  fut  point  observé, 
faute  de  sujets  pour  remplir  les  charges  ;  mais,  dès  1611, 
Dom  Didier  de  la  Cour  avait  donné  l'exemple  de  la  soumis- 
sion à  cette  règle  en  refusant  toute  autorité.  Dans  la  suite, 
grâce  aux  fondations  nombreuses  qui  se  présentaient,  on 
continua  les  supériorités  au  delà  de  cinq  ans  ;  mais,  en 
1621,  devant  la  multiplication  soutenue  des  professions,  le 
Chapitre  général  dut  reprendre  le  décret  de  la  vacance  et 
déclara  que  le  «  nombre  croissant  des  religieux  le  rendait 
désormais  exécutable  »  ;  et,  de  fait,  il  releva  de  leurs 
charges  «  plusieurs  supérieurs  pourtant  très  méritants  »  ; 
il  déclara,  en  outre,  que  cette  loi  s'appliquait  aussi  bien 
aux  doyens  des  monastères  qu'aux  supérieurs  (art.  4  et 
5)(1). 

(1)  Cette  question  de  la  quînqucnnalité  des  supérieurs,  paciOquement 
trail(^e  en  ce  Chapitre,  fut  une  source  de  différends  entre  les  continua- 
teurs de  l'oBuvre  do  Didier  de  la  Cour.  Lui  présent,  on  n'osait  et  ne 
voulait  pas  discuter  ses  sages  avis.  Il  en  fut  autrement  presque  aussi- 
tôt après  sa  mort.  Dès  1620,  la  difficulté  reprit  son  cours  entre  les  par- 
tisans d'une  vacance  rigoureuse  après  cinq  ans,  et  ceux  plus  sages, 
croyons-nous,  d'une  vacance  relative  laissée  au  jugement  du  Chapitre. 
Dom  Claude  i'rançois,  représentant  autorisé  des  idées  de  Dom  Didier 
de  la  Cour,  était  pour  celle-ci  et,  d'après  son  avis,  en  cas^  de  nécessité 


—  486  — 

Malgré  rérection  de  la  Congrégation  gallicane  pari- 
sienne, les  moines  lorrains  continuaient  à  travailler  à  la 
réforme  des  abbayes  du  royaume.  Dès  Tannée  1617,  (jabriel 
Giffort,  vicaire  général  de  Reims,  avait  rêvé  et  projeté  la 
réforme  de  la  célèbre  abbaye  de  Saint  Remy  (1). 

L'année  suivante,  quelques  religieux  de  ce  monastère, 
entrant  dans  ses  vues,  manifestèrent  leur  propre  désir  de 
recevoir  la  nouvelle  observance.  La  demande  fut  adressée 
à  Saint-Vannes  et  les  supérieurs  de  la  Congrégation,  après 
quelques  années,  envoyèrent  à  Saint-Remy  DoraAndié 
Royer  (12)comme  prieur,  et  Dom  Charles  Cuny(3)  comme 

ou  (VuiHitê^  les  supérieurs  pouvaient  ôtrc  maintenus.  W  écrivit  en 
1627  doux  opuscules,  le  premier  pour  proposer  un  accommodement,  le 
deuxième  pour  appuyer  son  opinion  de  vacance  relative  sur  l'exem- 
ple du  Chapitre  do  1621,  qui  n'avait  relevé  que  quelques  supérieurs. 

Le  chef  de  l'autre  opinion  était  D.  Philippe-François  Collard,  soutenu 
par  D.  Marc  d'Aboncourt.  Un  bref  intervint  en  i6iî0,  permettant  de 
continuer  les  supérieurs  en  cas  de  7iécessilé  ou  d* évidente  utilité  :  mais 
les  opposants  ne  s'y  soumirent  qu'en  1635. 

D.  Calmkt,  Notice  de  la  Lorr.,  art.  François  et  Àboncourt,  Arch. 
Nat.,  (i»  933-î)3i,  Mémoire,  etc. 

(1)  D.  Méijf,  Annales,  ad.  a.  1617.  —  D.  Rhételois,  op.  cit.,  t.  IV, 
p.  185. 

(2)  D.  André  Royer,  né  à  Saint-Mihiel,  y  flt  profession  le  30  novem- 
bre 1612  ;  en  1620  il  fut  envoyé  à  Paris  où  il  étudia  au  Collèfçe  de 
Cluny. 

En  1625,  D.  Royer  alla  h  Reims  et  y  resta  comme  prieur  p<^ndant 
plusieurs  années.  Ayant  ou  à  souffrir  d'indignes  traitements  de  la  part 
d'anciens  religieux  opposés  à  la  réforme,  il  fit  appel  à  l'archevêque  de 
Reims,  qui  vint  en  personne  faire  une  enquête  juridique  à  Saint-Rt^my, 
où  il  reconnut  et  proclama  hautement  la  piété  et  l'innocence  du  prieur 
et  la  malice  de  ses  accusateurs.  A  la  suite  de  celte  enquête,  D.  Royer 
demanda  et  obtint  de  l'archevêque  la  permission  d'aller  prêcher  l'.Vvenl 
et  le  Carême  dans  l'abbaye  des  dames  d'Avenay,  près  Ay.  En  KxU,  il 
obtint  le  prieuré  d'Insmin^,  dépendant  de  Saint-Mihiel,  et,  en  1638,  celui 
de  Bnr-IoDuc.  Ce  cumul  élait  contraire  aux  canons;  Dom  Royer 
encourut  le  mécontentement  de  ses  supérieurs.  Ayant  fait  pénitence, 
il  fut  relevé  de  ses  censures  et  successivement  nommé  abbé  de  Saint- 
Mansuy  de  Toul  et  de  Senones,  mais  ne  jouit  d'aucune  de  ces  deux 
abbayes.  Il  mourut  au  priourédu  Breuil,  le  13  octobre  1662.  D.  Calmet, 
Notice  de  la  Lnrr.,  art.  Koycr. 

(3i  D.  Chai  les  Cuiiy  devait  passer  de  Reims  en  Belgique,  où  il  tra- 
vailla à  l'érection  do  la  Congrégation  belge  ;  voir  plus  haut. 


—  487  - 

sous-prieur.  Le  27  septembre  1625,  des  traités  furent  signés 
entre  les  religieux  anciens  et  les  réformés.  Non  loin  de 
Reims  et  dans  la  même  province,  une  autre  abbaye,  placée 
sous  le  vocable  de  Notre-Dame,  allait  également  recevoir 
la  réforme.  Le  monastère  de  Moiremont,  ou  Maurimont,  fut 
fondé  au  ix«  siècle,  au  diocèse  de  Ghâlons,  à  une  lieue  de 
Sainte-Menehould,  par  le  comte  Nautérus,  pour  des  cha- 
noines. En  1074,  Oderic,  prévôt  de  l'église  de  Reims  y  mit 
des  moines  de  Tordre  de  saint  Benoît.  La  ferveur  première, 
là  comme  ailleurs,  avait  fait  place  à  une  vie  peu  édifiante. 
Au  commencement  du  xvh®  siècle,  Tabbé  Nicolas  de  Braux 
prit  la  résolution  d'y  rétablir  l'observance  monastique.  Sur 
les  conseils  de  quelques  personnages,  il  s'adressa  aux  supé- 
rieurs de  la  Congrégation  de  Lorraine,  qui  y  envoyèrent 
des  religieux  réformés  (1622).  Nicolas  de  Braux  les  favorisa 
autant  qu'il  put  et  les  aida  grandement,  surtout  dans  la 
construction  des  édifices  nécessaires  et  dans  la  décoration 
de  l'église  (1). 

Ce  fut  comme  la  dernière  victoire  en  France  de  l'humble 
et  pieux  prieur  de  Saint-Vannes.  Bien  que  retiré  de  toute 
charge  et  uniquement  occupé  de  sa  sanctification  person- 
nelle, le  Père  ancien,  comme  on  l'appelait,  était  toujours 
rame  de  sa  Congrégation.  Rien  ne  se  faisait  sans  son  avis 
et  il  en  était  tellement  troublé  qu'il  pensa  sérieusement  se 
retirera  Saint-Mihiel,  pour  y  vivre  dans  la  retraite  et  s'y 
dérober  à  toute  apparence  d'autorité.  Il  en  écrivit  au  prieur 
de  cette  abbaye,  le  5  août  1621  ;  on  nous  permettra  de  repro- 
duire, d'après  Dom  Haudiquer,  cette  lettre,  qui  est  la  pein- 
ture parfaite  du  caractère  de  son  auteur,  ami  de  l'austérité, 
du  silence  et  de  la  vie  cachée. 

«  Mon  Révérend  Père,  nos  Pères  de  France  ne  sont  point 
encore  de  retour.  Je  commence  à  croire  que  quelque 
fâcheux  inconvénient  ne  les  retienne.  Vous  me  marquez 

(I)  D.  Rhktelois,  t.  VI,  p.  423. 


—  488  -^ 

que  vous  m*avez  fait  préparer  une  chambre  chez  vous  ; 
je  vous  eu  remercie  de  tout  mon  cœur  Je  souhaite  que 
là  où  je  serai,  à  Snint-Mihiel  et  ailleurs,  on  me  traite  en 
tout  comme  un  des  moindres  religieux.  A  Tégard  des 
besoins  du  corps,  une  chambre  ou  dortoir,  meublée  sim- 
plement comme  les  autres,  la  portion  ordinaire,  seule- 
ment avec  un  peu  d'eau  chaude  pour  tremper  mon  vin, 
voilà  tout  ce  qu'il  me  faut;  et,  comme  j'ai  des  raisons 
particulières  pour  craindre  les  moindres  excès  de  nour- 
riture, je  demande  qu'on  m'exempte  des  repas  de  com- 
pagnie, même  à  mon  arrivée.  Je  prie  aussi,  au  cas  que  je 
tombe  malade,  qu'on  m'épargne  les  médecins  le  plus 
qu'on  pourra.  Quant  au  spirituel,  je  n'ai  rien  de  plus  à 
cœur  que  de  garder  étroitement  notre  sainte  règle.  J'en 
ai  malheureusement  trop  négligé  la  pratique  jusqu'ici, 
mais  désormais  je  ne  veux  pas  être  plus  ménagé  qu'un 
autre.  J'assisterai  à  tous  les  offices  et  je  ferai  la  semaine 
de  célébrance  à  mon  tour,  à  moins  que  quelque  jnfirmité 
ne  m'en  empoche.  Qu'on  n'attende  de  ma  part,  dans 
l'absence  du  supérieur,  aucun  signe  de  prééminence, 
soit  à  l'église^  soit  ailleurs.  J'entends  que  celui  qui  avant 
mon  arrivée  présidait  aux  exercices  continuera,  de 
même  que  si  je  n'étais  pas  dans  la  maison.  De  celte 
manière  je  demeurerai  en  paix  et  je  serai  bien  charmé 
que  d'autres  fassent  ce  que  je  ne  puis  faire.  Voilà,  mon 
Révérend  Père,  les  conditions  que  je  prends  la  liberté  de 
,  vous  proposer  pour  ma  résidence  chez  vous.  Je  vous  prie 
de  vouloir  bien  les  agréer  et  surtout  de  me  dispenser  de 
faire  compagnie  aux  étrangers  (1).  » 

Ce  séjour  à  Saint-Mihiel  n'eut  pas  lieu  :  Dom  Didier  de 
la  Cour  continua  à  Saint-Vannes  le  rôle  qu'il  s'efforçait 
vainement  d'effacer  le  plus  possible.  Jusqu'à  la  fin,  il  fut 
le  président  effectif  de  la  Congrégation.  Il  employait  tou- 
son  temps  disponible  à  l'étude,  pour  laquelle  il  avait  tout 

(Il  D.  HAUDiQinn,  o;j.  cj7.,  p.  237  et  suiv. 


-  489  — 

jours  professé  un  amour  particulier.  Après  Toffice  divin, 
les  saintes  Ecritures  (1)  et  la  théologie  avaient  ses  préfé- 
rences; il  leur  consacra  ses  dernières  forces.  Sous  sa 
dictée,  quelques  jeunes  religieux  écrivirent  des  traités  de 
théologie  qu'il  n'eut  malheureusement  pas  le  temps  d'ache- 
ver, à  son  grand  regret. 

Entre  temps,  la  sainte  Règle  sur  laquelle  on  lui  demandait 
des  éclaircissements  faisait  le  thème  de  ses  commentaires, 
ainsi  que  nous  le  laisse  entendre  la  lettre  suivante  adressée 
à  Dom  Anselme  Rolle,  alors  prieur  de  Corbie,  et  relative 
à  l'envoi  d'un  traité  sur  la  Règle  et  les  constitutions. 

a  Mon  Révérend  Père,  je  suis  bien  joyeux  qu'avez  reco- 
gnu  la  vérité  de  mes  lettres  par  lesquelles  je  vous  man- 
dais que  notre  frère  Symon  avait  envoyé  à  Paris  ceste 
copie  de  la  règle  de  notre  Père  sainct  Benoit,  que  votre 
Révérence  m'avait  laissée  partant  de  Verdun.  Vous  ne 
pouviez  espérer  autre  chose  de  moy  que  ce  que  je  vous, 
ai  envoyé,  à  scavoir  grossier  et  peu  d'esprit.  Si  j'eusse  pu 
faire  davantage,  je  l'eusse  faict  volontiers.  Mais  nemo 
dat  quod  non  habet  ;  on  n'en  doit  espérer  davantage  du 
peu  que  j'ay  fait  sur  la  déclaration,  puisqu'il  procède  de 
la  même  source  que  l'autre.  Si  on  voulait  accommoder 
ce  que  nos  Pères  (ont  préparé)  dans  votre  chapitre  avec 
notre  petit  travaille  (sic),  cela  pourrait  servir  pour  (un) 
temps  attendant  meilleur.  Je  prie  Notre  Seigneur  qu'il  nous 
donne  le  vray  esprit  de  notre  Père  saint  Benoit  tant  dans 
ces  quartiers-ci  'qu'aux  vôtres  pour  faire  revivre  la  vraye 
piété  religieuse  et  chrestienne. 

Je  suis,  mon  Révérend  Père,  votre  humble  confrère. 
D.  Didier  de  la  Cour. 
De  Saint- Vannes  de  Verdun,  le  1  d'octobre  1621  (3f).  » 

(1)  Il  connaissait  si  parfaitement  l'Ecriture  sainte  que,  pendant  sa 
dernière  maladie,  si  le  religieux  chargé  de  lui  en  faire  la  lecture  se 
trompait  en  quelque  chose,  D.  Didier  le  reprenait  aussitôt.  D. 
Haudiquer,  op.  cit.j  p.  243. 

(2)  Bibl  nat.,  Lat.  12783,  Miscellanea  benedlctina,  f.  149. 

32 


-  490  — 

L'humilité,  qui  était  la  vertu  par  excelleoce  du  prieur 
réformateur  (1),  se  dessine  à  chaque  ligne  de  cette  lelUe 
si  déférente  pour  un  de  ses  disciples.  Elle  nous  fait  vive- 
ment regretter  la  rareté  des  vestiges  recueillis,  soit  des 
quelques  ouvrages  (2),  soit  des  lettres  du  prieur  de  Saint- 
Vannes.  N'aurait-il  pas  lui-même,  en  détruisant  ce  qu'il 
pouvait  rassembler  de  ses  lettres,  réalisé  le  désir  formel- 
lement exprimé  par  lui  qu'on  ne  fit  aucun  éloge  de  sa 
personne  après  sa  mort,  ou  bien  devons-nous  encore 
mettre  cette  destruction  au  compte  de  la  Révolution  ?  C'est 
plus  probable,  car  les  manuscrits  de  l'abbaye  de  Saint- 
Vannes  sont  en  petit  nombre  à  la  Bibliothèque  de  la  ville 
de  Verdun  et  nos  recherches  à  Paris  nous  ont  peu  satisfait 
sur  ce  point. 

Ce  qui  tenait  le  plus  à  cœur  à  Dom  Didier  de  la  Cour 
dans  le  gouvernement  de  sa  Congrégation,  c'était  la  forma- 
tion des  jeunes  religieux.  Nous  l'avons  entendu  exprimer 
ce  seul  regret,  ou  même  cette  seule  crainte,  dans  le  déve 
loppement  rapide  de  son  œuvre  :  de  voir  ses  disciples  se 
lancer  trop  tôt  dans  l'action  et  compromettre  ainsi  leur 
formation,  soit  religieuse,  soit  théologique  et  scientifique. 

(1)  D.  Haudiquer  rapporte  que  Dom  Didier  de  la  Cour  ne  pouvait 
soudrir  qu'en  sa  présence  on  louât  l'œuvre  de  la  réforme,  dont  il  ren- 
voyait toulc  la  gloire  i\  Dieu,  se  contentant  de  se  regarder  comme 
un  vil  instrument  de  la  puissance  divine.  Il  alla  môme  jusqu'à  dire  un 
jour  à  ses  frères  en  religion  que,  s'U  avait  quelque  pouvoir  sur  eux. 
«  il  leur  défendrait  sous  peine  d'excommunication,  de  dire  du  bien  de 
lui  après  sa  mort  »  ;  car,  ajoutait-il,  «  j'ai  mené  une  vie  fort  conamune 
aux  yeux  des  hommes  et  très  misérable  devant  Dieu.  Un  peu  de 
gravité  et  de  retenue,  voilà  tout  ce  que  je  puis  avoir  de  bon  ».  El 
colto  déclaration  verbale  dut  être  consignée  par  écrit  sur  son  désir 
formel  {op.  cit.^  p.  244). 

(2)  Outre  les  traités  de  théologie  et  quelques  commentaires  sur  la 
sainte  Règle,  Dom  Didier  de  la  Cour  avait  laissé  un  récit  assez  court 
des  événements  qui  marquèrent  le  commencement  de  la  réforme,  de 
1587  jusqu'en  1599.  A  la  fm  du  manuscrit,  l'auteur  avait  mis:  «  Ego 
fratcr  Desiderius  a  Curia  quae  hic  scripta  sunt  dictavi,  et  dum  ageren* 
tur  interfui.  »  D.  Jean  François,  Bibliothèque  des  écrivains  de  COr- 
dre  de  Saint-Benoît,  t.  I,  p.  223  (note). 


—  491  — 

De  là,  les  règlements  édictés  par  les  Chapitres  généraux  et 
déjà  signalés  au  cours  de  ce  travail.  Dom  Didier  en  fut 
certainement  Tâme  ;  les  ordonnances  du  Chapitre  tenu  à 
Saint-Evre  de  Toul  en  1622,  pour  les  professeurs  et  étu- 
diants, révèlent  à  chaque  article  l'esprit  de  prudence  con- 
sommée dans  la  direction  des  jeunes  moines  qui  attira  au- 
près du  réformateur  tant  d'âmes  désireuses  de  trouver  leur 
voie  et  d'y  avancer  à  pas  sûrs.  Le  désir  de  promouvoir  les 
études  y  domine  sans  doute,  mais  discrètement  limité  par 
la  préoccupation  de  conserver  et  d'augmenter  chez  les 
moines  qui  s'y  livrent,  à  titre  d'élèves  ou  de  professeurs, 
une  solide  piété  religieuse. 

Voici  ces  ordonnances,  qui  forment  un  véritable  code 
succinct,  mais  précis,  de  pédagogie  monastique. 

Règlements  des  Etudiants  (1). 

1.  Tous  les  jours,  principalement  dans  les  premiers 
temps,  ils  se  rappelleront  le  but  de  leurs  études,  c'est-à- 
dire  l'acquisition  de  la  science  comme  instrument  pour 
parvenir  à  une  véritable  piété  religieuse,  but  principal  de 
la  vie  monastique. 

2.  Qu'ils  prennent  garde  que  l'excès  d'application  n'étei- 
gne en  eux  l'esprit  de  dévotion  et  que  jamais,  sous  pré- 
texte d'études^  ils  ne  se  dispensent  de  leurs  exercices  de 
piété  habituels. 

3.  Qu'ils  ne  sortent  jamais,  dans  les  leçons,  des  limites 
de  la  modestie  religieuse  et  s'abstiennent  surtout  de  l'obs- 
tination excessive  et  des  paroles  dures,  qui  pourraient 
blesser  le  sentiment  de  sincère  charité  qu'ils  doivent  nour- 
rir envers  leurs   maîtres  et  leurs  frères.  S'ils  viennent 

(1)  Nous  devons  ces  règlements,  tant  des  étudiants  que  des  profes- 
seurs, ù  l'obligeance  de  M.  le  chanoine  Chapelier,  curé  doyen  de 
Lamarche(aui.  à  Mirecourt),  qui,  après  les  avoir  acquis  d'un  antiquaire, 
a  bien  voulu  nous  les  communiquer.  Nous  l'en  remercions  bien  vive- 
ment. Les  Regulae  8lu4entium  et  les  Regulae  professorum  sont  en 
latin  dans  l'original  ;  nous  les  avons  traduites  fidèlement. 


—  492  — 

à  s'oublier  sur  ce  point,  qu'ils  demandent  aussitôt  ao  pro- 
fesseur une  pénitence.  Au  cas  où  ils  ne  voudraient  point  se 
rendre,  qu'on  les  avertisse  trois  fois  charitablement  ;  s'ils 
résistent  â  ces  monitions  des  supérieurs  ou  des  professeurs, 
qu'on  les  exclue  du  cours  ;  qu'on  ne  leur  permette  pas  d'y 
rentrer  avant  d'avoir  suffisamoîent  réparé,  et  qu'on  leur 
impose  une  pénitence  proportionnée  à  leur  résistance. 

4.  Qu'ils  emploient  avec  soin  tout  le  temps  qu'ils  ont 
pour  l'étude  et  que,  pendant  l'office  divin,  réunis  en  une 
même  salle,  ils  récitent  l'office  et  travaillent  en  com- 
mun (1). 

5.  Qu'ils  aillent  fréquemment  chez  le  Supérieur  pour  lui 
rendre  compte  de  l'état  de  leur  conscience  et  ne  craignent 
pas  d'exposer  en  toute  liberté  au  préfet  des  études  les  diffi- 
cultés qu'ils  rencontreront,  et  qu'ils  soient  surtout  attentifs 
à  éviter  les  murmures,  les  médisances,  les  paroles  mali- 
gnes contre  les  supérieurs,  professeurs  ou  leurs  confrères, 
qu'il  s'agisse  de  n'importe  quel  sujet  pouvant  causer  du 
scandale. 

6.  Que  les  jours  de  fête  et  les  dimanches  soient  consa- 
crés par  eux  aux  choses  spirituelles. 

7.  Les  jours  ordinaires,  après  avoir  prévu  ce  qui  regarde 
la  messe  conventuelle,  si  besoin  en  est,  ils  se  recueilleront 
jusqu'au  second  signal  ;  de  même,  depuis  le  premier  coup 
des  vêpres  jusqu'au  second,  ils  se  livreront  à  une  lecture 
pieuse,  à  la  prière  ou  à  la  méditation. 

8.  Ils  auront  un  respect  marqué  pour  leur  maître,  parti- 
culièrement pendant  la  classe,  et  ne  soutiendront  pas  obs- 
tinément leur  opinion  personnelle  ;  ils  se  garderont  bien 
de  témoigner  par  quelque  signe  ou    mouvement  qu'ils 

(1)  Le  Chapitre  de  1622,  en  renouvelant  et  confirmant  les  décrets  du 
C)ia pitre  précédent,  avait  ajouté  un  correctif  à  l'article  premier,  défen- 
dant de  se  dispenser  de  l'office  sous  prétexte  d'études.  Ce  correctif 
permit  aux  supérieurs  de  dispenser  les  jeunes  religieux  de  l'assistance 
au  chœur  pendant  le  temps  do  leurs  études. 


-  493  — 

n'acceptent  pas  ses  réponses,  ses  solutions  ou  sa  doctrine. 

9.  S'ils  remarquent  que  les  études  leur  causent  quelque 
préjudice,  ils  devront  aussitôt  en  informer  le  supérieur  où 
leur  maître. 

10.  Qu'ils  ne  prennent  pas  prétexte  de  leurs  études  pour 
enfreindre  la  loi  du  silence  et  ne  forment  pas  de  réunions 
sans  permission,  hors  le  temps  des  cours,  pour  parler  de 
leurs  études.  S'il  ont  quelque  difïïculté  à  résoudre,  ils  la 
proposeront  publiquement  à  leur  maître  dans  le  temps  du 
cours. 

11.  Ils  devront  toujours  et  partout  parler  latin,  excepté 
seulement  pendant  les  récréations  prises  à  l'intérieur  ou 
hors  du  monastère  ;  ils  pourront  alors  parler  leur  langue 
maternelle. 

12.  Enfin,  pour  obéir  à  l'ordre  du  Chapitre  général,  les 
présentes  ordonnances,  édictées  et  portées  par  lui,  seront 
lues  publiquement  au  commencement  de  chaque  mois 
dans  les  classes,  afin  qu'on  les  comprenne  mieux  et  qu'on 
les  observe  plus  exactement. 

Règlement  pour  les  Professeurs. 

1.  Ils  se  souviendront  avant  tout  de  se  conduire  d'une 
manière  édifiante,  soit  dans  leur  manière  d'être,  soit  dans 
les  conversations,  soit  dans  toute  leurs  actions. 

2.  Ils  veilleront  a  ce  que  leurs  élèves  ne  se  laissent  point 
affaiblir  par  les  études,  tant  pour  l'observance  extérieure 
que  pour  la  vie  intérieure. 

3.  Ils  s'appliqueront  surtout  à  résoudre  les  questions  les 
plus  utiles,  laissant  de  côté  les  oiseuses  et  inutiles. 

4.  Ils  suivront  avec  soin  l'avancement  de  leurs  élèves,  se 
gardant  toutefois  des  préférences  et  tenant  plus  de  compte 
des  besoins  que  des  personnes. 

5.  Ils  éviteront  de  perdre  du  temps  inutilement  avec 
leurs  élèves,  en  plaisantant  ou  en  s'entretenant  de  sujets 
futiles  :  jamais  ils  ne  prêteront  l'oreille  à  leurs  murmures 


—  494  — 

ou  à  leurs  plaintes  contre  leurs  supérieurs  ou  leurs  con- 
frères ;  ils  traiteront  en  patience  leurs  tentations  de  décou- 
ragement contre  leur  vocation  ou  autres  faiblesses. 

6.  Ils  veilleront  sur  chacun  de  leurs  élèves  et  ne  souflri- 
ront  pas  que  la  moindre  atteinte  soit  portée  pendant  les 
classes  à  l'esprit  religieux. 

7.  Si  quelque  défaut  apparaît  chez  Tun  des  élèves,  ils 
saisiront  Toccasion  d'avertir  doucement  et  en  toute  charité 
celui  en  qui  ils  l'auront  remarqué,  surtout  s'il  s'agit  de 
quelque  manquement  fréquent  à  la  modestie  religieuse,  à 
l'humilité,  à  la  soumission  d'esprit  ou  au  respect  mutuel. 

8.  Ils  devront  sans  faute  avertir  les  supérieurs,  si  quel- 
que élève  se  montrait  incorrigible  et  semblait  mépriser  les 
avis  secrets  et  publics  :  ils  ne  pourront  jamais  accorder, 
sans  l'assentiment  du  supérieur^  aucune  récréation  ni 
aucun  délassement  extraordinaires. 

9.  Ils  apprécieront  minutieusement  les  progrès  de  leurs 
disciples  dans  les  études  :  et,  s'ils  s'aperçoivent  que  quel- 
ques-uns profitent  moins  que  les  autres,  ils  devront  en 
chercher  la  cause,  afin  d'y  apporter  le  remède  convenable. 

10.  lis  prendront  garde  que  les  élèves  ne  nuisent  à  leur 
santé  par  un  zèle  immodéré  pour  l'étude,  et  ils  s'observe- 
ront eux-mêmes  sur  ce  point. 

H.  Chaque  trois  mois,  ils  rendront  compte,  au  R.P.  Pré- 
sident du  Régime,  de  l'état  de  leurs  élèves,  de  la  conduite 
et  de  la  capacité  de  chacun,  tant  dans  les  études  que  dans 
la  direction  des  âmes,  eu  un  mot  de  tout  ce  qu'ils  pour- 
ront prévoir  d'utile  en  eux. 

12.  Ils  veilleront  à  ce  que  les  élèves  dispensés  de  l'assis- 
tance au  chœur,  ne  s'adonnent  pas,  pendant  ce  temps,  à 
l'oisiveté  :  aussi  les  élèves  seront  ils  réunis  alors  pour  réci- 
ter leur  office  et  travailler  en  commun. 

13.  Au  cas  où  les  scholastiques  chargés  de  les  remplacer, 
pendant  leur  absence,  dans  la  surveillance  des  études, 
viendraient  à  être  empêchés,  les  professeurs  choisiront  un 


-  495  — 

autre  élève  capable,  par  sa  bonne  conduite,  de  veiller  sur 
ses  confrères. 

14.  Les  élèves  seront  exercés  pour  les  disputes  publiques 
et  les  autres  exercices  scolastiques  ;  les  défendeurs  des 
thèses  et  leurs  adversaires  seront  avertis  d'apporter  toute 
la  modération  qui  convient  à  la  piété  et  à  la  modestie  reli- 
gieuse. 

15.  Chaque  année,  à  la  fin  des  cours,  les  étudiants  auront 
vacance  pendant  un  mois  ;  les  professeurs  les  applique* 
ront  aux  exercices  spirituels  et  à  la  retraite,  et  pourront 
ensuite  leur  accorder  la  faculté  défaire,  avec  la  permission 
des  supérieurs,  une  promenade  vers  un  but  de  pèlerinage, 
pourvu  qu'ils  soient  trois  ou  quatre  ensemble,  et  que  Tun 
d'eux,  le  plus  digne,  soit  mis  à  leur  tête. 

16.  Enfin,  au  commencement  de  chaque  mois,  le  règle- 
ment des  professeurs,  comme  celui  des  élèves,  sera  lu  en 
public  dans  les  classes  mômes. 

L'esprit  de  famille,  tempéré  parles  réserves  nécessaires 
entre  maîtres  et  disciples,  régnait  dans  le  régime  des  étu- 
des, où  tous  mettaient  en  commun  leur  désir  de  la  perfec- 
tion religieuse,  dont  l'apport  devait  lui-même  servir  à 
l'avancement  scientifique.  La  confiance  la  plus  entière 
devait  animer  les  relations  mutuelles  ;  mais  la  liberté  était 
laissée  aux  opinions,  pourvu  qu'elles  fussent  selon  la  saine 
doctrine  et  du  domaine  utile.  Plus  tard,  après  les  troubles 
que  la  résistance  à  la  Constitution  «  Unigenitus  »  jeta 
dans  la  Congrégation,  les  Chapitres  généraux  durent  pré- 
ciser le  sens  de  l'enseignement  sur  les  questions  contro- 
versées (1). 

Pour  le  moment,  les  esprits  étaient  au  repos  et  il  n'y 
avait  guère  à  craindre  que  des  questions  d'école,  dont  il 
fallait  régler  le  mode  d'une  manière  générale.  Ce  que  l'on 

(1}  V.  Constitutions  de  i768.  Pars  secunda,  cap.  XVHI,  de  Studus, 


—  496  — 

cherchait  avant  tout,  c'était  à  développer  Tamour  de  la 
science  et  à  ouvrir  les  esprits  des  jeunes  religieux^  bans  les 
surcharger.  On  leur  en  donnait  le  temps  ;  rien  ne  les  pres- 
sait. Après  leurs  années  réglementaires  d'études,  ils 
n'étaient  pas  immédiatement  tenus  d'en  faire  usage  au 
dehors.  En  1616,  le  Chapitre  avait  défendu  de  laisser  les 
jeunes  moines  se  livrer  à  la  prédication  avant  de  longs  et 
sérieux  exercices  ;  le  Chapitre  ^,de  1621  interdit  de  même 
qu'ils  fussent  appliqués  à  la  confession  au  dehors  du  cloî- 
tre, avant  d'en  avoir  été  jugés  capables  par  le  Chapitre  lui- 
même  ou  par  le  Régime  (art.  3)  (1). 

L'œuvre  de  Dom  Didier  de  la  Cour  n'était-elle  pas  com- 
plète, autant  qu'il  pouvait  l'espérer  après  vingt  ans  seule- 
ment d'existence  ?  Les  constitutions  étaient  définies,  les 
Chapitres  généraux  organisés,  la  hiérarchie  nettement 
déterminée,  la  formation  des  jeunes  religieux  aussi  mûre 
que  possible,  leur  persévérance  assurée  dans  la  suite  par 
une  discipline  ferme  et  douce  à  la  fois,  par  la  vie  liturgi- 
que et  l'étude  heureusement  combinées,  aussi  bien  que  par 
une  austérité  discrète  mais  soutenue.  Tout  semblait,  et 
tout  était,  enefiet,  aussi  parfait  Que  peut  l'être  ici- bas  une 
œuvre  faite  par  des  hommes  et  pour  des  hommes. 

Le  mouvement  si  rapide  que  suivait  la  réforme  ne  devait 

(1)  Le  Chapitre  de  1628  ôdicta,  outre  cette  ordonnance,  quelques  arU- 
cles  dont  voici  la  substance  :  Les  signaux  de  matines  se  sonneront  à  un 
quart  d'heure  d'intervalle  (art.  1).  Les  religieux  qui  seraient  fatigués 
pourront  se  reposer  après  matines.  La  méditation  se  fera  à  cinq  heures 
et  demie  cette  année,  tant  en  été  qu'en  hiver.  Prime  se  dira  à  six  heu- 
res ;  la  matière  de  la  méditation  sera  lue  pour  tous  à  haute  voîx 
(art.  2).  Pour  plus  de  régularité,  tout  le  Régime  {Président,  Visiteurs), 
se  tiendra  dans  le  même  monastère,  afin  de  répondre  plus  prompte- 
ment  aux  nécessités  des  diverses  maisons  (art.  4).  Les  assistants  des 
supérieurs  seront  assimilés  aux  Doyens,  mais  pour  cette  année  seule- 
ment (art.  5). 

Ces  décrets  terminent  la  série  de  ceux  qui  servirent  de  base  à  la 
Congrégation  de  Saint-Maur.  La  collection  qui  les  contient  ne  donne 
plus  ensuite  que  les  décrets  des  Chapitres  de  la  nouvelle  Congréga- 
tion. 


—  497  — 

s'arrêter  qu'après  avoir  atteint  tous  les  monastères  de 
Lorraine  et  de  France.  De  notre  province,  il  ne  restait 
plus  à  conquérir  que  les  abbayes  de  Saint-Symphorien, 
de  Saint- Vincent  et  de  Saint-Clément  de  Metz.  Dans  le  cou- 
rant de  sa  dernière  année  de  vie,  le  pieux  réformateur  eut 
encore  la  consolation  de  voir  les  Bénédictins  reprendre  au 
Saint-Mont  leur  poste  avancé  de  prière,  grâce  aux  efforts 
de  Catherine  de  Lorraine,  heureuse  de  compenser  de  cette 
façon  sa  dévotion  envers  saint  Benoit,  si  cruellement  déçue 
dans  son  abbaye  de  chanoinesses  à  Remiremont. 

Fondé  au  commencement  du  vu®  siècle  sur  le  mont 
Habend  pour  des  moniales,  sous  la  règle  de  saint  Colom- 
ban  (1),  le  monastère  qui  depuis  reçut  le  nom  significatif 
de  Saint-Mont  avait,  dans  la  suite,  passé  aux  chanoines 
réguliers  de  Saint- Augustin.  Les  moniales  avaient  quitté 
la  montagne  pour  se  retirer  de  Tautre  côté  de  la  Moselle. 
Devenue  bénédictine  vers  le  ix^  siècle,  Tabbaye  de  Remi- 
remont ne  put  malheureusement  se  défendre  de  Télément 
séculier  et,  quelques  siècles  à  peine  après  cette  transforma- 
tion religieuse,  elle  était  peu  à  peu  devenue  de  fait  un  Cha- 
pitre de  chanoinesses.  Seule,  Tabbesse  faisait  encore  pro- 
fession de  la  règle  de  saint  Benoît.  Catherine  de  Lorraine 
voulut  ramener  les  chanoinesses  à  une  vie  plus  monasti- 
que, mais  par  des  moyens  violents  qui  compromirent  son 
projet  :  ne  Tavait-elle  pas  du  reste  sapé  par  la  base  en 


(1)  Après  les  judicieuses  et  sérieuses  déducUons  faites  par  notre 
fr^re,  M.  l'abbé  Didier-Laureut,  dans  son  travail  sur  le  manuscrit  remi- 
remontais  de  l'Angelica,  nous  ne  pouvons  que  difllcilement  admettre 
l'existence  d'une  double  communauté,  l'une  de  moines,  l'autre  de  mo 
niales,  soit  au  Saint-Mont,  soit  ensuite  k  Remiremont.  Les  chanoines 
d'abord,  les  moines  ensuite,  succédèrent  sur  le  mont  Habend  aux  mo- 
niales, et,  si  l'on  peut  constater  la  présence  de  quelques  religieux  à 
côté  des  religieuses,  c'est  s3ulement,  croyons-nous,  à  titre  de  chape- 
lains. Mémoires  de  la  Société  d'Archéologie  lorraine,  1897  :  Vabbaye 
de  Remiremont. 

Sur  Catherine  de  Lorraine,  v.  l'intéressant  travail  de  M.  Pfister  dans 
les  Mémoires  de  l'Académie  de  Stanislas,  1897. 


-^  498  — 

ealevant  aux  chanoinesses  l'office  monastique  pour  leur 
donner  Toffice  romain  ?  Elle  dut  capituler  devant  l'opposi- 
tion ouverte.  C'est  alors  qu'elle  s'adressa  aux  supérieurs 
de  Saint-Vannes  et  obtint  quelques  religieux  pour  repren- 
dre au  Saint-Mont  la  place  des  chanoines  en  16S3. 

Retiré  à  Saint  Vannes  dans  sa  cellule  de  simple  religieux, 
Didier  de  la  Cour  attendait  en  paix  la  findeses  travaux  (i). 
Soumis  comme  un  novice  à  son  prieur,  il  se  détachait  peu 
à  peu  des  plus  petits  liens  qui  le  retenaient  ici -bas.  11  avait 
toujours  aimé  le  pro  nihilo  reputari,  si  fécond  en  vertus  mo- 
nastiques ;  il  y  fut  fidèle  jusqu'au  dernier  jour  :  quand, 
inquiets  de  voir  les  forces  du  «  Père  Ancien  »  diminuer, 
les  supérieurs  majeurs  vinrent  à  Verdun  pour  le  visiter, 
l'humble  vieillard  s'en  émut  et  ne  put  s'empêcher  de  pro- 
tester contre  cette  marque  de  déférence.  Les  exceptions  les 
plus  légitimées  par  son  état  lui  étaient  à  charge  :  seule 
l'obéissance  pouvait  le  contraindre  à  s'y  soumettre. 

Assidu  à  la  célébration  du  Saint  Sacrifice,  qui  était  «  son 
unique  consolation  et  son  plus  grand  bonheur  »,  il  ne 
l'abandonna  que  quand  ses  forces  le  trahirent  tout  à  fait, 
c'est-à-dire  au  commencement  de  novembre  1623.  Il  se 
sentait  descendre  vers  la  tombe  et,  lorsque  le  moment  vint 
de  recevoir  les  derniers  sacrements,  il  voulut  que  ce  der- 
nier acte  fût  un  acte  de  moine  :  il  se  fit  revêtir  de  son  habit 
religieux,  entendit  la  sainte  messe,  qu'on  dit  à  côté  de  sa 
chambre,  communia  et  reçut  ensuite  l'Extrême  Onction. 
Sa  joie  ne  put  se  contenir  :  ((  C'en  est  fait,  dit-il,  je  meurs 
content,  puisque  Dieu  m'a  fait  toutes  les  grâces  que  je 
pouvais  souhaiter  (2)  ». 

Le  quatorze  novembre,  la  fièvre  s'accentua,  et  sa  parole. 


(i)  En  1619,  Dom  Didier  de  la  Cour  fit  encore,  et  probablement  poar 
la  dernière  fois,  le  voyage  de  Moyen moutier,  pour  y  assister  à  la  recon- 
naissance des  reliques  de  saint  Hydulphe.  D.  Belhomme,  Hist.  Med, 
Mon.  (1619). 

(2)  D.  Haudiquer,  op,  cit.,  p.  245  et  suiv. 


—  499  — 

qui  jusque-là  avait  été  intelligible,  lui  manqua.  Douce- 
ment, sans  efiort,  le  soir  vers  quatre  heures,  il  rendit  son 
âme  à  Dieu.  Il  était  dans  sa  72*"  année  (1). 

La  dépouille  mortelle  fut  exposée  d'abord  dans  une  cha- 
pelle, puis  dans  la  nef  de  Téglise,  afin  de  satisfaire  la  dévo- 
tion des  fidèles. 

La  mort  du  prieur  de  Saint-Vannes  ferme  le  cadre  que 
nous  avons  imposé  à  notre  modeste  travail;  puisse  celui- 
ci  trouver  dans  l'indulgence  des  lecteurs  une  compensa- 
tion à  ce  qui  lui  manque  pour  être  complet.  La  rareté  et 
réloignement  des  sources,  comme  aussi  l'étendue  que 
comporte  le  sujet,  nous  ont  forcé  souvent  de  résumer  bien 
des  événements  de  la  vie  du  Réformateur  lorrain.  Le  peu 
que  nous  avons  tenté  de  faire  pour  rendre  hommage  à  ses 


(1)  Les  différents  historiens  de  Dom  Didier  de  la  Cour  rapportent 
que  plus  de  cinquante  personnes  virent  briller  une  ôtoile  au-dessus  de 
l'église  du  monastère,  quand  le  corps  du  pieux  défunt  y  fut  trans- 
porté. La  vénération  qui  entourait  le  moine  vivant,  se  manifesta  alors 
d'une  manière  touchante  :  le  peuple  accourut  en  foule  et  ne  cessa, 
pendant  tout  le  temps  que  le  corps  fut  exposé,  de  baiser  ses  mains  et 
de  lui  faire  toucher  des  objets  pieux.  Le  titre  de  «  vénérable  »,  qui 
depuis  a  toujours  accompagné  son  nom,  continua  de  montrer  quelle 
estime  le  prieur  do  Saint-Vannes  laissait  en  mourant. 

Dom  Didier  de  la  Cour  fut  inhumé,  comme  il  l'avait  désiré,  dans  le 
chœur  de  l'église  de  Saint- Vannes.  Sa  tombe  fut  recouverte  d'une  dalle 
où  était  gravée  son  portrait,  avec  une  inscription  qui  rappelait  les  dif- 
férentes étapes  de  sa  vie  et  de  son  œuvre  de  réforme.  C'était  plus  qu'il 
n'avait  demandé  sans  doute,  car  lui-même  avait  préparé  l'épitaphe 
suivante  :  Hic  jacet  Desiderius  a  Curia,  Religiosus  huius  Monasterii, 
cuius  anima  vestris  precibus  com'"endatur.  Mais  peut-on  incriminer 
des  fils  d'avoir  voulu  glorifier  leur  Père  ? 

Le  30  mars  1811,  Antoine-Henri  de  la  Cour,  parent  du  prieur  de 
Saint- Vannes,  voulant  préserver  la  précieuse  tombe  de  la  ruine  qui 
menaçait  l'église  de  Saint- Vannes,  fit  transporter  les  restes  du  Réfor- 
mateur dans  l'antique  chapelle  castrale  du  petit  Monthairon.  C'est  là 
qu'ils  reposent,  au  pied  de  l'autel. 

Voir,  sur  la  tombe  de  Dom  Didier  de  la  Cour,  la  brochure  de  M.  Dony  : 
Tombes  du  Pays  verdunois,  Verdun,  Laurent,  1891,  et  l'article  de 
M.  Léon  Germain  sur  le  même  sujet,  dans  le  Journal  de  la  Société 
d'Archéologie  lorraine,  1891,  ainsi  que  le  nôtre  dans  le  Bulletin  de 
Saint-Martin^  septembre  1899. 


-  500  - 

mérites  et  à  ses  vertus,  en  ne  cachant  rien  des  difficultés 
de  l'œuvre,  était  du  domaine  historique.  Le  détail  de  la  vie 
intime  du  moine  se  révèle  dans  cette  suite  des  événemenls 
qui  ont  marqué  sa  vie  extérieure  :  un  tel  arbre  n'aurait 
pu  résister  aux  tempêtes  du  commencement,  encore  moins 
grandir  et  se  développer,  sans  une  forte  sève  intérieure 
partie  de  la  racine  môme.  Et  cette  sève  s'est  conservée,  à 
travers  bien  des  heures  de  grande  sécheresse,  il  est  vrai, 
jusqu'aux  jours  où  elle  a  semblé  perdue  à  jamais.  La 
Révolution  semblait,  en  effet,  l'avoir  tarie;  elle  n'avait  fait 
que  l'emprisonner,  et  le  jour  où,  dans  l'une  des  ruines  du 
vieux  prieuré  de  Solesmes,  l'abbé  Guéranger  sentit  naître 
en  lui  la  vocation  monastique,  cette  sève  lui  fut  communi- 
quée à  nouveau  :  bientôt  l'on  vit  grandir  le  rejeton  des 
anciennes  Congrégations  de  Saint- Vannes,  de  Saint  Maur 
et  de  Cluny,  sous  le  nom  générique  de  Congrégation  de 
France.  Depuis,  d'autres  rameaux  ont  reverdi  sur  la  tige 
des  mêmes  principes  monastiques,  et  l'on  peut  ajouteraux 
noms  qui  précèdent,  ceux  des  Congrégations  de  Beuron  et 
du  Brésil,  car  elles  sont  autant  de  familles  issues  du  même 
Père  Dom  Didier  de  la  Cour  de  la  Vallée. 


TABLE 


PAGES. 

AVANT-PROPOS 265 

PREMIÈRE    PARTIE. 

CHAPITRE  PREMIER.  —  Naissance  de  Dom  Didier  de  la  Cour, 
4550.  —  Il  entrée  Saint-Vannes,  1568.  —  L'Abbaye.  —  Pro- 
fession de  Dom  Didier,  1575.  —  Ses  études,  1578-1584.  ...      Hi 

CHAPITRE  II.  —  Sa  vie  austère  à  Saint- Vannes.  —  Son  voyage  à 
Rome,  1587-9.  —  Sa  vie  érémitique  à  Raucourt,  1589.  — 
Essai  chez  les  Minimes,  1590.  —  Rentrée  à  Saint-Vannes  .      289 

CHAPITRE  m.  —  Essais  divers  de  réforme  générale,  puis  parti- 
culière. Visite  du  prince  Erric  à  Saint- Vannes.  —  Election 
de  Dom  Didier  comme  prieur,  1598.  —  Prise  d'habit,  noviciat 
de  quelques  religieux.  —  Les  opposants  envoyés  à  Moyen- 
moutier.  —  Les  prieurés  de  Mont-Saint-Martin,  près  de 
Longwy,  et  de  Chaudefontaine  détachés  de  Saint- Vannes  .      30^ 

CHAPITRE  IV.  —  Profession  des  réformés,  30  janvier  1600.  — 
Vie  austère  qu'ils  mènent.  —  Maladie  du  prieur.— Il  veut  se 
démettre  de  sa  charge.  —  Dom  Claude  François  revient  de 
Rome,  amenant  deux  moines  français  à  Saint- Vannes  .   .  .      3i8 

CHAPITRE  V.  —  Rref  de  réforme  pour  Moyenmoutler,  19  mai 
1601.  —  Son  exécution  ;  réforme  de  cette  «abbaye.  —  Le 
prieur  de  Saint- Vannes  institué  Visiteur  de  Moyenmoutler. 
—  Etrange  maladie  des  réformés.  —  Son  retour  à  Verdun. 
La  question  de  la  stabilité 344 

CHAPITRE  VI.  —  Traité  d'union  entre  Saint-Vannes  et  Salnt- 
Hydulphe,  30  avril  1603.  —  Projet  de  Congrégation.  —  Bulle 
d'érection,  7  avril  1604.  —  Sa  promulgation  à  Moyenmoutler. 
Premier  Chapitre  général  à  Saint- Vannes.  —  Question  de  la 
juridiction  :  bref  du  23  juillet  1605.  —  Le  cardinal-légat  étu- 
die le  moyen  d'étendre  la  réforme 354 


-  802  — 

DEUXIÈME  PARTIE. 

PAGES. 

CHAPITRE  PREMIER,—  Bref  de  réforme,  27  septembre  1605.  — 
Visite  apostolique  de  Dom  Lucalberti.  —  Etat  général  des 
monastères.  —  Visite  de  Saint-Mihiel  :  la  réforme  j  est 
introduite.  —  Visite  de  Longeville,  Saint-Avold,  Bouzon- 
Tille 376 

CHAPITRE  II.  —  Visite  de  Saint-Mansuy  et  Saint-Evre  de  Toul. 

—  De  Senones.  —  Décrets  du  Visiteur.  —  Son  retour  en 
Italie,  1606 399 

CHAPITRE  III.  —  Autres  décrets  du  légat.  —  Réforme  des  Béné- 
dictines de  Saint-Maur  de  Verdun.  —  De  l'abbaye  de  Saint- 
Avold.  —  Chapitres  généraux  de  1608-1609-1610.  —  Edition 
des  constitutions 4i2 

CHAPITRE  IV.  —  Réforme  désirée  en  France.  —  Beaulieu,  Saint- 
'  Airy  de  Verdun,  le  collège  de  Cluny  à  Paris  la  reçoivent.  — 
Chapitres  de  1611-1612   —Réforme  de  Faverney 435 

CHAPITRE  V.  —  Réforme  de  Saint-Augustin  de  Limoges.  —  De 
Saint-Nicolas  de  Port,  1613.  —  Chapitres  généraux  de  1613- 
1614.  —  Quelques  nouvelles  vocations  françaises.  —  Réforme 
de  Saint-Junien  de  Noaillé  et  de  Saint-Faron  de  Meaux,  1615. 

—  De  Jumièges,  1616 451 

CHAPITRE  VI.  —  La  CongrégaUon  belge  de  la  Présentation 
Notre-Dame.  —  Erection  de  la  Congrégation  de  Saint-Maur, 
1618.  —  Chapitre  général  :  réforme  de  Senones  et  de  Saint- 
Arnould  de  Met?,  du  Breuil,  161819.  —  Chapitres  de  1620- 
1621.  —  Réforme  de  Saint-Remy  de  Reims  et  de  Moiremont. 

—  Retraite  de  Dom  Didier  de  la  Cour.  —  Chapitre  de  1622  : 
règlements  pour  les  études.  —  Réforme  du  Saint-Mont.  — 
Maladie  et  mort  de  Dom  Didier  de  la. Cour.  —  Conclusion.      47i 


LA  STATION   FUNÉRAIRE 

DU 

BOIS  DE  LA   VOIVRE 

(HAROUË) 

PAR 

Le  Cte  J.  BEAUPRÉ  et  le  D^  J.  VOINOT 


AVANT-PROPOS 


En  1889^  dans  la  monographie  de  la  commune  de  Ua- 
roué,  M.  rinslituteur  Vosgien  signalait,  près  de  la  tranchée 
allant  de  Vaudeville  à  Ormes,  «  plusieurs  monticules 
paraissant  faits  de  mains  d'hommes  ».  Il  s'agissait  de 
tumulus  situés  dans  le  bois  de  la  Voivre,  entre  cette  tran- 
chée et  les  teries  de  la  commune  de  Haroué. 

Ayant  appris,  au  mois  de  décembre  1902,  que  M.  le  doc- 
teur Voinot  avait  ouvert  quelques-uns  de  ces  tumulus, 
nous  fîmes  aussitôt  le  nécessaire,  mon  confrère  M.  G. 
Goury  et  moi,  pour  assurer  à  la  Société  d'Archéologie  lor- 
raine le  droit  de  faire  des  fouilles  conjointement  avec 
M.  Voinot.  M.  le  comte  de  Ludre  accorda,  avec  sa  bonne 
grâce  habituelle,  les  autorisations  les  plus  larges;  mais, 
étant  donné  la  mauvaise  saison,  les  travaux  ne  purent 
commencer  avant  le  mois  de  mai  1903. 


—  504  — 

Soixante  sept  tumulus  ont  été  fouillés,  dont  49  par  moi 
et  18  par  M.  Voinot.  Il  en  reste  encore  quelques  petits  à 
explorer  dans  la  partie  du  bois  la  plus  proche  de  Haroué. 
Les  tumulus  de  ce  côté  de  la  station  qui  ont  été  explorés, 
paraissaient  contenir  exclusivement  des  incinérations,  sans 
aucun  mobilier  funéraire.  Aussi,  les  crédits  étant  très 
limités  et  la  saison  trop  avancée,  nous  n'avons  pas  jugé  à 
propos  de  les  ouvrir.  D'après  le  plan,  dressé  aussi  exacte- 
ment qu'il  m'a  été  possible  de  le  faire  au  milieu  des  taillis, 
le  nombre  des  tertres  dépasse  80  (1).  Quelques-uns  ont  dû 
être  omis,  car  il  en  existe  de  si  petits  qu'il  est  presqu'im- 
possible  de  les  distinguer  des  mouvements  naturels  du  sol. 

Indépendamment  de  M.  le  comte  de  Ludre,  il  y  a  lieu  de 
remercier  d'autres  confrères,  M.  le  docteur  Voinot  d'abord, 
pour  avoir  abandonné  à  la  Société  la  plus  grosse  part  des 
tumulus,  et  ensuite  MM.  Gh.  Drouet,  A.  Poirot,  le  docteur 
Viller,  les  abbés  Olry  et  Nicolas,  qui  ont  bien  voulu  par- 
tager à  différentes  reprises  une  surveillance  qui  n'a  été 
interrompue  par  moi  à  aucun  moment  de  ce  long  travail. 

J.  BEAUPRÉ. 

(1)  C'est,  jusqu'ici,  la  station  funéraire  la  plus  importante  de  la  régioiL 


ri 


56 


3i* 


PREMIERE  PARTIE 


Compte  rendu  des  fouilles 

Jumulusl.  {{)— Cei{im\i\us  de  relief  très  faible  (0«»40, 
sur  8  à  10  m.  de  diamètre),  recouvre  remplacement  d*un 
foyer,  marqué  par  une  couche  de  cbarbolis  de  près  de 
0™.10  d'épaisseur  et  de  3  m .  de  diamètre,  au  centre  de  la- 
quelle se  trouvait  un  vase  grossier  en  terre  noire  mal 
cuite,  complètement  en  morceaux. 

lumulus  5,  —  Présente  les  mêmes  caractères  ;  mais  la 
couche  de  charbons  est  moins  épaisse. 

Tumuîus  4.  —  Mêmes  particularités. 

Tumulus  3  et  5.  —  Mêmes  dimensions  ;  non  fouillés.  . 

Tumulus  6.  —  (Diam'  10  m.  ;  haut"^  O'^^iO).  A  donné  les 
débris  d'une  poterie  rouge  de  très  mauvaise  qualité.  Il 
est  du  type  des  précédents  ;  mais  la  couche  de  charbons 
se  trouve  un  peu  plus  profondément  enterrée  (0^60)  et 
le  sol  naturel,  en  dessous  du  foyer,  est  fortement  cuit  au 
rouge. 

TtimulusJ.  —  (Diam'  1  i  m.;  hauf  1™20).  N'a  donné,  mal 
gré  sa  belle  apparence,   que  de   menus  morceaux  d'une 
poterie  rouge  très  grossière. 

Tumulus  8,  —  Appartient  au  type  \  et  suivants,  mais  la 
couche  de  charbons  est  faible,  profondément  enterrée 
comme  dans  le  tumulus  6.  Son  relief  est  aussi  plus  consi- 
dérable (0"^80). 

Tumulus  9.  —  (Diam^  12  m.;  haut"^  0™40.)  N'a  rien  donné. 

*  Tumulus  10.  —  (Diam'^  15  à  18  m.  ;  haut^O'^GO).  A  une 
profondeur  de  O^^GO,  deux  vases,  placés  l'un  dans  l'autrç. 

(1)  Les  tumulus  marqués  du  signe*  ont  été  fouillés  par  M.  J.  Voinot. 

3:j 


—  506  - 

Tumulus  IL  —  (Diam.  de  10  à  12  m.  ;  haut.  0"80).  A 
O^^TO  de  profondeur,  légère  couche  brune  étendue  sur  le 
sol  vierge,  orientée  du  Nord  au  Sud,  marquant  remplace- 
ment d'un  corps.  —  Mobilier  funéraire  :  à  un  bras,  un  gros 
anneau  de  lignite  (pi.  II,  fig.  40),  portant  des  traces  très 
apparentes  d'oxyde  de  fer  provenant  sans  doute  d'un  bra- 
celet; à  l'autre  bras,  deux  ornements  de  même  nature,  mais 
plus  petits  (pi  1,  fig.  23,  28).  Quelques  fragments  d'un  pot 
en  terre  noire,  au  Sud  de  la  couche  archéologique, 

Tumulus  12.  —  Mêmes  particularités.  —  Mobilier  :  3  pe- 
tits bracelets,  en  lignite  et  en  bronze  (pi.  I,  fîg.  21,  22,  25, 
et  pi.  II,  fig.  43,39). 

Tumulus  13.  —  Mûmes  conditions  de  gisement.  Mobi- 
lier; 1  gros  bracelet  de  lignite  complètement  effrité  (pi.  II, 
fig.  36,  39)  et  fragments  d'un  gros  bracelet  dç  terre  cuite 
(pi.  II,  fig.  33). 

Tumulus  14.  —  Mêmes  particularités,  mais  relief  plus 
fort.  Mobilier  :  fragments  d'un  petit  bracelet  formé 
d'une  substance  d'apparence  bitumineuse,  moulée  autour 
d'un  cercle  dont  la  matière  a  disparu,  laissant  un  vide 
central  (pi   1,  fig.  34). 

Tumulus  15.  -  (Diam'î  10  m.  ;  haut'  1™20).  Rien. 

Tumulus  16.  —  Mêmes  dimensions,  peut-être  un  peu  plus 
gros.—  A  donné  un  grand  vase  complètement  brisé,  en  terre 
brune  (pi.  V,  fig.  2). 

Tumulus  17.  —  (Diam*  de  10  à  15  m.  ;  haut'  1  m.)  Un  peu 
nivelé  pour  le  passage  du  sentier.  Broyon  formé  d'un 
talon  de  hache  eu  pierre  polie  (pi.  1,  fig.  8),  placé  près 
de  la  tête  d'un  corps  inhumé  Nord-Sud,,  étendu  sur  des 
pierres  plates.  Traces  d'oxyde  de  fer  à  l'emplacement  de 
la  tête. 

*  Tumulus  1S,  —  {Diam'^  13  m.  ;  haut'  1^30).  —\  0°40 
de  profondeur,  S  poteries,  dont  3  vases  de  terre  rouge  ver- 
nissée en  forme  de  coupe,  un  autre  à  base  étroite  avec  ren- 
flement vers  le  haut,  2  sortes  d'assiettes,  2  pots  en  terre 


—  507  — 

blanche,  2  autres  en  terre  noire.  Ces  poteries  conte- 
naient, Tune  une  monnaie  gauloise,  les  autres  des  clous  à 
grosse  tôte,  très  courts  '  Il  y  avait  en  outre  une  sorte 
d'agrafe  consistant  en  une  tige  de  bronze  de  forme  ronde, 
unie,  épaisse  au  centre  de  0'n004,  diminuant  progressive- 
ment de  diamètre  pour  se  terminer  en  pointes  aiguës.  Elle 
est  repliée  de  façon  à  former  un  croissant  de  0^035  envi- 
ron de  diamètre.  Sur  le  même  plan  se  trouvait  une  léte  de 
fémur.  Plus  bas,  à  0™60,  était  un  pierrier  contenant 
un  squelette  orienté  Nord  Sud,  ayant  aux  pieds  un  vase 
en  terre  noire  avec  ornements  en  dents  de  scie,  et  à  un 
poignet  un  bracelet  de  fer,  formé  d'un  grand  clou  (pi.  III, 
fig.  70). 

lumiilus  19.  —  Un  peu  plus  petit.  Quelques  fragments 
de  poterie,  un  morceau  de  quarzite  taillé  en  pointe,  et  un 
autre  en  forme  de  râcloir  (pl.  Il,  Vi^.  50,  et  pi.  I,  fig.  il». 
Peut-être  une  incinération,  si  Ton  peut  en  juger  par  l'abon- 
dance assez  grande  de  charbons  contenus  dans  la  couche 
noire  du  fond  et  la  forte  cuisson  du  sol.  On  ne  saurait  tou- 
tefois rien  affirmer,  malgré  l'importance  de  la  fouille  dont 
le  tumulus  a  été  l'objet. 

Tumulus  20.  —  (Diam"  15  m.  ;  haut'  i"»20).  A  O'^SO  de 
profondeur,  un  fragment  de  tibia  provenant  sans  doute 
d'une  inhumation  superficielle  d'époque  postérieure,  violée 
à  une  époque  reculée. 

A  0n»80,  couche  de  charbons  de  0™05  recouvrant  le  sol 
vierge,  assez  fortement  brûlé  sur  de  0«»02  d'épaisseur.  Dans 
cette  couche  de  charbons,  se  trouvait  une  grande  épée  de 
fer  mesurant  en  place  1°*10  de  longueur,  cassée  sans  doute 
intentionnellement  en  2  parties.  Elle  est  en  fort  mauvais 
état  de  conservation.  Elle  n'a  pu  être  recueillie  que  par 
menus  fragments.  En  admettant  qu'il  y  ait  eu  inhumation 
sur  foyer  et  que  le  corps  ait  été  orienté  Nord-Sud,  la  face 
vers  le  Sud,  Tépée  aurait  été  placée  sur  les  jambes,  for- 
mant avec  celle  ci  la  croix  de  sajnt  André.  Dans  le  tumulus 


—  508  — 

27,  comme  nous  le  verrons,  l'épée  était  posée  de  la  même 
façon. 

lumulus  21,  —  (Diam'  18  m.  ;  hauf  l'»20).  A  1°»10  de 
profondeur,  lit  de  pierres  placées  les  unes  à  côté  des  autres 
sur  le  sol  vierge  :  dans  les  interstices,  terre  noire  mêlée  de 
charbons.  Ce  pierrier  est  orienté  Nord-Est,  Sud-Ouest.  Vers 
le  centre,  4  bracelets  très  petits^  en  bronze,  placés  deux  par 
deux,  à  Oï"oO  de  distance  (pi.  I,  fig.  16,  17,  pi.  Il,  flg.  «, 
44,  52)  (1),  et  un  rAcloir  en  quartzite  (pi.  I,  fig.  19). 

*  Tumulus  :^:?.— (Diam"  15  m.;  haut^  1^50)— Inhumation: 
pointe  de  flèche  en  silex  rose. 

Tumulus  '23,  —  (Diam*  8  m  ;  haut^  0™40).  Rien. 

Tumulus  n.  —  (Diam«  18  m.  ;  haut'  1°»60).  Ce  tumulus  a 
été  un  peu  entamé  par  la  tranchée  allant  des  terres  de 
Haroué  à  la  route  d'Ormes  à  Vaudeville. 

A  la  surface  du  sol  vierge,  se  trouvait  une  épée  de  fer 
très  large,  en  mauvais  état  de  conservation,  à  laquelle 
adhéraient  des  fragments  de  tibias.  Elle  porte  de  nom- 
breuses empreintes  de  tissus  et  de  bois.  Son  orientation 
est  la  môme  que  celles  des  tumulus  20  et  27. 

Tumulus  '25.  —  (Diam»  20  m.  ;  haut'  1»=60).  Ce  tertre,  de 
grandes  dimensions,  contenait  un  pierrier  de  forme  ovale, 
dont  le  grand  axe  est  orienté  Nord-Sud  :  ce  pierrier  devait 
être  épais  de  .1  m.  au  centre,  mais  il  avait  été  dérangé  au- 
trefois, comme  l'indique  le  désordre  d'une  grande  partie 
des  matériaux  rocheux.  Il  a  donné  quelques  fragments  de 
poterie  épars  parmi  les  pierres,  quelques  centimètres  d'un 
fémur  et  les  morceaux  d'un  bracelet  plat,  sorte  de  ruban  de 
bronze  (pi.  I,  fig.  13),  biisé  intentionnellement  et  dispersé 
entre  les  pierres  du  fond. 

Tumulus  2C).—  (Diarn^  8  m.  ;  hauf;  1  m).  N'a  rien  donné. 

Tumulus  57.  —  (Diam*  20  m.  ;  haut'  1™60).  Ce  tumulus 
devait  être  jadis  très  élevé  ;  mais  la  terre  dont  il  est  composé 

(l)  C'est  par  erreur  que  les  deux  parties  ûgurent,  sur  la  planche,  sous 
d»*ux  numéros  dilTérenls  44  et  52. 


-  509  - 

a  été  entraînée  de  tous  côtés  par  les  renards.  C'est  une 
sépulture  double,  homme  et  femme. 

A  la  surface  du  sol,  sur  une  couche  de  terre  marneuse 
très  dure  et  rapportée,  se  voyait  un  pavé  formé  de  grosses 
pierres  plates  de  calcaire  dolomitique  des  marnes  irisées, 
disposé  en  carré  long  de  2  m.  surl^^oO,  sur  lequel  on 
remarquait  la  couche  habituelle  de  terre  noirâtre  Ce  carré 
était  terminé,  à  chaque  extrémité  des  côtés  longs,  par  une 
pierre  plate  placée  de  champ,  limitant  la  sépulture  de 
2  corps,  représentés  par  quelques  parcelles  d'os  des 
jambes  et  des  bras,  les  uns  empâtés  dans  l'oxyde  de  fer, 
les  autres  imprégnés  d'oxyde  de  cuivre. 

Ces  matières  minérales  provenaient:  1°  d'une  épée  de  fer 
assez  bien  conservée,  placée  la  poignée  à  droite,  la  pointe 
à  gauche  en  dessous  des  genoux,  et  en  travers  des  jambes 
d'un  guerrier,  formant  avec  celles-ci  la  croix  de  saint 
André,  comme  l'atteste  encore  la  position  des  fragments 
d'os  empâtés  dans  la  rouille  ;  2^  d'un  petit  objet  de  bronze 
indéterminable,  peut-être  les  restes  d'une  épingle.  Ce 
dernier  objet  appartenait  à  un  second  corps  placé  côte 
à  côte  avec  le  premier.  11  en  est  de  môme  d'un  petit 
bracelet  de  lignite  (pi.  1,  fig.  26j.  Le  guerrier,  comme 
il  a  été  remarqué  dans  les  tumulus  20  et  24,  n'avait 
aucune  parure.  A  hauteur  de  son  humérus  droit,  un  peu 
au-dessus  et  parallèlement  à  celui-ci,  on  remarquait  une 
couche  de  rouille,  épaisse  de  0»"002,  longue  de  O^^SO, 
irrégulière  comme  largeur,  mais  ne  dépassant  pas  0"^07  à 
0"^08.  Il  est  impossible  de  dire  à  quel  genre  d'objet 
cette  bande  métallique  peut  avoir  appartenu.  Une  poterie, 
noire  de  pâte  et  d'enduit,  se  trouvait  placée  aux  pieds 
des  deux  morts. 

Tumulus  SS.—  (Diame  13  m.  ;  haut*"  l«n60).  Bien  conservé  ; 
n'a  cependant  donné  qu'une  poterie  incomplète,  placée  à 
0™.30  de  profondeur  (pi.  V,  fig.  1). 

Ji/mt//MS^9.  —  (DiamMOm.  ;  haur  Cn^OO).   A  1  m.   de 


—  510  — 

profondeur  et  à  Qn^lO  du  sol  vierge  nous  avons  recueilli 
une  sorte  de  tasse  intacte  (pi.  II,  fig.  37  et  pi.  V,  fig.  4)  en 
terre  grossière  rougeàtre,  un  petit  bracelet  de  bronze  et 
deux  bracelets  de  lignite,  dont  un  incomplet  (pi.  I,  fig.  i8, 
24,  33).  Par  exception,  ces  objets  ne  reposaient  pas  sur  le 
sol  vierji:e,  mais  sur  de  la  terre  rapportée. 

Tumulus  30.  —  (Diam^  10  m.;  haut'  O^^SO).  Na  rien 
donné. 

Tumuluii  31.  —  (Diam^  10  m.  ;  haut^  0°*40).  Au  centre,  à 
la  profondeur  de  deux  fers  de  bêche,  deux  bracelets  de 
bronze,  de  taille  moyenne,  placps  à  O^oO  l'un  de  Tautie, 
de  l'Est  à  rOuesl  (pi.  1,  fig.  14,  15). 

*  Titmylvs  32,  —  (Diam*  15  m.  ;  haut^  1  m.)  N'a  rien 
donné. 

Tumulus  33,  —  Diam- 10  m.;  haut'  O^'OO).  A  0^50  de  pro 
fondeur,  lit  de  pierres  plates  avec  couche  noirâtre  épaisse 
de  0'"  10  environ.  Orientation  Nord-Ouest,  Sud-Est.  Débris 
de  deux  bracelets  plats,  en  bronze  (pi.  II,  fig.  48).  Plus 
loin,  bracelet  plat  en  bronze  et  bracelet  rond  en  lignite,  de 
faible  diamètre  (pi.  II,  (ïg.  42).  Quelques  fragments  de 
bois  reposant  sur  une  petite  pierre  et  conservés  par  le 
voisinage  des  objets  de  bronze,  permettent  de  croire  que 
le  bras,  sinon  le  corps,  reposait  sur  une  planche.  Moitié 
d'un  autre  bracelet  plat,  en  bronze,  un  peu  plus  gros, 
cassé  anciennement  (pi.  II,  fig.  47). 

Tumvlns  34.  —  (Diam^  15  m.  ;  hauf  l^^eo.)  A  1^60  de 
profondeur,  débris  d'un  vase  (pi.  V,  fig.  6),  à  côté  duquel 
se  trouvait  :  un  gros  bracelet  de  lignite,  accolé  à  deux  bra- 
celets de  bronze,  un  gros  et  un  petit,  k  0°»40  vers  l'Est, 
même  réunion  d'objets  (1).  Près  de  ces  derniers,  beau 
broyon  en  quartzite  (pi.  I,  fig.  1,  2,  3,  4,  5,  6,  7). 

*  Tumulus  35.  —  (Diam^  25  m.;  haut'  1°^60).  Pierrier  cen- 
tral ;  restes  de  charbons  très  volumineux. 

(1)  Les  anneaux  de  lignite  étaient  placés  en  bas,  près  du  poignet; 
ceux  en  bronze,  au-dessus;  le  plus  petit,  en  haut. 


~-  511  — 

Tumulus  36.  —  (Diam®  30  m.  ;  haut'  1^20).  N'a  rien 
donné. 

♦  Tumulus  37.  —  (Diarn^  15  m.;  haur  1  m.)  A  0«°80,  inhu. 
mation  ;  2  bracelets  (pi.  III,  fîg  73),  dont  un  plat,  en 
bronze  (1),  un  vase  en  terre  grise.  —  Orientation  Nord  Sud. 

♦  Tumulus  38.  —  (Diam'  13  m.;  haut'  1  m.)  A  0=»70,  inhu- 
mation orientée  Nord -Sud  :  2  bracelets  moyens  en  bronza 
et  en  lignite,  2  petits  bracelets  de  bronze  (pi.  III,  fîg. 
63,  64,  65,  66,  69,  74). 

♦  Tumulus  39. —  (Diam«  15  m.  ;  hauf  1™50)  Gros  pierrier 
au  centre.  Inhumation  orientée  Nord-Sud  ;  vase  en  terre 
grise. 

Tumulus  40.  ^  (Diara«  30  m.;  haut'  l»n40).  Ce  tumulus  a 
un  peu  la  forme  d*un  cône  tronqué .  A  01^50,  apparaissent 
quelques  pierres  appartenant  à  un  noyau  rocheux  en 
forme  de  carapace  de  tortue,  orienté  du  Nord  au  Sud. 
Suivant  cette  orientation,  on  découvre  d'abord  une  sorte 
de  caisson  en  pierres  debout,  avec  pavage  de  dalles  au  fond, 
encore  bien  conservé  dans  sa  partie  Sud,  mais  bouleversé 
dans  sa  partie  Nord.  Cette  sépulture  a  évidemment  été 
violée  a  une  époque  inconnue.  Sur  le  même  plan,  à  0^50 
et  suivant  une  même  orientation,  devait  se  trouver  une 
seconde  sépulture,  si  Ton  en  juge  par  quelques  os  épars 
dans  les  pierres  et  écrasés  par  celles-ci.  A  cette  dernière 
appartenaient  un  anneau  de  bras  ou  de  jambe  uni, 
avec  protubérance  centrale  sur  la  face  extérieure,  des 
fragments  d'un  petit  bracelet  uni,  également  en  bronze 
(pi.  II,  fîg.  53,  56),  et  une  fibule  de  forme  ronde  en  ambre 
avec  cercles  gravés,  concentriques,  recouverte  d'une  plaque 
très  mince  en  or,  portant  des  ornements  au  repoussé  (pi.  IVy. 
Près  de  la  cuisse  droite,  caillou  en  quartzite  en  forme 
d'œuf  (pi.  I,  fig.  29).  ' 


(1)  Trop  fragile  pour  être  traDsporté,  il  n'a  pu    ôtre  photographié 
même  type  que  le  n*  72,  mais  plus  petit). 


—  512  - 

En  dessous  de  ces  sépultures  et  séparées  d'elles  par  des 
pierres,  se  trouvaient  deux  autres  corps  orientés  de  l'Est  à 
rOuest,  la  face  vers  l'Est.  Quelques  débris  de  la  tête  et 
quelques  fragments  d*os  assez  bien  conservés  ont  permis 
de  se  rendre  compte  exactement  de  leur  orientation.  Parmi 
les  premiers,  on  remarque  une  mâchoire  inférieure  com- 
plète et  quelques  dents  de  la  mâchoire  supérieure,  et  un 
occipital  auquel  adhèrent  encore  d'importantes  parties  des 
pariétaux.  Ces  débris  ont  appartenu  à  des  sujets  de  50  à 
60  ans.  Auprès  d'uii  des  crânes  se  trouvaient:  i^une  petite 
tige  de  fer  portant  deux  barbelures  (pi.  I,  fig.  12)  ;  2^  de 
menus  morceaux  d'un  fil  très  fin  en  bronze  et  d'un  autre 
enroulée  en  spirale  formant  deux  tours  sur  lui-môme (pl.  II, 
fig.  46).  Les  pierres  entourant  et  recouvrant  ces  sépultures 
paraissent  avoir  été  disposées  primitivement  en  forme  de 
voûte  ;  des  pierres  plates  marquent  la  direction  des  corps. 
Un  broyon  (pi.  II,  fig.  41)  et  quelques  débris  de  poteries 
en  terre  rouge  très  grossière  ont  été  recueillis  çà  et  là  parmi 
les  matériaux  rocheux. 

*  Tumulus  41,  —  (Diam«  10  m.;  haut^  0"»50).  Inhumation 
orientée  Nord-Sud,  sous  un  pierrier  ;  2  gros  bracelets  de 
bronze;  2  gros  bracelets  de  lignite  (pi.  III,fig.  59, 60,  61,62). 

Tumulus  42,  —  (Diam«  15  m.  ;  haut'  1"»30).  A  la  surface 
du  sol,  couche  de  terre  noirâtre  avec  charbons,  épaisse  de 
3  à  4  cent.,  orientée  Nord-Sud.  Aucun  mobilier. 

*  Tumulus  4S.^  (Diam^'  15  m.;  haut'  1^70).  A  0">30de  pro- 
fondeur, demi-bracelet  en  bronze  (pi.  III,  fig.  71)  et,  à  i^6{ 
sous  un  prierrier,  restes  de  fibule  en  bronze. 

Tumulus  44.  —  Diam"^  15  m.  ;  haut'  l°i20).  Ce  tumulus, 
très  bien  bonservé,  présente  à  sa  base  les  traces  d'un  feu 
violent  :  une  sorte  de  fosse,  dans  laquelle  un  feu  aurait  été 
fait,  semble  avoir  été  creusée  dans  le  sol,  car  la  terre 
est  cuite  tout  autour,  et  a  pris  la  couleur  de  la  brique. 
Cette  couche  de  terre  calcinée,  dans  laquelle  on  ne  voit 
d'ailleurs  que  de  très  rares  parcelles  de  charbon,  mesure 


--  513  - 

en  quelques  endroits  près  de  0™40  d'épaisseur.  Aucune 
trace  de  mobiJier  funéraire. 

Tumulus  45.  —  (Diam*  10  m.;  haut'  1""10.)  Noyau  central 
en  pierrailles,  orienté  Nord-Sud,  Quelques  débris  d'un  pot  ; 
couche  noire;  peu  de  charbons  ;  reste  de  pointe  de  flèche 
en  silex  blond  (pi.  I,  fig.  31). 

Tumulus  46,.  —  (Diam«  15  m.;  hauf  1°^30.)  N'a  rien 
donné.  Les  renards  avaient  en  grattant  ramené  un 
gros  racloir  en  quartzite  à  la  surface  du  sol  (pi.  II, 
fig.  38). 

Tvmulus  47.  —  (Diara«  15  m.  ;  haut'  1™20).  (Ouvert  par 
M.  Voinot  ;  continué  par  la  Société).  Pierrier  central  avec 
restes  d'un  vase.  A  la  base  du  tumulus,  au  centre,  un  bra- 
celet en  bronze  (pi.  II,  fig.  51)  et  un  grattoir  en  quartzite 
(pi.  I,  r\g.  20).  Il  paraît  y  avoir  eu  ici  superposition  de 
sépulture. 

Tumulus4S.  —  (Diam^  30  m.  ;  haut' l'n20).  Dévasté  par 
les  renards.  N'a  rien  donné. 

Tumulus  49,  —  (Diam«  10  m.  ;  haut»*  l'n20).  Pierrier  cen- 
tral orienté  Nord-Sud.  Couche  noire  ;  débris  de  pot;  quel- 
ques fragments  d'un  bracelet  de  lignite  (pi.  I,  fig.  27)  et 
une  sorte  de  grattoir  en  silex  brun  (pi.  L  fig.  30). 

Tumulus  50.  —  (Diam<^  15  ni.  ;  haut»"  1"20).  A  0™30  de 
profondeur,  petit  fragment  de  fer  indéterminable  (pi.  I, 
fig.  9)  ;  anneau  de  bronze  uni  ;  fragments  d'un  bracelet 
uni  ;  torques  avec  tampons  terminaux  ;  le  tout  est  en 
bronze  (pi.  II,  fig.  54,  55).  Rien  sur  le  sol  du  fond.  Il 
semble  y  avoir  eu  également,  dans  ce  tumulus,  superposi- 
tion de  sépulture. 

Tumulus  51.  —  (Diam^^  10  m.  ;  haut'  0'"50).  Rien. 

Tumulus  5^.  —  Non  fouillé  (1). 

Tumulus  53.  —  (Dianv^  15  m.  ;  haut.  1"»20).  Rien. 

(I)  Ce  tumulus  a  été  complètement  dévasté  par  les  chasseurs  do 
renards  :  son  relief  est  en  conséquence  assez  faible  (0"80)  ;  mais,  par 
contre,  son  diamètre  atteint  près  de  30  m. 


—  514  — 

Tumulus  54.—  (Diam*  20  ra.;  hauU  1°»70).  (Commencé  par 
M.  Voinot  ;  achevé  par  la  Société).  Pierres  éparses  çà  et  là 
dans  la  masse  terreuse.  Il  a  donné,  au  centre,  des  traces  de 
sépultures.  Le  corps  avait  dû  reposer  sur  une  couche  de 
pierres  couvertes  de  cendres,  en  forme  de  carré  long 
orienté  Nord  Sud  ;  quelques  pierres  placées  de  champ  de 
distance  en  distance  délimitaient  la  tombe.  Pas  de  traces 
de  mobilier  funéraire,  ni  de  débris  osseux. 

*  Tumulus  55.  —  (Diam®  15  m.  ;  haut^  1»50).  Rien. 

Tumulus  56.  —  (Diam*  20  m.;  haut^  l'°20).  Rien. 

Tumulus  57.  —  (Diam*  20  m.  ;  haut»"  1°»50).  A  0"50  de 
profondeur,  vase  brisé  en  terre  rouge  très  grossière,  et,  à 
deuxJers  de  bêche,  entre  celui-ci  et  la  tranchée,  fera 
cheval  relativement  moderne  (1).  Au  fond,  rien. 

Tumulus  58.  —  (Diaro*  15  m.  ;  haut^  i^W),  Pierrier  cen- 
tral paraissant  avoir  contenu  deux  sépultures,  celle  du 
fond  orientée  du  Nord  au  .Sud,  celle  du  dessus  de  TEst  à 
rOuest.  Elles  ont  donné  quelques  fragments  d'os,  des 
débris  de  poteries  et  un  fragment  de  bracelet  de  bronze 
(pi.  II,  fig.  75)  ayant  appartenu  probablement  à  celle  d« 
dessus,  qui  m'a  parue  violée.  On  y  remarquait  la  présence 
de  deux  énormes  dalles  en  calcaire  dolomitique,  sur  les- 
quelles avait  sans  doute  reposé  un  corps. 

Tumulus  59.  —  (Diam'^  15  m.  ;  haut'  1^50  ).  Violé  depuis 
longtemps  ;  restes  de  poterie  grossière  rouge  et,  près  de 
la  surface,  fragment  de  poterie  très  fine  vernissée  brune 
de  la  Tône  III. 

Tumulus  60.  —  (Diam.  10  m.  ;  haut.  1™30),  Quelques 
fragments  d'un  petit  bracelet  plat,  complètement  oxydé 
(pi.  II,  fig.  57),  et  d'un  autre  rond,  épais  de  0"02,  en  partie 
détruit  (pi.  II,  fig.  37).  Petit  pot  en  terre  rouge  grossière 
(pi.  V,  fig.  6). 

Tumulus  6i,  69,  63.  —  (Diam®  10  m.  ;  hauf  0°»50).  Rien. 

(1)  D'après  notre  confrère  M.  le  C  Larguillon,  ce  fer  serait  bor- 
gonde. 


—  515  — 

Tumulus  64,  65,  66.  —  (Diam«  10  m.  ;  haut'  0"40).  Non 
fouillés. 

Tumulus  67.  —  (Diam®  10  m.;  haut'  0"50).  Poterie; 
forte  couche  de  charbons  comme  pour  les  tumulus  2,  3, 
6,  etc.. 

Tumulus  68.-  (Diara*  15m.;haufl  m.).  Quelques  débris 
d'un  vase  grossier  en  terre  rouge  ;  aucunes  traces  de  (iliar- 
bons. 

Tumulus  69.  —  (Diam*"  10  m.;  haut»^  1  m.)  Pierrier  central 
orienté  Nord-Sud.  Quelques  débris  d'ossements;  un  gro.9 
broyon  en  quartzile  gris  (pi.  II,  fig.  58). 

Tumulus  70.  -—  (Diam^  20  m.  ;  hauf  1  m.).  N'a  rien 
donné. 

Tumulus  71.  —  (Diam®  12  m.  ;  haut'  1  m.)  Inhumation 
orientée  Nord  Sud.  A  0'"40,  vase  en  terre  grise. 

Tumulus  71—  (I)iam*  15  m.;  hauf^  1  m.).  A0"80,  sous  un 
pierrier  orienté  Nord-Sud,  deux  bracelets  de  brooze 
moyens  (pi.  III,  fig.  67,  68). 

^  lumulus73.  —  (Diam«  10  m.;  haut»"  l«n50).  Deux  brace- 
lets en  bronze,  plats,  larges  au  centre  (pi.  III,  fig.  72),  à  la 
profondeur  de  0™70.  Inhumation  orientée  Nord-Sud.  Re- 
fouillé par  la  Société,  il  a  encore  donné  un  petit  anneau 
en  terre  cuite  (pi.  I,  fig.  10). 

*  Tumulus  74.  —  (Diam®  20  m.;  haut'  1™30).  Inhumatiou 
Nord-Sud,  sous  un  pierrier.  Restes  d*un  crâne.  Sur  la  poi- 
trine, deux  petits  morceaux  de  ter  longs  de  5  à  6  cm.  se 
croisant  en  forme  de  V. 

Tumulus  75.  —  Très  petit,  non  fouillé. 

Tumulus  76.  —  Très  petit,  quelques  traces  de  charbons. 

J.  Beaupré  et  J.  Voinot. 


DEUXIEME     PARTIE 


Observations  sur  la  station  funéraire  du  bois 
de  la  Voivre. 

Les  dimensions  des  tumulus  de  la  Voivre  varient  entre 
Om4o  et  lm60  de  relief,  sur  10  à  35"  de  diamètre.  Malheu- 
reusement, les  plus  gros  ont  été  minés  par  les  renards,  et 
surtout  bouleversés  par  les  travaux  entrepris  pour  les 
déterrer.  Les  uns  sont  en  forme  de  calotte  bien  arrondie; 
les  autres,  de  préférence  les  plus  volumineux,  sonlaplatis 
à  leur  sommet,  mais  c'est  plutôt  une  exception.  Si  cette 
conformation  est  la  suite  d'une  violation  de  sépulture  dans 
certains  cas,  elle  provient  aussi  de  remaniements  dus  à  des 
causes  accidentelles  et  à  des  inhumations  successives. 

A  première  vue,  on  peut  prévoir  une  mauvaise  conserva- 
tion des  ossements  (1\  car  les  matériaux  terreux  employés 
consistent  en  limon  de  surface  complètement  décalcifié. 
J'ai  fait  remarquer  ailleurs  que  ce  genre  de  terrain  a  été 
très  recherché  en  Lorraine,  par  les  peuples  anciens,  pour 
rétablissement  de  leurs  sépultures,  probablement  à  cause 
de  la  facilité  avec  laquelle  il  se  travaille.  Mais  j'ai  éga- 
lement signalé  les  inconvénients  de  la  décalcification  du 
sol  au  point  de  vue  de  la  conservation  des  os  (2;.  Ce  limon 
de  surface,  repose  sur  une  terre  blanche  dépourvue  de 

(1)  Mon  collaborateur,  M.  le  D' J.  Voinol,  ayant  l'intention  de  publier, 
dans  lin  des  prochains  numc^ros  du  Bulletin  mensuel  de  la  Société 
d'archéologie  lorraine,  une  noie  sur  les  rares  ossements  découverts  à 
Voivre,  je  ne  traiterai  pas  ici  la  question  anthropologique. 

(2)  J.  Beaupré,  Obs^er  ru  lions  sur  les  sépultures  sous  tumulus  de  la 
lorraine. 

lahrbuch  der  (Messellschaft  fiir  Inthringische  Geschichte  und 
Altertumakunde  (Band  XIV,  1902,  p.  294). 


—  517  — 

pierres,  contenant  des  petits  nodules  pyriteux  s*écrasant 
sous  Toutil  des  terrassiers  et  donnant  à  la  gangue  terreuse 
qui  les  environne  une  couleur  de  rouille.  Plusieurs  assez  vo- 
lumineux, se  sont  désagrégés  d'eux-mêmes;  aussi  est-il  fort 
difficile  de  décider  si  Ton  se  trouve  en  présence  d'un  oxyde 
provenant  d'un  objet  de  1er  tombé  en  poussière,  ou  des 
restes  de  la  décomposition  d'une  pyrite,  d'autant  plus  que 
c'est  surtout  à  la  surface  du  sol  en  place  que  cette  décon^- 
position  est  la  plus  fréquente,  c'est-à-dire  au  niveau  de  la 
couche  archéologique. 

Beaucoup  de  tumulus  étaient  vides  ;  la  décomposition 
avait  achevé  son  œuvre.  A  part  les  fragments  d'os  en  con- 
tact immédiat  avec  des  objets  de  bronze,  conservés  par  les 
composés  cui  vriques  qui  les  ont  imprégnés,  ou  empâtés  dans 
la  rouille  provenant  de  gros  objets  de  fer,  on  ne  retrouve 
d'ossemeats  que  dans  les  tertres  où  l'on  a  pris  la  précaution 
d'entourer  le  cadavre  de  pierres  calcaires,  ce  qui  confirme 
mes  observations  antérieures.  Les  matériaux  rocheux  em- 
ployés ici  sont  des  pierres  de  calcaire  à  chaux  hydrau- 
lique, de  coloration  grise. 

Indépendamment  de  ces  causes  naturelles  de  disparition 
des  ossements,  il  faut  mentionner  des  remaniements  de 
sépultures  opérés  à  différentes  époques,  dès  les  temps  les 
plus  reculés.  Celles-ci  sont  manifestes  dans  plusieurs 
tumulus. 

En  général,  les  corps  sont  orientés  du  Nord  au  Sud  ; 
quelques  uns,  mais  bien  plus  rarement,  de  l'Est  à  l'Ouest. 
L'orientation  est  indiquée  par  la  couche  de  coloration  un 
peu  plus  foncée,  provenant  de  la  décomposition  des  matiè- 
res organiques,  et  par  la  position  des  bracelets.  Encore 
est  il  impossible  de  décider,  dans  la  plupart  des  cas,  si  le 
vase  funéraire  était  placé  aux  pieds  ou  à  la  tète  du  mort. 
Il  semble  toutefois  que  la  règle  était  de  le  placer  aux  pieds, 
et  plus  rarement  à  hauteur  des  mains. 

Nous  avons  également  remarqué  des  débris  de  vases  au 
centre  de  quelques  tumulus,  à  une  faible  profondeur. 


-  318  — 

Il  est  possible  que  ces  derniers  aient  servi  à  contenir  des 
restes  d'ossements  incinérés,  comme  je  l'ai  remarqué  à 
Clayeures  et  à  Villey-Saint-Etienne  en  1898  Mais,  là,  les 
débris  d'os  étaient  bien  déterminables,  tandis  qu'ici,  on 
ne  retrouve  plus  rien.  Il  y  aurait  eu  alors  superpositions 
des  deux  modes  de  sépultures. 

Le  plus  grand  nombre  des  tumulus  contenait  un  seul 
corps,  placé  invariablement  au  centre,  à  la  surface  du  sol 
vierge.  Cependant,  la  partie  supérieure  de  quelques-uns 
avait  été  utilisée  pour  une  seconde  sépulture.  Le  tumulus 
40,  par  exception,  contenait  au  moins  quatre  corps, 
deux  au  fond,  placés  côte  à  côte,  orientés  de  l'Est  à  l'Ouest, 
deux  au-dessus,  orientés  du  Nord  au  Sud  II  m'a  paru  pré- 
senter une  grande  analogie  avec  le  tumulus  III  de  la  station 
funéraire  de  Serres,  explorée  en  1902  (1). 

Sur  67  tumulus  fouillés,  12  seulement  renfermaient  des 
pierres,  soit  amoncelées  en  forme  de  carapace  de  tortue 
au-dessus  du  corps,  soit  disposées  en  forme  de  pavage.  Ce 
dernier  a  été  primitivement  recouvert  d'une  couche  de 
cendres  et  de  charbons  sur  lequel  le  mort  a  été  étendu, 
mais  il  n'en  est  resté  que  de  faibles  traces  dans  les  inters- 
tices des  pierres. 

En  général,  dans  les  tumulus  composés  exclusivement 
de  matériaux  terreux,  les  charbons  sont  rares.  La  couche 
de  résidus  de  calcination  était  elle  moins  épaisse  ?  Il  n'y  a 
aucune  raison  de  le  supposer.  Cette  bonne  conservation 
est  plutôt  due  dans  les  tumulus  pierreux,  à  la  présence 
des  matériaux  rocheux.  Quoiqu'il  en  soit,  certains  tumulus 
de  la  partie  centrale  de  la  station  portent  les  traces  d'un 
feu  violent.  La  surface  du  sol  naturel  est  cuite  au  rouge 
jusqu'à  une  profondeur  atteignant  par  places  jusqu'à  40  cm. 
dans  le  tumulus  44.  Contrairement  à  toute  attente,  les  restes 

(1)  J.  Beaupré,  Compte  rendu  des  fouilles  exécutées  en  4902,  etc, 
dans  des  tumulus  situés  dans  le  bois  communal  de  Serres.  (Bulle- 
tin mensuel  de  la  Soc,  d*arch,  lorr.^  janvier  1903. 


—  519  — 

de  cendres  et  de  charbons  ne  sont  pas  èxtraordinairemènt 
plus  abondants  ici  que  dans  les  autres  tumutus.  Aussi 
faudrait-il  peut-être  admettre  que  la  plus  grande  partie 
des  produits  de  combustion  a  été  enlevée  avant  la  mise  en 
place  du  cadavre.  Les  tertres  présentant  ces  particularités 
n'ont  donné  aucun  vestige  d'ossements  ni  de  mobilier 
funéraire,  et  souvent  pas  même  de  débris  de  poteries  ;  ils 
n'occupent  pas  non  plus  un  emplacement  de  nature  à  atti'- 
rer  l'attention.  Doit-on  les  considérer  comme  ayant  contenu 
des  restes  d'incinération  ?  Je  ne  le  pense  pas.  Je  croirais 
plutôt  à  un  rite  funéraire,  consistant  à  purifier  le  sol  au 
moyen  d'un  feu  sur  l'emplacement  duquel  le  corps  était 
ensuite  placé,  puis  recouvert  de  l'amas  de  matériaux  cons- 
tituant le  tumulus.  A  première  vue,  j'avais  cru  à  des  cas 
d'incinération  ;  mais,  en  comparant  mes  observations  de 
celle  que  j'ai  faites  ensuite  sur  certains  tertres  de  la  par- 
tie Nord  Ouest  de  la  station,  cette  opinion  semble  peu  sou- 
tenable.  En  effet,  dans  ces  derniers,  l'incinération  s^afflrme 
avec  bien  plus  de  netteté  ;  elle  est  certaine.  Le  vase  funéraire 
repose  au  centre  d'une  couche  charbonneuse,  épaisse,  bi^n 
conservée.  Si  cette  couche  de  charbons  n'avait  pas  été,  dès 
le  principe,  bien  plus  abondante  dans  ces  tumiilus  que 
partout  ailleurs^  on  ne  s'expliquerait  pas  comment  les  ma- 
tières charbonneuses,  enfoncées  à  la  profondeur  de  un  ou 
de  deux  fers  de  bêche,  se  seraient  mieux  conservées  là  que 
partout  ailleurs,  où  l'épaisseur  de  la  couche  de  terre  aurait 
dû  au  contraire  contribuer  à  leur  conservation.  En  admet- 
tant une  différence  de  date,  l'écart  ne  saurait  être  assez 
considérable  pour  expliquer  une  telle  dissemblance. 

En  résumé,  il  est  impossible  de  dire  d'une  façon  certaine 

si  l'on  rencontre  des  incinérations  ailleurs  que  dans  la 

partie  la  plus  proche  de  Haroué.  Toutefois  il  est  possible 

que  les  tumulus  19,  20,  4i  aient  contenu  des  incinérations. 

En  récapitulant,  nous  trouvons  sur  67  tumulus  ouverts: 

6  tumulus  à  incinérations  bien  nettes  (1,  2,  4,  6,  8, 67). 


—  S20  — 

4  tumulus  ayant  peut-être    contenu  une    incinération 
(19,  20,  44,  76). 
.34  turaulus  à  inhumations  (11,  12,  13,  14, 17,  18,  21,  2i, 

25,  27,  29,  31,  33,  34,  37,  38,  39,  40,  41,  42,  43,  45,  46,  47, 
49,  50,  54,  58,  60,  69,  71,  72,  73,  74). 

23  tumulus  à  inhumations  probables  (7,  10,  15,  16,  23, 

26,  28,  30,  32,  35,  36,  48,  51,  53,  55,  56,  57,  59,  61,  62,  63, 
68,  70). 

Ces  chiffres  font  ressortir,  une  fois  de  plus,  la  rareté  des 
incinérations  dans  les  tumuluslorrains  ;  ii  y  a  lieu  defdire 
observer  qu'il  n'en  n'est  pas  de  même  en  Belgique. 

Si  l'on  examine  sur  le  plan  l'ensemble  de  la  station,  on 
remarque  ensuite  : 

loQueles  tertres  sont  disséminés  sans  ordre  sur  un  espace 
de  près  de  600  mètres, 

2°  Qu'ils  forment,  malgré  cela,  une  sorte  de  traînée  allant 
sensiblement  du  Nord  au  Sud,  en  prenant  comme  points 
extrêmes  les  tumulus  59  et  60,  orientation  analogue  à  celle 
de  la  grande  majorité  des  corps. 

3''  Que  les lumulus  de  la  partie  Nord-Ouest,  remarquables 
parleurs  incinérations  et  leur  faible  relief,  sont  en  dehors 
de  cette  traîQée. 

4*"  Que  les  tumulus  à  inhumations  les  plus  riches  occup- 
peut  la  partie  centrale  de  cette  ligne  et  sont,  selon  toutes 
probabilités,  les  plus  anciens  de  la  station,  qui  s'est  éten- 
due dans  la  suite  vers  le  Nord,  le  Sud  et  l'Est  et,  proba- 
blement en  dernier  lieu,  vers  le  Nord-Ouest. 

Mobiliers  funéraires 

Les  mobiliers  funéraires  se  composaient  d'objets  de  pier- 
re, de  bronze,  de  fer,  de  lignite  et  de  terre  cuite  :  un  seul 
comptait  un  bijou  d'ambre  et  d'or  ;  un  autre,  un  bracelet 
lormé  d'une  substance  indéterminée.  Ces  mobiliers  et  en 
général  tous  ceux  de  la  même  époque  trouvés  en  Lorraine 
présentent  une  remarquable  homogénéité:  les  pièces  qui 


pnotMypM  *   !*»•««  •»  O»  «•■«r 


Stanoa 


(flan 


PI.  I 


Ridmctiott  de  moilii 


)  la  Voivre 


HMMypM  k.  tMiarM  «  0>.  liMey 


Station  lim^^  ***- 


PI.  II 


Rlduction  de  moitié 


la  Voivre 


'S) 


OP' 


67 


66 


O  o| 


59 


ei 


riMMotypi*  A.  Bargcm  «l  G>.  Xaacy 


Station  ion^»^  ^ 
lHarou«> 


PI.  m 


r>« 


62 


60 


Riduction  de  moiiu 


Voivre 


11*J  ^ 


OF 


-  521  - 

les  composent  attesteat  une  industrie  ayant  son  cachet 
particulier.  On  la  retrouve  dans  les  bassins  de  la  Moselle, 
de  la  Meurthe  et  de  la  Sarre.  Elle  ne  me  semble  pas  s*^^.e 
étendue  au  Sud  au-delà  des  Faucilles,  sinon  peut-être  d 
titre  de  pièces  isolées. 

Je  dirai  quelques  mots  seulement  des  objets  recueillis, 
les  ayant  presque  tous  fait  figurer  sur  les  planches,  p^  .- 
mant  ces  représentations  bien  préférables  aux  meilleures 
descriptions. 

Objets  de  pierre.  —  Les  objets  de  pierre  se  composent 
surtout  d'outils  en  quartzites,  tels  que  broyons,  racloirs, 
etc.  Un  des  broyons  est  fait  d'un  talon  de  hache  polie  plate, 
de  grandes  dimensions  (pi.  1,  fig.  8).  Un  caillou  de  quartz, 
de  forme  ovoïde,  placé  près  d'un  fémur,  me  paraît  avoir 
servi  d'amulette  (pi.  1,  (ig.  29).  Parmi  les  silex  taillés, 
d'ailleurs  très  rares  (3  pièces),  citons  une  belle  pointe  de 
flèche  en  silex  rose. 

La  présence  d'instruments  de  pierre  dans  des  sépul- 
tures, môme  plus  récentes  que  celles-ci,  est  un  fait  très 
fréquent.  Si  elle  n'a  pas  été  signalée  plus  souvent,  c'est 
parce  qu'on  n'y  a  pas  prêté  attention,  la  plupart  des 
fouilles  n'étant  pas,  ou  étant  mal  surveillées. 

Cela  confirme  le  long  usage  des  matériaux  rocheux  dans 
la  confection  des  instruments,  opinion  que  nous  avons 
toujours  soutenue. 

Au  lieu  d'admettre  le  fait  sans  parti  pris,  comme  il 
se  présente,  on  voudra  peut  être  voir  dans  ces  outils, 
des  objets  votifs .  Cette  objection  a  été  très  longtemps  en 
faveur  pour  se  tirer  d'embarras.  Mais  il  est  vraiment  trop 
commode,  on  en  conviendra,  de  mettre  d'un  seul  mot,  en 
quelque  sorte  hors  la  loi,  ce  qui  vient  à  rencontre  de 
certaines  théories. 

Il  n'y  a  pas  à  dire  non  plus  que  ces  instruments  se 
trouvaient  peut-être  dans  les  matériaux  apportés  pour 
élever  les  tertres  funéraires.   Nous  les  avons  toujours  re- 

3i 


—  522  — 

cueillis  dans  la  couche  archéologique,  dans  le  voisinage 
immédiat  des  corps.  Aussi,  malgré  leur  apparence  néoli- 
thique, je  n'hésite  pas  à  considérer  ces  objets  comme 
contemporains  des  autres. 

Objets  de  bronze.  —  Le  bronze  est  représenté  par  des 
anneaux,  un  torques  et  des  débris  de  fibules.  Leur 
patine  est  différente.  Chez  les  uns,  elle  est  de  coloration 
vert  clair  ;  chez  les  autres,  d'un  ton  bleu  souvent  in- 
tense (1).  L'altération  du  métal  est  plus  ou  moins  avancée. 
Dans  certains  cas,  elle  est  si  profonde  qu'il  n'existe  plus 
aucune  partie  inattaquée  par  l'oxydation.  L'objet  alors, 
quand  il  est  mince,  ne  présente  pas  de  solidité  et  se  frag- 
mente à  la  moindre  tentative  faite  pour  le  recueillir,  s'il 
n'est  pas  déjà  tombé  partiellement  en  poussière. 

Nous  avons  récolté  37  anneaux  en  bronze,  les  uns  pleins 
et  les  autres  creux.  Tous  nous  ont  paru  être  des  bracelets. 

Un  seul,  garni  en  son  milieu  d'une  saillie  de  quelques 
millimètres  s'avançant  vers  l'extérieur,  semble  être  un 
anneau  de  jambe.  J'en  ai  trouvé  un  pareil  à  Villey- 
Saint  Etienne  en  1898  (pi.  II,  fig.  53).  Il  en  serait  peut-être 
de  même  du  n^  53. 

Parmi  les  objets  de  bronze,  il  faut  mentionner  également 
un  torques  à  tampons,  unique  spécimen  de  ce  genre  de 
parure,  si  à  la  mode  à  l'époque  marnienne.  Il  y  a  lieu  de 
remarquer  qu'il  était  compris  dans  le  mobilier  d'une 
sépulture  paraissant  placée  au  dessus  d'une  plus  ancienne. 
Un  bracelet  (PI.  III,  f\^.  71),  d'ailleurs  incomplet,  orné  de 
points  entourés  d'un  cercle,  présente  cette  curieuse  parti- 
cularité d'avoir  été  raccommodé  au  moyen  d'une  feuille  de 
bronze,  consolidée  avec  un  tissu  dont  la  trame  est  encore 
très  apparente. 

Je  ne  décrirai  pas  les  différents  bracelets  ;  je  renvoie  le 

(1)  C'est  de  l'azurite  ou  cuivre  carbonate  bleu  (69  */,  de  caivre  5V« 
d'eau,  etc...)- 


lecteur  aux  planches  :  je  tiens  cependant  à  donner  quel- 
ques explications  concernant  ceux  dont  Tornementation 
n'est  pas  visible  sur  celles-ci. 

Le  bracelet  n»  13,  d'aspect  archaïque,  se  compose  d'une 
bande  de  bronze  plate,  épaisse  de  O'ûOOS,  large  de  0"»028, 
terminée  aux  extrémités  par  une  baguette  transversale,  un 
peu  arrondie,  dépassant  de  chaque  côté  de  0*"002.  A  0"01 
de  chaque  extrémité  partent  deux  triangles  isocèles  hauts 
de  0™02,  le  sommet  tourné  vers  le  milieu  du  bracelet  et 
se  joignant  par  celui-ci  à  deux  autres,  placés  en  sens 
contraire,  de  façon  à  former  un  losange  entre  les  deux 
triangles,  et  un  demi-losange  de  chaque  côté.  Ces  triangles 
sont  rayés  transversalement;  mais  les  losanges  et  la  partie 
comprise  entre  les  bases  et  les  baguettes  terminales  sont 
iinis.  Quant  à  la  partie  centrale  du  bracelet,  elle  est  éga- 
lement ornée  de  stries  transversales.  Cette  ornementation 
rappelle  celle  du  haut  de  la  hache  de  Mareuil-sur-Ourcq  (1), 
quelques  parties  d'un  bracelet  de  Réallon  (2)  et  d'un  autre 
de  Mittelwihr  (3),  bien  que  ces  deux  objets  diffèrent 
complètement  pour  la  forme  de  celui  de  la  Voivre. 

Les  no*  16  et  45  ressemblent  aux  n®»  4  et  2  de  l'Album 
Caranda  (pi.  XVII  et  pi.  XVI)  (4). 

Le  no  57  est  plat,  épais  de  0"^002,  d'une  largeur  uni- 
forme t0'"005).  Sur  la  planche  il  ne  paraît  pas  ainsi,  car  il 
est  empAté  dans  de  la  cire  destiné  à  le  consolider.  Son 
ornementation  consiste  en  un  léger  renflement  central, 
arrondi,  et  en  deux  autres  de  moindre  relief  le  long  de 
chaque  bord,  le  tout  allant  d'une  extrémité  à  l'autre 
(v.  Album  Caranda,  pi.  XVII,  fig.  5). 

Le  n®  72  est  du  modèle  des  n»*  47,  48,  49  et  42,  mais  pluf 

(1)  Dictionnaire  archéologique  de  la  Gaule.  (Fig.  8). 

(2)  Même  ouvrage  (Fig.  7). 

(3)  Faudel  et  Bleiciier,  Matériaux  pour  une  histoire  préhistorique 
de  l'Alsace  (Fig.  4  et  2,  pi.  V). 

(4)  M.  MoREAU,  Àlbîim  Caranda, 


—  524  — 

gros,  son  ornemeotalion  consiste  en  quelques  petits  ronds 
avec  point  au  centre. 

En  somme,  à  part  quelques  exceptions,  Tensenible 
des  bracelets  ne  rappelle,  comme  forme,  ni  les  types  de  la 
Champagne,  ni  ceux  du  bassin  du  Rhône,  ni  ceux  de  la 
Belgique,  ni  ceux  de  la  Suisse.  Serait-on  en  présence 
d'une  industrie  locale  ?  je  ne  le  pense  pas.  Peut-être  fau- 
drait-il en  chercher  l'origine  dans  quelque  courant  com- 
mercial et  surtout  ethnique,  venu  de  l'Europe  centrale. 

Objets  de  fer.  —  Les  objets  de  fer  étaient,  en  général,  en 
trop  mauvais  état  pour  être  reproduits  de  façon  à  présenter 
de  rintérêt,  il  est  bon  d'en  donner  une  description  détaillée. 

Ils  se  composent  de  : 

1°  3  épées  de  fer. 

La  première  est  complètement  oxydée.  Elle  n'a  pu  être 
recueillie  que  par  fragments,  malgré  tous  les  soins  appoi^ 
tés  à  cette  opération.  Elle  mesurait  en  place  1™10^  de  la 
pointe  à  l'extrémité  de  la  soie,  et  n'avait  pas  de  fourreau. 

Ld  lame,  pistiliforme^  comptait  0°^06  à  sa  partie  la  plus 
large,  et  On^Oo  dans  sa  partie  moyenne.  Elle  avait  été  brisée 
en  deux  parties,  un  peu  en  dessous  de  la  partie  large  de 
la  lame. 

La  pointe  parait  avoir  été  mousse,  mais  on  ne  saurait  être 
affirmatif,  car  elle  a  pu  être  empâtée  par  la  rouille.  La  base 
de  la  lame  portait  deux  crans  latéraux  bien  marqués, 
mais  aujourd'hui  tombés  en  poussière.  La  soie,  plate,  de 
même  épaisseur  et  de  même  largeur  que  la  lame  dans  sa 
partie  moyenne,  porte  encore  trois  rivets  de  bronze,  épais 
d'environ  0^004,  autour  desquels  on  remarque  des  restes 
de  bois  provenant  de  la  poignée.  Ces  rivets  placés  à  la  suite 
l'un  de  l'autre,  à  O^^Oâ  d'intervalle,  sont  visibles  seule- 
ment sur  la  face  qui  était  tournée  vers  le  sol.  Il  n*existe 
pas  de  traces  de  rivets  à  la  garde.  Quant  à  la  façon  dout 
se  terminait  la  poignée,  il  est  impossible  de  s'en  rendre 
compte.  Cette  arme  me  paraît  nettement  hallstattienne. 


-  525  -- 

La  seconde  épée  était  encore  plus  mal  conservée  ;  aussi 
est  il  impossible  de  préciser  sa  forme.  En  place,  elle 
m'avait  semblé  plutôt  droite  que  pistiliforme,  dépourvue 
de  soie,  mesurant  environ  0™60  de  long.  Un  petit  frag- 
ment de  fer  retrouvé  dansla  terre  enlevée  à  l'emplacement 
de  la  poignée  m'a  démontré  mon  erreur,  au  moins  quant  à 
la  soie.  En  ce  qui  concerne  la  forme  de  la  lame,  je 
m'aperçus,  en  dégageant  celle-ci  de  sa  gangue  terreuse, 
qu'elle  formait  une  masse  trop  pleine  de  boursouflures 
pour  pouvoir  être  classée  avec  certitude  plutôt  dans  une 
catégorie  que  dans  une  autre. 

La  troisième  épée  est  la  mieux  conservée,  parce  qu'elle 
reposait  sur  une  grande  dalle.  Elle  est  pistiliforme  comme 
la  première,  sans  avoir  toutefois  des  caractères  aussi 
tranchés. 

De  la  pointe  à  la  garde,  elle  mesure  0™75  de  longueur. 
La  soie  est  incomplète  ;  il  en  reste  seulement  Oï^iO  :  elle 
est  plate,  de  même  largeur  que  la  lame,  mais  ne  porte 
pas  de  traces  de  rivets  de  bronze. 

Cette  arme  me  paraît  avoir  été  dans  un  fourreau  de  bois 
recouvert  d'une  étoffe,  dont  le  tissu  est  demeuré  empAté 
dans  la  rouille,  avec  une  partie  du  bois  sur  presque  toute 
la  longueur  de  la  lame.  L'arme  se  termine  par  une  pointe 
bien  nette  mais  non  effilée,  les  deux  droites  qui  la  consli 
tuent  se  coupant  presque  à  angle  droit.  L'extrémité  de 
la  lame  avait-elle  cette  forme,  ou  celle-ci  tient-elle  à  la 
présence  du  fourreau  ?  Le  fourreau  recouvre  encore 
la  pointe,  puisqu'on  voit  encore  très  nettement,  sur  les 
tranchants,  le  fil  ayant  servi  à  coudre  l'étoffe. 

Je  crois  néanmoins  que  la  forme  de  la  pointe  de  la  lame 
correspondait  à  celle  du  fourreau,  sans  cela,  ce  dernier 
ne  se  serait  pas  imprégné  d'oxyde  de  fer  et,  par  suite,  ne 
serait  pas  conservé  d'une  façon  aussi  remarquable. 

Dans  l'ouvrage  de  M.  le  D^  Gross  (1)  on  remarque,  page 

(1)  Gross,  «  La  Têne  ;  Un  oppidum  helvète  ». 


-  526  — 

11,  fig.  1,  un  fourreau  d'épée  de  la  Têne  présentant,  avec 
celui  de  Haroué,  une  certaine  ressemblance  par  suite  des 
apparences  de  tissu  imprimé  à  sa  surface.  Mais,  indépen- 
damment de  la  forme  générale  qui  est  différente,  des 
ornements  de  la  partie  supérieure  du  fourreau  qui  n'exis- 
tent pas  ici,  il  s'agit  à  la  Tène  d*un  estampage  imitant  un 
tissu,  tandis  qu'à  Haroué  celui-ci  est  trop  nettement  mar- 
qué pour  permettre  le  moindre  doute  sur  son  existence. 

Il  y  a  lieu  de  faire  remarquer  l'identité  de  type  existant 
entre  les  épées  de  la  Voivre,  de  la  Naguée  (1),  de  Moncel  (2), 
en  Lorraine,  avec  celles  de  Magny-Lambert  (Côte  d'Or)  (3) 
et  de  la  région  d'Ottignies,  en  Belgique  (4). 

2o  Un  grand  clou  de  fer  (pi.  III,  fig.  70),  longde0™25, 
roulé  en  guise  de  bracelet  autour  d'un  fragment  de  radius. 

3^^  Deux  petites  liges  de  fer,  longues  de  O^'Oo  à  0"06, 
placées,  d'après  M.  Voinot,  en  forme  deV,  à  hauteur  de  la 
poitrine  d'un  corps. 

't**  Une  petite  tige  de  fer  de  0™07  de  longueur,  plus  épaisse 
à  l'une  de  ses  extrémités,  et  présentant  vers  sa  partie  effilée 
deux  barbelures  bien  conservées,  placées  l'une  au-dessus 
de  l'autre.  Ces  dernières  forment  une  très  faible  saillie 
(pl.  I,  fig.  12). 

Elles  ont  été  obtenues  au  moyen  d'une  entaille  faite  à 
chaud  sur  une  arête  vive,  avec  soulèvement  de  la  parcelle. 

Cette  tige  me  paraît  être  un  reste  de  fer  de  flèche. 


(1)  Db  Martimprbt,  Les  sépultures  sous  tumulus  de  la  Naguée. 
(Mém.  de  la  Soc.  d'arcli.  lorr.^  1889,  p.  75-85). 

(2)  J.  Beaupré,  Compte  rendu  des  fouilles  exécutées  en  4899^  dan^ 
des  tumulus^  à  ^foncel-sur-Seille  (Bulletin  mensuel  de  la  Soc.  d'arch. 
lorr.,  18S9,  p.  27-28). 

(3)  A.  Bertrand,  Les  tumulus  gaulois  de  Magny-Lambert  {Mémoires 
de  la  Soc.  des  Antiquaires  de  France,  IV*  série,  4*  vol.,  p.  20;. 

(i)  Ch.  Deus,  Sépultures  à  incinérétwns  du  premier  âge  du  fer 
dans  la  région  d'Ottignies  (Amiales  de  la  Soc.  d'arch.  de  Bruxelles, 
1903,  p.  138). 


—  527  — 

5»  Un  fragment  de  fer  plat,  peut-être  un  de  ces  instru- 
ments désignés  sous  le  nom  de  rasoirs  avec  plus  ou  moins 
de  raisons.  Il  est  long  de0»»04  dans  un  sens,  de0'»045  dans 
un  autre,  épais  de  0™003  à  0"»004,  avec  cassure  assez  fraîche 
à  la  partie  gauche  (pi.  I,  flg.  9).     . 

Il  faut  mentionner  également  des  traces  d'oxyde  de  fer 
remarquées  ça  et  là,  soit  dans  le  sol,  soit  sur  des  bracelets, 
des  os,  ou  des  pierres.  Elles  proviennent  d'objets  parais- 
sant quelquefois  avoir  été  assez  gros,  probablement  des 
bracelets. 

Objets  en  lignite,  —  Ceux-ci  consistent  en  19  bracelets, 
peut-être  20  ;  car,  en  voulant  reconstituer  un  bracelet  très 
volumineux  complètement  désagrégé  (pL  II,  fîg.  36  et  39), 
j*ai  cru  trouver  des  morceaux  présentant  un  profil  de  na- 
ture à  supposer  qu'ils  ont  pu  appartenir  à  deux  pièces 
différentes  ;  aussi  n*ai-je  pas  poussé  plus  loin  ma  tenta- 
tive de  restauration.  Ces  parures  peuvent  rentrer  dans 
trois  catégories  suivant  leur  taille. 

Première  catégorie  (Gros).  —  (PI.  III,  fig.  61,  62:  haut' 
0™06,  épaiss"^  0™024,  diam^  intér^^  0™06  ;  pi.  II,  fig.  40  : 
hauf  O^OS,  épaissr  0«»015,  diam»  intér»"  0'«06  ;  pi.  1,  fig.  3, 
4  :  haut'  0N)4,  épaiss'  0^025,  diam^  intér'  0""055  ;  pi.  II, 
fig,  36,  39:  épaiss'  (non  reconstituée),  diam^  intérJ^Oïn.OS^). 

Deuxième  catégorie  (Moyens).  —  (Pi.  III,  fig.  65,  66  : 
haut^  0°»02o,  épaiss'  O'^Olo,  diam®  intér'  0^06.)  Ces  deux 
bracelets  portent  la  trace  d'un  long  usage.  Les  numéros  24 
et  28  (pi.  I)  forment  un  type  intermédiaire  bien  tranché 
entre  ceux-ci  et  les  suivants. 

Troifiième  catégorie  (Petits).  —  Simples  anneaux  (pi.  I, 
fig.  21,22,  23,  25,  26,  27,  33  ;  pi.  II,  fig.  42). 

Le  faible  diamètre  intérieur  de  tous  ces  bracelets,  laisse 
supposer  que,  pour  parer  à  la  difficulté  de  l'introduction 
du  bras,  ces  parures  devaient  être  mises  en  place  avant  que 
le  membre  ait  atteint  toute  sa  croissance. 

Si  quelques-uns  de  ces  anneaux  sont  bien  conservés, 


-  528  - 

d'autres  au  contraire  sont  fendillés,  et  s'en  vont  en  la- 
melles. Ce  lignite  est  du  reste  plutôt  lamellaire  que  ter- 
reux, ayant  conservé  des  éléments  végétaux  reconnaissables, 
incomplètement  lignitisés.  Certains  s'étaient  déjà  décom- 
posés dans  le  sol  ;  d'autres  se  sont  délités  en  séchant,  mal- 
gré les  mesures  prises  pour  éviter  une  dessiccation  trop 
rapide. 

Ce  lignite  ne  proviendrait-il  pas  de  Gemmelaincourt? 
Cela  expliquerait  le  nombre  de  pièces  de  ce  genre  relative- 
ment considérable  dans  les  bassins  de  la  Moselle,  de  la 
Meurthe,  de  la  Sarre,  et  de  la  Saône  (1).  Il  y  aurait  là  une 
question  intéressante  à  étudier. 

Aucun  bracelet  de  lignite  ne  nous  a  paru  avoir  été  inten- 
tionnellement brisé  comme  quelques-uns  de  ceux  en 
bronze.  S'il  en  existe  d'incomplets,  il  faut  attribuer  le  fait 
plutôt  à  des  causes  naturelles  de  fractures  et  de  décompo- 
sition. 

Comparativement  aux  autres  stations  funéraires  lor- 
raines, la  station  de  la  Voivre  est  relativement  très  riche 
eu  lignite. 

Objets  en  terre  cuite.  —  La  céramique  est  représentée  à 
la  Voivre  par  un  bracelet  en  terre  cuite  du  modèle  des  gros 
bracelets  de  lignite  et  un  petit  anneau.  Malheureusement 
le  bracelet  était  brisé  en  plusieurs  morceaux.  J'ai  pu  néan- 
moins le  reconstituer  en  grande  partie  (pi.  11,  fig.  3o). 

L'anneau  mesure  O'^OS  de  diamètre  extérieur  et  0™.0015 
de  diamètre  intérieur. 

Il  est  en  terre  très  impure,  de  coloration  grise  rappe- 
lant celle  de  la  terre  glaise  desséchée,  très  peu  cuite, 
paraissant  avoir  été  simplement  chauffée,  et  non  plact-e 
dans  le  feu. 

Viennent  ensuite  de  nombreux  vases,  aux  formes  arron- 

(1)  Les  lij^nitcs  sont  rares  en  Champagne.  Dans  Fouvrage  de  M.  Mo- 
rel,  3  bracelets  seulement  en  jayet  sont  représentés  (pi.  17.  fig.  7  et  10 
et  pi.  21,  ng.  4.).  Ils  sont  de  petite  taille. 


Cr- 


tf^ 


.r> 


OF* 


—  529  - 

dîes  et  régulières  dénotant  dans  leur  fabrication  l'emploi 
sinon  du  tour,  au  moins  du  plateau  tournant. 

La  pâte  est  assez  grossière,  mélangée  de  grains  de 
quariz  :  plus  fine  cependant  dans  les  poteries  de  petites 
dimensions.  Sa  couleur  est  brune,  noire  ou  rouge  brique. 
Des  taches  indîliuent  l'inégalité  de  la  cuisson  et  de  l'épais- 
seur, de  la  pâte.  Il  en  résulte  une  grande  fragilité  :  certaines 
parties  s'en  vont  en  poussière,  tandis  que  d'autres  ont  la 
dureté  de  la  pierre.  Tout  est  plus  ou  moins  en  morceaux, 
et,  malgré  les  soins  mis  à  recueillir  les  moindres  fragments 
on  s'aperçoit,  au  moment  de  reconstituer  les  objets,  qu'il  en 
manque,  le  plus  souvent,  une  notable  partie.  Ceux-ci  ont 
été  mis  en  place  déjà  brisés,  pour  la  plupart,  et  incomplets. 

Comme  décoration,  le  motif  géométrique  est  employé 
exclusivement  ;  quant  au  profil,  il  est  un  peu  écrasé,  mais 
ne  manque  pas  de  cachet.  Dans  l'ouvrage  de  M.  Morel,  je 
n'ai  pas  trouvé  de  poteries  ayant  quelqu'analogie  avec 
celles  de  ce  pays-ci,  ni  comme  aspect  général,  ni  comme 
décoration  (1). 

Quelques-unes  sont  munies  d'anses,  en  général  de  faibles 
dimensions  ;  d'autres,  de  trous  de  suspension. 

Deux  catégories  de  vases  ont  été  trouvés  à  la  Voivre 
(voir  pi.  V): 

Les  uns  ont  la  forme  de  tasses.  Ils  sont  de  petites 
taille,  assez  grossiers  et  sans  ornements. 

Les  autres,  de  beaucoup  les  plus  nombreux,  sont  très 
ventrus,  ayant  un  fond  très  petit  et  une  large  ouverture, 
avec  col  peu  élevé.  Le  motif  de  décoration  le  plus  com- 
mun consiste  en  deux  ou  trois  cercles  gravés  sur  le  haut 
du  ventre,  à  une  faible  distance  du  rebord  formant 
goulot.  Ces  cercles  concentriques  sont  espacés  de  0^002  à 
0^004.  Ce  genre  de  décoration  se  retrouve,  en  Lorraine,  sur 
presque  toutes  les  poteries  de  cette  époque. 

(1)  MoRBL,  La  Champagne  souterraine. 


—  530  — 

L'ornementaHon  la  plus  intéressante  appartenait  à  une 
sorte  de  vase  (tumulus  21)  qu'il  m'a  été  impossible  de 
représenter  sur  la  planche  V,  car  il  était  trop  incomplet 
pour  en  préciser  la  forme.  Il  m'a  paru  plus  aplati  et  plus 
large  d'ouverture  que  le  n*»  6  de  la  planche  V.  Du  goulot, 
pris  comme  centre,  partent  une  douzaine  de  rayons  cons* 
titués  par  3  lignes  gravées  à  0«*001  l'une  de  l'autre.  Ces 
rayons  se  terminent,  un  peu  au-dessous  du  ventre,  à 
environ  0™04  du  fond.  Ils  portent,  aux  deux  extrémités, 
3  petits  cercles  tangents,  de  0°»00H  de  diamètre,  placés  sur 
la  même  ligne,  les  rayons  partant  du  cercle  central.  Dans 
ces  cercles  sont  inscrites  d'autres  circonférences.  La  pâte 
est  noire,  peu  épaisse,  bien  cuite. 

Fibule  d'ambre  avec  plaque  d'or,  *-  Cette  belle  pièce  se 
compose  d'un  disque  d'ambre  d'un  brun  rosé,  de  la  gros* 
seur  d'une  pièce  de  2  francs  et  à  peu  près  de  la  même 
épaisseur,  orné  de  cercles  concentriques  finement  gravés 
au  tour.  Au  centre  était  appliquée  une  mince  feuille  d'or 
portant  des  dessins  au  repoussé,  décollée  accidentellement 
par  un  coup  de  pelle.  Elle  était  fixéeau  moyen  d'un  mastic,  sur 
lequel  se  voient,  reproduits  en  relief,  les  dessins  delà  feuille 
d'or.  Quelques  traces  de  vert  de  gris,  mêlées  au  mastic,  an- 
noncent, dans  la  gangue  terreuse,  la  présence  du  bronze 
formant  la  monture  de  la  fibule.  Comme  l'ambre  est  très 
fendillé  par  places,  je  n'ai  pas  osé  dégager  le  disque,  de  la 
terre  dans  laquelle  il  se  trouve  engagé.  Je  me  suis  con- 
tenté de  laver  l'ambre  avec  un  petit  pinceau  et  de  passer  le 
tout  à  la  solution  résineuse  employée  pour  le  lignite. 

L'ornementation  de  la  plaque  d'or  est  bien  marnienoe. 
Elle  consiste  en  un  motif  central  de  deux  demi  S  adossés, 
en  relief,  entre  lesquels  se  voit  un  cercle,  également 
en  relief,  avec  un  point  saillant  au  centre.  Çà  et  là,  pour 
garnir  les  vides,  on  a  répété  cette  dernière  ornementation. 
Le  contour  est  marqué  de  deux  cercles  concentriques  dis- 
tants de  1  "/m,  et  l'espace  compris  entre  eux  orné  de 


PI.  IV 


Station  funéraire  de  la  Voivrc 
(Haroué) 


:^.T^- 

T^* 

'^^"^^I^^IU^^B 

:^^ 

Bft;^5| 

Grandeur  nalureUe 


Fibule 
(PltitjHe  iVor  moulée  sur  ambre) 


—  531  - 

petits  points  également  en  relief  (pi.  IV)  Cette  forme  de 
fibule,  peu  répandue  à  Tépoque  marnienne,  est  connue, 
par  du  rares  exemplaires,  auprès  desquels  celle  de  la 
Voivre  n'est  pas  de  nature  à  faire  mauvaise  figure  (1). 

Est-ce  un  bijou  de  fabrication  locale  ou  d'importation? 
C'est  une  question  difficile  à  résoudre  actuellement.  Quoi 
qu'il  en  soit,  son  ornementation  me  parait  être  une  mani- 
festation d'un  genre  de  décoration  dont  les  auteurs  de 
certaines  monnaies  gauloises  se  sont  plus  tard  inspirés.  (2}. 

Substance  indéterminée.  —  Il  s'agit  du  bracelet  n^  34.  Il 
me  semble  avoir  été  fait  d'une  substance  encore  indéter- 
minée,  de  nature  bitumineuse  et  charbonneuse,  enroulée  et 
comprimée  jusqu'à  dessiccation  autour  d'un  cercle  solide 
qui  a  disparu  :  aussi  le  bracelet  est  actuellement  creux. 
Cette  pièce  semble  identique  à  un  bracelet  trouvé  à 
Clairlieu,  dans  la  forêt  de  Haye,  et  déposé  au  Musée 
lorrain. 

Si,  en  règle  générale,  les  objets  composant  les  mobiliers, 
funéraires  ont  été  déposés  intacts  dans  les  sépultures, 
certains  d'entre  eux  ont  néanmoins  été  intentionnelle- 
ment brisés  et  leurs  fragments,  ou  quelques-uns  seulement 
de  leurs  fragments,  ont  été  enfouis  çà  et  là  dans  le  tumu- 
lus  (3).  Ces  mutilations  volontaires  me  paraissent  avoir  eu 
pour  cause  principale,  au  moins  à  l'origine,  l'intention 
de  prévenir  les  violations  de  sépulture,  plus  encore  qu'une 
pratique  ayant  pour  but  d'exprimer  une  idée  de  deuil, 
comme  certains  l'ont  prétendu.  Cette  mutilation  devint-elle, 
dans  la  suite  des  temps,  un  rite  funéraire?  C'est  probable. 
En  conséquence  j'inclinerais  à  considérer  peut  être  comme 

s  (I)  Voir  la  fibule  de  Magny -Lambert,  Mém.  de  la  Soc.  des  antiquai- 
res de  France  ;  celle  de  la  collection  Morel,  La  Champagne  souter- 
raine {p\.  XXXVI),  et  celle  de  M.  More^u  {Album  Caranda,  pi.  XVII). 

(2)  Elle  rappelle  notamment  le  n'  8885-8881,  pi.  XXXVI  (Aduatici)  de 
de  l'Atlas  des  monnaies  gauloises  de  H.  de  La  Tour. 

(3)  Voir  les  tumulus  25,  33,  43,  etc. 


—  532  — 

les  plus  ancienDes  de  la  station,  les  sépultures  contenant 
des  mobiliers  avec  objets  intacts.  Ces  mutilations  seraient 
un  acheminement  vers  la  suppression  des  signes  exté- 
rieurs de  nature  à  déceler  remplacement  des  sépultures. 

Sur  les  67  tumulus  fouillés,  examinons  maintenant 
quelle  est  la  proportion  des  tombes  d'hommes  comparée  à 
celle  des  femmes. 

Laissant  de  côté  les  tombes  où  nous  n'avons  trouvé  au- 
cun mobilier  funéraire  de  nature  à  fournir  quelques  ren- 
seignements, on  trouve  3  sépultures  de  guerriers,  bien 
marquées  par  la  présence  des  épées  (tumulus  20,  24,  27). 

De  l'absence,  dans  ces  tumulus,  de  toutes  traces  de  bra- 
celels,  ne  serait-on  pas  en  droit  de  conclure  que  cette  pa- 
rure aurait  été  réservée  aux  femmes,  non  seulement  dans 
la  tribu  dont  les  morts  étaient  enterrés  à  la  Voivre,  mais 
dans  toute  la  région.  Il  ne  s'agit  pas,  comme  on  pourrait 
le  croire,  d'un  cas  isolé,  pouvant  constituer  une  simple 
coïncidence,  mais  d'un  ensemble  de  faits  auquel  je  n'ai 
pas  trouvé  d'exception.  Examinons,  en  effet,  dans  les  dif- 
férents compte  rendus  de  fouilles  faites  dans  les  tumulus 
contemporains  de  ceux  de  Haroué,  si  les  épées  n'élaient 
pas  accompagnées  de  bracelets,  d'armillesou  d'anneaux  de 
jambe. 

M.  de  Martimprey  mentionne  à  la  Naguée  trois  tombes 
de  guerriers  caractérisées  par  des  épées.  Or,  si  Ton  exa- 
mine la  liste  des  objets  composant  les  mobiliers  funé- 
raires de  ces  tombes,  on  n'y  voit  figurer  aucun  bracelet,  ni 
autre  ornement  du  même  genre  (1),  alors  que  dans  les  au- 
tres tombes  ils  constituent  presqu'exclusivement  les  mo- 
biliers funéraires. 

xM.  Morel,  à  Diarville  en  1888,  a  découvert  une  épée 
dans  un  tumulus,  accompagnée  seulement  d'un  rasoir. 

(1)  Comte  de  Martimprey,  Les  sépultures  sous  tumulus  de  la  Afl- 
fjuèe  (Mémoires  de  la  Société  d'Archéologie  lorraine,  1889,  p.  79, 
80,  81. 


-  S33  — 

Dans  un  tumulus  voisin,  est-il  dil  dans  la  relation  de 
cette  fouille,  on  avait  trouvé  antérieurement  une  épée, 
avec  un  riche  mobilier  mais  pas  de  bracelets  (1). 

M.  E.  Uuber,  à  Cadenborn  (2),  signale,  dans  le  tumu' 
lus  III,  une  grande  épée  de  fer;  dans  le  mobilier,  figure  un 
torques,  mais  pas  de  bracelets. 

À  Villey-Saint-Etienne,  un  seul  tumulus  m'a  donné  des 
fragments  d'épée,  des  os  humains  (3). 

A  Moncel,  deux  tumulus  contenaient  des  épées  ;  pas  de 
traces  de  bracelets  (4). 

A  Crantenoy,  dans  un  tumulus  au  milieu  des  champs 
proche  de  la  station  de  Haroué,  se  trouvait  une  épée  de 
bronze,  sans  autre  mobilier  funéraire  (5). 

En  présence  de  ces  faits,  et  en  l'absence  d'arguments 
contradictoires,  mon  observation  ne  me  semble  pas  dé- 
pourvue de  quelque  valeur. 

En  outre,  le  faible  diamètre  des  bracelets  trouvés,  ne 
dépassant  pas  0"^065,  sauf  pour  deux  seulement,  n'est  pas 
sans  constituer  un  autre  argument  d'une  certaine  impor- 
t'ince.  Quant  aux  instruments  de  pierre,  broyons  et  râ- 
cloirs,  véritables  ustensiles  de  ménage  trouvés  en  compa- 
gnie de  bracelets,  ils  caractérisent  bien  plus,  on  en 
conviendra,  des  tombes  de  femmes  que  des  sépultures 
d'hommes. 

Donc,  jusqu'à  preuve  du  contraire,  ce  genre  de  parure 
ne  parait  pas  avoir  été  en  honneur  parmi  les  guerriers 
qui  ont  habité  notre  pays  à  la  un  du  Premier  âge  du  fer. 
On  pourrait  même  ajouter,  en  présence  de  la  pauvreté  des 

(I)  M.  GuYOT,  Fouilles  à  Diar ville  et  à  Ambacourt  f Journal  de  la 
Société  d'Archéologie  lorraine,  mai  1888,  p.  115-118}. 

{2)  E.  HuBER,  Explorations  de  9  tumultes  faites  en  4889  et  en  4891 
dans  les  forêts  de  Cadenborn  et  de  Grosbltiederstor/f,  situées  près  de 
Sarreguemines  (Lorraine).  {Mémoires  de  l'Académie  de  Metz,  1890-91- 
92-93. 

(3)  J.  Beaupré,  Les  Etudes  préhistoriques  en  Lorraine,  etc.,  p.  45. 

(4)  Idem,  (p.  47).  , 

(5)  RoDseignement  recueflli  par  M.  le  Docteur  Voinot. 


—  834- 

mobiliers  funéraires  des  tombes  d'hommes,  que  le  sexe 
fort  faisait  plus  parade  de  sa  simplicité  que  de  son  opu- 
lence. Gela  expliquerait  dans  une  certaine  mesure  la  rareté 
'des  tombes  attribuables  aux  hommes,  et  peut-être  fau- 
drait-il chercher  surtout  des  sépultures  d'hommes  parmi 
les  tombes  indéterminables.  Malheureusement,  étant 
donné  la  mauvaise  conservation  des  ossements,  toute  véri- 
fication relative  au  sexe  des  morts  est  aujourd'hui  impos- 
sible, en  l'absence  de  mobilier  funéraire  typique. 

On  pourrait  se  livrer  à  bien  des  conjectures,  mais  deux 
hypothèses  méritent  seules  quelque  attention. 

1°  L'incinération,  rite  funéraire  moins  ancien  que 
l'inhumation,  puisqu'en  Lorraine  je  l'ai  toujours  trouvée 
au-dessus  de  celle-ci  dans  les  cas  de  superposition  de 
sépultures,  n'aurait-elle  pas  été  appliquée  dans  le  principe 
aux  hommes  seuls,  ou  tout  au  moins  à  certaines  catégories 
d'individus  ? 

2«  N'aurait  on  pas  commencé,  à  l'époque  où  les  objets 
marniens  deviennent  nombreux  dans  les  mobiliers  funé- 
raires de  la  Voivre,  à  ensevelir  les  morts  dans  des  fosses 
non  recouvertes  de  tumulus,  et  cette  dérogation  aux 
anciens  usages  n'aurait-elle  pas  été  appliquée  à  cette 
époque  aux  hommes  d'abord  ?  Il  est  bon  de  rappeler  que 
l'on  a  découvert  en  Lorraine  des  cimetières  à  mobilier 
bien  marnien  et,  comme  dans  la  Marne,  dépourvus  de  tous 
signes  extérieurs  de  nature  à  déceler  leur  existence  (1). 

Quoi  qu'il  en  soit,  21  tumulus  contenaient  des  sépul- 
tures paraissant  féminines. 

Ce  qui  donne  au  total  :  3  sépultures  d'hommes,  21  sé- 
pultures de  femmes  et  43  sépultures  indéterminables. 

J'ajouterai  que  j'ai  été  frappé  de  cette  disproportion 
entre  les  tombes  d'hommes  et  les  tombes  de  femmes,  dans 


(1)  Gondreville  (1835)  -  ChampigneuUes  (18U)  ~   Villey-Sl-EUenne 
(1886)  —  Domèvre  (1886)  —  Llverdun  (1887). 


toutes  les  stations  funéraires  lorraines  de  cette  époque; 
Haroué  ne  fait  pas  exception  à  la  règle.  Il  y  a  là  un  pro- 
blème intéressant  mais  difficile  à  résoudre. 

Il  me  reste  à  parler  de  la  découverte  faite  par  mon  con- 
frère M.  Voinot,  dans  la  partie  supérieure  du  tumulus  18, 
d'une  série  d'objets  bien  différents  de  ceux  qui  ont  été 
trouvés  dans  les  autres  tumulus. 

Nous  sommes  ici  en  présence  d'un  groupe  de  poteries, 
sans  ornements  il  est  vrai,  mais  incomparablement  plus 
fines  et  de  forme  toute  autre,  dont  quelques-unes  en  terre 
vernissée  rouge  :  c'est  de  la  céramique  romaine.  Les  autres 
objets,  clous,  agraffe  en  bronze  et  monnaie,  sont  des  pro- 
duits de  l'industrie  gauloise.  La  monnaie  mérite  une  des- 
cription: elle  est  admirablement  conservée,  absolument 
ronde,  sans  bavures  ;  les  figures  sont  placées  bien  au  cen- 
tre et  très  nettes.  Elle  tient  le  milieu  entre  les  numéros 
5390  et  5527  de  l'Atlas  de  M.  de  La  Tour  (Sequani)  :  la  face 
rappelle  celui  du  n»  5527  ;  le  revers,  celui  du  n®  5390.  Les 
figures  ont  bien  plus  de  caractère  et  surtout  n'ont  pas  la 
lourdeur  de  celles  des  monnaies  de  TAtlas. 

Est-ce  un  dépôt  d'objets  postérieur  à  la  construction  du 
tumulus^  ou  le  tumulus  serait-il  plus  récent  que'  les 
autres  ?  Est-ce  une  cache  ou  un  mobilier  funéraire? 

La  présence  d'un  fémur  humain  au  même  niveau  tranche 
ces  deux  dernières  questions,  comme  l'existence,  à  la  base 
du  tumulus,  d'une  sépulture  présentant  des  caractères 
identiques  à  celles  de  toute  la  station,  ne  permet  pas  de 
fixer  à  ce  tertre  funéraire  une  origine  différente  des 
autres. 

Il  y  a  superposition  de  sépultures  d'époques  différentes. 


(1)  n  y  eut  évidemmeat  dans  certaines  parties  de  la  Gaule,  ayaiH  la 
conquête,  une  infiltration  progressive  de  marchandises  romaines  et, 
par  suite,  des  imitations  de  celles-ci.  La  présence  de  pareils  objets  sur 
certains  gisements  est  de  nature  à  tromper  sur  la  véritable  date  de 
ceux-ci  ;  on  ne  saurait  être  trop  circonspect  à  cet  égard. 


—  536  — 

Tune  marnienne  à  la  base,  l'autre  ne  remoalant  pas  au- 
delà  du  premier  siècle  avant  notre  ère  (1). 

En  résumé,  quelle  date  peut-on  assigner  à  la  station 
funéraire  delà  Voivre? 

Les  mobiliers  sont  plutôt  hallstattiens  ;  mais  on  y  re- 
marque cependant  quelques  objets  marniens,  comme  le 
torques,  la  fibule,  etc.  Ce  mélange  indique  une  transition 
entre  Tépoque  de  Hallstatt  et  celle  de  la  Téne,  avec  pré- 
dominance de  la  première  époque,  ce  qui,  d'après  la  clas* 
sification  de  Tischler,  correspondrait  aux  débuts  de  la 
Tène  I,  c'est-à-dire  au  iv°  siècle  avant  l'ère  chrétienne. 

D'un  autre  côté,  je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  concordance 
absolue  de  dates  entre  les  différentes  périodes  de  la  Téne 
en  Lorraine  et  dans  le  reste  de  la  Gaule.  Autrement  dit, 
notre  pays  me  parait  en  être  resté  relativement  assez  tard 
à  la  civilisation  hallstattienne  ;  aussi  ne  serait-il  peut-être 
pas  prudent  de  se  fier  aux  apparences,  quand  il  s'agit  de 
préciser,  non  plus  une  époque,  mais  une  véritable  date. 

J.  BEAUPRÉ. 


LISTE 

DES   SOCIÉTÉS   SAVANTES    ET    ÉTABLISSEMENTS 

EN  RAPPORT  AVEC  LA  SOCIÉTÉ  D^ ARCHÉOLOGIE  LORRAINE. 
PUBLICATIONS     PERIODIQUES      QUI      LUI     SONT     ADRESSÉES  (1). 


ÀLBi.  —  Revue  historique,  scientifique  et  littéraire  du  dépar- 
lement du  Tarn.    * 
Alger.  ^-  Société  de  Géographie  d'Alger  et  de  l'Afrique  du 
Nord.  ~  ■ 

Amiens.  —  Société  des  Antiquaires  de  Picardie. 
Angers.  —  Société  nationale  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts 

d'Angers. 
Angoulème.  —  Société  historique  et  archéologique  de  la  Cha- 
rente. 
i^  Annecy.  —  Société  florimontane  d'Annecy. 
Anvers.  —  Académie  royale  d'Archéologie  de  Belgi(iue. 
Arlon.  —  Institut  archéologique  du  Luxembourg. 
Arras.  —  Commission  départementale  des  Monuments  histo- 
riques du  Pas-de-Calais. 
AuoH.  —  Société  archéologique  du  Gers. 
AuTUN.  —  Société  éduenne  des  lettres,  sciences  et  arts. 
Auxerre.  —  Société  des  Sciences  historiques  et  naturelles" 

do  l'Yonne. 
Avignon.  —  Académie  de  Vaucluse. 
Bale.  —  Historische  und  antiquarische  Gesellschaft. 
jf  Bar-le-Duc.  —  Archives  départementales  de  la  Meuse. 
Bar-le-Duc.  —  Société  des  Lettres,  Sciences  et  Arts  de 
Bar-le-Duc.  •    _.       . 

(I)  I/astérisqne  gras  indique  l'envoi  simnltané  des  Mémoire»  ttdu  Bullelin; 
TaBtérisqne  ordinaire,  l'envoi  du  Bulletin  seul.  Les  Sociétés  dont  le  DOin  n'est 
précédé  d'aucun  signe  reçoivent  les  Mémoiree. 

36 


Bbauvais.  —  Société  académique  d'Archéologie,  ScieDces 
et  Arts  du  département  de  FOise. 

Belfort.  —  Société  belfortaiae  d^Emulation. 

Besançon.  —  Société  d'Émulation  du  Doubs. 

Bordeaux.  —  Société  archéologique  de  Bordeaux. 

Bourges.  —  Société  des  Antiquaires  du  Centre. 

Bruxelles.  —  Société  royale  de  Numismatique. 

Bruxelles.  —  Société  d'Archéologie  de  Bruxelles. 
if  Bruxelles.  —  Société  des  Bollandistes. 

Bruxelles.  —  Fédération  archéologique  de  Belgique 

Gaen.  —  Société  française  (^Archéologie  pour  la  conserva- 
tion et  la  description  des  monuments. 

Ghalons-sur-Marnb.  —  Société  d'Agriculture,  Gommerce, 
Sciences  et  Arts  du  département  de  la  Marne. 

Ghambéry.  — Académie  des  Sciences,  Belles-Lettreset  Arts 
de  Savoie. 

Ghambéry.  —  Société  savoisienne  d'Histoire  et  d'Archéologie. 

Gharleroi.  —  Société  paléontologique  et  archéologique. 

Ghartres.  —  Société  archéologique  d'Eure-et-Loir. 

Ghateau- Thierry.  —  Société  historique  et  archéologique  de 
Ghâteau-Thierry. 

GoLMAR.  —  Société  d'histoire  naturelle  de  Golmar. 
*  Gompiègne.  -  Société  historique  de  Gompiègne. 

GoNSTANTiNE.  —  Société  archéologiquo  de  la  province  de 

Gonstantine. 
*Dax.  —  Société  de  Borda. 

Dijon.  —  Commission  des  Antiquités  du  département  de  la 
Gôte-d'Or. 

Epinal.  —  Société  d'Emulation  du  département  des  Vosges. 

Fontainebleau.  —  Société  historique  et  archéologique  du 
Gâtinais. 

Gand.  —  Société  d'histoire  ot  d'archéologie  deGand. 

GiBSSEN  (Hesse-Darmstadt).  — OberhessischerGeschichtsve- 
rein. 


iir 

Gray,—  Société  grayloise  d'Emulation. 
Grenoble.  —  Académie  delphinale, 

Havre  (le).  —  Société  nationale  havraise  d'Etudes  diverses. 
Helsingfors.  —  Société  archéologique  Anlandaise. 
•Langres.  —  Société  historique  et  archéologique  de  Langres. 
Liège.  —  Institut  archéologique  liégeois. 
Liège.  —  Société  d*Arl  et  d'Histoire  du  diocèse  de  Liège. 
Lu.LE.  —  Commission  historique  du  département  du  Nord. 
ic  Luxembourg.    —    Institut    grand-ducal   de  Luxembourg 

(section  des  Sciences  historiques). 
Luxembourg.  —  Cercle  historique,  littéraire  et  artistique. 

*  Lyon.  —  Bulletin  historique  du  diocèse  de  Lyon. 

-  Mans  (le).  —  Société  historique  et  archéologique  du  Maine. 
*Mabedsous  (abbaye  de),  Belgique. —  Revue  bénédictine. 

Metz.  —  Académie  de  Metz. 
^  Metz.  —  Musée  de  la  ville  de  Metz . 

Metz«  —  Société  d'Histoire  et  d'Archéologie  de  la  Lorraine. 

*  MoNs.  —  Société  des  Sciences  des  Arts  et  des  Lettres  du 

Haiuaut. 

Montauban.  —  Société  archéologique  de  Tarn-et-Garonne. 
MoNTBBLiARD.  —  Société  d'Emulatiou  de  Montbéliard. 
i^  MoNTBRisoN.  —  La  Diana.  Société  historique  et  archéolo- 
gique du  Forez. 
*Montmbdy.  —  Société  des  Naturalistes  et  Archéologues  du 
Nord  de  la  Meuse. 

*  Montréal  (Canada).  — Société  de  numismatique  et   d'ar- 

chéologie. 

Mulhouse.  —  Musée  historique  de  Mulhouse. 

Namur.  —  Société  archéologique. 
-^  Nancy.  —  Académie  de  Stanislas. 
i^  Nancy.  —  Archives  départementales. 
if  Nancy.  —  Archives  municipales. 
if  Nancy.  —  Bibliothèque  publique. 
-^  Nancy.  —  Société  de  géographie  de  TEst. 
-^  Nancy.  ^  Société  lorraine  de  photographie. 


Nantes.  —  Société  archéologique  de  Nantes  et  de  la  Loirô^ 
Inférieure. . 

NhiEs.  —  Académie  du  Gard. 

Orléans.  —  Société  archéologique  de  TOrléanais. 

Paris.  —  Académie  des  Inscriptions  et  Belles -Lettres. 

Paris.  —  Musée  Guimet. 

Paris.  —  Bibliothèque  de  la  Sorbonne. 

Paris.  —  Société  nationale  des  Antiquaires  de  France. 

Paris.  —  Société  des  Etudes  historiques. 
-^  Paris.  —  Ministère  de  l'Instruction  publique  et  des  Beaux- 
Arts. 

Pau.  —  Société  des  Sciences,  Lettres  et  Arts  de  Pau. 

Poitiers.  —  Société  des  .\ntiquaires  de  TOuest. 

Reims.  —  Académie  nationale  de  Reims. 

Rome.  —  Gommissione  archoologica  comunale  di  Roma. 
^  Saint-Dié.  —  Société  philomatique  vosgienne. 

Sarrebruck.  —  Historischer  Verein  fur  die  Saargegônd. 

*  Sedan,  —  Société  d'Etudes  ardennaises.  -  • 
Senlis.  —  Comité  archéologique  de  Senlis. 

Sousse  (Tunisie).  —  Société  archéologique  de  Sousse. 
Stockholm.  —  Académie  royale  d'Histoire  et  d'Archéologie. 
SrnASBOURO.  —  Société  pour  la  Conservation  des  Monuments 
historiques  d'Alsace. 

*  Toulon.  —  Société  académique  du  Var. 

*  Toulouse.  —  Société  archéologique  du  Midi  de  la  France. 
Tours.  —  Société  archéologique  de  la  Touraine. 
Troyes.  —  Société  académique  de  TAube. 

Verdun.  —  Société  philomathique  de  Verdun  (Meuse). 
Verviers  (Belgique).  —  Société  verviétoise  d'archéologie 

et  d'histoire.  ' 
Zagreb  (Agram).  —  Société  croate  d'Archéologie. 


LISTE    DES    MEMBRES 
DE  LA  SOCIÉTÉ   b'ARCHÉOLOGIE    LORRAINE 

ET  DU  MUSÉE  HISTORIQUE  LORRAIN 
au  1"  Janvier  I90k 


Bureau  de  la  Société  élu  |iOur  l'année 
i003-1004l. 

Président,  Léopold  Quintard. 

Président  honorairey  Charles  Guyot. 

Vice -président,  Pierre  de  Lallemand  de  Mont. 

Secrétaire  perpétuel,  Léon  Germain. 

Secrétaire  annuel,  Pierre  Boyé. 

i  Emile  Duyernoy. 
Marcel  Maure. 
Bibliothécaire- Archiviste,  Georges  Gonry. 
Bibliothécaire  adjoint^  Charles  Sadonl. 
Trésorier,  Juliea  Knecht. 

Conservateur  du  Musée  lorrain,   Lucien   Wiener. 


Eilste  de»  Membreii  compostant  le  Comité  du 
Musée  historique  lorrain. 

Président  né,  le  Préfel  de  Meurtho-et-MosoUe. 

Vice- Président  né,  h  Maire  de  Nancy. 

Membres  du  Comité  :  Les  Membres  du  Bureau  de  la  Société  d'Ar- 
chéologie; Marquis  V.  de  Landreville,  ancien  conFeilier  général; 
Roussel^  secrétaire  honoraire  de  la  Mairie  ;  Genay,  architecte  ; 
Fayier,  conservateur  de  la  Bibliothèque  publique;  Lnxer^  pré- 
sident de  Ch3mbre  à  la  Cour;  F.  Bretagne;  Commandant 
Largnillon;  Mellier, inspecteur  honoraire  d'Académie;  E.  Galle; 
H.  Lefebvre;  Charbonnier^  architecte  des  monuments  historié- 
ques  ;  Comte  J.  Beaupré  ;  Martz^  conseiller  à  la  Cour. 


Membres  honoraires. 


Jojbert  (M™«  la  baronne  de),  au  château  de  Saulxures-les-Nancj. 
Berger  (Philippe),   membre  de  rinstitut,   professeur  aa  Collège 

de  France,  3,  quai  Voltaire,  Paris. 
Le  Directeur  de  la  Société  française  d'Archéologie  (1). 
Le  Président  de  la  Commission  des  Antiquités  du  département  de 
la  Côte-d'Or. 

—  de  la  Société  d'Ëmulation  des  Vosges. 

—  de  r Académie  de  Metz. 

—  de  l'Académie  du  Gard. 

—  de  la  Société  archéologique  de  TOrléanais. 

—  de  la  Société  des  Antiquaires  de  TOuest. 

—  de  la  Société  archéologique  de  Sens. 

—  de    rinstitut  grand-ducal    de    Luxembourg  (section 

des  sciences  historiques). 


(1)  La  Société  &  conféré  le  titre  de  membre  honoraire  aux  présidents  des 
Sociétés  qui,  après  l'iDcendie  du  Palais  dncal  en  1871,  ont  bien  tooIu  lai 
donner  des  témoignages  de  sympathie,  soit  en  soascrivant  pour  la  reconstractioo 
de  l'édiflce,  soit  en  envoyant  la  collection  de  leurs  publications  à  la  bibiic- 
thèque  du  Musée. 


vn 


Membres  perpétuels  (1)« 


BerllB  (Etoger),  avocat  à  la  Coar  d*appe1,  2ô,  rae  de  la  Raviaelle. 

Blsemont  (le  comte  de),  ancien  officier  supériear,  château  du 

Tremblois,  par  Bouzières-aax-Cbênep. 
llonr  (Edouard),  127,  rue  Saint- Dizîer. 
Coareel  (Vdlentin  de),  20,  rue  de  Vaugirard,  Paris. 

t  Onmaiit  (le  baron  Prosper  Ctnerrler  de),   premier  secrétaire 
perpétuel  delà  Société  (Mort  à  Nancy  le  26  janvier  18S3). 
Floraaife  (Joies),  21,  quai  Malaquais,  Paris. 
Ctermain     (Léon),   membre    de    l'Académie    de  Stanislas,  26, 
rue  Héré. 
t  Cloay    (Jules),  ancien    magistrat,    membre  de   TAcadémie   de 
Stanislas  (Mort  à  Nancy  le  16  février  1892). 
€}ayot    (Charles),   directeur  de  l'Ecole    forestière,    membre  de 
TAcadémie  de  Stanislas,  10,  rae  Girardet. 
t  liaBiflard,  directeur  d'assurances  (Mort  à  Nancy  le  29  juin  1899). 
t  Caprevote  (Charles),  ancien  secrétaire  perpétuel  de  la  Société 
(Mort  à  Nancy  le  12  juin  1886). 
liari^allloB  (le  commandant),  43,   faubourg  Saint-Georges. 
Eiefebvre  (Henri),  contrôleur  des  contributions  directes  en  dis- 
ponibilité^ 17,  rue  de  Rigny. 

t  liepaf  e  (Henri),  archiviste  de  Meurthe-et-Moselle,  président  de 
la  Société  de  1851  à  1887  (Mort  à  Nancy  le  ^9  décembre  1887). 
lioayot  (l'abbé),  professeur  à  l'Ecole  Saint-Léopold. 
Maare  (Marcel),  avocat,  5,   cours  Léopold. 
t  Meaame  (Edouard),  avocat,  professeur  à  l'Ecole  forestière  (Mort 
à  Paris  le  5  mars  1886). 


(I)  Le  titre  de  membre  perpétuel  est  acqais  par  le  versement  en  une  seule  fois 
d'aue"  somme  de  200  francs.  11  donne  droit  à  la  distribution  gratuite  des 
Mémoir«$  et  du  Bulletin  de  la  Société.  (Arrêté  ministériel  du  16  juin  ld9I,  auto- 
risant cette  disposition  additionnelle  au  Règlement.) 


rvui 

Ifea^lii  (Henri),  avocat  à  la  Cour,  ancisa  BâtoQDier,  membre 
de  rAcadémie  de  StaDislas,  49^  rue  Stanislas. 

Morlalncoart  (le  lieutenaat-colcael  Reaé  de),  14,  rue  do  Chfi- 

tillon,  ChâloDs-sur-Marne. 
Parifot  (rabbé),  aumônier,  14^  rue  da  Haut-Bourgeois, 
t  PiersoB  (Louis),  décédé  à  Mireconrt  (Vosges),  le  10  janvier  1899. 
Bozières  (Aatoiae  de),  à  Mirecourt. 
Bozlères  (Paul  de),  à  Luuéville. 

Madoifl  (Gharlo»),  docteur  en  droit,  directeur  particulier  de   la 
Compagnie  d'assurances  générales,  29,  rue  des  Carmes, 
t  Sldot  (Louis),  libraire  (Mort  à  Nancy  le  18  mars  189G}. 

Sldot  (Nicolas),  libraire,  3,  rue  Raugraff. 
t  itouliesmes  ^Raymond  des  Cïodlas  de\  ancien  vice-président  de 

la  Société  (Mort  à  Nancy  le  21  février  1902). 
t  Tliftcrj  (Kmile),  artiste  peintre  (Mort  à  Nancy  le  3  féviier  )8Do). 
l^ieacr  (Lucien),  34,  rue  de   la  Rdvinelle. 


IS 


Membres  lliùlairee  (I] 


*  Agnel  (^Vabbé  Arnaud  d*  ,  docteur  en  philosophie  et  ea  théolo- 

gie, 10,  rue  Montaux,  Marseille. 

*  Aimond  (i*abbé  Charles),  professeur  au  petit  sémiatiire  de  Ole-* 

rieux,  près  Verdun  (Meuse). 

*  Alsace,  prince  d'Hénin  (le   comte   d*),  député,  au  châleau   de 

Bourlémont,  par   Neufchâtcau  (VosgeOi  et  20,  rue   Washing- 
ton, Paris,  VIII. 

Ambroise  (Emile),  avoué,  docteur  en  droit,  16,   rue  Gambetta^ 
Lunéville. 

André  (Emile),  architecte,  1,  place  StanisUs. 

*  André  (Georges)^  avocat  A  la  Cour  d'appel^  12,  rue  d'Alliance. 

*  Arth,  directeur  de  Tlnslitut  chimique,  7,  rue  de  Rigny. 

*  Asher,  libraire,  13,  Uoter  den  Linden,  Berlin.  W. 

*  Aubry  (Georges),    propriétaire  de  la  manufacture  de  faïence  de 

Bellevue,  près  Toul. 

*  Aubry  (Albert).  6,  avenue  Hoche,  Paris,  VIII*. 

Andiat,  Président    de    chambre    honoraire   à  la  Cour  d*appel, 
membre  de  TAcadémie  de  Stanislas,   45,  rue  do  la  Ravinelle. 

Avout  (le  vicomte  Auguste  d*},  ancien  magistrat,    14,  rue    dé 
Mirande,  Dijon. 

Baradez,  ancien  adjoint  au  Maire  de  Nancy,  ancien  président  du 
Tribunal  de  commerce,  6,  rue  du  Montet. 

*  Barbas  (le  commandant),  8,  rue  le  la  Monnaie. 

*  Barbey  (Adrien),  5,  rue  Sainte-Cath«^rine. 

Barbey  (Georges),  5,  rue  Sainte-Catherine. 

Barbier,  dessinateur-autographe,  4,  quai  Choiseul. 

Barbier  (rabbc),  curé  do  Saint- Vincent-Saint-Fiacre,  7,  impassô 
Saint- Vincent. 

"  Barrés,    (Maurice) .    à   Cbarmes-sur-Mosolle   (Vusges),   et   100 
boulevard  Maillot,  Neuilly-Paria. 

(1)  Les  noms  précédéft  d'un  astérisqae  sont  ceux  des  membres  abonués  au 
Bulletin  measael  de  la  Société. 

Les  personnes  dont  le  nom  n'est  suivi  d'ancane  indication  de  lieu  obi  leur 
résidence  à  Nancy.  Les  localités  dont  la  situation  ci'est  pas  spécifiée  sont  situées 
dans  le  département  de  Meurthe-et-Moseile. 


^  Barthélémy  (François),  2,  place  Sully,  Maisons-Lafatte  (Seine-et- 

Oise). 

Bastien  (Pierre),  greffier  en  chef  de  la  Cour  d*appel,  11,  me 
Désilles. 

*  Bandot  (Jules),  industriel  à  Bar-le-Duc. 

*  Banffremont  (le  prince  duc  de),  87,  rue  de  Grenelle,  Paris,  VII*. 
Banmont,  Proviseur  du  lycée  de  Beauvais. 

*  Bazoche,  notaire  honoraire,  à  Commercy  (Meuse). 
'  Beanjan  (l'abbé),  curé  de  Fléville. 

*  Beaupré  (le  comte  Jules),  18,  rue  de  Serre. 

*  Bauzée-Pinsart,  sculpteur  à  Stenay  (Meuse). 

Bécoart  (Eugène),  professeur  agrégé  au  Lycée  de  Nancy,  12,  rue 
de  Toul. 

*  Bellefond  (le  colonel  do),  6,  rue  Gallot. 

*  Benoit-6ény  (Auguste),  avocat,  49,  rue  Stanislas. 

*  Bentz,  17,  rue  de  Nabécor. 

*  Bergeret,  imprimear,  63,  rue  des  Jardiaiers. 

*  Berlet  (Françoit),  8,  rue  d* Alliance. 

*  Bernard  (Henri),  avocat  à  la  Cour,  21,  rue  Gambetta. 

*  Bernard  de  Jandin,  ancien  magistrat,  16,  rue  Montesquieu. 

*  Bernardin  (Léon),  lieutenaut  au    149*  régiment  d*infanterie  â 

Spinal . 

^  Berthelé,  archiviste  de  THérault,  11,  impasse  Pages,  Montpellier. 

*  Bertier  (Emile),  ancien   avoué  à    la  Cour  d*appel,  21,   rue  de 

Thionville. 

*  Beitin  (Charles),  6,  rue  Lepois. 

^  BertlB  (Roger),  avocat  à  la  Cour  d^appel,  25,  rue  de  la  Ravinelle. 

*  Beugnet  (l'abbé),  curé  de  Saint- Nicolas,  42,  rue  des  Qaatre-Egliaes. 

*  Bibliothé<lue  (la)  delà  Ville  de  Bar-le-Duc  (Meuse).  A  la  Mairie. 
Bibliothèque  (la)  du  British  Muséum,  à  Londrea. 

*  Bibliothèque  (la)  de  la  Ville  d*Ëpinal. 

*  Bibliothèque  (la)  de  h  Ville  de  Longwy. 

*  Bibliothèque  (la)  de  la  Ville  de  Lunéville. 
Bibliothèque  (la)  de  1* Université,  Cambridge. 

Bigorgne,  professeur  au  lycée  Condorcet,  24,   rue  de  Ch&teau- 
Landon,  Paris,  X*. 
^  Blzemont  (le  comte  de),  ancien  officier  supérieur,    cbâtesu 
du  Tremblois,  par  Bouxièresaux-Chênes. 


XI 

*  Blech  (Ernest),   industriel  à  Sainte-Marie-anx-Minei  (Alsace). 

Bloch  (J.)»  grand  Rabbin  du  Consistoire   israélite,  18,    rue  de 
TEquitation. 

Blondlot,  professeur  â  la  Faculté  des  sciences,  8,  quai  Glande-le* 
Lorrain. 

BoUemont  (Alfred  de),  30,  rue  de  la  Primatiale^  et  à  Rambervil- 
lers  (Vosges). 

Bonnean  (l'abbé),  curé  de   ChBuvency- Saint-Hubert,  par  Mont- 
médy  (Meuse). 

*  Boppe  (Auguste),  secrétaire   d'ambassade,   27,   avenue  d*Antin, 

Pari^,  VIII. 

Boppe   (Lucien),  directeur  honorHi^re  de  l'Ecole   Nationale  de» 
Eaux  et  Forêts,  27,  rue  de  la  Commanderie. 

*  Boppe    (Paul),  ancien    commandant  de  cavalerie,  40,   rue    de 

Toul. 

Bosftert,  ancien  bijoutier,  18,  rae  Victor-Hugo. 

*  Bossn  (Louis),  avocat  général  près  la  Cour  d*appel,2,  rue  Fouc- 

ques^  Douai. 

*  Bœswilwald  (Paul),  inspecteur  général    des  monuments  histo- 

riques, 6,  boulevard  Saint-Michel,  Paris,  Y*. 

Boniliet  (l'abbé\  yi^ire  à  N.-D..  d*AuteniK  4,  rue  Corot,  Paris, 
XVI». 

Bonr  (Charles),  propriétaire,  17,  cours  Léopold. 

^  Boar  (Edouard),  127,  rue  Saint- Dizier. 

Bonroier  (le  comte  Charles  de),  au  château  de  Bathelémont-sur- 
Seilie,  par  Mulcey  (Lorraine  allemande). 

*  Bourgeois  (J.),  négociant  à  Sainte-Marie-aux-Mines  (Alsace). 
Bourgogne  (Frédéric  de),  â  Lamarche  (Vosges). 

*  Bonrgon  (Désiré),  archit<)cte,   élève  de  l"   classe  de  l'Ecole  des 

Beiiux-Arts,  6,  cours  Léopold. 

*  Boumique  (Elle),  46,  faubourg  Stanislas. 

*  Boursier  (Charles),  notaire,  54,  rue  Saiut-Jean. 

*  Bouvier  (de),  10,  rue  de  la  Source. 

*  Boyé  (Pierre),  avocat  à  la  Cour  d*appel,  membre  de  TAcadémie 

de  Stanislas,  53,  rue  Hermite. 

*  Bretagne    (Ferdinand),    ancien     contrôleur    des  contributions 

directes,  55,  rueda  la  Ravinelle. 

*  Briot  (Fabbé),  curé-doyen  de  la  basilique  Saint-Epvre,  6,  rue 

des  Loups. 
Briqnel  (le  docteur  Paul),  préparateur  à  la  Faculté  de  Médecine, 
82,  rue  de  Viller,  Lanéville. 

*  Brnllard  (le  docteur),  château  de  Qondreville. 


Xll 

*  Braneau  (labbé),  16J,  rue  Je  Strasbourg. 
Bmjères  (Ch.  de),  avocat,  à  Remiremont  (Vosges).    . 

*  Buffet    (Louis),    aacien   iDgéaiour   des    Ponts-et-Chauaâéôs.    à 

PlaiufaiDg  (Vosges). 

*  Buffet  (Paul),  13,  rue  Cassette,  Paris,  VI«. 

*  Bnllier,  avoué,  50,  rue  Stanislas. 
Bussienne,  propriétaire,  à  Dieulouari. 

*  Bussière,  sculpteur,  0,  ruo  de  Metz. 

*  Buviguier-Clouet  (Mtle  Madeleine),   11,  ruo  Saint-Maur,  Verdun 

(Meuse). 

Gastex  (le  vicomte  Maurice  de),  ancien  officier  d*état- major,  6, 
rue  de  Penthièvre,   Paris,  Vlll». 

Cerf,  notaire,  à  Rosières- tiux  Salines. 

Chapelain,  conservateur   des   forêts  on  retraite,  11  frts,  rue  de 
Lorraine. 

*  Chapelier  (l'abbé  Ch.),  curé  de  Mirecourt (Vosges), 

*  Gharhonnier,  architecte  dei  Monum'^nts  historiques,  37,  lue  du 

faubourg  Saint-Jean. 

*  "Chariot  (Alexandre),  ancien  magistrat,  5,  rue  des  Dominicains. 

*  Châtelain  (Ë.),    professeur  de  philosophie  au  Lycée,  24,  rue  de 

Boudonville. 

*  Châtelain  (l'abbé),    ancien  professeur   de    philosophie,    curé  dé 

Vatimont,  par  Baudracourt  (Als.-L.). 

*  Chatton  (l'abbé  Ed.),  cuié  de  Rémenoville,  par  Gerbéviller. 

*  Chatton  (l'abbé  Emile),  vicaire  à  Saiot-Ëpvrd,  G,  rue  des  Loups. 

*  Chenut  (Paul),  16,  rue  de  la  Ravinelie. 

Chepfer  (Georges),  53,  rue  Caulaincourt,  Paris,  XVIII*. 

Chevalier  (Roger),  11,  rue  Salut- Lambert. 

Chevallier  (l'abbé),  ptofeesaur  à  rinstitmi>n  StPierre-Fourîer, 
à  Lunéville. 

*  Chevelle,  ancien  maire,  juge  de  paix  de  Vaucouleurs  (Meuse). 
Chevreux  (Paul),  archiviste  du  département  des  Vosges,  Epinal. 

*  Chrétien  (Georges),  agriculteur  à  Sfax  (Tunisie). 

*  Chrétien  (l«  docteur  H.),  professeur  à  la  F'aculté  de  médecin^ 

1  tery  place  Carnot. 

*  Christophe  (Henri),  rentier,  10.  ru'^  d'Amer  •al, 

*  Glanché  (l'abbé),  curé  de  Blénod-les-Toul. 

*  Coêtlosqnet  (Maurice    du),    rue   Sur-broué,    à    Rambervilleis 

^Vosges). 

*  Coliez  (Emile),  docteur  ou  raédôciue,  à  Longwy-Bas. 


.  Colin  (l'abbé),  curé  de  Virecourt,  par  Bayon. 

*  Colin  (rabbé  Eugène),  curé  de  Villacourt,  par  Bayon. 

*  CoUenot  (Félix),  ancien  magistrat,  10,  rue  Sainte-Catherine. 

*  Collesson  (Pierre),  47,  rue  des  Tiercelins. 

Collet  (Emile),  lieut.-colonel  de  territoriale,  38,  rue  Sain'-Jean. 

CoUignon,  médecin-nidjor  de  l'*  classe  au  25*  d'infanterie,  0,  rue 
de  la  marine,  Cherbourg. 

Collignon,    professeur  à   la   Faculté   des    Lettres,    membre  de' 
TAcadémie  de  Stanislus,  2  6i5,  rue  Jeanne-d'Ârc. 

Comte,  ingénieur  à  Commercy  (Meuse). 

Cordier  (Julien),  avocat,  ancien  député,  à  Tou). 

it  Coorcel  (Valentin  do),  20.  rue  de  Vaugirard,  Paris,  VI«. 

*  Conrenr  (Bernardio),  20,  rue  Laflize. 

*  Crépin  Leblond,  imprimeur-éditeur,  passage  da  Casino. 
CroToisier  d*Hnrbache  (René  de),   avocat  â  la  Cour  d'appf^l, 

1,  rue  Mably. 
Cnny  (L*abbé),  à  Bréménil,  parBadonviller. 

*  Cnré  (Pabbé),  vicaire  à  Saint- Epvre,  6,  rue  des  Loups. 

Dannreuther,  pasteur  de  TEglise   réformée,  quai  Victor  Hugo, 

à  Bar-le-Duc  (Meuse). 
Dartein  (Vabbé  de),  ancien   professeur  à  Técole  Saint-Sigisbert, 

22,  rue  de  Iligny. 

*  Dartein  (Elenri  de),  22,  rue  de  Uigny. 
Dassigny,  comptable,  à  Mirecourt  (Vosges). 
David  (Louis),  à  Vaucouleurs  (Meuse). 

David  (Paul),  ancien  sous-préfet,  4,  rue  Hermite. 
Débnisson  (Eugène),  à  Bayon. 

*  Déglin  (Henri),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  membre  de  TAcadémie 

de  Stanislas,  79,  rue  St-Georges. 
Degontin  (Maurice),  château  de  Remonvaulx,  près  Bayonville,  et 

chez  Mme  de  Résie,  à  Beaune  (Côte-d'Or). 
Delageneste,  capitaine  au  5«  hussards,  rue  Palissot. 

*  Délavai  (Albert),  à  Saint-Max,  près  Nancy. 

Denis  (Albert),  avocat,   maire  de   Toul,  conseiller  général   de 

Meurthe-et-Moselle,  à  Toul. 
Denis  (Charles),  capitaine  au51o  régiment  d*inf$iQterie,  Beauvais 

(Oise). 
Denis  (l'abbé),  curé  de  Réméréville,  par  Saint-Nicolas  de  Port. 
Denis  (Paul),  président  honoraire  du  Tribunal,  à  Toul. 


XIV 

*  Didier -Laurent  (rabbé),  curé  de  Montharem-sur-Saône  (Vosges). 
Didrit  (l'abbé  Théophile),  curé  de  Charmes  la-Côte,  par  Toal. 
Dinago,  avocat  à  la  Cour,  9,  rue  des  Carmes. 

Diot,  aaciea  receveur  municipal,  2,  place  Carnot. 

*  Domgermain  (le  comte  de).  S,  rue  de  Lille,  Paris,  VII'. 
Droit,  notaire,  26,  rue  des  Carmes. 

*  Droaet  (Charles),  17,  rue  leabey. 

*  Dmpt  (l'abbé  Arthur),  professeur  au  Sémioaire  de  Glorieux,  par 

Verdun  (Mense). 

*  Dryander  (Edgardi,  84,  rue  de  la  Ruvlnelle. 

*  Dubois  (S.  G.  Mgr),  évoque  de  Verdun. 

^Dubuisson  (^Fabbé),  curé  de  Marville  (Meuse). 

Dafonr  (Henri),  architecte,  inspecteur  des  bâtiments  civils  au 
Cambodge,  à  Saigon  (Indo-Chine). 

*  Dolan  et  G<»,  libraire,  37,  Soho-Square,  Londres.  W. 

*  Dumast  (le   baron  -  Guerrier    de),   conservateur   des   forêts    en 

retraite,  38,  place  de  la  Carrière. 

*  Dumont  (Paul)»  docteur  en  droit,   bibliothécaire  universitaire, 

10,  place  Carnot. 

*  Durand  (G.)»  archiviste  du  département  de  la  Somme,   22,  rue 

Pierre-l'Hermite,  Amiens. 

*  Duval  (Louis),  négociant,  27,  rue  des  Ponts. 

*  Duvemoy   (Emile),  archiviste  du  département  de  Meurthe-et- 

Moselle,  rue  et  hôtel  de  U  Monnaie. 

*  Eauclaire  (l'abbé),  curé  de  Rosières-aux-Salines. 

*  Elie  (Georges),  capitaine  an  6'  hussard?,  Sézanne  (Marne). 

*  Elie  (Robert),  inspecteur  des  forets,  à  Toul. 

*  Elie-Lestre,  ancien  officier  de  cavalerie,  43,   cours  Léopold. 

*  Emond  (l'abbé),  curé  de  Flin,  par  Saint-Clément. 
Evrard  (Julen),  banquier,  à  Mirecourt  (Vosges). 

*  Favier,  conservateur  de  la  Bibliothèque  publique,  membre  de 

TAcadémie  de  Stanislas,  2,  rue  Jeanne  d'Arc. 

*  Ferry,  notaire,  à  Saint-Loup  (Haute-Saône). 
Féry  (Gustave),  à  Lexy,  par  Cons-la  Grandville. 
Fisson  (Charles),  industriel  à  Xeuilley. 

*  Flayanx  (l'abbé  Georges),  curé  à  Ménarmont.  près   Rambervil- 

1ers  (Vosges). 

*  Fliche  (Paul),  profdsseur  à  l'Ecole  forestière,  membre  de  l'Aca- 

démie de  Stanislas,  9,  rue  Saint-Dizier. 

if  Flora nffe  (Jules),  21,  quai  Malaquais,  Paris,  VI*. 


Fontaine  (i*abb6),  caré  de   Vrécourt  (Vosges). 

*  Fontaine  d*Harnonconrt  Unvenagt  (le  comte   Hubert  de  la), 

Chambellan  de   5.   M.    l'Ëmperear  d'Autriche,    59,   Reisuer 
Strasse,  Vienne  et  AUenmarkt,  près  Eriesting  (Basse- Autriche). 
Foncanlt  (S.  0.  Mgr.),  évêque  de  Saint-Dié. 

*  Fouler   de  Baconrt  (le  comte  Etienne),  56,  me  Cortambert, 

Paris.  XV1«. 

*  Fonrmann  (l'abbé),  curé  de  Villers-en-Haye,  par  Dieulouard. 

*  Foomier,  docteur  en  médecine,  à  Rambervillers  (Vosges). 

*  Fonrnier(P.)f  doyen  de  la  Faculté  de  droit,  Il  bis,  place  Victor- 

Hugo,  Grenoble. 
Fringant  (fabbé),  curé  d^AUamps,  par  Vannes-le-Châtel. 
Fringnet  (Alphonse),  inspecteur  de   l'Académie   de  Paris,   62, 

rue  Claude-Bernard,  Paris,  V. 

*  Friot,  docteur  en  médecine,  membre  de  1* Académie  de  Stanislas, 

11,  rue  Saint-NicoHs. 

*  Fnuninet  (l'abbé),  curé  archiprêtre  de  Saint-Jacques,  à  Lunéville. 

*  Galle  (Emile),  industriel,  membre  de  TAcadémie  de  Stanislas, 

2,  avenue  de  la  Oarenne. 

Gand  (H.),  19,  rue  de  Metz. 

*  Gandelet   (le  comte  Albert),  chambellan  de  S.  S.  Pie  X,  5frt>y 

rue  d*Alliance. 
Garnier,  ancien  juge  au  Tribunal  civil,  8,  rue  de  la  Source. 
Garnier  (Jules),  professeur  à  la  Faculté  de  droit,  8,  rue  Isabey. 
Gauthier  (Camille\  industriel,  10,  rue  d'Anxoane. 
Gavet,  professeur  à  la  Faculté  de  droit,  52,  rue  des  Tiercelins. 

*  Gegont  (Emile-Bernard),  rue  Notre-Dame,  à  Vézelise. 

*  Gegont  (Jules),  avoué  à  la  Cour  d'appel,  11,  rue  de  la  Ravinelle. 

*  Gegont,  conseiller  à  la  Cour  d'appel,  21,  faubourg  Saint-Jean. 

*  Genay,  architecte,  inspecteur  des  édifices  diocésains,  5,  Terrasse 

de  la  Pépinière. 

*  Genay  (Paul),  agriculteur,  à  Bellevue-Chanteheux,  par  Lunéville. 
Génin  (André),  capitaine  au  26*  de  ligne,  à  Toul. 

*  Gény,  entrepreneur,   47,  rue  Hermite. 

*  George  (Amédée),  13,  rue  de  Metz. 

*  George  (Pabbé),  curé  de  Saint -Max,  près  Nancy. 

*  Georgel  (Paul),  avoué,  25-27,  rue  de  h  Source. 
Gérard  (Albert),  avocat  à  Saint-Dié  (Vosges). 


Gérard  (Charlos),  avocat  à  la  Cour,  41,  Place  de  la  Carrière. 

*  Germain  (Edouard),  51,  rue  Isabëy. 

^  €mermaîn    (Léoû),    membre  de   TÂcadémio    de    Stanislas,    2C, 
'     rue  Héro. 

*  Gilbert  (l'abbé),  curé  de  Laneuveville-lès-Raou  (Vosges;. 

*  Gillant  (l'abbé) ,   curé    d'Auzéville  ,    par  Clermoat-eu- Argon  ne 

(Meuse). 

Gimé  (Ë.).  Beciétaire-gcaéral  de  la  Société  lorraine  de  photogra- 
phie, 11,  rue  des  Concourt. 

*  Gironconrt  (de)  ,   conducteur  principal  des  Ponts-et-Chaussées, 

9,  rue  Désilles. 

Gœpiert  (E.),  artiste-peintre,  6,  rue  d'Amerval. 

Gomien  (Paul),  ancien  sous-iotendant  militaire,  1,    rue  Siinte- 
Catherine. 

*  Gossé  (rabbé),  curé  de  Benney,  par  Ceintrey. 

A  Gourcy  (lo  comte  X.  de\  château  de  Luz,  par  Baccon  {^Loiret},  et 
25,  IU9  de  Grenelle,  Pari?,  Vil'. 

^  Gonry  (Georges),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  5,  rue  des  Tiercelins. 

*  Goury  (Gustave),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  5,  rue  des  Tiercelins. 

*  Goutière-Vernolle  (E.),  12,  rue  des  Jardiniers. 

*  Goayde  Bellocq-Feaquières  (Albert),aDcien  officier  d'état-m^jor, 

3,  rue  d*Aliiance. 
^  Grandclande  (Pabbé),  curé  de  L^xou,  près  Nancy. 
Grosjean  ;Henri),  libraire,  20,  rue  Héré. 
Gnérin  (Edmond),  6,  rue  des  Capucins,  à  Lunéville. 
Guinet  (A.),  rentier,  8,  rue  de  Serre. 
Gutton  (Henri),  architecte,  10,  place  Carnot. 

*  Gnyot  (A.),  receveur  principal  des  douanes,  43,  rue  Jeanne-d'Arc. 

^  liiayot  (Charles),  directeur  de  l'Ecole  forestière,   membre  de 
TAcadémie  de  Stanislas,  12,  rue  Girardet. 

*  GyOry  de  Nadudvar  (Arpad  de\  archiviste  de  la  Maison  Impé- 

ri>tile  et  Royale,  à  la  Hofburg,  Vienne  (Autriche). 

Hacqaard  (Henri),  commis  à  la  Bibliothèque  publique,  18,  rue 

de  Thionville. 

Baillant  (Nicolas),  secrétaire  perpétuel  de  la  Société  d'émulation 
du  dépMrteroent  des  Vosges,  21,  place  de  l'Aire,  Epinal. 

Haldat  du  Lys  ;Henri  de),  36,  cours  Léopold. 

Hamant  (l'abbé),  professeur  au  Collège  Stanislas,  8,  rue  Valen- 
tin-Hiiûy,  Pane,  XV". 

*  Hamonville  (le  baron   Henri  d'),  au  château  de  Manonville,  par 

Noviant-aux-Prés. 


XTII 

Harbnlot  (Louia),  juge  suppléant,  à  Remiremoat  (Vosges). 
Harmand  (Pabbé),  supérieur  de  rOrpheliaat  agricole,  à  Hiiroué. 
Hausen  (d'),  château  de  Sainte-Marie,  par  Biâmont. 

*  HanssonYille  (le  comte  d*) ,    de  TÂcadémie  française ,  aucien 

député,  41,  rue  Saint- DomiDique,  à  Paris,  VII«. 

*  Heits,  percepteur  des  contributirius  directes,  à  Vézelise. 

*  Hémardd'Adigny  (Henri),  à  Belrupt,  par  Verdun  (Meuse). 
Hennezel  (le  comte  d*),  à  Villers-lès -Nancy. 

Henriet  (Joseph),  avocat,  U,  rue  des  Michottes. 
Henry,  professeur  à  TEcole  forestière,  5,  rue  Lepois. 

*  Henry  (Ernest),  30,  faubourg  dn  Ménil,  Sedan. 

*  Houillon  (rabbé),  curé  de  Barbonville,  par  Blainville-sur-rEau. 
Honzelle,  instituteur  à  Montmédy  (Meuse). 

*  Hober  (Emile),  manufacturier,  à  Sarreguemines. 

*  Hnmbert    (l'abbé    Auguste),    directeur    du    Grand   Sémiaaire, 

Verdun  (Meuse.) 

*  Humbert-Clande  (rabbé),  curé  de  Dom paire  (Vosges). 

*  Hnn  ;DamieD),  publiciste,  23,  rue  Jeanne- d* Arc,  à  Epinal  (VosgeF-). 
Hntin,  propriétaire  à  Delouze,  par  Gondrecourt  (Meuse). 

*  Idonx   (l*abbé),    professeur  au   petit   séminaire  de  Châtel-sur- 

Moselle  (Vosges). 

*  lohmann,  bijoutier,  1,  rue  des  Carmes. 

Jacques  (l'abbé  Victor),  agrégé  de  TUniversité,  directeur  de  la 
Malgrange,  par  Jarville. 

*  Jacqnot  (Albert),  luthier,  19,  rue  Gambetta. 
Jawon,  architecte  de  la  ville,  4,  rue  des  Glacis. 

*  Jean  (l'abbé  Louis),  curé  de  Châteauvoué,  par  Hampont  (Lor- 

raine). 

*  Jérôme  (l'abbé),    membre  de  l'Académie  de^  Stanislas,    profes  • 

seur  au  Grand  Séminaire. 

Joybert  (le  baron  G.  de),  propriétaire,  48,  rue  Hermite. 

A  Knecht  (Julien),  16,  me  de  Serre. 
Knecht  (Marcel),  16,  rue  de  Serre. 
Koch  (Camille),  avocat  à  la  Cour,  63,  rue  Hermite. 

*  Kœberlé  (Mlle  Eisa),  quai  Kléber,  Strasbourg. 

*  Kools  (l'abbé),  curé  de  Lorquin  (Lorraine). 

*  Konarski  (Wlodimir\  vice-président  du  Conseil  de  Préfecture  de 

la  Meuse,  Bar-le-Duc. 

36 


xvrii 

Krng-BaBse,  conseiller  honoraire  à  la  Cour  d*appe?,  20,  rne  de 
TouU 

Lacaille,  avoué  à  la  Cour,  35,  place  de  la  Carrière. 

*  Lacombe  (rabbé;,  professeur  à  rinstitution  Saiat-Pierre-Foarier, 

à  Lunéville. 

La  Lance  (le  commandant  de),  93,  place  Saint-Qeorges. 

*  Lallemand  (Paul),  conseiller  honoraire  à  la  Cour  d'appel,  avenue 

du  Buis-sLouis,  Pau  (Basses-Pyrénées). 

*  Lallemand  de  Mont  (Pierre  de),  ancien  secrétaire  général   de 

Préfecture,  8,  rue  Isabey. 

*  Lallement  (Léon),  34,  cours  Léopold. 

*  Lambel  (le  comte  J.  de),  an  château  de  FléyiHe. 

*  Lambertye  (de),  marquis  de  GerbéYiller,  château   de   Gerbe- 

vil  1er. 
A  Lambertye  (le  comte  Gaston  de),  Compiègne  (Oise). 

*  Lamirault  (le   comte   de) ,    ancien   conservateur   des  forêts,   à 

Lay- Saint-Christophe. 

*  Landrian,  baron  du  Montet  (le  comte  de),  17,  rne  Bailly. 

*  Lapisse   (Charles    de),    à    M ontigny- devant- Sassey,    par   Dnn- 

sur-Meuse. 

*  Laprevote  (Léon),  ancien  inspecteur  des  forêts,  14,  rue  Victor- 

Hugo. 

ic  liftri^ailloB  (le  commandant),  43,  faubourg  Saint-Georges. 
Laroche  (l'abbé),  curé  de  Damas-devant-Dompaire  (Vosges). 

*  La  Rnelle   (F.  de),  chef  d^eicadron    breveté  au  29*  dragons, 

9,  place  Saint-Quiriace,  Provins  (Seine-et-Marne). 

*  Larzillière  (Félix),  conservateur  des  Eaux  et  Forêts,  35,  faubourg 

Saint-Jean. 

*  La  Tour  en  VoiTre  (le  comte  de),  30,  place  de  la  Madeleine, 

Pans,  Vill». 

Laurens  de  RonYroy  (le  comte),  à  Saint-Mihiel  (Mense). 

*  Laurent  (À.)*  médecin-major  en  retraite ,  rue  de   Vandeul,  i 

Saint-Dizier  (Haute-Marne). 

*  Lanrent  (P.),  architecte,  villa  des  Liserons,  Gérardmer  (Vasgas). 

*  Lanrent,  maître  de  conférences  à  la  Faculté  des  lettres,  30,  rue 

Jeaune-d'Arc. 

*  Lanron   (F.-H.),  employé  des   Postes   et  Télégraphes,   â  Nice. 

*  Le  Bègue  de  Germiny  (le  comte  Marcel),  41.  rue   d^Amstfrdam, 

à  Puris,  et  château  de  BéneauviUe,  à  Bavent  (Calvados). 

*  Leblanc  (Henri),  marchand  d^antiquités,  18,  rue  Héré. 
Leclerc  (René),   ancien    magistrat,  17,  rue  de  la  Commanderie. 

A  Lecomte  (Maurice),  architecte,  74,  rue  Charles  III. 


Ledarlin,  doyen  honoraire  de  la  Faculté  de  droit,  membre   de 
l'Académie  de  Stanislas^  12  bis,  faubourg  Stanislaa. 
^  IjefcbTre   (Henri),   contrôleur  des  contributions  directes  en 
disponibilité  ,  17, rue  de  Rigny. 

*  Lejeune  (Albert),  avocat,  22,  rue  de  Metz. 

*  Lemaire  (Jules),  à  Stenay  (Meuse). 

*  L'Escale  (Louis  de),  1,  rue  Daval,  Montmorency. 

L'Espée    (le  baron  Jean  de),   lieut.-colonel  au    9*  dragons^  à 
Lunévill"». 

*  Lespine  (Louis),  avocat  à  la  Cour,  9,  rue  Callot. 

Le  Vallois  (Henri),  bibliothécaire  à  la  Bibliothèque  nationale,  57, 
rue  des  Arènes,  Paris,  V*. 

*  Lévèqne  (l'abbé  Louis),  vicaire  au  Val-d'Ajol  (Vosges). 

*  L'Héranle  (de  ),  27,  place  de  la  Carrière. 

*  L*hAt6   (l'abbé) ,  professeur  au  Qrand  Séminaire  de  Saint-Dié 

(Vosges). 

Lhoillier  (l'abbé),  curé  d'Abreschwiller  (Lorraine). 

Liébaut  (l'abbé),  curé  d'Outremécourt,  par  Soulaucourt  (Haute- 
Marne). 

*  Liégeois  (le  docteur),  correspondant  de  l'Académie  de  médecine, 

à  Bainville-anx-Saules,  par  Dompaire  (Vosges). 

LigniYiUe  (le  comte  Gaston  de),  15,  rue  d'Alliance. 

*  Loppinet,  inspecteur  des  forêts,  4,  rue  des  Michottes. 

Lorta,   directeur  des  contributions  indirectes  en  retraite,  5  bis, 
place  du  Panthéon,  Paris,  V*. 

*  Eiomjot  (l'abbé),  professeur  â  TEcole  Saint-Léopold. 

*  Loysean  du   Bonlay   (Joseph-Auguste),  ancien  conducteur  des 

Ponts-et-Chanssées,   à  Auzéville,  par  Clermoct-en-Argonoe 
(Meuse). 

*  Lndre  (le  comte  Ferri  de),   château  de  Ludres,  à  Richardménil, 

et  15,  avenue  Bosquet,  Paris,  VII*. 

*  Luxer,  président  de  Chambre  à  la  Cour  d'appel,  15,  rue  Lepois. 
Luzoir,  surveillant  général  au  lycée  Lakanal,  à  Sceaux  (Seine). 

Magot,  avocat,  à  Pont-à-Mousson. 

*  Mahnet  (le  comte  Antoine  de),  88,  rue  Oambetta. 

*-  Hajorelle  (Louis),  industriel,  20,  rue  Saint-Georges. 
Malval  (le  comte  J.),  19,  place  de  la  Carrière. 

*  Mandre  (René  de).  30,  rue  Condopcet,  Paris,  IX». 

*  Mangenot   (Fabbé   Eug.).   professeur    à    l'Institut    catholique, 

88,  rue  du  Cherche-Midi,  Paris,  VI*. 


XX 

*  Mangio  (Léon),  63,   boulevard  de  la  République,   Noisy-l  >Sec 

(Seine), 

Marcot  (René),  membre  du  Conseil  municipal,  19,   rue  d«  la 
Ravinelle. 

*  Marcot  (Léopold),  ancien  maire  de  Réméréville,  13,  Grande- Rae 

Ville-Vieille. 

*  Margo  (Gaspard),  membre  de  la  Chambre  de  commerce,  16,  rue 

des  Tiercelins. 

Margon  (le  comte  de),  château  de  Rupt-snr-Othain,  par  Marville 
(Meuse). 

*  Marichal  (Paul),  archiviste  aux  Archives  nationales,  15,  avenue 

de  Paris,  à  Creteil  (Seine). 

Maringer,  maire  de  Nancy,  36,  rue  du  Faubourg  Saint- Jean. 

Marquis,  sénateur    de  Meurthe-et-Mosellei  45,   rue  de  Lille, 
Paris,  VII*. 

*  Martin  (Albert),  doyen  de  la  Faculté  des  lettres,  9,  rue  Sainte- 

Catherine. 

*  Martin  (l'abbé  Eugène),  docteur  ès-lettres,  membre  de  TAcadé- 

mie  de  Stanislas,  professeur  à  l'Ecole  Saiut-Sigisbert,  11,  place 
Carnet. 

*  Martin  (l'abbé  Numa),  curé  d*Ambly,  par  Troyon  (Meuse). 

*  Martin  (Paul),  capitaine  au  153*  d'infanterie,  à  Toul. 

Marton  (l'abbé),  ancien  aumônier  militaire,  4,  place  d'Alliance. 

*  Martz  (René),  conseiller  à  la  Cour  d'appel,  34,  rue  des  Tier- 

celins. 

*  Marx  (Roger),  inspecteur  des  Beaux- Arts,  105,  rue  delà  Pompe, 

Paris.  XVI». 

*  Maslat  (l'abbé),  curé  de  Chaligny,  par  Pont-Saint- Vincent. 

*  Masson  (Pierre-Eugène),  9,  rue  Saint-Nicolas. 
Mathieu  (S.  E.  le  cardinal),  Villa  Volskonski,  à  Rome. 
Mathieu  (l'abbé),  curé  de  Bernécourt^  par  Noviant-aux-Prés. 

*  Mathieu  (Ch.),  capitaine  en  retraite,  21,  place  de  la  Carrière. 
Mathiot  (Paul),  6,  rue  de  Metz. 

*  Mathia  (Camille),  propriétaire,  3,  rue  de  Metz. 
it  Maure  (Marcel),  avocat,  5,  cours  Léopold. 

*  Maxant  (Eugène),  ancien  greffier  de  chambre  à  la  Cour  d'appel, 

161,  rue  Saint-Dizier. 

*  MaseroUe  (Fernand),  archiviste  de  la  Monnaie,  2,  rue  Singer, 

Paris-Passy. 

Meixmoron  de  Dombasle  (Charles  de),   membre  de  l'Académie 
Stanislas,  19,  rue  de  Strasbourg. 

*  Meixmoron  de  Dombasle  (Raoul  de),  10,  rue  des  Loups. 


XXI 

Helin  (Gabriel),  avocat,  chargé  de  coara  à  la  Faculté  de  droit, 
1,  rue  de  la  Visitation. 

*  Mellier,  inspecteur  d* Académie  en  retraite,  membre  de  TAca- 

démie  de  Stanislas,  5,  rue  des  Tiercelins. 

Helnotte  (rabbé),  curé  de  ChampigneuUds. 

^  HeBi^in  (Henri),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  ancien  bâtonnier, 
membre  de  TAcadémie  de  Stanislas,  49,  rue  Stanislas. 

*  Mercier,  ancien  inspecteur  des  forêts,  19,  rue  de  Rigny. 

Mesmin,  ancien  magistrat,  6,  rue  Sainte- Catherine. 

Metz-Noblat  (Antoine  de),  membre  de  l'Académie  de  Stanislas; 
37,  cours  Léopold. 

Hézières   (Alfred),  sénateur,  membre  de   TAcadémie  française, 
57.  boulevard  St-Michel,  Paris,  V». 

llichon  (\lfred),  général  de  brigade,  à  Toul. 

*  Migette  (Armand),  à  Stenaj  (Meuse). 

*  Millet  (Charles),    chargé   de    cours   Â  la  Faculté  des   sciences, 

membre  de  TAcadémie  de  Stanislas,  1,  place  Saint-Jean. 

Miscault  (de),  5,  rue  d* Alliance. 

*  Mitry   (le   comte    Henry    de),    chef   d*escadron    de    cavalerie, 

26,  faubourg  de  Paris,  à  Dole  (Jora). 

*  Montbel  (le  baron  de  Thomassin  de),  sous-inspecteur  des  forêts, 

67,  rue  de  la  Kavinelle. 

*  Montjoie  (de),  au  château  de  Lasnez,  prèn  Villers-lès-Nancy. 

*  Moreau  (Adolphe),  rue  Cirande,  à  Saiut-Mihiel  (Meuse). 

^  Morlaineonri  (le  lieutenant-colonel  René  de),  14,  rue  de  Chas- 
tillon,  Châlons-sur- Marne. 

MoQgln  (Stéphane),  Remire  mont  (Vosges). 

Manier,  ancien  député,  à  Pont-à-Mousson  et  2,  rue  de  la  Sor- 
binne,  Paris,  V^ 

Nachbanr,  avoué,  2,  rue  Germiny,  à  Mirecourt  (Vosges). 
Nathan  (Lazard),  professeur,  23,  rue  de  l'Equitatton. 

*  Nantrez  (l'abbé  Victor),  curé  de  Hussigny. 

*  Nicolas  (Maurice),  39,  rue  de  la  Bolle,  Saiot-Dié  (Vosges). 
Nicolas  (Eugène),  avocat  â  la  Cour   d'appel,   80,  place  Saint- 
Georges. 

*  Nicolas  (l'abbé  J.-P.),  curé  de  Laneuville-sur-Meuse,  par  Stenay 

(Meuse). 

*  Neël  (Lucien),  à  La  Tour,  commune  de  Saint-Max,  près  Nancy. 
Norberg,  membre  de   la   Chambre  de   commerce,    7,  rue  des 

Glacis. 


xxn 

*  Oblata  (la  Communaaté  des  PP.\  à  Sion,  commune  de  Saxoa-SioOy 

par  Praye. 

Oblet  (l'abbé),  professeur  au  Grind  Sémiaaire. 

Oleire  (B.  d'),  libraird  à  Strasbourg  (Alsace) . 

Olivier  (Pabbé),  professeur  au  sémiaaire  de  Gbâtel  (Vosges). 

Olry  (l'abbé),  curé-doyen  de  Haroué. 

*  Pacotte  (A.)f  2,  rue  de  la  Monnaie. 

*  Pange  (le  comte  Maurice  de],  La  Maison- Verte,  à  SaintrOermain- 

ea-Laye  (Seine-et-Oise). 

^  Paquatte  (Tabbé),  curé  de  Groismare,  par  Marainviller. 

Parisel  (V.),   instituteur  en  retraite^  à  Malaincourt,  par  Bour- 
mont  (Haute-Marne). 

*  Pariset,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres,  membre  de  l'Aca- 

démie de  Stanislas,  105,  rue  Gbarles  III. 

^  Parlsol(rabbé),  aumônier,  14,  rue  du  Haut- Bourgeois. 
Parlsot  (^François),  conducteur  des  Ponts-et-Gbanssées,  â  Vézelise. 

*  Parisot  (Robert),  professeur   à  la  Faculté  des  lettres,   15,   rue 

Sigisbert-Adam. 

*  Parpaite  (Hippolyte),  industriel  à  Dnn -sur-Meuse. 
^  Paul,  ancien  notaire,  4,  rue  de  la  Monnaie. 

*  Panlua  (l'abbé),  directeur  de  la  Bibliothèque  municipale,  à  Metz. 

Pèlerin  (A.),  bibliothécaire   à  la  Bibliothèque  municipale,  57, 
faubourg  Saint-Jean. 

*  Perdrizet,   maître  de  conférences  à    la  Faculté  des  lettres,  9, 

rue  Désilles. 

*  Pernot    (l'abbé   Charles) ^  vicaire   â   Saint-Vincent-Saînt-Pîacre, 

7,  impasse  Saint- Vincent. 

*  Pernot  (l'abbé  L.),  curé  de  Germiny,  par  Golombey-les-Belles, 

(Meurthe-et-Moselle). 

*  Pernot  (Th.),  propriétaire  à  Tramont-Eiuy,  par  Vandeléville. 

*  Perront  (René),  avocat  à  Epinal. 

Permchot,  docteur  en  médecine,  à  Mellecey    (Siône-et-Loire). 
Pescher  (l'abbé),  licencié  es  sciences,  68,  rue  de  Toul. 

*  Petit,  receveur  de  reoregistreraent  en  retraite,  place  d'Armes,  15, 

à  Verdun  (Meuec). 

*  Petit  (l'abbé),  curé  d'Augny,  près  Metz  (Lorraine). 

*  Pfister,  maître  de  conférences  à  l'Ecole  normale  supérieure,  72, 

boulevard  de  Port-Royal,  Paris,  V«. 

*  Philippoteaox  (Auguste),  avocat,  3,  rue  Thiers,  à  Sedan. 

*  Pierlitte  (l'abbô),  curé  de  Portieux  (Vosges). 
Pierron  (H.),  docteur  en  médecine,  à  Pont-â-Mousson. 


XIIII 

Pillement  ^le  docteur),  93,  place  Setint- Georges. 

*  Pimodan  (le  marquis  de),  au  château  d'Echenay  (Haute-Marne), 

et  18,  rue  de  rUniversité,  Paris,  VII». 

*  Pion  (Henri),  rédacteur  au  Contentieux  du  Crédit  foncier,  38, 

rue  Juliette -Lamber,  Paris,  XVII*. 

*  Poirot,  conducteur  des  Ponta-et-Chaussées,  Ôl,  rue  de  Metz. 
Potier  (l'abbé),  curé  de  Varangéville,  par  Saint-Nicolas. 

*  Poulet  (H f^nry),  chef  du  secrétariat  particulier  du  Président  de 

la  République,  57,  faubourg  Saint-Honoré,  Paris. 

Prétot  (Fabbé),  curé  de  Buissoncourt,  par  Saint- Nicolas  de  Port. 
Purnot, conseil  1er  de  préfecture,  9  bis,  rue  Hermite. 

*  Pnton  (Bernard),  procureur  de  la  République,  à  Remiremont 

(Vosges). 

Quintard  (Albert),  étudiant  en  médecine,  30,    rue  Saint-MicheJ. 

*  Quintard  (Léopold),  30,  rue  Saint-Michel. 
Qointard  (Lucien),  4,  rue  Gilbert. 
Quintard  (Pierre),  30,  rue  Saint-Michel. 

Rampent  (E),  avoué  au  Tribunal,  1,  me  des  Michottes. 

Rayinel  (le  baron  Charles  de),  ancien  député,  au  château  de  Ville, 
commune  de  Nossoncourt,  par  Hambervillers  (Vosges). 

Reibel  (le  docteur),  47,  place  Dombasle. 

*  Reibel  ^Charles),  avocat  à  la  Cour,  47,  Place  Dombasle. 
Remy  (le  chanoine),  42,  rue  des  Tiercelins. 

Remy  (Pernand),  à  Saint-Nicolas-de-Port. 

*  Remy  (Justin-Joseph),  21,  rue  des  Goncourt. 

*  Renaold  (Albert),  avoué,  à  Bar-le-Duc  (Meuse). 

*  Renaold  (le  chanoine  Félix),    professeur  d'histoire    à    l'Ecole 

Saint-Sigisbert,  54,  rue  des  Quatre-Eglises. 

*  Renanld,  banquier,  21,  rue  Saint-Dizier. 
Renanz,  agent-voyer,  137,  rue  Jeanne-d^Arc. 

*  Renss,  inspecteur  des   forêts,    7,   rue  Carnot ,    Fontainebleau 

(Seine-et-Marne). 

*  Rey  (l'abbé),  curé  de  Crépey,  par  Colombey-les-Belles. 
Richard,  notaire,  81,  Grande-Rue,  à  Remiremont  (Vosges). 

*  Riston  (Victor),  avocat,  docteur  en  droit,  membre  de  TAcadémio 

de  Stanislas,  Val-au-Mont,  Malzéville. 

*  Robert  (Louis),  dessinateur,  15,  rue  de  la  Poterne,  à  Pont-à- 

Mousson. 

*  Robert,  fondeur  de  cloches,  12,  rue  Pichon. 


XXIV 

*  Robert  (Edmond  des),  3,  me  da  faubourg  Saint-Oeorgaa. 

*  Robert  (F.  des),  membre  de  l'Académie  de  Stanislas,  60,  quai 

Glaude-le- Lorrain. 

Robert,  ancien  juge  au  Tribunal  civil,  44,  rue  des  Garmee. 

*  Robinet  de  Gléry,  ancien  magistrat,  6  bis,  rue  du  Cloître -Notre- 

Dame,  Paris,  IV«. 

Roche  dn  Teilloy  (Alexandre  de),  professeur  honoraire  au  Lyoéf , 
membre  de  l'Académie  de  Stanislas,  5,  rue  de  Rigny. 

Rogé  (Henry),  avocat  à  la  Cour,  5^  rue  Stanislas. 

Roitel  (l'abbé  Odile),  vicaire  à  la  cathédrale,  Verdun  (bfeiise). 

^  Roseiûot  (l'abbé  Ëagène),   curé  de   Minorville,   par  Noviant- 
sux-Prés. 

Rongieux  (Antoni)^  architecte,  5,  rue  d'Alliance. 

*  Royer  (Paul),  imprimeur-litbographe,  3,  rue  de  la  Salpêtriére. 
ic  Rosières  (Paul  de),  à  Luné?ille 

^  Bozlères  (Antoine  de),  â  Mirecourt  (Vosges). 

^  Ruch  (l'abbé  Cbarles),  professeur  au  Grand  Séminaire. 

Sadoul,  Premier  Président  de  la  Cour  d'appel,  29,  rue  du  fau- 
bourg Saint-Jean. 

^  Sadoal  (Charles),  docteur  en  droite  directeur  particulier  de  la 
Compagnie  d'Assurances  générales,  29,  rue  des  Carmes. 

*  Saintignon  (le  comte  F.  de),  maître  de  forges,  i  Longwy-Bas. 

*  Saint  Hillier  (Henri   de),    capitaine  au  2*  Chasseurs  d'Afrique, 

â  Aïn-Sefra  (Sud-Oranais). 

*  Saint-Joire  (René),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  25,  rue  Saint-Dizier. 

*  Saint- Pierremont  (le  baron  de  Finie  de),  château  du  Corps-de- 

Garde,  à  la  Gelle-Saint-Avant,  par  la  Haye- Descartes  (Indre- 
et-Loire)  . 

Saint-Vincent    (le    baron  de),  juge    honoraire,  à  Saint-Mihiel 
(Meuse). 

Salmon-Legagnenr  (Paul),  avocat  à  la  Cour  d'appel,  Il  bis,  rue 
Portails,  Paris,  VIII». 

Schacken    (Lucien  de),  élève  du  Service  de  santé  de  la  marine, 
46,  route  de  Toulouse,  Bordeaux. 

Schandel,    receveur  principal  des  douanes,  place  du   Palais  àe 
Justice,  â  Chambéry. 
Schmidt  (Ernest),  maître  de  verreries,  â  Vannes -le-Châtel. 

A  Schneider,  avoué  honoraire  à  la  Cour  d'appel,  18,  rue  de  la  Ravi- 

noUe. 

Seichepine,  organiste  et  professeur  de  musique,  Château-Salini 
(Lorraine). 


XZY 

A  Seillière  (le  baron  Léon),  41,  avenue  de  TAlma,  à  Paris,  YIII*. 

*  Sibille  (rabbôy,  curé  de  Saint-Julien-lès-Metz  (Lorraine). 
^  Sidot  (Nicolas),  libraire,  3,  rue  Rangraff. 

Simonin  (André),  44,  rue  de  Metz . 

Simonin  (Armand;,  avocat  à  la  Cour  d*appel    3,  rue  du  Dôme» 
Paria . 

*  Spillmann  (le  docteur),   professeur  à  la  Faculté  de  médecine, 

40,   rue  des  Carmes. 

*  Staat,  libraire  de  la  Bibliothèque  publique  do  Strasbourg^  27, 

rue  des  Serruriers,  Strasbourg  (1.  Ë.). 

*  Staemmel  (l'abbé),    secrétaire    général   de  TEvêché,   4,  place 

Stanislas. 

Stainville    (Edmond),    président    de   chambre    honoraire   à    la 
Cour  d*appel,  8,  place  Carnot. 

*  StratenPonthoz  (le  comte  van  der),  membre   de   T Académie   de 

Meiz,  23,  rue  de  la  Loi,  à  Bruxelles  (Belgique). 

*  Thiauconri  (Paul),  étudiant  endroit,  Remiremont. 

Thomas    (Gabriel),    conseiller    à    la    Cour   d*appel,     secrétaire 
perpétuel  de  l'Académie  de  Stanislas,  82,  rue  Stanislas. 

*  Thomas  (Stanislas),  80,  rue  Charles  III. 

Thomassin  (Vabbé),  vicaire  général  de  Saint-Dié  (Vosges). 
Thonvenin  (A.)*  ancien  notaire,  29,  rue  des  Carmes. 

*  ThouTonin  (Paul),  à  Rosières-aux-Salines. 

*  Thonvenin  (le  docteur),  maire  de  Vézelise. 

*  Trancart,  ancien  préfet,  27,  rue  Sainte-Catherine. 

*  Trousset  (A.),  conservateur  des  hypothèques  en  retraite,  24,  rue 

Saint-Dizier. 

*  Tnrinaz   (S.  G.  Mgr),  évêque  de   Nancy  et  de  Toul,  4,    place 

Stanislas. 

Vagner  (René),  libraire-éditeur,  8,  rue  du  Manège. 

*  Vanat     (Fabbé),     curé  de    Sommerviller,    par    Dombasle-sur- 

Meurthe. 

*  Velches  (rabbé).  curé  de  Saulmory,  par  Dun  (Meuse.) 

^  Vernéville  (Louis  Hnin  de),  avocat,  74,  rue  du  Cherche-Midi,  Pa- 
ris, et  à  Corbusson-Saint-Berthevin  (Mayenne). 

*  Viansson-Ponté  (l'abbé  Paul),  curé  de  Haucoûrt,  par  Longwy- 

Bas. 

Vienne  (Henri  de),  ancien  magistrat,  6,  rue  d'Alliance. 

*  Vienne  (le  colonel  Maurice  de),  membre  de  l'Académie  de  Sta- 

nislas, 1,  rue  d'Allianco. 

37 


XXVI 

Tienne  (Maurice  de),  6,  rue  d'Alliance. 

*  Viard  (le  baron  Paul),  1  quater,  place  Garoot. 

*  Viller  (le  docteur),  à  Toul. 

*  Voinot  (le  docteur),  à  Haroué. 

*  Warren  (1®  comte  Lucien   de\  ancien  commandant  d*artillerie, 

3,  place  de  1* Arsenal, 

*  Watrinet,  instituteur  en  retraite,  25,  rue  du  Bastion. 

*  Wéber  (l'abbé),  directeur  de  TŒuvre  des   Alsaciens- Lorrains, 

6,  rue  des  Loups. 

^  ^^ieaer  (Lucien),  84,  rue  de  la  Rayinelle. 

*  Wolfram  (le  docteur),  directeur  des  Archives,  à  Metz. 

Xardel,  ancien  président  de  la   Chambre  de  commerce,  à  Mal- 
zéville. 

Xardel,  lieutenant-colonel  au  149' régiment  d'infanterie,  à  Epinal. 

*  Zœpffel  (Edgard),  ancien  vice -président  du  Conseil  de  Préfecture 

3,  place  Carnot. 

*  Zeiller  (Paul),  industriel,   47,   rue  Charles- Laffite,  Neuilly-sur- 

Seine  (Seine). 


Membres  corresponclants 


Herluison)     conservateur   da   Musée  Jeanne-  d^Arc,    à    Orléans 
(Loiret) . 

Jadart  (Henri),  secrétaire  général  do  TAcadémie  de  Reims» 

Jnillac  (le  vicomte   de),   ancien   officier  supérieur,   secrétaire  de 
TAcadémie  de  Toulouse  (Haute-Garonne). 

Lory,  bibliothécaire  archiviste  de  la  Commission  archéologiqae  de 
la  Côte-d'Or,  à  Dijon. 

Wenreka  (Van),  secrétaire  de  la  section  historique  de    Tlnstitut 
Grand-Ducal,  à  Luiembourg.