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1^ BEQUESr
UNIVERSHY .fMICHIGANI
. • , GENERAL LIBRARY --^
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MÉMOIRES
DE LA
Société d'Archéologie lorraine
ET DU
Musée Historique lorrain
TOME LUI- (4^ Série, 3^ Volume)
1003
NANCY
AU SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ
PALAIS DUCAL
GRANDE-RUE ( VILLE-VIKILLE)
I 903
NANCY. — IMP. A. CIIKPIN LEBLOND, 21, RUE SAINTDIZIER
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CHALIGNY
SES SEIGNEURS, SON COMTÉ
Avant-Propos
Celle étude comprend deux parties. Dans la première
esl exposée rhistoire proprement dite de Chaligny, de ses
seigneurs et de son comté. La seconde est consacrée à
l'organisation civile et ecclésiastique de la seigneurie.
L'une et l'autre partie s'arrêtent à l'époque de la Révolution
française.
Au cours de mon travail, j'ai éprouvé plus d'une fois la
grande obligeance de divers érudits lorrains : je prie tous
ceux qui m'ont secondé d'agréer l'expression de ma vive
gratitude. Je dois des remercîments particuliers à M. Ch.
Guyot, directeur de l'Ecole nationale des Riux et Forêts,
qui a bien voulu présenter mon œuvre à la Société d'ar
chéologie lorraine ; j'en dois aussi à la Société qui l'a
gracieusement accueillie, à son Secrétaire M. L. Germain
de Maidy, à M. Ptîster, professeur d'histoire à l'Université
de Nancy, à M. Duvernoy, archiviste de Meurthe et-Moselle,
à M. Favier, conservateur de la Bibliothèque publique de
Nancy, et à M. André Lesorl, archiviste de la Meuse.
PREMIÈRE PARTIE
HISTOIRE DE CHALIGNY
De ses Seigneurs et de son Comté
CHAPITRE PREMIER
La souveraineté de révoque de Metz.
SOMMAIRE
I. — Chaligny avant le xi' siècle. — Chaligny dépendant du temporel
de Metz. — Inféodation de Chaligny aux comtes do Vaudémont. —
ImportaQce do Chaligny pour les Vaudémont. — L'évèque de Metz
cède, sous forme d'engagement, la suzeraineté de Chaligny au duc de
Lorraine (1346).
II. ~ Gouvernement des Vaudémont à Chaligny. — Leurs libéralités
envers les églises. — Exercice des droits seigneuriaux.
I
La philologie^ qui reconnaît dans la racine du nom de .
Chaligny un gentilice romain (i), laisse ainsi entrevoir qu*à
l'époque de TEmpire la terre de ce nom formait un de ces
grands domaines si nombreux en Gaule. Sans doute en
était-il de même d'une terre voisine, celle de Chavigny,
(1) Gentilice Calinius; cf. de Vit, Onomasticum totius latinitatù, et
d'Arbois do Jubain ville, Rechercher sur Vorigine de la propriété
foncière en France, p. 20:'). — Voici une liste dos formes diverses,
latines et françaises, du nom de Chaligny, rencontrées dans les textes:
Caliniacum^ 1050 ; bulle de Léon ÏX cilre ci-dessous, p. 11. — Che~
linetum, xii« siècle ; Archives de M.-et-M., H, 475 et 491.— Chelineium,
avant 1168; H, 474. — Chalinetum, 1179; Lcpage, ïabbaye de Clair-
— 7 —
dont le nom décelé une origine analogue (1). Que Tun et
Tautre de ces villages, dont Thistoire est étroitement liée,
procèdent d'une villa romaine, cela n'est pas pour étonner
ceux qui savent à quel point les rives de la Moselle reçu-
rent l'empreinte de la civilisation de l'Empire. Au surplus,
pour la région voisine de Chaligny, les découvertes
modernes attestent l'influence de cette civilisation (2). A
lieu, dans les Mémoires de la S. A. L., LV, année 1855, p. \QO.— Cheli-
gnetum, li97; Archives de M. -et-M., H, 475. — Chaligneium, 1249 ; H,
i087.
Chalinei, 1150 ; H, 473 — Môme forme avant 1168 ; H, 474. — Cha-
lignei, 1174; H, 340. — Chelennei, 1182; H, 476. — Chaleinei, 1183;
Lepage, op. cil., p. 167. — Chelinei, 1184 ; Bibliothèque Nationale
Lorraine, 977, série des chartes de Saint-Vincent de Metz, n* 5. ••
Ckalinné, 1197 ; Archives do M.-et-M., H, 1087. — Chalegney et Cha-
legnei, 1212 ; H, 1087. — Challegney, 1242 ; H. 488. — Challigney,
1280 et 1291 ; Archives de M.-et-M., B, 599, n» 3, et B, 399, fol. 41. —
Même forme en 1363, 1410, 1413, etc. ; Archives de la Meuse, B, 1130;
dénombrement, cité ci-dessous, du domaine de Chaligny en 1410 et
testament d'Alice de Joinviile-Vaud^mont, morte en 1413. Cette forme
parait avoir été assez répandue. — Challegnei, 1284 et 1410 ; Archives
de M.-et-M., H, 492; dénombrement de 1410. - Chaligney, 1321. 1337
et 1382 ; Archives de M.-et-M., B, 399, H. 493, et arrêt du Parlement
de Paris cité ci-dessous, p. 51). — Chaillegney, H, 492. — Chailligney,
1491 ; H, 497. — ChaUlegny, 1563; B, 599, n« 3i. Ensuite la forme la
plus usitée est Challigny ; on emploie concurremment, mais peut-être
moins souvent, la forme Chaligny. — La prononciation populaire, do
nos jours, se rapproche plutôt de Chaligney que de Chaligny. Cf. Lepage,
Dictionnaire topographique de la Meurthe, v* Chaligny.
(1) Gentilice Calvinius; cf. de Vit, Onomasticum. La forme ancienne
fut Calviniacunif d'où l'adjectif Calviniacensis. (Diplôme do l'évêque
de Toul Riquin, de 1117, voir ci-dessous, p. 12, n. 3). — On rencontre les
formes : Chivinné, 1197 ; Archives de M.-et-M., 1087. — Chevinei,
Bibl. Nat. Lorraine, 944, série des chartes de Saint- Vincent de Metz,
n« 5. — Chavenei, xii' siècle ; Archives do M.-el-M., H, 474. — Cha-
vegney, 1329 ; H, 498. — Chavegney, 1410 ; dénombrement servi par
Alice de Joiiivillo-Vaudémont. — Chavegny, 1456 ; B, 3932. — Chau-
vigney, 1477; B, 1, fol. 296.
(2) J'emprunte les observations qui suivent à l'ouvrage de M F. Bar-
thélémy : Recherches archéologiques sur la Lorraine avant rhistoire
(Nancy, 1889), et au Répertoire archéologique pour le déparlement de
Meurthe-et-Moselle, dressé par M le comte Beaupré (Nancy, 1897).
Je dois ajouter «juelquos renseignements tirés do ces ouvrages, qui
paraissent concerner l'époque préromaine. M. l'ingénieur Schlumberger
a découvert une hache polie en trapp des Vosges dans une galerie
abandonnée de la mine du Val-de-Fer au-dessus de Chaligny et de
- 8 —
Chavigny, existe une source ferrugineuse qui fut placée
sous le patronage d*Hercule (i); au temps de l'Empire, les
malades qui en éprouvaient les effets bienfaisants y jetaient
des pièces de monnaie en manière d'cx-t?o^o; dans les envi-
rons, on a trouvé des fragments de poteries. A Messein on a
mis au jourdes débris détours, des fragments de colonnes,
des portions d'enduits peints à fresque, qui permettent
de croire que le village occupe la place d'un établisse-
ment romain. A Pont-Saint-Vincent, le lit de la Moselle a
livré aux érudits quelques objets de l'époque romaine. Non
loin de là, à Sexey aux-Forges, la grande ferme des Gymées
a tiré son nom d'un bas-relief représentant Castor et Pol-
lux (2) : des pt)teries et des médailles des temps romains y
ont été découvertes. A Maron, à Chavigny, à Sexey, on croit
avoir reconnu les vestiges d'antiques ateliers métallurgi-
ques. Il serait invraisemblable que Chaligny eût échappé à
la romanisation et que les ffancs de ses collines, si riches
en minerais, n'eussent pas été exploités.
Toutefois nous ne pouvons [formuler là-dessus que des
conjectures. Un voile épais recouvre jusqu'au Moyen Age
l'histoire de Chaligny. 11 ne nous est pas permis de deviner
les vicissitudes que subit ce village, ni de déterminer
l'origine de la paroisse qui, au xi® siècle, existait sûre-
ment depuis plusieurs centaines d'années. Ce que nous
savons, c'est qu'au xii* siècle, et vraisemblablement à une
époque antérieure, la terre de Chaligny (qui comprenait
aussi le territoire de la commune actuellement connue
Chavigny. Cet afïïcureincnt do minerai de fer, ajoule M. Barthélo.my
(p. 260) parait avoir élé exploité dès la plus haute antiquité. On a
signalé un groupe de tumuli dans la ptirtie do la forêt de Haye qui
avoisine Maron et Chaligny ^ et des éclats do silex sur les hauteurs qui
dominent Chavigny et Neuves-Maisons, 'a l'extrémité occidentale du
haut de Chatel.
(1) On y a retrouvé un bas-relief assez grossier représentant Her-
cule (Comte Beaupré, v" Chavigny).
(2) « In grangia sua de Gemellis ». Acte de 1184. Lepage, Vabbaye
de ClairlieUy dans les Mémoires de la S. A. L., LV, année 1855, p. 16.
- 9 -
sous le nom de Neuves Maisons) et celle de Chavigny
étaient unies sous la domination d'un même seigneur, sans
que nous puissions savoir quand et comment cette union
s'est réalisée.
Lorsqu'en 14101a dame de Chaligny, Alice de Joinville-
Vaudémont, servit à son suzerain le dénombrement de ses
domaines, elle y rangea sans hésiter, outre les trois vil-
lages qui viennent d'être mentionnés, les fiefs de
Maron et de Messein avec toutes leurs dépendances (1). On
verra plus loin qu'en réalité Maron et Messein n'appirais-
sent, ni au xv^ siècle, ni plus tôt, comme des membres de
la seigneurie de Chaligny (2). Toutefois certains faits ont
pu être considérés comme fournissant des arguments à la
thèse indiquée dans le dénombrement do 1410. Ainsi les
seigneurs de Chaligny exercèrent de tout temps le droit de
passage et de pêche, non seulement sur la partie de la
Moselle comprise dans le finage de Chaligny, mais encore
depuis Messein en amont jusqu'à un lieu sis au delà de
Maron en aval. En outre, dès le xr siècle., et probable-
ment à une époque antérieure, l'église de Chaligny était
l'église mère de la région, dont dépendaient les terri-
toires de Maron et de Messein, aussi bien que ceux de Neu-
ves Maisons et de Chavigny (3). Cependant ces indices ne
suffisent pas à démontrer que Maron et Messein aient, aux
premiers siècles du Moyen-Age, appartenu à la seigneurie
de Chaligny. Notamment, en ce qui concerne Messein, un fait
incontestable s'accorde mal avec cette opinion : il est cer-
tain qu'au xii" et qu'au xiir siècle, les comtes de Vaudé-
mont y possédaient un bien important, qui, à raison de sa
(1) Je connais cet acte par un vidimus qu'en a donné le 28 août ii4i7
le duc Jean do Calabre: Bibliot. Nat., Lorraine, 386, fol. 2.')-37.
(2) Nous possi'dons dos comptes de la seigneurie de Chaligny pour le
xv% le XVI* et le xvii' siècle. Ils ne mentionnent aucun droit seigneu-
rial perçu sur Maron et Messein.
(3) Ce fait sera mis en lumière dans la portion de cette étude con-
sacrée à l'histoire religieuse de Chaligny.
— 10 —
qualité d'alleu, ne dépendait nullement de la seigneurie
de Cbaligny (1). En Tétat de nos connaissances, la thèse
présentée par Alice de Vaudémont, contraire aux faits
lorsqu'elle fut énoncée au commencement du xv^ siècle,
n'est que très insuffisamment étayée par les témoignages
des siècles antérieurs.
Ce qui est certain, c'est qu'à l'époque où la terre de Cha-
ligny entre dans l'histoire, c'est-à-dire au milieu du xi' siè-
cle, cette terre faisait partie de la principauté temporelle de
l'évéque de Metz. On sait que cette principauté, largement
accrue au x* siècle par l'action d'évôques énergiques, au pre-
mier rang desquels se place Adalbéron T' (928-964), s'éten-
dait bien loin au-delà des limites du diocèse de Metz (2), sur
les rives de la Moselle et dans les régions voisines ; c'est
ainsi que le successeur d'Adalbéron, Thierry I*^*", proche pa-
rent des empereurs de la maison de Saxe, put fonder dans
les domaines de son église la ville et la seigneurie d'Epi
nal (3). Dans la longue ligne de possessions qui reliaient
au domaine de Metz ces dépendances lointaines, se plaçait
très avantageusement le Mont, ou comme dit une charte
du xip siècle (4), le « Promontoire wde Cbaligny, non seule-
ment parce que cette position commandait la vallée de la
Moselle, mais parce qu'elle permettait de surveiller la
(i) En 126& le comte de Vaudémont possédait à Messein une terre
qui était a de son propre héritage » (Voir ci-dessous, p. i,note 2) ; elle
se confond sans doute avec Valodium comitis des chartes deClairlieu de
la fin du XII' siècle (Lepage, rAbbaye de Clairlieu, p. 164), qui s'éten-
dait jusqu'à Houdemont.
(2) Cf. Saucrland, die Immunitat von Metz, p. 29 et passim. — Ckît
auteur considère Adalbéron I*' comme le rénovateur do la vie ecclésias-
tique et le réformateur des monastères. Voir aussi Vichmann, Adal-
bero l, dans le Jahrbuch der Gesellschafl fiir Lothringische Ge-
schichte, IIÏ (1893), p. 150.
(3) Sur Thierry I", cf. Saucrland, p. 59 et s.
(4) « Promontorium Chalineti », dans la charte de Pierre de Brlxey,
évéque de Toul (1108-1103), confirmant les biens deClairlieu (Archi-
ves de M. el-M. ; H, 474, original ; cf. Lepage, l'Abbaye de Clairlieu,
p. 164).
- 11 -
vallée du Madon, route naturelle d'une grande importance
puisque elle met en communication la Lorraine et la Bour-
gogne. C'est non loin du Madon que devait se constituer
et grandir, à la fin du xi"" siècle et au commencement du
xii«, la seigneurie des sires de Vaudémont, issus d'un fils
cadet de Gérard d'Alsace, le chef de la maison de Lorraine;
on sait que les Vaudémont furent les rivaux, souvent
redoutables et parfois heureux, de leurs atnés Lorrains.
Si nous ignorons comment Chaligny devint la propriété
des évéques de Metz, nous connaissons au moins quelques
manifestations non équivoques de leur puissance. La pre-
mière est l'acte confirmé en 1050, par le pape Léon IX (1),
par lequell'évêque Thierry II disposa d'une partie de ses
biens de Chaligny pour contribuer à la fondation d'un
prieuré qu'établit dans les limites de cette seigneurie l'ab-
baye messine de Saint-Vincent, fille privilégiée des
évêques de Metz. Ce prieuré, dont l'histoire sera expo-
sée plus loin, fut naturellement dédié au patron de
l'abbaye ; c'est ainsi que le lieu où il fut érigé prit d'abord
le nom de Saint- Vincent, qu'il perdit dès le xiv® siècle pour
recevoir celui de Neuves Maisons, tandis que le vocable
de Saint-Vincent franchissait la Moselle pour aller se
substituer au nom du village de Conflans, où, sous la
forme Pont-Saint-Vincent, il apersistéjusqu anos jours(2).
(1) Bulle du 2 novembre lOoO ; fragment de l'original k la Bibl.
Nat., Lorraine, 977, série des chartes de Saint- Vincent, n" i ; im-
primée dans dom Calmet, Histoire de Lorraine, 1, Preuves, p. 438 et
439; cl. JafTé-Waltenbach, Regesta Pontificum Romanorum, no 4242.
On verra que parmi les droits concédés aux moines par l'évoque figu-
raient des droits sur le pont, le port et la pèche de la Moselle, droits
qui dès le xi' siècle et sans doute auparavant formaient partie intégrante
de la seigneurie de Chaligny.
(2) Kn 1183, confirmant des libéralités faites à Clairlicu, l'évèquc
Pierre de Brixey mentionne la villa sancti Vincenlii (Lcpage, op. cit.,
p. 167), qui n'est certainement pas le Pont-Saint- Vincent actuel, encore
appelé Conflans, comme l'indique une charte de Gérard II, comte de
Vaudémont (Ibld. p. 170 ; et Dom Calmet, Histoire de Lorraine, II,
— V2 -
I^ seconde- des manifestations de la souveraineté messine
qui soit parvenue à notre connaissance est la concession
faite en 1150 par l'évêque de Metz, Etienne, à l'abbé et
aux religieux cisterciens de Tabbaye de Bithaine en Comté,
de la terre de Perrière, sise dans la seigneurie de Chali-
gny, pour y établir une maison religieuse ; on verra
plus loin que cette maison fut, après quelques années,
transportée dans une clairière de la forêt de Haye, où
Tabbaye, dite désormais de Clairlieu, se maintint jusqu'en
1790. Deux siècles plus tard, les droits de l'église de
Metz sur Chaligny n'étaient nullement périmés ; c'est en
vertu de ces droits que, le 27 octobre 1343, Tévêque de
Metz, Aymar de Monteil, confirma la donation faite aux
moines de Clairlieu d'un bois, dit la Perrière (1), que leur
avait concédé son vassal, le comte Henri UI de Vaudémont.
Toutefois, à une époque qui est certainement antérieure
à 1150 (2) et que je crois postérieure à 1117 (3), l'évoque de
Preuves, col. 373). Au contraire, en 1361, une autre charte de Clair-
lieu mentionne Mengin, fils de Simonel des Neuves-Maisons (Lepap^e,
op. cit., p. 196). Au siècle suivant, les mentions du nom de Neuves-
Maisons sont fréquentes. Ce nom se trouve dans le dénombrement,
cité plus haut, fourni par Alice de Vaudémont en 1410 ; on le retrouve
en 1416 (Archives de M.-et-M., B, 599, n* 46), et dès lors, sous la forme
de Nue frein aiaon, Nuefresrnaisnn^, Nuet'efniaisons, il est d'un usage
constant. Le nom de Pont-Saint-Vincent est substitué à celui de Con-
flans dès le commencement du xiv' siècle (Lettre de « Wichars d'Acre-
gnes », ôcuyer, de 1314 : Archives de M.-et-M., B, 599, n* 10 ; lettres
du comte de Vaudémont, citées ci-dessous, p. 25, rendues en 1322 en
faveur des Lombards) ; la charte accordée à ce bourg en 1213 emploie
encore le mot Conflans (Archives de M.-et-M., B. 419, fol. 291). C'est
aussi au xiv' siècle, comme on l'a vu, que quelques édifices construits aux
environs du prieuré appartenant à l'abbaye de Saint- Vincent de Metz, en
l'endroit jusque là connu sous le nom de Villa S. Vincentii, prirent le
nom de Neuves-Maisons. 11 est à remarquer qu'encore aujourd'hui la com-
mune de Neuves-Maisons célèbre comme fête patronale la fête de saint
Vincent : en revanche ce suint n'est pas le patron de Pont-Saint- Vincent.
(1^ 27 octobre 1343: Archives de M.-et-M., H, 488. Cf. Lepage, op. cit.,
p. 194.
(2) A cette époque Hugues I" de Vaudémont dote le couvent de Cis-
terciens (celui qui devait s'établir à Perrière, puis à Clairlieu), au moyen
de biens sis à Chaligny.
(3) Dans l'important diplôme rendu en 1117 par l'évêque de Tout
- 13 -
Metz dut entrer en partage de sa seigneurie avec ses voi-
sins ambitieux et actifs, les comtes de Vaudémont. C'est
sous la forme d'une inféodation que ces seigneurs réussi-
rent à s'établir à Ghaligny. Dès la première moitié du \ir
siècle, Hugues V^ de Vaudémont tenait cette terre en fief
de réglise de Metz. Désormais le pouvoir réel et eflectil à
Ghaligny est celui des comtes de Vaudémont (1) ; ils sem-
blent n'avoir laissé au suzerain que des prérogatives peu
efificaces et en tout cas peu gênantes (2).
Ghaligny, aux mains des Vaudémont, était un poste
avancé qui prolongeait leurs domaines et leur influence au
milieu des régions directement soumises à l'autorité des
ducs. On s'explique que ceux-ci, toujours inquiets des pro-
grès de la branche cadette, se soient assez mal accommodés
Riquin en faveur du prieuré de Saint-Vincent, où sont énumérés les
biens de ce prieuré (Dom Calniet, Histoire de Lorraine, II, Preuvea,
p. 279), il n'est fait aucune allusion aux Vaudémont. Il semble qu'il n'y
ait encore d'autre seigneur à Ghaligny que l'évéque do Metz.
(1) Voici l'ordre des comtes de Vaudémont qui furent certainement
seigneurs de Ghaligny :
Hugues !•' fut le fondateur des cisterciens de Fcrrière, vers 1150.
Gérard H, son fils, lui a succédé vers 1159.
A la fin du siècle, vers 1197, il est déjà remplacé par son fils
Hugues II. Gelui-ci parait avoir fait en 12^ le partage de ses biens
(Archives de M.-et-M.), B, 400, fol. i.
Suivent Hugues III, Henri I" (mort en Italie vers li78), Henri II,
Henri III, et Henri IV, celui-ci tué à Grécy (Cf. dom Cal met, Histoire
de Lorraine, 2* édit., II, col. I et s.). Il serait fort utile qu'une chrono-
logie précise des comtes de Vaudémont fût dressée d'après les documents
authentiques.
(2) On rencontre dans la première moitié du xii« siècle un « Hugo
de Ghaligney » dans une charte d'Etienne, évéque de Metz (entre 11120
et 116^3), parmi les témoins d'une donation faite à l'abbaye de Beaupré
par les chanoines de Saint Paul de Metz ; il s'agit d'une terre sur le
ban de Chenovièros. (Archives de M.-et-M., H, 33^ ; communication de
M. l'abbé Ghatlon, curé de Rémônoville.) — Au xiv siècle, Lepage cite
un Hugues de Ghaligny (1879-i:^9i) dans la liste qu'il donne des com-
mandeurs de la Gommandrrie des chevaliers do Saint-Jean au Vieil-
Altre, près Nancyr. {Notice sur quelques établissements de l'Ordre de
Saint-Jean, Annuaire de la Meurlhe, année 18:)3, p. 31. j — Je ne crois
pas que, des mentions constatant l'existence de ces personnages, on
doive conclure à l'existence à Ghaligny d'une famille seigneuriale.
— 14 —
de cette situation. Leurs inquiétudes étaient d'autant mieux
fondées que Toccupation de Chaligny n'était point, de la
part des Vaudémont, un acte isolé. Fort à Tétroit dans la
principauté faite d'un certain nombre de villages dont Vé-
zelise était la capitale et Vaudémont la forteresse, les maî-
tres de cette contrée semblent avoir systématiquement
cherché à se donner de Tair du côté de la vallée de la Mo-
selle, chemin fréquenté par les voyageurs et route commo-
de pour l'exploitation des bois. Dès la seconde moitié du
xii"^ siècle, possesseurs de Chaligny, ils acquirent une auto-
rité réelle, quoiqu'elle ne fût pas encore exclusive, sur le
pont qui traversait la Moselle à l'endroit où elle reçoit le
Madop (1). Vers le même temps, ils exerçaient un droit de
(1) En 1161, Gautier, chevalier, fils de GauUer d'Epinal, concède à
Guillaume, abbé de Mureau, pour lui et ses religieux, Texemption de
tous droits au passage de la Moselle : passagium in porlu S. Vincenlii
super Mosellam fluvium. Cet acte est corroboré par le consentement
d'IIildegarde, sœur de Gautier, mariée à Imbert de Méréville et, du
comte Gérard II de Vaudémont, de sa femme Gertrude, de sa môre et de
SCS frères. Aussi, à coup sûr, le passage de la Moselle dépendait k cette
époque à la fols de Gautier d'Epinal et du comte Gérard, qui agit sans
doute ici comme suzerain. (Archives de M.-et-M., H, 1087, titres de l'ab-
baye de Murcau. Cf. la confirmation d'Alexandre III, de 1180: Docu-
ments rares ou inédits de l'histoire des Vosges^ III, p. 7.) Le même
Gautier d'Epinal fit une concession analogue aux moines de Glairlicu,
mentionnée dans une confirmation de Gérard II, comte de Vaudémont.
(Dom Calmet, Histoire de Lorraine, II, Preuves, col. 373 ; cf. Archives
de M.-et-M., H, 504.) En 1234, Hugues II, comte de Vaudémont, renou-
velle en faveur de l'abbaye de Mureau l'exemption de tout péage, sauf
({uelques restrictions pour les charges de sel (H, 1087). Toutefois il
n'est pas encore seul maître du passage. En 1239, il concède l'exemption
du péage per pontem qui dicitur S. Vincentii, à l'abbaye de St-Evre de
Toul, parte tamen domini Wichardi militis salva penitus et excepta
(Archives de M.-et-M., H, 6). Il s'agit sans doute d'un membre de la
famille d'Acraignes. En 1314, « Wichars d'Acregnes, escuiers, et demi-
selle Jannate sa femme » engagent à Henri, comte de Vaudémont « leur
très chier et aimé seigneur, la quarte partie dou pontenaige dou pont
k Saint-Vincent ». (Archives de M.-et-M., B, 599, n« 10.) Ensuite,
le passage de la Moselle semble être tout entier dans le domaine direct
et immédiat des comtes de Vaudémont.
Il faut noter d'ailleurs, qu'en février 1268, le comte Henri de Vaudé-
mont donna, au Temple de Xugncy (Vosges), une rente annuelle de 20 sous
— 15 —
suzeraineté sur le village de Conflans, sis, comme son nom
rindique, sur la rive gauche de la Moselle, au confluent
des deux rivières (i). Pour la fin du siècle ils auront trans-
formé cette suzeraineté en une seigneurie immédiate, si
bien qu'en 1200, Hugues de Vaudémont s'efforce, en ins-
tituant à Conllans une ville neuveà laquelle il accorde une
charte de libertés, sur le modèle de la loi de Beaumont en-
Argonne, de concilier l'intérêt des habitants de ce lieu et
rintérôt de sa maison.
Les Vaudémont obéissaient encore à la même tendance
quand, soixante ans plus tard, ils construisirent une for-
teresse en face de Conflans, sur la rive droite de la Moselle,
en une terre, sise au-dessus de Messein (2), qu'ils disaient
de forts provenisiens à prendre à la St-Remy sur la recelte du passage
de Pont-Saint-Vincent. (Archives de M.-et-M., B, 351, fol. 387, copie an-
cienne.) On a dit plus haut qu'au \i* siècle, le pont cl le passage appar-
lenaient à l'évftque de Metz qui les avaient donnés au prieuré de SI- Vin-
cent. Ck)m ment le prieuré en fut-il dépossédé au profil des Vaudémont,
c'est ce que nous ignorons complètement.
(t) Gérard, comte de Vaudémont, dès 1159, conQrma, dans un acte
sans date, la donation faite à Clairlieu par son vassal, Régnier Bisous,
du tranaitus per totum bannum de Conflans et de la pasturavana ad
omnia cujuslibet generis animalia. (Archives de M.-elM., H, 504;
Lepage, op. cit., p. 170 ; cf. dom Cal met, Histoire de Lorraine, II,
Preuves, col. 373.) Ceci semble bien démontrer qu'à celte époque, Gé-
rard II n'avait à Conflans (plus tard Pont-Sl-Vincent) que la suzerai-
neté et non la seigneurie immédiate. Il n'en est plus de même en 1213,
lorsque son successeur, Hugues H, crée à Conflans une ville neuve et
ui concède une charte de liberté. (Voir ci-dessus, p. 12, note.) Hugues est
seigneur immédiat en 1212 quand il donne à l'abbaye de Mureau
aream ujiatn liberam ab omni consueiudine in villa de Conflans
super Mosellam ad'fabricam erigendam, usuariumque pasture aque
et nemoris siciit manentibus in eadem. (La fabrica est peut-être une
forge, car cet acte contient d'abord la mention d'une concession de droit
d'extraction du minerai de fer dans les mines de Chaligny. Archives
de M.-et-M., H, 1087.) Il parait très vraisemblable que les Vaudémont,
après avoir inféodé au xu* siècle le village do Conflans, sont arrivés à
la fin de ce siècle à la placer sous leur seigneurie immédiate.
(2) Dès le mois de janvier 1264, il y a conflit entre Henri I'% comte
de Vaudémont et Ferry III, duc de Lorraine, à propos de la maison forte
construite par Henri sur la pièce de terre « qui siet desoure Meciens,
qui est appclei Chastée, qui est de l'héritage le comte de Vaudémont».
— 16 —
être de leur héritage. Mais cette fois, ils se heurtèrent à une
résistance énergique. Le duc de Lorraine, Ferry III, fit dé-
molir, de sa propre autorité, la forteresse bâtie par ses
cousins et contraignit Henri ^^ de Vaudémont à lui four-
nir la promesse de ne la point relever, sous quelque forme
que ce fût. Cet incident éclaire, à mon sens, d'une très vive
lumière le caractère des relations créées entre les deux bran-
ches de la maison de Lorraine par les tentatives répétées des
Vaudémont en vue d'asseoir leur influence sur les deux rives,
et plus particulièrement sur la rive droite de la Moselle.
C'est sans doute pour chercher un appui contre ses
parents de la branche ainée que, en 1216, Hugues H de
Vaudémont renonça à l'indépendance de ses domaines (qui
jusqu'alors ne relevaient, tout comme le duché de Lor-
raine, que de l'Empereur) pour en faire hommage au comte
de Bar (1) : on sait que ce seigneur était, par la force des
choses, le rival traditionnel du duc de Lorraine. Vaudémont
avait bien le droit de disposer comme il l'entendait de sa
terre patrimoniale ; mais il ne pouvait songer à soumettre
au même traitement le domaine de Chaligny, dépendant
des évoques de Metz, dont il fallait respecter la suzeraineté.
C'est ainsi que rien ne fut changé à la situation de ce
domaine : dans tous les hommages que les comtes de Vau-
démont rendirent aux comtes de Bar, Chaligny fut formel-
lement excepté (2).
Déjà Ferry III avait (ail détruire la maison forte élevée par son cousin.
Les deux parties convinrent de s'en rapportçr à Tarbitrage de « Mon-
seigneur Renaud de Bar », qui, en octobre 1264, déclara qu'à Messein,
le comte de Vaudémont ne pourrait a fermer maison ». I^ querelle no
fut définitivement terminée que par un acte de janvier 1270 par lequel
Henri, comte de Vaudémont, renonça pour lui et ses héritiers « à faire
fermeté, ne forteresse, ne fort maison en la monta igné dessus Messlen »,
et prit, vis-à-vis du duc Ferry, l'engagement de ne point contrevenir à
cette renonciation. Voir trois actes, l'un du 12 janvier 1264, l'autre du 5
octobre 1264, le troisième du 29 janvier l!270, dans le Cariulaire de
VaudêmonU Domnines^io\. 191. (Arch. deM.-et-M., B, 399; cf. Lepage,
Les communes de la Meurthe^ v» Messein.)
(1) Cf. dom Calmet, Histoire de Lorraine, 2" édit., II, col. v et vi.
(2) CI. Arch. de M.-et-M., B, 351. — Cf. dom Calmet, Notice sur la
— 17 —
Jusques au milieu du xiv^ siècle, Chaligny demeura sou-
mis à la suzeraineté de Téglise de Metz. En 1344, à la suite
de longues querelles, que ce n'est pas ici le lieu de racon-
ter, révoque de Metz Aymar de Monteil, et le duc de
Lorraine Raoul, désireux d'établir entre eux une bonne
paix, convinrent de s'en rapportera l'arbitrage du chef de
la famille de Luxembourg, bien connu dans toute l'Europe:
je veux parler du vieux roi de Bohême, Jean, fils du cheva-
leresque empereur Henri VII et père du moins chevale-
resque empereur Charles IV. Plusieurs actes (1) nous font
Lorraine, II, p. 732 ; abbé C. Olivier, Ckatel-sur- Moselle avant la
Révolution, pp. 30 et 31. L'histoire de Chaligny da xiii* au xv* siècle
est étroitement liée à celle de Chàtel-sur-Moselle, qui appartenait aussi
aux Vaudémont.
(1) V Lettre du duc de Lorraine Raoul, en date du 16 septembre 1344,
mentionnant la sentence arbitrale rendue à Metz le 23 août 1344 par
le roi Jean. En vertu de cette sentence « le dit esvesques nous doibt
assigner et deslivrer son chatel de Turkestein avec le fié le comte
de Vaudémont de tout ce qui tient de l'Eveschié de Metz, soit à
Chaîligny, soit autre part, et nous doit parfaire trois cens livrées
de terre à petits tournois en la dicte chastellerie de Turkestein, et ceu
qui en fauroitynous doibt assigner en la saline de Moyen vy(Moyenvic)».
Par cette lettre du 16 septembre, Raoul reconnaît que tous ces droits
qui lui sont cédés pourront être rachetés par l'évoque de Metz pour la
somme de dix mille livres de bons petits tournois vieux, « en escu d'or
vaillant vingt sols de petits tournois ». — Copie du xvii* siècle,
f Extrait de la Chancelerje du Trésor de Vie » ; Bibl. Nat., collection
Dupuy, 752, fol. 33.
2* Aymar, évoque de Metz, ordonne à ses sujets de Turkestein (an-
cienne commune de la Meurthe, comprise dans la Lorraine annexée)
d'obéir au duc Raoul comme ils lui obéissaient à lui-même. (Deux lettres,
l'une de 1344, sans date du mois ni du jour, l'autre du 29 septembre
1344.) Sans doute des lettres analogues furent promulguées concernant
Chaligny ; en tout cas, l'existence de celles-ci prouve que la sentence
arbitrale fut mise à exécution, au moins en partie, dès 1344 (Arch. de
M.-et-M., B, 424, fol. 103).
3* Nouvelle sentence arbitrale de Jean de Bohême, rendue le 25 juil-
let 1345 : (( Premièrement des lettres de xv* livres que nostres dis
cusins li dus demandoit à nostre dit cusin l'Evesque et des waigières
contenues en icelles, nous rapourtons que les^ dictes lettres selon lor
teneur demeurent en lor force et en lor vertu de point en point ; sauf
tant que pour bien de paix norrir entre nos dis cusins, nous raipour-
tons que li somme des xv" livres est ramenée à x*, et en leu de l'assi-
2
- 18 -
connaître les résultats de l'arbitrage de Jean de Bohème.
L'une des clauses de l'arrangement par lui imposé aux deux
parties (elle est constatée notamment dans la sentence arbi-
trale du 25 juillet 1345) fut que l'évoque abandonnerait au
duc son droit de suzeraineté sur Chaligny et ses dépen-
dances. Au surplus cet abandon n'était pas fait à titre
d'aliénation définitive ; il résulte d'autres actes concer-
nant la même négociation que Clialigny fut seulement
engagé au duc de Lorraine, par le procédé fréquemment
employé de la a gagière », de telle façon que l'église de
Metz conservait la faculté de recouvrer le bien par elle
aliéné. Il fut convenu que l'évêque Aymar jouirait, tant qu'il
vivrait, du privilège de racheter Chaligny pour quatre
mille livres « de bons petits tournois vieux » ; pour ses
successeurs, le prix du rachat s'élèverait à cinq mille
livres. En exécution de la décision de Jean de Bohême, le
18 mai 1346, le comte Henri IV de Vaudémonl porta au
duc sa foi et son hommage pour « Challegney, le chastel
et la ville, le ban et les appartenances » ; il s'engagea, et
après lui ses successeurs durent suivre son exemple, à
tenir cette seigneurie des ducs de Lorraine ainsi qu'il
gnieurs des dictes waigicres de Rambervillers et de Moyens Dostres
dis cusins de Metz délivrerolt k nostre dit cusin le duc le chastel de
DurbestaÎD et toutes les apparlcnances el appandizes en fourteresse et
en terre plaine, en comtés, haultours et signories, et avec ceu le fiez
dou conte de Waudemont de tout ceu qu'il tient do Teveschié de Metz
de Challegney et des apartenances u. Suie une clause semblable à celle
contenue dans l'acte de 1344 sur les trois cent livrées de terre à Tur-
kestein. (Archives de M.-ctM., B, 599, n» 11, original).
4' Copie notariée faite le 26 juillet 1634, d'un acte trouvé en la chan-
cellerie de Vie, qui est une lettre de Mario de Blois, duchesse douai-
rière de Lorraine et de son fils Jean, fixant les conditions du rachat
éventuel de Chaligny : le capital à rembourser sera de 4000 livres de
petits tournois vieux si c'est l'évêque Aymar qui rachète, et de 5000
livres si le rachat est cfTectué par un de ses successeurs. (Acte du
13 juin 1347: Bibl. Nat., collection Dupuy, 752, fol. 41.) La créance du
duc de Lorraine contre l'évêque étant de 10000 livres, il résulte de cet
acte que la moitié de cette créance était représentée par Chaligny et
l'autre par Turkestein.
— 19 —
l'avait tenue de Tévéque de Metz (1). Jamais le droit de
rachat réservé à Téglise de Metz ne fut exercé.
Désormais Chaligny, sans sortir de la main des Vaudé*
mont, relèvera, par un lien sans doute assez lâche, de la
suzeraineté lorraine, et non plus de la suzeraineté messine.
U est à remarquer que, des quatre personnages qui contri-
buèrent à ce changement, trois, le roi de Bohême, le duc
de Lorraine et le comte de Vaudémont, trouvèrent la mort,
au cours de cette même année 1346, en combattant pour
le roi de France sur le champ de bataille de Crécy (2).
II
Le château et le domaine de Chaligny, depuis le jour où
ils furent inféodés aux comtes de Vaudémont par Tévéque
de Metz, paraissent être demeurés sans interruption — au
moins pour la période qui nous occupe — entre les mains
du chef de la famille de Vaudémont. Si, en 1235, le comte
Hugues III mentionne Chaligny dans son testament, c'est
pour placer cette seigneurie dans la part de son fils aîné
Henri, qui devait aussi lui succéder dans le comté de
Vaudémont (3). Sans doute, en 1280, après la mort de
Henri ^^ intervint un arrangement de famille qui attribua
certains droits sur Chaligny à son fils cadet Jacques (4) ;
(1) Archives de M.-et-M., B. 599, n** 19, original. Le a* 12 est une
copie authentique faite en 1543.
(2) L'acte qui rattacha Chaligny et la suzeraineté lorraine retarda de
deux siècles l'annexion de ce village à la France, puisque Chaligny
suivit le sort du duché de Lorraine et non celui des Trois- Evéchés. En
1680, l'administration française se servit de l'engagement consenti en
1344 par l'évèque de Metz pour obtenir de la Chambre de réunion du
Parlement un arrêt (daté du 30 avril) portant réunion de Chaligny aux
Trois-Evéchés ; mais plus tard le gouvernement français renonça à se
prévaloir de cet arrêt.
(3) Hugues III laissa à son fils aîné Henri le comté de Vaudémont,
Châtel-sur-Moselle, baimum de Chaligny, bannum de Vutry, (Arch.
de M.-et-M., B, 400, fol. 4. Cf. dom Calmet, Notice de la Lorraine, v Cha-
ligny).— Vitrey est un village du canton de Vézelise.
(4) Henri I*' est ce comte de Vaudémont qui quitta son pays pour
- 20 -
sans doute aussi en 1291 un acte du comte Henri II con-
féra au même Jacques les deux moulins du domaine avec
la banalité qui en était le complément (1). Mais Teffet de
ces arrangements ne fut que temporaire; car la suite de
cette histoire nous montrera bientôt le domaine reconsti-
tué dans son unité, qui d'ailleurs se maintint à travers
les vicissitudes les plus variées. En réalitén du xn^ au
xiv« siècle, ce fut toujours le môme personnage qui fut à
la fois seigneur de Vaudémont et seigneur de Chaligny,
sans cependant que ce fait ait impliqué entre les deux sei-
gneuries une autre relation que celle que les juristes appel-
lent union personnelle.
Forcément la forteresse établie à Chaligny à une date
suivre la fortune de Charles d'ÂDjou en Italie. 11 fut chevalier terrier
de rhôtel de ce prince, comte d'Ariano à partir de 1271, et vicaire
général de Charles en Toscane. Il mourut en 1278 : sa succession en
Italie passa à son flls Renaud, comte d'Ariano. (Paul Durrieu, Les Ar-
chives angevines du royaume de Naples, fascicules 46' et 51' de la
Bibliothèque des Ecoles françaises d'Athènes et de Rome^ II, p. 394.)
En Lorraine, un acte daté du 26 août 1280, régla les droits respectifs
de Henri II et de Jacques ou Jacquet, fils de Henri I''. Henri II conserva
le Vaudémont, Chaligny et les principales possessions de la famille.
Jacques eut pour sa part Bainville-aux-Miroirs et divers autres biens,
parmi lesquels cent quarante « livrées de terre » qui devaient lui être
assignées provisoirement à Chaligny pour être transférées ensuite à
Bainville-aux-Miroirs (Archives de M. -et M., B, 399, fol. 21). En octobre
12591, un nouvel acte, pfissé entre Henri II, comte de Vaudémont et son
frère Jacques, attribuait à Jacques :
!• Une rente à prendre sur les revenus du ban de Chaligny ;
2" Les deux moulins a qui sient au ban de Challigney », avec leur
droit de banalité, à savoir : le premier moulin sis vers l'étang de Cha-
vigny, avec cet étang et le petit bois voisin « c'en appelle Chanoy » ;
l'autre moulin sis sur la Moselle, au-dessous de Chaligny, voisin du
pré des Gemnécs, non loin du canton appelé aujourd'hui Banvoie. Ce
moulin se trouvait situé sur le bord de la Moselle, alors que le cours
de la rivière n'avait pas été rectifié et qu'elle venait battre le pied de
la colline de Chaligny (Archives de M.-elM., B, 599, n* 3).
(1) Dans l'acte de 1291, Henri concède les moulins « en teil manière
que je doi faire que tuit cil dou ban de Challigney desus dit et de la
miene ville à Pont muellcnt as diz moulins par ban, ne ne puent ne
ne dolent moure d'autre part ».
— 21 —
inconnue (1) dut jouer un rôle important dans les luttes
fréquentes que soutinrent contre les ducs de Lorraine leurs
cousins de la branche cadette. Malheureusement l'histoire
n'en a point gardé le souvenir. Que cependant les habitants
de Chaligny aient, dès cette époque, été éprouvés par la
guerre et aussi la peste, sa compagne habituelle, c'est ce
qu'atteste une phrase mélancolique que je relève dans une
donation faite en 1204 à l'abbaye de Mureau par le comte
Hugues m, seigneur de Chaligny. Il prévoit la destruction
de ce village par l'ellet de la peste ou d'un autre fléau,
sicut plerumqae continjif, et prend des mesures en vue de
cette éventualité (2). S'est-elle réalisée, et à quelle époque?
Il faut nous résigner à l'ignorer.
Ce sur quoi nous sommes mieux informés, ce sont les
libéralités faites par les seigneurs de Chaligny aux établis-
sements religieux. Si les Vaudémont ne purent contribuer
à la dotation du prieuré de Saint- Vincent (fondé du vivant
de Gérard d'Alsace, avant l'érection du comté dont son fils
cadet fut le premier titulaire), ils participèrent, au xii*
siècle, à l'établissement des Cisterciens dans la région. On
a dit plus haut que le comte Hugues I^f, dès 1150, leur
avait assigné le domaine de Perrière, dans les limites de
la seigneurie de Chaligny. Son successeur, Gérard II, en
1159, compléta et confirma cette libéralité (3). Quand de
Perrière ils se furent transportés à Clairlieu, dans les do-
maines du duc de Lorraine, les moines blancs éprouvèrent
encore les effets delà bienveillance des comtes de Vaudé-
mont. Ce n'est pas ici le lieu d'énumérer les donations dont
(1) Si cette, forteresse n'existait pas du temps où les évèques de Metz
étaient seuls propriélaires de Chaligny, sa construction a dû suivre de
près l'établissement des Vaudémont dans la seigneurie.
[i) Quod si forte conlingeretf sicut plerumque contingit, quod memo-
rate ville interesset destructio sceu [sic] peste sive rébus aliis.... -—
Archives de M. et-M., H, 1087.
(3) Voir ci-dessous, dans la partie de ce travail consacrée à l'histoire
religieuse.
- 22 —
il sera question dans la portion de ce travail réservée à
rhistoire religieuse ; qu'il me suffise dédire que du xif au
xiv^ siècle Clairlieu reçut des seigneurs de Chaligny, non
seulement des terres, mais le droit de pêche sur la Moselle,
avec des droits de pacage et d'usage dans les forêts, et
aussi le four banal de Chaligny (conféré au monastère en
1284). En outre, soit à titre de suzerains, soit à titre de copro-
priétaires du passage sur la Moselle, ils s'associèrent aux
actes qui assurèrent la franchise du passage au moines de
Clairlieu aussi bien qu'aux religieux de St-Evre de Toul
et aux Prémontrés de Mureau dans les Vosges ; ils avaient
accordé à la maison du Temple de Xugney une libéralité
à prendre sur la recette du passage (1). Une autre forme
de donation qui leur était familière, c'était la concession
du droit de prendre gratuitement du minerai de fer dans
les mines de Chaligny. L'abbaye de Clairlieu avait obtenu
la faculté d'en extraire autant qu'il en faudrait pour ses
besoins sans payer de redevance (2) ; une faveur analogue
fut accordée aux Prémontrés de Mureau (3) et de Flabé-
(1) Voir ci-dessus, p. 14, note.
(2) Voir ci-dessous, dans la partie concernant Thistoire religieuse.
(3) En faveur de Mureau, acte de Gérard II de Vaudémont (1161), con-
cédant aux religieux inbannode Chalinne liberam facuUatem minam
ferrariam usibus eorum necessariam extrahendi, et ab extrahentibus
emendi et ad propria deportandi. Cette concession fut renouvelée en
1197 par le comte Hugues II. En 1212, le môme seigneur y ajouta une
mesure de froment, une mesure d'avoine, une mesure de vin et une
charretée de foin à prendre chaque année. (Archives des Vosges, H, 20,
fol. 168, 172 et 169 : Cartulaire de Mureau, renseignement communi-
que par M. Duvernoy, archiviste de M.-et-M. ; cf. Documents rares
ou inédits de Vhistoire des Vosges, III, p. 7, où il faut Ure Chalinne, et
non Cassine Sur l'acte de 1161, cf. Mémoires de l'Académie de Stanis-
las, année 1857, p. 329 et 347.) On trouve aussi tous ces actes aux
Archives de M. -et- M., H, 1087, et en plus un acte de 1255 par lequel le
comte Henri I" de Vaudémont donne ordre à son villicus de Chaligny
de payer les redevances dues au monastère de Mureau. — En ce qui
touche Flabémont, on peut lire la traduction ancienne d'une charte de
1172 par laquelle l'évoque de Toul, Pierre de Brixey, confirme, entre
autres choses, l'acte par lequel le comte Gérard II de Vaudémont, sa
femme Gertrude et son fils Hugues donnent à ce monastère « l'usayge
— 23 —
mont ; quant aux Cisterciens de Beaupré, il leur fut seule-
ment permis d'acheter chaque année six charretées de
minerai et de les enlever librement (1) En somme, c'étaient
des libéralités peut-être très utiles aux donataires, mais à
coup sûr peu onéreuses pour les donateurs.
De ces documents on pourrait induire que, pendant la
période qui nous occupe, les comtes de Vaudémont, sires
de Chaligny, n'ont pas cessé de se montrer favorables aux
monastères. Cependant, il faut bien se garder, en pareille
matière, d'accordsr une foi aveugle au protocole. Qui s'en
rapporterait uniquement au langage des actes, tomberait
infailliblement dans les mêmes erreurs que l'imprudent qui
entreprendrait d'écrire l'histoire de notre temps d'après le
Journal officieL Entre les lignes des actes on aperçoit bien
des conflits (2). Sans doute tous ne furent pas toujours
de mine de fer au ban de Challigny, que tous les fois et en quel lieu
qu'ilz voudront tirer du fer et l'emmener et charroyep où qu'ils vou-
dront, et si aulcune fois en iceltui ban ils voudront faire forge pour
ouvrer du fer, leur a donnez l'usaige et bois pour faire du cbarbon )).
{Documents rares et inédits de l'histoire des Vosges, VII, p. 9.) Les
donations de minerai aux abbayes de Mureau et de Clairlieu ont été
mentionnées par M. J.-B. Giraud dans ses Notes pour servir à l'his-
toire de la sidérurgie en Lorraine (Lyon, 1900), p. 120 et s.
(i) Charte du comte Gérard II de Vaudémont, accordée en 1174 à
l'abbaye de Beaupré : « Concedimm preterea ecclesiejam dicte Belliprati
in banno de Chalignei de mina ferraria ut singulis annis fratres,
emant si voluerint, VI carratas de ipsa mina, et hoc ubicumque vo-
luerint^ quas carratas libère adducant. » Gérard conûrme ensuite
toutes les libéralités que son père Hugues I^' a faites à l'abbaye. —
Archives de M.-et-M., H, 3iO (Communication de M. l'abbé Chatton,
curé do Rémenoville).
(2) Voyez, par exemple, la transaction de 1197 entre le comte Hugues
de Vaudémont et l'abbaye do Clairlieu, confirmée par l'évéqucde Toul,
Eudes, oncle du comte Hugues II. Certains droits sont reconnus d'une
manière très précise à l'abbaye, mais il est déclaré que Clairlieu n'ac-
querra désormais aucun bien à Chaligny sans le consentement du
comte. (Archives de M.-et-M., H, 475. Cf. Lepage, op. cit., xxxii, 3".)
C'est à titre d'indemnité de dommages causés par lui que Henri II,
comte de Vaudémont, abandonna à Clairlieu le four banal de Chaligny :
a pnur rendre et restaubir à l'englize de Cleirlieu les damaiges que
Hanris, cuens de Wademont, avait fait ensi com dou molin do Geme-
- 24 —
aussi aigus que le fut la lutte ouverte, vers 1288, entre
Jacques de Vaudémont et son frère, Henri II, d'une part,
et Tabbaye de St-Evre de Toul à cause de son prieuré de
Bainville-aux-Miroirs d'autre part (1), au cours de laquelle
les Vaudémont furent excommuniés. Mais il n'en est pas
moins vrai que plus d'une fois l'étiquette donation, placée
sur des actes consentis en faveur des monastères, recouvre
de véritables transactions. J'aurai l'occasion de revenir plus
tard sur ces incidents de l'histoire des établissements ecclé-
siastiques.
Ce qu'il importe de dégager de l'ensemble des actes qui
viennent d'être mentionnés, c'est la situation prépondé-
rante des comtes de Vaudémont à Chaligny. Non seulement
ilsjfont aux monastères des libéralités qui pourraient leur
être adressées par tout riche propriétaire foncier, mais ils
disposent en leur faveur des biens qui, destinés par leur
nature à l'usage à de la collectivité, ne leur appartiennent
qu'en vertu de leur qualité de seigneurs ; je veux parler des
eaux, des mines et des pâturages. De même ils exploitent
par eux-mêmes ou attribuent à d'autres les péages et les
banalités. Enfin, ce sont eux qui règlent le sort des étran-
gers et concèdent ou retirent les monopoles commerciaux.
Ainsi le comte Henri III de Vaudémont, en 1322, auto-
rise, moyennant finances, les banquiers lombards de la
société des Buni à s'installer à Chaligny, comme à Pont-
Sainl-Vincent, à Vézeliseet à Vaudémont, pour y exercer
le monopole, qu'il leur assure, des prêts et du commerce
nt^l et de leur usuaire des bois. > La transaction fut négociée « par
l'acort de dame Elysans, femme loudit comte », et consentie par Ûe-
baul de Bauflremont, procureur du comte. (Archives de M.-et-M., H,
492 ) Le (( grand four o banal de Chdiigny appartenait au comte de
Vaudémont en 1^77 ; à cette époque le comte avait concédé en fief à
Liébautde BaufTremont cent livres de tournois à prendre sur le village
de Maron et le grand four de Chaligny. (Dom Calmet, Histoire de Lor-
rains, 2« édit., II, col. vni.)
(1) Voir, sur ce conflit, Archives de M.-et-M., H, 6.
-go-
de l'argent (1). Ajoutez à cela que les comtes de Vaudémont
rendent la justice à Chaligny. A côté de leur intendant
(villicus), qui, dès le xii* siècle, joue un rôle important dans
la seigneurie, et du forestier, préposé à la conservation et à
l'exploitation de la partie boisée du domaine, on y trouve
dès les premiers temps de leur domination un jiuiex,(2).
C'est ce droit de justice, haute et basse, que continueront
d'exercer les seigneurs de Chaligny ; comme nous ne trou-
vons aucune trace de l'origine de cette justice, il paraît cer-
tain qu'elle remonte très haut, et qu'elle passa desévèques
de Metz aux comtes de Vaudémont. En somme, les comtes
de Vaudémont, à dater du xir siècle, et probablement avant
eux les évéques de Metz, furent, non seulement les pro-
priétaires, mais les vrais souverains de Chaligny.
Ces maîtres furent-ils durs ou miséricordieux ? Il est
difficile de donner une réponse, et surtout une réponse
uniforme, à cette question. Peut-être le plus sage est de
croire que, suivant leur caractère et les circonstances où
ils se trouvaient, ils se montrèrent tantôt généreux, tantôt
intéressés ; on a vu plus haut que des variations ana-
(1) Le 26 mars 1322, moyennant cent livres par an, Henri I" et sa
femme Isabelle concèdent aux frères Alexandre et Antoine Buni et à
d'autres Lombards le droit, pour dix ans, de résider à Vaudémont,
Vézeiise, Pont-Saint- Vincent (on a cessé de dire Conflans) et Chaligny.
Le comte leur laisse (loue) Thôtcl où ils demeurent à Vézelise, et
(( l'hostel que nous avons édifié au Pont-Saint-Vincent qui sieu sur
la rivière ». Ils ont le monopole du prêt d'argent, à rencontre de tous
autres Lombards ou Caorcins, jouissent de diverses franchises et privi-
lèges, prennent l'atlouage dans les bois du ban do Chaligny et du ban
do Pont-Saint-Vinccnt sans payer aucune redevance aux forestiers, etc.
(Archives de M.et-M., B, 399, fol. î257, 277). Voir un acte analogue du
duc de Lorraine Raoul, passé en 1331 au profit d'un autre groupe de
Lombards, qui s'installent k Saint-Nicolas de Port et à Varangéville :
ils auront seuls le droit d'y pratiquer le prêt, notamment le prêt sur
gages. (Lepagc, Les Communes de la Meurthe, v» Saint-Nicolas.) Les
Buni se retrouvent en 1361 à Vézelise. (Bibl. Nat., Lorraine, 256, n»« 12
et 13.)
(2) Dodo vlllicus, Teodericus judex, Gerardus foreslarius Ces
trois personnages sont cités dans un acte, sans date, du comte Gérard 11
de Vaudémont en faveur de Clairlieu: Archives de M.et-M., H, 491.
— 26 -
logues ont marqué leur conduite vis-à-vis des églises. En
tout cas il n'est que juste de signaler ici la fondation qui
honore grandement le comte Henri III et sa femme Isa-
belle de Lorraine : un peu avant 1320, ils élevèrent à
Pont- Saint- Vincent un hôpital destiné à recevoir les pau-
vres malades de la région (1). Au moins ces seigneurs
doivent-ils être rangés au nombre de ceux qui virent dans
leurs domaines autre chose que des droits à exiger et des
prestations à toucher.
(1) Dom Calmet, Notice de la Lorratne, II, col. 284. Que cet hôpi-
tal fût en relations étroites avec la seigneurie do Chaligny, c'est ce
que démontre un passage du dénombrement d'Alice de Vaudémont en
1410, sur lequel je reviendrai plus loin.
CHAPITRE II
Les Joinyille, seigneurs de Chaligny.
(1347-1413)
SOMMAIRE
I. — La seigneurie de Chaligny est transmise à Henri de Joinville,
qui épouse l'héritière des Vaudémont. -- Henri de Joinville-Vaudé-
mont.
II. — Guerre de Henri de Join ville et d'Arnaud de Cervelles contre
les ducs de Bar et de Lorraine (1363). — Siège de Chaligny. — Fin
des hostilités.
m. — Dernières années de la vie de Henri de Joinville- Vaudémont. —
Ses embarras ûnanciers.
IV. — Marguerite et Alice de Joinvllle-Vaudémont, filles de Henri. —
xVdministration de leur mère Marie de Luxembourg. — - Leur ma-
riage. — Chaligny est attribué à Alice, femme de Thiébaut Vil de
Neufchâtel.
V . — Liquidation des successions de Henri de Joinville-Vaudémont et
de Marie de Luxembourg. — Thiébaut Vil de Neufchâtel ; il est tué
i\ Nicopolis (1396).
VI. — Alice de Joinville-Vaudémont, dame de Chaligny. — Son admi-
nistration pendant son veuvage. — Son testament et sa mort.
I.
L'année 1346 marque la fin et le commencement d'une
période dans Thistoire de Chaligny. Non seulement, au
printemps de celte année, la suzeraineté de Chaligny avait
été transportée de Metz à la Lorraine, maisaussi, quelques
semaines plus tard, les représentants en lig^ne directe et
masculine de la branche cadette, issue de Gérard d'Alsace,
qui gouvernail à la fois Vaudémont et Chaligny,
s'éteignirent par la mort du comte Henri IV, qui succomba
à Crécy sans laisser de postérité.
Cependant un membre de cette famille existait encore :
c'était le comte Henri III de Vaudémont, qui, quelques
années auparavant, s'était démis de ses biens en faveur de
son fils Henri IV. La mort de son fils rétablissait Henri III
- 28 -
dans ses droits anciens eu rendant son abdication ineffi-
cace: il ne put ou ne crut pas pouvoir les exercer. Or sa
fille Marguerite, sœur du combattant de Crécy, avait
épousé Anseau de Joinville, le quatrième des fils de l'his-
torien de saint Louis (i). Ce personnage, connu d'abord
sous le nom de sire de Reynel, qu'il tenait de sa mère, por-
tait depuis 1317 le titre de sire de Joinville qui lui était
échu par la mort de ses trois frères aînés en môme temps
que le riche héritage des domaines du bon sénéchal. Le
nouveau sire de Joinville, qui compta parmi les serviteurs
importants du roi de France, était mort avant 1343; mais de
son mariage avec Marguerite de Vaudémont était né, outre
plusieurs filles, un fils nommé Henri, encore mineur lors-
que son oncle Henri IV de Vaudémont fut tué à Crécy.
C'est en faveur de ce jeune homme, déjà sire de Joinville
et sénéchal de Champagne par la mort de son père, que
le 30 août 1347, ou quelques jours auparavant, le vieux
comte Henri HI, son aïeul maternel et son tuteur, se
démit de nouveau de son comté de Vaudémont et de sa
seigneurie de Chaligny. C'est ainsi qu'à peine tombé sous
la suzeraineté lorraine, le fief de Chaligny passa aux mains
du petit-fils de l'ami de saint Louis (2).
Sur Henri V de Joinville- Vaudémont et son aventureuse
carrière, nous sommes renseignés par une étude de M. Léon
Germain et par quelques pages du livre de M. le comte H. F.
{i) Sur Anseau de JoinvUlc, ol en générai sur tout ce qui concerne
les Joinville, je ne puis que renvoyer le lecteur à l'excellent ouvrage
de mon confrère H. F. Delabordc, Jean de Joinville et les seigneurs
de Joinville^ p. 174187 et passim.
(2) Il s'est « dcsmis et desvestu en faveur de son t»»ès-chier fll
Henri, seigneur de Joinville n de toute sa comté et « heritaige que
nous avions et poviens avoir en ce leu » (Chaligny). V^oir l'acte passé
à Chaligny, le 30 août 1347 et scellé de grand sceau du comte de Vau-
démont : Archives de M.-et-M., B, 962, n" 14. Cf. Bibl. Nat., Lorraine,
258, n* 6, et Delabordc, n" 920. — L'acte a été publié in extenso par
M. L. Germain au cours de son intéressante étude sur Anseau de
Joinville, insérée dans les Mémoires de la Société d'Archéologie Lor-
raine, XXXIV (ann. 188i), p. 233.
~ 29 -
Delaborde sur les Joinville (1). Le lecteur curieux de
recueillir des informations sur ce personnage y verra com-
ment son humeur batailleuse se manifesta dès sa jeunesse,
comment, suivant les traces de plusieurs de ses ancêtres,
il s'en alla de bonne heure combattre en Orient et put
armerchevalier un Joinville, son parent, dans l'église du
Saint-Sépulcre. De retour en Occident, en vrai Joinville,
Henri se mit à servir le roi de France Jean le Bon, avec
un dévouement que ce prince reconnutà plusieurs reprises
et qu'atteste encore un passage des lettres de rémission
générale accordées au comte de Vaudémont en 1362; le roi
y dit que, tout bien considéré, Henri « a plus mis que prins
pour nous {2)». C'est qu'en effet Henri de Joinville avait par-
ticipé aux rudes campagnes des Valois contre les Anglais.
11 avait guerroyé pour la France en Bretagne, puis avait
combattu à Poitiers, où il avait été fait prisonnier avec le
roi ; il était de ceux qui, le soir de la bataille, s'assirent à
la « haute table » dressée dans la tente du Prince Noir
pour les grands personnages tombés en captivité (3) . U ne
tarda pasà s'acquitter de sa rançon ; dès qu'il fut revenu
en France, ce fut pour combattre, sous les drapeaux du
Dauphin, la coalition des Anglais et des Navarrais. l\ fut
pendant quelque temps lieutenant du roi en Champagne ;
c'est là qu'il frappa d'amendes, plus tard jugées exorbi-
tantes parle gouvernement royal, les villages qui avaient
pris part au mouvement de la Jacquerie (4) ; c'est là aussi
(1) Jean de Joinville et les seigneurs de Joinville,
(2) Delaborde, registre des actes insérés dans l'ouvrage précité,
n- 977.
(3) Froissart, éd. Luce, V. p. 47 et 63. Henri de Vaudémont perdit
à Poitiers son grand sceau. (Delaborde, n" 979.)
(4) S. Luce, la Jacquerie (2« édition), p. 138, 265, 267. 284. W s'agit
des villages du Perthois. Dans les lettres accordées à ces villages en
1358, le Daupbin désigne Henri sous ce litre : « nostre amé et féal cou-
sin et lieutenant es parties de Champagne, le comte de Vaudémont ».
Ainsi, officiellement, Henri porte le nom de Vaudémont ; cependant
Froissart le désigne plutôt sous le nom de Joinville.
— 30 —
qu'aidé parles secours que lui amena un grand batailleur
lorrain, Brochard de Fénétrange, il combattit avec suc-
cès les bandes ennemies qui dévastaient le pays (1).
Après le traité de Brétigny, Henri de Joinville eut beau-
coup à faire pour préserver des ravages des Compagnies,
auxquelles la paix avait créé des loisirs, non seulement la
Cbampagne qu'il gouvernait pour le roi, mais ses états
patrimoniaux de Joinville et de Vaudémont. 11 était fort
engagé dans la lutte et n'y fut pas toujours heureux ;
ainsi arrivât il que, par un coup de surprise, un chef de
bande bien connu, Albrestel (2), s'empara en 1361, de Join-
ville, le beau château qu'aimait tant le bon sénéchal, si
bien que son petit-fils fut obligé de débourser pour le
racheter, une très forte somme que le comte Jean de
Salm lui prêta, au moins en partie (3). D'ailleurs, s'il a
mené durement les Jacques et les Compagnies, Henri ne
s'est montré un vassal docile ni pour le duc de Bar dont il
tient Vaudémont, Châtel-sur-Moselle et Bainville-aux-Mi-
roirs, ni pour le duc de Lorraine, son suzerain à Chaligny.
L'un et l'autre eurent l'occasion de s'en apercevoir au cours
d'événements qu'il convient d'exposer ici, pnrce que la for-
teresse de Chaligny y joua un rôle important.
II
En 1358, le Dauphin Charles avait donné en viager au
comte de Vaudémont, le château et la ville de Vgucou-
leurs (4). Or, cette nouvelle possession du comte Henri se
{{) Sur Brochard de Fénétrange, voir de Jonghes, dans la Revue belge
de numismatique, 1897, p. 21:2-217.
(2) Ce personnage est mentionné par Froissart comme l'un des
chefs des compagnies qui guerroyèrent en Champagne et en Lorraine.
Cf édit. Luce, VI, p. xxii et s.
(3) Delaborde, n» 967. — Servais, Annales historiques du Barrois, I,
p. 11(5.
(4) Delaborde, n» 952.
— 31 —
trouvait en contact immédiat avec les domaines du duc
Robert de Bar; le contact produisit des incidents qui
engendrèrent ou tout au moins développèrent la discorde
entre Bar et Vaudémont. Déjà, en 1361, la guerre avait
failli éclater entre le duc et le comte (1). Toutefois, dans
toute la région, on se trouvait las des malheurs qui étaient
la conséquence, non seulement des guerres nationales ou
féodales, mais encore du passage des Compagnies ; une
confédération de seigneurs, où entrèrent Vaudémont et
Bar, parait avoir réussi à maintenir la paix. Mais c'était
une paix précaire. Au printemps de Tannée 1362, des
conflits significatifs éclatèrent de nouveau. Vaudémont
tenait captif, à Vaucouleurs, un bourgeois du duc de
Bar ; aux réclamations des représentants du duc qui
demandaient la restitution du prisonnier, ses agents ré-
pondirent avec impertinence que « li loup l'avoient
mangiey », tant et si bien que les gens de Bar firent, par
représailles, une expédition sur Rigny, village situé dans
le voisinage immédiat de Vaucouleurs (2). En octobre, le
duc de Bar renouvelait ses réclamations à propos de faits
analogues (3). Il s'attendait d'ailleurs à une rupture ; dès
la fin de juin, il envoyait un de ses valets au comté de
Vaudémont afin de savoir s'il était bien vrai qu'on y faisait
des préparatifs belliqueux (4). Les inquiétudes du duc et
(1) Servais, Annales historiques du Barrais, I, p. 110-111 ; Delaborde, '
op. ciU, p. 2(^ et s. — Voyez aussi la mention do dépenses faites au
commencement de 1361 pour aider à mettre La Mothe à l'abri des atta-
ques des Anglais et du seigneur de Vaudémont, qui voulaient entrer
sur les terres du duc. (Archives de la Meuse, B, 2322, fol. 92, v'.)
(2) Cette querelle fut terminée par un accord passé sur la base d'une
restitution réciproque. (Archives de la Meuse, B, 2205, fol. 20). — Sur les
méfaits de la garnison de Vaucouleurs, voir B« 2205, passim,
(3) Archives de la Meuse, B, 1419; mention d'une mission de
Drowin, sergent « par devers le comte de Wadémont », la veille de la
Toussaint de l'année 1362.
(4) Le samedi après la saint Jean-BapUste (18 juin 1362) le duc de
Bar fait envoyer « un varlet en la comté de Wadelmont pour savoir se
on faisoit nuls mandemens » (Archives de la Meuse. B, 2205, fol. 33, V).
- 32 —
de ses sujets devinrent plus vives encore, lorsque, à la fin
de novembre, on vit s'approcher les Compagnies qui mena-
çaient directement le Bassigny(l), dépendant du duché;
c'étaient des alliés qui, d'eux-mêmes, s'offraient à Vau-
démont.
La lutte couvait depuis longtemps ; elle éclata dans les
premières semaines de l'année 1363. Comme les Bretons
(ainsi désignait-on les Compagnies) s'étaient jetés sur la
vallée de la Meuse, à l'époque de la Chandeleur (2), le
duc de Bar convoqua ses vassaux et s'allia étroitement
au duc de Lorraine, que menaçaient aussi les bandes
d'envahisseurs. De son côté^ le chef des Compagnies,
Arnaud de Cervolles, connu sous le surnom de l'Archi-
prêtre, qu'il avait conservé comme un lointain souvenir
de ses débuts dans la carrière ecclésiastique (3), loua ses
services et ceux de ses soldats à Henri de Vaudémont.
Par un contrat en bonne forme, passé à Bayon le 19 fé-
vrier de cette môme année 1363, Henri, confia à la garde
(1) Archives de la Meuse, B, 1419, fol. 41 passim; B, 2322, fol. 103.
(2) Les vérilablcs hostilités commencèrent à la Chandeleur ; cela
résulte des textes mentionnés ci-dessous (p. 84, note 3) et aussi de
divers passages des comptes du duché de Bar. Par exemple, c'est le
jeudi 2 février 13615, que Jean d'Arentières est envoyé à Gondrecourt
dont il prend le commandement dix jours plus tard. (Arch. de la Mtuse,
B, 1419, fol. 41.) — En février, Jean de Pierrefort et Bertrand de Landes,
au service du duc de Bar, poursuivent les Bretons. — C'est le 5 février
1363 que sont convoqués les hommes du fief de Bassigny et de la
'prévôté de Gondrecourt pour combattre les Bretons vB, 1419, passim).
— Le continuateur de Guillaume de Nangis (édition Géraud, Société de
l'histoire de France, II, p. 329 et 330) dit que les ducs de Lorraine et
de Bar comptaient dans leur armée plusieurs seigneurs allemands ; il
fait sans doute allusion à des seigneurs originaires de la Lorraine
allemande.
(3) Voir sur ce point Denlfle, la Désolation des églises de France
pendant la guerre de Cent ans, I, p. 189-191, qui démontre péremp-
toirement qu'à SCS débuts Arnaud fut clerc, engagé seulement dans
les ordres mineurs, et archiprétre de Vélines au diocèse de Périgueux.
Cet archiprôtré lui fut enlevé en l!fô3, à cause de l'indignité de sa vie.
C'était un vrai brigand qui essaya, à la fin de sa carrière, non sans
succès, de jouer au grand seigneur et se maria dans la plus haute
noblesse.
- 33 -
de Taventurier qu'il ne dédaignait pas d'appeler « soq
très-chier et très-aimé frère Messire Arnaud de Cervolles )>
les forteresses de Chaligny et de Vézelise ; il ne mentionne
pas Yaudémont dont, sans doute, il entendait lui-même
assurer la garde. De son côté, Arnaud s'engagea à bien et
duemeut conserver les deux forteresses et à les rendre en
bon état quinze jours après qu'il en serait requis ; quant
aux habitants, il promettait de les traiter comme ses pro-
pres soldats. Trente environ des compagnons de TArchi-
prétre, à la tète desquels figuraient trois chevaliers, con-
tresignèrent son engagement (1). On verra plus loin que,
ainsi qu'on pouvait s'y attendre, il n'entrait pas dans les
intentions d'Arnaud de Cervolles de fournir ses services
gratuitement. En tout cas, le résultat immédiat de cette
convention fut de faire passer Chaligny au pouvoir d'une
garnison, tirée de la compagnie de l'Archiprôtre, qui, en
dépit de toutes les promesses, n'était pas seulement redou-
table à ses ennemis.
La lecture des écrits des historiens qui se sont occupés
de ces événements laisse une impression très incertaine
sur l'issue de cette guerre. D'après dom Calmet, les ducs
de Bar et de Lorraine auraient remporté, à Saint- Blin, une
victoire décisive (2) ; l'historien barrois Servais raconte que
(1) On trouvera cet acte aux Archives de Meurthe-et-Moselle, fol. 253 et
254. Voici les noms des compagnons de l'Archiprétre qui s'obligèrent
avec lui :
Le sire de Montferran, Jehan de Moumay, Jehan de Villebem,
chevaliers ; Meneduc de Possède, Jehan de Sainet-Rio, Guillaume de
la Mote, Yvonnet Lavaloct, Mondon Batailles, Pierre Doignel, Poussot
de Penesoles, Grimon. Guillaume de Borbit, Jaiquet de Sainct- Martin,
Eliot de Sainct-Martin, Guillaume de Mareul, Thomin le Dimoux,
Ylerot le Bastonviel, Guiot Vigier, Jehan d'Armignat, Kathelin de
VUle, Bonsommet de Pan, Ghampelunne, Mirigant, Damigne, Ran-
donnet de Lorme, Perricant, Guillonnet, Bernard de Pierre d'OrgueU.
Sur cette guerre, voir Lepage, Épittodes de l'histoire des routiers en
Lorraine, dans le Journal de la S. À. L., x\^ année (1866), p. 161 et s.,
et les notions très brèves données par A. Chérest, VArchiprêtre,
p. 222 et s.
(2) Histoire de Lorraine, II, p. 554-555.
3
— ai-
les coalisés assiégèrent et prirent le château de Chaligny ( 1 ) .
Au contraire, selon la tradition acceptée par les historiens
de Joinville (2), l'avantage des armes demeura au comte de
Vaudémont. L'ensemble des faits qui se dégagent des docu-
ments me décide à me ranger à cette dernière opinion (3).
Ce qui est certain, c'est que les soldats de Vaudémont et
les Bretons de TArchiprôtre, ses auxiliaires, ravagèrent
cruellement les domaines du duc de Bar et sans doute
aussi ceux de son allié; la forteresse de Vaucouleurs, appar-
tenant au comte Henri, fut pour eux une excellente base
d'opérations. C'est ainsi qu'ils s'emparèrent du château de
Gombervaux, voisin de Vaucouleurs (4), qu'ils pillèrent et
brûlèrent, dans la même région, nombre de villages, parmi
lesquels nous pouvons citer Pagny-sur-Meuse, Gibeau-
meix, Uruffle, Burey en-Vaux, Maxey-sur Vaise, Goussain-
court, Vouthon-Haut, Gerauvilliers, Houdelaincourt, et les
communes voisines de Gondrecourt (5). Vers la même
(1) Servais, op. cit., I, p. 143.
(2) Simonnet, Esaai sur rhistoire de Joinville, p. 291.
(3) En ce sens Delaborde, op. cit., p. 209; et Denifle, op. cit., Il,
p. 473. Cet auteur, qui a vu très nettement l'ensemble des événements,
n'hésite pas k penser que la {çuerre de 1363 fut défavorable aux ducs de
Lorraine et de Bar. Les sympiithies du gouvernement français sem-
blaient acquises au comte de Vaudémont. Cf. Delaborde, p. 207.
(4) Le il octobre 1363, Arnaud de Cervollcs renonce, en faveur du
comte de Vaudémont, à tout le droit qu'il pouvait avoir en la maison
de Gomberval, u qui prise avoit esté au temps dessus dit », c'est-à-dire
au temps de la guerre de Lorraine, commencée « dès environs la fesle
Nostre-Dame Candelouse dernière passée ». (Archives de M.-et-M.,
B, 399, fol. ^4-255.) Les lettres dTrbain V citées par le R. P. Denifle
(loc. cit.) attestent aussi que la guerre commença le 2 février. Je me
demande si cette prise de Gombervaux, qui eut lieu en 1363, diffère de
celle que M. Delaborde (op. cit., p. 212-213) place en 1304.
(5) Archives de la Meuse, B, 1417, f* 55 et ss. ; Labourasse, Vouthon-
Haut et ses seigneurs, dans les Mémoires de la Société des lettres,
sciences et arts de Bar-le Duc, 2* série, VIII (ann. 1889), p. 3i3; A.
Génin, Un village barrois^ dans la même collection, 3' série, X (ann.
1901), p. 98; Servais, op. cit., l, p. 144. — Le registre des Archives de
la Meuse, B, 1419, contient un rôle de l'imposition levée pour la rançon
des Bretons (pour l'acort des Bretons) qui mentionne les villages dé-
vastés et par suite hors d'état de payer.
— 35 -
époque, c'est-à-dire au printemps de cette année 1363,
les confédérés lorrains et barrois se vengèrent en por-
tant la dévastation sur les terres du comte de Vaudé-
mont. La désolation fut grande dans le diocèse de Toul ;
nombre d'églises violées et de lieux saints profanés y
attestèrent le caractère sauvage de cette guerre (1). Nous
savons qu'à la fin du mois de mai, un combat eut lieu à
Saint-Blin (c'est la « besoigne» (2) de Saint-Blin que men-
tionnent les comptes barrois), sans qu'aucun texte contem-
porain nous indique le parti qui y fut vainqueur. Au mois
de juin, Lorrains et Barrois vinrent assiéger la forteresse
de Chaligny, défendue par les Bretons de TArchiprôtre :
nous en sommes informés par une mention concernant un
gentilhomme barrois qui passait par Étain, le 2 juillet, en
revenant « de Tost devant Challigney (3) ». L'historien
Vigneulle qui écrivait la Chronique de Metz au commence-
ment du XVI* sièle et qui mentionne cette guerre, parce
que les Messins y soutinrent le parti des deux ducs,
déclare que Ghaligpy fut emporté par les assiégeants (4).
Servais s'est approprié cette assertion, sans l'étayer sur
(1) Voir dans l'ouvrage du R. P. Denifle [loc. cit.) la lettre d'Urbain V
comïernant les mesures à prendre pour la réconciliation de nombreuses
églises profanées et pour la revendication des biens ecclésiastiques mis
au pillage dans les Trois-Évéchés, et surtout dans le diocèse de Toul.
(2) « Au depar de la besoigne de devant Saint-Velin » : Archives de
la Meuse, B, 1419, fol. 43. Cf. Servais, op. cit.y I, p. 132.
(3) (( Despendit deniers pour Thirion des Estangs, que vint à Estain
l'an de LXIII, le II' jour de juillet, dou commandement de Mons (ei-
gneur) par ses lettres en conduisant lou demoiselz de la Marche (de
la Mark) qui en relait en son paiix en revenant de l'ost devant Challi-
gney » (Arch. de la Meuse, B, comptes de la prévôté d'Étain, registre
1130 ; comptes du prévôt Jacomin Chainel). — Servais (op. cit.)
mentionne aussi Jean le jeune de Salm, seigneur de Viviers et de
Puttelange, comme figurant dans les rangs du contingent Barrois au
siège de Chaligny.
Le texte emprunté au compte de Jacomin Chainel, déjà mentionné
par Servais, m'a été obligeamment communiqué par M. R. Parisot,
qui, dans les comptes des prévôtés du Barrois pour cette époque, n'a
trouvé aucune autre mention de » l'ost » de Chaligny.
(4) VigneuUes n'invoque aucune autorité à l'appui de son dire. On
trouvera ce texte dans Huguenin, Chroniques messines, p. 104.
-36-
aucune preuve (1). En réalité, cette prise du château de
Chaligny, sur laquelle les contemporains sont muets, n'est
fondée que sur Talûrmation d*un chroniqueur qui écrivait
un siècle et demi après les événements : cette affirmation
ne suffit pas à entraîner ma conviction. En effet, les con-
ditions des traités qui mirent fin aux hostilités montrent
bien que les ducs de Lorraine et de Bar n'avaient pas fait
une ample moisson de lauriers.
Le premier à poser les armes fut le duc Robert de Bar.
Si le comte de Vaudémont consentit alors à lui rendre
hommage pour son comté et les autres fiefs qu*il tenait
du duché de Bar, ce ne fut pas sans faire observer qu'en
assistant le duc Jean de Lorraine dans son entreprise
contre Chaligny, Robert avait manqué aux obligations
dont est tenu, à l'égard de son vassal, un loyal suze-
rain. Aussi, le duc dut-il reconnaître qu'il était, de ce
chef, et sans doute aussi pour d'autres causes, débiteur
d'une indemnité. Par un traité passé le 13 août 1363, huit
arbitres pris parmi les seigneurs de la région, furent, d'un
commun accord, investis de la mission d'en déterminer le
montant (2). Sûrement, ils ne tardèrent pas à rendre leur
décision ; car, le 21 août, le duc de Bar s'avouait débiteur
envers le comte de Vaudémont et Arnaud de Cervelles,
d'une somme de 20,000 florins de Florence, payable en
deux moitiés, l'une immédiatement et l'autre au mois d'oc-
tobre. Six chevaliers et quatorze bourgeois, fournis par
le duc de Bar, cautionnèrent son engagement ; il fut for-
mellement stipulé qu'à défaut de paiement, les cautions
se rendraient en otages à Saint Dizier, conformément à
l'usage si fréquemment suivi à cette époque (3). Sans
(1) Servais, Annales historiques du Barrois^ I, p. 143.
(2) Archives Nationales, J, 911, n«34. Le texte a été publié par Ser>
vais, op. cit., I, p. 4i3, n» 78. Cf. Chapellier, Essai historique sur
Beaufremont, p. 67.
(3) Archives de M.-et-M., B, 399, f 253-254 ; cf. Delaborde, op. cit.^
n* 985. Sur le paiement de cette indemnité, voir Bibi. Nat., Lorraine,
258, fol. 9.
— 37 —
tarder, deux agents du duc Robert, sou chapelain Pierre
Copiton et l'un de ses chevaliers, Huart de Bauflremont,
parcoururent ses domaines afin d'y recueillir (ce qui ne
fut pas aisé) les sommes nécessaires « pour la rançon du
comte de Vaudémont et de l'Archiprêtre » ; dès le 27 août
ils travaillaient à s'acquitter de leur mission (1). Ainsi, le
duc de Bar payait les frais de la guerre, ce qui n'est point
l'usage des vainqueurs : ajoutez-y qu'il lui fallut racheter
des prisonniers. L'ennemi s'était emparé d'un certain
nombre de ses hommes d'armes, parmi lesquels quelques
chevaliers importants, comme Geoffroy de Foug, seigneur
de Maxey, Pierre de Moncel, Louis de Sanoy, Thîel-
mans (2) : encore qu'il n'en soit pas question dans le traité,
nous savons par d'autres textes que le duc eut à se préoc-
cuper de payer leur rançon.
Le duc de Lorraine conclut la paix un mois plus tard,
le 11 septembre. Ce à quoi il semble surtout avoir songé,
c'est à racheter ceux de ses défenseurs qui étaient tombés
au pouvoir des ennemis. Il y en avait de très considérables,
en tête desquels on citait le fameux Brochard de Féné-
trange (3), jadis l'allié du comte de Vaudémont, mainte-
(1) Archives de la Meuse, B, 2323, f 49 et 59, V. Cf. B, 1419 et B,
1736.
(2) Geoffroy de Foug, seigneur de Maxey, fut pris par le comte de Vau-
démont (Archives de la Meuse, B, 1419). Pierre de Voncel et Louis de
(( Sencei », chevaliers, furent pris par les Bretons (Archives de la Meuse,
B,2323,f« 59). Voyez aussi Serval?, op, ct£.,I,p. 144, et pièces jusUfica-
tives, n** 79 et IC^. — Les comptes du Barrois mentionnent en revan-
che la prise de deux Bretons par les soldats du duc de Bar ; ils appar-
tenaient à la compagnie a Batilliei ». (Archives de la Meuse, B^ 1419,
f" 12). Ce capitaine Batilliei ne se confondrait-il pas avec Mondon Ba-
tailles, cité plus haut ?
(3) Brochard fut détenu au château de Joinville, appartenant à
Henri de Vaudémont ; il s'y trouvait en 1364 (Delaborde, op. ct^,
n* 993). C'était le même qui, quelques années plus tôt, avait aidé
Henri de Vaudémont dans sa lutte contre les Compagnies en Champa-
gne, et qui, se trouvant insufflsamment payé à la suite de cette expé-
dition, avait, pour s'indemniser, ravagé le pays qu'il venait de défendre.
(Froissart, édit. Luce, V. p. 184-185 ; Delaborde, op. cit. y p. 197.) Avec
lui, les documents citent d'autres prisonniers, notamment Jean, sire
— 38 —
tenant son captif. Le duc fut obligé de promettre à Vaudé«
mont et à i'Archiprètre trente mille florins pour la rançon
de ce personnage et de deux de ses compagnons d'infor-
tune. Ce traité ne donne point au duc de Lorraine l'allure
d'un triomphateur ; d'ailleurs, nulle part il n'y est question
d'une restitution de la forteresse de Chaligny au comte de
Vaudémont, restitution qui eût été nécessairement une
condition de la paix si cette forteresse était tombée aux
mains des coalisés lorrains et barrois. Aussi, ces diverses
considérations me rendent sceptique, à l'endroit du succès
que les ducs coalisés auraient remporté à Chaligny; jus-
qu'à preuve contraire, j'estime que les étendards de Vau-
démont et de l'Archiprêtre ne cessèrent point de flotter sur
les tours de ce château, en dépit des attaques de l'armée
ennemie.
m
Une fois la guerre finie, le comte Henri dut songer à se
débarrasser de son auxiliaire, qu'il ne pouvait manquer de
trouver quelque peu gênant. Mais il fallait lui assurer sa
récompense; elle fut déterminée par la convention du
11 octobre 1363. En vertu des clauses de cet acte, Henri
abandonnait à l'Archiprêtre, outre sa propre part dans les
indemnités payées ou dues p^r les ducs de Lorraine et de
Bar, la maison forte de « Voiny » dont Vaudémont s'était
emparé dans une guerre antérieure (1) De son côté Arnaud
de Toullon. Pour la rançon de l'un d'eux, il fallut aussi payer 5,000
florins d'or aux frères de la Roche, qui avaient combattu avec Vaudé-
mont : Ferry, comte de Linange, Brochard de Fenestrange et d'autres
cautionnèrent. celle rançon : Bibl. Nat., Lorraine, 256, fui. 14.
(1) Archives de M.-el-M., B, 399, fol. 2o4-2oo ; voir aussi Lepage, op.
cit., p. 469. — Henri de Vaudémont transporte à l'Archiprêtre « la
maison de Voynies que il tenait prise pour certaine guerre que il avolt,
si comme il disoit, à Mons' Garnier de Blasey, chevalier, dès avant la
guerre de Lorraine dessus dicte, de laquelle guerre dou dict Mons'
Garnier le dict Mons' de Chastelvillain (l'Archiprêtre) doit et est tenu
y aldier le dict Mons' de Vaudémont ». — On verra dans la partie
— 39 —
de Cervolles renonçait à ses droits sur la forteresse de
Gombervaux, occupée par les partisans de Vaudémont au
cours de la dernière lutte (1). Cette convention fut exécutée
par TArchiprêtre. Ayant reçu les sommes qui lui étaient
dues par les deux ducs, il se retira de la région lorraine (2).
En septembre, il était à Saint-Dizier ; en décembre, il avait
amené ses bandes en Bourgogne, où il aidait le duc Phi-
lippe le-Uardi à établir sa domination en Comté. Tous ses
soldats ne se montrèrent pas d'humeur aussi docile: Tun
d'eux, Meneduc de Possède, quoiqu'il eût, comme ses com-
pagnons, apposé son sceau aux engagements pris par TAr-
chiprètreau début delà guerre, s'obstina pendant quelque
temps, après la conclusion de la paix, à occuper Vaucou-
leurs, d'où, en dépit des injonctions d'Arnaud de Cervolles,
il faisait des incursions dans le Barrois (3).
Cependant, d'autres préoccupations ne tardèrent pas à
absorber l'activité du comte de Vaudémont. Il eut bientôt
sur les bras une lutte contre le seigneur de Bulgnéville ; en
outre, le 19 mai 1364, il dut figurer au sacre du roi de
France Charles V, qui fut célébré à Reims avec toute la
du document publiée par Lepage, que le comte de Vaudémont céda à
l'Archiprétre sa part, non seulement dans les sommes encore dues,
mais en ou Ire dans celles déjà payées par les ducs.
(1) Les documents attestent qu'Arnaud toucha 11,000 florins qui
demeuraient dus par le duc de Lorraine et 10,000 qui étaient encore
dus par le duc de Bar (Bibl. Nat., Lorraine, 256, fol. 14 et 15; 258, fol. 9;
joiguez-y Lepage, loc. cit.). C'est seulement le 44 novembre 1364 que
le duc de Lorraine acheva de se libérer par un versement de 1,000 flo-
rins. (Lorraine, 256, fol. 14.)
(2, Le gros des partisans d'Arnaud parait s'être retiré vers la Saint-
Martin d'hiver (11 novembre 1363). Denifle, op. cit., II, p. 474.
(3) Le 14 septembre 1363, des gens sont envoyés par le duc de Bar
à Vaucouleurs vers « Mons' Meneduc » et ses Bretons, pour leur repré-
senter les dommages qu'ils infligent injustement au pays depuis le traité
de paix. En effet n Hussons Chaumont et II baillis Lambers a voient
mandei au prevot qu'il avoient empetret lettres de l'Arcepreste à Saint
Disier qu'il mandeit à Mons. Meneduc que feist tout rendre ce qui
étoit pris en la paix en paiis de Monseigneur ; de quoy il ne veult
riens faire )). (Archives de la Meuse, B, 1419, fol. 44.)
— 40 -
pompe que la cour des Valois savait donner aux céré-
monies où se déployait la majesté royale. Enfin, d'accord
cette fois avec le duc de Bar, il travaillait à délivrer le pays
d'un danger imminent, en dirigeant les Compagnies vers
une expédition lointaine, quand, en 1365(1) ou à une
époque très voisine de cette année, une mort prématurée
mit fin à une carrière à laquelle n'avaient manqué ni les
combats, ni les succès, ni les revers, ni les fautes.
Pendant la plus grande partie de sa vie, la situation
financière du comte fut pour lui l'occasion d'inextricables
difficultés. Ses dépenses avaient de beaucoup excédé ses
ressources ; non seulement il partageait les goûts élégants
et somptueux de l'aristocratie de son temps, mais il avait
dû faire face aux besoins résultant de causes telles que sou
expédition en Terre Sainte, la part qu'il prit à la campagne
de Poitiers, la rançon qu'il lui fallut payer aux Anglais,
la guerre contre les Anglo-Navarrais et les Compagnies,
le rachat du château de Joinville, enfin les dernières luttes
qu'il soutint en Lorraine et en Champagne ; joignez-y
l'obligation où, vers la fin de sa vie, il se trouva de faire
bonne figure au sacre de Reims. Sans doute il avait reçu
quelques secours du roi de France, et c'était justice, puis-
que son dévouement à la cause française n'avait pas peu
contribué à l'appauvrir : c'est ainsi que le 4 août 1358, le
Dauphin lui avait abandonné, en viager, la ville et la châ-
tellenie de Vaucouleurs (2), et que plus tard, le 11 mai
1361, le roi Jean lui avait accordé une subvention de
2,000 livres (3). Sans doute aussi Henri de Vaudémont
avait pu inscrire au chapitre de ses recettes le résultat de
quelques exactions dont la cour de France ne s'était mon-
(1) Heori de Vaudémont était certainement mort dès les premiers
mois de Tannée 1367: cf. L. Germain, Jean de Bourgogne et Pierre de
Genève^ comtes de Vaudémont, Nancy, 1879, p. 8 et s.
(2) Deiaborde, n* 952.
|3) Deiaborde, n« 970.
— 41 —
trée que médiocrement satisfaite ; les potentats de la
féodalité, à cette époque, ne se préoccupaient guère de
mettre leur conduite en harmonie avec toutes les exigences
d'une conscien(!e délicate. Quoi qu'il en soit, chargé de
dettes depuis le temps de sa jeunesse (1), il fut, surtout à
dater de la campagne de Poitiers, en proie aux réclama-
tions incessantes de ses créanciers. La lecture du catalogue
de ses actes, dressé par M. H. -F. Delaborde, est particuliè-
rement instructive (2) ; elle nous montre le comte de Vau-
démont réduit aux expédients variés : ventes à réméré,
emprunts déguisés sous forme de constitutions de rente,
hypothèque ou, comme on disait alors, « gagière » de ses
biens. Je me borne à relater ici quelques-unes des com-
binaisons qui concernent plus particulièrement Chaligny
ou la région qui Tavoisine.
Une constitution de rente, par laquelle Henri de Vaudé
mont se procura d'un chevalier, Olivier de Sérières, un
capital, d'ailleurs assez peu important, fut gagée sur le do-
maine de Chaligny (3). — Non loin de Pont Saint- Vincent,
du côté du Vaudémont, sur une côte qui domine tout le
pays, est assis le village de Thelod, berceau d'une famille
chevaleresque dont le représentant, Jean, était le cousin
d'Henri de Vaudémont (4) : Jean rendit à son parent des
services « dans les guerres contre les rois d'Angleterre
(1) Voir la longue énumération de dettes que ses héritiers durent
payer, dans un acte du 28 septembre 1375, publié par L. Germain (op.
cit., p. 133 et s.).
(2) Delaborde, n* 931, 933. 936, 937, 957, 958, 959 et passim,
(3) 11 lui avait donné 15 livrées de terre à petits tournois, annuel et
perpétuel « sur toute sa terre do Challigney et dou ban » ; à raison de
cette rente Olivier de Sérières était devenu l'homme lige du comte de
Vaudémont. Le comte de Vaudémont s'était d'ailleurs réservé le droit
de se libérer en remboursant un capital de 150 livres de petits tournois
(Arch. de M.-et-M., n* 13 ; acte de remboursement, de novembre 1376).
(4) La famille de Thelod a été souvent confondue k tort avec les
familles de Tillon et de Toullon. V. une note de M. Léon Germain sur
Jean, sire de Thelod, dans son travail : Jean de Bourgogne et Pierre de
Genève^ comtes de Vaudémont, où est racontée, pour une période assez
longue, l'histoire de cette seigneurie, p. 109-114.
— 42 —
et de Navarre », si bien que le comte, pour s'acquitter
envers lui, ne trouva d'autres moyens que de lui vendre
à réméré le « ban de Veutray (1) » ancienne posses-
sion des Vaudémont. — Le lecteur se rappelle peut-être
que le comte Henri III de Vaudémont avait favorisé réta-
blissement de banquiers lombards, les Buni, à Vézelise et
en d'autres lieux de ses domaines, notamment à Pont-
Saint-Vincent et à Chaligny : son petit fils s'adressa tout
naturellement dans sa détresse à la société des Buni^ qui,
le 9 janvier 1361, lui prêta 1.125 livres, payables aux ban-
quiers de Vézelise, ou, suivant une clause au porteur fort
en usage à cette époque^ « à leur commandement qui ces
présentes lettres averoit (2) » ; le 18 octobre, il se recon-
naissait le débiteur d'autres membres de la môme société
établie à Toul ^3). — Enfin, il ne négligea pas de recourir à
un autre procédé au moyen duquel les seigneurs besoi-
gneux ont souvent battu monnaie ; c'est celui qui consis-
tait à concéder des privilèges qu'eux-mêmes se faisaient
payer en espèces sonnantes. Ce n'est pas qu'Henri de Vau-
démont ait octroyé de nouvelles chartes ; mais il confirma
celle qu'un de ces prédécesseurs avait accordée en 1213 à
à la ville neuve de Conflans, devenue depuis lors Pont-
Saint Vincent (4). Or, remarquez que depuis plus de cent
cinquante ans, personne n'avait estimé utile de faire renou-
(I) Blbl. Nat., Lorraine, 256, fol. 6; Delaborde, n» £KJ8 et 959. Ce
village, connu actuellement sous le nom de Vitrcy, fait partie du can-
ton de Vézelise, département de Meurthe-et-Moselle.
(â) Acte du 9 juillet 1^)1 ; Bibl. Nat., Lorraine, â56, fol. 12 et 13 :
résumé par Delnbordo, n* 972.
(3) Henri se reconnaît débiteur de « Ballequin et de Jenion, dis
Buny, f reires, demorans à Toul ». (Bibl. Nat., lorraine, 256, fol. 4i;
Delaborde, n*> 91a.) L'acte du 28 septembre 1375 cité plus haut (Arch. de
M.ct-M., B, 399, fol. ^8) mentionne 1,400 florins dus aux Lombards.
(4) Confirmation du 28 août 13ti2, aux Archives de M.-et-M., B, 419,
fol. 290-296. Là se trouvent la charte primitive, datée de 1213, et ses
diverses confirmations : celle-ci est la première. Le texte de 136i est
un texte français; il a été publié par Lepage, Les Communes de la
Meurihe, v* PontSaint-Vincent.
- 43 -
vêler ce privilège ; aussi, n'est-il pas téméraire de supposer
que le comte de Vaudémont imposa cette confirmation
afin d'avoir l'occasion de tirer des intéressés quelque
somme d'argent.
En dépit de toutes ces combinaisons, Théritier des Vau-
démont et des Joinville avait sensiblement amoindri le
patrimoine de ses ancêtres. Sans doute la mort épargna
au jeune comte la douleur d'assister à sa propre déca-
dence; mais il laissait à sa veuve et à ses enfants une
situation pleine de difficultés et de périls.
IV
Henri avait épousé en 1353 Marie, fille de Jean de
Luxembourg, seigneur de Ligny-en-Barrois. La comtesse
de Joinville-Vaudémont appartenait à l'illustre famille,
étroitement alliée aux Valois, qui donna au xiv^ siècle
plusieurs rois à la Bohême et plusieurs empereurs à l'Occi-
dent ; cette alliance était un titre d'honneur en plus pour
la maison de Joinville, qui, dès le xiip siècle, se flattait de
confiner avec les princes de la maison de Souabe(l). De ce
mariage étaient nées deux filles, Marguerite et Alice, dont
l'aînée avait à peine douze ans lors de la mort de son
père (2). C'est sur ces orphelines que retombait le fardeau
des dettes du dernier des Joinville et des Vaudémont.
Fort heureusement il semble certain que leur mère,
Marie de Luxembourg, par une gestion prudente de leur
(1) « Li grans amlraus des galles m'envoia querre ; et il me de-
manda si je lenoie riens de lignaige à l'onipereour Ferri d'Allemaingne
qui lors vivoit (Frédéric II) ; et je li respondi que je entendoie que
madame ma mère esloit sa cousine germainne. u (Joinville. édit. de
VVailly, c. lxv.) M. Simonnet, l'historien des Joinville, croit que la pa-
renté était beaucoup plus éloignée {Essai sur l'histoire des sires de
Joinville^ p. 99».
(â) Sur les filles et les gendres do Henri do Vaudémont, consulter
l'important travail de M. L. Germain dans le tome xxix des Mémoires
de la S. À. L, Ce travail, cité plus haut (p. 40, note 1), a été tiré à
part avec des développements considérables.
— 44 —
fortune, ne contribua pas médiocrement à relever l'état
financier de ses enfants. Un fait démontre qu'elle s'efforça
de tirer parti de toutes les ressources laissées à sa disposi-
tion : à Chaligny, où elle prenait son douaire (1), elle créa,
pour exploiter le minerai de fer si abondant dans la région,
des forges qui existaient encore au commencement du xv«
siècle (2) et qui semblent avoir disparu au cours de ce siècle.
Ce qu'elle fit à Chaligny, elle le fit sans doute ailleurs ;
c'est ainsi qu'elle put rembourser à Thirion de St-Germain
et à sa femme Odiernele capital jadis empruntée Henri de
Sérières, le père d'Odierne, par le comte Henri de Vaudé-
mont (3). Au surplus, Marie de Luxembourg sut, elle aussi,
recourir à des moyens déjà employés par le comte Henri ;
en 1368, elle imposa (le mot peut être employé sans témé-
rité) aux habitants du Pont-St-Vincent une nouvelle confir-
mation de leurs libertés, quoique, six ans plus tôt, ils en
eussent obtenu une de son mari (4). Par ces procédés, la
veuve du comte Henri contribua pour sa part à relever la
fortune de ses enfants. Elle même se trouva en mesure d'ac-
quérir les domaines de Morancourt, Mussey et Mathons,
(1) Déjà le contrat de mariage de Marie lui avait conféré des droits
sur Chaligny. Par ce contrat, daté du 19 mai 1353, Henri de Vaudé-
mont reconnaît avoir reçu à titre de dot 17,000 livres en argent ; en
revanche, il confère à Marie 1700 livres de rentes, qui doivent être
pour elle un propre, à savoir ; 600 livres sur Ctiaumont, 300 livres sur
Reynel, et 800 sur Chaligny (Delaborde, op. cit., n* 938).
(2) L'existence des forges de Chaligny est révélée par des discussions
qui se produisirent à la mort de Marie de Luxembourg pour savoir si
ces forges devaient être considérées dans sa succession comme un con-
quêt (Bibl. Nal., Lorraine, 258, fol. 13 : accord passé en 1383 à pro-
pos de cette question). — Le dénombrement de 1410 dont il sera ques-
tion plus loin mentionne encore des forges à Chaligny ; ensuite II n'en
est plus parlé. A coup sûr elles n'existaient plus au xvi« siècle.
(3) Acte de remboursement du 17 novembre 1376, cité plus haut,
p. 41, note 3. Les héritiers d'Olivier de Sérières durent, en échange du
capital remboursé, établir en faveur de Marie de Luxembourg une
rente annuelle de quinze livres assignée sur leurs francs-alleux de
Tonnoy-sur-Moselle ; cette rente devait être tenue à hommage lige de
Marie de Luxembourg.
(4) Voir cette conûrmation, à la suite de la précédente, aux Archives
de M.-et-M., B, 419, fol. 290-296. Elle date du 13 décembre 1368.
- 45 -
ea Bassigny, anciennes propriétés des sires de Joinville (1),
qui étaient sorties des mains du chef de la famille.
Je ne sais si le souci de marier ses filles causa beaucoup
d'angoisses à Marie de Luxembourg (2). En tout cas, ces
angoisses ne furent pas de longue durée ; car Tatnée, Mar-
guerite, n'avait pas quatorze ans quand, en 1367, elle
épousa un membre de la maison comtale de Bourgogne;
c'était Jean de Bourgogne, sire de Montagu, marié en pre-
mières noces à Marie de Châteauvillain. Veuve au bout de
peu d'années de mariage (3), Marguerite, en 1374, convola
avec Pierre, comte de Genève, frère de ce cardinal Robert
de Genève si connu dans Thistoire de TËglise pour avoir
ceint la tiare en 1378 sous le nom de Clément VII, lors de la
double élection qui futTorigine du grand schisme. Devenue
veuve une seconde fois (4), Marguerite, âgée d'environ
trente-huit ans, épousa, en 1393 (5), Ferry de Lorraine, fils
cadet du duc de Lorraine, Jean P', et frère du duc Char-
les II. Ferry, qui portait les titres de seigneur de Rumigny
et de Boves, auxquels grâce à son mariage il joignit ceux
de comte de Vaudémont et de Joinville, fut tué en 1415 à
Azincourt, où il combattait dans les rangs de l'armée fran-
(1) 28 décembre 4376 : Vidimus de la vente faite par le comte Jean
de Salm à Marie de Luxembourg des terres de Mussey, Mathons et
Morancourt (Delaborde, op cit., n" 1017). Il suffit de parcourir le cata-
logue dressé par M. Delaborde pour se convaincre que Morancourt,
Mussey et Mathons étaient d'anciens domaines des Joinville.
(2) Sur les questions relatives à ces mariages, voir le mémoire pré-
cité de M. L. Germain.
(3) Jean de Bourgogne vivait encore le 1" septembre 1370; Bibl. Nat.,
Lorraine, ^6, n« 26.
(4) Le 25 juin 1387, à Annecy, Marguerite, encore sans enfants, fit son
testament par lequel elle institua pour héritière universelle sa sœur Alice
(Delaborde, n» 1039). Ce testament fut plus tard révoqué ou devint
caduc ; en tout cas 11 atteste la bonne harmonie qui régnait entre les
deux sœurs.
(5) Le mariage fut célébré avant le 5 septembre 1393. Ce Jour-là
Ferry et sa femme se trouvèrent à Pont-Saint- Vincent, où leur maître
d'hôtel acheta du poisson à deux pécheurs du village. Ils séjournaient
au château du Pont qui leur appartenait. (Archives de M.-et-M., B,
9700.) Ils y revinrent de temps en temps.
— 46 —
çaise. Il laissa à sa veuve, de ce troisième mariage qui
seul fut fécond, plusieurs enfants, dont Taîné, Antoine,
comte de Vaudémont, fut Taïeul du duc René II de Lor-
raine et la souche de Tillustre lignée dont le chef règne de
nos jours sur la monarchie Austro Hongroise (1).
Ces vicissitudes matrimoniales de la fille aînée d'Henri de
Joinville n'exercèrent aucune influence sur le sort de la
seigneurie de Chaligny, qui n'appartint jamais à Margue-
rite. Il n'en fut pas de môme du mariage qu'Alice, la sœur
cadette de Marguerite, contracta en 1373. A cette époque
Alice, à peine sortie de l'enfance, épousa l'héritier d'une
des maisons les plus considérables de la Comté. Dans une
vallée latérale qui rejoint à Pont de Roide la vallée du
Doubs, se voient encore les ruines du château fort de Neuf-
châtel, dominant le village auquel il a donné son nom.
C'est là qu'avait peu à peu grandi une noble famille dont
l'autorité devait s'étendre au loin en Comté et dans les
régions voisines (2). De son origine elle garda le nom de
Neufchâtel. auquel un usage fréquemment suivi prescrit
d'ajouter le nom de Bourgogne, pour éviter toute confusion
entre celte famille et la famille de Neufchâtel-sur-le-Lac. A
l'époque qui nous occupe, le chef des Neufchâtel -Bourgo-
gne était Thiébaut, VP du nom, constitué gardien de la
Comté au cours des événements qui avaient profondément
agité ce pays au temps des rois de France Philippe de
Valois et Jean II. Grâce sans doute à la puissance et au
prestige des Neufchâtel, un frère cadet de Thiébaut VI,
(1) Sur Ferry, consulter, outre M. Fr. Delaborde, op. cit.^ le travail
de M. Léon Germain : Ferry I" de Lorraine, comte de Vaudémont,
dans les Mémoires de la S. A. I., 1881, travail tiré à part avec des
additions importantes.
(â; Sur la famille de Neufchâtel, consulter l'ouvrage de M. l'abbé
Loye, Histoire de la seigneurie de Neufchatel-Bourgogne (Montbé>
liard, 1890). Sur l'origine de cette famille, voir la tradition ou la légende
rapportée par M. Léon Germain : Jean de Bourgogne et Pierre de
Genève, p. 115.
- 47 -
nommé Jean, fut élu évéque de Toul en 1372 (1). C'est le
même prélat qui, partisan dévoué de Clément VII dès le
début du grand schisme, fut créé par lui cardinal du titre
des Quatre-Couronnés et joua un rôle important dans l'his-
toire troublée du pontificat de Benoît XIII à Avignon.
Ce n'était pas seulement par l'intermédiaire de son frère
l'évêque de Toul que Thiébaut VI s'était trouvé en relations
étroites avec la Lorraine ; lui-môme, par son mariage (2),
était devenu le beau -frère de ce Jean de Bourgogne-Montagu
qui fut le premier mari de Marguerite, la fille aînée du
comte Henri de Vaudémont. Les Neufchâtel-Bourgogne ne
pouvaient donc être des étrangers pour les Vaudémont-
Joinville. Ainsi s'explique peut-être le mariage contracté
en 1373 (3) entre Alice de Vaudémont et le fils aîné du sire
(i) Sur ce prélat, voir abbé Martin, Histoire des diocèses de Toul, de
Nancy et de Saint-Dié, ï, p. 371 et s. — Si Jean de Neufchâtel et sa
famille appartinrent à l'obédience de Clément VII, il est à remarquer
qu'il en fut de même des Vaudémont, et cela tout naturellement,
puisque Clément VII était le propre frère de Pierre de Genève, qui fut
comte de Vaudémont par son mariage avec Marguerite, la fille ainée
du comte Henri. Topt ce milieu était d'ailleurs dévoué au parti clémen-
tin : la veuve du comte Henri, Marie de Luxembourg, était la proche
parente du bienheureux Pierre de Luxembourg, qui fut cardinal d'Avi-
gnon : sa fille Marguerite, en 13;)2, avait fondé à Annecy une chapelle
en l'honneur de son parent, qu'elle qualifie déjà de bienheureux (L.
Germain, op, cit., p. 84 à io8). Cette même Marguerite subit plus
tard l'influence de sainte Colette de Corbie (Luce, Jeanne d'Arc à Dom -
rémy, p. 297, note) qui, elle aussi, reconnaissait le pape d'Avignon. Sur
l'état des diocèses lorrains à cette époque, voir Noél Valois, la France
et le Grand Schisme, I, p. 284 et II, p. 301 ; sur l'histoire de Jean de
Neufchâtel, voir le même auteur, III, p. 2(fô et passim.
(â) Il avait épousé Marguerite, sœur de Jean do Bourgogne-Montagu,
qui fit entrer le titre de Monlagu dans la famille de Neufchâtel. — Cf.
Léon Germain, Jean de Bourgogne, p. 48.
(3) Le contrat de mariage d'Alice de Vaudémont et du jeune Thié-
baut VU, fils de Thiébaut VI de Neufchâtel. est daté du 25 mai 1373
(Delaborde, n* 1007). L'acte est mentionné dans un inventaire des Ar-
chives de Joinville (Archives Nationales, KK, 906, fol. 415). Au contrat
le fiancé, encore mineur, fut représenté par son père Thiébaut VI : il
en fut de môme dans les arrangements de famille passés en 1374 et 1375
relativement au paiement des dettes de Henri de Vaudémont. (Voir ci-
dessous, p. 50, note 3.)
- 48-
de Neufchâtel, qui portait comme son père le nom de Thié-
baut, et y ajoutait le titre assez obscur de sire de Chas-
tellot (1). Par les acquisitions de seigneuries mosellanes qui
en furent la suite naturelle, ce mariage devait, comme on
le verra, entraîner des conséquences graves à la fois pour
la Lorraine et pour la maison de Neufchâtel.
En efiet, dès le mariage de Taînée des filles de Henri de
Vaudémont et de Marie de Luxembourg, c'est-à-dire dès
1367, il avait fallu déterminer par un partage les droits de
chacune des deux sœurs sur les domaines provenant de la
succession de leur père (2). Les deux grandes seigneuries,
Vaudémont et Joinville, formèrent la part de la fille aînée,
Marguerite, qui, ainsr qu on l'a dit plus haut, les porta par
son troisième mariage à un membre de la maison de Lor-
raine. La fille cadette, Alice, qui était à cette époque sous la
garde de sa sœur aînée et de son beau-frère, reçut les châ-
teaux et les chatellenies de Châtel-sur-Moselle et de Bain-
ville-aux-Miroirs, anciensJXiefs tenus des ducs de Bar par
les comtes de Vaudémont (3). Des biens des Joinville, elle
recueillit pour sa part la seigneurie de la Perté-sur-
Amance et aussi celle de Reynel ; le titre de Reynel fut
(1) Sur la terre du Chastellot, cf. abbé Loye, p. 25 et passim. C'est
sur cette terre que fut constitué le domaine d'Alice de Vaudémont
(Contrat de mariage d'Alice ; Delaborde, n* 1008). Le mari d'Alice,
étant mort avant son père, ne fut connu que sous le nom. de sire du
Chastellot. C'est sous ce titre qu'en 1400, dans l'hommage qu'elle rend
au duc de Bar pour Châ tel sur-Moselle, Alice mentionne son mari
défunt (Archives de M.-et-M., B, 351, fol. 1).
(2) 22 novembre 4367 ; Delaborde, n» 998. — A parUr de 1367, Alice
est sous la « tutelle et le gouvernement » de sa sœur ainée Marguerite ;
et de Jean de Bourgogne-Montagu, époux de Marguerite. Voir ci-des-
sous, p. 50, note 1 .
(3) Thiébaut VI do Neufchâtel reconnaît, le 29 mai 1373, avoir reçu
au nom de soniils mineur Thiébaut VII, époux d'Alice de Vaudémont,
les châteaux et chasteilenies de Châtel-sur-Moselle et de Bainville-aux-
Mlroirs, à l'exception de Houd reville et de Vroncourt (villages qui par
leur situation géographique se rattachent naturellement au Vaudémont).
Ces deux villages demeureront à Marguerite de Vaudémont et à son
mari (Delaborde, op. ci7., n* 1009 ; texte imprimé par L. Germain,
Jean de Bourgogne et Pierre de Genève, q. 121).
— 49 —
porté par elle même, par son mari et par plusieurs de ses
descendants (1). Il va sans dire que tous ces domaines de-
vaient passer aux Neufchâtel en conséquence du mariage
d'Alice.
La seigneurie de Chaligny parait être demeurée aux
mains de Marie de Luxembourg ; elle fit vraisemblable-
ment partie de son douaire (2). Quand Marie mourut peu
après 137i), Chaligny, sans doute en exécution d'arrange-
ments antérieurs, vint accroître la part d'Alice ; dès lors
elle put à bon droit prendre les titres qu'elle se donna dans
son testament, où elle s'intitule : « dame de Chastellot, de
Chastel-sur Moselle, de Rinel et de Challegney (3) ». Dans
son entourage, on la distinguait simplement sous le nom
de « Madame de Châtel », emprunté au plus important de
ses domaines (4).
Les soucis d'ordre financier n'avaient point été épargnés
aux filles et aux gendres de Marie de Luxembourg. A
(1) La Ferté-sur-Amance (Haute-Marne) faisait partie des biens de
Joinville. Cette terre passa ^ Alice et à ses enfants (Cf. Hermerel,
Les Monnaies des comtes de Vaudémont, Mémoires de la S. A. I.,
XLiii, année 1893, p. 177). — Les témoignages ne manquent pas en
ce qui concerne Reynel. Dans un acte du 12 janvier 1384 (a. s.),
Thiébaut de Neufchâtel, mari d'Alice, s'intitule chevalier, sire de
Rinel (Bibl. Nat., Lorraine, 256, n" 37). Elle-même en 14(fô (Lorraine,
257, fol. 3), en 1412 (Lorraine, 386, fol. 23 et S4), et dans son testament
(voir ci-dessous), fait figurer Reynel dans ses titres, ou parfois s'inUtule
simplement a dame de Rinel ». Le titre demeura dans sa descendance :
un petit-fils d'Alice, le second fils de Thiébaut VIII, s'appellera u sei-
gneur de Montagu et de Reynel » (Olivier de la Marche, édition de la
Société d'Histoire de France, I, p. 273).
(2) Par son contrat de mariage du 19 mai 1353 (H. F. -Delaborde, op.
cit., n* 938), Marie de Luxembourg avait reçu, en échange de sa dot
de 17,000 livres, 1,700 livres de rente, dont 800 sur Chaligny. Il semble
d'ailleurs que Chaligny lui ait été ailecté exclusivement, et ne soit
revenu k ses enfants qu'après sa mort. Marie de Luxembourg vivait
encore le 17 novembre 1376. (Archives de M.-et-M., B, 599, n<* 13.)
(3) Voir ci-dessous, p. 6.
(4) Archives de M.-et-M., B, 9702, Comptes de Vaudémont.
- 50 -
peine Jean de Bourgogne avait-il épousé la fille aînée de
Marie qu'il dut s'ingéniera satisfaire des créanciers, tant
pour le compte de sa femme que dans Tintérét de sa belle-
sœur Alice, dont il avait « la tutelle et le gouvernement ».
C'est ainsi que nous le voyons, à l'exemple de Henri de Join -
ville-Vaudémont, recourir aux procédés bien connus de la
vente à réméré (1) et de la concession de privilèges (2).
Grâce à ces moyens, il gagna du temps et subvint aux
nécessités les plus pressantes ; mais ce ne fut qu'après le
mariage d'Alice, célébré en 1374, qu'intervint entre son
mari Thiébaut VII de Neuf châ tel et son beau frère (c'était
déjà Pierre de Genève, qui avait remplacé Jean de Bour-
gogne) une convention répartissant entre les deux sœurs
les dettes de leur père (3). Enfin des négociations labo-
rieuses eurent lieu entre les deux beaux-frères, Genève et
Neufchûtel, lorsqu'il s'agit de partager entre leurs femmes
la succession de Marie de Luxembourg. Un testament, par
(I) Vente à réméré, le 1" septembre 1370, psir un acte daté d'Arc-
en-Barrois, de 80 livreras de terre qui seront prises au comté de
Vaudémont. Cotte vente est consentie, pour 800 florins de Florence, à
Liebaud IV de BaufTremont par Marguerite et son mari Jean de Bour-
gogne. Tous deux se portent forts pour « Aalis de Waudemont, dont ils
ont la tutelle et le gouvernement ». (L'atnée des deux sœurs, Mar-
guerite, avait alors tout au plus seize ans.) Bibl. Na t.. Lorraine, 256, n'*26.
Déjà en 1368 les intérêts d'Alice étaient conûés aux soins, non pas de
sa mère, mais de son beau-frère et de sa sœur : Delabordc, op. cit.,
n" lOOâ, acte concernant le rachat de « gagières » (l'extinction d'hypo-
thtViues) consenties par Henri de Vaudémont.
(t) Jean de Bourgogne et Marguerite sa femme, par acte passé
i\ Vézeiise le 19 février 1369, afTranchirent les habitants de Vaudémont
de la main-morte, à charge d'entretenir les fortiûcations du grand
bourg do Vaudémont. Archives de M.-etM., B, 3î)9 ; Germain, op. cit.^
p. 389 ; Lepage, Lea Communes de la Meurthe, v« floudreville ;
Delaborde, n" 1001. Cette charte fut renouvelée à Vézeiise, le le mai 1376
par Marguerite et Pierre do Genève son second mari ; Germain, op. cit.^
p. 409 ; Lepage, op. cit., V Vaudémont ; Delaborde, n» 1013.
(3) On peut, sur cette question, consulter deux actes passés entre les
Vaudémont et les Neufchâtel, ou plus exactement (car les deux Glles
d'Henri de Vaudémont étalent fort jeunes) entre leurs maris Pierre
de Genève et Thiébaut Vil de NeufchAtel, celui-ci encore représenté
par son père, sans doute à cause de sa grande jeunesse. L'un de ces
— 51 -
lequel, en disposant de ses meubles et acquêts, la comtesse
de Joinville-Vaudémont avantageait les Genève au détriment
des Neufchâtel, faillit allumer la discorde entre les deux
branches. Fort heureusement un accord fut conclu (1), que
sanctionna, le 13 novembre 1382, un arrêt du Parlement
de Paris ; remarquez que Tintervention du Parlement,
d'ailleurs sollicitée par les intéressés, s'expliquait par ce
fait que la seigneurie de Joinville relevait de la couronne
de France, et qu'une portion au moins des biens litigieux
avait été mise sous la main du Roi. Le principe de l'ac-
cord approuvé par le Parlement était que tous les meu-
bles et acquêts de la défunte, où qu'ils se trouvassent, en
France (c'est à-dire à Joinville) ou dans l'Empire (c'est-
à dire à Chaligny) seraient divisés en deux parts, en telle
manière que les Genève devaient prendre les meubles et
acquêts dépendant de Joinville, tandis qu'aux Neufchâtel
seraient attribués les meubles et acquêts dépendant de
Chaligny, et notamment les forges créées dans ce domaine,
si toutefois elles devaient être considérées comme des
acquêts. Au cas où les deux masses des meubles et
actes est du 16 décembre i374 (Bibl. Nat., Lorraine, 2^, fol. 32).
L'autre a été passé à Langres, le 28 septembre 1375. Il y est dit que
chacune des filles d'Henri paiera la moitié des dettes de leur père :
chacun des beaux-frères énumère les dettes dont lui et sa femme
assument la responsabilité. (Archives de M.-et-M., B, 399, f* ^8 et s. ;
B, 400, fi et s. ; publié par L. Germain, Jean de Bourgogne, p. 133 el s.).
(1) Le 5 juillet 1381, les deux beaux-frères, Pierre de Genève et
Thiébaut de Neufchâtel, ratifient sur cette affaire un arrangement
antérieur, passé à Langres entre leurs représentants le 25 juin (Bibl.
Nat., Lorraine. 258, n" 11 et 12. — (L. Germain, op. cit., p. 143). L'arrêt
du Parlement, daté du 13 novembre 1382, se trouve aux Archives
Nationales, Parlement, Accords, X'^ 45, pièce 126. Les deux beaux-
frères en réglèrent l'exécution par une longue convention du 30 avril
1383 (Lorraine, 258, n"* 13) ; il y est convenu qu'on devra rechercher
si les forges de Chaligny sont propres ou acquêts. En tout cas la dame
de Neufchâtel les conservera ; mais si ce sont des acquêts de sa mère,
elle devra récompense de la moitié de leur valeur. Le 12 janvier 1385,
Thiébaut donnait quittance à Pierre de Genève de 400 francs dus à sa
femme, sans doute pour soulte de partage (Lorraine, 256, n' 37). Ainsi se
terminait cette longue affaire.
-S2 —
d'acquêts se trouveraient de valeur inégale, Tégalité serait
établie au moyen de récompenses pécuniaires. Ainsi
serait atteint le but poursuivi par les parties, qui était de
mettre fin à toute indivision, « por ce que, co>mme le dit
Tarrêt du Parlement, communité norrit discorde ». Des
pourparlers, engagés entre les deux branches de la famille
de Joinville-Vaudémont pour régler toutes les questions
qui les divisaient d'après les principes posés par Tarrét, se
prolongèrent au moins jusqu'en 1385 (1). Enfin les Neuf-
châtel virent leur situation consolidée à Chaligny, qu'ils
conservèrent avec toutes ses dépendances, non cependant
sans avoir encore à se défendre contre quelques réclama-
tions tardives des créanciers de Henri de Joinville-Vau-
démont (2).
Nous ne savons que fort peu de chose de la carrière
de Thiébaut VII de Neufchâtel, l'époux d'Alice de Join-
ville (3). Comme on Ta vu, il était très jeune lors de la
célébration de son mariage, qui eut lieu en 1373. D'humeur
belliqueuse comme la plupart de ses contemporains, il
accepta en 1396, d*accompagner au « voyage de Hongrie »,
(1) Voir la note précédente, attestant le paiement d'une soulte par
Pierre de Genève, à la suite du partage des acquêts.
(2) En 1405, Alice de Vaudémont et son beau-frère Ferry de Lorraine
étaient encore inquiétés pour diverses sommes dues par feu Henri de
Joinville au Trésor royal de France (Bibl. Nat., Lorraine, 257, fol. 3).
(3) M. l'abbé Loye (op. cit., p. 160) dit que Thiébaut VU avait aidé
son père dans l'administration de ses domaines. Il ajoute que, lo
il novembre 1395, à Laufon, Thiébaut VII était auprès de son père
lorsque celui-ci, nommé pour le chapitre de Bâle administrateur tem-
porel des biens de l'église, prêta serment de fidélité au chapitre. On
sait que le chapitre avait choisi pour évéque Humbert de Neufchâtel,
jeune fils de Thiébaut VI (Loye, p. 14i). Le 27 janvier 1396, c'est-à-dire
quelques mois avant son départ pour l'expédition de Hongrie, Thiébaut,
sire de Chastellot, de Chàtel-sur- Moselle et de Bainville-aux-Miroirs,
fait hommage au duc de Bar pour ces deux derniers fiefs, en exceptant
de son hommage, suivant la coutume, Chaligny (tenu du duc de Lor-
raine) et Landillydevant-Châtel. (Du Fourny, Inventaire, Bibliothèque
de Nancy, IV, fol. 361. Ce texte donne, par une erreur évidente, Ghastel
au lieu de Chastellot.)
— 53 —
c'est-à-dire à la croisade contre Bajazet, le comte de
Nevers, fils du duc de Bourgogne Philippe-le-Hardi (1) ;
avec ce prince partaient les deux fils du duc de Bar ainsi
qu'une foule de chevaliers des pays bourguignons et lor-
rains. Le 30 septembre de la même année, Thiébaut VII
succombait, avec la fleur de la chevalerie, sur le champ de
bataille de Nicopolis. Cette mort prématurée ne lui laissa
pas le temps de remplir, comme chef de famille, le rôle
auquel il semblait naturellement appelé ; en effet, son père
lui survécut. Aussi lui-môme, de tous les titres de sa
maison, ne porte que celui de sire de Chastellot, auquel il
ajoutait ceux qui lui venaient des domaines de sa femme :
Ghàtel-sur-Moselle, Bainville, Reynel, et sans doute aussi,
le cas échéant, Chaligny.
VI
Thiébaut VII, laissait après lui une veuve, Alice de Join-
ville-Vaudémont, doqt l'âge ne devait guère dépasser
trente-cinq ans ; de leur mariage étaient nés un fils, qui
porte dans l'histoire de la famille de Neufchatel le nom de
Thiébaut VIIÏ, et une fille, Marguerite (2). L'ouverture de
(1) Thiébaut de Neufchatel, lui troisième de chevaliers, fut ordonné
pour accompagner au voyage de Hongrie le comte de Nevers, fils de
Philippe le Hardi (dom Plancher, Hisloire de Bourgogne, lïl, clxxxiv).
(2) Marguerite fut la première femme de Jean, sire de Rai et de la
Ferté (Moreri, v» Neufchatel). L'historien des sires de Neufchatel,
M. l'abbé Loye {op. rit, p. 161) donne à Thiébaut Vil une troisième
fille, nommée Jeanne, sur laqueUe je n'ai pas le moindre renseigne-
ment. Deux frères de Thiébaut VII, par conséquent deux oncles pater-
nels de Thiébaut VIH, Jouèrent un rôle important : Humbert, évèque
de Bâle, dont il sera question plus loin, et Jean, seigneur de Montagu
et d'Amance, grand-bouteiller de France au temps de l'influence bour-
guignonne (Gollut, Mémoires historiques de ta République Séqusnoise,
édit. Duvernoy, col. 1089). C'est sans doute ce personnage qui est
mentionné dans un compte de Vaudémont de 1409-1410, à propos du
salaire d'un messager qui porta la réponse « de Mons. Jehan dou Nuef-
chastel » sur le fait d'un prisonnier que réclamait « Monsieur de
Vitember ». (Archives de M.-et-M., B, 9702), Jean de Neufchâtel-Mon-
tagu figure au premier rang des seigneurs bourguignons qui luttèrent
en France contre les Armagnacs.
— 54 —
sa succession ne devait modifier en rien la condition de
Chaligny, qui était le propre héritage d'Alice. C'est elle
qui jusqu'à sa mort gouverna ce domaine aussi bien que
les autres seigneuries qui lui étaient venues de ses ancê-
tres, les Joinville et les Vaudémont. Entourée des person-
nages de sa maison, dont les plus importants étaient son
conseiller, son chapelain, son maître d'hôtel, et le châte-
lain qui avait la garde de la forteresse où elle résidait, elle
passa les années de son veuvage dans ses terres deChâtel-
sur-Moselle, d'où sans doute elle venait parfois à sa rési-
dence de Chaligny (1), la seule pour laquelle, dans son
testament, elle ait marqué quelque sympathie. De Chali
ligny, bien plus que de Châtel, il lui était facile d'aller à
Vézelise, où habitaient sa sœur aînée Marguerite et son
beau-frère Ferry, comte de Vaudémont, et plus encore de
se rendre à Pont- Saint- Vincent, où parfois ils séjournaient
dans le château qu'ils y possédaient. Les documents ont
conservé la trace de quelques-unes de ces visites. 1^ pre-
mière de celles dont ils gardent le souvenir eut lieu le len-
demain de Noël en l'année 1396. Trois mois s'étaient écou-
lés depuis la bataille de Nicopolis; la dame de Châtel et de
Chaligny, si elle n'était pas encore fixée sur le sort de son
mari, prenait sa part des angoisses que des bruits sinistres
avaient provoquées dans les duchés de Lorraine et de Bar.
A ce moment où le duc de Bar faisait brûler des cierges à
Saint-Nicolas de Port, à l'intention de ses fils dont l'aîné
avait succombé en Hongrie (2), Alice s'associait à ses parents
(i) Dans son testament, Alice mentionne ses « officiers, chastellains,
chapellains, pourtiers, servans, sèrvandcs » ; l'un des témoins du
dépôt de son testament à roflicialité de Toul, le 26 juin 1413, est « mes -
sire Hue, chappellain de Challigney », qui ne se confond pas avec le
curé ; c'est le chapelain du château (Archives do M.-el-M , B, 3932). En
i39î), Alice avait pour mattre d'hôtel Gérard de Houdelaincourt, écuyer,
(Archives de M.-et-M., B. 351, fol.}. Son conseiller était alors un ecclé-
siastique, (( vénérable et discrète personne maître Guy de Semouslier,
conseiller de ladite dame ».
(2) Servais, op. cit., II, p. 247.
— So-
dé Vaudémont et à nombre de personnages importants de
la région pour fonder au sanctuaire de Notre-Dame de Sion
une confrérie en l'honneur « de la benoite Assumpcion de
la glorieuse Vierge (1) » : on sait que depuis longtemps la
dévotion à la Vierge de Sion était particulièrement chère
aux comtes de Vaudémont (2). D'autres visites d'Alice,
à Pont-Saint- Vincent ou à Vézelise, nous sont connues
par des mentions qui figurent dans les comptes du Vaudé-
mont : parfois aussi on rencontre dans ces comptes l'indi-
cation de messages échangés entre les Vaudémont et les
Neufchâtel. Il semble résulter de ces rares indices que la
veuve de Thiébaut Vil demeura en bonnes relations avec
ses plus proches parents, le comte et la comtesse Vaudé-
mont, quoique sur certains points ses intérêts et les leurs
se soient trouvés en désaccord (3).
(1) Archives de M.-et-M., B, 7i5, n* 62. L'acte est scellé, sur simple
queue, du sceau de tous les personsonnages qui furent les fondateurs
de la confrérie. En tôte se placent Ferry de Lorraine, Marguerite de
Vaudémont et leur fils Antoine, encore enfant en bas-âge; vient ensuite
« Madame Allix de Waudémont, dame de Chastel ». II résulte d'une
lettre du duc Robert de Bar au doge et aux membres de la seigneurie
de Venise, écrite à Bar, le 23 décembre 1396, qu'à cette date on n'était
pas fixé à Bar sur l'étendue du désastre subi par les chrétiens ; il est
très probable que la même incertitude régnait à Vézelise et à Vaudé-
mont lors dos fêtes. de No^^J. {Mélanges historiques, dans la collection
dos Documents inédits: Mas-Latrie, Commerce et expéditions wili-
taires de la France et de Venise au Moyen-Age, III, p. 169). Sur l'in-
quiétude qui régnait à la cour de France où la funeste nouvelle fut
apportée le jour de Noôl, voir E. Jarry, la vie politique de Louis de
France, duc d'Orléans, p. 18^1 et 185.
(i) Quand en 1409, Ferry de Lorraine partit pour l'Orient, ce ne fut
qu'après avoir fait un pèlerinage à Sion avec sa femme Marguerite de
Vaudémont. Le départ eut lieu le 1" avril ; le pèlerinage avait eu lieu
le 25 mars, jour de l'Annonciation. A son retour, en novembre, il
s'arrêta à Saint-Nicolas ; sa femme alla au-devant de lui jusqu'à ce
sanctuaire (Archives de M.-et-M., B. 9701). Les descendants de Ferry
conservèrent pieusement cette habitude des pèlerinages à Sion ; la tra-
dition n'en était point perdue au xvir siècle.
(3) Nous avons la trace de diverses visites que se firent la comtesse
de Vaudémont et la dame de Neufchâtel, notamment en 1409, au mo<
ment où le comte de Vaudémont était parti pour l'Orient. Le 27 mai,
la comtesse, se rendant de Vézelise à Nancy, coucha au château de
Chaligny. Le 28 juin et le 26 septembre, Alix de Neufchâtel se rendit
— 56 -
Ce désaccord apparut surtout lorsque Alice, en 1410, dut
fournir au duc de Lorraine Charles II Taveu et le dénom-
brement de la terre de Chaligny. Il faut remarquer que
c'est seulement à la mort du père d'Alice, le comte Henri
de Joinville-Vaudémont, que Chaligny, après avoir appar-
tenu pendant plus de deux siècles aux comtes de Vaudé-
mont, cessa de relever des seigneurs qui continuaient de
régner à Vézelise et aussi à Pont-Saint- Vincent. Or, entre
Chaligny et Pont-Saint Vincent, il y avait des points de
contact sur lesquels la nécessité d'une délimitation rigou-
reuse ne s'était point fait sentir tant que les deux seigneu-
ries avaient été réunies dans la même main. Depuis qu'elles
étaient séparées, i) était très important de démêler ce
réseau de droits enlacés, en déterminant exactement l'éten-
due du domaine de Chaligny, et surtout la portion, assez
minime, de droits que la dame de Chaligny conserverait
sur Pont Saint- Vincent et la rive gauche de la Moselle. Ce
fut précisément au moment où Alice préparait le dénom-
brement de sa terre de Chaligny, qu'un désaccord se mani-
festa entre elle et les Vaudémont : aussi n'est- il pas témé-
raire de penser qu'à l'occasion de ce dénombrement, Alice
émit des prétentions qui semblèrent exagérées à son frère et
à sa belle sœur. Les différends parurent assez graves pour
que le 3 juillet 1410 ait été tenue, au château de Pont-Saint-
Vincent, une sorte de réunion de famille que les documents
désignent sous le nom de journée contre Madame Alice (1).
à Vézelise. — A son retour, en novembre, le comte de Vaudémont vint
à Pont-Saint-Vinccnt pour demander sa « bienvenue » aux habitants ;
ce fut sans doute l'occasion d'une réunion de famille, car les comptes
attestent que Vaudémont fit donner dix gros au trompette de son
neveu Tbiébaut de Neufchâtel. Le 11 février 1410, Alice de Neufchôtel
était en visite à Vézelise, pendant que son beau -frère voyageait en
France. En cette même année les Vaudémont eurent l'occasion d'en-
voyer à Charmes, « pour savoir des nouvelles de Madame de Cbastel ».
(Archives de M.-et-M., B, 9702, comptes de Vaudémont ; L. Germain,
Ferry /" de Lorraine^ p. 64-67.)
(1) Le "2 juillet litO, c en allât Madame (Marguerite de Joinville,
comtesse de Vaudémont), au Pont-Saint-Vincentpour la journée contre
— 57 —
Après cette journée, la querelle semble apaisée. Un mois
plus tard, Alice servit au duc Charles II le dénombrement
qui ne souleva aucune protestation de la part des Vaudé-
mont.
Le dénombrement ne fut pas seulement présenté au nom
d'Alice ; il porte aussi le sceau de son fils, Tliiébaut VIII,
seigneur de Neufchâtel depuis la mort de son grand-père
Thiébaut VI survenue en 1400, mais seulement héritier
présomptif à Cbaligny et dans les autres domaines de sa
mère. Il semble d'ailleurs qu'Alice ait veillé avec une
extrême jalousie à sauvegarder l'autorité qu'elle possédait
sur ce fils, sur lequel elle avait reporté le meilleur de sa
tendresse et de ses espérances ; elle entendait, avant toute?
choses, que personne ne s'avisât de porter atteinte à cette
autorité. Un fait en donnera la preuve péremptoire. Le
24 janvier 1403, Alice et son fils Thiébaut passaient une
convention, dont l'instrument écrit est parvenu jusqu'à
nous, aux termes de laquelle ils s'obligeaient à habiter sous
le même toit ; l'acte ajoute : « Et sera nostre hôtel et demou-
rance à la disposicion et ordonnance de nous Aelis dessus
dicte. )) La mère et le fils convenaient en outre de n*aliéner
point leurs héritages respectifs sans leur mutuel consente-
ment (1). Or il faut savoir qu'à la fin de l'année 1398, Thié-
Madame de Chastel )). Cette |ournée se tint le 3 juillet au château do
Ponl-Saint- Vincent. Pour cette occasion, les Vaudémont avaient envoyé
un personnel assez nombreux au château de Vézelise, cuisinier, hou
teiller et autres domestiques ; ils y avaient fait transporter une queue
de vin de Beaune : Symon, maire du Pont, fournit du poisson. On
remarque que Monsieur de Chalon (sans doute Jean de ChAlon, sire
d'Arlay) y fut présent (Comptes de Vaudémont pour 1410, Archives de
M.-etM., B, 9702). Dé|à au printemps de 1410 on avait tenu à
Pont-Saint-Vincent une journée « pour le fait de Madame do Chastel
et de Martin le Lombart ». En cette même année, Alice avait des
difflcultés avec « les hoirs Vendegras », de Nancy, « qui se portoient »
contre elle. II semble que le caractère entier d'Alice ait provoqué plus
d'un conflit.
(1) Archives Nationales, K. 1799, copie ancienne. L'acte ne porte
aucune date de lieu. Il a été mentionné par M. l'abbé C. Olivier, Châ-
tel-sur-Moselle avant la Rëvolulion, p. 39, note 2.
- 58 -
haut VIII, encore bien jeune, avait épousé la dernière des
filles du comte Etienne de Moutbéliard, mort peu de temps
auparavant (1). La nouvelle épouse était sans doute très
jeune au moment où fut célébré son mariage. Aussi était-
il temps encore pour Alice, en 1403, de régler la vie
de son fils de façon à réduire à néant Tinfluence que sa
belle-fille pourrait prendre sur lui.
L'histoire ne dit pas quel fut le succès de cette manœu-
vre de belle-mère. Toutefois il est certain qu'Alice et son
fils tinrent en politique la même conduite et s'associèrent
au môme parti. Pendant les premières années du xv* siècle,
la région lorraine et barroise, aussi bien que le royaume
de France, était déchirée par la querelle des Armagnacs
et des Bourguignons ; nul seigneur de quelque impor-
tance ne pouvait se flatter de se réfugier dans une pru-
dente neutralité; il fallait être Armagnac, avec le duc de
Bar ou Bourguignon, avec le duc de Lorraine (2). Le chef
de la famille de Neufchàtel était nécessairement un parti-
san dévoué du duc de Bourgogne ; on verra plus loin que
Thiébaut VIII suivit cette tradition de famille (3). Aussi
(1) Abbél^ye, Hi.'itoire de la seigneurie de Seufchâtel Bourgogne ;
p. 168. La fiancéo apporta en dot à son époux les terres de Marnay, du
Fay, de Lavoncouit, de Méleval et de Poisson. (Sur ce mariage, voir
(lollut. — Duvernoy, col, iOî)l.) A l'appui de l'hypothèse indiqiK^e au
texte, d'après laquelle les époux se seraient mariés très jeunes, on peut
faire remarquer que leur fils atné, Thiébaut IX, le futur maréchal de
Bourgogne, ne naquit qu'en 1416. 11 ne faut nullement s'étonner de la
jeunesse des mariés. On sait que Charles Vil avait dix ans quand fu-
rent célébrées ses fiançailles avec Marie d'Anjou ; les exemples d'unions
ana'ogues sont fréquents à cette époque.
(2) Les documents réunis par le comte de Gircourt (tome XL des Puhlû
cations de la section historique de l'Inatitut de Luxembourg) démon-
trent bien l'union étroite qui dès liOlJ existait entre le duc d'Orléans
et la famille ducale de Bar. Le duc Charles II de Lorraine est, en
revanche, acquis au parti bourguignon. |Cf. E. .larry, la Vie politique
de Louis de France, duc d'Orleans^ p. 133 et s.) C'est seulement dans
les dernières années de sa vie, que Charles II modifiera sa ligne de
conduite et se rapprochera de Charles VIL
(3) Voir ci-dessous, p. 65 et s. En HOli, Alice de Vaudemont et son beau-
frère Ferry de Vaudémont (celui-ci du chef de sa femme Marguerite;
~ 59 —
ne faut-il pas s'étonner de ce qu'Alice ait subi sur ses
propres domaines les conséquences fâcheuses du zèle bour-
guignon de son fils. Nous savons qu'en septembre i4i2
les partisans du duc Edouard de Bar, alors acquis à la
faction des Armagnacs, pillèrent et brûlèrent deux villages
de la dame de Neufchâtel, Marainville et Tantimont (1).
La veuve de Thiébaut VII se plaignit amèrement de ces
déprédations(2); elles lui semblaient d'autant plus injustes
qu'elle-même disait s'être acquittée de tous les devoirs que
lui imposaient les lois de la vassalité à l'endroit du duc
de Bar. En effet, Alice avait renouvelé en août 1412 au
profit du duc de Bar Edouard l'hommage que dès le mois
de février 1400 elle avait prêté à son père, le duc Robert,
pour les seigneuriesT de Châtel sur-Moselle et de Bainville-
aux-Miroirs (3). Cet hommage n'avait pas suffi, paraît il,
pour proléger contre les rancunes des Armagnacs du pays
barrois les possessions de la veuve et de la mère d'un
Neufchâtel.
Si nous avons lieu de croire que Chaligny, à l'inverse
d'autres villages de l'obéissance d'Alice, ne subit pas les
incursions des adversaires du parti auquel elle apparte-
furent inquiétés ù raison de diverses sommes dont feu Henri de Join-
viUe-Vaiidémont, leur père et beau-père, était tenu envers le roi do
France. (Bibl. Nat., Lorraine, 257, fol. 3.) A cette époque, à la cour de
France, sous l'infl nonce du duc d'Orléans, on faisait argent de tout ;
on dut se décider sans grande peine à réclamer une vieille créance à dos
adversaires de la politique de ce prince, d'ailleurs suspects de sympa-
thies lorraines ou bourguignonnes. Cf. E. Jarry, op. cit.j p. 317 et s.
(1) Localités voisines de Charmes (Vosges) et par conséquent peu
éloignées de Châtel-sur-MosclIe et de Bainvillc-aux-Miroirs.
(2) Le 15 septembre 1412, Alice présente un état des dommages
causés par les gens du duc de Bar, à Marainville et à Tantimont,
quoiqu'elle eût fait hommage au duc trois semaines auparavant, pour
ses domaines de Châtel et de Bainville. A Marainville, les dommages
résultant de l'incendie et du pillage s'élèvent à 5211 florins 9 gros; à
Tantimont, ils s'élèvent à 656 florins 5 gros. (Bibl. Nat., Lorraine, 380,
fol. 23et 2i.)
(3) L'hommage, requis des le 13 octobre 1398 (Inventaire Dufourny,
Bibl. de Nancy, IV, p. 96), fut prêté les 8 et 9 février 1400, pour Châtel-
sur-Moselle et Bainville-aux-Miroirs (Archives de M.-et-M., B,35l, fol. 1 )
— 60 —
nait, nous devons reconnaître, d'autre part, que nous
sommes fort médiocrement informés sur la conduite
qu'elle tint dans l'administration de son domaine (1).
L'historien de Châtel-surMoselle croit pouvoir déduire de
l'examen de nombreux documents qu'Alice « parait s'être
montrée modérée » dans le gouvernement de sa terre de
Châtel (2). A supposer que cette conclusion soit pleine-
ment justifiée, il ne serait pas téméraire de l'étendre au
gouvernement d'Alice à Chaligny ; mais, encore une fois,
la pénurie de témoignages directs ne nous permet que de
formuler sur ce point des conjectures.
Alice mourut vraisemblablement au mois de juin de Tan-
née 1413 (3). Il est probable que c'est à Chaligny que la
(1) Signalons en passant un acte de l'administration d'Alice : le
22 août 1403, JofTroy de Nancey, cheyalier, sire de la Ferté, fait hom-
mage à Alice de Vaudémont, « à cause de son chastel et chastellenie
de Ghaligney », de trente livres de revenus « ^ prendre chascun an
sur les profits et yssues du ban de Ghaligney ». Il se déclare homme
lige d'Alice, sauf ses obligations vis-à-vis de l'évèque de Metz et
de « M. de Saulmes » (Salm). « Et de ce doit estre le maire du
ban de Ghaligney en ma fautey. » (Archives de M.-et-M., B, 351,
fol. 17.— Sur Joffroy de Nancey, châtelain d'Yvoix, voyez tome XL des
Publications de la section historique de l'Institut de Luxembourg,
p. 156-157).
(2) Abbé Olivier, Châiel-sur-Moselle avant la Révolution, p. 39 et
40. Les actes du gouvernement d'Alice y sont malheureusement analysés
très sommairement, quoique l'auteur y fasse allusion on termes géné-
raux à des actes nombreux dont il a eu connaissance. On verra plus loin
que le testament d'Alice n'indique pas qu'elle ait eu l'âme très géné-
reuse.
(3) Je déduis cette date des indications contenues dans la note sui-
vante, qui concernent la présentation du testament d'Alice à l'officialité
de Toul. Une autre observation confirme cette conclusion. Alice était
certainement morte le 2 août 1413, date où Thiébaut VIII prend dans
un acte le titre de seigneur de Châtol-sur-Moselle ; or, comme cette,
seigneurie venait des Vaudémont et appartenait à Alice, Thiébaut VIII
n'en a porté le titre qu'après la mort de sa mère, (.\rchives Natio-
nales, K, 1798 : recueil moderne d'actes tirés du Gartulaire de Neuf-
châtel ; l'acte auquel je fais allusion est indiqué comme transcrit au
fol. 202 du cartulaire original. Il suffit de parcourir ce cartulaire pour
se convaincre qu'avant 1413 Thiébaut VllI ne s'intitule pas seigneur
de Châtel-sur-MoselIe.)
— 61 —
mort la frappa ; au moins est-ce en ce lieu qu'elle fit son
testament, reçu par le curé de la paroisse, Messire Richard,
à qui incomba Tobligation de le présenter à Tofficial de
Tout après la mort de la testatrice. Le curé de Chaligny
s'acquitta de cette mission dans les derniers jours de juin.
L'acte dont les dispositions furent alors connues était
bref (1). Après y avoir élu sa sépulture devant le grand
autel de l'église de Clairlieu^ où elle fonda un anniversaire
pour le repos de son âme et de celle de son mari, après
avoir adressé un legs médiocre aux Frères Prêcheurs de
Nancy, après avoir recommandé à son exécuteur testa-
mentaire, qui n'était autre que son fils aîné, d'acquitter
toutes ses dettes, après avoir révoqué ses testaments an-
térieurs, Alice de Yaudémont-Joinville se borna à ajouter
deux dispositions, qui, toutes deux, concernaient Chali-
gny. Par l'une, elle donnait aux pauvres veuves du ban
de Chaligny dix réseaux de froment, « pour tant, ajoute-
t-elle, qu'elles soient tenues de prier pour l'âme de mi ».
Par l'autre, elle léguait « à l'église parrochialle de sa
dicte ville de Challigney et à Messire Richart, curei », une
somme de dix livres destinée à être employée à l'achat de
terres ou de cens « pour estre ens biens fais de la dicte
église et pour faire son anniversaire en icelle chascun
an ». Ce sont là tous les legs du testament d'Alice : ils sont
assez maigres si on les compare aux legs pieux qui forment
une portion importante d'un grand nombre de testaments
de la même époque (2).
(1) On trouve une copie de ce testament, faite au xvi' siècle ou au
commencement du xviii*, dans les Archives de M.-et-M., B, 3932. Il y
en a une autre expédition, plus ancienne, au même dépôt, fond de
l'abbaye de Glairlieu, H, 493. L'original fut présenté à l'ofGcial de Toul
par Messire Richard, curé de Chaligny, notaire de la cour d'officialité.
qui avait reçu le testament et y avait apposé son signet. A la relation
du notaire, l'offlcial y apposa le sceau de la Cour, le 26 juin 1413. U
en délivra une expédition à l'abbaye de Glairlieu le 4 février 1414.
(2) Voyez, par exemple, le recueil de testaments publié par M. A.
Tuetey dans la collection des Documents inédits de l'Histoire de
— 62 -
Si, comme il est permis de le présumer, Alice mourut à
Chaligny, c'est par les chemins verdoyants de la forêt de
Haye que son corps fut conduit à sa dernière demeure.
Tous les ans, jusques à la Révolution, les moines blancs
célébrèrent le service qu'avait fondé Madame Alice (1) et
allèrent prier sur sa tombe. A cette date, à travers les ra-
mures de la forêt, passait le glas funèbre que sonnaient
les cloches du couvent, évoquant, avec le souvenir de la
dernière née des Vaudémont et des Joinville, celui du che-
valier tué dans la grande bataille contre Bajazet. Je ne sais
si le service institué dans l'église de Chaligny fut célébré
avec la même régularité. Au moins eût-il été juste que les
habitants de Chaligny gardassent la mémoire d'une de
leurs maîtresses qui habita quelquefois au milieu d'eux,
et qui, si peu libérale qu'elle se soit montrée d'ailleurs,
leur donna, dans son testament, un suprême témoignage
de son affection.
France, sous co titre : Testaments enregistrés au Parlement de Paris
sous le règne de Charles VI.
(1) Conformément au testament, les sommes affectées annuellement
à ce service étaient prélevées sur les recettes de la terre de Chaligny.
CHAPITRE III
Période des Neufchàtel (1413-1559)
SOMMAIRE
I. Premières années de Thiébaut VIII. — Division.
II. Rôle politique de Thiébaut VIH de Neufchâtei ; part qu'il prend à
la lutte des Bourguignons contre les Armagnacs. — Guerre de Thié-
baut contre les Bâlois. — Rôle de Thiébaut dans la guerre de la Suc-
cession de Lorraine. — Pillage de la terre de Ghaligny ; prise de la
forteresse par les partisans de René d'Anjou.
m. Thiébaut IX, maréchal de Bourgogne : ses débuts ; il rompt avec
René d'Anjou et son fils Jean de Calabre. — Hospitalité offerte par
lui, à Ghâtel-sur-Mosclle, au dauphin Louis ; passage du dauphin
en Lorraine.
IV. Ambition des Neufchâtei, qui menacent la Lorraine. — Guerre entre
Thiébaut IX et le duc de Lorraine à propos d'Épinal. — Succès des
Lorrains ; prise et destruction du château de Ghaligny.
V. Mort de Thiébaut IX : son fils Henri de Neufchâtei lui succède. —
Le duc de Lorraine, qui a confisqué Ghaligny, en dispose à deux
reprises. — Fin de la guerre entre la Lorraine et les Neufchâtei
(décembre 147â) ; restitution â Henri de Neufchâtei de Ghaligny et
d'autres domaines saisis par le duc.
VI. Vicissitudes que subit le domaine de Ghaligny jusqu'à la bataille
de Nancy. — Ghaligny est de nouveau saisi par le duc de Lorraine.
— Henri de Neufchâlel est pris par les Lorrains à la bataille de
Nancy.
VII. Ghaligny est concédé par René 11 â Oswald de Thierstein. — Traité
pour la délivrance de Henri de Neufchâtei, qui passe au service de
la France ; acquisition, par Louis XI, de la suzeraineté de Ghâtel.
— Tentatives infructueuses de Henri pour recouvrer Ghaligny et
Bainville-aux-Miroirs.
VIII. Les Thierstein, maîtres de Glialigny en vertu d'une gagière. —
En 1330, l'héritière des Neufchâtei recouvre Ghaligny, qui passe par
succession aux Isembourg, puis aux Waldeclt. — En 1559, la terre de
Ghaligny est vendue à Nicolas de Lorraine, comte de Vaudémont.
IX. Événements de l'histoire de Ghaligny pendant la première moitié
du xvi* siècle. — Tendances centralisatrices du gouvernement lor-
rain.
I
A la mort d'Alice de Vaudémont- Joinville, survenue en
1413, la seigneurie de Ghaligny, avec les autres domaines
— 64 -
de la défuDle, dont les plus importants étaient, comme on
Ta vu, Châtel-sur-Moselle et Bainville-aux-Miroirs, passa
à son fils Tbiébaut VIII, que la mort de son grand-père
paternel Thiébaut VI avait fait, depuis liOO, le chef de la
puissante maison de Neufchâtel (1). Les membres de cette
maison devaient conserver la terre de Chaligny jusques au
milieu du xvi^ siècle. Pendant celle période, ce sont des
étrangers qui régnent à Chaligny : jusques à la mort de
Charles le Téméraire, ils sont soumis à Tinfluence des ducs
de Bourgogne. Aussi Chaligny subit plus d'une fois, à cette
époque, les conséquences d'une politique inspirée par Tin-
lérét des Neufchâtel ou de leurs maîtres bourguignons,
mais dont la région de la Haute-Moselle n'eut guère à se
louer.
Thiébaut VIII avait, dès la fin de 1397, épousé Agnès
de Montbéliard ; nous avons lieu de croire, ainsi qu'on
l'a dit plus haut, que l'un et l'autre étaient très jeunes
quand ils s'engagèrent mutuellement leur foi (2). En tout
cas, dès le printemps de 1402, Thiébaut avait certaine-
ment atteint la majorité féodale (14 ou 15 ans), car il
procède à des actes d'affranchissement qu'un mineur
n'eût pas été capable d'accomplir. La liste de ses actes,
qui a été dressée par son historien (3), atteste à la fois
l'activité de son administration et l'opulence de sa fortune.
On sait déjà que sa mère, Alice de Vaudémont, s'était
efforcée, avec une jalousie extrême, de le soustraire
à toute autre influence que la sienne : on sait aussi que,
du vivant même d'Alice, il avait pris position parmi les
(1) Thiébaut VI vivait encore le 26 janvier 1400. (Archives Nationales,
K, 1798, d'après le fol. 199 du cartulaire original.) l\ était mort en 1401.
En septembre 1401, Thiébaut VIII s'intitule: seigneur de Neufchâtel,
damoisel. {Ibid., d'après le fol. 195.) Le 28 septembre 1402, il prend le
même titre. {Ibid., d'après le fol. 193.) Il ne porte plus, dès 1405, le titre
de damoisel.
(2) Voir ci-dessus, p. 58.
(3) Abbé Loye, Histoire de la Seigneurie de Neufchâtel- Bourg ogne,
p. 161 et s.
- 65 -
partisans fidèles du duc de Bourgogne, Jean-Sans-Peur.
En 1404, il figure à la suite du duc lors de la brillante
entrée que ce prince fit à Dijon; en 1405, alors qu'il ne
porte encore que le titre d'écuyer, il fait partie de Tarmée
que Jean-Sans Peur réunit à Arras afin de marcher sur
Paris (( pour le bien du roi et du royaume (1) ». Â dater de
1410, on le trouve mêlé aux campagnes successives des
Bourguignons en France; c'est ainsi qu'en 1411, il fait
partie d'une armée, composée de Bourguignons et de Lor-
rains, qui ravage les terres du comte de Tonnerre (2) ; un
peu plus tard, vers l'automne de cette même année, il est
l'un des chefs de la garnison bourguignonne qui, sous les
ordres de Jean de Châlon, essaie inutilement de défendre
Saint-Denys contre les Armagnacs (3). Ce zèle bourguignon
dont faisait preuve Thiébaut VlII, avait valu, on l'a dit
plus haut, à Alice de Vaudémont le pillage de quelques-
uns de ses domaines lorrains. Chaligny avait eu l'heur d'y
échapper cette fois ; on verra qu'il n'en fut pas toujours
ainsi.
De 1413 à 1459, date de sa mort (4), Thiébaut VIII fut
(i) Dom Plancher, Histoire de Bourgogne, III, p. 577. Cf. Sur cet
armement, E. Jarry, La vie politique de Louis de France, duc d'Or-
léans, p. 334. C'est le 4 juin 1407 que Thiébaut VIII rendit hommage à
Jean sans Peur pour ses terres de Comté. Archives 'Nationales, K, 1799.
(2) Religieux de St-Denis, IV, p. 491.
(3) Ibid., p. 503. Voir, sur ces événements divers, Gollut-Duvemoy,
col. 916, 941, 944, 949, 9G2, et passim.
(4) D'après un passage de Mathieu d'Escouchi (édition de Beaucourt,
dans les publications do la Société d»3 l'Histoire de France, I, p. 351),
Thiébaut VIII serait mort en 1451. Or, il est certain que Thiébaut VIII
vécut plus longtemps. Kn 1453. son fils atné ne porte encore que le titre
de seigneur de Blâment, et non celui de seigneur de Neufchâtel ; c'est dire
que son père n'est pas mort. (Voir une lettre du 21 juillet 1451, dans l'édi-
tion précitée de d'Escouchi, III. pp. 421-423 ; joignez-y la menUon de
l'aide faite en novembre 1453 a à Monsieur do Blâment, maréchal de Bour-
gogne ». Archives de M.-et-M.. B, 608, n" 9.) Il est certain, d'ailleurs,
que Thiébaut VIII vivait encore le 10 janvier 1456. comme cela résulte
d'une lettre accordant en son nom divers avantages aux habitants
de Chavigny (Archives de M.-et-M., B, 3932). On peut donc adopter
pour la date de sa mort le 21 mai 1459, conformément à l'avis de
5
— 66 —
maître de la seigneurie de Chaligny, très faible partie
de grands domaines dont la portion principale com-
prenait les terres patrimoniales des Neufchâtel en Comté,
tandis qu'une autre portion était composée de biens lor-
rains, barrois ou champenois provenant de la succession
des Vaudémont et des Joinville. Du vivant même de Thié-
baut VIII, quelques-unes de ses possessions furent d'avance
attribuées par lui à ses enfants. Ainsi, Chaligny, mis par
anticipation dans le lotdeJean,lelîlscadetdeThiébautVIII
(le même qui, après la mort de son oncle Jean, devait
relever les titres de Montaigu et Reynel), fut, plus tard,
en 1447, assigné à Tainé de la famille, Thiébaut IX, maré-
chal de Bourgogne depuis 1443 (1). A dater de cette époque,
les documents nous montrent cette terre soumise à Tauto-
rité conjointe « de Messire Thiébault le viel et de Messire
Thiébault son fils »,
En réalité, ces dernières années du règne nominal de
« Thiébaut le Viel » à Chaligny semblent plutôt appartenir
au gouvernement effectif de son fils (2). Ce gouvernement
se prolongea, après la mort de Thiébaut VIII, jusques à
l'année 1469, date de la mort de Thiébaut IX : si bien que
l'on peut diviser l'histoire de Chaligny sous ces deux
seigneurs en trois périodes : la première, celle du gouver-
nement personnel de Thiébaut VIII, s'étend de 1413 à 1447;
la seconde, qui va de 1447 à 1459, est occupée par le gou-
M. l'abbé Loye (op, ciL^ p. 173; le P. Anselme propose 1458). Quant au
titre que Thiébaut IX prend après la mort de son père, voir par exemple
l'acte du 27 février 1461 où il s'intitule seigneur de Châlel-surMoselle
{Publications de la section historique de l'Institut du Grand-Duché
de Luxembourg^ XXXI, année 1870 : table des chartes concernant Phi-
lippe le Bon, par Wurth-Paquet, n» 109).
(1) Acte date de Gy, 31 octobre 1447, où Jean, en échange d'une
pension, renonce à divers fiefs, parmi lesquels figure Chaligny. (Ar-
chives Nationales, K, 1799.)
(2) Sur la désignation dans les actes de Thiébaut le jeune conjointe-
ment avec Thiébaut le vieil, voir l'acte concernant Chavigny, cité plus
haut, p. 65, note 4. Voir aussi ci-dessous, p. 80.
— 67 —
vernement collectif de Thiébaut le Vieil et de Thiébaut
le jeune ; la troisième, de 1459 à 1469, correspond au
gouvernement personnel de Thiébaut IX.
II
Ainsi qu'il était facile de le prévoir, Thiébaut VHI ne se
montra pas moins chaud bourguignon, après la mort de sa
mère, qu*il ne Tavait été du vivant d'Alice. En suivant
cette politique, il se trouvait d'ailleurs en étroite union
non seulement avec son oncle paternel, Jean de Neufchâtel,
seigneur de Montagu, l'un des plus considérables parmi
les partisans de Bourgogne, mais avec le beau-frère de sa
mère. Ferry de Vaudéraont (le même qui devait bientôt
périr à Azincourt) et avec le duc Charles II de Lorraine,
son suzerain pour Chaligny. En 1417, sous les drapeaux de
Jean sans Peur, il fait campagne dans le centre de la
France (1). En 1418, quand la faction bourguignonne a
réussi à s'emparer de la personne du roi, Jean sans Peur
saisit avec empressement l'occasion de remplacer les
grands officiers de la couronne par des partisans dévoués
de sa cause (2) ; c'est alors que Thiébaut VIII est nommé
grand maître de l'hôtel royal, en même temps que son oncle
Jean de Montagu est investi de la charge de grand bou-
teiller, et que la charge de connétable, vacante depuis la
mort du comte d'Armagnac, est offerte au duc de Lorraine,
encore fervent bourguignon (3). Le 11 juillet 1419, Thiébaut,
(1) On peut notamment constater sa présence, k côté de son oncle, au
siège de Nogent, place prise par les Bourguignons en juillet 1417 :
dom Plancher, III, p. cccvi.
(2) Beaucourt, op. cit., I, p. 359.
(3) Duvcrnoy (note sur Gollut, col. 1050), suivi par M. l'abbé Loye
(p. 169) dit qu'en 1418 Thiébaut fut envoyé par Jean sans Peur en ambas-
sade auprès des rois de Gastille et d'Aragon. Il donne comme référence
Ferreras, Histoire générale de V Espagne, VI, p. 226. Je me suis reporté
à cet ouvragd, où, à la page indiquée, n'est pas faite la moindre men-
tion du duc de Bourgogne ni de ses ambassadeurs.
— 68 —
avec son oncle de Montagu, fit partie du petit groupe de
chevaliers bourguignons qui accompagnèrent Jean sans
Peur lors de son entrevue avec le Dauphin au Ponceau,
près de Melun, et confirmèrent par leur serment le traité
conclu entre les deux adversaires (i). A la vérité il ne figure
pas, deux mois plus tard, parmi les compagnons du duc à
la fatale entrevue de Montereau ; il n'en est pas moins vrai
que, pendant ces années si tristes de notre histoire natio-
nale, ThiébautVIII tient sa place au premier rang des par-
tisans de Bourgogne, qui désormais, jusqu'au traité d'Ar-
ras, seront les fidèles alliés des Anglais.
Bientôt la fortune l'appelle à représenter du mène coup
les intérêts bourguignons et les siens sur un autre
théâtre (2). Dans la famille de Neufchàtel, comme dans
nombre de familles aristocratiques, on connaissait fort
bien l'art d'exploiter les hautes prélatures ecclésiastiques,
surtout les riches évéchés. C'est ainsi qu'on avait réussi,
en 1399, à faire élire à l'évêché de BAle un frère cadet de
Thiébaut VII, qui portait le nom de Humbert (3). Cette
élection était contraire à toutes les traditions : Humbert
était un pur Welche, c'est-à-dire un Français de Bour-
gogne, incapable de se faire comprendre d'iin Allemand.
On devine que son élection ne donna qu'une satisfaction
médiocre à beaucoup de ses diocésains. Ajoutez à cela que,
par suite d'une administration financière déplorable, il fut
réduit à mettre en gage la plus grande partie de son
temporel. Or le créancier gagiste qui devint, parce coup
de fortune, le maître des terres de l'évêché de BAle, ne fut
autre que Thiébaut VIII, le neveu de l'évêque. Après quel-
ques années le jour vint, et il devait venir, au grand
(l) Beaucourt, Histoire de Charles Vil, I, p. 149; GoUut Duvernoy,
col. 1132
(22) Sur ces événements, consulter l'excellent ouvrage de M. Louis
StoufT, les origines de l'annexion de la Haute-Alsace à la Bourgogne
en U69 (Paris, 11X)1, in-8») ; voyez surtout p. 7 et s. ; p. 84 et s.
(3) Loye, op. cit., p. 187.
— 69 —
déplaisir du sire de Neufchâtel, où Je successeur de
Humbert voulut libérer les domaines de son église. Pour
triompher des résistances calculées de Thiébaut VIII,
révoque Jean de Fleckenstein, d'origine alsacienne, d'ail-
leurs résolument soutenu par son chapitre, fut contraint
de recourir à la force ; il y eut guerre ouverte contre
l'église de Bâle et Thiébaut de Neufchâtel. Or déjà les pro-
grès de la Bourgogne dans ces contrées excitaient la jalousie
de la maison d'Autriche, influente en Alsace et dans les
régions voisines ; les seigneurs dévoués à l'Autriche se
hâtèrent de venir au secours des Bâlois, tandis que l'aris-
tocratie des deux Bourgognes suivait Thiébaut VIII, à la
cause duquel le duc Philippe le Bon portait un vif intérêt.
Ainsi se trouvèrent en présence deux partis, l'un bour-
guignon, dirigé par le sire de Neufchâtel, l'autre autri-
chien autant que bâlois, commandé par Jean de Thierstein,
membre d'une noble et puissante famille du Jura, que
nous retrouverons plus tard, toujours rivale des Neuf-
châtel, dans l'histoire de Ghaligny. La lutte fut longue
et meurtrière ; Thiébaut VIIÏ y acquit la réputation d'un
capitaine actif, hardi et impitoyable, quoiqu'il y ait essuyé
plus d'un revers La campagne de l'automne de 14251ui fut
particulièrement funeste(l) ; ses domaines de Comté furent
ravagés impitoyablement, Héricourt tomba le H novembre
aux mains des ennemis, et Thiébaut fut fait prisonnier.
Aussi, conformément au droit féodal, les habitants de
Ghaligny furent imposés pour payer sa rançon. On con-
serve encore au Trésor des Chartes de Lorraine (2) le
rôle de l'aide levée en décembre 1425 au profit de Thié-
baut VIH (( pour le fait de sa guerre contre l'évêque de
Bâle » ; soixante sept contribuables de Chaligny, onze de
Neuves Maisons et quarante de Chavigny fournirent alors
des sommes proportionnées à leurs fortunes respectives.
(1) Gollul-Duvernoy, col. 1074.
(2) Archives de M.-et-M., B, 608, d« 9.
- 70 —
Mais ce n'était pas seulement par les contributions qu'ils
supportaient que les habitants du domaine de Chaligny
payaient l'honneur d'être les sujets des Neufchâtel. A la
mort du duc de Lorraine Charles II, survenue en 1431,
Thiébaut avait paru se soumettre au successeur que
Charles s'était donné dans la personne de son gendre le
duc de Bar, René d'Anjou ; le dimanche de Quasimodo de
l'année 1431 (8 avril), Thiébaut rendait à ce prince l'hom-
mage qu'il lui devait pour Châtei-sur-Moselle et Bainville-
aux-Miroirs (1). Sans doute cet hommage s'adressait au
duc de Bar, et non au duc de Lorraine ; mais le fait qu'il
fut rendu à ce moment implique que le sire de Neufchâtel
ne se trouvait pas en état d'hostilité ouverte contre René
d'Anjou. Bientôt il en devait être tout autrement: dès
qu'Antoine de Vaudémont réclama le duché de Lorraine à
rencontre des prétentions de René, qui reposaient sur la
succession féminine, Neufchâtel se rallia à la cause
d'Antoine. Il subissait en cela l'irrésistible influence des
allinités politiques. Tout ce qui tenait à la faction française
se rangeait autour de René d'Anjou, le beau-frère de
Charles VII ; tout ce qui se rattachait, de près ou de loin, à
la politique bourguignonne prenait, comme Philippe le
Bon lui-même, le parti du comte de Vaudémont.
Ici encore, le cadre restreint de celte étude ne saurait
comporter un récit de la lutte qui s'ouvrit par la bataille de
Bulgnéville, si funeste à René. Ce qu'il importe seulement
de faire remarquer, c'est qu'il y avait dans la région de la
Meuse deux partisans redoutables de la cause de René
d'Anjou. L'un, Robert de Baudricourt, capitaine de Vau-
couleurs, fut célèbre par le rôle qu'il joua dans l'histoire
de Jeanne d'Arc : Tautre, Robert de Sarrebrûck, le terrible
damoiseau de Commercy, peut être considéré comme « le
type achevé de ces grands seigneurs sans foi ni loi qui ne
(1) Archives de M.et-M., B, 351, fol. 7 et 8.
— 71 —
vivaient que pour la chasse, la débauche et le brigan-
dage (1) ». Le damoiseau avait jadis combattu sous les
drapeaux armagnacs ; puis il avait faussé compagnie à
Charles VII, auquel le sire de Baudricourt était demeuré
fidèle ; voici maintenant qu'il retrouvait son ancien com-
pagnon d'armes pour lutter contre les partisans unis du
comte de Vaudémont et du duc de Bourgogne. Baudri-
court et Sarrebrûck se jetèrent sur les domaines lorrains
et barrois de Thiébaut de Neulchàtel, qu'ils ravagèrent,
ou, comme on disait alors, qu'ils « coururent » impitoya-
blement pendant plusieurs années, à partir de 1431. Nous
sommes renseignés sur les dommages qu'ils causèrent par
un document assez précis ; je n'en détache que les parties
qui concernent la terre de Chaligny (2).
Dès le mois d'août 1431, les soldats de Commercy et de
Vaucouleurs donnent aux habitants de Chaligny un avant-
goût de leur manière d'agir en enlevant dans ce village
deux chevaux « en valeur de vint florins d'or ». Elles re-
viennent en juillet 1433, et cette fois leurs déprédations
sont plus graves : les ennemis se livrent au plaisir de
(( courir le ban », si bien « qu'en ce faisant fut tuez un
homme dudit Chaligney, appelle Girard Jacambal (3), et en
fut par eulx menez tant en bestes comme en chevalx pour
la valeur de bien mile et deux cens florins ». Au mois
d'août ils reparaissent et ne se retirent qu'en emmenant
des bétes (( pour la valeur de cinq cenz florins ». Il est vrai
{!) s. Luce, Jeanne d'Arc à Domremy^ p. lxxvi.
(2) On trouvera cet état des dommages à la Bibl. Nat., Lorraine, 386,
fol. 15, 2:2 et ss. 11 a été publié en partie par S. Luce, dans l'ouvrage
précité, p. 262 et s. — On verra dans cet état comment Chamagne,
Balnville-aux-Miroirs, Marainville, et les autres villages appartenant
aux Neufchâtcl furent cruellement ravagés.
(3) Le rôle, cité plus haut, de l'aide de 1425 perçue à Chaligny pour
la rançon de Thiébaut VIII mentionne unGirart Jacambaz, qui est im-
posé à raison de 5 florins, c'est-r'i-dire de la contribution maximum
(Archives de M.-et-M., B, 608, n» 9). C'était donc tout au moins un
paysan aisé.
— 72 —
de dire qu'en cette même année 1433, le sire de Neufchâtel
avec d'autres Bourguignons menait bonne guerre contre le
damoiseau du côté de Langres (1).
L'année 1434 fut plus terrible que la précédente. En
juin, les bandes de Vaucouleurs et de Commercy enlèvent
du bétail pour mille florins ; en juillet et en août, pour
huit cents florins. Plus tard, dans ce même mois d'août, le
pillage fut complet : non seulement « tout le bestial » et
tous les bons meubles furent pris et emmenés, maisencore
les ennemis se saisirent de « plusieurs corps d'ommes »,
c'est-à-dire de plusieurs habitants, qu'il fallut racheter au
prix de cent vingt florins d'or. Le dommage causé à Chali-
gny par cette nouvelle razzia fut estimé à deux mille florins
d'or. Pour comble de malheur, le village désolé dut loger
pendant deux jours et demi, au mois de septembre, le voué
d'Epinal à la tête de 140 chevaux. Les protestations des
officiers seigneuriaux ne purent détourner ce fléau, qui
coûta à Chaligny trois cents florins de dommages. Enfin,
en mai 1435, les pillards habituels de Chaligny, aidés de
(( Messire Aubert Dorchetz )) qui déjà avait été leur auxi-
liaire l'année précédente,emmenèrentpoursix cents florins
de bétail « tant en bestes grosses et menues et chevaux ».
Il semble que la paix d'Arras, conclue en 1435, en
mettant fin aux querelles entre Bourguignons et Français,
ait assuré quelque repos aux populations si cruellement
éprouvées par ces destructions systématiques. Mais en
Lorraine cette paix ne fut qu'une trêve ; la guerre de
succession^ qui mettait aux prises René d'Anjou et le
comte de Vaudémont, ne 'devait pas tarder à se rallumer
plus terrible. De leur colline, les habitants de Chaligny
purent assister aux déprédations commises à Pont Saint-
Vincent qui appartenait à Antoine de Vaudémont; à trois
lieues de Chaligny, tout le comté de Vaudémont souffrait
(i) Le Febvre de St-Remy (Edition de la Société de l'Histoire de
France), II, p. 279.
— 73 —
de la « pestilence » des guerres, suivant l'énergique
expression d'un compte de cette époque (1). Forcément
Thiébaut VIII se trouva engagé dans la lutte au profit de la
cause de Vaudémont. A cette époque se produisit un évé
nement qui nous est connu seulement par les doléances
dont il fournit le thème, un quart de siècle plus tard, au
fils de Thiébaut VIII, alors qu'il cherchait des motifs de se
quereller avec le gouvernement lorrain (2). J'essaierai de
dégager cet événement des réclamations formulées par
Thiébaut IX, ainsi que de la réponse qu'y fit li^ Conseil de
Lorraine, en rapprochant ces documents des indications
que nous trouvons dans l'histoire des luttes qui déchiraient
alors le pays.
Un fait est certain : au cours des guerres entre Loiraine
et Vaudémont, un chef de bande, nommé Guillaume
d'Estrosse, s'était emparé de la forten^sse de Chaligny et y
avait commis des actes de pillage. Ce capitaine était un
partisan, avoué ou secret, de René d'Anjou : s'il n'en eût
été ainsi, nul ne se serait avisé de rendre le gouvernement
lorrain responsable de ses actions. Or, sitôt après l'événe-
ment, Thiébaut VIII, alors seigneur de Chaligny, s'adressa
au conseil de Lorraine, pour réclamer d'abord la restitu-
tion de la place, et en outre des dommages et intérêts. La
(1) Archives de M.-et-M., B, 9705. En 1438 et 1439, le comté de Vau-
démont est cruellement ravagé par les Lorrains : Jehan de Haussonville
y conduit les troupes de René, qui y font beaucoup de mal. Un compte
nous apprend que lui et ses « complices » ont brûlé Dollecourt et sans
doute beaucoup d'autres villages. En 1439-1440, la plupart des villages
du Vaudémont et PontSt- Vincent sont tellement éprouvés qu'on ne
peut plus y payer les redevances dues au comte de Vaudémont. La place
de Vaudémont était occupée par une forte garnison (Archives de M.-et-
M., B, 9704 et 97(X)).
i'i) Voir a l'advis des gens du Conseil de Lorraine pour respondre à
aucuns poins contenus en lettres que le mareschal de Bourgogne a
escriptes au Roy de Sicile ». Ces réclamations datent vraisemblable-
ment d'une époque voisine de la querelle du maréchal avec le gouver-
nement lorrain à propos d'Epinal, entre 1466 et 1467. Voir ce document
à la Bibl. Nat., Lorraine, 386, fol. 48.
— 74 —
restitution lui fut accordée sans difficulté ; dès que le roi
de Sicile fut ioformé, par Tintermédiaire de ses conseil-
lers, de l'exploit de Guillaume d'Estrosse, il fit remettre
Chaligny à son légitime seigneur, « par ce que s'estoit des
fieds de Lorraine ». Quant aux dommages et intérêts, au
cours de pourparlers qui eurent lieu dans une assemblée
tenue à la collégiale Saint-Georges de Nancy, où le conseil
de Lorraine eut pour porte-paroles Jean de Haussonviile,
le gouvernement ducal refusa de s'en reconnaître débiteur.
En effet, Guillaume d'Estrosse n'était, au dire des Lorrains,
ni le vassal ni le sujet de René ; il agissait de son chef,
(( à son adventure de guerre formelle, à votre feu père
(Thiébaut VIII), pour certains dommages qu'il disoit lui
avoir esté faits à Ferrières et ailleurs ». La thèse lorraine
est très claire ; Chaligny a été pris au cours d'une guerre
privée entre Thiébaut VIII et Guillaume d'Estrosse, qui
n'est point sujet lorrain. Aussi le gouvernement lorrain a
satisfait à toutes ses obligations en assurant la restitution
de la place ; il ne doit rien de plus au sire de Neufchàtel.
Cette prise de Chaligny est nécessairement postérieure
à 1435, puisqu'elle n'est pas mentionnée dans la liste,
précédemment analysée, des malheurs de Chaligny entre
1431 et 1435. Il semble raisonnable de la placer à l'époque
où la guerre se ralluma entre René d'Anjou et Antoine
de Vaudémont, c'esl-à dire entre 1438 et 1440. En efîet,
il est à remarquer qu'au fort de cette lutte, le gouver-
nement ducal prit à sa solde, avec le consentement du
roi de France, un certain nombre de chefs de bandes,
connus sous le nom d'Ecorcheurs, qui vinrent en Lorraine
sous le commandement de La Hure ; parmi ces chefs
figuraient deux personnages appelés Paul et Guillaume
d'Estrac (1). Nous savons d'ailleurs qu'à la fin de 1438 et
(1) Voir sur cet épisode, Tuetey, les Ecorcheurs, tome I". On trou-
vera sur les sommes données à La Hure et à ses compagnons, d'abon-
dants renseignements aux Archives de M.-et-M., à la (in du compte
-^ 75 —
en 1439 les d'Estrac étaient en garnison à Ormes, non loin
d'Haroué, à moins d'une journée de marche de Chaligny ;
nous savons enfin que tout au moins le fils du seigoeur de
Chaligny, Thiébaut IX, avait eu maille à partir avec les
Ecorcheurs (l).
Il est donc permis de conclure de ces diverses observa
tions que le personnage désign.é sous le nom de Guillaume
d'Estrosse dans des documents rédigés plus de vingt-cinq
ans après les événements doit être confondu avec Técor-
cheur Guillaume d*Estrac. Ce Guillaume d'Estrosse se
plaignait de dommages que lui aurait infligés le sire de
Neufchàtel à Ferrières, et prétendait en tirer vengeance
lorsqu'il attaqua Chaligny : or, parmi les domaines des
Neufchàtel, venant des Joinville, se trouvait un village de
Ferrières, fondé au xiii« siècle par le bon sénéchal dans sa
forêt de Mathons (2). En somme, il est très vraisemblable
que la forteresse de Chaligny fut, pendant quelque temps,
en 1438 ou 1439, au pouvoir d'un chef de bande, Guillaume
d'Estrosse ou d'Estrac, qui s'en était rendu maître à la fois
pour venger son injure personnelle et pour servir la cause
du roi René. Des pillages continuels et une visite des
côté dans la série B sous le n* 967. Les deux ecorcheurs portant lo
nom d'Estrac étaient appelés souvent le grand et lo petit Estrac.
Voyez aussi : Lepage, Extrait des comptes du receveur général de
Lorraine relatifs à la seconde guerre entre René /•' et Antoine de
Vaudémont^ dans la Collection des Documents sur VHistoire de
Lorraine. - En 1438, « Lestracque » est capitaine d'Ormes (p. 138 et
151). Les deux frères Lestrac sont « retenus » au service du roi
René, du M mai au 11 août 1439 (p. 150 et 151). — Estrac ou Destrac
était très impérieux quand il réclamait sa solde : il n'était pas facile
de lui faire « avoir pacience » (p. 151).
(1) Cf. Tuetey, Les Ecorcheurs, I, p. 16 et 17.
(2) J. Simonnet, Essai sur Vhistoire et la généalogie des sires de
Joinville, p. 3i9; Delaborde, op. cit., n»» 459, 467, etc. Le domaine de
Mathons (canton de Joinville, Haute-Marne) avait passé par succession
des Joinville aux Neufchàtel : voir ci-dessus, p. 45, note 1. Cette identi-
fication du Ferrières dont il est question dans 1' « Advis du Conseil
de Lorraine » n'est qu'une conjecture; mais elle semble très vraisem-
blable.
— 76 -
Ecorcheurs, voilà le résumé de Thistoire de Chaligny de
1430 à 1440 HJ. Cependant Thiébaut VIII de Neufchàtel, à
cette époque, jouait un rôle considérable parmi les servi-
teurs du duc de Bourgogne : il reçut la Toisond'or en 1433,
au chapitre de Dijon, en même temps que le comte de
Charolais, et nous le retrouvons encore en 143S, assistant
au chapitre de TOrdre qui fut tenu à Bruxelles. A la cour
comme à la guerre, il marche à un rang qui n'est pas loin
du premier.
III
Au déclin de sa vie, le personnage de Thiébaut VIII,
alors connu sous le nom de Thiébaut le Vieil, passa peu à
peu au second rang, en même temps qu'apparaissait en
première ligne son fils Thiébaut IX, qui portait le titre de
sire de Blâmont. Ce n'est pas une figure banale que celle
de ce jeune homme qui, à vingt-six ans (2), le 11 août.
1443, mérita d'être nommé par Philippe le Bon maréchal
de Bourgogne, et qui, treize ans plus tard, en 1456, fut
admis dans l'ordre de la Toison d'Or, où avaient été reçus
avant lui son père et son oncle (3). Sous une apparence
débile et chétive, le maréchal de Bourgogne cachait une
volonté énergique et indomptable: son caractère vindicatif
était redouté de ses contemporains (4). Hardi, ambitieux et
(1) En 1442, Pont-St-Vinccnt élail encore ravagé par les ennemis du
comte de Vaudémont ; cela résulte de ce fait que les habitants ne
purent s'acquitter des droits seigneuriaux (Archives de M.-et-M., B,
9700). 11 y a bien des chances pour que les terres de Chaligny aient
aussi été pillées à celte époque.
(2) Olivier de la Marche (édition de la Société do l'Histoire de
France), I, p. 270, note. — Tuetey, op, cit., I, p. 337.
(3) Gollut-Duvcrnoy, Mémoires historiques de la République Séqua-
noiîie, col. 1089, 1091, 10^.
(4) Olivier de la Marche, I, p. 269; II, p. 415. Thiébaut IX est
dépeint, dans ce dernier passage, comme un homme a actif, et prêt
pour soy venger ». Cf. Chastellain (édition de l'Académie royale de
Belgique), III, p. 230.
- 77 -
implacable, il justifiait Tadage qui faisait de la fierté le
caractère particulier de sa race; d'ailleurs « chevalier de
haute et grande façon, fort à craindre », il était, suivant
l'expression de Chastellain, « estoflé de fil et d'aiguille et
de toutes appartenances et nécessités, fust à guerre ou à
paix (1) ». Ce fut un des plus importants parmi les conseil-
lers et les serviteurs de Philippe le Bon et de Charles le
Téméraire ; il est peu de pages de leur histoire où son nom
ne figure pas.
Le cadre de cette étude ne saurait me permettre de faire
apparaître le capitaine que fut Thiébaut IX de Neufchâtel.
Il faudrait le montrer, en 1444 et 1443, surveillant et au
besoin harcelant, à la tète d'un corps bourguignon, l'armée
que dirigeait le dauphin Louis contre les Suisses ; en ce fai-
sant il servait la politique de Philippe le Bon, fort désireux
de voir échouer une entreprise encouragée par ses rivaux
d'Autriche et destinée, en fin de compte, à accroître dans
ces régions le prestige de la monarchie française (2). Il
faudrait suivre ce rude soldat dans ses campagnes contre
les Gantois, puis contre les Liégeois ; nul ne dirigea mieux
une attaque et ne conduisit plus vaillamment une avant-
garde. Aussi méritait-il bien d'être armé chevalier sur
le champ de bataille ; cet honneur lui fut accordé en 1433,
le matin de la bataille de Gavre, où les Gantois furent écra-
sés (3). Il va de soi que s'il est terrible à l'ennemi du
(1) Chastellain, il, p. 188.
|2) Olivier de la Marche, I, p. 62 ; Beaucourt, Histoire de Charles Vil,
IV, p. ^, 116-117, 121-122; Gollut-Duvernoy, col. 1157. — Au cours de
ces événements, le maréchal tailla en pièces une bande de routiers de
l'armée du Dauphin, ce qui irrita fort le futur Louis XI. En revanche,
le maréchal eut à subir sur ses domaines les déprédations commises
par les Ecorcheurs au service de la France ; l'un d'eux, Antoine de
Ghabannes, se vantait de lui avoir pris des biens pour dix mille écus
et ajoutait: «Je me suis bien chauffé en ses pays et bu de bons vins. »
(Texte de la Chronique Martinienne, cité par le marquis de Beaucourt,
IV, p. 191.)
(3) Olivier de la Marche, II, p. 317 et s. Voir la lettre par laquelle
— 78 —
dehors, il n'est pas moins redoutable pour les séditieux ;
c'est ainsi qu'il n'hésite pas à faire couler le sang quand, en
1451, il s'agit de punir les habitants de Besançon qui ont
méconnu l'autorité de leur maître (1). Au surplus, il est bon
pour la plume et le poil ; ce soldat est fréquemment employé
comme ambassadeur. Par exemple, en 1454, il est chargé
d'obtenir la reconnaissance des prétentions de Philippe
le Bon sur le comté de Ferrette (2) ; le même prince, après
l'avoir chargé de négocier avec le comte de Warwick, le
faiseur de rois, l'envoie l'année suivante à Londres avec
mission de traiter avec le gouvernement anglais (3). On
verra plus loin que les affaires de Lorraine lui ménagèrent
quelques déboires. Le temps lui manqua pour en tirer
vengeance : il était âgé d'environ cinquante-deux ans
quand, en 1469, une mort prématurée brisa la carrière
de cet homme mêlé aux plus grands événements de son
temps.
Les habitants de Chaligny s'intéressèrent-ils à la gran-
deur de leur seigneur, je ne saurais le dire. Toujours
est-il qu'à deux reprises au moins ils en éprouvèrent les
conséquences, lorsqu'ils virent arriver chez eux les agents
financiers de Neufchâtel chargés de leur demander une aide
extraordinaire. Il leur fallut d'abord en payer une en
septembre 1443, un mois après que Thiébautde Neufchâtel
fut nommé maréchal de Bourgogne : l'aide produisit, pour
le maréchal annonce sa victoire. III, p. 421-423. Déjà en 1452 le maré-
chal avait pendant plusieurs mois dirigé contre les Gantois une guerre
d'extermination, où tous les avantages no furent pas pour les Bourgui-
gnons ; Beaucourt, op. cit., V, p. 252.
(1) Gollut-Duvernoy, Mémoires historiques de la République séqua-
noise, col. 1166 et s.
(É) StoufT, op. cit., p. 13. Ce (ut un incident des négociations ou-
vertes, afin d'établir l:i paix entre la Bourgogne et l'Autriche. —
Déjà en 1H7 le maréchal avait été chargé de négociations avec le duc
Albert d'Autriche (Beaucourt, IV, p. 351).
(3) Beaucourt, Histoire de Charles VIT, Vï, p. 270 et 291. Cf. Chas-
tcllain, III, p. 427.
- 79 —
tout le ban de Chaligny (y compris Chavigny et Neuves-
Maisons) la somme de 150 florins d'or (1). Conformément
aux règles du droit féodal, les agents du fisc revinrent en
1453, quelques semaines après que le maréchal eut été
armé chevalier sur le champ de bataille de Gavre ; ils
emportèrent alors de Chaligny 200 florins d'or (2). J'ima-
gine que les sujets de Neufchàtel ne bénirent pas les
honneurs conférés à Thiébaut IX. Sans doute Tavaient-ils
vu avec plus de plaisir, combattre en 1441 le damoiseau
de Sarrebrûck, ce pillard insatiable, et lutter encore contre
lui en 1443 à côté de Louis, marquis du Pont, fils du duc
de Lorraine, René d'Anjou (3). Rien n'était plus favorable
aux intérêts des habitants de Chaligny que la bonne entente
entre leur seigneur et le duc de Lorraine ; ajoutez à cela
qu'ils devaient se féliciter de ce que Neufchàtel eût enfin
leloisirdetournersesarmes contre ce redoutabledamoiseau
coupable à leur égard de tant d'excès. Sans doute aussi,
au début de 1456, quelques-uns des sujets de Neufchàtel,
(( les manans et habitants de la ville de Chavegny, en la
seigneurieet chastellenie de Chaligny », soumis à ce moment
(1) Archives de M.-etM., B. 608, n' 9.
(2) Ibid.
(3) 8 septembre 1441 : Plusieurs gentilshommes déclarent à Robert
de Sarrebrûck qu'ils aideront Thiébaut de Neufchàtel en cette présente
ffuorre contre lui (Bibl. Nat., Lorraine, 386, fol. 4 à 8). — Le 42 mars
1442, Thiébaut de Neufchàtel, seigneur de Blûmont, au nom de son
père (Thiébaut VIII) et au sien, accorda une trêve au même Robert,
(Ibid., fol. 3). — Pendant l'hiver de 14i3-1444 éclata une nouvelle
guerre entre Robert de Sarrebrûck et les Neufchfttel ; le marquis du
Pont, fils du roi René, qui était en cette circonstance l'allié des Neuf-
chàtel, acquit à cette occasion le château-bas de Gommercy. •— Apres
la campagne, le marquis promit h Thiébaut de l'indemniser jusqu'à
concurrence de 1000 « bons vieux florins d'or » ; Thiébaut était venu
lui porter secours avec cent hommes d'armes et était demeuré deux
mois avec lui. En outre, par d'autres actes, le marquis se reconnut,
envers Thiébaut, débiteur de 297 florins à titre d'indemnité pour
chevaux perdus et autres dommages et lui donna 500 florins du Rhin.
(Archives de M.-et-M., B, 608, n* 25 ; Archives de la Meuse, B. 262*
fol. 193 ; Bibl. Nat., Lorraine, 386, fol. 10; Tuetey, Les Ecorcheurs, }]
p. 96.)
— 80 —
à Thiébautle Vieil, c'est-à dire à TbiébautVIII, et à son fils
le maréchal de Bourgogne, purenl-ils se réjouir de la
concession qui leur fut faite par leurs seigneurs du bois de
Champelle, sis non loinde Vandœuvre, moyennant un cens
léger, afiu de les dédommager de ce qu'ils avaieul été fort
(( travaillés par les guerres faites cy en arrière (i) »>. On
aime à penser, çans en avoir la preuve, que les habitants
des autres villages de la seigneurie, à savoir Chaligny et
Neuves-Maisons^ qui n'avaient guère été moins» travaillés»,
reçurent aussi quelque indemnité. Si considérable qu'ait
pu être cette indemnité, il n'en est pas moins vrai que les
événements qui marquaient la carrière des Neufcbâtel se
traduisaient pour leurs sujets par des pilleries ou des im-
pôts.
L'entente des Neufchâtel avec René d'Anjou ne fut pas
de longue durée. Elle n'était point rompue encore le 24
novembre 1445 quand, grâce à l'intervention du duc de
Calabre, les deux Neufchâtel, Thiébaut le Vieil etThiébaut
le Jeune, obtinrent, à titre de dommages et intérêts, une
somme de 2000 florins de Jean de Germiny qui avait
« couru » leur terre de Chàtel (2). En revanche, dès 1448,
la discorde avait éclaté entre les Neufchâtel et leur suzerain ;
c'est un fait que démontre péremptoirement la résistance
opposée par les officiers de Neufchâtel à ceux de René qui
demandaient l'entrée de Châtel-sur-Moselle, parce que
c'était une forteresse tenue du duché de Bar comme
(( jurable et rendable (3) n. D'ailleurs les Neufchâtel, à
compter de ce moment, semblent fort peu préoccupés de
respecter les droits de la maison d'Anjou. Un peu plus
(1) 10 janvier 1456 : Archives de M.-et-M., B. 3933. Il est dit dans
cet acte que diverses terres n'ont pu être labourées ; qu'une terre est
revenue a à bois ». Le cens annuel que devaient fournir les habitants
de Cliavigny fut fixé à 9 livres de cire.
(2) Archives de M.-et-M., B, 608, n* 24.
(3) 8 décembre 1448. Archives de M.-et-M., B, 608, n* 25 (pièce en
déficit, connue d'après les inventaires).
-^ 81 —
tard, les Lorrains articuleront contre le maréchal de
Bourgogne divers griefs, parmi lesquels figure son relus
de rendre au duc de Lorraine les devoirs féodaux dont il
est tenu envers lui pour Chaligny. Nous savons en outre,
par les comptes qu'a dressés le receveur général de Lorraine
en 1462-1463, que le droit de garde dû au suzerain, c'est-
à-dire au duc, par « les villes de Chavegney, Challigny et
de Nuefves Maisons » n'était plus payé depuis plusieurs
années, (( pour la deflense de Messire Thiébault le Viel et
de Messire Thiébault son fils, maréchal deBourgogne(l) ».
C'est sans doute en ce temps que le maréchal, prétendant
que Chaligny était un fief « absolu n, y avait fait élever
un (( gibet royal » tel que jamais semblable n'y avait
existé (2). En somme, depuis 1448, l'es Neufchâtel sont
pour les ducs de Lorraine et de Bar, René d'Anjou et son
fils Jean de Calabre, des vassaux aussi indociles que
redoutables ; il semble qu'entre eux et les princes de la
dynastie angevine se réveillent les haines mal assoupies
des Bourguignons et des Armagnacs.
Entouré en Lorraine de mécontents et d'ennemis, le
maréchal de Bourgogne n'opposait à leurs menaces qu'une
altière indifférence. On le vit bien en une circonstance
mémorable (3). Au cours de l'année 1456, le futurLouisXI,
affolé par la crainte, d'ailleurs peu fondée, d'être
appréhendé, cousu dans un sac et jeté à l'eau par les ser-
(1) Archives de M -et M., B. 969, fol. 19.
(2) Doléances du jçouvernement lorrain, proposées lors de la média-
lion de Charles le Téméraire, au cours de la guerre d'Epinal ; BibK
Nat., Lorraine, 386, fol. !207 et s. Ce document reproduit la men-
tion d'autres griefs : ainsi, on ne respecte pas le droit de com bour-
geoisie qui, de toute ancienneté, était reconnu h Chavigny en faveur
des habitants de Villers-lès-Nancy ; on ne permet plus, suivant la
coutume, de crier au nom du duc la fête de Chavigny ; des querelles
s'élèvent, à propos de l'exploitation des bois, sur la limite qui sépare
les bois du duciié de ceux de la seigneurie, etc.
(3; Voir sur ces événements Olivier de la Marche, H, p. 409; Mathieu
d'Escouchi, II, p. 328 ; de Clercq, livre III, chap. XXX II ; et surtout
Chastellain, III, p. 180 et s.
6
- 82 -
viteurs de son père (1), dont il avait encouru la disgrâce, ne
crut pouvoir prendre un meilleur parti que celui de quitter
le Dauphiné pour chercher un refuge auprès de Philippe
le Bon. De Grenoble aux Pays-Bas, le voyage était long et
semblait au dauphin plein de périls : le bâtard d'Armagnac
et Louis de Chalon, prince d'Orange, lui conseillèrent
de se confiera la protection de Thîébaut de Neufchâtel.
Le prince hésitait, se rappelant la campagne de 1444 contre
les Suisses, au cours de laquelle ses gens avaient été à plus
d'une reprise fort malmenés parThiébaut; mais, comme
on lui vantait les hautes qualités du maréchal, il finit par
se décider à se remettre en ses mains (2). De son côté,
Thiébaut accepta la charge de conduire le dauphin jusque
dans les Pays-Bas, en évitant avec soin de passer sur les
terres de l'obéissance de Ch'arles Vil . Au cours de ce voyage,
le maréchal tint à honneur d'héberger le dauphin dans « sa
maîtresse maison de Châlel-sur-Moselle », d'où il défiait la
puissance des Angevins; puis, à la tète d'une faible escorte,
il le mena, « de giste à autre, coucher dans ses propres
maisons (3) », à travers cette Lorraine qui comptait tant
d'adversaires des Bourguignons. Vraisemblablement, parmi
les étapes du futur Louis XI entre Chàtel et le Luxembourg,
figura le château de Chaligny. Quoi qu*il en soit, des rela-
tions étroites s'établirent alors entre Louis et Thiébaut ;
d'après le récit de Chastellain, le dauphin semble avoir
gardé une haute idée des mérites du maréchal, qui pen-
dant quelques années exerça sur le fils de France « une
grande et singulière autorité (4) ».
IV
L'hostilité entre Thiébaut IX de Neufchâtel et les princes
angevins qui régnaient en Lorraine et en Barrois ne fit que
(I) Beaacourt, VI, p. 88 et 90.
(â) Chastellain, IH, p. 180.
(3) Ibid, p. 187.
(4) Ibid., p. S92.
— 83 —
s'aggraver quand^ après la mort de Thiébaut VIII, sur-
venue en 1459(1), le maréchal fut devenu le seul maître
des seigneuries qui constituaient son héritage, au premier
rang desquelles figuraient celles de Châtel sur-Moselle, de
Bainville aux-Miroirs et de Chaligny. Deux faits ache-
vèrent de rendre la domination de la maison de Neufchâ-
tel en ces régions absolument intolérable au gouverne-
ment lorrain.
Ce fut d'abord la désignation que fit, le 3 octobre 1460,
le pape Pie II d'un titulaire pour l'évéché de Toul, vacant
par la mort de Jean de Chevrot, l'éphémère successeur de
Guillaume Fillàtre, ce Bourguignon décidé, qui avait été
transféré à l'évéché de Tournay. Le choix du pape, vrai-
semblablement influencé par la diplomatie du duc de Bour-
gogne, se porta sur Antoine de Neufchâtel, l'un des fils du
maréchal. Or ce personnage était alors un enfant âgé de
douze ans, dont la nomination était destinée à servir les
intérêts temporels de sa famille, et non les intérêts spi-
rituels du grand diocèse de Toul. Malgré son jeune âge,
qui ne permettait pas qu'on pût songer à le consacrer
avant de longues années, Antoine de Neufchâtel reçut du
pape la qualité d'administrateur apostolique pour son
diocèse (2). On devine le mécontentement de la partie
du clergé et des fidèles (c'était la plus nombreuse) qui
échappait à l'influence bourguignonne; on devine surtout
celui du gouvernement lorrain. A n'envisager que les
raisons d'ordre temporel, ce n'était pas une médiocre
menace pour le duché de Lorraine que la réunion, sous la
main du maréchal, des importants fiefs qu'il tenait de la
(1) En ce qui concerne la date de la mort de Thiébaut VIII, voir ci-
dessus, p. 65 et note. Thiébaut VIII fut inhumé à l'isie, dans la chapelle
de la Vraie Croix. (.\bbé Loye, op. ciL. p. 173.)
(2) Abbé E. Martin, Uistoire des diocèses de Toul^ de j\ancy et de
Saini-Dié^ I, p. 418. Voyez aussi les lettres, se référant à cette affaire,
publiées par Benoit Picart, Histoire de la ville et du diocèse de Toul,
p. 555 et s.
~ 84 -
Succession paternelle, et des domaines considérables de
l'église de Toul, placés à sa discrétion par l'élévation de
son fils à la dignité épiscopale. Au spirituel, les inconvé-
nients de cette nomination lamentable n'étaient pas
moindres, si bien qu'un schisme faillit éclater dans le
diocèse.
Le mécontentement du gouvernement lorrain ne fit que
s'accroître quand, peu d'années plus tard, le maréchal de
Bourgogne put se croire à la veille d'obtenir en Lorraine
une nouvelle et considérable augmentation de territoire.
Le proscrit de Châtel-sur-Moselle était devenu le roi de
France ; par une lettre datée de Toulouse, le 2 juin 1463,
Louis XI, voulant, dit il, « récompenser les grans, bons et
louables services à nous fais par le maréchal de Bourgogne
du temps que nous estions en nécessité et crainte de nostre
personne (1) », concéda à Thiébaut de Neufchâtel la ville
et la banlieue d'Épinal^ antique possession des évéques
de Metz, que Charles VII avait réunie à sa couronne.
Quoique le roi se fût réservé « le ressort et la souverai-
neté, la foi et l'hommage », il n'en est pas moins vrai
que cette concession plaçait de fait Épinal sous le pouvoir
direct et immédiat du maréchal. En agissant ainsi,
Louis XI se proposait il uniquement d'acquitter une an-
cienne dette de reconnaissance? C'est chose dont il est
(1) Archives de M.-ctM., B. 360, fol. 485-180. On trouvera dans le
registre où flgure cette lettre une série de documents du plus haut
intérêt concernant l'afTaire d'Épinal. La plupart (et notamment la lettre
du 2 juin) ont été publiés comme pièces justiGcatives de l'Important
mémoire de M. Duhamel : Négociations de Charles VU el de Louis XI
avec les évêques de Metz pour la châlellenie d'Épinal, dans les Mé-
moires de la Société d'Émulation des Vosges, XII (1867). La lettre du
2 juin y figure sous le n" 59 des pièces justificatives ; Louis XI ajoute
que les services dont il est reconnaissant au maréchal lui ont été ren-
dus « du temps que estions en nécessité de crainte de notre personne,
ouquel temps iccllui nostre cousin (le maréchal), combien que il ne
feust nostre subgiet ne vassal, sans doute de personne vivant, nous
servy accompagné de plusieurs gens notables, et de fait ses parents et
autres.... »
— 85 —
permis de douter. Pour s*expliquer une libéralité si peu
enharmonie avec les habitudes du roi aussi bien qu*avec
les traditions de la monarchie française dans TEst, il faut
savoir que, précisément à cette époque, Thiébaut de Neuf-
châtel, d'ailleurs pensionné par la France (1), mettait son
influence au service de la politique que Louis XI suivait
en Italie ; il avait accepté la mission de travailler à établir
une alliance étroite entre le roi de France et le maître de
Milan, François Sforza. Vraisemblablement, si le maréchal
s'intéressait aux Sforza, c'est qu'il voyait en eux les ad-
versaires des princes d'Anjou, ses vieux ennemis en
Lorraine, auxquels Louis XI ne portait lui-même qu'une
sympathie incertaine et intermittente. Quoi qu'il en soit,
vers le mois de juin 1463, Thiébaut IX, qui s'était abouché
avec un émisssire de Sforza, avait réussi à ménager entre
le seigneur de Milan et Louis XI la conclusion d'un traité
fort désavantageux pour le roi René et son fils Jean de
Calabre, devenu duc de Lorraine par la mort de sa mère (2).
La simple comparaison des dates montre nettement, encore
que la remarque ne semble pas en avoir été faite, que la
cession d'Épinal à Neufchâtel fut le prix du service rendu
(1) Le 2 juillet 1463, Thiébaut de Neufchâtel, maréchal de Bourgogne,
reçoit de Claude Coct, trésorier général du Dauphiné, 900 livres de
tournois, fraction d'une somme annuelle de 4000 livres que le roi lui a
concédée, « pour pension de la présente année commençant le 1" oc-
tobre dernier ». — Le 28 mai 1464, il reçoit au même titre, du même
Claude Coct, une somme de 1100 livres de tournois. — Ensuite, s'étant
brouillé avec Louis XI, il ne toucha plus sa pension. (Bibl. Nat., Fran-
çais, 28583 ; quittances de Neufchâtel.)
(2) Perret. Relations de la France avec Venise, I, p. 400 et 401.
C'est le 14 mai 14(i3 qu'un agent du Saint-Siège, Antoine do Nocoto,
faisait savoir â Sforza que L.ouis XI, en échange de son alliance, lui
abandonnerait Savone. Il l'engageait k envoyer en France un émissaire
qui s'aboucherait, soit avec lui-même, Noceto, soit avec le maréchal
de Bourgogne, ardent partisan d'une alliance entre la France et Milan.
Sans tarder, Sforza envoya au maréchal un parmesan, Emmanuel
Jacopo, avec qui s'ouvrirent les négociations qui aboutirent au traité,
daté du 22 décembre 14a3. Cf. F. Gabotto, Lo Stato Sabando da Àme-
deo VIll ad Emanuele Filiberio, I, p. 82 85.
— 86 -
c^ la politique italienne de Louis XI, plutôt qu'un témoi-
gnage spontané de sentiments de gratitude qui ne trou-
vaient pas dans Tâme de ce prince une terre favorable pour
s'y développer. Quoiqu'il en soit, cet acte mettait le duché
de Lorraine en un péril extrême. Il paraissait certain que
Thiébaut, déjà maître du Toulois qu'il gouvernait pour son
fils Antoine, le jeune évéque de Toul, et fortement établi
dans la région mosellane par la possession de Châtel-sur-
Moselle, de Bainville-aux-Miroirs, de Chaligny et d'autres
postes fortifiés, achèverait fatalement, grâce à l'acquisition
d'Épinal, de rendre son influence prépondérante dans la
vallée delà Haute-Moselle. C'était un état rival et ennemi qui
se constituait au milieu des terres du duché, et qui, par le
Toulois etChaligny,s'étendaitjusqu'aux portes de Nancy H).
Heureusement pour le duc de Lorraine, une résistance
énergique se manifesta lorsqu'il s'agit de mettre à exécu-
tion les lettres royales qui concédaient Épinal à Thiébaut.
Les habitants d'Épinal ne voulaient ni peu ni prou devenir
les sujets du maréchal: leurs représentants allaient jusqu'à
dire hautement, non sans quelque exagération, qu'au joug
de Neufchâtel les bourgeois eussent préféré la mort. Sans
doute ne se souciaient-ils pas de se trouver soumis aux vo-
lontés d'un maître impérieux et dur, tel que la rumeur pu-
blique dépeignait le maréchal : il n'est pas d'ailleurs témé-
raire de penser que le gouvernement lorrain travailla en
secret à fortifier leurs répugnances. Dès le 26 juin, c'est-à-
dire moins de trois semaines après le jour où Louis XI avait
cédé Épinal au maréchal, les chefs de la cité déclarent
sans ambages au vicomte de Gisors (2), agent du roi
chargé de réaliser la cession, qu'ils se refusent et se refu-
(1) Le maréchal de Bourgogne se croyait si bien maître d'Épinal
qu'il en disposa, le 20 octobre 1463, en faisant son testament (voir une
copie de ce testament aux Archives nationales, K. 1799).
(2) Le 21 juillet 1463, Louis XI écrit aux habitants d'Epinal pour leur
faire savoir qu'il n'est pas vrai de dire qu'il a donné au maréchal de
Bourgogne la seigneurie de leur ville ; visiblement le roi prétend tirer
- 87 —
seront toujours à reconnaître Thiébaut de Neufchâtel pour
leur seigneur ; ils invoquent la parole de Charles VII, qui
leur a promis que jamais ils ne seraient séparés de la
couronne de France; d'ores et déjà ils annoncent l'inten-
tion d'en appeler au Parlement de Paris, contre les agisse-
ments des officiers royaux. C'est en vain que, pendant les
derniers mois de l'année 1463 et les premiers mois de
Tannée 14t)4, le vicomte de Gisors et après lui Henri de
Marie, président au Parlement de Paris, multiplient au nom
de Louis XI les démarches et les injonctions ; c'est en
vain qu'ils essaient de faire accepter par les bourgeois
cette thèse, que Louis XI n*a pas mis Épinal hors de sa
main, puisqu'il en a retenu la souveraineté et le ressort ;
c'est en vain que Louis XI lui-même, au mois de mai 1464,
convoque auprès de lui, à Château-Thierry, les chefs
de la bourgeoisie ; c'est en vain que le maréchal prodigue
des menaces et que, de ses châteaux forts de la vallée
de la Moselle, il fait courir sus aux Spinaliens. Ceux ci
s'empressent de répondre par des actes de procédure,
mais aussi ils accroissent les fortifications de leur ville,
et, malgré la résistance apparente des agents du roi,
ils placent bien haut, au-dessus des portes de la cité, des
pannonceaux portant les fleurs de lis de France. Cela fait,
argument de ce fait qu'il en a retenu la suzeraineté. Il leur enjoint
en même temps de laisser entrer k Épinal son représentant, Hugues de
Bondil, vicomte de Gisors (Archives de M.-et M„ B, 3C0, fol. 189 ; cf.
Vaesen, Lettres missives de Louis XI, II, p. 135). Le 10 septembre, les
habitants déclarent de nouveau au vicomte qu'ils ne veulent pas
d'autre seigneur que le roi [Ibid., fol. 191). Le 13 septembre, ils ob-
tiennent un délai d'un mois pour prendre conseil ; ce sont les u jours
de conseil » de la procédure (fol. 192). C'est à cette époque qu'ils
placent sur les portes les pannonceaux royaux (1" octobre; fol. 195 et
196), pour bien les faire voir des soldats du maréchal. Bientôt les habi-
tants d'Épinal sont cités pour le 15 novembre devant le grand conseil
pour avoir refusé l'entrée delà ville à Hugues de Bondil (fol. 181-182).
L'année 1463 s'achève sans que ces démonstrations procédurières, et
d'autres analogues, aient produit un résultat : pendant ce temps, les
habitants se fortifient. — Voir le mémoire de M. Duhamel, et les
pièces justilicatives de ce mémoire, où ces textes sont reproduits.
- 88 -
ils défient tranquillement la violente colère de Tbiébaul et
l'irritation, peut-être feinte, en tout cas platonique, du roi
Louis (1).
Cette situation semble s'être prolongée pendant les
années 1464 et 1465. Le maréchal, ulcéré de cette résis-
tance obstinée, et las de ne recevoir du roi qu'un appui
consistant en démarches diplomatiques qui n'entraînaient
aucun résultat, finit par tourner sa rancune contre
Louis XI, qu'il soupçonne de l'avoir joué. Sans doute il
ne cesse pas de s'en prendre aux habitants d'Ëpinal, aux-
quels, le 21 mai 1465, il adresse en termes impérieux une
sommation de lui prêter serment d'obéissance avant la
prochaine Pentecôte (2 juin 1465), sous peine d'encourir
les peines les plus sévères dans leurs corps et dans leurs
biens (2). Mais, pour se venger des tergiversations du roi,
il s'associe à la Ligue du Bien Public. Non seulement,
de Dijon, où il exerce une grande influence sur le conseil
du duc, il s'ingénie à multiplier les adversaires de
Louis XI et à augmenter les forces qui combattent les
troupes royales ; mais encore il entre lui-même en cam-
pagne (3), à la tête d'un contingent, et, s'il arrive trop tard
pour assister à la bataille de Montlhéry, il fait la guerre
aux partisans du roi en Picardie et participe à la prise de
Roye et de Montdidier (4). Le résultat le plus clair de cette
(1) Tous ces détails sont lires des pièces contenues dans le registre
B, 360 ou publiées par M. Duhamel.
{2) Documents historiques extraits de la Bibliothèque Royale..,
(Collection des documents inédits). 11, p. 473.
(3) Voir sa lettre du 4 juin 1465 écrite do Saulx le-Duc (Côle-d'Or)
aux habitants do Langres pour les détourner de s'unir aux défenseurs
de Louis XI {Ibid., p. 286 et 287). Auparavant le maréchal se trouvait
k Dijon, à la tête du conseil du duc ilbid.^ p. 302). Ensuite il se rendit
à Autun, où, à la tête de 30D ou 4(X) lances, il se proposait d'attaquer
le Nivernais. Il se trouvait dans cette ville le 18 juin {Ibid,^ p. 304).
Il avait envoyé des troupes dans le Bourbonnais.
(4) Cf. Bazin, Histoire des règnes de Charles Vil et Louis XI (édit.
de la Société de l'Histoire de France, II, p. lit)); Jacques du Clercq,
V. ch. 37 ; Chronique scandaleuse, (édit. de la Société de l'Histoire
— 89 —
lutte fut, qu'à la paix, le maréchal obtint le renouvelle-
ment des promesses que Louis XI lui avait jadis prodi-
guées quant à la cession d'Épinal. En janvier 1466, les Spi-
naliens reçurent de nouveau une lettre du roi, fort ana-
logue aux lettres qu'ils avaient reçues à diverses reprises
en 1463(1); elle leur fut apportée par un conseiller au
Parlement de Paris, Martin de Bellefaye, chargé cette fois
du rôle qu'avaient tenu jadis Je vicomte de Gisors et Henri
de Marie ; il n'est pas besoin de dire que les Spinaliens ne
se montrèrent pas plus dociles. De rechef, le maréchal en
appela aux armes. Dès le mois d'avril 1466, ses troupes
commettaient des actes de violence dans la banlieue
d'Épinal (2); un peu plus tard, c'est la ville elle-même que
les bombardes de Neufchâtel couvraient de projectiles.
Ace moment Louis XI travaillait à obtenir la soumis-
sion de son frère Charles, Tàme et l'espoir de ses adver-
saires. Ce prince était alors réfugié auprès du duc de Bre-
tagne ; le roi estimait qu'il était nécessaire à sa sécurité que
de Franco), I, p. 45; Comines, 1^ p. 155 (Société de l'Histoire de
France), et GoUut, op. cit.^ p. 829. — Voir l'édition de Comines par
B. de Mandrot, I, p. SO, note ; p. 54, note ; il semble qu'au moment de
la bataille de Monthléry le maréchal ait éprouvé quelque hésitation sur
la ligne de conduite à tenir.
(1) Cette lettre et une autre analoguesont datées du 2 janvier 1466 (Vae-
sen, Lettres missives de Louis XI, IH, p. 11). M. Duhamel avait publié
la même lettre en la datant de 1463» ce qui l'avait amené à penser que,
dès le début de l'année 1463, les habitants d'Épinal résistaient au maré-
chal. Or la cession d'Épinal à Thiébaut de Neufchâtel ne date que du
2 juin 1463; les premières manifestations de résistance ne peuvent
guère être antérieures au 21 juin. Aussi, la date indiquée par M. Vae-
sen, pour cette raison et pour diverses autres, est certainement exacte.
Les documents de janvier 1466 no peuvent s'expliquer que si l'on
admet une tentative nouvelle de Louis XI auprès des habitants d'Épinal
pour donner satisfaction aux vœux du maréchal. L'action de Louis XI,
motivée vraisemblablement par une convention qui suivit la guerre
du Bien Public, fut sans doute plus apparente que réelle ; en tout cas,
il y est fait allusion dans un document du 24 février 1466 (Duhamel,
Pièces justificatives, n*> 72, qui le date à tort de 1465 ; Archives de
M.-et-M., B, 360, fol. 202).
(2) Duhamel, Pièces justiûcatives, n" 76.
- 90 -
Charles fût remis entre ses mains. Pour y arriver, il
entendait user de la voie des négociations ; or le négocia-
teur auquel il avait remis le soin de cette affaire n'était
autre que le duc de Lorraine, Jean de Calabre, qui, après
avoir trempé dans la guerre du Bien Public, s'était décidé
à se rapprocher du roi (1). A la vérité, Louis XI lui pro-
mettait son appui pour la réalisation du dessein que Jean
nourrissait sur TAragon et la Catalogne, où son action ne
portait point ombrage à la politique de l'habile monarque;
mais, non content de ces promesses, le roi crut attacher
plus complètement Jean de Calabre à ses intérêts en lui
permettant de joindre Épinal au duché de Lorraine. Sentant
qu'ils pouvaient compter sur la bonne volonté de Louis XI,
les Lorrains sortirent de la réserve que jusqu'alors ils
avaient gardée, au moins en apparence ; un corps de
troupes placé sous le commandement de Nicolas, fils aîné
du duc Jean, délivra la ville d'Épinal des attaques que
dirigeaient contre elle les soldats de Thiébaut de Neuf-
châtel. En récompense de ce service, les bourgeois d'Épinal
se décidèrent à accepter la domination du duc de Lor-
raine; le 21 juillet 1466, ils se rangeaient à lobéissance de
Jean, qui, de son coté, confirmait leurs coutumes et pri-
vilèges (2). Or que faisait Louis XI à cette époque ? Sa
conduite est très claire ; fort indifférent aux intérêts du
maréchal, non seulement il laissait faire les Lorrains,
(1) Le 8 août 1466, Louis XI, par un acte daté de Montargis, envoyait
Jean de Calabre vers le duc de Bretagne* près duquel s'était réfugié le
frère du roi, Charles, duc de Berry. « Et donnons puissance à notre dit
cousin de Calabre de mettre et faire venir en ses mains notre dit
frère Charles, de luy promettre de le tenir en scurlô et de luy acor-
der la somme de deniers qu'il verra estre nécessaire pour sa provision
de vivre ». (Lenglet du Fresnoy, Mémoires de Philippe de Comines^ II,
p. 599, Preuves). — Jean négociait encore pour le compte de Louis XI
en 1468.
(2) Lenglet du Fresnoy, 11, p. 598. Les libertés d'Épinal furent con-
firmées par Nicolas, au nom de son père Jean de Calabre. — Duhamel,
Pièces justificatives, n» 81.
- 91 —
mais il approuvait implicitement leur action. Dès le 8
juillet, il avait pris la ville d'Épinal sous sa sauvegarde,
afin d'arrêter toute nouvelle agression de Thiébaut de
Neufchâtel (l).Le 6août, il permettait aux Spinaliens de
se choisir tel seigneur qu'ils jugeraient bon (2) ; c'était
ratifier l'acte par lequel, sûrs de n'être point désavoués
parle roi, ils venaient de se donner à la lorraine. Dans
la partie compliquée que jouait Louis XI, Épinal fut pour
lui une carte qu'il jeta, puis retira, pour la jeter encore,
suivant les intérêts de sa politique. Il ne fut pas beau
joueur ; mais il y gagna, une première fois, l'appui du ma-
réchal dans les affaires dltalie, et, une seconde fois, celui
de Jean de Calabre dans les luttes qu'il soutenait contre son
propre frère.
Quant au maréchal, qui avait perdu la partie (3), il ne
se résigna pas à son sort. Désormais il ne songea plus qu'à
en appeler de nouveau aux armes pour tirer vengeance de
Jean de Calabre et conquérir la cité convoitée depuis si
longtemps. A cette époque, il recueille avec un soin minu-
tieux tous les griefs que son père et lui avaient pu for-
muler depuis trente ans contre les Lorrains (4), remontant
{{) Archives de M.-et-M., B, 360, fol. 205, V ; Duhamel, n* 79.
(2) Duhamel, n" 88. — Lenglet du Fresnoy, II, p. 597. — Dom
Galmet, Notice de la Lorraine, v* Épinal, I, col. 396. Le rapproche-
ment des dates est éloquent. La mission de Jean de Calabre est du
8 août ; la licence donnée aux gens d'Ëpinal est du 6 août.
(3) Un autre personnage aussi se trouvait déçu ; c'était l'évéque de
Metz, si tant est qu'il ait pu nourrir quelque espoir de recouvrer
Épinal, perdu pour son église depuis une vingtaine d'années. Il avait
renouvelé ses réclamations le 20 avril i465 (Duhamel, n' 73). — Le 19
novembre 1500, le duc de Lorraine René II, jjosscsscur de la vouerie
d'Épinal en vorlu d'un transfert à lui consenti par la dame de Ville,
voueresse d'Épinal, veuve de Jean d'.Anglure, fait foi et hommage,
pour celle vouerie à son oncle, l'évéque de Metz. (Lenglet du Fresnoy,
11, p. 597 et 598.)
(4) Voir ci-dessus, p. 73. Le maréchal réclame une indemnité pour
la prise de Chaligny par l'écorcheur Guillaume d'Eslrosse (ou d'Es-
trac), survenue vers i439 ; — et en outre 297 florins que lui avait pro-
mis le feu marquis du Pont, ûls aîné du roi René, pour dommages
— 92 —
jusqu'à la prise de Chaligny par Guillaume d'Estrac, et
D'oubliant pas la moindre difficulté de voisinage; c'est
alors qu'il réclame, du gouvernemeDt lorrain, des indem-
nités dont l'une au moins tire son origine de l'expédition,
faite en commun par lui et le marquis du Pont, vers
l'année 1443, contre le damoiseau de Sarrebruck (1). Visi-
blement, l'intention du maréchal est de former un faisceau
de toutes ses réclamations contre le duc de Lorraine Jean
de Calabre, afin de mieux motiver la campagne décisive
qu'il veut ouvrir contre lui. Au surplus, la situation lui
semble favorable^ puisque lui-même sera appuyé dans
cette campagne par les forces du temporel de l'église de
Toul, et qu'il utilisera comme siennes Jes places fortes de
ce temporel, telles queLiverdun et Brixey.
Au cours de l'été de l'année 1467 (2), tout décèle que le
moment approche où le maréchal entend commencer les
hostilités. Toutefois, absorbé à cette époque par les affaires
de Charles le Téméraire, qui bientôt l'appelleront en
Flandre, il ne prend pas lui-même le commandement de
ses troupes. C'est l'aîné de ses fils, Henri de Neufchâtel,
qu'il charge de diriger cette guerre, non sans avoir
recommandé à tous ses officiers, justiciers, vassaux et
sujets d'obéir à ce fils comme ils lui auraient obéi à lui-
même (3). A ce moment, il réunit à Gray des forces bour-
subis au cours do la guerre de 14i3M444 contre le damoiseau de Sarre-
bruck. Il se plaint de ce que le prévôl de Nancy ait mis k la torture
un homme de Chavigny, et de ce que le maire et le doyen do Villers
(près Nancy), sujets du duc. aient pratiqué une saisie sur les hommes
de Chaligny. On voit que quelques-uns des événements qui motivent
ces doléances remontaient à vingt ou vingt-cinq ans.
(1) Bibl. nat., Lorraine, 386, fol. 10 et s. ; fol. 55 et 56.
(2) Peut-être la mort de Philippe le-Bon (15 juin 1467) et l'avènement
de Charles-le-Téméraire donnèrent au maréchal plus de liberté pour
réaliser ses projets belliqueux. Cet événement raviva les espérances de
tous les ennemis de Louis XI (Perret, op. cit ^ i, p. 475 et s.) ; or le
maréchal était pour le roi un ennemi acharné Une page a été consa-
crée à ces événements dans l'Histoire de Nancy de M. G. Pflster, i,
p. 475.
(3) Lettres du 2 août 1467, Bibl. Nat., Lorraine, 386, fol. 118. Le ma-
— 93 -
guignonnes qu'il compte envoyer dans la région mosel-
lane ; en même temps, par diverses instructions, il déter-
mine les opérations de guerre qui devront être entre-
prises (1). Son intention est « d'estre de guerre » à tout le
pays de Lorraine, y compris le marquisat du Pont et la
terre de la Woewre ; toutefois on respectera les évêchés de
Verdun et de Metz, ainsi que le comté de Vaudémont,
appartenant alors au jeune René, qui devait hériter de la
Lorraine à l'extinction de la dynastie angevine. La pre-
mière chose à faire est de pourvoir les forteresses de
défenseurs et de vivres. Aussi le maréchal fixe Teflectif
des garnisons de chacune de ses places, Châtel-sur-Moselie,
Bainville-aux-Miroirs, Liverdun, Romont, Brixey et Gha-
ligny : nous savons que Chaligny dut recevoir dix lances,
vingt hommes à cheval et cent hommes à pied. Pour nour-
rir ces soldats, les habitants de Chaligny seront tenus de
battre le grain aussitôt que possible (on est au 2 août) ; la
garnison devra s'emparer des moissons des villages voi-
sins. C'est ainsi qu'il est recommandé aux défenseurs de
Chaligny de prendre « les grains du village qui est à l'abbé
de Saint-Evre », c'est-à-dire Villey le-Sec, et aussi les ré-
coltes de l'abbaye de Clairlieu ; ils devront mettre à contri-
bution les villages à une lieue à la ronde, sauf ceux qui
appartiennent au comte de Vaudémont (par exemple Pont-
Saint-Vincent) et sauf aussi Maron, Messien et Aucroigne
(Messein et Acraignes, actuellement Frolois) ; on épargnera
maintenant ces trois villages, parce qu'on se réserve, à la
vendange, d'en saisir les vins.
réchal avait perdu son Gis premier-né, qui portait le nom deTbiébaut,
comme tous ses ancêtres. (Voir ci-dessous, p. t02).
(1) Voir une instruction pour Henri de Neufchâlel, Lorraine, 386, fol.
116 ; et une instruction au sieur de CoramboBuf sur ce qu'il aura à
faire: Ibid.. fol. 53. L'instruction à Henri de Neufchâtei est datée do
Fontaines-Ies-Luxeuil, 2 août 1467 ; le maréchal résidait sans doute à
cette époque près de l'abbaye, dont son fils Antoine, l'évoque de Toul,
était abbé commcndataire. Tbiébaut lui-même avait d'ailleurs été
nommé par Charles le Téméraire, en 1467, capitaine de Luxeuil. (Loye,
p. 186.)
— 94 —
Le programme des opérations militaires n'était pas fixé
par le maréchal d'une façon rigide. Il eût bien voulu que
ses troupes pussent assiéger et prendre Epinal ; mais il
semble ne pas trop compter sur le succès d'une semblable
entreprise. Il indique aussi le projet d'une attaque, qui
serait faite à l'aide de ses garnisons, sur les faubourgs de
Nancy et de Neufchâteau. En outre, on pourra défier des
particuliers contre lesquels les Neufchàtel ont des sujets
de plainte. Ainsi ils sont en querelle avec les seigneurs de
Mesgnières à raison d'Epinal. Le maréchal ordonne à
ses lieutenants de « bouter feu en leurs terres » et d'y brû-
ler au moins autant de maisons qu'ils en ont eux-mêmes
brûlé dans ses domaines. « Le demeurant sera ransonné,
ou qu'on brûle tout ». Il recommande, en un autre
passage, qu'en cas d'attaque par les Lorrains, (( on boute
les feux par tous les biens où l'on pourra ». Bouter feux,
c'est l'expression qui revient à maintes reprises sous la
plume du maréchal. A lire ses instructions, on ne peut
s'empêcher de se rappeler le mot d'un de ses contempo-
rains, comme lui grand brûleur de villages, le marquis
Albert-Achille de Brandebourg: « L'incendie achève la
guerre, comme le Ma-gni/icat achève les vêpres (1) ».
C'est dans les premiers jours du mois d'août 1467 que
les hostilités furent ouvertes (2). La garnison bourgui-
gnonne de Liverdun sortit des murs de la place pour
piller les villages de Saizerais, Marbache, Rosières>en-
Haye et Avrainville, appartenant au duc de Lorraine et à
son fils le marquis du Pont; les animaux et les meubles
(1) Mot cité par le R. P. Denifle, La désolation des églises de
France, II, p. 1.
(2) La source la plus utile à consulter à propos de cette guerre, est
la relation, écrite par un partisan de la Lorraine, qui se trouve con-
servée à la Bibl. Nat., Lorraine, 386, fol. 57 et s. C'est l'œuvre d'un
contemporain bien informé. Je m'y conformerai dans le récit qui suit,
tout en la complétant par d'autres renseignements, tirés pour la plu-
part du même volume 386 de la collection de Lorraine.
— 95 —
des habitants furent emmenés à Liverdun. Cette expédition
était colorée sous Tapparence juridique d'une saisie pra-
tiquée par les gens de Neufchâtel, pour assurer le paie<
ment des créances dont leur maître se prétendait titu-
laire à Tendroit du duc de Lorraine (1). Quelques jours
plustard,Mesgnières(2), Domptail{3)et un autre village (4)
étaient mis à sac par les soldats de Neufchâtel, sans doute
sortis du château de Bainviile ; les biens qu'y possédaient les
membres des grandes familles lorraines de Haraucourt et
de Lenoncourt y étaient dévastés avec acharnement. Dans
ces malheureux villages, on a fait prisonniers plusieurs
paysans, enlevé le bétail et les biens meubles, mis le feu
aux maisons, si cruellement que plusieurs petits enfants
ont « trèsinhumainement » péri dans les flammes; un
autre rapport nous dit qu'une jeune fille fut brûlée dans
sa maison (5). Par une amère ironie ce fut seulement au
lendemain de cette sanglante exécution que les seigneurs
de Mesgnières reçurent les défis, établis suivant toutes les
règles du droit des gens de l'époque, qui leur étaient
adressés par Thiébaut IX de Neufchâtel, Henri, son fils,
et les gentilshommes qui étaient leurs principaux parti-
sans (6). En tout cas le signal était donnée si bien que, pen-
dant tout le mois d'août, les pillages se poursuivirent ; en
septembre^ les gens du conseil de Lorraine déclarent que
depuis un mois ce ne sont que villages dévastés, moissons
détruites, et paysans emprisonnés (7).
Sans doute les conseillers de Lorraine et de Bar avaient
(i) Lorraine, 386, fol. 41-45 et 123.
(2) Magnières, cant. de Gerbéviller, arr. Lunéville.
(3) Canton de Rambervillers, Vosges.
(4) Sans doute Xaffévillers, canton de Rambervillers.
(5) Lorraine, 386, fol. 85-94 et 124.
(6) Lorraine, 386, fol. 70 et s.
(7) Lorraine, 386, fol. 41-45 ; voir deux lettres du conseil de Lorraine,
dont la première, écrite à Nancy, sans date, est évidemment du mois
de septembre. La seconde est la lettre aux vicaires généraux de Toul,
citée ci-dessous.
— 96 -
de bonne heure formulé, en style juridique, leurs protes-
tations contre les incursions et les saisies des Neufchâtel (1).
Le 5 août, ils avaient sommé le maréchal de remplir les
devoirs féodaux, qu'il refusait depuis si longtemps, pour
les seigneuries qu'il tenait du roi René, c'est-à-dire pour
Châtel-sur-Moselle et Bainville (2). En outre, ils s'étaient
adressés au vicaire général et à l'official de Toul, ainsi
qu'aux chanoines de la cathédrale, pour leur représenter
l'abus que faisaient les Neufchâtel des forteresses du
temporel de Toul, qui servaient de refuge aux soldats char-
gés de fouler et de piller les pauvres gens des campagnes (3).
Les sommations adressées aux Neufchâtel demeurèrent
infructueuses ; quant aux vicaires généraux et au chapitre
de Toul, ils répondirent poliment qu'ils étaient désolés
des événements qui se passaient, mais qu'ils n'y pouvaient
rien, ayant reçu d'Antoine de Neufchâtel et de ceux qui
agissaient en son nom la défense sévère de s'immiscer
dans l'administration du temporel de Toul (4).
Les conseillers des ducs de Lorraine et de Bar, en bons
juristes, ne négligèrent point la procédure: c'est ainsi que,
se prévalant des excès commis par Thiébaut et ses alliés
sur les terres du duché de Bar, ils obtinrent contre lui, au
Parlement de Paris, condamnation à des dommages-intérêts
montante dix mille livres tournois (5). Mais ils ne firent
pas que des procès: dès le 5 août, contre l'attaque menée par
le maréchal, ils en appellent à la force. Le roi René, au nom
(1) Lorraine, 386, fol. 121 et 1^. Le conseil de Lorraine requiert le
maréchal de Bourgogne dç vider ses mains des gages qu'il a saisis,
(( car à toute gaigiëre est due récréance » ; les conseillers s'offrent en-
suite à faire droit à ses griefs, s'il y a lieu. (Lettres datées de Charmes,
8 et 9 août 1467, à rapprocher des documents cités à la note précédente).
(2) Lorraine, 386, fol. 419 et 120.
(3) Lorraine, 386, fol. 41-45, et fol. 123-124.
(4) Lorraine, 386, fol. 41-45.
(5) Cette condamnation, d'ailleurs platonique, est menUonnée dans
un acte du roi René, du 11 décembre 1468, qui se retrouve dans un
registre conservé aux Archives de la Meuse, B, 268, fol. 193. René
répartit entre plusieurs de ses serviteurs les sommes qui lui étaient
dues par le maréchal de Bourgogne en vertu de cet arrêt.
- 97 -^
duquel ils agissent, « ayant entendu que aucuns des parties
d'Almaigneet autres voisins de nostre duchié de Bar se
sont mis sus en armes », ordonne la levée de tous les nobles
de son duché. La même mesure est prise en Lorraine au
nom du duc Jean de Calabre. En peu de jours est cons-
tituée une armée où se presse la noblesse des deux duchés.
Les Lorrains conduisaient avec eux l'artillerie déjà célèbre
de Nancy, où Ton remarquait, entre autres, trois pièces
portant les noms bien connus alors deThelod, Suelquin(l)
et le Frère (S). Ces mesures énergiques, qui portèrent leurs
fruits sans tarder, paraissent avoir déconcerté les Neufchâ-
tel. Un parti important de gentilshommes avait été appelé
de Bourgogne par le fils du maréchal, pour augmenter la
garnison du château de Brixey ; à leur tête se trouvaient
Jehan de Jaulcourt, seigneur de Bruyères, et Jehan de
Bassey. Or, le comte de Thierstein, capitaine d'Epinal,
(( enemy de guerre du dit Neufchàtel », et la garnison
d*Epinal, tombèrent sur ces gens d'armes quand ils pas-
saient « au val de Chastenoy, et les destrossèrent au nombre
d'environ quatre-vingts chevaulx, réservé Monsieur de
Jaulcourt, qui se rendit fugitif au lieu de Dompjulien (3) ».
C'est sans doute cette rencontre qu'on a quelquefois
appelée la bataille de Domjulien; elle n'était pas faite pour
encourager les Bourguignons.
Pendant ce temps, sous la haute direction de Jean Vysse
de Gerbeviller, bailli d'Allemagne, l'armée de Lorraine (4)
(1) Ne serait-ce pas la même pièce qui est nommée Xeflalquln dans
un document que cite M. Pfister,etqui est postérieur de peu d'années
à la guerre d'Epinal? {Histoire de Nancy, I, p. 419).
(2) Voir la relation précitée, Lorraine, 386, fol. 57 et s.
(3) Lorraine. 386, fol. 57.
(4) Los gentilshommes dn duché de Bar étaient aussi appelés « pour
aler au mandement et à l'armée qui s'est faite à rencontre du maré-
chal de Bourgogne ». (Archives de la Meuse, B, 1150, fol. 159. Ce
texte, ainsi que plusieurs autres relatifs à cette guerre, qui provien*
nent des Archives de la Meuse, m'a été très obligeamment commu-
niqué par M. l'archiviste A . Lesort).
7
réduisait les places de Roraont et de Cléseataines (1), appar-
tenant aux Neufchâtel et situées non loin de Cbâtel-sur-
Moselle. A ce moment Jean de Fénétrange, maréchal de
Lorraine, prit le commandement de Tarmée (2). Les Lorrains
mirent alors le siège devant le château de Bainville-aux-
Miroirs. C'est là que les bombardes lorraines eurent vite fait
d'ouvrir la brèche sur deux points, si bien que le capitaine
de Bainville se résigna à « demander parlement ». Les
défenseurs obtinrent de se retirer après avoir prêté ser-
ment qu'ils ne serviraient plus pendant cette guerre; le
château fut détruit, le village brûlé, et les « bonshommes »,
c'est-à-dire les paysans, emmenés comme prisonniers à
Bayon.
De Bainville l'armée lorraine^ ne se hasardant pas à
attaquer la forte place de Châtel, « s'en vint droit devant
Challigny ». Le siège fut mené régulièrement ; des appro-
ches furent faites ; la puissante artillerie lorraine produisit
les mêmes effets décisifs qu'à Bainville. Quelques incur-
sions de la garnison bourguignonne de Liverdun, au cours
desquelles furent brûlés Condé (le Custines actuel) et
a Pompey sous-Frouart », ne réussirent ni à intimider les
assiégeants ni même à distraire leur attention. Au bout de
quelques jours, vraisemblablement vers la fin du mois
d'août ou le commencement de septembre, Chaligny capi-
tulait à des conditions à peu près analogues à celles que
le gouverneur de Bainville avait dû accepter. Toutefois le
village ne fut point brûlé ; les paysans obtinrent des
capitaines lorrains la permission de se rançonner. En
attendant que la rançon fût payée, cent-vingt des habitants,
(( prins et couplés ensemble », furent conduits à Nancy et
(1) Ces villages sont situés près de Rambervillers.
(2) Ce changemcDt dans le commandement est signalé par le P. Hugo,
dans son Histoire de Lorraine de René 1" à René 11. (Ms. n« 377 de
la Bibliothèque de la Société d'Archéologie lorraine.) La guerre
d'Epinal y est racontée aux fol. 99 et s.
— 99 —
enfermés dans les tours de la porte de la Crafie. Ils ne
quittèrent leur prison qu'après avoir versé au Trésor ducal
une grosse somme d'argent et prêté le serment que (( bons
Loherains seroient pour le temps advenir (1) ». Pour plus
de sûreté, le gouvernement lorrain, non content d*avoir
confisqué le domaine de Chaligny, fit démolir le château
qui tant de fois avait causé des soucis aux ducs de Lor-
raine. Ce château ne fut jamais rétabli ; à la fin du
x\iV siècle, le voyageur qui suivait les rives de la Moselle
pouvait encore apercevoir sur la colline une tour en ruine,
dernier vestige de la forteresse des Vaudémont et des
Neufcbâtel. Depuis longtemps môme ces ruines ont péri ;
une paisible maison occupe la place du donjon, tandis que
des jardins et des vignes ont envahi l'emplacement encore
reconnaissable des fossés. Avec cette destruction, consé-
quence du siège de 1467, s'achève l'histoire militaire de
Chaligny.
Ici s'achève aussi, en tant qu'elle intéresse Chaligny,
l'histoire de la guerre d'Epinal. Il s'en fallait cependant
qu'elle fût terminée. En ce môme automne 1467, après la
prise de Chaligny, les Lorrains, aidés des secours en
Ecossais et en Gascons que leur envoie Louis XI (2), conti-
(1) J'ai emprunté ce récit à la relation déjà citée. Je l'ai complété,
notamment en ce qui concerne la captivité des habitants, par quel-
ques renseignements tirés de la Chronique de Lorraine, publiée
par l'abbé Marchai, dans le Recueil de Documents inédits sur Vhia-
taire de Lorraine (1860, p. 91). Quelques pages plus haut, ce texte
mentionne le soin qu'avait pris Neuchâtel de mettre une garnison dans
Chaligny (p. 88). Sur la prise de Chaligny, Voyez aussi le Dialogue de
Jean Lud, dans le Journal de la Société d'Archéologie lorraine^
m, p. 155.
(2) Une note marginale de l'un des manuscrits de Chastellain rappelle
que (( depuis qu3 ce Loys (le dauphin) fut roy. il bailla gendarmes au
tils du duc de Lorraine, alors marquis du Pont, nommé Nicolas, pour
guerroyer et ruer jus les places dudit maréchal, et fut cause que la
maison de Neufcbâtel fut grandement amoindrie ». (Chastellain, III,
- 100 -
nuent énergiquemenl la lutte : grâce aux Ecossais, ils
s'emparent de Brixey. On devine la colère du maréchal :
Louis XI ne se contentait pas de l'abandonner, au mépris
de ses promesses ; voici maintenant que le perfide souve-
rain employait la force pour Tempècher de se rendre
maître d*Epinal. Aussi Tannée suivante, quand Thié
baut IX accompagna Charles le Téméraire à Péronne, à
l'occasion de la célèbre entrevue si funeste à Louis XI, il
ne consentit jamais k y revoir le roi auquel il avait offert
jadis une hospitalité fastueuse à Châtelsur Moselle (ij.
Cependant, en dépit de Tirritation de leur ennemi, les
Lorrains poursuivaient le cours de leurs succès. Quoique
les auxiliaires envoyés par Louis XI se fussent retirés
après la prise de Brixey, les soldats du duc Jean mirent le
siège devant Liverdun, qui capitula au bout de douze
jours. Là fut pris nn des fils du maréchal de Bourgogne,
Claude de NeufchcUel, seigneur du Fay, qui en était gou
verneur. Encouragés par ces succès, les Lorrains se
disposaient à attaquer Châtel- sur-Moselle : mais ils en
furent empochés par l'intervention de Charles le Téméraire,
que les Neufchâtel sollicitaient depuis les premiers jours
de la lutte. Le duc imposa une trêve aux belligérants, et fit
arborer son étendard sur les remparts de Chàtel, déclarant
que lui-môme conserverait la place pour le roi René et que
quiconque l'attaquerait serait considéré comme son
p. 189). L'auteur de celte note, fort naif en politique, était éridem-
ment disposé à se scandaliser de la conduite que tint Louis XI vis-à-
vis du maréchal de 1463 à 1469.
(1| Comines (édit. de la Société do l'Histoire de France), 1. p. 104 et
155. De Péronne, le maréchal se rendit à Liège, où il prit part à la
guerre entreprise par Charles le Téméraire contre les bourgeois do
cette ville, guerre à laquelle Louis XI fut contraint d'assister. Sur la
participation de Thiébaut IX à cette expédition, voir Olivier de la
Marche, III, p. 64 et 85 ; de la Ghauvelays, Mémoire sur la composi-
tion des armées de Charles le Téméraire. (Académie de Dijon, 3« série,
V.), p. 148; Comines, III (pièces Justificatives recueillies par Mlle Du-
pont) p. 246 et s.
- 101 —
ennemi (1). Visiblement Charles le Téméraire voulait
arrêter la guerre et sauver la situation de son maréchal ;
il ailectait de mettre hors de cause le roi René et ses
enfants et de considérer la lutte comme TafTaire propre
des Lorrains et du conseil de Lorraine. Peut-être n'avait-il
pas tort: les princes de la dynastie angevine n'étaient
lorrains qu'à demi, mais c'était le conseil de Lorraine
qui gardait la tradition de la politique commandée par les
intérêts du duché.
Sur ces entrefaites, pendant que s'enchevêtraient les fils
des négociations diplomatiques, le maréchal de Bourgogne
mourut le 4 décembre 1469, à l'âge de cinquante-six ans.
De son mariage avec une dame de très haute naissance,
Bonne de Châteauvillain, étaient nés huit fils et quatre
filles. L'ainé, du nom de Thiébaut, était mort bien avant
(1) Instruction donnée par le duc de Bourgogne à a Jean de Beflroy-
mont », qu'il envole au conseil de Lorraine, vers la fin de l'année 1467.
A la fin de cette instruction, le duc demande la mise en liberté de
Jean de Jaulcourt et autres Bourguignons pris à DomjuUen. L'acte est
daté de Huy, 2 décembre 1467. Divers acles ie Charles le Téméraire
prouvent qu'il s'intéressa aux négociations et s'efforça d'établir une
trêve, en 1468 et 1469 (Bibl. Nat.. Lorraine, 386, fol. 103 et ss.). D'autre
part, nous savons que, pendant l'hiver 1467-1468, on ne négligea rien
dans le duché de Bar pour se mettre en état de résister au maréchal.
Nous possédons, du 8 décembre 1467, une lettre du prévùt d'Etain, a en-
voyant quérir les gens d'armes de son office » (Archives de la Meuse, B.
1152, fol. 144, V*). Le 12 décembre, des gentilshommes arrivent à Etain
pour garder la ville o pour la doubte du maréchal de Bourgogne » {Ibid.).
A Longwy, dès le •10 septembre, on convoque des « compagnons de
guerre pour estre au devant du maréchal de Bourgogne ». (Archives
de la Meuse, B, 1874, fol. 172, v*). On en réunit encore le 3 décembre,
(( pour ce que on disoit que le maréchal de Bourgogne vouloit entrer
es pays de Bar et Lorraine à grand puissance » {Ibid., fol. 174) ; ces
craintes se manifestent de nouveau le 22 février 1468. A la même époque,
on redoute l'attaque des forces bourguignonnes qui sa rassemblent en
Luxembourg, dépendant alors des ducs de Bourgogne (Archives de la
Meuse, B, 1874, fol. 172, V; B. 1152, fol. 148 et 156, V. Ces diverses
communications sont dues à l'obligeance de M. A. Lesort, archiviste
de la Meuse). En somme, à partir du mois d'août 1467, les textes prou-
vent que les pays de l'obéissance du roi René et de son fils Jean de
Calabre étaient sur l'alerte ; cela durait encore à Taulomne de 1468
(B. 2230, fol. 81, V, et 2H7, fol. 67, V).
— 102 —
son père (1) ; le second, Henri de Neufchâtel, nous est
connu par le récit de la guerre d'Epinal ; il importe de
mentionner encore, parmi les enfants du maréchal, Claude,
seigneur du Fay, le gouverneur de Liverdun qui fut fait
prisonnier par les Lorrains, Antoine, abbé de Luxeuil et
évéque de Toul, et Guillaume, seigneur de Montrond. C'est
au fils aîné, Henri de Neufchâtel, qu'eût dû échoir la sei-
gneurie de Chaligny (2) ; mais elle était depuis l'automne
(1) L'église des Ck>rdellers de Nancy possède un tombeau, apporté en
i818 du monastère de Belval (Vosges) ; sur les bords, fort abîmés, de ce
tombeau, on lisait : Hault et puissant seigneur, Monseigneur Thiébaut
de Nuef... 11 s'agit évidemment, non pas du duc de Lorraine Thiébaut I*',
comme on l'a cru d'abord, sans aucun fondement, mais d'un Thiébaut
de Neufchâtel enterré à Belval. Quel est ce Thiébaut ? Il faut chercher
parmi les seigneurs de Neufchâtel qui ont porté ce nom à une époque
où la maison de Neufchâtel était solidement établie dans la haute
vallée de la Moselle, c'est-à-dire à une époque postérieure à la fin du
XI v« siècle, qui fut celle de l'acquisition par les Neufchâtel de Châtel,
Bainville et autres domaines recueillis dans la succession de Vaudé-
mont. Or le Thiébaut de l'église des Ck)rdcliers ne peut être Thié-
baut VI, mort en 1400; car ce seigneur fut sans doute enterré à
l'abbaye de Lieucroissant, au diocèse de Besançon, où, en 1407, son
petit- fils fonda un service anniversaire pour le repos de son âme
(Loye, op. cit., p. 165); d'ailleurs Châtel et Bainville ne lui appartinrent
jamais. Thiébaut VU les acquit par son mariage ; mais il mourut à
Nicopolls; ce n'est donc pas lui qui fut enterré à Belval. Thiébaut VIII
fut enterré à l'Isle, dans la chapelle de la Vraie Croix (Loye, op. ciL,
p. 173) et Thiébaut IX à Lieucroissant, dans un somptueux monument
où il était représenté à côté de sa femme {op. cit., p. 187). Le tombeau
apporté de Belval ne peut être que celui de Thiébaut X, fils aîné de
Thiébaut IX, qu'il précéda dans la tombe; il était cf.pitalne d'Héricourt
et, d'après M. l'abbé Loye (p. 189), il serait mort en 1462. Le maréchal
de Bourgogne aimait beaucoup Châtel ; il n'est pas étonnant qu'il ait
fait inhumer son fils dans une église qui n'en était pas éloignée (Belval
est voisin de Portieux) et qui, d'ailleurs, avait été fondée par Gérard I
de Vaudémont (Calmet, Histoire de Lorraine, 2r édition, VII, p. clviii;
abbé L. Jérôme, Vahbaye de Hoyennwutier, I, p. 252 et s.) ; or on a
déjà dit que les Neufchâtel étaient dans la vallée de la Moselle, les
héritiers des Vaudémont. Voyez cette opinion indiquée par M. Ptister,
Histoire de Nancy, \, p. 635, qui énumcre les diverses identifications
proposées. L'inscription que porte le tombeau a été depuis 1818 mala-
droitement complétée, de telle façon qu'elle se rapporte actuellement
au maréchal de Bourgogne. Il existe au musée de Versailles un
moulage de ce tombeau.
(2) Chaligny avait d'ailleurs été attribué à Henri de Neufchâtel, en
- 103 —
de 1467 aux mains du duc de Lorraine. Or, par un acte du
19 novembre 1467, Jean, duc de Lorraine, en disposa, non
sans indiquer les motifs de la confiscation prononcée contre
le précédent seigneur. Il y rappelle que le maréchal de Bour-
gogne a toujours refusé de s'acquitter de ses devoirs féo-
daux, qu'ainsi il s'est montré « désobéissant et rebelle à son
droicturier et naturel seigneur », qu'enfin, « aucuns jours
en ça, il est entré avec gens d'armes, ses complices et
allez, en notre duchié de Lorraine, icelle courue, foullée
et endommaigée, en boutant feux, prenant corps d'hom-
mes, bestail et faisant autres infiniz et innumérables
maux )). A ces causes le duc, après s'être rendu maître des
places du maréchal et en avoir rasé les fortifications, a
prononcé la confiscation de celles qui étaient tenues en
fief de Lorraine, notamment de Chaligny. Aussi donne-
t-il ce fief à Hardoin de la Jaille, pour le récompenser de
services rendus « tant à la conqueste de Gennes, emprise
du Royaume de Sicile, que à ceste guerre et poursuite de
Cattalongne (1) ». L'acte est daté de Palamos; il fut rédigé
au cours de l'expédition de Catalogne.
Le nouveau seigneur ne prit jamais possession effective
de Chaligny : l'administration lorraine continua, jusqu'au
printemps de 1471, d'en gérer directement le domaine, en
versant annuellement une somme de neuf cents florins
d'or aux mains de Hardoin de la Jaille (2). Les comptes des
même temps qa'Epinal, GhÂtel-sur-Moselle, BainvIUe-aux Miroirs, et
aussi Neufchâtel, Chastellot, Blamont, Héricourt et les principaux
domaines de la famille, par le testament du maréchal de Bourgogne,
daté du 20 octobre 1463. (Archives NaUonales, K, 1799\
11) Archives de M.-etM., B, 599, n* 16. Cet Hardouin de la Jaille,
serviteur de René II, lui dédia un traité qu'il avait composé sur le
combat judiciaire. (Bibl. Nat., Français, 14513). Il ût les fonctions de
maréchal lors du combat singulier qui fut ordonné, après la bataille de
Nancy, entre Bidos et Roquelaure, deux des gentilshommes de l'armée
de René ; on sait que ce combat n'eut pas lieu. Cf. Ptister, Histoire de
Nancy, I, p. 6^.
12) Archives de M.-et-M., B, 970, (compte du receveur général de
Lorraine pour 1470-1471), fol. 616.
- 104 —
receveurs géaéraux de Lorraine pour cette époque attes-
tent que les agents du duc réclamaient des habitants de
Cbaligny tous les droits ordinairement payés aux Neufchâ-
tel (1). Bien plus, les anciens sujets du maréchal de Bour-
gogne contribuèrent aux frais de la guerre que poursuivait
le duc de Lorraine contre les héritiers du maréchal : c'est
ainsi que, au cours de Tannée de compte 1470-1471, le ban
de Cbaligny, outre une somme d'environ 16 livres (2)
d'aide extraordinaire, paya 50 florins à titre de contribu-
tion spéciale levée « pour aider au vivre des gens d'armes
estant tant à Charmes qu'au siège devant Châtel (3) )). Il
faut savoir que les troupes du duc Nicolas de Lorraine
assiégeaient au printemps de 1471 la forte place de Châtel.
Des témoignages peu concordants des chroniques sur ce
point, il semble résulter que les Lorrains réussirent à s'en
emparer. Mais ils ne purent en demeurer maîtres ; bientôt
survint une armée bourguignonne qui les força d'évacuer
Châtel (4). En tout cas^ Cbaligny, après avoir subi les impôts
de guerre établis par les Neuf châtel, supportait maintenant
les contributions dont s'alimentait le trésor de leurs enne-
mis.
(1) Voir dans ce compte la recette du domaine de Chaligny, fol. 383-
396.
(2) Exactement 16 1., 13 s., 4 d. : Ibid., fol. 458.
(3) On paya 48 florins de principal, et 2 florins pour le capitaine {Ibid.,
fol. 94). Remarquez d'ailleurs que, pendant que la terre de Chaligny
était administrée directement par le duc, les habitants ne lui payaient
pas le droit de garde, par lequel, en d'autres temps, ils reconnaissaient
sa suzeraineté. Au fol. 24 du compte, où devaient se trouver mention-
nées les recettes faites pour droit de garde, on lit que ce droit, en
cette présente année (1470-1471), n'a rien produit à Chaligny, « pour ce
que de présent la recepte de toute la terre est en la main de Monsei-
gneur (le Duc) ».
(4) La Chronique de Lorraine (p. 98) mentionne la prise de Châtel.
Le Dialogue de Jean Lud (p. 156) dit au contraire que l'arrivée
d'une armée de secours força les assiégeants à se retirer sans que la
place fût prise. L'opinion émise ci-dessus, au texte, est conforme à celle
de l'historien de Châtel, M. l'abbé Olivier (p. 64), et aussi à celle qui
est exposée dans l'ouvrage de Gollut-Duvernoy, col 1231. Dans son
Histoire de Nancy (I, p. 334), M. Pfister suit la Chronique de Lorraine,
— 105 —
Au mois de février 1471, Hardoin de la Jaille consentit
vraisemblablement à renoncer, en échange d'une indem-
nité^ à la terre de Chaligny : car ce domaine fut, par un
acte du duc Nicolas, passé à Compiëgne le 4 février 1471,
donné en ôef héréditaire à Antoine de Mohet, conseiller et
chambellan du duc (1). Il faut remarquer, dans ces lettres
de concession, la réserve spéciale que fait le duc, non seu-
lement de la suzeraineté, ce qui allait de soi, mais « du
ressort et juridiction au siège de nostre bailly de Nancy ».
En vertu de cette clause^ qui, au moins en ce qui concerne
Chaligny, était une innovation, la seigneurie concédée à
Mohet devait relever de la couronne ducale par l'intermé-
diaire du bailliage de Nancy. Visiblement, Tadministration
lorraine tendait à mettre la main sur le fief de Chaligny,
afin de rendre la subordination du seigneur plus réelle et
plus efficace. Antoine de Mohet, après avoir prêté foi et
hommage (2), entra, vers la fin de février ou le commen-
cement de mars, en jouissance du domaine qu'il tenait de
la générosité de son maître : il ne devait pas le conserver
longtemps.
En effet, Charles le Téméraire était fort désireux de
mettre fin à la lutte, désastreuse pour les Neuf châtel, qui
se poursuivait depuis 1467 : le duc Jean de Calabre parait
s'être efforcé, d'ailleurs sans succès, de chercher les bases
d'un accord (3). La conclusion de la paix devint plus facile,
lorsqu'au mois de mai 1472, Nicolas, fils et successeur de
Jean, se lia étroitement au Bourguignon, par le traité
d'Arras (4). Après des pourparlers qui durèrent près
(1) Archives de M.-et-M., B, 599, n» 17.
(2) U25 février : Ibid., n«20.
(3) Marseille, I" mai 1470 : Jean, duc de Calabre et Lorraine, donne
des instructions à Jean VVysse de Gerbéviller, bailli d'Allemagne, pour
conclure la paix avec Henri de Neufchâtel, a en considération du duc
de Bourgogne » (Bibl. Nat. Lorraine, 386, fol. 174).
(4) Voir sur ces événements, Witte, Lothringen und Burgund^ dans
le tome II des Jahrbùcher des Gesellfchafts fur lothringische Ge-
schichte^ année 1890.
— 106 -
de trois ans, les conditions de la réconciliation furent
arrêtées définitivement le 8 décembre de la même
année (1) ; elles étaient assez avantageuses pour les Neuf-
châtel (2). Sans doute Henri, Théritier du maréchal, dut
renoncer aux prétentions de sa famille sur Épinal (3), qui
demeura au duc Nicolas ; mais il conserva Châtel et recou-
vra les domaines de Cbaligny et de Bainville-aux-Miroirs,
en l'état où ils se trouvaient; libertélui était laissée (il n'en
usa pas) de reconstruire les forteresses démolies par suite
des événements de guerre. Naturellement, il était convenu
que Henri de Neufchâtel rendrait hommage au roi René
ou à son représentant pour Châtel et Bainville, qui dépen-
daient du duché de Bar (4), et au duc Nicolas pour Cbali-
gny, qui relevait de la Lorraine. A la même époque se
terminait la longue et déplorable lutte au cours de laquelle
Antoine de Neufchâtel, évéque de Toul, pour servir les
intérêts de sa famille, avait employé, contre une partie de
ses ouailles, les armes spirituelles aussi bien que les armes
temporelles. Ce n'est pas ici le lieu d'analyser les arran-
gements qui furent pris entre les adversaires (5) ; il me
(1) A cette époque, l'amitié entre les ducs de Bourgogne et de
Lorraine se refroidissait déjà. Henri de Neufcliâtel fut appuyé dans les
négociations par le comte de Saint- Pol, connétable de France, près
duquel il s'était retiré (Inventaire Dufourny, Bibl. de Nancy, IV, p.
70; cet inventaire renvoie à une pièce qui se trouvait à la Chambre
des Comptes de Lorraine, layette Châtel, Fiefs, n* 3).
(2) Le traité fut conclu le 8 décembre 1472. On en trouve le texte
aux Archives de la Meuse, B, 262, fol. 194-195 ; cf. Bibl. Nat., Lorraine,
247, fol. 16.
(3) On trouvera une copie de sa renonciation à Epinal, aux Archives
de M.-el-M., B, 360.
(4) Cet hommage fut fourni le môme jour. (Archives de M.-et-M.,
B, 608, n» 16). Il avait été réclamé le 17 juillet 1471 ; voir la citation
(mentionnée ci- dessus) de l'inventaire Dufourny.
(5) Il résulte d'un acte du 8 décembre 1472, que les prisonniers faits
de part et d'autre durent (Hre remis en liberté. Il en fut ainsi notam-
ment des prisonniers capturés par les bourgeois d'Epinal et le comte
de Thierstein (Bibl. Nat., Lorraine, 247, fol. 16). Le traité de paix entre
Nicolas de Lorraine et l'évéque de Toul, Antoine de Neufchâtel, du 8
décembre 1472, est publié dans les Preuves de VHistoire de Lorraine,
de dom Calmet (III, p. ggxli et s.).
— 107 -
sufflra de dire que ceux des chanoines de Toul qui étaient
favorables au duc de Lorraine abandonnèrent Jean de Lam
balle, le concurrent que quelques années plus tôt ils avaient
essayé d'opposer au fils du maréchal de Bourgogne (1).
Antoine demeura ainsi Tévêque incontesté de Toul. En
somme, les Neufchâtel, quoique amoindris par la désas-
treuse guerre d'Épinal, gardaient leurs positions ; quant à
Antoine de Mohet, qui avait été investi de Chaligny, il fut
réduit à réclamer une indemnité dont le règlement n'eut
lieu que quarante ans plus tard (2).
VI
Voici donc la terre de Chaligny remise au pouvoir des
Neufchàtel : elle avait été administrée un peu plus de trois
ans par les agents du duc de Lorraine et était demeurée un
peu moins de deux ans au pouvoir d'Antoine de Mohet. Les
Neufchàtel n'en devaient pas eux-mêmes conserver long-
temps la paisible possession. Rien n'est plus compliqué
que l'histoire politique de la Lorraine, depuis l'avènement
du comte de Vaudémont, René II, au duché vacant en
1473 parla mort de Nicolas d'Anjou, jusques à la bataille de
Nancy. Les influences diverses s'y succèdent avec une
rapidité qui déconcerte l'observateur le plus attentif (3).
(1) Abbé E. Martin, Histoire des diocèses de Toul, de Nancy et de
Saint Dié, I, p. 426.
(2) 1517, 19 septembre : Lettres passées sous le sccl du tabellionage
de Bar, par devant François Bignoinier et Robert de la Mothe, notaires
jurés au dit tabellionage, par Jean de la Roche- A y mont, chevalier,
au nom et comme fondé de pouvoir de Charles Mohet, écuyer,
seigneur de Villaine. en date du 4 juillet 1514, par lequel il cède et
transporte au duc de Lorraine et de Bar los chaslol et chastellonie,
terre et seigneurie de l'Avant-Garde ot de Chaligny, pour et moyennant
la somme de 200 écus d'or au soleil au coin du Roi (Ribl. de Rouen,
fonds Mombret, ms. 35 ; communication de M. A. Lesort, archiviste de
la Meuse).
{3) On trouvera un résumé de ces événements dans Pfister, Histoire
de Nancy, I, p. 389 et s. Consulter aussi le mémoire déjà cité de Wltte,
Lothringen und Burgund.
— 108 —
Tout au moins, on est certain qu'après le traité de Nancy,
conclu le 15 octobre 1473 entre Charles le Téméraire et
René II, c'est l'influence bourguignonne qui fut prépon-
dérante; toute la Lorraine semblait alors à la discrétion du
« grand duc d'Occident », dont les troupes la sillonnaient
de toutes parts. Les habitants de Chaligny, obéissant de
nouveau à un seigneur bourguignon, pouvaient croire que
les anciens jours étaient revenus. S'ils se firent cette illu-
sion, elle ne dura pas longtemps. En mai 1475, René II,
appuyé à ce moment par Louis XI, reparait en armes dans
son duché ; après s'être emparé de la forteresse de Pierre-
fort, il se dirige sur ses étals héréditaires et arrive à son
château de Vézelise, vieille résidence des Vaudémont, ses
ancêtres. Il se trouvait là au centre du pays plus particu-
lièrement soumis à son influence ; aussi sa présence y
releva le courage des adversaires de la Rourgogne. On le
comprit jusqu'à Chaligny, d'ailleurs peu éloigné du Vau-
démont ; aussi les habitants crurent prudent de s'en aller
vers René II pour le prier de les prendre sous sa sauve-
garde, à l'exemple de ses prédécesseurs ducs de Lorraine.
Moyennant la promesse d'une redevance annuelle qui,
comme autrefois, se payait par feu, Yolande de Vaudémont,
duchesse de Lorraine, et le duc René, son fils, leur pro-
mirent, «en parolles de princesse et de prince », de les
protéger et de les défendre envers et contre tous comme
leurs vrais sujets (1).
En cette circonstance, plus ou moins spontanément, les
habitants de Chaligny s'étaient conduits en < vrais Lor-
rains >, à la différence de leur seigneur, qui, conformé-
ment à toutes ses traditions de famille, était un soldat
(1) Archives de M.-et-M., B, i, fol. 293. La redevance annuelle était
de douze deniers et de deux bichets d'avoine par conduit (c'est-à-dire
par feu). C'était d'ailleurs le taux habituel du droit de garde qu'en
temps ordinaire, les habitants de Chaligny avaient pavé au duc de
Lorraine au xv siècle.
— 109 —
dévoué et un serviteur actif de Charles le Téméraire (1).
Toutefois^ en cette même année 1475, de graves événe-
ments devaient soumettre leurs sentiments à une rude
épreuve. Les Bourguignons rentrent en Lorraine, où
Louis Xly changeant de parti au gré de ses intérêts, leur
laisse cette fois le champ libre. En octobre, le duc de Bour-
gogne tient en sa puissance la vallée de la Moselle ; René II,
après avoir tenté de se maintenir à Haroué et à Ormes,
d'où il observait les progrès de l'envahisseur, bat en
retraite vers la Champagne et se retire à Joinville. Le 21
octobre, la forteresse de Vaudémont se rend à la première
sommation des Bourguignons ; Charles le Téméraire, affec-
tant les façons d'un souverain, confirme solennellement
les privilèges des habitants et déclare qu'ils seront traités
comme ses propres sujets. Il avait ainsi pénétré au cœur
même du territoire soumis à René II ; mais ce n'était pas
pour y demeurer longtemps. Deux jours plus tard, le 23
octobre, son quartier général est à Pont- Saint Vincent. Le
lendemain, le Téméraire s'établit sous les murs de Nancy,
où il devait entrer en vainqueur un mois plus tard.
Il n'est pas vraisemblable que le passage de son armée
victorieuse ait laissé indifférents des Lorrains aussi novices
que l'étaient les habitants de Chaligny. Tout le pays qui
les entourait était occupé par les soldats du Téméraire,
dont la marche victorieuse semblait irrésistible. Sans
aucun doute, ils revinrent à leurs sentiments tradition-
nels, et crièrent : Vive Bourgogne I Plusieurs d'entre eux
durent même se compromettre pour la cause de Charles,
(1) Dom Plancher, dans son Histoire de Bourgogne (Il ^ p. 438), men-
tionne un sire de Chaligny fait prisonnier par les Français, en 1475, à
la bataille de Château-Chinon, gagnée par eux sur les Bourguignons.
Serait-ce Henri de Neufchâtel? J'en doute beaucoup. En tout cas, Henri
de Neufchâtel, armé chevalier en 1468 avec son frère Claude, au cours
de la guerre de Liège, servit Charles le Téméraire en 1473 et en 1474,
dans la Haute-Alsace; en novembre 1474, il essaya en vain de débloquer
Héricourt, assiégé par les ennemis du duc. (Gollut-Duvernoy, col. 1227,
1243, 1288, et notes.)
— 110 —
dont ils étaient les représentants isolés au milieu de cette
région attachée partout son passé aux ancêtres de René II.
Ils en furent punis Tannée suivante.
En effet, au printemps de 1476, c'est au tour de René II
de montrer de nouveau ses étendards dans le Vaudémont.
Devant ses troupes, les Bourguignons évacuent Vézelise,
puis la forteresse de Thélod, et l'importante position de
Pont-Saint-Vincent. L'armée lorraine occupe ces places,
d'où des partisans, aidés des gens du pays^ s'en vont courir
sus aux Bourguignons ; ils osent môme insulter la garni-
son de Nancy (1). A coup sûr, ils ne durent pas ménager
l'enclave bourguignonne constituée par Chaligny; sans
tarder, la terre de Chaligny se trouva de nouveau à la dis-
crétion de René II. En tout cas nous savons, à n'en pouvoir
douter, que les vendanges des vignes domaniales de Cha-
ligny, à l'automne de 1476, furent faites « par son ordon-
nance (2) )). Henri de Neufchâtel avait à peine joui trois
ans, et non sans troubles, de la terre qui lui avait été resti-
tuée en 1472 ; de nouveau, c'étaient les agents du duc de
Lorraine qui agissaient en maîtres à Chaligny.
Cependant, ceux des habitants de la seigneurie qui
s'étaient trop compromis pour la cause bourguignonne
avaient, à l'approche des Lorrains, cherché un asile sûr ;
plusieurs s'étaient réfugiés à Nancy, à l'abri des drapeaux
du Téméraire. Ce qui le prouve, c'est que, quand la gar-
nison bourguignonne de Nancy dut capituler, ses chefs
firent insérer dans la capitulation une clause assurant le
droit de se retirer sains et saufs aux hommes de Chaligny
(i) Voir la Chronique de lorraine (édit. de l'abbé Marchai, dans les
Documents de l'histoire de Lorraine, HI, pp. 207 et ss.), où se mani-
festent les preuves du zèle lorrain des gens du Vaudémont et de Pont-
Saint- Vincent. — Cf. Nicolas Remy, Discours des choses advenues en
Lorraine, p. 32 et s. ; p. 4i.
(2) Mention des « journées et despens des ouvriers qui firent les vins
prins es vignes de Chaligné, qui furent faits par l'ordonnance de
Monseigneur leDuc (René II) ». Archives de M.-et-M., (Comptes de Lor-
raine pour l'année 1476, B, 9732, fol. 61.
— m —
réfugiés à Nancy ou ailleurs, qui, saus doute, se montraient
peu désireux de goûter de nouveau les douceurs d'un
séjour dans les tours de la porte de la Crafle (i). Je ne sais
si, échappés à ce péril, ils se laissèrent entraîner encore
une fois dans la lutte suprême qui s'engagea presque sous
leurs yeux. Lorsque de nouveau, pendant Thiver de 1476,
Nancy fut assiégé par les forces bourguignonnes, c'est de
Pont-Saint-Vincent, c'est-à dire d'un village voisin de Cha-
ligny^ que partit, en se dirigeant par les bois de Glairlieu,
l'héroïque maréchal de René II, Suifren de Baschi^ qui
tentait de pénétrer à la dérobée dans la place assiégée ; on
sait que cette tentative lui coûta la vie.
Peu de jours après, la bataille de Nancy était gagnée et
perdue : le sort de la Lorraine était décidé, ainsi que celui
de cette grande France de l'Est qui avait failli se constituer
sous la forme de la monarchie bourguignonne. Le seigneur
de Chaligny, Henri de Neufchâtel, avait été fait prisonnier
au cours de la journée par Bertrand Bataille, Jehan Gran-
gier, et quelques autres guerriers lorrains, qui d'abord
l'avaient rançonné à trois mille écus, puis l'avaient remis
aux mains de René II (2). Il devait demeurer trois ans au
pouvoir de son ennemi, qui, peut être par ironie, l'enferma
dans les prisons de cette ville d'Ëpinal, dont le testament
de son père l'avait constitué le seigneur.
Il y a tout lieu de croire que le domaine de Chaligny fut
cruellement éprouvé par cette période de guerres. Nous
possédons là-dessus deux témoignages assez caractéris-
tiques. En 1483, un habitant de Chaligny, Pierrot dit
(4) « Item, pareillement que les manans et habitans de la ville de
Chaligny et du ban, tant ceux qui ont esté encioz en la ville de Nancy
que ceux qui se sont absentez par le pays, puissent retourner en ladite
ville et ban à leurs maisons, hôritaiges, biens quelconques es dits pays,
sûrement et sainement, comme ils estoient auparavant lesdites guerres
et conqueste d'iceux pays. » Dom Calmet, Histoire de Lorraine^
Preuves, IH, p. gclxxxv.
(â) Bibl. Nat., Lorraine, 386, fol. 95.
— 112 -
Mouflet, qui tenait une •maison à cens de l'abbaye de
Clairlieu, se trouva obligé de délaisser cette maison à
Tabbaye : elle était en ruines, et lui-môme ne pouvait plus
payer le cens annuel de six gros, ayant été réduit à la pau-
vreté « par fortune de guerre et stérilité de temps (1) ».
Quelques années plus tard, en 1490, Tabbé de Clairlieu,
dom Jean de Gerbévillers, limita à une pinte le cens,
jadis fixé à une quarte d'huile, qui était du à l'abbaye par
une maison de Chaligny, sise devant le four du Mont ; il
en donne pour motif que cette maison, u durant le temps
des guerres, a été très fort démolie et quasi tout arrui-
née (2) ». Si nous ajoutons que Tabbaye de Clairlieu elle-
même fut ruinée au cours de ces événements (3), nous
serons en droit de conclure sans témérité que Chaligny et
les villages voisins n'échappèrent pas à la dévastation. Les
dix années qui s'écoulèrent de 1467 à 1477 durent être pour
Chaligny aussi sombres que les années qui s'étaient écou-
lées de 1430 à 1440.
VU
Dans un acte officiel de René II, daté de Nancy, 3 juillet
1477 (4), le duc, après avoir rappelé la rébellion de Henri
de Neufchâtel, à la suite de laquelle il a légitimement pro-
noncé la confiscation de tous les biens du rebelle, déclare
donner « la villle de Chaligny, terre et châtellenie d'icelle,
avecques toutes sez appartenances que souloit tenir nostre
cousin de Neufchastel », à son très cher cousin et maré-
chal messireOswald, comte de Thierstein, seigneur de Pfef-
fingen. Ce nom de Thierstein a déjà paru dans les pages
(i) Archives de M.-et-M., Fonds de Clairlieu, H, 492.
(2) Ibid., H. 493.
(3) Ibid., H. 460, pages 59 et iOl.
(4) Nancy, 3 luiHet 1477 : Archives de M.et-M., B, 1, fol. 389; cf.
L. Quintard, Bayonet ses seigneurs. {Mémoires de la S. A. L., tomoL,
année 1900, p. 24 )
- 113 -
qui précodent. Il était porté par une famille importante
dont le siège préféré, le château de Pfeffîngen, dominait
une petite rivière, la Birse, vers l'emlroit où, c laissant der-
rière elle les gorges sauvages du Jura, elle débouche tout
d'un coup dans la riante plaine où court le Rhin (1) ».
Très puissants dans la région qui s'élend entre Baie et
Strasbourg, les Thierslein avaient, au commencement du
xv^ siècle, énergiquement résisté aux entreprises de Neuf-
cluUel et de Taristocratie bourguignonne : l'un d'eux, Jean
deThierstein, avait été le rude et heureux adversaire de
ïhiébaut VIII de Neufchalel, lors de la guerre entreprise
par Thiébaut contre Tévèque de Baie.
Le nouveau maître de Chalignj, Oswald, avait d'abord
servi les Habsbourg; en 1452, il fut armé chevalier à
Rome, sur le pont Saint-Ange, par l'empereur Frédé-
ric IIÏ, le jour mt^me de son couronnement (2). Plus tard,
il entra au service du Téméraire, qui s'elïorçait (i'élablir
sa domination en Alsace. Lfjrs de la révolte des Alsaciens
contre le bailli bourguignon, Pierre de Hagenbach, Oswald
abandonna le parti du duc pour revenir à celui de Sigis-
mond d'Autriche, dont il fut le bailli. C'est à ce titre qu'il
combattit à Morat à coté des Lorrains et des Suisses. Il
serait trop long de dire ici comment Oswald, tomi)é dans
la disgrâce du duc Sigismond, et obligé de quitter sa charge
de grand biiilli d'Alsace, vint se mettre avec toutes ses
forces au service du duc de Lorraine et contribua pour
une large part à la victoire de René II à Nancy ; après la
bataille, ce fut encore lui qui procura au vainqueur, en
engageant ses châteaux de Thierstein et de Pfefiingen, les
fonds nécessaires pour payer la solde que les Suisses récla-
(1) StoufT, op. cit., p. *)7. Col ouvrago est à consiiUor sur les origines
et la fortune de la maison de Thierslein.
(2) J'emprunte ces détails et ceux qui suivent, au résumé donné
par M. Pfister iilisloire de î\'an('y, I, p. (îî)7 ctOVKSlde l'élude de M.Bir-
mann, Graf Oswald von Thierslein und der Ausgang seines Gesch-
lechts (dans le Basier lahrbnc/i de 1883).
8
^ U4 ^
tnaient impérieusement. En lui concédant, avec la seigneu-
rie de Bayon (1), celle de Chaligny, domaine d'une famille
qui était Tennemie héréditaire des Thierslein, René II ne
faisait qu'accomplir un devoir de reconnaissance. La por-
tée de Tacte du duc de Lorraine était d'ailleurs très simple;
à Chaligny, il subrogeait Oswald de Thierstein aux droits
de Henri de Neufchâtel. Cependant ce n'est point cette
concession de René II qui fixa le sort de Chaligny pendant
le demi-siècle qui suivit la déroute des Bourguignons. En
réalité, elle fut deux ans plus tard remplacée par une
autre combinaison dont il convient d'indiquer les bases.
Pour en avoir l'intelligence, il faut savoir que René II
se montra, à l'endroit de son prisonnier Henri de Neuf-
chàtel, très rigoureux (2), trop rigoureux, à entendre les
(l)La soigncurio de Rayon avait étéconGsquéo apr^s la bataille de
Nancy, sur les Haraucourl, partisans du Bourguignon. Oswald do
Thierstein re^ul aussi l'hôtel sis à Naney, rue Rirhardinesnil, confis-
qué à la mémf» époque sur le receveur général Vautrin Malhôle,
exécuté pour avoir suivi Ir parti bourguignon. Ct. Pfister, op. cit.^
I, p. «77.
(2) Jean de Chalon, prince d'Orange, écrit au duc de Lorraine, le
i'.') mal 1i77, pour se plaindre de ce que le duc tienne « bien étroite-
ment, ^ bien rude prison, ou puys d'Rspinal » son parent Henri de Neuf-
chiUel ; il le prie de le traiter gracieusement. René 11 fait A cette lettre
une réponse assez raide et ne cède en rien ^Bibl. Nat., ïvOrraine, .'18t>,
fol. iW). Le 14 août H77, dans une lettre, datée de (land, que Marie de
Bourgogne adresse à Claude de NeufcliAtel, elle déplore « la payne cl
soulTrelé (jue le sieur de Neufchastol, voslre frère, aussi nostre cousin,
endure et supporte journellement par la détencion de sa personne ès-
mains du duc de Lorraine ». (Voir cette lettre sous le n* 8K des lettres
Imprimées au tome I II des Pu/Wicaf />);<. s* de la Société pour la recherche,
et la conservation des monnwents hiiiloriqnes dans le grand-duché
de Luxembourg, année 18i7, p. tUîi. Enfin, vers I4î»9, lorsque Henri do
NeufchAtel demanda un adoucissement des condilionsqui lui avaient été
imposées en H79, René II déclara s'étonner beaucoup de ces demandes; il
pensait avoir traité avec bonté un vassal révolté « Car, entendu qu'il
estoit son prochain parent, descendu de la maison de Vauldémont et son
homme féodal », Henri ne devait pas prendre part à la guerre du duc
de Bourgogne, ni commettre d'exécrables exploits, ainsi qu'il a fait k
Charmes. Et lorsque NeufchAtel dit qu'on lui a, contre toute raison
extoTciué la promesse d'un supplément de 0,000 florins, les Lorrains
n^pondent que « prisonniers ne se mettent à rançon s'ils ne sont con-
traints ». Procôsverbal de négociations qui eurent Heu vers li99; Bibl,
Nat., Lorraine, 386, fol. 161 et 162.
parents et les amis du caplif. Je ne m'arrêterai pas ici à
me demander si les méfaits, d'ailleurs très graves, de
Henri vis-à-vis du duc de Lorraine, son suzerain, jus-
tifiaient celte manière d'agir ; c'est un point sur lequel
René n'entendait pas qu'on conlestAt son bon droit.
Pendant que Neufchatel était tenu « eslroitemenl, à bien
rude prison, ou puys d'Espinal » (ainsi s'exprime Jean de
Chalon dans une lettre à René), de longues négociations se
poursuivaient entre les frères du prisonnier et les repré-
sentants de René 11, parmi lesquels figurait Oswald de Thier-
slein. Enfin, le 10 août 1479, deux ans et sept mois après
la bataille de Nancj-, les deux parties conclurent à Luné-
ville une convention fixant la rançon de Henri à 16,000
florins d'or du Rhin (1). Toutefois, il était entendu que, sur
cette somme, les domaines de Chaligny etdeRainville-aux-
Miroirs, précédemment confisqués, seraient imputés, le
premier pour 4,000 florins et le second pour 2,000, de telle
façon que, si un jour Neufchatel se trouvait en état de rem-
bourser ces sommes aux détenteurs respectifs de (Hialigny
et de Rainville (2), il pourrait retrouver la libre jouissance
de ces biens. Oswald de Thierstein représentait René II en
celte négociation; il dut donc connaître et accepter la
convention qui modifiait profondément ses propres droits
à Chaligny. En réalité, il cessait d'être propriétaire pour
devenir engagiste, tenu de restituer le domaine si Henri de
Neufchatel lui remboursait 4,000 florins.
Les rédacteurs de l'acte du 10 août 1479 avaient pleine
conscience des conséquences de la convention sur la(|uelle
(Il Bi»)I. Njit., Lorraino, 3S6, fol. UW cl lf»i.
(2) Bainvillo élnit aux mains do Joan de Bron dit Polil Jean, de Vaii-
démont, comme Clialigny aux mains de Thierstein. Kn outre d'autres
biens de NeufchAtrl étaient enfçajfés, à savoir: Homont (villafçe voisin
de RambcrvlHers), détenu par Jean Wysse, et des rentes à Poligny
(sans doute Pallegney, près ChAtcl-sur-Mosclle), Zincourl (village voi-
sin de Pallegney*, et Villacourt (c'était un flef dépendant de la seigneu-
rie de ChAtel-sur-Moselle), qui formaient la sûreté d'Antoine de Vllis-
lang (Bibl. Nat., Lorraine, 386, fol. IK)}.
- 116 -
ils étaient tombés d'accord. En eflet, ils déclarèrent que
Henri de Neufchûtel serait tenu de rendre hommage pour
Bainville et Chaligny ; c'est donc qu'il en conservait la
seigneurie, paralysée pour un temps, il est vrai, par les
droits de Tengagiste (1). Il va de soi que de minutieuses pré-
cautions lurent prises pour Tépoque où, après l'extinction
du gage (ou de la gagière, comme on disait alors), la pro-
priété reviendrait à Henri de NeufcliiUel. Henri s'engageait
d'avance à n'en point user au détriment de la Lorraine;
s'il venait à relever les forteresses, il ne devrait les confier
à qui que ce soit sans l'agrément du duc. Bien plus, les
justiciers, officiers et principaux habitants de Chaligny et
de Bainville seraient tenus de corroborer de leur engage-
ment personnel la promesse de leur seigneur.
Là ne s'arrêtèrent pas les exigences de René H ; par une
seconde convention, postérieure de vingt jours à la pre-
mière (2), Henri de Neufchalel dut s'obliger personnelle-
ment à lui payer 6,000 florins, en excédent des sommes
portées au traité antérieurement négocié (3). Parce moyen,
René II s'indemnisait à l'avance des 6,000 florins, représen-
tant Chaligny et Bainville, qu'il avait abandonnés à Thier -
stein, détenteur de Chaligny, et à Jean Bron, dit Petit-Jean
de Vaudémont, détenteur de Bainville, pour le cas où
Neufchàtel userait de son droit de rachat.
Cette convention supplémentaire portait à 22 mille flo-
(I) Vingt ans après, Henri, qui n'avait pas encore recouvré les terres,
n'avait pas fourni cet hommage.
(2! Voir le texte de cette convention à la suite de la précédente dans
le ms. de la Bibl. Nat., Lorraine, 386. — Le 3 septembre !i79, c'est-à-
dire, deux jours plus tard, Henri de NeufcliAtel fut mis en liberté {Do-
cuinenls de Vhialoire des Vosges, III, p. 187). 11 élail captif depuis le
6 janvier ii77.
(3) r3ans le Dialogue de Jean Lud, écrit entre ii8i et lliOl. il est dit
que René H ne conserva rien de la rançon de Henri de Neufchàtcl,
puisqu'il avait abandonné 4.0U0 florins à Oswald de Thicrstein et 2.UIX)
à Petit-Jean de Vaudémont.- L'auteur était évidemment mal informé;
il ne connaissait ni les clauses de traité do rançon, ni le traité supplé-
mentaire {Dialogue^ p. 189).
- H7 -
rîhs (cinq fois et demie la valeur donnée à la terre de Gha-
ligny) la rançon promise par Henri de NeufcluUel ; de cette
énorme somme, 16,000 florins étaient exigibles immédia-
tement ou à des dates assez rapprochées, et 0,000, non
exigibles, étaient garantis par la gagière de Clialigny et
de Bainville aux-Miroirs. Le traité était évidemment très
onéreux pour Henri ; quant à René II, il obtenait sans
doute une grosse somme d'argent, avantage qui n'était
pointa dédaigner, mais il paraît bien qu'il eiU préféré se
faire céder par la famille de Neufchàtel le domaine de
Châtel-sur-Moselle (1), ce à quoi il ne put réussir.
n était plus facile de promettre que de payer : Henri de
Neufchàtel ne tarda pas à s'en apercevoir. Tout d'abord,
lui et ses frères s'étaient adressés à l'héritière des naîtres
que leur famille servait de génération en génération : je
veux parler de Marie de Bourgogne, qui, peu de mois
après la mort de son père, avait épousél'archiduc Maximi-
lien d'Autriche. Or, tant qu'il ne s'agit que de marques de
courtoisie, la fille et le gendre du Téméraire ne les refusent
pas aux NeufchûteK Dès le 14 août 1477, quelques jours
après son mariage, la duchesse Marie, écrivant à Claude
de Neufchàtel, seigneur du Fay, pour l'autoriser à aller
négocier avec le duc de Lorraine en vue d'obtenir la liberté
de son frère Henri, déplore la malheureuse condition à
laquelle est réduit le captif à cause de sa fidélité à la mai-
son de Bourgogne (2). Un an plus tard, le 9 septembre 1478,
c'est Maximilien d'Autriche qui répond aux instantes
demandes de Claude de Neufchûtel ; il alTecte de porter un
(1) Dans une lettre du 14 août 1477, citôo ci-dessous, Marie de Bour-
gogne attribue les maUieurs de Henri de NeufchâteJ, alors captif de
Itené H, à ce que Neufchàtel ne veut pas remettre au duc de Lorraine
la place de Chàtel-sur-Mosclle, « qui toujours s'est tenue et tient nostro
party ».
(2) Lettre portant le n* 88 dans les Publications de la Société pour
la recherche et la conservation des monuments historiques dans le
grand-duché de Luxembourg^ III, année 1847, p. 146
- H8 -
très vif intérêt au sort du prisonnier, car il ne saurait
« mettre en obly >> les services rendus à la maison de Bour-
gogne par la famille dont Henri est le chef. Mais, quand il
8*agit de lui procurer un secours efficace, il déclare ne pas
voir clairement ce qu*il pourrait faire : s'il y a lieu, un
peu plus tard, après la tenue des Etais, il s'occupera de
cette question(l). L'année suivante, en mars li79, Henri
et ses frères insisteut de nouveau auprès de Maximilien;
mais ce prince raan|ue très nettement Tintenlion de se
désintéresser du sort de iNeufcliàtel, qu'il n'essaie nulic-
meut de retenir à son service (2).
C'est alors que Henri, rebuté du côté de son seigneur natu
rel, dut se résigner, quoi qu'il lui en coûtai, à prêter Toreille
aux propositions qui lui étaient apportées de la part de
l'ennemi mortel de son père, je veux parler de Louis XI .
Le roi, jadis accueilli à Chûtel par le maréchal de Bour-
gogne, avait pu apprécier Timportance de cette possession,
qui commande la vallée de la Moselle ; il se mit en tète d'y
établir son influence. Peut-être désirait-il, par une acqui-
sition nouvelle, remplacer Epinal qu'il avait perdue; peut-
être aussi se rappelait-il la prophétie que, naguère, lorsque
fugitif, il avait reçu l'hospitalité à Chatel-sur-Moselle, le
maréchal de Bourgogne lui avait fait connaître. Aux termes
(M Lellre du 9 septoinbn 1478; Ihid., n" 86 />/s, p. li.*).
{i) LoUrc datôc do La Haye, 31 mars H70. Maximilion analyse
d'abord uno lettre do Henri de NeufchAtel, reçue quelques jours aupara-
vant. Il en résulte (|ue le roi de France adresse à Henri des offres, de plus
en plus pressantes, d'un secours en ar^^ent : joignant la menace à la séduc-
tion, il laisse entrevoir à NeufchAtel, s'il résiste, la conHscalion de
ses fiefs de Barrois et de Comté. Henri ne voudrait rien faire qui pût
déplaire à Maximilien. S'il est obligé de rendre hommage au roi de
France, ce sera contre son gré, pour éviter « sa totalle ruine », et
pour subvenir aux besoins de ses frère? et sœurs, qui font de durs
sacrifice* pour lui. Maximilien, en lui répondant, le remercie des bons
sentiments qu'il conserve envers Ihéritièrc du Téméraire, et lui
demande seulement de ne pas s'obliger à servir le roi de France contre
la Maison de Bourgogne. Mais il no fait rien pour empêcher Henri de se
soumettre à Louis XL — .Vrchivcs de M.-et-M., B, 608, n" 32.
- H9 -
de cet oracle, Louis XI devait être un jour « maitre et sei*
gueur » de Châtel-sur-Moselle. Le maréchal avait cru alors
réaliser suflisamment cette prophétie en déclarant à son
hôte que^ bien volontiers, en le recevant sous son toit, il
rétablissait, pour le temps de son séjour, « seigneur et
maître » de sa maison. (1). Mais le roi n*étaitsans doute
pas fâché de l'accomplir cette lois à sa manière en deve-
nant souverain de Châtel. Pour atteindre ce but, il devait
d'abord s'attacher Henri de Neufchàtel par les liens de la
vassalité ; cela (ut facile, à raison de la détresse financière
de l'héritier du maréchal de Bourgogne. Louis XI lui
concéda en plusieurs termes une somme de 23,000 livres de
tournois, « tant pour nous aider à acquitter de nostre ran-
çon, écrit Henri, comme aussi pour supporter les frais
qu'il nous a fallu faire et supporter à pourchasser icelle
rançon » ; en même temps il l'employa à son service en
qualité déconseiller et chambellan, de capitaine de cent
lances, et même de gouverneur du duché de Bar, quand ce
duché fut saisi par le monarque français (2). En outre, il
était nécessaire que Louis XI acquit la suzeraineté de Chàtel
qui appartenait, non à René II, mais au duc de Bar ; c'était
encore à celte époque le vieux roi René d'Anjou, qui pas-
sait dans son palais d'Aix-en-Provence les dernières années
d'une longue carrière traversée par de multiples épreuves.
(1) Chastellain, III, p. 188.
(2) 19 juin 1481, Henri, seigneur de NeufrhAlcl, conseiller el cham-
bellan du roi, a reçu de Michel le Tailhiirier, receveur général des
aides en Languedoc, 6.(KX) livres tournois à lui données par le roi,
faisant partie des £i,000 livres que le roi a ordonné lui être payées
« tant pour nous aider h acquitter de nostre rançon envers le duc de
Lorraine, comme oussi pour supporter les frais qu'il nous a convenu
faire el supporter à pourchasser icelle rançon ». Le 22 juin 1iS2, Henri
donne une quittance analogue pour une autre somme de 6.000 hvres
tournois (Bibl. Nat., Français, 28o83, quittances de NeufchAtel). Le
15 mai li83, Henri reçoit du trésorier des guerres du rot 300 livres
tournois pour son « étal de capitaine» ; il était alors conseiller et cham-
bellan du roi, gouverneur du duché de Bar et capitaine de cent
lances. , Ibid.J H continuera d'être au service de la France.
- 120-
Le roi de France engagea avec ce prince des pourparlers quî
furent couronnés de succès ; le 3 juin 1480 était définitive-
ment signé l'acte qui transférait à Louis XI, à des condi-
tions assez peu onéreuses (1), la suzeraineté de ChAtel-
sur-Moselle. Qui fut raécontentde ce raarché?Ce fut le duc
de Lorraine René II, qui, sans succès, avait essayé de Ten-
traver (2). René II, qui lui-même n'avait pu réussir à se
faire céder Châtel par son prisonnier, voyait maintenant
celte forteresse passera l'obéissance du roi de France, tou-
jours soupçonné, à bon droit, de nourrir des desseins sur les
provinces qui le séparaient du Rhin. Sans doute alors il
regretta, mais trop tard, d'avoir, par ses exigences exagé-
rées, poussé Henri de Neufchâtel dans les bras que lui ten-
dait Louis XI. La suzeraineté de Châtel demeura aux mo-
narques français jusques à l'année 1517, époque à laquelle
François I^^' la transféra au duc Antoine de Lorraine;
quant à Henri de Neufchâtel, il continua du servir la
France sous les règnes de Charles VHI et de Louis XII (3),
Telles furent les conséquences de l'avidité dont René II
avait fait preuve quand il s'agit de fixer la rançon de son
prisonnier.
(1) Voir le carton des Archives Nationales, J, 586. Un premier acte
avait é[v signô lo 15 avrU 148<); l'acte délinilif est du 3 juin. Le prix
<^'tait de lîO.OOO livres tournois; 10.000 furent payées comptant; les
50.000 livres restant devaient ^tre payt^es par versements annuels de
10.000; mais le vieux René d'Anjou dispensait Louis XI des versements
non échus avant son décès ; or il mourut le 10 juillet 1480. Le négocia-
teur envoyé par Louis XI s'appelait François de Gênas. Consulter, sur
cette négociation, Lccoy de la Marche, louis XI et la succession de
Provence, dans la Revue des questions historiques, XLIN, p. 146 et s.
(2) D'Aix, Gênas écrivait à sa cour, en mai 1480 : « Ce jour estoit
venu au matin ung des gens de monsieur de Lorraine nommé Guil-
laume Delcssart, a apporté lettres, ùqui ny comment n'ai peu sçavoir;
mais il faisoit bien du fier. » Archives Nationales, J, 586.
(3) H servit fidèlement Charles VIII et servit aussi Louis XII jusques
à sa mort, survenue en 1504. Cf. J. d'Anton, Chronique de Louis XII
(Société de l'Histoire de France, édit. de Maulde), I, p. 199, note 1. et
passim; de Maulde, Procédures politiques du règne de Louis XU
(Collection des documents inédits de l'Histoire de France), p. LXXVI.
^ 121 —
Cependant Henri n*avait pas renoncé à recouvrer ses do-
maines. Vers 1499, il fît une tentative pour racheter Gha-
ligny et Bainville ; c'est alors que, pour se conformer aux
conditions du traité de 1479. il adressa à René II des lettres
des oflicicrs et habitants de ces deux seigneuries, garan-
tissant le duc de Lorraine contre les conséquences des
actes préjudiciables que lui-même pourrait commettre,
une fois rentré en possession des domaines engagés (1).
Mais, pour une cause qui nous échappe, ses eflorts demeu-
rèrent vains. SansdouteRené II, qui, pour de bonnes raisons,
se défiait de Neufch{\tel, sut jusqu'à la fin paralyser toutes
ses tentatives :Chaligny demeura aux mains des engagistes
qui l'avaient reçu du duc.
Vlll
C'était, on se le rappelle, Osw ald de Thierstein qui avait
été d3té de Chaligny par René II après la bataille de Nancy.
Cet Oswald, qui fut maréchal de Lorraine, mourut certaine-
ment avant Henri de Neufchàtel (2), qui lui-même trépassa
en 1504. Chaligny était alors au pouvoir d'un second
Oswald de Thierstein, fils du précédent ; c'est ce second
Oswald que le duc Antoine, qui le traitait de cousin, auto-
risa à racheter de ses deniers la terre de Pont Saint-Vin-
(1) Voir les lellros des officiers et habitants do Chaligny et de Bainville ;
Dibl. Nat., Lorraine, 250, n* 21, fol. 20 à 26. Sur les négociations
sus-mentionnées, voir Lorraine, 3S6, fol. ÎK) et fol. i57-i62. L'acte
concernant Chaligny (contenu au n"* 250 de la collection de Lorraine)
est daté du i4 janvier 1500 ; il est signé de Jehan de Gonay, escuier,
commis par Henry de Neufchûtcl « ôs-bailliages de Châlel-sur-Mozelle,
Bainville et Chaligny », Jehan Boulengier, maire (de Chaligny) ; Jehan
Vennel, eschevin; Jehan Viennet, doyen; Jehan Hennequin, le petit
Willame, Jehan Badel, Jehan Quelenote, Jehan Drowcnel, Jacquemin
Willamel, Jacquol Laval et Mengin Michiel, tous habitants de Cha-
ligny.
(2) H était déjà mort, lorsque Henri de Neufchàtel adressa ù René 11,
vers 1499, une lettre où il se plaignait des conditions qui lui avaient été
faites en 1479 (Bibl. Nat., Lorraine, 386, fol. 95).
- 122 -
cent, engagée à ce moment à la veuve d'un autre combat-
tant de la bataille de Nancy, le célèbre Jeannot de Bidos ( 1 ).
En 1514, Oswald II était lui même décédé; c'est sur son
frère germain, Henri de Thierstein, que le duc Antoine
opéra le rachat de la terre de Pont-Salnt-Vincent (2). Cet
Henri de Thierstein fut seigneur engagiste de Chaligny,
après son père et son frère aîné. Lui-même avait épousé
Marguerite de Neufchâtel, dame de Fenétrange, qui était
cousine de Henri de Neufchalel, parce qu'elle descendait
comme lui d'Alice de Vaudémont et de Thiébaut Vlil;
toutefois elle appartenait à une branche cadette, celle des
Neufchàtel-Montagu, issue du frère puîné du maréchal de
Bourgogne (3).
Henri de Thierstein survécut quelques années à son
frère Oswald Après lui sa veuve Marguerite conserva la
jouissance de Chaligny. Sous le gouvernement des Thier-
stein, les villages du domaine se relevèrent de l'état de
désolation où la guerre les avait laissés. C'est à cette
époque (1313-1330) que Chaligny construisit une église
neuve à la place de l'ancienne, probablement détruite lors
du siège de 1467. Tout en subissant des transformations
importantes, cette église a subsiste jusqu'à nos jours: un
vitrail du chœur, qui date du commencement du xvi^
siècle, y conserve la représentation et les blasons de Henri
de Thierstein et de sa femme Marguerite de Neufchâtel (4).
Au dessus de la porte extérieure, sur le tympan du portail
(I) Bibl. Nat., Lorniinc, 11 i, fol. 2i 28. Par cet acte, Oswald se trouva
substitue^, à Jeannot de Bidos dans rengagement de Pont-Saint-
Vincent.
(È) Ibid.
(3) Voir la liiblo généalogique des Neufchâtel, dans les Basler
Chroniken, Ilf, p. :i68 et 569 ; voir aussi ci-dessus, p. 66.
(i) C'est pourquoi le vitrail ne porto pas les armoiries pleines des
Neufchâtel, de gueule à la bande d'argent ; il les porte écartelées do
gueule, à l'aigle d'argent ; l'écu timbré d'un heaume d'argent, sur-
haussé pour cimier d'un vol de gueule, bandé d'argent, panaché d'ar-
gent et de gueule.
- 123 -
se trouvaient aussi deux écussons, effacés à la fin du
xviii® siècle par la sottise ou par la peur; j'imagine que
ces écussons devaient porter les mômes armoiries que
celles qui figurent sur le vitrail du chœur. Ils attestaient
ainsi la part que Henri de Thierslein et sa femme Mar-
guerite de Neufchâtel prirent à la reconstruction de
réglise.
Marguerite se croyait pour toujours établie à Chaligny
quand, en 1530, une notification qui semble lui avoir été
fort peu agréable lui fit perdre cette illusion. La succession
et les droits de Henri de Neufchâtel, mort en 1504, étaient
passés à sou frère Claude, seigneur du Fay, jadis comman-
dant en Luxembourg pour Charles-le Téméraire, gouver-
neur de Luxembourg sous les archiducs, de 1480 à 1489, et
chevalier de la Toison d*Or depuis 1491 (1). Claude était
demeuré en Luxembourg, où il mourut en lî>05, un an
après son frère. Après lui, les droits des Neufchâtel passè-
rent à un troisième frère, <iuillaume, seigneur de Mon-
trond, qui décéda en cette môme année (2). I-es biens des
Neufchâtel furent alors recueillis par les trois filles de
Claude ; c'est ainsi que les droits conservés par Henri sur
Chaligny se trouvèrent dévolus à Tune d'elles, Elisabeth
de Neufchâtel, épouse d'un puissant seigneur de la Suisse
orientale, Félix de Werdenberg, chevalier de la Toison
(Il Sur Clauil<> de Neufchâtel, siMjjrnour du Fay, de Grancey, de
Suleuvro, de Berbourgeldu M )nt-S;iint-Jcan, licutonant général du duc
de Bourgogne dans Yos Marches du Luxembourg on 1475, puis gouver-
neur du pays de Luxembourg sous Marie do BDurgognc, voir le mé-
moire de M. van Werveke, Notice aur le Cnnxeit provincial de Luxem-
bourg^ dans Jcs Publicaliona de la section historique de rinslitut de
Luxembourg^ xl (1^81)}, p. 2S8, et aussi les lel(re.s insérées dans le
tome m (18i7) des Publications de la Société pour la recherche et la
conservation des monnmenls historiques dans le grand-duché de
Luxembourg. Oollut {Mémoires historiques de la République séqua-
noise^ édit. Duvernoy, col. Wi)^) menUonne s<m admission dans l'Ordre
dJ la Toison d'Or en li8l, et fait remaniuer qu'il brisait l'écu de Neuf-
châtel par un lambcl d'azur.
(2) Cf. (iollut Duvernoy, op. cit., col. UGii.
- 124 —
d'Or depuig 1516(1). Tant que vécut son mari, Elisabeth
ne parait pas avoir songé à faire valoir ses droits sur
Chalif^ny. Mais le comte de Werdenberg mourut en 1530,
lors de la diète d'Augsbourg où il accompagnait Charles-
Quint ; alors Elisabeth, oflrant à sa cousine Marguerite la
somme fixée dans le traité de 1479, à savoir 4000 florins
d*or, lui réclama le domaine de Cbaligny. Marguerite
résista d'abord, invoquant les lettres de donation pure et
simple du domaine de Chaligny passées le 3 juillet 1477
en faveur de son beau-père Oswald de Thierstein, lettres
qui ne faisaient mention d'aucune gagière. Mais, après
mûre réflexion, la veuve de Henri de Thierstein dut
reconnaître comme bien fondées les prétentions de sa
cousine ; le 28 décembre 1530, en échange des 4000 florins
d'or, elle lui abandonna Chaligny (2).
Elisabeth de NeukhâtelAVerdenberg ne garda que deux
ans la seigneurie qu'elle venait de recouvrer. Le 4 août
1532, elle prenait encore le tilre de dame de Chaligny
lorsqu'elle confirma les libertés de Chûtel sur-Moselle,
qui, ainsi que Bainville, lui appartenait. Mais le mois
suivant, au moment de convoler en secondes noces avec le
comte Thierry de Manderscheidt, Elisabeth transféra la
terre et seigneurie de Chaligny à son neveu Sallantin,
seigneur d'lsembourg(3), de Neumageu et de Mont-Saint-
(1) Lo duc Antoine de Lorruino avait admis ce seigneur à son
service le 12 avril lliii Félix de Werdenberg s'éliiit obligé à servir
le duc en personne avec vingt -quatre, chevaux, ou, s'il en était empê-
ché, à se faire représenter par un gentilhomme avec douze chevaux.
Toutefois il ne serait pas tenu de marcher contre l'Autriche, l'Empire
et la Bourgogne (Documents de l'histoire des Vosges^ V, p. 42).
(2) Archives de M.-et-M., B, im, n» 23.
(3) Cette famille d'Isembourg était une des plus considérables du
Luxembourg. En V^^\, Sallantin. seigneur d'Isembourg, Neumagen et
Mont-Salnt-Jean, père du premier seigneur de Chaligny du même nom,
était Justicier des nobles du Luxembourg {Chartes de la famille de
Reinach, dans les Publications de la section historique de rinstitut de
Luj:embourgy n* âa7iK Sallantin, justicier des nobles depuis le 31 jan-
vier lo22, entre au conseil de Luxembourg en 1528; meurt le fô février
- 125 -
Jean, pour qu*il les tint, comme elle-même les avait tenues,
en fief « liège et rendable » du duc Antoine de Lorraine,
Quelques jours plus tard Sallantin, qui appartenait à Tune
des familles les plus considérables du Luxembourg, prêtait
foi et hommage au duc, « pour estre bon et léal vassal et
le servir envers et contre tous selon la nature des fieds et
comme ont fait ses prédécesseurs (1) ». En 1546, Henri,
seigneur d'Isembourg, avait succédé à son frère Sallan-
tin (2) ; le 8 mai, il portait foi et hommage à la régente de
Lorraine, Christine de Danemark, représentant son fils
Charles III, pour les c ville, chaslel, seigneurie et appar-
tenances » de Chaligny. A sa mort, la terre de Chaligny
passa, par succession, aux mains de Bonne dlsembourg,
mariée à Philippe, comte de Waldeck (3).
Bonne d'Isembourg et son mari Philippe de Waldeck
furent les derniers qui recueillirent Chaligny à titre
d'héritage venant de la maison de Neufchûtel. Cette
seigneurie s'était transmise par succession des premiers
seigneurs de Vaudémont à la comtesse de Waldeck ; une
vente, dont nous aurons à nous occuper ci dessous, la fit
passer en 1539 à un cadet de la maison de Lorraine. Il
était d'ailleurs fort naturel que la terre de Chaligny, sise
au cœur du duché de Lorraine et à trois lieues de Nancy,
ne demeurât pas longtemps aux mains d'un seigneur
allemand, absolument étranger à la région.
1533 (Van VVerveke, op. cit.). En l'iiO, Jean, des comtes d'Isembourg,
est archidiacre de l'église de Tn'ives (n* 2783» ; en 1522, Gerlach d'Isem-
bourg était conseiller et maréchal héréditaire de l'archevêque de Trêves,
(n» 2509).
(1) 25 septembre 1532, B. 599, n» 25. C'est ce môme SallanUn d'Isem-
bourg qui, en 15i^2, fut envoyé par Marie de Hongrie pour recevoir
le serment de fidélité des Luxembourgeois, dont le pays venait d'être
reconquis sur les Français Cf. Henné. Hii^toire du règne de Charles-
Quint en Belgique, VIII, p. 29. (Henné l'appelle Valentin, par une
erreur manifeste.)
(2) Sallantin mourut le 15 février 1544. Henné, op. cit., VIU, p. 219,
(3) Sans doute Philippe III.
- 126 -
IX
Durant les soixante premières années du xvi^ siècle,
Chaligny n'a pas d'histoire ; c'est dire que, préservée des
malheurs qui avaient marqué le xv* siècle, la population
de la seigneurie prospéra et s'enrichit. Le seul fait carac-
téristique qui mérite d'être signalé à cette époque se
produisit au temps de Sallantin d'isembourg. J'ai mon-
tré ci-dessus, à propos de la concession éphémère faite
de Chaligny à Antoine de Mohet en 1471, que le duc
Nicolas, ou mieux les gens de son conseil, y avaient
marqué leur intention de soumettre le seigneur de Cha-
ligny au bailli de Nancy, C'était là une grave innovation ;
car il parait certain qu'à l'époque antérieure les seigneurs
de Chaligny, pourvu qu'ils fournissent l'hommage et
le serment de fidélité suivant la coutume (l), et qu'ils
se comportassent en loyaux vassaux, étaient quittes
de toute autre obligation, et surtout n'avaient à tenir
compte des ordres d'aucun intermédiaire entre eux et les
ducs de Lorraine. Quant à leurs sujets, ils ne devaient
payer au Trésor ducal qu'un droit assez médiocre, dit de
sauvegarde, qui, comme on l'a vu plus haut, était perçu
par feu. Ainsi l'administration lorraine n'avait guère
d'occasions d'intervenir dans les affaires du domaine de
Chaligny.
Cette situation ne donnait point satisfaction au personnel
administratif de I^orraine au xv* siècle ; encore moins
répondait elle aux tendances centralisatrices du xvi^ siè-
cle, épo(|ue où les agents des souverains sont fort occupés
à constituer solidement la puissance territoriale, à niveler
les privilèges, et à faire sentir, partout où ils peuvent
atteindre, le poids de leur bras, déjà fort lourd. A plusieurs
reprises, non seulement en 1470, alors que Chaligny, par
suite de la saisie féodale, se trouvait aux mains du duc,
(1) Lo flof était rondablo à grande ou k polite force.
-- 127 ^
mais encore en 1499, liiOO et 1502, les habitants de la
seigneurie avaient contribué aux aides imposées à toute
la Lorraine (1) ; c'était un pas vers Fassimilation du pays
aux régions dépendant directement du duché.
L'administration lorraine en voulut faire un nouveau à
l'époque d'^ Sallantin d'isenibourg. Le bailli de Nancy
s'avisa alors d'accomplir des actes de juridiction dans
la seigneurie, de les sanctionner par des saisies, d'exiger
la présenc3 du seigneur aux assemblées du bailliage ;
il se dit en droit d'être l'intermédiaire entre le duc et
le seigneur, quand il s'agissait de faire parvenir la con-
vocation aux Etats ; enfin il réclama aux habitants de
la seigneurie les aides, tailles, impôts et redevances que
payaient au duc les habitants du bailliage, au lieu de s'en
tenir à l'antique droit de sauvegarde auquel les ducs du
XV* siècle bornaient leurs exigences. Sallantin se défendit
énergiquement contre ces prétentions ; il soutint que, pas
plus que ses prédécesseurs, il ne devait être appelé aux
assemblées du bailliage, et que ses sujets n'étaient d'ail-
leurs pas soumis aux charges financiôres pesant sur les
habitants de cette circonscription. Enfin, en ce qui con
cerne la juridiction, il déclara qu'elle lui appartenait en
dernier ressort, cju^il l'exercAt dans son « bulîet » (c'est i\-
dire dans son conseil), ou, selon les formes féodales, dans
l'assemblée de ses vassaux ; bien plus, il revendiquait le
droit de grAce, qui est par excellence l'attribut de la haute
justice (2). C'est pourquoi il s'indignait, ainsi qu'il l'écri-
vait au duc Antoine, « des fascheries et indeues nouvelle
(1) Ceci est all(^^u(^ dans un mc^moirc en faveur des prétentions du
hnilliage de Nanry (Arctiives de M.-et-AI., B, i5W, n- 26, 7"). Voir d'ail-
leurs sur les raisons alléguées de part et d'autres les pièces i et suiv.,
classées sous le n* 26.
(2) Voir l'exposé des prétentions des parties dans les documents
conservés sous le n" 26 de la layette Chaligny, Archives de M.-et-M.,
B, 5d9, notamment sous le 4" du n° 26 pour Sallantin, et sous le 7* pour
radministration lorraine.
-^ 128 -
tés que les officiers de Nancy me font journellement en ma
terre et seigneurie de Chaligny (1) ». Il pouvait d'ailleurs
invoquer les termes de Thommage qu'il avait prêté, dont
aucune clause ne justifiait les réclamations de l'adminis-
tration lorraine ; les Neufchatel, dont il était le successeur
régulier, n'avaient jamais été tenus des obligations spé-
ciales qu'on avait essayé d'imposer à Antoine de Moliet.
La querelle battait son plein en 1340; en 1341, elle fut
soumise à des arbitres (2\ dont j'ignore la décision. Dom
Calmel, dans sa Notice de la Lorraine, estime que Sallanlin
perdit sa cause (3). Je suis assez porté à croire que le
savant bénédictin ne se trompe pas. En effet, en 1553,
c'est au bailliage de Nancy que se débat un procès entre
le seigneur de Chaligny, Henri d'Isembourg, et un habitant
de Sexey aux-Forges, procès important, parce qu'il s'agit
de déterminer les limites de la Moselle du cùté de Sexey et
par suite celles de la seigneurie de Chaligny (4), On ne voit
pas que Henri d'Isembourg et son châtelain Thilleman
Hernier aient soulevé des objections contre la compétence
du bailliage, devant lequel ils obtinrent gain de cause
pour le fond.
(I) Archives do M.-ol-M., B, iJOO, n° 26: lettre au duc do Lorraioe,
daloo do Mont-Saint-Johan, 21 mars 15M9, a slil de Trêves ».
{±) B, 5Î)9, n" 2(i. Ces arbitres sont, jwur le duc de Lorraine : Jean
de Haussonvillo, chevalier, seigneur de Tur<|ucslein, bailli de l'év^ché do
Metz ; François de Bassompicrre, chevalier, bailli des Vosges ; Nicolas
Mcngin, prôsidont de Lorraine. Les arbitres choisis par le seigneur de
Chaligny sont: Bernard d'EItz, chevalier, seigneur d'Ottnnges, lieutenant
du gouverneur du Luxembourg ; Thiry de Metzenhausen, chevalier,
seigneur de Linsler ; Jean Kcck, docteur ès-droits, tous conseillers de
l'Empereur à Luxembourg. — Thiry de Metzenhausen, seigneur de
Linster, entra au conseil de Luxembourg en 1;"»^; Maître Jean Keck,
de Trêves, y entra en 152(» et y joua un rùle considc^rable. (Van Wer-
weke, op. cit., p. 2SS. On trouve sur ce procès des documents dans 1h
layette Sierck, Archives de M.-et-M., B, 931, n° 6; car Sallantin et le
duc de Lorniine étaient aussi en litige ù propos d'une alTaire de retrait
concernant Sierck.
(3) Article Chaligny.
(4) Archives de M.-ct-M., B, 599, n'^SS.
^ 129 -
Ainsi, ce qui caractérise la première moitié du xvt^ siècle,
c*est un eiïort marqué du gouvernement lorrain pour
mettre la main, autant que possible, sur la seigneurie de
Chaligny, jadis à peu près indépendante, et pour en
détruire, ou tout au moins en limiter les privilèges. Cette
œuvre paraissait sans doute d'autant plus opportune aux
Lorrains, que Chaligny était tombé, par le jeu normal des
successions, au pouvoir de propriétaires tels que les Isem-
bourg, qui étaient des Luxembourgeois, et après eux les
Waldeck, qui eux aussi, étaient étrangers à la Lorraine.
Comment se fût terminée cette évolution, c'est ce que nous
pouvons seulement deviner ; elle se trouva en effet inter-
rompue en 1559 par l'avènement de Nicolas de Lorraine à
la seigneurie de Chaligny (1).
(1) Jû ne siiis si Chaligny éprouva quoique dommage du fait de
guerre qui se produisit en i.'Jo2 dans 1h région voisine. On sait qu'en
celle année, an moment du siùge do Metz par Charles-Quint, le mar-
grave Albert de Brandebourg se trouvait à la léle d'un corps de
troupes dans le Toulois, où il appuyait TEmpercur. Le duc d'.\umale,
à la tè^e de forces inférieures, l'attaqua entre Saint-Nicolas et Ludres,
à la Croix-du-Mouticr, et fui battu.
CHAPITRE IV
Le oomté de Chaligny. — La période des Mercœur
1559-1610
SOMMAIRE
I. — Le traité de Blâmont. — Union de Chaligny et de Pont-Saint-
Vincent.
H. — La terre de PontSaint-Vincent avant 1363.
III. — Erection du comté de Chaligny.
IV. — Nicolas de Vaudcmont, duc de Mercœur, comte do Chaligny. —
Louise, de Lorraine, reine de France. — Marguerite de Lorraine,
duchesse de Joyeuse. — Le cardinal de Vaudémont.
V. — Philippe-Emmanuel, duc de Mercœur, propriétaire de Chaligny.
VI. — Henri de Lorraine, comte de Chaligny. — Sa postérité.
VII. — Mariage de l'héritière unique des Mcrocvur avec César de
Vendémo. — Vente du comté de Chaligny a François de Lorraine.
VIII. — Passages des troupes protestantes au comté de Chaligny. —
La campagne de 1587 ; la a bataille » de Pont-Salnt-Vincent.
I
Ce n'était pas un personnage de médiocre importance
que Nicolas de Vaudémont, le nouvel acquéreur de Cha-
ligny. Ce fils cadet du duc Antoine, alorsque son aîné Fran-
çois ceignait la couronne ducale, avait été investi des évô-
chés de Metz et de Verdun : nouvel exemple de Timpudenle
exploitation des dignités et. des domaines ecclésiastiques à
à laquelle se livraient, presque avec inconscience, les
familles princières et seigneuriales (i). Fort heureusement
ce prélat sans vocation n'avait reçu aucun ordre majeur,
quand la mort prématurée du duc François, son frère,
appela à la succession ducale le jeune enfant qui fut
(1) Il avait reçu à cinq ans la coadjutorerio do Metz. A Tâgc de
onze ans, il obtint en commende l'abbaye de Moyenmoutier (Abbé L.
Jérôme, VÀbbaye de Moyenmoutier^ I, p. 479 et s.).
- 131 ^
Charles III. La régence fut confiée simultanément à la
mère du nouveau duc, Christine de Danemark, et à son
oncle Nicolas, qui, abandonnant ses évôchés, se hAta de
rentrer dans la vie séculière, pour y retrouver les avanta-
ges et réclat d'un rang voisin du premier.
Ce serait sortir du sujet de cette étude que de raconter
les événements de cetle laborieuse régence. Nicolas de
Vaudémont était Bourbon par sa mère, sœur du trop célè-
bre connétable qui trahit François ^' ; il tenait de sa
famille maternelle une importante seigneurie d'Auvergne,
la baronnie de Mercœur. Partisan décidé de Tinfluence des
Valois, dont la politique en Lorraine était très active, il ne
put s'entendre avec Christine de Danemark, dont les
sympathies allaient vers TEmpire. Aidé des forces de la
France, qui, vers cette époque, s'emparait des Trois Evê-
chés et s'y maintenait malgré Charles Quint, Nicolas
triompha ; Christine de Danemark dut prendre le chemin
de l'exil; son fils Charles III fut emmené à Paris pour
être élevé à la cour.
Quoi qu'il faille penser de la ligne de conduite que
Nicolas de Vaudémont crut devoir adopter, il est certain
qu'en la suivant, il ne négligea pas le soin de ses intérêts
personnels. On verra plus loin ce qu'il fit pour consolider
sa position en France. En Lorraine, il n'était pas moins
soucieux de se créer une grande situation. Sans doute il
avait obtenu de porter le litre de comte de Vaudémont,
uni jadis au titre ducal par l'avènement de René II, puis
conféré à l'un des fils du vainqueur de Charles-le-Témé-
raire, le jeune Louis de Lorraine, qui mourut en 1528 au
siège de Naples. Mais à ce titre, aussi bien pour Nicolas de
Lorraine que pour son oncle Louis, n'avait été attachée
aucune seigneurie effective. Ne jamais séparer le Vaudé-
mont du domaine ducal, afin d'éviter le renouvellement
des luîtes qui avaient déchiré la Lorraine, c'était là un
T- 132 ^
principe qui gouvernait la politique de René II et de ses
successeurs (1).
Cependant, depuis de longues années, Nicolas de Vaudé-
mont ne cessait d'élever des réclamations, fondées, disait-
il, sur ce qu*il n'avait pas reçu la portion légitime qui lui
était due de la succession de son père. La querelle remon-
tait au décès du duc Antoine, survenu en 1344. En 1345,
un accord avait été conclu entre les héritiers Ju défunr,
grâce à l'intervention de deux frères d'Antoine, le cardinal
de Lorraine et le premier duc de Guise ; mais cet accord
n'éteignit pas toutes les discordes, non plus que la con-
vention passée à Augsbourg, en 1348, sous les yeux de
Charles-Quint, dont une des clauses permettait à Nicolas
de s'intituler comte de VaudémonL Cependant l'adminis-
tration de la tutelle de Charles III, qui avait appartenu à
Nicolas, avait fourni soit au duc, soit à son tuteur, des
causes nombreuses de réclamations réciproques, qui ne
faisaient qu'embrouiller leurs relations. Dès les premières
années de son gouvernement personnel, Charles 111
s'efforça de régler à l'amiable ces contestations.
Ainsi qu'on l'a dit plus haut. Bonne d'Isembourg,
comtesse àe Waldeck et dernière héritière des Neufchàtel,
avait en 1339 vendu à Nicolas de Vaudémont sa terre de
Chaligny. Après bien des tâtonnements, on s'accorda à
reconnaître que cette terre pouvait former le noyau d'un
domaine qui^ pour peu qu'on voulût bien l'agrandir, de-
vait répondre aux aspirations de Nicolas de Vaudémont.
Telle qu'elle était constituée, la seigneurie de Chaligny
semblait bien exiguë à Tex-régent de Lorraine. On sait
qu'elle comprenait seulement le territoire actuel de Chali-
gny, de Neuves-Maisons et de Chavigny. En outre, depuis
la destruction du chûteiiu de Chaligny, accomplie à l'épo-
(1) Collo indivisibillItS «Hait d'aillours la conscSjuenco, d'une clause du
testament de René H. rédigé en 1506 (Dom Calmet, Histoire de Lor-
raine, 2« édlt., Vï, Preuves, col, ccgmi).
— 133 —
que de la guerre d'Epinal, le domaine était dépourvu
de cheMieu ; on n'y trouvait ni forteresse, ni résidence
seigneuriale. Or, à l'époque des vieux comtes de Vau-
démont, pendant près de trois siècles, le domaine de
Chaligny avait appartenu aux propriétaires de la sei-
gneurie de Pont-Saint Vincent ; naguère encore, au temps
des Thierstein, cette union avait été reconstituée pour
quelques années. Il était d'autant plus important de la
rétablir, que Pont-Saint Vincent possédait le manoir fortifié
qui faisait défaut à Chaligny. Aux dépens de son trésor, le
duc Charles III consentit à acquérir Pont- Saint-Vincent
pour le donner à son oncle, afin que Nicolas pût, en y
réunissant la terre voisine qui lui appartenait, en former
le domaine seigneurial qui prit le nom de comté de Cha-
ligny. Ce fut là une des clauses, et non la moins impor-
tante, du traité conclu à Blàmont, le 21 novembre 1562,
qui rétablit la bonne intelligence entre Toncle et le
neveu (1). De nouveau, Chaligny et Pont Saint-Vincent
étaient unis par des liens qui devaient subsister jusqu'à la
fin de l'ancien régime. Le moment semble opportun pour
esquisser l'histoire de cette terre du Pont, qui, perdant
(1) Voir le texte in extenso de ce traité de Blâmonl: Archives do
M.-et-M., B, 6588; Bibl. Nat., Français, 22429 ; cf. Fond lorrain de la
Bibl. de Nancy, n" 549. Le traité renouvelle, en faveur de Nicolas, la
concession, quf lui avait été faite jadis par les autres héritiers de Renée
de Bourbon, de la baronnie de .Vcrcœur. Il le décharge des comptes
de tutelle ; en outre Nicolas obtient une somme, une fois donnée, de
200,000 fr. lorrains pour ses peines, travaux, labeurs et diligences
pondant la tutelle de Charles III. Le traité lui reconnaît de plus une
rente annuelle et perpétuelle de 24,000 fr. Ajoutez-y que le duc de
Lorraine cède à Nicolas la terre et seigneurie de Kœur, dans la val-
lée de la Meuse, non loin de Saint-Mihiel. Entin, jusqu'à ce que
Charles III ait deux enfants mAles, Nicolas pourra porter le titre de
comte de Vaudémont. C'est en effet le fils cadet du duc qui portait .e
titre ; son fils aîné s'appelait marquis du Pont. Le traité de Blàmont
fut ratifié par les sœurs de Charles III, Renée, qui fut la femme du
duc Guillaume de Bavière, et Dorothée, qui épousa le duc de Bruns-
wick. Nicolas de Lorraine acquit vers le même temps Timportant do-
maine de Nomeny, qui dépendait du temporel de Metz.
- 134 -
son autonomie, se trouva alors absorbée par le Comté de
Chaligny.
II
Pont-Saint-Vîncent ( 1) , village jeté sur la pente de la colline
de Sainte Barbe, à Tendroit où elle vient mourir dans la
Moselle qui y reçoit le Madon, appartenail, dès le xiir siè-
cle, aux coinles de Vaudémont. Cette terre, alors connue
sous le nom de Conflans, que lui valait sa position j^éogra-
phique, était pour eux d'un grand prix, car elle leur per-
mettait de surveiller, non seulement la riche vallée de la
Moselle, mais encore le débouché des routes dont Tune,
suivant le cours du Madon, conduisait le voyageur soit
dans leurs domaines de Vaudémont, soit à Mirecourt et de
là en Bourgogne, tandis que l'autre, passant par Neufchà-
teau, donnait accès dans la vallée de la Meuse et dans
les régions champenoises. Aussi, au commencement du
xiii^ siècle, le comte Hugues H de Vaudémont y avait créé
une ville libre suivant la loi de Beaumont-en Argonne, si
répandue dans les régions orientales de la France ; les
privilèges qu'il avait conférés à cette occasion à la bour-
gade, de mince importance encore, qu'il espérait trans-
former, furent, ainsi qu'on Ta dit plus haut, renouvelés
par Henri de Vaudémont-Joiuville en 1362, par sa veuve
Marie de Luxembourg en 1368, et une fois encore en
1431 par Antoine de Vaudémont, le redoutable adversaire
de René d'Anjou (2). Sous ce régime, l'humble village, qui
(1) Sur Pont-Saint- Vincent, il convionl de renvoyer le lecteur k
TimportâDte élude de M. Léon (iennain : lixcursions épigraphiqiies,
Pont-Saint-Vinceni, dans los Mémoires de la S. À. L., 3' série, XVI
(1888). On Irouvo, à la (in de celte élude, une chronologie des princi-
paux événements concernanl PonlSaint-Vincent.
i2) Le lexle lalin primitif el encore inédit de la charte de Pont-
Saint-Vincent se trouve aux archives de M. el-M., B, 419, fol. ?91,
dans une confirmation de i'Mi. L'acte est ainsi daté : actuin anno
gratie miUesimo ducenteainio tertio deciino, mense apritiSy ce qui
donne l'an 1213 au mois d'avril. Suit dans ce registre une traduction
— 135 —
n*était au début qu'un hameau dépendant au spirituel de
la paroisse de Sexey-aux-Forges, paratt avoir rapidement
prospéré. Ce ne fut pas seulement le fleuve, auquel il
devait toute son importance, qui contribua à lui donner le
nom substitué, dès le xiri® siècle (1), à celui de Conflans ;
cette désignation atteste aussi le voisinage du prieuré
fondé au xi"" siècle sur la rive droite de la Moselle, au lieu
où se trouve actuellement le village de Neuves Maisons,
par Tabbaye de Saint-Vincent de Metz.
Sans doute le passage du fleuve, soit au moyen d'un
pont, soit plus tard, au xiv<^ siècle, lorsque le pont eut
disparu, au moyen d'une barque, était soumis à l'exploita-
tion, non pas du seigneur de Conflans, mais de celui de
Chaligny. La distinction n'était d'ailleurs que de médiocre
importance avant 1367, puisque, du xu^ siècle à cette
époque, les deux seigneuries furent réunies dans la même
main. Lorsqu'elles se trouvèrent séparées par le partage
de la succession de Henri de Vaudémont-Joinville, les
seigneurs du Pont (c'étaient toujours les comtes de Vaudé-
mont) comprirent sans peine que, s'ils n'étaient pas
maîtres du passage, au moins ils en tenaient le débouché;
aussi, pour faire échec à la tour élevée sur le pont
lui-même, qui dépendait de Chaligny et disparut avec
ce pont au XI v^ siècle (2), ils construisirent, sur la pointe
française de Facte cl de sa confirmatioD ; la date qui y est donnée, 1200,
i3 avril, me parait provenir d'une traduction inexacte Voir le texte
français dans Lepage, Les Communes de la Meurihe, y* Pont-Sain t-
Vincent. Le registre B, 419, contient outre la confirmation de 1362,
qui émane de Henri de Joinville-Vaudômont, une confirmation donnée
le 15 décembre 1368 par sa veuve Mario de Luxembourg (fol. 290;
voir ci-dessus, p. 44), et une confirmation du 25 février 1431, donnée
par Antoine de Lorraine, comte de Vaudémont (toi. 290). Cf. Ed. Bon-
valot, le Tiers- Etat d'après la charte de Beaumont et ses filiales,
p. 197, et, sur les villes ncuve<«, l'intéressant travail de M. Ch. Guyot,
Les villes neuves en Lorraine {Mémoires de la S. A. L., 3' série,
XI, année 1883, p. 107 et s.}.
(1) Textes indiqués par L. Germain, op. cit,, p. 337.
(2) En 1410, le pont était ruiné, par l'etTet des grandes eaux, dit.
Alice de Vaudémont dans le dénombrement qu'elle servit k cette
-- 136 -
que lormait le rivage au confluent de la Moselle et du
Madon, un château-fort destiné à tenir en respect quiconque
essaierait de franchir le fleuve sans le consentement des
maîtres de Pont-Saînt-Yincent (1). Les comptes des rece-
veurs de Vaudéniontau xv<^ siècle témoignent à maintes re-
prises des travaux faits à ce château, notamment vers le mi-
lieu du siècle, en 1450 et 1451 (2). Les mentions, qui figurent
dans ces comptes, de la tournelle construite sur le Madon,
de la tour élevée au-dessus de la porte d'entrée et couverte
par un boulevard, des murailles formant Tenceinte, des
barbacanes disposées pour l'usage des défenseurs, nous
permettent de nous représenter une forteresse dans le goût
des postes fortifiés si nombreux dans ces contrées au
xv'' siècle. Un châtelain et un portier y séjournaient habi-
tuellement : tous deux étaient aux gages du comte de Vau-
démont. D'ailleurs, à la forteresse était jointe une exploita-
tion domaniale dont les bâtiments étaient édifiés à Tombre
époque (Bibl. Nat., Lorraine, 386, fol. 25 et s.). On n'ignorait pas alors
que « une tour soulloit cslre sur ledit pont, pour garder l'entrée et
l'yssue dudit passage et pour recevoir les dehus d'iccllui passage ».
Cette tour était gardée par le châtelain de Chaligny.
(1) Au commencement du XIV siècle, Henri III, comte de Vaudémont
et Isat>elle, sa femme, s'étalent fait construire un « hôtel » à Pont-Saint*
Vincent, sur la rive de la Moselle. C'est probablement l'origine du
château fort qui subsista jusqu'au xvn* siècle.
(2) Travaux importants au château du Pont en 14i9-1450 ; ils sont
exécutés sous la surveillance du châtelain. On travaille au boulevard
placé devant la porte, aux fossés, aux murailles du château, aux*
barbacanes, aux toitures (Archives de M.-et-M., B, 9707). L'année sui-
vante on exécute des ouvrages de charpente sur les deux angles des
murs du château ; on refait la tour au-dessus do la porte et la tour
{( par devers Madon (B, 9708) » En 1455, Monseigneur (c'est alors Antoine
de Vaudémont) fait construire une a vys » de pierre (escalier tournant)
au château de Pont-Saint- Vincent (B, 9712). En 1466, on fait un ouvrage
de (( massonnerie » sous « la tourelle du chastel devers Madon » ; on
travaille aussi à la prison du château et au pressoir (B, 9720). En
14671468, on travaille aux ponts et aux toitures (B, 9724, fol. 83, v*,
et passim) du château, de la halle, du four et du pressoir banaux. Je ne
donne ces mentions qu'à titre d'exemples ; on en trouvera beaucoup
d'autres dans la série des comptes de Vaudémont, conservée aux
Archives de M.-et-M.
— 137 —
de ses murs. Nous aurons Toccasion d'en parler dans la
partie de ce travail qui sera consacrée à l'histoire écono*
mique de Chaligny.
Depuis qu'avec René II les comtes de Vaudémont avaient
ceint la couronne ducale, la position de Pont-Saint- Vincent
avait perdu quelque peu de son importance pour eux^
parce qu'ils n'avaient plus à craindre les attaques dirigées
par les troupes ducales sur leurs domaines héréditaires de
Vaudémont. Peut-être est-ce pour ce motif que, tout en en
gardant la propriété, ils laissèrent à diverses reprises Pont-
Saint- Vincent passer en des mains étrangères, à titre d'en-
gagement ou^ comme on disait alors, de gagière. Lorsque
la duchesse Yolande et son fils René II crurent utile
d'acheter le château-fort de Spitzenberg dans les Vosges,
ils se procurèrent les fonds nécessaires à cette acquisition
en engageante Guillaume Odinet et à Marguerite de Ville,
sa femme, la terre de Pont-Saint-Vincent et le petit village
de Lorrey devant Hayon ; uni à Pont- Saint- Vincent lors de
cet engagement, Lorrey devait suivre jusqu'au xviii<^ siècle
le sort du bourg auquel, par hasard, il avait été attaché.
Cette gagière, contractée en 148o (1), fut éteinte en 1487 par
le remboursement des fonds dont elle garantissait la resti-
tution (2). Alors Pont Saint-Vincent et Lorrey, qui avaient
été mis de fait au pouvoir de Guillaume Odinet, retombèrent
(i) C'est en l'année do compte i48i-i48o que Pont-Saint- Vincent
sortit de la possession de René H. Le 18 juin dtôo, Marguerite de Ville
s'intitulait déjà dame de Pont-Saint- Vincent (Archives de M. -et-M.,H,460,
p. 59). Un acte passé ù Paris par René H, le 21 juillet i4S), nous donne
des renseignements sur l'opération qui eût lieu à ce moment. (Archives
de M. et-M., B, 599, n" 21). Yolande do Vaudémont, mère de René II, pour
se procurer 6.000 fr. dont elle avait besoin afin de parfaire la sommo de
8.000 fr., prix d'achat de Spitzenberg, avait engagé à Guillaume Odinet et
à sa femme Marguerite de Ville les terres de Pont-Saint-Vincent, Lup-
court, Manoncourt, Villeen-Vermois et Lorrey. René II ayant remboursé
3.000 fr. sur cette créance, le gage fut restreint, le 21 juillet 1485, à
Pont-Saint-Vincent et ù Lorrey.
(2) Une mention faite au dos de l'acte précité atteste que le rembour-
sement fut complété le 2 juin 1487.
- 138 -
en la possession du duc. Mais, sans relard, René les
engagea de nouveau, pour un capital de 5,000 fr., à un gen-
tilhomme d'origine basque, qui l'avait suivi dans ses cam-
pagnes contre le Téméraire: c'était le fameux Jeannot de
Bidos, connu pour avoir pris à la bataille de Nancy le
bâtard Antoine de Bourgogne, et pour avoir été ensuite
partie dans unequerelle retentissante avec un autredes ser-
viteurs de René II, Jean-Baptiste de Roquelaure (1). Avant
1488, Jeannot de Bidos et sa femme Madeleine de Parsper-
gaire étaient établis à Pont-Saint Vincent, où ils se signa-
lèrent par leurs libéralités ; en 1498, ils fondèrent, dans
réglise récemment reconstruite, une chapelle en l'honneur
de N.-D. de Pitié, ainsi que le démontre une inscription
qu'on peut lire encore sur un vitrail du temps, et élevèrent
une autre chapelle, dédiée à Ste-Barbe, au sommet de la
colline qui domine le village et qui, de ce patronage, a tiré
son nom (2).
En 1509, Jeannot de Bidos était mort. Esseline de Mont-
joye, qu'il avait épousée eu secondes noces, tenait à titre
de douaire les terres de Pont Saint-Vincent et Lorrey,
engagées par le domaine pour une somme qui, alors,
s'élevait en capital à 3,300 francs de monnaie lorraine (3).
(1) Dès le 16 février 1477, Bidos avait reçu de René II une rcoîc
annuelle de 500 fr. Le 8 avril 1478, René lui concéda la maison et sei-
gneurie de Remicourt (territoire de Viilera-lesNancy) confisquées sur
Vautrin de Rayon, partisan du Bourguignon (Lepage, Commentaires
sur la chronique de Lorraine, dans les Mémoires de la S, À. £., année
1859, p. 394 et s., et Communes de la Meurthe^ v<* Remicourt). Voir aussi
sur Jeannot de Bidos et sa compagnie, Lepage, Etude sur Inorganisa-
tion et les institutions militatres de la Lorraine^ p. 148. L'histoire du
duel auquel se déroba Roquelauro est justement célèbre. Sur l'épitaphc
do Ridos dans l'église de Pont-Snint-Vinccnt, cf. L. Germain, Journal
de la S A. L, XII, p. 232, et op. cit., p. 228 et s.
(2) Lepage, Commentaires^ p :i93. La femme de Jeannot de Bidos,
lors de cette fondation, était Madeleine de Parspergairc. Voir sur les
Parspergaire, Léon Germain, Mélanges historiques, p. 368 ; et l'étude
sur PuUigny de M. l'abbé Martin (les Parspergaire furent seigneurs de
PuUigny et d'Autrev dans la vallée du Madon), dans les Mémoires de
la S. A, L . 3* série, XXf, année 1893, p. ?3.
(3) Cet engagement est mentionné dans un acte, qui sera signalé plus
- 139 -
Cela Q^avait pas empêché René II d'y faire exécuter en
1507, aux frais de son Trésor, par rarchitecte Jacot
de Vaucouleurs, des travaux assez importants, puisqu'il
s'agissait d'abattre des parties considérables des deux tours
du château et de les réédider sur des bases plus solides,
avec des murs de six pieds d'épaisseur et des angles en
pierre de taille qui s'élevaient de la base de la construction
à la plate-forme qui la terminait (!)• Par un acte de loOO,
le duc Antoine, qui avait succédé à René H, prenant en
considération la situation d'Oswald de Thiersteîn, <( sou
très cher et féal cousin », fils du capitaine qui avait tant
contribué à la victoire de Nancy, l'autorisa à racheter Pont-
Saint Vincent et Lorrey à la veuve de Jeannot de Bidos,
ou, plus exactement, à se substituer à elle comme enga-
giste du domaine (:2). C'est ce que At Oswald, et, comme il
était alors seigneur de Chaligny, les deux terres se trou-
vèrent de nouveau réunies. Cet état de choses ne devait
pas durer. A la mort d'Oswald, ce ne fut point son frère
Henri, héritier de ses droits sur Chaligny, qui recueillit
ceux qu'il aurait pu prétendre sur Pont- Saint- Vincent. Le
sénéchal du Barrois, Louis de Stainville, avait rendu au
duc Antoine des services signalés en Lorraine et en Italie ;
il n'avait point d'établissement au duché de Lorraine.
A certaines conditions, parmi lesquelles figurait la charge
de rembourser le capital dû aux Thierstein, le duc Antoine
lui concéda, en 1514 à titre de gagière, le château et la
loin. Lo texte manuscrit se trouve à la Bibl. Nat., Lorraine, 111, fol.
24-28. Cf. Lopagc, Commentaires sur la chronique de Lorraine, p. 39i
et s. ; p. i09-41l ; L. Germain, op. cit., p. S91.
(i) Archives (le M -et-M., B, K)07, fol. 32:J. Il s'agit de deux tours
M qui tombent à terre devers la rivière ; elles estoient fondées sur
une traverse de bois ». On les a « relTaicles et rempiété »; on a fait
(I les fondements nécessaires et iceulx pillolé ». On a aussi construit
les angles en pierre de taille.
(2) 24 nov. 1509: Bibl. Nat., Lorraine, fol. 24-S8. J'ai montré ci-dessus
qu'il ne pouvait s'agir ici que du fils du célébra Oswald de Thierstein
qui avait rendu tant do services à René II.
— 140 —
seigneurie de Pont-Saint-Vincent (1). Dès lors cette terre
passa en la possession de la famille barroise de Stainviilc.
Cette famille la conserva environ cinquante ans, jusqu'au
jour où Charles m eut besoin de Pont Saint-Vincent pour
arrondir le domaine de son oncle, Nicolas de Vaudémont.
En échange de leurs droits sur Pont-Saint-Vincent, les
héritiers de Sluinville — c'étaient deux sœurs, Tune com-
tesse de Salm, l'autre dame de Dinteville — reçurent
une rente de mille francs sur les salines de Château-Salins.
Le duc Charles III, ayant ainsi repris la libre disposition
de PonI -Saint Vincent et de Lorrey, put alors, en les unis-
sant à Chaligny, former le comté qui devait donner satis-
faction à son oncle Nicolas.
III
La clause du traité de Blàmont qui portait érection du
comté de Chaligny fut mise à exécution par des lettres de
Charles III, en date du 5 janvier 1563. Parcet acte, la terre
de Chaligny, y compris Pont-Saint-Vincent et Lorrey, est
érigée en domaine héréditaire que Nicolas de Vaudémont
recevra du duc en fief lige et indivisible. Le comte sera le
premier vassal du duc de Lorraine ; il tiendra (( le premier
siège et dignité » après le duc. Il exercera dans son comté
tous les droits de haute justice et ceux qui en sont la
conséquence, sans dépendre en aucune façon du bailliage
de Nancy ; ainsi étaient écartées les prétentions qui avaient
causé tant de souci aux Isembourg. Toutefois le duc se
réserve quelques prérogatives qui accusent nettement sa
souveraineté. Si les justiciables du comté de Chaligny
relèvent en dernier ressort de leur comte et de ses tribu-
naux, si bien qu'ils ne sauraient interjeter appel devant le
duc, il n'est pas moins vrai qu'il leur sera permis de
déférer les sentences du comte et de ses officiers au duc et
(1) Archives de M.etM., B,599, n* 22.
- 141 --
à son conseil, non point par voie d'appel, mais par une voie
de recours extraordinaire, d'origine romaine, qu'on appe-
lait la supplication (1). De cette voie, les sujets du comté
firent usage à plus d'une reprise, comme on le verra plus
loin ; ainsi, dans les cas extrêmes, le dernier mot en matière
judiciaire appartenait dans le comté au duc et ù son con-
seil. En outre, tandis qu'il était formellement déclaré
que le comte de Chaligny ne pourrait lever d'impôts sur
ses sujets que dans les trois cas classiques (quand il
mariera sa fille ainée, quand il sera armé chevalier, et
quand, prisonnier de l'ennemi, il devra fournir une
rançon), le duc se réservait de les imposer en cas de
nécessité. En somme, gnice à la rédaction habile de ce
document, Charles III semblait à la vérité concéder à Nico-
las de Vaudémont les droits les plus étendus ; mais, en
réalité, le duc retenait l'exercice suprême du pouvoir judi-
ciaire et du pouvoir financier (2). Il est bon de remarquer
que le nouveau comte de Chaligny ne trouvait dans son
domaine aucune ressource militaire. Si l'on tient compte
de tous ces faits, on reconnaîtra que la fondation du
(1) Cette voie de recours apparaît dans la procédure du Bas- Empire
{Code deJustinien, I, 19; VIï, 42, et passim).
(2) Archives de M.-ot-M., B, 599, n" 33 (copie ancienne) : B. 34,
fol. 175. Cf. Dom Calmet, Histoire de Lorraine, 2« édit., V, col. 5i6-i>47.
— Le 13 janvier 1563, le duc concédait k Nicolas de Vaudémont unu
pension annuelle de 12,090 francs, payable en deux termes (B. 34,
fol. 178). Elle était encore payée en 1568 (B. 1148). Nicolas de Vaudé-
mont se fit attribuer en flef, vers la même époque, la terre de Nomeny ;
la concession émane du cardinal de Lorraine, administrateur de l'évô-
ché de Metz, dont celte terre relevait. Il obtint, étant très avide de
titres, que Nomeny fût érigé en marquisat i)ar l'empereur Maximi-
lien II le 9 juin Ki67 (Dom Calmet, op. cit., V, col. 734 ; cf. BIbl. Nat.,
Dupny, 752, fol. 68, où l'on trouve le texte du diplôme impérial). Il est
piquant de constater que Nicolas de Vaudémont, partisan avéré de la
politique française, n'hésita pas, quand il crut y avoir intérêt, à provo-
quer un acte de la souveraineté impériale dans les Trois-Evéchés. — Vers
la même époque. le 15 juin 1563, Nicolas vendit au duc Charles III le
château de la Malgrango, près Nancy iLopage, Les Communes de la
Meurthe^ v* Malgrange).
- 142—
comté de Chaligny laissait au duc de Lorraine les attributs
essentiels de la souveraineté. Jamais les comtes de Vaudé-
mont du moyen-âge ni les Neufchàtel ne se fussent accom-
modés d*un pareil régime, qui leur eût semblé incompa-
tible avec leur indépendance. Mais le temps avait marché,
entraînant les sociétés politiques vers le régime des Etats
constitués sur un territoire homogène que gouverne un
maître absolu.
Le 10 mai 1563, les habitants de Pont- Saint Vincent
voyaient arriver au château des comtes de Vaudémont deux
personnages importants. L'un était Gérard le Bouteillier,
chevalier, seigneur du Vigneul, conseiller du duc et
son sénéchal pour la Lorraine. L'autre, qui portait le nom
roturier de Christophe Didelot, exerçait les fonctions de
conseiller secrétaire du duc et d'auditeur de ses comptes.
Tous deux étaient munis de pouvoirs du duc Charles III,
qui se trouvèrent rédigés en bonne et due forme. Ils
rencontrèrent à Pont-Saint-Vincent Nicolas de Lorraine,
qui, dans l'acte dressé ce jour, prend les titres de comte
de Vaudémont et Chaligny, baron de Mercœur, de Chaussin
et de la Perrière, seigneur de Kœur et de Nomeny ;
auprès de lui se trouvaient les maires, échevins et gens de
justice de Pont-Saint- Vincent, de Chaligny et de Lorrey,
plusieurs membres du clergé, et nombre d'habitants du
comté, sans doute choisis parmi les plus considérables.
Les délégués de Charles III déclarèrent à celte assemblée
que le but de leur mission était de mettre Nicolas de Vau-
démont en possession « réelle et actuelle » du château,
terre et seigneurie de Pont-Saint-Vincent, désormais joints,
unis et incorporés au comté de Chaligny, et en même temps
de tout le comté En signe de mise en possession, ils lui
délivrèrent les clefs du château ; en même temps ils
délièrent les habitants et officiers du comté des serments
qu'ils avaient pu prêter au duc et leur enjoignirent d'être
-- 143 -
les sujets obéissants du nouveau comte (1). Désormais le
comté de Chaligny était constitué ; le château de Pont-
Saint'Vincent se trouvait naturellement désigné pour ^tre
de temps en temps la résidence du comte et en tout temps
le siège de son gouvernement.
IV
Nicolas de Vaudémont possédait sans doute en Lorraine
tous les avantages que peut donner l'éclat d'une naissance
illustre et d'une fortune considérable, joint au souvenir
d'un grand rôle politique. Cependant la Lorraine n'était
pas au premier rang de ses préoccupations. En réalité,
c'est la cour des Valois qui l'attire ; ce sont les faveurs
qu'on y obtient et la réputation qu'on y conquiert qui font
l'objet de son ambition. 11 accepte d'être capitaine d'une
des compagnies d'ordonnance du roi de France, et met son
orgueil à se faire décerner des titres qui sonnent bien dans
l'entourage royal. Etre baron de Mercœur ne lui suffit pas :
il réussit d'abord à transformer sa baronnieen principauté,
et ne se tient pour content que lorsque, en dépit de certai-
nes résistances, le roi en a fait un duché pairie. Peut-être
trouvera- ton étrange de voir le premier prince du sang
Lorrain attacher une telle importance à prendre rang parmi
les pairs de France. Il convient cependant de constater ce
fait, qui démontre une fois de plus le prestige de la royauté
française, et la fascination que depuis plusieurs siècles la
cour de France exerçait sur les membres des dynasties qui
gouvernaient les régions intermédiaires entre l'Allemagne
et le royaume capétien, au grand préjudice de l'indépen-
dance de ces dynasties.
(1) Cette prise de possession est constatée par un acte notarié dressé
à la rcquôle de Claude Mourot, écuyer, licencié es lois, conseiller du
comte Nicolas. Archives de M.-et-M., B, 51^, n"* 3i. — l^armi les
témoins figure « Messire Dominicque Fescheur, prcbstre, chapelain
audit Challi^njr ».
- 144 -
Ce ne sont pas les alliances contractées par Nicolas de
Vaudémont qui eussent pu le détourner de cette tendance
à affecter les allures d'un grand seigneur français. A l'épo-
que où il acquiert Chaligny, il est marié, en secondes
noces{l), à Jeannede Savoie-Nemours. Or le père de Jeanne,
frère de Louise de Savoie et, par suile, oncle de François I^"",
était, non seulement « très homme de bien et d'honneur»,
mais encore « très-bon François (2) » ; le mariage que
ce personnage avait contracté avec Charlotte de Longue-
ville, l'héritière des Dunois, n'avait pu que le rattacher plus
étroitement à la maison royale. Il n'est pas étonnant que
leur fille, « Madame de Mercure », ainsi l'appellent les
mémoires du temps, nous apparaisse comme une grande
dame de la cour de Catherine de Médicis, sa cousine ger-
maine par alliance. Remarquez en outre qu'elle élait la
sœur du fameux Jacques de Nemours, célèbre par ses qua-
lités de courtisan, de séducteur et de capitaine, arbitre des
élégances à la cour, si bien que Branlùme a pu écrire de
lui : (( Quand on portoit un habillement sur sa façon, il
n'y avoit non plus à redire que quand on se façonnoit en
tous ses gestes et actions (3) » ; il était d'ailleurs aussi bon
Français que son père, et bien plus Nemours que Savoie.
C'est ce personnage, v( fleur de toute chevallerie », encore
qu'en toutes ses affaires il ne se soit pas laissé guider par
(1) Il avait cpousô en premières noces Marguerite d'Egmont. On verra
plus loin qu'il épousa en troisièmes noces Catherine d'Aumale. De ces
trois mariages il eut de nombreux enfants. Voici ceux dont J'ai ren-
contré la mention. Du premier mariage naquit Louise, qui épousa le
roi de France Henri \\l ; du second mariage sont issus Philippe-Emma-
nuel, duc de MercŒur ; Charles (lé cardinal), François (marquis de
Chaussin , et Marguerite (duchesse de Joyeuse) ; du troisième, Henri
(comte de Chaligny), Antoine (chanoine de Trêves), Eric (évoque do
Verdun), et une fille qui mourut sans doute très jeune (Archives do
M.-ct-M., B, 0388, actes relalifs au règlement de la succession de
Nicolas, contenus dans une layette concernant le château de Kœur).
^Jualorze enfants lui sont attribués par Vllon, Histoire générale des
Maisons souveraines de l'Europe (1812), t. Il, 2' partie, p. 133 et s.
(2) Brantôme, Œxivres^ Edit. Lalanne (Société de rHistoire de France)
IV, p. 183.
(3) im, p. 165.
— 145 —
le seul sentiment, que Madame de Lafayelle a pris pour
héros de son roman de la Princesse de Clèves ; à côté de lui,
sa sœur, la nouvelle comtesse de Chaligny, tient un rôle
dans ce roman. Quand plus tard Mercœur est devenu veuf
de Jeanne de Nemours, c'est sans doute une de ses cousines
de la maison de Lorraine, Catherine d'Aumale, qu*il épouse
en troisièmes noces ; mais les Aumale, branche des Guise,
sont en réalité des princes français au service des Valois.
Le père de Catherine, Claude d'Aumale, avait épousé ia
fille de Diane de Poitiers ; ce personnage, grand veneur de
France, colonel général de la cavalerie légère, fut tué en
1573 au siège de La Rochelle. De toutes parts Nicolas de
Vaudémont était étroitement lié à la société française.
Cependant, si Français qu'ilfût, le comte de Vaudémont
séjournait souvent en Lorraine, et parfois il venait passer
quelques jours à Pont-Saint-Vincent. Malheureusement les
comptes de ce domaine, qui nous eussent renseignée sur
ces séjours, sont tous perdus, sauf un, celui de Tannée
1568-1569, qui est conservé à la Bibliothèque de la Société
d'Archéologie lorraine (1). Ce document contient la men-
tion d'une sommede douze francs remise, ennovembre 1568,
par l'intendant, à Mademoiselle, fille aînée de Nicolas,
« par ordonnance de Monseigneur ». La jeune princesse qui
habitait alors le château du Pont et y recevait les largesses
de son père n'était autre que la future reine de France,
Louise de Vaudémont.
Mademoiselle de Vaudémont fut remarquée par Henri III
qui, n'étant encore que duc d'Anjou, l'aperçut au moment
où il traversait la Lorraine pour se rendre en Pologne.
Quoiqu'il ne pût se piquer de fidélité en amour, c'est elle
que, deux ans plus tard, à son retour en France, il
choisit, après avoir écarté la proposition d'une princesse
(1) Ms n- 124. Il serait fort à désirer que l'on retrouvût les comptes
du comté de Cliali^ny au temps des Mercœur. Nous les possédons au
complet pour la période suivante, qui s'ouvre en 1611.
10
— 146 —
de Suède, que lui faisait sa mère (1) ; le mariage fut célé-
bré à Reims, en février 1576, le lendemain de son sacre (2).
Douce et pieuse, la jeune reine se tenait à Técart de la poli-
tique : aussi ne porta-t-eUe aucun ombrage à Catherine de
Médicis qui se résigna sans peine à cette union, jugée par
quelques-uns inégale. Cependant réponse de Henri III ne
fut pas heureuse ; elle ressentit cruellement la disgrâce
de n*avoir point d'enfants pour continuer la lignée des
Valois. Dans les splendeurs du Louvre ou de Fontaine-
bleau, et plus tard, sous le doux ciel delà Touraine ou du
Berry, dont les nobles demeures abritèrent son veuvage,
la pauvre reine dut parfois penser, non sans tristesse, au
château des Vaudémont, qui se mirait dans les eaux lim-
pides de la Moselle et qu'entouraient les dômes verdoyants
des grandes forêts.
Nicolas de Lorraine, dont ce mariage marquait le triom-
phe, n'en jouit pas longtemps ; il mourut Tannée suivante,
en janvier 1577 (3). Pendant les années qui suivirent immé-
(1) Ck>mte de la Fcrriôre, Lettres de Catherine de Médicis^ v. p. 107
et 113.
(2) Sur Louise do Vaudémont, voir : Comte de Bâillon, Histoire de
Louise de Lorraine, reine de France (Paris, 1884) ; Meaume, Etude
historique sur Louise de Lorraine^ reine de France (Paris, 1882). Voir
aussi les pages consacrées à Louise de Vaudémont dans l'ouvrage de
M. l'abbé C. Chevalier, Archives royales de Chenonceau^ Pièces his-
toriques relatives à la châtellenie de Chenonceau (Paris 186i) ; Intro-
duction, p. cxLiii et s., et passim.
(3) U mourut le 24 janvier 1577. L'inventaire du mobilier qui gar-
nissait le château de Pont-Saint Vincent fut drossé, le 26 janvier, par
ordre de Charles III, tuteur des enfants nés du mariage du défunt avec
Jeanne de Nemours ; U fut reçu par Gaspard Lallement, « prévost du
Pont à Saint-Vincent et comté de Chaligny », Bastien Hannus et Didier
Simonin, échevins de la justice dudit lieu. On y remarque les mentions
rolaUves au cabinet des médailles (publiées en 1878 dans le Cabinet
historique), aux cristaux, aux verreries, aux tableaux et portraits
conservés à la a salette ». U y avait au château de Pont-Saint- Vincent
un cabinet des armes assez peu garni ; c'est au château de Nomeny
que MercŒur conservait sa collection d'armes. L'inventaire du mobilier
de Pont-Saint-Vincent a été publié sous le n' 16 dans un recueil d'in-
ventaires qui forme un volume du Recueil des documents sur l'histoire
— 147 -
diatement sa mort, la cour de France demeura le véritable
centre de ses enfants ; c'est bien plus autourde Henri III qu'ils
gravitent qu'autour du duc de Lorraine. Le second duc de
Mercœur, Philippe-Emmanuel, qui, du vivant de son père,
portait le titre de marquis de Nomeny, avait contracté un
mariage qui n'était point fait pour diminuer son influence:
il avait épousé Théritière des Pentbièvre, Marie de Luxem-
bourg, princesse de Martigues, qui se rattachait par ses ori-
gines éloignées à la famille ducale de Bretagne. Une fille puî-
née de Nicolas de Lorraine, Marguerite, demeurait à marier ;
Catherine de Médicis se mit en tète d'en faire la femme du
prince de Condé, qui refusa, alléguant la différence des
religions (1). Alors Henri III maria sa belle-sœur, qu'il
avait richement dotée, à l'un de ses favoris, Anne de
Joyeuse, pour lequel un duché-pairie fut érigé à cette
occasion. Ce personnage était connu pour son goût pour
le faste ; grâce aux largesses du roi et des princes, lesfôtes
de son mariage égalèrent en éclat, selon Brantôme, <( les
sacrées et superlatives nopces de nos roys de France et de
leurs sœurs, filles de France (2) ». C'est au cours de ces
fôtesque la reine Louise fit exécuter, avec une magnificence
que les contemporains n'ont pas oubliée, une œuvre de
D'Aubigné, le Ballet de Circé, où elle môme parut à la tête
des naïades (3). En tournois, carrousels, spectacles et fêtes
de nuit, combat naval, présents et autres profusions sem-
de Lorraine^ t. XVf, 1891. — L'inventaire des livres conservés au châ-
teau a été publié en 1880 dans les Mémoires de la S. A. L. (3* série,
VllI, p. 340 et s.), on même temps que celui de la bibliothèque do
Nomeny, par les soins do M. F. de Çhantcau. La bibliothèque do Pont-
Saint-Vincent était peu nombreuse ; celle de Nomeny élait beaucoup
plus riche.
(il Comte de la Kerrière, Lettres de Catherine de Mcdici^, VII, p. 210;
duc d'Aumale, Histoire des princes de fondé, II, p. iîl.
(2) Branl<>me, Œuvres, Vll, p. 397. — L'KsioiU^ Journal dm ij ne du
roi Henri lll.
(3) Sur le UnUetde Circé, voir l'appendice ajouté par M. do Uublcau
tome vu de ïlJistoire universelle d'Agrippa d'Aubigné (Société de
l'Histoire de France), p. 402 cl s.
- 148 —
blables, dit de Tbou, on dépensa bien douze cent mille écus
d'or (1).
La sollicitude des Valois s'étendit sur d'autres membres
de la famille de Mercœur. Plusieurs de ses fils furent pour-
vus de compagnies des ordonnances du roi. Un autre fils,
Charles, qui se fit d'Eglise, n'avait qu'un peu plus de dix-
sept ans, quand, en 1578, Grégoire XIII le créa cardinal (2) ;
deux ans après, il obtint l'évéché de Toul, auquel il joignit
quatre ans plus tard celui de Verdun, sans compter les
abbayes lorraines de Moyenmoutier et de Mureau dont il
fut titulaire : il est certain que l'influence exercée à Rome
par la cour de France ne contribua pas médiocrement
à accumuler tant de dignités sur la tète du frère de la
reine (3). Le cardinal de Vaudémont (l'histoire le connaît
sous ce titre) fut d'ailleurs un prélat aussi zélé qu*exem-
plaire (4). Les habitants de Chaligny purent juger de sa
piété quand ils le virent, le 16 août 1883, à la tête d'un
grand pèlerinage de Toulois qui se rendaient à Saint-
Nicolas (5). Les pèlerins firent halte, pour y passer la nuit,
dans les prairies au milieu desquelles serpentait alors la
Moselle, au-dessous du promontoire de Chaligny ; peut-
Il) De Thou, Uiatoriœ sui iemporis, lxxiv, 17. Six ans plus lard.
Joyeuse trouvait la mort sur le champ de bataille de Goutras, où il
combattait Henri do Navarre. Sa veuve manifesta une douleur extrême.
Après douze ans de veuvage, elle épousa, en 1599, François de Luzem-
bourg-Piney, prince do Tingry. Elle mourut le 20 septembre 1625, et fut
inhumée aux Capucines de Paris, dont le couvent avait élé doté par sa
sœur, la reine Louise, et par sa belle-sœur, la duchesse de Mercœur.
(2) Voir, sur ce personnage, dom Calmet, Histoire de Lorraine,
2* édition, VII, col . 97 et s. — Sur la date de sa naissance (20 avril 1561),
voir le même ouvrage, 2* édit., I, col. cglxv.
(3) Voir en ce qui concerne l'évéché de Toul, lesLettres de Catherine
de Médicis, VI, p. i à vu, p. 222. — Sur l'abbaye de Moyenmoutier, que
Charles obtint en commende en 1581-1582, consulter l'abbé L. Jéréme,
l* Abbaye de Moyenmoutier^ I, p. 512 et s.
(4) Cf. Jérôme, op. cit., I, p. 514-515.
(5) Celle procession fut faite pour obéir k un bref de Grégoire XIII
qui demandait des prières publiques afm d'obtenir la paix de l'Eglise.
— 149 —
être le prélat alla-t-il demander Thospitalité au château de
PoDt-Saint-Vincent, voisin d'un quart de lieue, qui appar-
tenait à son frère aine, le duc de Mercœur. Charles de
Vaudémont fut enlevé en 1587 par une mort prématurée
(il n'avait que vingt-six ans). Alors le roi et la reine de
France ainsi que le duc de Lorraine s'efforcèrent de pré-
parer, pour un avenir assez rapproché, la nomination à
Toul d'Eric, frère puîné du défunt (1), et réussirent à lui
assurer dès 1588, encommende, Tabbaye de Moyenmoutier,
qui avait jadis appartenu à son père et à son frère. En 1593,
longtemps après la mort de son beau-frère Henri III, Eric
finit par obtenir, non Tévêché de Toul, mais celui de
Verdun, où sa conduite présenta les plus étranges con-
trastes (2).
La formation de la Ligue vint rompre cette harmonie si
parfaite entre les Valois et les Mercœur. Les fils de Nicolas
de Vaudémont prirent tous parti pour la cause catholique,
tandis que Henri III, dominé par la jalousie qu'il portait
aux princes lorrains, finit par se jeter du côté du roi de
(1) L. Jérôme, l'Abbaye de Moyenmovtier, 1, p. 519. D'après dom
Calmct {2* édit., VII, col. 35), on aurait tout d'abord essayé d'obtenir
Tévôché do Toul pour un frère d'Eric, Antoine, chanoine de Trêves,
mort à quatorze ans en 1587.
(2) Sur Eric, lire la curieuse étude de M. Ernest Langlols : Un évêque
de Verdun^ prince de Lorraine, ensorcelé^ marié et condamné par le
tribwial de l'Inquisition {Annales de l'Est^ IX, p. 277 et s.). En vertu
d'une sentence de l'autorité ecclésiastique, rendue en 1605, Eric dut
quitter son sièffe. H avait cependant donné des preuves nombreuses de
son zèle pour la réforme monastique (voir dom Calmct, Histoire de
Lorraine, 2« édit., VI, col. 139 et s.). En 1:)96, il avait voulu résigner
son évéché pour se faire Jésuite ; il vint à Rome afin do solliciler la
permission du Pape Clément VIII, qui le détourna de ce dessein et
le renvoya ù Verdun. Eric y retourna avec la résolution de « s'étudier
à faire tout le devoir d'un bon évoque ». {Lettres du cardinal d'Ossat,
avec des notes de M. Amelot de la Houssaye, Amsterdam, II, p. Ii9,
293, 317, 404). Peut-être ce personnage, miré dans les ordres sans voca-
tion, fut-il surtout un déséquilibré. On trouvera une appréciation très
sage d'Eric dans L. JénNme {op. cit., I, p. 518 et s ). Il résulte des let-
tres du cardinal d'Ossat que, déjà en 1596, Eric sVLiit rallié à Henri IV,
que son frère Mercœur combattait encore.
— 150 —
Navarre et des protestants. Ce n'est pas ici le lieu de suivre,
au milieu de ces événements, la carrière des enfants du
comte de Vaudémont. Deux seulement sont particuliè-
rement mêlés à l'histoire de Chaligny(l). C'est d'abord
l'aîné, Philippe-Emmanuel, qui garda dans son héritage
(i) Il convient tout au moins de mentionner ici le rôle d'un autre
fils de Nicolas de Vaudémont ; ]o veux parler de François, marquis de
Chaussin, à qui parait avoir ëlé attribuée la part de Nicolas de
Vaudi^mont dans le château et lo domaine de Thôlod (canton de Véze-
Itsc) ; Nicolas en possédait les deux tiers, qui d'ailleurs formaient une
propriété distincte de celle de Chaligny. Le marquis de Chaussin servit
sous le duc do Guise dans la campagne contre les reitres en 1587 ; puis
il combattit pour la Ligue. D'après une lettre écrite par Mayenne le
8 avril 1591 {Lettres du duc de Mayenne^ n" 357, dans les Travaux de
l'Académie impériale de lieims WIX et s., années 1858-1859 et s.), il
semble qu'à cette époque Chaussin ait été en Bretagne, auprès du duc de
Mercœur. En tout cas il se battait en Bretagne, pour lo compte de la Ligue,
au commencement de 1593 ; à cette date nous le trouvons aux environs
de Dol, luttant contre les royalistes conduits par Montgommery (ï)'Au-
bigné, VIII, p. 278 et 279). Il était fervent ligueur, comme semble l'in-
diquer un passage de la Satûe Ménippée (Ed. Labitte, p. 78). Il encourut
la disgrâce du duc Charles III, ainsi que l'a raconté M. Pfister dans un fort
intéressant article {Journal de la S. À. i.., année 1897). Chaussin, en-
levé de sa résidence de Thélod, au commencement de 1591, par les agents
du duc, fut transféré dans la forteresse de Châtel-sur-Moselle, l'ancien
château du maréchal de Bourgogne, qui appartenait alors à Charles III.
C'est là qu'en 1596, après une captivité de plus de deux ans, Chaussin
s'éteignit misérablement, oublié de ses contemporains. Nous ignorons
la cause de sa disgrâce. Peut-être faut-il la chercher dans la raison
d'État. En «'ITot, dès 1593, le duc de Lorraine concluait une trêve avec
Henri IV, dont 11 se rapprochait visiblement (dom Calmet, 2* édit., V,
col. 852). Los sentiments ligueurs de Chaussin ne l'amenèrent-ils pas à
accentuer son opposition ù ce changement de la politique du duc? Cela
n'aurait rien d'étonnant chez un frère de Mercœur. il est certain que
les (ils de Nicolas de Lorraine furent soumis à une rude épreuve par
l'évolution de Charles III. — Le marquis de Chaussin avait recueilli les
biens appartenant à sa mère, Jeanne de Savoie-Nemours, on Oisans et
en Matoysine, régions situées dans la partie montagneuse du Dauphiné:
ces biens provenaient d'engagements consentis par Louis XI au comte
de Dunois, et avaient passé dans la maivson de Savoie-Nemours par le
maria«,Mî de rhériticrc dos Duncùs. En septembre 1593, l'administration
royale lit prononcer contre le marquis de Chaussin la réunion de ces
domaines (Abbé Dussert, Essai historique sur la Mure^ Paris-Grenoble,
2" édil., 1903, p. 251-2(il). Visiblement, Chaussin était traité en ennemi
par Henri IV et ses serviteurs.
— loi —
le comté deChaligny ; c'est en outre un fils puîné, Henri,
né du mariage de son père avec Catherine d'Aumale, qui
conserva le titre de comte de Chaligny, détaché à son
profit de la seigneurie qu'avait retenue Tainé (1).
La biographie du second duc de Mercœur mériterait à
elle seule un volume. Dès 1585 il était fortement établi en
Bretagne, par l'influence qu'y exerçait sa femme, aussi
bien que par la possession de deux places fortes, Dinan et
le Conquêt, dont Henri III lui avait confié le gouverne-
ment. Bientôt son autorité fut prépondérante dans la ré-
gion bretonne, dont il fut le véritable maître au temps de
la Ligue. Il s'y distingua plus comme capitaine que comme
chef politique.
Au moment où l'on entrevoyait comme possible le dé-
membrement de la France, la duchesse de Mercœur rêvait
pour elle-même la couronne ducale de Bretagne, au nom des
(1) Le 20 mars 1577, deux mois environ après la mort de Nicolas de
Vaudémont, une transaction intervint entre sa veuve, Catherine de
Lorraine-Aumale, son fils aîné, le duc de Mercœur, les autres enfants
du second lit représentés par leur tuteur, Charles III, duc de Lorraine,
et les enfants du troisième lit. Catherine de Lorraine élevait diverses
prétentions ; notamment elle réclamait le quart du comté de Chaligny.
Il fut entendu (et c'est l'objet même de la transaction) que les droits de
Catherine et de ses enfants consisteraient exclusivement en la terre et
seigneurie de Kœur, près SaintMihicl, et en 24,000 francs barrois sur la
recette du duché de Bar (Archives de M.-et-M., B, 6588, et E, 91). C'est
ainsi que Henri de Chaligny, l'ainé des enfants du troisième lit, ne put
prétendre aucun droit ?ur la terre dont il portait le nom ; cette terre, en
vertu d'arrangements de famille ultérieurs, revint à l'aîné, duc de Mer-
cœur. — Catherine de Lorraine jouit comme douairière du château de
Kœur, qui demeura la copropriété de ses fils Henri, Charles et Eric.
Henri en 1589, Eric encore en 1614, prennent dans les actes le titre de
seigneur de Kœur ; l'administration de la terre appartenait à leur mère,
tant qu'elle vécut. C'est à Catherine seule qu'on en rendait les comptes.
(Voir le compte de 1601 ; Archives de M.etM., B, 6584.)
— 132 -
droits héréditaires que, par Tintermédiaire des Peathièvre,
elle prétendait faire remonter à Jeanne la Boiteuse. Mer-
cœur, s*étant laissé aller à servir cette ambition, parait
avoir irrité à la fois Henri IV, les chefs de la Ligue et
Philippe II (1). Après avoir, suivant l'expression de Du-
plessis Mornay, nagé longtemps entre le roi de France et
le roi d'Espagne, ne pouvant se résigner à prendre un
parti décisif, « et se confortant sur ce mot : Interea fiet
aliquid (2) », il finit par se rallier, le dernier, en 1598, au
parti de Henri IV. Sans doute, il obtint de ce prince de
larges concessions ; mais il lui fallut se résigner (le sacri-
fice fut dur à Mercœur et encore plus à sa femme) à
accepter comme condition de la paix le projet d'un ma-
riage entre sa fille Françoise, jeune enfant qui était son
(1) Mercœur semble avoir voulu s'appuyer, dans la lutte qu'il soute-
nait en Bretagne, sur ses frères le baron do Chaussin et le comte de
Ghaligny. Vers 1592, on lui imputait lo projet de les doter à l'aide de
biens confisqués sur les plus considérables des ennemis de la Ligue en
Bretagne : « Le patrimoine de la maison de Laval et do la Hunauldayc
est gardé pour le marquis de Chaussy (Sic), (rère de Mercure. Et celluy
du baron du Pont, de Montbarrot et de Lyscoét, est gardé pour son
autre frère, le comte de Chalygny » (G. de Carné, Correspondance du
duc de Mercœur avec l'Espagne, publiée par la Société des Bibliophiles
bretons, Nantes, 18{)9, I, p. 147, n* M)0). Il no paraît pas que ce projet
ait été réalisé.
(2) Mémoires et Correspondances de DuplessisMornay, VII, p. 104.
— Un agent espagnol, don Mendo Rodriguez de Ledesma, dépeint ainsi
Mercœur : « Le duc de Mercœur est fin en ses trames à la française,
mais homme faible de courage et dans le fond peu batailleur. Son
inclination le porte plutôt à se ménager et k se reposer qu'à faire la
guerre ». (La fin do la carrière de Mercœur ne confirme guère cotte
appréciation.) Ledesma ajoute : « Il est lent et irrésolu, il prête l'oreille
tous, et la moindre chose fait impression sur lui. Il aime à traiter
avec des artifices, de manière à conserver une occasion et une porte
pour se dégager de ce qu'il promet. Il donne à entendre qu'il est faible
de mémoire ; mais cela lui sort pour ce qu'il ofîre, et non pour ce qui
est à son profit ». — Voir aussi sur ce personnage, Jouon des Longrais,
Le duc de Mercœur d'après des documenls inédits [Mémoires de la
section archéologique do l'Association bretonne, Saint-Brieuc, 1893)
et les conclusions qui s'en dégagent, résumées par M. J. Lcmoine dans
la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, LVII (189G), p. 448.
- 153 -
unique héritière, et César de Vendôme, le fils bâtard du
roi de France et de Gabrielle d'Estrées (1).
Mercœur eut le mérite de comprendre qu'après ce traité,
il n'avait plus rien à faire en France. Dans la lettre, assez
triste, qu'il écrivit le 24 mars 1598 à Philippe II pour lui
faire part de sa résolution de cesser la lutte, il montra
qu'il avait conscience de la gravité de l'échec auquel
avaient abouti ses longs eOorts : « Je perds, dit-il, l'autho-
rite que je m'estois acquise en ce gouvernement (de Bre-
tagne), et la croîance de mes amis et alliez (2j )>. Il pre-
(1) La reine douairière Louise de Vaudémont intervint à propos de
ce mariafco^ en des circonstances qui méritent d'être signalées. Cathe-
rine de Médicis lui avait légué Ghenonceaux que, le 20 janvier 1581),
Henri 111 avait déclaré franc et quitte do toutes dettes hypotliécaires.
Mais, comme les créanciers hypothécaires ne furent point payés par
la succession de Catherine, ils inquiétèrent la reine Louise, en dépit de
la déclaration de Henri 111. Or, en 1597, Gabrielle d'Estrées, ayant
visité Chenonceaux en compagnie de Henri IV, a s'éprit de cette belle
demeure ». Aussi acquit-elle, pour la somme de 22 mille écus, diverses
créances hypothécaires contre la succession de la veuve de Henri H.
A cette époque, Louise de Vaudémont était en butte aux poursuites
des créanciers de Catherine. Aussi, en juin 1598, elle se résigna à ac-
quérir les droits hypothécaires appartenant i\ Gabrielle d'Estrées, à
laquelle elle promit de rembourser les 22 mille écus ; son beau-frère le
duc de Mercœur lui servit de caution. La pauvre reine avait besoin
d'être cautionnée ; car, pour payer le premier terme de sa dette, il lui
fallut vendre trois perles de grand prix. Elle croyait avoir ainsi conso-
lidé sur sa lôte la propriété de Chenonceaux D'ailleurs, ce n'était pas
son intérêt personnel qu'elle poursuivait ; car, le 15 octobre 1598, elle
en donna la nue propriété à sa nièce Françoise de Mercœur et au flancé
de Françoise, César de Vendùme, a pour laisser témoignage à la pos-
térité du plaisir et contentement que Sa Majesté a reçu du mariage
futur accordé entre eux ». Ces actes ne purent recevoir leur effet,
parce que tous les créanciers hypothécaires de Catherine de Médicis
n'avaient pas été désintéressés. Plusieurs revinrent à la charge. Aussi,
le 21 novûmbre 1(j02, après la mort de la reine Louise et du duc do Mer-
cœur, la duchesse dut se résigner à de nouveaux sacrifices pécuniaires
afin d'affranchir la propriété de Chenonceaux. Grâce à ces sacrifices,
elle garda ce domaine qu'ù sa mort, survenue en 1021, elle transmit au
duc et à la duchesse de Vendôme. J'emprunte ces détails au volume
des Archives royales de Chenonceau.de M. l'abbé C. Chevalier, intitulé
Uebies et créances de la Reyne Mère Catherine de Médicis.
(2) G. de Carné, op. cit.. Il, p. 155, n« 354. Déjà l'agent de Philippe II
coDslataît en l.")97 le découragement et la tristesse de Mercœur {Ibid.^
p. 146, n» 346).
— 154 —
nait d'ailleurs la seule résolution qui pût s'accommoder
avec sa dignité : « Je supplie Votre Majesté, ajoute-t-il, que
je sois, par vostre faveur, employé en la guerre de Hon-
grie, contre l'ennemi irréconciliable de la chrétienté, où
j'espère rendre preuve de l'entière volonté qui me demeure
de servir Dieu en une si saincte et si juste entreprise,
puisque sa divine bonté ne m'a poinct jugé digne de le
servir en ce royaume ». On sait que Mercœur tint parole et
qu'il passa les dernières années de sa carrière à batailler
contre les Turcs, envahisseurs de la Hongrie, où il avait
mené avec lui des troupes lorraines (1). l\ devrait bien se
trouver quelque historien lorrain pour raconter les bril-
lants exploits du petit-tils du duc Antoine pendant cette
période qui fut la meilleure de sa vie (2). Mercœur mourut
à Nuremberg en 1602, empoisonné, disent quelques con-
temporains, par les Allemands qui lui portaient envie
parce qu'il les surpassait tous dans l'art de la guerre (3).
C'est là peut-être une allégation téméraire ; ce qui est mieux
assuré, ce sont les éloges par lesquels Brantôme conclut
les pages qu'il lui consacre. Celte mort fut, dit-il, un
grand dommage pour toute la chrétienté, à laquelle Mer-
cœur servait « de vray rempart » contre les Mahométans.
Le souvenir des luttes passées n'empêcha point D'Aubigné
de rendre hommage à ce prince « qui s'estoit fait capitaine,
(1) Voir, sur cette période de la vie de Mercœur, VHistoire de Phi-
lippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, par Bruslé de Mont-
pleincbamp (La Haye, 1691, in-12, p. 200). — Joignez-y ce qu'en dit
La Huguerye à la fin du tome III de ses Mémoires, p. 419-422. —
La Huguerye fait remarquer que Mercœur ne partit pour la Hongrie
qu'après un pèlerinage à Saint-Nicolas de Port.
(2) Consulter là-dessus: Détail de ce qui s'est passé en l'armée des
chrétiens en Hongrie contre les Turcs en l'année 4S00, par Alphonse
de Ramborviller, docteur es droits et lieutenant général au bailliage
de Metz; dans le Recueil A-Z., sous la lettre N.
(3) La Huguerye mentionne le soupçon du poison (p. 422). — Bran-
tôme, dans ses Grands Capitaines français, où il consacre un article
à Mercœur, est beaucoup plus affirmatif (Ed. Lalanne, Société de
l'Histoire de France, V, p. 194).
— 155 —
commandement d'une de ses compagnies d'ordonnance,
et qui, malheureux aux guerres contre les réformez, avait
combattu les infidèles avec un heur nompareil (Ij ».
Quand la triste nouvelle fut arrivée en Lorraine, un ser-
vice funèbre fut célébré en l'église de Pont-Saint- Vincent
pour le repos de l'âme de Mercœur ; l'église, à cette occa-
sion, avait été ornée de vingt-sept écussons aux armes du
défunt, peints par Jean Callot, le héraut d'armes qui fut
le père de l'immortel graveur (2). C'est ainsi que les habi-
tants du comté eurent l'occnsion de rendre un dernier
hommage au seigneur qu'ils avaient si peu connu.
VI
Henri, qui déjà du vivant de Nicolas de Lorraine portait
le titre de comte de Ghaligny, était jeune encore quand il
perdit son père (3). Les événements ne permirent pas qu'il
tirât grand avantage de sa situation de beau-frère du roi ;
nous savons seulement que Henri III lui avait donné le
(1) Histoire tmiverselle (édit. do Rublc, Société de l'Histoire de
France), IX, p. 399. — Il convient d'ajouter que Mercœur fut en 4604
inhumé à l'église des Cîordeliers de Nancy, sépulture de la famille de
Lorraine. Sa pompe funèbre fut conduite par Eric de Lorraine, évéque
de Verdun, le seul survivant de ses frères, et par deux de ses neveux,
fils du comte de Ghaligny, qui lui-môme avait précédé son frère dans
la tombe (Dom Calmet, Histoire de Lorraine, 2» édit. V. col. 867).
(2) Archives de M.-et-M., B, 3965. Ces écussons furent commandés
« par ordonnance verbale » du sieur de Rambouillet, trésorier du duc
de Mercœur.
(3) On trouve dans le ms. français de la Bibl. Nat., n* 3233 (fol. 19)
une lettre de Catherine de Lorraine, mère du comte de Ghaligny,
d'Eric et d'.4ntoinc de Vaudémont, adressée à sa tante la duchesse de
Nemours (Anne d'Esté, veuve de François, duc de Guise, épouse en
secondes noces de Jacques de Nemours) pour se recommander à
ses bontés, elle-même et ses petits enfants ; cette lettre est écrite de
Nancy, le 26 janvier 1577, c'est-à-diro deux jours après la mort de
Nicolas de Vaudémont. — • Le n' 3260, fol. 47, contient une lettre, sans
date, de Catherine de Lorraine « à Monsieur le connétable, pour le prier
de recommander à Henri III son ûls le comte de Ghaligny et de lui en
donner bon témoignage ».
— 156 —
Comme ses frères et ses parents de Lorraine, il servit le
le parti catholique ; à la diflérence de Mercœur, il ne
parait pas qu'il se soit laissé guider en sa conduite par des
sentiments intéressés. Dès 1587, il figura dans le petit
contingent français qui, sous les ordres du duc de Guise,
aida le duc Charles III de Lorraine à contenir Tinvasion
des rettres allemands appelés en France par le roi de
Navarre (1). En juillet 1590, le duc de Lorraine Charles III
l'envoya, à la tête de huit compagnies de chevau-légers et
de quatre d'arquebusiers à cheval (il se trouvait dans cette
troupe des compagnies albanaises) au secours de la ville de
Paris, étroitement pressée parle roi de Navarre (2). En cette
môme année, il fut chargé de commander, en Champagne,
des troupes lorraines que Charles III y avait établies,
disent les documents officiels, pour assurer la sécurité de
sa frontière (3).
Un personnage qui fut à la fois un capitaine et un diplo-
mate de ce temps, La Huguerye, accompagna le comte de
(1) Voir ci-dessous, p. 172 ol s.
(2) Août 1590 : Dépenses diverses pour les troupes de cavalerie
envoyées en France par Charles IV, « soubs la charge de Monseigneur
le comte de Challigny, au secours de l'Estat catholicque » (Archives
de M.-cl-M., B, 1225, (ol. 151153 et 264). — La Huguerye {Mémoiresi,
publiés par M. de Ruble pour la Société de l'Histoire de France, III,
p. 336 et s.), qui accompagnait alors Chaligny, dit que Charles III
chargea son cousin de conduire en France cinq compagnies albanaises.
Dom Calmet {Histoire de Lorrains, 2« édit., V, col. 831 et 838), indique
des chiiïres divergents. Je crois qu'il vaut mieux s'en tenir aux chilires
que j'ai mentionnés au texte et que j'ai empruntés à une lettre oflicicUe
de Charles III (Henry, Intervention de Charles III dans les affaires
de la Ligue, Mémoires de la S. A, I., xiv, 1861, p. 208 et 303}.
(3) Octobre 1590 : Dépenses diverses ordonnées par Charles III pour
subvenir aux besoin.s des troupes de cavalerie et d'infanterie Lorraines,
établies « soubs la charge de Monseigneur le comte de Challigny » sur
les frontières de Champagne (( pour la conservation des frontières » de
Lorraine (Archives de M.-ct-M., 13, 1225, fol. 154, col. 1). —' A Louis
Bamet. secrétaire, 50 écus valant 237 francs 6 gros, pour « subvenir aux
messagers, espions et aultrcs, pendant le temps qu'il a été avec Mon-
soignour le comte de Chaligny et les trouppcs que S. A. laissa eo
Champagne » {Ibid., fol. 275).
T- 137 —
Chaligny dans Texpédition entreprise pour venir en aide
aux Parisiens; il nous a laissé dans ses Méînoires quelques
renseignements sur ce voyage (1). Le chef de la Ligue,
Mayenne, n'avait que peu de goût pour les princes lorrains,
surtout pour ceux qui, comme Chaligny, tenaient de plus
près que lui à la souche ducale. La Huguerye, qui ne tarda
pas à s'en apercevoir, donna au prince son compagnon le
conseil de quitter Tarmée principale de la Ligue, pour se
retirer près de son frère le duc de Mercœur, a où il feroit
la guerre en toute prospérité et commodité et serviroit à
rhonneur et à la grandeur de sa maison ». Mayenne semble
s'être prêté à cette combinaison, en offrant au jeune prince,
vers la même époque, le commandement de la Basse Nor-
mandie, d'où il eût pu facilement donner la main à son
aîné Mercœur (2). A ces propositions, Chaligny, décidé à ne
point quitter les troupes lorraines, opposa un refus dont
La Huguerye ne manque pas de le blâmer. L'année suivante
il était encore question du départ de Chaligny pour l'Ouest
de la France ; en juillet de cette année (1391), Mayenne
s'adressa à Mercœur pour lui demander de protéger la
ville de Poitiers, en attendant que lui-même pût y envoyer
le comte de Chaligny (3). Je doute que Chaligny ait jamais
eu à s'occuper de semblable mission (4), car, à l'automne
de 1591, il se trouvait à Verdun, à l'occasion de la campagne
que les ducs de Lorraine et de Mayenne menèrent dans ces
régions contre Henri IV (3). Au commencement de l'année
1592, il participait aux conférences tenues à La Fère entre
(1) Op. ctt., III, p. 336 et s.
(2) Lettres du duc de Mayenne (dans les Travaux de V Académie im-
périale de Reims, XXIX et s.), n* 20ft.
(3) G. de Carné, op. cit., I, p. 70.
(4) Par mandement du 1*' juillet 1591, Charles III accorde au comte
de Chaligny mille écus, valant 4750 francs, à lui payés a ccstc fois de
grâce spéciale et pour certain bon respect » (Archives ^c M.-et-M., B,
1227, fol. 268). Chaligny était donc encore à cette époque au service
du duc de Lorraine.
(5) En octobre 1591, Chaligny commandait en Lorraine la compagnie
du feu chevalier d'Aumale ; il était avec trois autres compagnies sous
- 158 --
Alexandre Farnèse, duc de Parme, et quelques princes
lorrains, au sujet de la question brûlante de Télection
d'un roi de France. Peu de temps après, il était à Tar-
mée de Mayenne, au moment où les chefs de la Ligue
conduisaient en Normandie des opérations qui, gn\ce à
rintervention de Farnèse, aboutirent à forcer les royalistes
à lever le siège de Rouen. Au cours de ces opérations,
comme Chaligny, entre Dieppe et Neufchàtel, faisait une
reconnaissance à la tête de cent chevaux, il tomba sur un
gros de cavalerie ennemie, qui, se voyant supérieur en
nombre, eut vite fait de charger les Ligueurs. En un clin
d'oeil, soixante des cavaliers de Chaligny furent tués ou
pris ; lui-même, gravement blessé, dut rendre son épée à
un Gascon, connu sous le nom de Chicot (il s'appelait
Antoine d'Angleseys), maintenant fou de Henri IV après
avoir été fou de Henri III, vrai héros d'aventures dont
Alexandre Dumas a fait un des personnages de la Dame de
Montsoreau (I). Depuis plusieurs années, Chicot, grave-
ment insulté par le duc de Mayenne, s'était promis de se
venger sur le duc ou sur un prince de sa famille ; il n'y
avait pas encore réussi, quoiqu'en deux ans il eût eu cinq
chevaux tués sous lui. Cette fois Chaligny paya pour son
cousin ; mais Chicot avait reçu de son adversaire des bles-
sures auxquelles il ne tarda pas à succomber. Il avait aban-
donné son prisonnier à son maître Henri IV, sans récla-
mer pour lui-même une obole de rançon ; ce fut le Béar-
les ordres du duc d'Aumale. Sa compagnie comptait cent lances. Son
frère Chaussin commandait une compagnie de cent lances, placée
directement sous les ordres du duc de Lorraine {Estât et dénombre-
ment des deux armées qui sont à présent en Lorraine, Lyon, 1591 ;
reproduit dans le recueil de Schmit, Bibl. de Nancy, ms. 559, p. 325).
(1) Sur cet incident, consuller : d'Aubigné, VllI, p. 257; Duplessis-
Mornay, V, p. 199 et 200 : de Thou, livre Cil, ^l ; une lettre de Henri IV,
datée du 18 février 1592 (l'allaire était du 17) dans Berger de Xivrey,
lettres missives de Henri IV, 111, p. 569. D'après certains récits, Cha-
ligny, irrité de se voir pris, aurait frappé Chicot du pommeau de son
épée.
- 159 -
nais qui reçut et consola son cousin Clialigny, fort mor-
tifié de sa mésaventure. Il ne remit d'ailleurs le captif
en liberté que moyennant le paiement de 30 mille écus,
qui servirent à indemniser la duchesse de Longueville,
arrêtée naguère en Picardie par les Ligueurs, contraire-
ment au droit de la guerre, d'après ce qu'on disait au
camp royaliste. La fâcheuse histoire de la capture de
Chaligny se répandit^ aussi bien que celle de l'accueil
froid qu'il avait reçu de Mayenne ; on en trouve la trace
dans les paroles que le héraut de la Satire Ménippée
adresse au fils de Nicolas de Vaudémont : « Haut et puis-
sant comte de Chaligny, qui avez cet honneur d'avoir le
lieutenant (Mayenne) pour cadet, prenez vostre place, et ne
craignez plus Chicot, qui est mort (1) )).
En 1594, le duc de Lorraine scella avec Henri IV une
réconciliation qui se préparait depuis quelque temps. Désor-
mais Charles III oriente sa politique du côté de la France ;
bientôt il consentira au mariage de son fils Henri avec la
sœur de Henri IV, Catherine de Bourbon, huguenote
endurcie et d'un âge déjà mûr. A coup sûr Charles III sup-
portait alors avec impatience que des princes de sa maison
persistassent à combattre à la tête ou dans les rangs des
Ligueurs. Peut-être est-ce pour priver la Ligue d'un auxi-
liaire déterminé et pour se débarrasser d'un censeur impor-
tun que Charles III, en 1594, fit enfermer, dans la forte-
resse de Châtel-sur-Moselle, un des frères de Mercœur et de
Chaligny, le marquis de Chaussin, qui mourut misérable-
ment dans sa prison (2). Quant à Chaligny, après son aven
ture de 1592, il semble s'être tenu tranquille, si bien que
Charles III n'eut pas à prendre ombrage de sa conduite.
Toutefois le frère de Nicolas de Vaudémont ne se désinlé-
(1) Ed. Labitte, p. 36. £n réalité, Chaligny fut, comme les autres
princes Lorrains, invité à siéger aux Etats de la Ligue, par lettre des
Etats du 17 mars 1593. Je ne crois pas qu'il s'y soit rendu. (A, Bernard»
Procès-verbaux des Etals-Généraux de 459.1^ p. 91 et 9i).
(2) Voir ci-dessus, p. 150, note 1.
- 160 —
ressait pas du sorl de son aîné, qui poursuivait la guerre
en Bretagne. Vers le mois d'octobre 1596, Chaligny parait
s'être rendu auprès de Henri IV (1 ) ; sans doute était-il chargé
de quelque négociation pour le compte du duc de Mer
cœur, qui songeait dès lors à conclure la paix avec le roi.
Cette mission échoua : Tannée suivante, Mercœur invita
instamment son frère cadet à venir le rejoindre en Breta-
gne, en même temps qu'il supplia Philippe II d'assigner à
Chaligny a quelque pension pour l'obliger entièrement à
son service (2) ». Cette demande dut causer à Chaligny un
cruel embarras. Y accéder, c'était mécontenter à coup sûr
le duc de Lorraine; la repousser, c'était consommer
l'abandon d'un frère auquel il semble avoir porté une
profonde affection. Nous ne savons si Chaligny hésita
longtemps : en tout cas, à l'automne de Tannée 1597, il ne
négligeait rien pour déférer au désir de son aîné. Il pro-
jetait alors de s'embarquer dans un port des Pays-Bas pour
gagner la côte bretonne à la tête de 1200 Lorrains. Mais
Philippe IL fort déAant à l'endroit de Mercœur, dont il
redoutait l'ambition, entrava l'exécution de ce dessein. II
refusa la pension demandée pour Chaligny, en même temps
que le cardinal-archiduc, qui gouvernait les Pays-Bas,
s'opposa au passage des Lorrains dans les terres soumises
(1) Gela résulte d'une lellro qu'écrivait do Rome le cardinal d'Ossat
à Villcroy, le 16 octobre 1596. D'après celte lettre, « Eric, Monsieur de
Lorraine, évéque de Verdun m vient, d'arriver à Rome. D'Ossat est allé
le visiter, quoiqu'il soit frère de Mercœur, parce qu'il est aussi frère de
la reine douairière (Louise de Vaudémont), évéque d'une ville sujette
au roi, et, comme tel, vassal du roi. a II m'a dit qu'il étoit très humble
serviteur du roi, et qu'il n'étoit venu à Rome sans permission de S. M.,
et qu'il avoit un de ses frères. Monsieur le comte de Chaligny, auprès
d'elle » [Lellres du cardinal d'Ossat, avec des notes de M. Amclot de
la Houssaye, II, p. 149, lettre 84). Il résulte des Lettres missives de
Henri IV (publiée par Berger de Xivrey dans la Collection des Docu-
Vients inédits, IV, p. 48 et 677) qu'en octobre 1596, le roi négociait
avec Mercœur. Probablement la présence de Chaligny auprès du roi
avait trait à ces négociations.
(2) G. de Carné, op. cit., II, p. 123, n« 313.
- 161 —
à son autorité (1). Dès lors c'en était fait du projet du coiiUe
de Chaligny : j'imagine que le duc de Lorraine Charles lll
ne fut pas le dernier à s'en féliciter.
Après la pacification de la Bretagne, Chaligny suivit son
frère en Hongrie ; sous les ordres de Mercœur, il y com-
manda des régiments lorrains (2). A diverses reprises il
s'y distingua par sa valeur ; notamment il se couvrit de
gloire, en octobre 1599, à la tête des Lorrains et des
Wallons, lors de l'expédition entreprise afin de secourir la
ville de Canise, serrée de près par les Turcs. Il mourut à
Vienne en 1601, peu de temps avant son frère. Son
coeur fut rapporté en Lorraine et déposé à l'abbaye de
Saint-Mihiel (3), non loin de ce château de Kœur où
s'étaient écoulés les jours paisibles de cette vie agitée.
Dans l'oraison funèbre de Mercœur, qu'il prononça à
Notre-Dame de Paris (4), S. François de Sales loua haute-
ment « le comte de Chaligni, qui, ayant consacré le prin-
temps de ses plus belles années à la piété, a peu après
rendu le fruit d'une très saincte mort, au retour de plu-
sieurs braves exploits exécutez en la sainte guerre de
Hongrie, sous la conduite et à l'imitation de son frère ».
(1) Ibid., Il, p. 446, n»346.
(2) Voir VHistoire de Mercœur, par Bruslé de Montpleinchamp, ciléô
plus haut. A la page 201, cet écrivain parle ainsi de Chaligny : « Ce
jeune seigneur s'estoit déjà tellement distingué durant la Ligue
qu'Alexandre de Parme (Farnèse), qui se connaissoit aussi bien en
mérite qu'il en possédoit, avoit présagé des miracles de ce jeune Cha*
ligny, et il n'y eut que sa mort prématurée qui empêcha que les
prévoîances du prince de Parme n'eussent pleinement leur effet. »
(3) Dom Calmet, Histoire de Lorraine, 2r édit., Vil, col. cxv. Le
comte de Chaligny avait, le 30 mai lo98, fondé en l'église des Minimes
de Nancy une haute messe qui devait être chantée tous les mardis, au
grand autel, en l'honneur de S. François de Paule ; à l'issue de la messe
on devait chanter l'antienne de la Sainte Vierge suivant le temps, et
l'antienne, le verset et l'oraison do S. François de Paule. Chaligny
assigna, pour subvenir à cette fondation, une rente annuelle de
100 1. tournois à prendre sur les rentes que lui fournissait la recette
générale du Barrois (Archives de M.-el-M., H, 1042).
(4) Imprimée à la suite de l'Histoire de Merapur, citée plus haut.
Voir p. 285 de cette Histoire.
il
^ 162 -
Le comte de Chaligay avait épousé, en 1385, la fille d'un
gentilhomme de Picardie, le marquis de Mouy, qui était
veuve d'un cadet des Joyeuse (1). De ce mariage naqui-
rent trois fils et une fille. L'aîné des fils, Charles (2), était
naturellement destiné à porter, après son père, le titre de
comte de Chaligny ; c'est sous ce titre qu'en 1604 il
accompagna de Lorraine à Troyes les restes mortels de
Catherine de Bourbon, sœur de Henri IV et première
femme de l'héritier présomptif du duché de Lorraine
(le futur Henri II), que Ton ramenait à la sépulture des
Bourbons à Vendôme (3). C'est aussi sous ce titre qu'avec
son frère cadet et son oncle Eric, le seul survivant des
six fils de Nicolas de Vaudémont, il mena en 1604, à
Nancy, la pompe funèbre du duc deMercœur; les spec-
tateurs de ce cortège qui, vingt-cinq ans auparavant,
avaient connu la nombreuse et brillante famille du pre-
mier duc de Mercœur, purent alors constater l'œuvre
accomplie par la mort dans sa descendance. Comme on
le verra plus loin, ce fut Charles qui, probablement,
vers 1607 ou 1608, faillit épouser sa cousine Françoise,
l'unique héritière du duc Philippe-Emmanuel de Mercœur
et la propriétaire de Chaligny : grâce à ce mariage, le titre
et la terre de Chaligny se seraient rejoints. Peu d'an-
nées plus tard, il se fit clerc, et put, après la mort de
Henri IV, qui le délivra d'une opposition redoutable, rem-
placer sur le siège de Verdun son oncle Eric, que des
|i) Claude de Mouy, Glle du marquis de Mouy (près Saint-Quentin),
seigneur de Belencombc vers Neuf châ tel en Normandie, et de N., de la
maison de Suzanne, nièce de Jean-Jacques de Suzanne, comte de Serny
près de Laon. (Extrait d'une généaloj?ic dressée pour établir la noblesse
de François de Lorraine-Chali^^ny (fuand il voulut entrer au chapitre
de la cathédrale de Cologne. Bibl. Nat., Lorraine, 22, fol. 2; voir aussi
F. des Robert, Corres^pondance de Mcolas-Franrois, dans les Mémoires
de la S. A. /.., 3' série, Xlll (1885), p. là,').)
(2) V. de Saint-Allais (Viton), au tome II de son Histoire généalo-
gique des maisons souveraines, dit qu'il naquit le 18 juillet 1592. Cf ,
dom Calmet, 2' cdit., V, col. 8G7.
(3) Ihid., col. 8G4.
- 163 -
égarements de conduite avaient contraint à abandonner
son évôché (1). Charles voulut être évoque pour tout de
bon ; aussi reçut il en 1616 la consécration épiscopale des
mains d'Eric lui-môme dans la collégiale Saint Georges de
Nancy (2). Mais c'était alors une rude tâche pour un prince
lorrain que d'être évoque de Verdun: il fallait se résigner
à des luttes perpétuelles avec l'administration française,
luttes au cours desquelles disparaissaient peu à peu les
derniers restes de l'indépendance de l'église de Verdun.
Ces conflits contribuèrent-ils à dégoûter Charles de Lor-
raine-Chaligny des dignités ecclésiastiques? Rien n'est plus
vraisemblable. En tout cas, en 1622, il se démit de son
siège pour entrer dans la Compagnie de Jésus. Par ce
rare exemple de renoncement aux grandeurs du monde, il
convertit sa mère, Claude de Mouy ; cette princesse, recon-
naissant à son tour la vanité des choses humaines, fonda
à Gharleville le monastère du Saint-Sépulcre, où elle acheva
sa vie sous le nom de sœur Marie de Saint- François (3).
Le second des fils du comte Henri de Chaligny porta
comme son père le nom de Henri ; il releva en outre le
titre de marquis de Mouy, qui lui venait de sa famille
maternelle. C'est sous cette désignation qu'il fut connu à
la cour des ducs de Lorraine Henri II et Charles IV, où
s'écoula sa jeunesse (4). Mouy appartenait à la môme
génération que les enfants de Henri II et de son frère
François de Vaudémont ; Henri II lui avait concédé en
1615, à titre de fief masculin, une rente annuelle de
10,000 francs assignée sur les salines de Dieuze, afin de
(1) En i614, Charles, évoque de Verdun, et son oncle Eric adminis-
traient ensemble la terre de Kœur, dont ils étaient copropriétaires
(Archives de M.-et-M., B, f;o88).
(2) Dom Calmet, VI, col. 736 et s.
(3) Ibid., V., col. 743.
(4) Au carnaval de l'année 1610, Henri de Mouy fut chargé de mener
les gentilshommes lors d'un combat à pied, qui eut lieu devant la Cour,
dans la grande salle du palais ducal (Archives de M.-et-M., B, 13:J6 ;
voir l'inventaire imprimé).
- 164 —
lui permettre de soutenir « la splendeur de son extrac-
lion (1) ». Ce prince était chargé de gouverner Nancy,
au nom de Charles IV, quand, en 1633, les troupes fran-
çaises envahirent la Lorraine. Plus tard, réconcilié avec
Louis XIII, il se relira dans un domaine du Relhélois, qui
lui venait de sa mère (2). 11 parait, après l'entrée en reli-
gion de sou frère Charles, être devenu le seul propriétaire
de la seigneurie de Kœur, dont il ajouta souvent le titre à
celui de Mouy (3) : au contraire, ce n'est que tout à fait
exceptionnellement qu'on lui donna le titre de Chaligny (4),
litre nu qui avait appartenu à son père.et à son frère aîné.
Charles, en entrant dans la Compagnie de Jésus, avait
résigné ses bénéfices en faveur de son frère François, qui,
déjà doyen du chapitre de Cologne, fut aussi appelé au
siège épiscopal de Verdun. Pendant de longues années,
François de Lorraine administra cet évêché, tout en
s'abstenant d'entrer dans les ordres. Bien plus soldat que
clerc, il se jeta tête baissée dans les longues luttes que
soutint contre le roi de France le chef de la famille lor-
raine, le duc Charles IV. Au cours de ces guerres, le
temporel de Verdun fut mis en séquestre par l'adminis-
tration française, pour n'être rendu à l'évêque qu'après la
paix de Westphalie, à la condition qu'il prêterait serment
de fidélité à Louis XIV. Treize ans plus tard, déjà avancé en
(1) Bibl. Nat., Lorraine, 22, fol. 9 et s. Dès 1610, et pcut-ôtro avant,
Mouy touchait annuellement 7000 fr. de Lorraine, que lui fournissait
le Trésor ducal, pour son « cntretenement ordinaire » (Archives de
M.-et-M., B, 1328, fol. 315).
(2) F. des Robert, op. cit., p. 127.
(3) Dans les actes relatifs à Kœur, il s'intitule volontiers : Henry de
Lorraine, marquis de Mouy, seigneur de Kœur. On en trouvera des
exemples, notamment de 1622, 1623, 1626, 1633, dans une layette
relative à Kœur, conservée aux Archives de M.-ct-M., B, (»88.
(4) Il est intitulé Henri de Lorraine, comte de Chaligny, seigneur de
Kœur, dans un compte rendu en 1641 (Archives de M.-et-M., B, 6584).
Autour de la belle gravure de Nanteuil, qui représente Mouy, on lit :
Henry de Lorraine, marquis de Mouy, fils de Henry de Lorraine,
comte de Chaligny. Le marquis de Mouy vécut jusqu'en 1672.
— 165 —
âge, il se démit de son évôché et de tous ses bénéfices pour
épouser Gliristlne de Marsanne, baronne de Saint-Mange.
Il y était poussé, disait il, par des motifs de conscience;
jadis il avait fait enlever Christine des bras de sa mère,
et s'était lié à elle par une promesse de mariage. D'ailleurs,
comme son frère le marquis de Mouy, il mourut sans
laisser de postérité légitime (t).
La famille de Henri de Chaligny ne se continua que par
les femmes. Son unique fille, Louise, ainsi nommée sans
doute pour rappeler sa tante la reine de France, avait épousé
l'héritier du prince de Ligne, qui ne portait encore que le
titre de marquis de Roubaix (2). Ce mariage perpétua
rillustre maison qui tient une place importante dans fhis
toire du Pays-Bas. En 1670, Henri de Mouy, se voyant sans
enfants, donna sa terre de Kœur à un prince de Ligne qui
était son petit neveu. Après le retour du duc Léopold dans
ses États, le Domaine lorrain, méconnaissant cette donation,
fit vendre le château de Kœur. Cette vente provoqua les
réclamations du prince de Ligne et fut l'origine d'un inter-
minable procès qui, au cours du xviir siècle, donna lieu à
des incidents très vifs, mais étrangers à l'histoire de Cha-
ligny (3). U ne ])araît pas d'ailleurs que la famille de Ligne,
où s'était maintenu le titre de marquis de Mouy, ait songé à
relever le titre de Chaligny (4). L'eût-elle voulu qu'elle
(1) Dom Dilmel, Hialoirc de Lorraine, 2- édit., VI, col. 742-740; F.
des Roborl, op. cit., p. liG et s., indiqua In doscondancc illrgitimc.
(2) De ce maria^^e de Louise de Lorraine-Chaligny avec Klorcnt de
Ligue, naquirent deux fils, l'un prince de Li^uo, l'autre prince d'Am-
blise CD Hainaut (Bibl. Nat., Lorraine, 22, fol. 2).
(3) Voir Archives de M.-et-M., E, 31, et mémoires relatifs au proc('»s
en revendication de Kœur, Bibliothèque de Nancy, n" 7393 à 73W du
catalogue du Fonds lorrain. — Le procès avait lieu entre Claude-
Lamoral -Hyacinthe-Ferdinand, prince de Ligne, marquis de Mouy, et
le baron de Manonvillc, comte de Kœur. qui était aux droits du domaine
des ducs de Lorraine.
(4) En 1699, Hyacinthe, prince de Ligne, s'intitule marquis de Mouy,
seigneur de Kœur; il n'est pas question de Ciiuligny (Archives de
M.-et-M., B, 6588).
— 166 -
n'aurait pu le faire sans porter ombrage à la maison de
Lorraine, dont un membre et non des moins importants
avait acquis la terre de Ghaligny, au moment où les Mer-
cœur avaient cessé d'en porter le titre.
VII
On se rappelle peut-être que Tune des conditions du
traité passé entre Henri IV et le duc de Mercœur, en 1598,
avait été la promesse réciproque d'un mariage entre Fran-
çoise, unique héritière des Mercœur, et le fils bâtard du
roi et de Gabrielle d'Estrées, César de Vendôme. A cette
époque la jeune fiancée n'était âgée que de six ans : le
mariage se trouvait donc forcément reculé à une époque
fort éloignée. Avant qu'elle fût nubile, son père mourut au
cours de sa campagne contre les Turcs ; Françoise demeura
donc en puissance de sa mère, à laquelle plaisait fort peu
le projet d'union imposé à sa fille (1). Madame de Mercœur,
fîère de ses ancêtres, et aussi très pieuse, fort occupée de
bonnes œuvres (c'est elle qui acheva la fondation du cou-
vent des Capucines du faubourg Saint-Honoré à Paris,
entreprise grâce aux libéralités testamentaires de Louise de
Vaudémont) (2), rêvait pour la jeune Françoise un mariage
mieux assorti : ses vues s'étaient portées sur un des fils de
(1) Cf. Lettres missives de Henri IV, VII, p. 550, 555, 563 et s.; VII,
p. 94 et 655 cl les notes du marquis de la Grange, dans son édition des
Mémoires delà Force, I, p. 114. Il est dit dans ces notes que le candi-
dat préféré de la duchesse de Morcœur était Henri de Lorraine, comte
de Ghaligny. Mais Henri était un cadet, qui porta le titre de marquis
do Mouy ; le titre de Ghaligny ne pouvait alors appartenir qu'à l'alné
Charles, qui, à cette époque, n'était pas encore entré dans la clérica-
turc. Il est donc assez probable que c'est à Charles que pensait la
duchesse de Mercœur. Sur cette alïaire du mariage de Françoise de
Mercœur, consulter Davillé, Les relations de Henri IV avec la Lorraine
(Annales de l'Est, XV, 1901, p. 35 et s.). La duchesse de Mercœur vécut
jusqu'en 1623.
(2) Morte en 1601.
— 167 —
son beau frère Henri, comte de Chaligny. Mais le roi de
France n'entendait pas que Tliéritage des Mercœur et des
Penthièvre pût échapper à son fils César. En 1608, sa diplo
raatie est à l'œuvre pour combattre les hésitations et les
répugnances de la duchesse ; il fait successivement le siège
de tous les princes de la maison de Lorraine. Les uns
cèdent à la contrainte, les autres à des arguments qui se
traduisent par des espèces sonnantes. Pour le commence-
ment de Tannée 1609, le roi était arrivé à ses fins : le duc
Henri II, son frère François de Vaudémont, les Guises et
enfin l'évoque Eric de Verdun, qui était le dernier survi-
vant des oncles de Françoise de Mercœur, étaient acquis à
son dessein (1). La duchesse de Mercœur dut se résigner ;
le 7 juillet 1609, fut célébré le mariage qui fit de sa fille la
duchesse de Vendôme.
Françoise, on ne Ta pas oublié, avait trouvé dans la
succession de son père, sinon le titre, au moins le domaine
de Chaligny. Mais son mariage Téloignait pour toujours de
la Lorraine. D'ailleurs, une lettre que la duchesse de Mer-
cœur écrivit le 8 juillet 1610 prouve qu'en mère vigilante
elle s'inquiétait de la diminution des revenus de la terre
de Chaligny (2), à laquelle l'œil du maître manquait depuis
longtemps. Ces diverses considérations la déterminèrent
quelques mois plus tard à aliéner Chaligny. Par acte nota-
rié passé à Paris le 9 octobre 1610(3), Madame de Mercœur,
agissant au nom de sa fille la duchesse de Vendôme, vendit
à François de Lorraine, fils puîné du duc Charles 111 et
frère cadet du duc Henri II, la terre et le comté de Chaligny
avec les deux tiers de la seigneurie de Thélod. Le prix
convenu était de 160 mille livres tournois, dont la majeure
(1) De ce mariage devaient naître le cardinal de Vendôme et le duc
de Beaufort, le roi des Halles, celui-là môme qui fut tué à Candie.
(2) Je dois Tindication de cette lettre h l'obligeance de mon érudit
confrère, M. Léon Germain de Maidy.
(3) .\rchive8 de M.-et-M., B, 599, n' 49.
partie était déléguée a d'anciens créanciers du duc de Mer-
cœur(1). L'acquéreurs'obligeaitenoutreà diverses charges,
au nombre desquelles figurait le paiement annuel d'une
somme de 100 francs barrois au curé de Pont-Saint-Vincent
pour une messe du Saint Sacrement, qu'en vertu d'une
fondation de la duchesse de Mercœur, il devait célébrer
chaque jeudi (on sait l'importance que prit la dévotion au
Saint-Sacrement à la fin du xvp siècle dans les pays où le
catholicisme luttait contre la Réforme), et d'une somme de
90 francs barrois aux Cordeliers de Nancy pour services
fondés par Nicolas de Lorraine et par ses fils, le cardinal
de Vaudémont et le duc de Mercœur (2). Une fois encore le
comté de Chaligny passait aux mains du premier prince
du sang lorrain, qui, comme jadis Nicolas, le frère du duc
Antoine, portait le titre de comte de Vaudémont (3).
VIII
Le meilleur de l'activité des Mercœur avait été absorbé
par les querelles religieuses. Les mêmes querelles engen-
drèrent les événements qui, à diverses reprises, troublèrent
le comté de Chaligny, au temps où il était soumis aux Mer-
cœur. Périodiquement la Lorraine fut traversée par les
bandes qui louaient leurs services aux partis dont la lutte
(1) Deux ans plus tard, en 1612, elle vendit pour 9;;0,000 livres au
duc Henri de Lorraine le marquisat de Nomcny cl divers autres biens.
Les Vendùinc rompirent ainsi lous les liens qui les attachaient à la
Lorraine. La cession de Nomcny fut confirmée par l'empereur Mathias
le 22 octobre 1013 (dom Calmet, Histoire de Lorraine^ 2* édit.,
V, col. 73i).
(2) L'acquéreur de Chali<>ny s'obligeait en outre à payer 54 francs
barrois chacfue année pour les cierges dos services précités, à servir
âaO fr. par an au chapitre de Fénétrango, et à acquitter une rente
viagère de 54 fr. barrois.
(3) On voit que, sans cette vente de 1610, le comté de Chaligny fût
devenu la propriété de César de Vendôme et de ses célèbres descen-
dants.
— 169 —
déchirait la France. C'est surtout des auxiliaires du parti
huguenot qu'elle eut à souflrir.
On sait qu'en 1562, des reitres qui passèrent en Lorraine
pour aller au secours de Condé insultèrent Toul et com-
mirent aux environs de cette ville des actes de pillage (1).
Je ne suis pas en mesure de dire si ce pillage s'étendit aux
villages du comté de Ghaligny, éloignés de Toul de quatre ou
cinq lieues.
Nous n'en sommes pas réduits à la même incertitude en
ce qui touche le second passage des retires (2). A l'époque de
la deuxième guerre civile, Jean Casimir, fils de l'électeur
palatin Frédéric III, avait recruté des soldats pour venir en
aide à ses coreligionnaires, les calvinistes de France. Le
4 janvier 1568, lui-môme avait pénétré en Lorraine et
occupé Pont-à-Mousson, à la tête de 16,000 hommes, moi-
tié cavaliers allemands, moitié fantassins suisses. Cepen-
dant l'armée des réformés français, sous les ordres de
Condé et de Coligny, s'était portée à leur rencontre (ce fut
ce qu'on appelle dans les textes contemporains le voyage
de Lorraine) : elle avait abandonné ses cantonnements de
Saint-Mibiel, malgré la rigueur de la saison, pour faire sa
jonction avec les étrangers dans la vallée de la Moselle (3).
De là les deux colonnes réunies se dirigèrent vers la
région de Langres ; c'est sans doute au cours de cette
(1) Duc d'Aumale, Histoire des princes de Condé, I, p. i73; dom
Calmet, 2* édit., VII, col. 93.
(2) L'année précédente, en 15G6, les habitants do PontSaint-Vincent
avaient vu passer le jeune duc Charles III qui s'en allait à Huppes pour
y chercher sa nouvelle épouse, la princesse Claude de France, fille de
Henri II et de Catherine de Médicis (Notes de M. l'abbé Boulanger,
ancien curé de Pont-St- Vincent, qui m'ont été communiquées grâce à
Tobligeance de l'un do ses successeurs, M. l'abbé Bastion. M. l'abbé
Boulanger dit avoir emprunté cette note aux Archives, comptes
Pulligny).
(3) Comte de la Perrière ; La seconde guerre civile {Revue des
questions historiques, LVII, 1885), p. 160 et s. Voir le récit de La Noue
au chap. XV de ses Mémoires.
- 17Q -
marche qu'elles traversèrent, ou tout au moins effleu-
rèrent le comté de Ghaligny et les régions voisines.
En effet, noussavons par les témoignages contemporains
que des bandes de huguenots, laissées à Vicherey, s'empa-
rèrent de Bicqueiey et infestèrent le Toulois, jusqu'à ce
que le duc Charles III ait réussi à en purger la région (1).
Un compte financier atteste qu'un moulin du pays de Vau-
démont, appartenant au domaine ducal, fut brûlé par les
gens de guerre (2). En même temps les religieux de l'ab-
baye de Glairlieu, craignant la fureur des partis huguenots,
se retirèrent au fond de la forêt de Haye avec leurs bes-
tiaux (3). Quand on pillait dans le Toulois et dans les en-
virons de Vézelise, quand on tremblait à Glairlieu, il n'est
guère vraisemblable qu'on fût en reposa Ghaligny. D'ail-
leurs, des témoignages directs démontrent que le comté de
Ghaligny fut éprouvé à cette époque. Les redevances an-
nuelles que devait à l'abbaye de Glairlieu le domaine de
Ghaligny pour diverses causes, notamment pour le service
funèbre d'Alice de Vaudémont, ne purent être payées en
1567, faute de ressources suffisantes (4). En cette môme
année, les gens d'armes rompirent la porte du four banal de
Pont Saint Vincent, qu'il fallut refaire en 1568(5). De tous
ces indices, nous sommes fondés à déduire que le comté
de Ghaligny fut ravagé par l'armée de JeanGasimir, dans
une mesure que nous ne pouvons préciser, à l'époque où
cette armée était en marche sur Vézelise et le Vaudémont.
(1) Martin, Histoire des diocèses de Toul..., H, p. 27. — Bicqueiey
est situé non loin de Neufchàteau ; Vicherey est on plein Toulois, près
d'Ochcy.
(2) Le moulin de l'EstHnche en Vaudémont a été brûlé par les gens
de guerre. (.\rch. de Meurthe-et-Moselle, B, 9855, foi. 138.)
(3) Arch. de Meurthe ot-Moselle, H. 460, fol. 97. — En celle circons-
tance, les porcs appartenant ù l'abbaye de Glairlieu se sont échappés et
ont vagabondé dans les bois, d'où plus tard des difficultés entre l'ab-
baye et le seigneur de Maron.
(4) Compte précité du domaine de Ghaligny en 1568-1569.
(5) Ibid,
- 171 -
Huit ans plus tard, une nouvelle guerre déchire la
France; de nouveau, les huguenots ont fait appel à Jean-
Casimir, et celui ci, non sans leur imposer des conditions
très dures pour leur amour-propre national, a répondu à
leur invitation ; il fallut, en efTet, que Gondé s'engageât
d'avance à laisser au prince allemand l'administration
des Trois Evêchés (1). En novembre 157o, les troupes pro
testantes se réunirent aux environs de Château-Salins.
Le 2 janvier 1576, elles se trouvaient à Charmes, sur la
Haute-Moselle; c'était Condé lui-môme, avec Jean-Casimir,
qui commandait ces forces, dont l'effectif s'élevait à 10,000
hommes de cavalerie allemande et à 10 ou 12,000 fantas-
sins allemands et suisses; on n'y comptait qu'un petit
nombre de cavaliers français. Les craintes durent être vives
dans le comté de Chaligny ^2), d'autant plus qu'ion savait
par la rumeur publique qu'en dépit des engagements de
leurs chefs, les lansquenets allemands mettaient parfois le
feu à des villages, à des granges, à des fermes isolées, « au
grand dommage des povres Lorrains (3) ». Mais le flot de
l'invasion ne s'étendit pas dans la vallée de la Moselle ; les
troupes protestantes passèrent par Housséville et Remo-
7ille, pour arriver le 9 janvier à Neufchàteau. Cette fois,
dans le comté, les paysans en furent quittes pour la peur.
Cependant, au cours de ces invasions, la neutralité de la
Lorraine n'avait pas été officiellement violée. Le duc avait,
(1) Comte de la Perrière : Catherine de Médicis et les politiques;
Revue des Questions historiques, lvi (1894), p. 433
(2) Voir sur celte campagne: Recueil de choses jour par jour ave-
nues en l'armée conduite d'Allemagne en France par M. le Prince de
Coudé; in-24, de 167 pages, 1577, sans nom d'auteur (je le connais par
la reproduction qui s'en trouve dans le recueil de Sehmit, manuscrit
n" 559 do la Bibliothèque de Nancy. Scnmit a transcrit les pages 26-34
qui concernent la Lorraine). Cf. La Huguerye, Mémoires, I, p. 361 et s.
(3; Voir Recueil de choses ; ']o\gnez-y la lettre de Bellièvro à Charles III,
citée par M. de Ruble dans son édition des Mémoires de La Huguerye, I,
p. 368. Le duc de Lorraine avait accordé le passage, mais à la condi-
tion que les Allemands ne séjourneraient pas sur ses terres.
- 172 -
selon Texpression d'un contemporain, « laissé passer par
ses pays tous les estrangers qui sont venus, soit pour le Roy,
soit pour les huguenots, sans empeschement aucun par
ceux du pays de Lorraine (1) w. De son côté, Jean-Casirair,
qui avait conduit les passages de 1368 et de 1576, se piquait,
à cause de son ancienne amitié pour le duc, de n'avoir rien
négligé en ces circonstances « pour le soulagement de ses
païs et subjects m. Il n'en fut pas de même en 1387 : la force
des événements paralysa cette fois les dispositions conci-
liantes de Jean-Casimir et du duc de Lorraine (2).
A ce moment, en effet, Charles HI était engagé dans la
politique, nettement hostile aux protestants, que représen-
taient en France les princes de sa maison. Or, pour porter
secours aux protestants français, une forte armée avait été
recrutée, une fois encore, par les soins de Jean-Casimir ;
elle avait été confiée par lui au baron de Dohna, sous la
haute direction du duc du Bouillon. Des rapports assez
exagérés ont parfois couru sur l'effectif de cette armée; au
moins devait-elle comprendre, quand elle quitta l'Allema-
gne, 23,000 combattants, sans compter le personnel qui, à
cette époque, suivait les armées (3). Pour ce temps, c'était
(1) Histoire contenant les plus mémorables faits advenus en l'an
4581^ tant en l'armée commandée par M. le duc de Gtiyse qu'en celle
des huguenots commandée par le duc de Bouillon (Lyon, 1588), fol. 7.
Ce récit est l'œuvre de La Chastre. — Schmit (ms. de Nancy, 559), re-
produit une autre édition de ce texte, un peu plus étendue, donnée à
Paris en 1588.
(2) La Huguerye, Mémoirea, III, p. 5, et pasfiim.
(3) Voici, d'après La Chastre (p. 5 et suiv.), la composition de cette
armée :
300 chevaux français ; 2,000 hommes de pied français ; 15 à 16,000
Suisses, commandés par Clorvant; 8,500 reltres, en 21 cornettes, com-
mandés par le baron de Dohna ; ce qui donnerait environ 27,000 com-
battants.
Dans la lettre qu'il écrivit au Roi le 9 septembre 1587, après l'enga-
gement de Pont-Saint-Vincent, le duc de Guise, qui est depuis deux
jours en contact avec l'armée protestante, déclare qu'on peut l'estimer
ainsi: 300 lances françaises, 3 à 400 arquebusiers à cheval, 15 à 1,600
arquebusiers à pied, 4,000 lansquenets, 10 à 11,000 Suisses, 5 à 6,000
- 173 —
une force très coDsidérable. Mais ce qui lui manquait,
c'était l'unité de plan et de direction. On y trouvait nombre
de capitaines français qui ne songeaient qu'à rejoindre
Henri de Navarre, menacé par Joyeuse dans le Midi de la
France (1). Au contraire, parmi les Allemands, plusieurs
voulaient marcher sur Sedan, qui appartenait au duc de
Bouillon, afin d'en faire leur base d'opérations (2). La même
anarchie régnait en ce qui concernait la conduite à suivre
vis à-vis de la Lorraine. Les Français huguenots estimaient
utile de donner tout d'abord une bonne leçon au duc Char-
les III, chef d'une maison qui combattait partout la nouvelle
religion ; c'était le cas, ou jamais, de le réduire à l'impuis-
sance. En revanche, beaucoup d'Allemands, croyant obéir
aux inspirations de Jean-Casimir, entendaient ménager le
plus possible le duc de Lorraine, et faisaient comprendre
au duc de Bouillon qu'il n'avait aucun intérêt à s'en faire
un ennemi irréconciliable; La Huguerye parait avoir été
leur porte paroles. Ajoutez à cela que les Suisses, en face
de chefs divisés, se réservaient d'agir à leur tête et suivant
leurs intérêts immédiats. Telle était l'anarchie qui régnait
reilres; ce qui fait de 22,000 à 25,000 combattants. Cette estimation est
faite à une époque où l'armée est en campagne depuis deux ou trois
semaines et où elle a déjà souffert (Bibl. nat., Fr., 4743, fol. 287). L'es-
timation du duc de Guise a été reproduite par M. Tuetey : Les Allemands
en France et Vinvasion du comté de Montbéliard par les Lorrains^ I,
p. 65 et s.
Dans un document qui a été inséré dans les Mémoires de la Ligue^
(édit de 1758, II, p. 212), on donne les effectifs suivants comme
composant l'armée protestante à son entrée en Lorraine : 5,000 rettrcs,
5,000 lansquenets, 16,000 suisses, 2,000 arquebusiers, 2 à 300 lances
françaises, soit entre 28 k 29,000 combattants. En outre, il y avait
19 pièces d'artillerie.
(1) J'estime que tel était aussi le désir ardent du roi de Navarre. Ce-
pendant le bruit courut que ce prince voulait que les troupes mar-
chassent sur Sedan et Jametz. (Récit du tome G du recueil AZ, p. 2(^5.)
(2) Le duc de Bouillon aurait incliné vers ce parti, d'après
La Huguerye, MémoireSy III, p. iiO, et aussi d'après le récit du
recueil A-Z.
— 174 —
dans rarmée qui, à la fin d'août 1587, quitta TAlsace pour
se porter par Saverne sur Phalsbourg et Sarrebourg. Le 30
août, eile était établie aux environs de Blâmont, chef-lieu
de canton de l'arrondissement actuel de Lunéville (1).
Leduc de Lorraine, Charles III, était loin de posséder
les forces suffisantes pour résistera cette invasion (2). Sans
doute, à rapproche du péril, il avait ordonné des levées en
Allemagne et en Italie (3); mais il s'en fallait de beaucoup
que ces nouvelles troupes fussent réunies et amenées en.
Lorraine. Heureusement, il reçut des secours de deux côtés.
Des Pays-Bas, Alexandre Farnèse lui envoya, par ordre du
roi d'Espagne, un corps de cavalerie de 1,400 lances, com-
mandé par le marquis d'Havre, delà noble maison deCroy,
et un régiment d'infanterie sous les ordres du marquis de
Varambon. De France, arriva le ducdeGuise, auquel Henri
III avait confié un certain nombre de compagnies de cava-
lerie avec quelques arquebusiers. Le corps principal du
secours français consistait, d'après le témoignage du duc
de Guise, en cinq cents lances qui faisaient huit compa-
gnies et une fraction d'une neuvième : parmi les compa-
gnies figuraient celles du comté de Chaligny et du marquis
de Chaussin, tous deux fils de Nicolas de Lorraine et frè-
res de la reine de France (4). Selon le calcul de La Chas-
(1) Voir sur ce point VEphéméride de la Huguerye (Edit. de Laubcs-
pin, dans la coUeclion de la Société de l'Histoire de Francel, et le
tome 111 de ses Mémoires (Edit. de Kuble, dans la même collection). Le
château de BhVmont fut sommé de se rendre A l'armée protestante, mais
il n'en fit rien.
(2) Les renseignements, de source catholique, que je donne sur cette
campagne, sont tirés principalement des lettres contenues dans le ma-
nuscrit de la Bibliothèque nationale, Fr., 4,73^1 (V' de Colbcrl, n» iO), et
dans le récit précité de La Chastre. Pour le côté prolestant, je me suis
servi des renseignements fournis par La Huguerye et de ceux qui
sont contenus dans les divers récits publiés par M. de Laubespin, en
appendice \x VEphéméride de ce personnage.
(3) Dos le 28 juillet 1587, le baron d'Haussonville, maréchal de Bar-
rois, reçut l'ordre de %e mettre en mesure de défendre le passage de la
Sarre [Lettres et Instructions de Charles III, p. 3, note).
(4) Les autres compagnies étaient celles du duc de Guise, de son fils
- 173 —
Ire (1), qui paraît exact, toutes ces forces réunies, lorraines,
flamandes ou françaises, comprenaient en tout 2,400 (ou
2,500) lances et 10,000 arquebusiers. Encore faut-il remar-
quer que 4,000 de ces arquebusiers étaient retenus pour la
défenses des places. En somme, l'armée catholique comptait
environ 10,000 combattants qui devaient résister aux
25,000 soldats deTarmée d'invasion.
La situation eût été moins critique si le roi de France
eût été résolument décidé à appuyer Guise de toutes ses
forces ; mais il s'en fallait de beaucoup que telles fussent ses
dispositions. C'est que, quoiqu'à cette époque Henri III fût
encore, en apparence du moins, favorable aux catholiques
et hostile aux réformés, il n'en appréhendait pas moins
comme un malheur le triomphe de Guise et de la maison de
Lorraine. Aussi ne se souciait-il nullement de ce que l'ar-
mée d'invasion fût anéantie par un Guise, qui ensuite ap-
paraîtrait à la nation comme un sauveur. C'est pourquoi,
malgré les demandes incessantes que le duc de Guise (ses
lettres en contiennent de nombreux témoignages), ne man-
qua pas de lui adresser, Henri III laissa volontairement le
contingent français sans argent, sans vivres et sans ren-
forts. Les dispositions de Henri III étaient si peu équivo-
ques que Schomberg, qui les connaissait, pouvait écrire de
Nancy, le 7 septembre, à Brûlart, secrétaire d'Etat de
France : « Le commun d'icy tient pour certain que personne
ne s'ose trouver en ceste armée, s'il veult avoir la bonne
de La Chastre, du sieur de Rosne (Chrétien de Savigny), d'AmUise, de
Boisdauphin (qui arriva après les autres), du comte de Sevry ; Joigncz-
y une partie de la compagnie du chevalier d'Aumale. Guise déclare
lui-m^me qu'avec ces compagnies, qu'il «';numère, il peut avoir .*îOO
lances ; le duc de Lorraine on a 500 et les Flamands en ont fourni 1,409 ;
au total 2,400 lances (Bibl. nat., Fr., 4,734, fol. 294). En fait de troupes
françaises. Guise avait encore 300 chevaux de la garnison de Cambrai,
envoyés par le sieur de Balagny, et deux régiments d'infanterie (Cf.
Histoire contenant..,, fol.6.)
(1) Fol. 7 et s.
- 176-
gracedu Roy (1) ». Se sentant mal soutenu par son puis-
sant voisin, le duc de Lorraine hésite. Il sait qu'il a des
amis dans Tannée protestante ; il n'ignore pas que Jean-
Casimir, qui en a fourni Télément le plus important et qui
y est représenté par le baron Doh aa, ne médite nullement
sa ruine, ayant tout à perdre à la disparition du petit Etat
qui sépare fort heureusement ses propres frontières des
frontières françaises Aussi Charles III se laisse aller à pen-
ser qu'il ferait mieux de conclure un arrangement avec les
envahisseurs. En leur assurant libre passage, en leur
payant, au besoin, une somme d'argent plus ou moins
considérable, il ne lui sera pas impossible d'obtenir qu'ils
s'abstiennent à peu près complètement de pilleries. Ainsi
on aura détourné l'orage de la Lorraine, dont la neutralité
aura été sauvegardée ; peu importe qu'il éclate sur les
catholiques de France, dût leur roi enôtrequelquepeuincom-
modé. Sous l'empire de ces idées qui, plus d'une fois,
avaient inspiré sa conduite, le duc de Lorraine, au cours
du mois d'août, entretient avec les chefs protestants une
négociation où il est représenté par le sire de Tantonville
et le baron d'Haussonville.
Au milieu de ces hésitations, un homme parait toujours
avoir vu clair et agi conformément à sa pensée ; c'est le
duc de Guise. Chef des catholiques français, il n'avait pas
à se préoccuper des scrupules du duc de Lorraine: son
rôle de soldat consistait à faire à l'ennemi tout le mal
(1) Lettre adressée de Nancy, le 7 soplembre 1587, par Schombergau
secrétaire d'Etat Brùlarl. Schomberg, que cet état de ropinion afflige,
ajoute : a Que le roy monstre, à l'arrivée de ceste armée (les huguenots),
qu'il en veult la ruine en toutes les façons que l'on pourra dire, et que
ce désir lui fait oublier toutes les autres considérations et passions,
quelque Justes et bien fondées qu'elles puissent élre, il arreslera tout
court le mal qui menasse le royaulmc du costé des catholiques, et se
préparera le chemin pour donner la paix i\ ses subjects et à sa volonté. »
Schomberg ne devait point obtenir de Henri III cette attitude résolue.
Sur les demandes de renforts, voir ci-dessous, p. 178, note 1 .
— 177 —
qu*il lui pourrait faire (1) et à entraîner par son exemple
son cousin Charles III. Réduit aux forces qu'il commande
directement, il inaugure la tactique qu'il suivra avec tant
de succès pendant cette guerre ; elle consiste simplement
à entraver la marche incertaine et embarrassée de Tennemi
par des attaques imprévues et multipliées. Dès le 28 août,
sans paraître s'inquiéter des négociations que poursuit en-
core le duc de Lorraine, Guise lance au milieu de la nuit
plusieurs de ses compagnies contre le quartier du colonel
allemand Bouck ; les reîtres, mis en déroute, y perdent
beaucoup de chevaux (2). De leur côté les envahisseurs, dont
plusieurs sont animés d'une violente haine contre le duc de
Lorraine,, se comportent en maintes circonstances comme
s'ils étaient en pays ennemi ; ils pillent, brûlent, et mani-
festent les dispositions les plus hostiles. C'est alors que
Charles 111, cédant à l'influence de Guise, et comprenant
que le moment de traiter était passé, et que, « puisque
desjà il avoit supporté la moitié d'un si barbare traitement,
pour estre l'armée desjà au milieu de ses pais, Dieu luy
feroit la grâce de supporter le reste » (3), envoya l'ordre à
d'Haussonville de rompre les négociations. Cet ordre fut
(1) Des le 11-21 août 1587, il veut combattre les étrangers « qui sont
fort piètres cl fort divisés ». Lettre à Joyeuse ; Mémoires de Duplessis-
Mornay (cdit. de 182i), IH, p. 512.
(2) La Hufçueryc, Mémoires, III, p. Oi. L'attaque fut menée par le
sieur de Rosnc et le capitaine La Routto, gouverneur de Marsal. La
Uugucrye prétend, à tort ou à raison, que cette attaque fut un coup de
(juise pour faire échouer les négociations entamées par le duc de
Lorraine. Il faut remarquer que ces surprises et ces affaires de détail
concordent parfaitement avec la tactique que suivit le duc de Guise
pendant toute cette campagne. — Le récit de cette affaire fut publié
en hAte à Paris sous ce titre : La défaite de trois cornettes par com-
mandement de Mgr te duc de Guise^ Paris, 1587, in-8° de 7 pages.
(L'approbation des censeurs est du 4 septembre, le huitième jour après
l'engagement.) D'après cetlo plaquette l'affaire eut lieu en un village
entre Nancy et Blàmont (sans doute près de Blûmont). Les protestants
auraient perdu -M) hommes tués, 120 prisonniers, et 600 chevaux. Trois
cornettes furent prises, dont une fut envoyée au roi.
(3) Eiihèméride, p. 155.
12
— 178 -
exécuté le 3 septembre. A dater de ce jour, Charles III unit
ses forces et celles du secours flamand à la petite troupe
du duc de Guise.
Quoique, par cette réunion, les ducs de Lorraine et de
Guise se trouvent maintenint en état de mettre en ligne près
de 10,000 hommes (1), il ne saurait être question pour les
catholiques de lutter en bataille rangée ; ils sont encore
trop inférieurs en nombre. Tout ce qu'ils pourront faire,
c'est de continuer la tactique, inaugurée par le duc de Guise,
qui consiste à côtoyer Tarmée prolestante (( en lui rompant
ponts, vivres et moulins (2) )>, et en lui faisant en détail
tout le mal possible. L'avenir démontrera que c'était le vrai
moyen de réduire à l'impuissance cette lourde, machine,
tiraillée en sens divers par les divisions des chefs et par
(1) D'ailleurs on attend quelques renforts. Les retires destinés à
Bassompierre et ceux de Schoinberg i:ortent du Luxembourg « pour
s'acheminer droit icy », écrit Schomberg au Roi le 13 septembre 1587.
(Bibl. nat., Fr., 4734, fol.^ 213). Ce qui manque, ce sont les renforts
français, ce sont les vivres, c'est l'argent. Déjà le duc de Guise s'en
plaignait en écrivant au Roi le 3 septembre (fol. 177). Le 10 septembre,
il écrivait encore de Ludres au Roi : a Si vos troupes estoient paiées et
eussions un équippage de vivres, je mettrois mon honneur que dans
vint jours ils seroient deflaiz » (fol. 293). Le 20 septembre, Schomberg
écrit au secrétaire d'Etat Brùlart que « les trouppes de M. de Guise, se
voyants si faibles et sans espérance d'argent ny vivres, se perdront
comme déjà a commencé de faire toute la compagnie de Monsieur le
comte de Ghaligny ». (Ligny, 20 sept. 1587, ibid.) On pourrait multiplier
ces citations qui attestent l'incurie systématique de Henri III. Dos le
21 août. Guise écrivait toutes les heures pour demander des renforts
(Duplessis-Mornay, III, p. 514). La Ghastre nous dit (fol. 4) que Guise
dépensa du sien plus de 120,000 écus pour lever des Iroupes et les
défrayer.
(2) Ephéméridc, p. 262. — Trois ans plus tard, dans une lettre dont
le destinataire est inconnu, le duc de Mayenne décrit bien la tactique
de Guise. On pensait, écrit-il à propos de la campagne de la Fère, que
le roi de Navarre voulait «imiter les exploits de feu M. de Guyse sur la
dernière armée des reistres, et, ayant affaire à un si grand corps, si mal
aysé à ruyner et si embarrassé à cause de la quantité de chariots et de
bagages, il deubt enfin, nous suyvant de près avec une armée légère,
et logeant toujours depuis la Fère en nos derniers logis, nous enlever
quelqu'un ou prendre tel advantage au passage des rivières que nous
y demeurassions engagez avec quelque perte ». Lettres du dite de
Mayenne, lettre n» 41, dans les Travaux de l'Académie impériale de
Reims, XXIX et s.
— 179 -
rintliscipliae des soldais, en môme temps que retardée
dans sa marche, non seulement par des pluies abondantes,
mais par une artillerie défectueuse que traînaient des
équipages insuffisants.
Cependant Tarmée protestante continuait lentement sa
marche en avant. Le l''" septembre elle s'était avancée de
Blàmont à Ogéviller (1) ; elle passa la journée du 2 septem-
bre aux environs de ce village. C'est alors que les envahis-
seurs brûlèrent l'abbaye de Domèvre(2),et détruisirent un
village, Barbézieux, qui ne s'est pas relevé de ses ruines.
Le 3 septembre, les protestants passèrent la Meurthe ; le
soir leur mouvement se prononça du côté de Fro\ille et
Bayon, de telle façon qu'on put voir qu'ils abandonnaient
la vallée de là Meurthe pour celle de la Moselle. Or ce
jour-là Guise se trouvait à Nancy, où l'on était dans
l'anxiété sur la direction que prendraient les envahisseurs ;
jusqu'alors ils avaient menacé également la vallée de la
Meurthe et la vallée de la Moselle. Dès le soir du 3, ou tout
ou moins dès le 4 au matin, Guise se rendit à Saint-
Nicolas de Port, à la tôte des compagnies françaises et des
auxiliaires venus des Pays-Bas (3). 11 s'efforça immédiate-
ment (4) de reconnaître la marche de l'ennemi, qui, le 4 et
le 5, s'attarda aux environs de Bayon, employant ses
(1) J'emprunte ces rcnsoifçnomcnts aux Mémoires et à VEphèméride
de La Hugueryo.
(2) La Huguerye, Ephéméride, p. 190 ; et abbé Chatton, UUloire de
Vahbaye de Saint-Sauveur et Domècre, p. 140 et 141. (Domèvre se
trouve entre BlAmont et Ogévillcr.)
(3) Voir ses lettres (Bibl. nat., Fr., 4734, fol. 177 et ss. ; cf. La ChAtre,
fol. 9 et ss). — Le 4 septembre, on lit i\ ses troupes une distribution de
vivres à Suint-Nicolas : les troupes du Pays-Bas, commandées par le
marquis d'Havre, s'y trouvaient avec lui (Archives de M.-et-M., B, 1212,
fol. 357 et ss. ; fol. 362). La compagnie du comte de Ghaligny, qui
marchait sous les ordres du duc de (îuise, reçut ce jour-là 410 pains
(400 pains avec le 4 0/0) et 100 livres de viande de bœuf.
(4) De Saint-Nicolas, Guise essaya de surprendre des fractions de
l'armée ennemie ; il n'y réussit pas, dit-il, à cause de la lenteur des
Flamands, dont la Huguerye écrit qu'ils étaient bien habillés et mal
montés {Mémoires^ II, p. 161).
— 180 —
loisirs à brûler Tabbaye de Belchamp (1), voisine du village
de Brénioncourt. Le 0 septembre Henri de Guise est arrivé
à lire clairement dans le jeu de ses adversaires. Il est bien
convaincu (une Içttre qu'il écrit au roi (2) ce jour-là en
fournit la preuve) que les ennemis « tirent vers Neufchâ-
teau » ; il prévoit déjà que les partisans de la jonction avec
le roi de Navarre remporteront dans les conseils des
protestants, et que Tarmée buguenote ira passer la Seine
aux environs de Chatillon. Il en conclut naturellement que
l'ennemi, de Bayon où il se trouve cantonné, se dirigera,
après avoir passé la Moselle, sur la vallée du Madon ; qu'il
franchira cette rivière au pont de Pulligny,et se portera, à
travers le comté de Vaudémont, sur la vallée de la Meuse.
Aussi, dans la journée du 6 septembre, il quitte Saint-
Nicolas pour se rendre à Pont-Saint-Vincent (3), où il
compte se trouver sur le flanc droit des envahisseurs
lorsqu'ils se présenteront pour passer le Madon. C'est à
Pont-Saint-Vincent que, le 7 septembre, ses troupes reçoi-
vent les vivres qui leur sont envoyés par l'administration
lorraine (4). En môme temps les troupes de Charles III
appuient le mouvement du duc de Guise. Le 7 septembre
au matin les compagnies lorraines sont à Ville en-Vermois
(il Abbé Challon, op. cit., p. 140-141.
(2) Ponl-Saint-Vinccnl, 6 septembre 1587 : a Vos enDemis tirent vers
NeufchAtoau, qui est le chemin que prit le duc Casimir (en 1576),
passant par Cliaumont et Bar-aur-Aube pour aller au gay des Truchets,
près ChAtillon-sur-Seine ». Guise en est si assuré qu'il prend déjà des
mesures pour faire « rompre » les vivres des ennemis du côté de
Chaumont.
(3) Il était à Pont-Saint-Vincent le 6 septembre, puisque, ce jour-là,
de ce bourg, il écrivait à Henri III la bttrc citée ci-dessus. Les troupes
étaient encore à Saint-Nicolas le 5 septembre ; ce jour-là la compagnie
du comte de Chaligny y reçut de l'administration lorraine 200 pains cl
100 hvres de bœuf. (Archives de M.-ct-M., B, 1212, fol. 358, \\) C'est
probablement le 0 septembre au matin que la petite armée de Guise
passa de Saint-Nicolas à Pont-Saint-Vincent.
(4) Le 7 septembre, 8.940 pains sont distribués aux a soldats do
l'armée de Mj^r de Guise cslans au camp vers le Pont-Saint-Vinccnt ».
(Archives de M.-et-M., B, 1212, fol. 359, \\) .
- 18i -
et à Vandœuvre (1), d'où, au cours de la journée, elles se
dirigent sur Neuves-Maisons et Pont-Saint-Vincent. Le duc
Charles en personne se met en campagne ; en effet les étals
de distribution constatent la présence, le 7, des Suisses de
sa garde à Vandœuvre (2), et lui-même, le soir, sera au
milieu de ses troupes sur la Moselle.
Le lecteur se rappelle peut-être qu'à Pont-Saint-Vincent
la vallée du Madon s'ouvre sur la large vallée de la Mo-
selle. Petite rivière qui serpente dans les prairies, le
Madon descend des environs de Mirecourt, se dirigeant du
sud au nord. Vers soù embouchure, il coule entre deux
rangs de collines ; sa rive droite est dominée par trois
gros villages de culture : Acraignes (actuellement Frolois),
qui est le plus rapproché de Pont Saint-Vincent, puis
Pulligny, et enfin Geintrey. Il était guéable en plusieurs
endroits; en outre il était traversé par plusieurs ponts,
dont un était construit en face de Pulligny; enfin, divers
moulins établis sur la rivière fournissaient autant de pas-
sages faciles. Dès le 6 septembre au soir, ou tout au moins
dès le 7 septembre à la pointe du jour, le duc de Guise
avait fait occuper par ses chevau-légers les villages de Pul-
ligny et de Geintrey (3). Lui-même, le matin du 7, pendant
que le gros des troupes catholiques se concentre sur Pont-
Saint-Vincent, quitte ce bourg avec une quinzaine de che-
vaux (4). 11 remonte la vallée du Madon en se tenant sur
(1) Archives de M.-ct-M., B. 121i, fol. 215 et 257.
(2) Ibid., fol. 257.
(3) Peut 6trc aussi le village d'Acraif^ncs : c'est ce qui résulte do
VEphémeride do La Uuguerye, p. 170.
[^} J'emprunte la plus grande partie des renseignements sur celte
journée du 7 septembre à la lettre écrite par le duc de Guise ù Henri ÏII,
de Ludres, le 9 septembre (document capital, encore inédit, Bibl. Nat.
Fr. 473i. fol. 287), et au récit do La Chastro, déjà mentionné. Il faut
signaler encore parmi les sources, outre les renseignements donnés par
la Uuguerye, le Mr oire de tout ce qui s'est fait et passé n l'armée
du roij de Na carre depuis le 2J juin jusqu'au fS octobre /5A7, au
tome G du Recueil A-Z, p. 201 et s. : In portion concernant la Lor-
raine a été reproduite dans le recueil de Schmit (Bibl. do Nancy, ms.
- 182 —
la rive gauche ; puis, au ponl de Pulligny, il franchit la
rivière pour aller reconnaître ses postes avancés. Au-delà
du village de Pulligny, il trouve ses quatre compagnies
de chevau-légers en bataille, prêtes à repousser une at-
taque qu'elles semblaient attendre. Mille pas plus loin,
près de Geintrey, il rencontre un de ses officiers, le capi-
taine La Routte, qui, avec trente lances, se retirait devant
deux cornettes de reitres accompagnées de cinquante ou
soixante lances tirées des compagnies de huguenots fran-
çais. C'est que Tarmée protestante, après avoir passé deux
jours dans ses cantonnements de Charmes et Bayon, avait,
le matin môme, dès le petit jour, quitté la ligne de la Mo-
selle pour se porter sur la vallée du Madon (1). Vers sept ou
huit heures, tandis que Tinfanterie et Tartillerie demeu-
raient empêtrées dans les terrains détrempés par une pluie
très abondante qui était tombée la veille, la cavalerie arri-
vait en force à Geintrey, qui était le rendez-vous désigné
aux forces protestantes. C'est alors que les avant postes
des catholiques évacuèrent ce village, non sans y perdre
quelques tués et quelques prisonniers, s'il faut en croire
La Huguerye (2). Se rendant compte de la situation, le duc
559) ; ce récit parait avoir élc écrit par un partisan du duc de Bouil-
lon. Voir aussi la plaquette Du passage et route que tiennent les rei-
tres et les Allemands, étant repoussés par le duc de Lorraine (Lyon,
1587 ; réimprimé par Alphonse Lemerre en 187:)). Enfin il y a lieu do
mentionner une lettre inédite datée de Ludros, le i) septembre la87.
Cette lettre est anonyme ; toais elle est évidemment l'œuvre d'un des
olTiciers de l'entourage du duc do Ouise. (Archives Nationales, K, 1o6;3,
B, ;»8 : Négociations entre la France et l'Kspagne.)
(1) On s'était proposé de brûler en passant le château de Tonnoy sur
la Moselle, appartenant au sieur de Rosne, capitaine du duc de Guise,
et le château d'Haroué, appartenant au baron de Bassompierre (le père
du célèbre maréchal), capitaine au service de Lorraine. La Huguerye
raconte {Mémoires, III, p. 12(i) qu'il en détourna les reitres ; mais cela
n'empêcha pas que le bourj,' d'IIaroué fut brûlé le lendemain Cependant
il semble que les huguenots y aient trouvé de la résistance au château ;
car l'auteur de la lettre anonyme conservée aux Archives Nationales
dit à ce propos : « Ils ont attaqué la maison de M. de Bassompierre,
où lis ont été bien frottés. »
(2) 0 Les ennemis avoyent desja esté chassez de Cintray, Puligny
- 183 —
de Guise ordonne à tout son monde de battre en retraite,
et repasse le Madon, suivi de près par les reîtres.
Arrivé sur une hauteur qui domine la rivière, un peu
au-dessous du pont de Pulligny qu'il vient de franchir,
Guise reconnaît qu'il n'est toujours suivi que par deux
cornettes de reîtres et par soixante chevaux français (1).
Alors il reprend l'oflfensive et les fait charger par deux
cents lances, qui les refoulent et « les mènent battans »
jusques au-delà de Pulligny, peut-être jusques à Ceintrey.
Mais les catholiques ne pouvaient songer à se maintenir
dans une position si avancée. Guise y demeure, dit-il, pen-
dant une heure et demie, pour donner loisir à ses chevau*
légers de retirer leur bagage ; puis, découvrant des masses
importantes de cavalerie ennemie, il repasse le Madon sur
le pont de Pulligny. A ce moment il reçoit des renforts que
lui amène son jeune cousin le chevalier d'Aumale, ce qui
porte son effectif à 400 lances. Mais il a à ses trousses sept
cornettes de reîtres et 300 chevaux français, ce qui fait
approximativement 2500 cavaliers (2).
C'est alors qu'il envoie en hâte à Pont- Saint- Vincent
son maréchal de camp, La Ghastre, pour y demander de
nouveaux renforts. Lui-môme, pour échapper aux cava-
et Acraignc, n'ayans pas eu loisir de manger ce qui estoit tout prest
sur la table, où plusieurs furent tu(^s ou prins » [Ephémeride, p. 170).
(1) Est-ce il ce moment que s'est produite dans la poursuite l'hésita-
tion dont il est question ii la note suivante ?
(2) Contre les affirmations du duc de Guise et de La Chastre, Guitry
prétend que le fcld-maréchal RumpIT, qui était k Ceintrey, refusa de
passer le pont de Pulligny à la suite du duc de Guise, et laissa la pour-
suite aux huguenots français, sans les faire aider parla cavalerie alle-
mande {Ephémeride, p. 485). 11 est tr^s difficile de se reconnaître au
milieu des affirmations contradictoires des chefs protestants, profon-
dément divisés entre eux et cherchant ii rejeter les responsabilités
les uns sur les autres. Toutefois il me parait invraisemblable de dire
que les cavaliers allemands ne se sont pas mêlés à la poursuite. Peut-
être la menèrent-ils plus mollement que les Français, qui étai'^nt les
adversaires les plus acharnés des Lorrains et de Guiso.
- 184 —
liers protestants, s'avise d*un stratagème. Comme il pravit
une hauteur, sans doute celle qui se trouve sur la rive
gauche du Madon, un peu au-dessus du village deXeuil-
ley, il gagne quelque distance sur l'ennemi, dont les che-
vaux fatigués par une longue course sont obligés de
ralentir leur allure. Il en profite pour se jeter sur la rive
droite du Madon par un gué où il y avait un moulin : il
laisse dix ou douze arquebusiers pour défendre ce moulin.
Qui fut étonné ? Ce furent les huguenots quand, parvenus
au haut de k colline, ils ne retrouvèrent plus leurs
ennemis. Bientôt ils les virent, de loin, qui se retiraient
sur la rive droite du Madon. Pour les atteindre, ils vou-
lurent forcer le passage du moulin : mais les arquebusiers
s'y firent tuer jusqu'au dernier, vendant chèrement leur
vie, (( et donnant ainsi par leur perte au sieur de Guyse le
temps de gagner plus de chemin (1) )).
A ce moment La Chastre, qui était allé bride abattue jus-
qu'à Pont-Saint-Vincent, en revenait avec sa compagnie
pour dégager son maître. Il l'aperçut bientôt sur l'autre
rive du Madon ; dès lors il était inutile de poursuivre l'ex-
pédition. Comme Guise, La Chastre se mit en retraite,
talonné, lui aussi, par cinq cornettes de reîlres. « Et luy
d'un côté et moy de l'autre, écrit le duc de Guise, nous
fîmes la retraite sans jamais avancer plus que le fort petit
pas, faisant halle de quart d'heure en quîtrt d'heure à la
teste de chaque petit valon et coing de boys,.... sans que
jamais personne s'osast desbander pour m'attaquer, n'aïant
perdu goujat, charrette, ne un seul homme (2) ». A quatre
heures du soir. Guise regagna ses quartiers de Pont-Saint-
Vincent en franchissant encore une fois le Madon. La rc-
(1) La Chastre, fol. 14.
(2) Lettre (le Guise au Roi, datée de Ludres, le 9 septembre 1587 (Fr.
4734, fol. 287). Ce témoignage n'est pas confirmé par tous les docu-
ments. Par exemple, le récit du Recxieil A-Z (p. 200) dit que, au cours
de cette retraite, Guise perdit un certain nombre de ses Albanais.
— 183 -^
traite qu'il venait d'exécuter (ut unanimement louée comme
une haute prouesse. La renommée s'en empara, et Bran-
tôme l'enregistra comme un modèle dans le livre qu'il
consacra aux « Retraictes de guerre (1) ».
Cependant la cavalerie protestante qui avait poursuivi
Guise et La Châtres'étaitralliéesurla rivedroite du Madon,
dans des prairies assez proches de Pont-Saint-Vincent.
Elle tenta alors defranchir le Madon à gué ; mais les arque-
busiers catholiques arrêtèrent cette tentative, d'ailleurs
assez mollement menée. On a dit et écrit, du côté protes-
tant (2), que si l'infanterie suisse ne se fût pas attardée,
plus ou moins volontairement, les envahisseurs eussent
pu, dès le soir du 7, forcer le passage du Madon et rem-
porter sur les catholiques une victoire décisive. Le succès,
a-ton ajouté, eût été d'autant plus facile que toutes les
troupes du duc de Lorraine n'avaient pas pénétré dans
Pont-Saint-Vincent. 11 y en avait de l'autre côté de la Mo-
selle, auxquelles, pour arriver en ligne, il eût fallu fran-
chir cette rivière à gué et défiler dans les rues étroites du
bourg. Heureusement pour les catholiques, l'infanterie
adverse était, elle aussi, trop éloignée, et d'ailleurs peu
pressée de combattre ; môme les cavaliers allemands
étaient beaucoup moins ardents à la lutte que les cava-
liers d'origine française. Soit par aveuglement, soit par
calcul, le duc de Bouillon, commandant en chef, avait
suivi son infanterie, sans paraître se préoccuper du com-
bat de cavalerie qui se déroulait sur les bords du Madon.
C'est ainsi que les protestants laissèrent échapper l'occa-
sion d'anéantir l'armée des ducs de Lorraine et de Guise,
si tant est que l'occasion s'en soit réellement présentée.
(1) Œuvres do. Brantôme (édit. Lalanne), VII, p. 296 et s. — Cf. De
Thon, liv. LXXXVII, 8. — Branlùmp et De Thou ont utilisé comme
source le récit do La Chastrc, ainsi que le fait remarquer l'éditeur de
Brantôme.
2) Far exemple Guitry, Ephèméride^ p. 485 (appendice).
- 186 -
A la fin de la journée du 7 septembre, les deux armées
se trouvaient en face Tune de Tautre, séparées seulement
par le Madon. Il semblait que les catholiques fussent dis-
posés à défendre énergiquement le passage de la rivière,
que les protestants comptaient sans doute enlever de vive
force. Mais les chefs de Tarmée catholique étaient parfai-
tement résolus à éviter toute lutte décisive (1) ; comprenant
d'ailleurs qu'ils n'étaient pas en mesure d'empêcher leurs
adversaires de franchir la rivière, ils retirèrent, ce soir
môme, le gros de leurs troupes du voisinage immédiat du
Madon. La cavalerie catholique dut se porter sur la colline
de Sainte-Barbe, qui domine Pont-Saint-Vincent. L'infan-
terie fut logée sur la pente de cette colline, bien postée
pour la défensive, parmi les haies, les chemins creux, les
noyers et les vignes, prête d'ailleurs, s'il le fallait, à battre
en retraite à travers les forêts qui couvraient le plateau
Sainte-Barbe et se prolongeaient jusqu'aux portes deToul.
On ne laissa sur le Madon que quelques postes d'arquebu-
siers et plusieurs centaines de lances. Chacun passa la nuit
sous les armes, sansqu*on permit aux soldats de se retirer
dans les cantonnements. Sur la rive droite du Madon, les
protestants avaient laissé de forts avant-postes, en contact
presque immédiat avec les avant-postes catholiques de la
rive gauche : mais leurs troupes, à la différence des catho-
liques, s'étaient retirées dans des cantonnements. Le duc de
Bouillon logeait au château d'Acraignes ; le comte de La
Marck, son frère, avec la cavalerie française, était établi ù
côté du château, dans les maison^ du village. Le baron de
Dohna avait pris ses quartiers à Pulligny ; ses reltres
étaient partagés entre Pulligny et Ceintrey. L'infanterie et
(1) Ils n'en prenaient pas moins les précautions nécessaires pour être
en mesure do lutter. Us envoyèrent k Vandœuvre, le 7 septembre, un
messager pour hâter l'arrivée des munitions qui y étaient réunies ; le
même jour, ils envoyèrent un autre messager à Neuves Maisons, pour
presser « les charrettes de la munition qu'estoient audit lieu ». (Archi-
ves de M.-et M., B., 1212, fol. 416, V.)
- - 187 -
Tartillerie occupaient en partie ces villages, en partie d'au-
tres cantonnements en arrière de cette ligne.
Le 8 septembre, à deux heures du matin, la diane son-
nait dans les deux camps. Dès la pointe du jour, qui pro-
mettait une belle et claire journée d'automne, le duc de
Guise inspecta les postes de la rive du Madon, d'où il put
bientôt apercevoir en face de lui, sur le plateau d'Acrai-
^es, le duc de Bouillon qui faisait sa prière en tête des
cornettes de huguenots français. Il semblait que Tattaqué
dût se produire immédiatement. Mais les reîtres mirent
fort peu d'empressement à abandonner leurs cantonne-
ments de Pulligny et de Ceintrey ; c'est à peine si, à neuf
heures, ils avaient rejoint le duc de Bouillon (1). L'infan-
terie suisse, plus lente encore, ne parut pas avant midi.
Quant à l'infanterie fournie par les huguenots français, elle
avait employé les premières heures de la journée à brûler
le domaine d'Haroué, appartenant à Christophe de Bassom-
pierre, un des capitaines du duc de Lorraine ; or, il y a
quatre bonnes lieues de Haroué à Pont-Saint Vincent (2).
Ainsi, jusqu'à midi, tout se borna à de simples escarmou-
ches, ou, comme l'écrit le duc de Guise, à des « charges et
recharges » vers les passages du Madon. Entre midi et
deux heures, les protestants se décidèrent à accentuer leur
mouvement ; ils forcèrent deux moulins (probablement
celui de Bainville et le moulin dit Neuf-Moulin), et, tant
par les moulins que par les gués, passèrent le Madon sans
rencontrer d'opposition sérieuse. A la vérité, lorsque
l'avant-garde traversa la rivière, le duc de Guise crut avoir
le temps de l'écraser avant qu'elle pût être secourue par le
corps de bataille ; pour tenter ce coup, il envoya quérir la
cavalerie flamande. Mais les gendarmes du duc de Parme
n'arrivèrent pas, soit, comme ledit le duc de Guise, à cause
(i) Ephèwéride, p. 486.
(2) La Uug^ui^vyo, Mémoires, Ul, p. 142; Eplièméhde,^. 183;Bassoin-
pierre, Journal de ma vie, I, p. 40. Cf. ci -dessus, p. 182, note 1.
— 188 —
deleurlenteur,soitplulùl,commerindique La Châtre, parce
que le duc de Lorraine et les autres chefs de l'armée catho
lique crurent prudent de les retenir (1). Les protestants
purent donc, après avoir triomphé de la faible résistance
que leur offrirent quelques postes, se ranger en bataille
sur la rive gauche du Madon, en face des positions occu-
pées par rinfanterie catholique, dont ils étaient séparés par
un faux ruisseau. Tout donne à penser que le terrain où Hs
étaient massés correspond à peu près à la route actuelle de
Neufchûleau, à Tendroit où elle se sépare de la vallée du
Madon pour se diriger vers le couchant. Ils firent alors
mine de tenter une attaque générale : on les vit se présen-
ter en ordre de bataille, rinfanterie traînant les piques,
Tartillerie au front, tandis que les trompettes sonnaient
force fanfares. Mais, comme rien ne bougeait sur les pen-
tes de la colline, ils se bornèrent à tirer neuf ou dix volées
de neuf petites pièces d'artillerie, auxquelles les catholi-
ques répondirent avec leurs mousquets ; il se fit alors trois
ou quatre charges de cavalerie sans grand effet. Après
quelque temps les prolestants firent retraite ; le gros de
leurs troupes rentra dans leurs quartiers de la nuit précé-
dente, c'est-à dire à Acraignes, à Pulligny et à Ccintrey ; à
coup sûr, ils gardèrent fortement les passages du Madon et
occupèrent Bainville sur la rive gauche.
(1) « Sur les deux heures après-midy, ils commencèrcnl à passer et
moy à me retirer pour mettre nos trouppes en leur ordre. Toute leur
armt^e passa et se veint melre plus près de nous que ne feirent de Vos-
tre Majesté les ennemys à Ja/.eneul. (Sur cet épisode de Jaseneuil en
Poitou, qui se produisit au cours des campagnes du duc d'Anjou en
1;568, voir les èlémoires de Castelnau, livre Vil, ch. 2.\ Nous veismes
arriver iousles leurs forces, et, si les compagnies de Flandres n'eus-
sent été un peu embarrassées h la place de bataille, de sorte (ju'ils ne
peurenl venir si tost que je les demanday à Mons' de I^oi raine, —
lequel on ne peult empescher d'y venir le matin, -— nous eussions com-
battu leur avant-garde avant que la bataille y feust arrivée » (Guise
au Roi, de Ludres, î) septembre lo87i. Voir le récit un peu divergent
de La Cbastre, <tp. cit.^ fol. 17. De la lellre anonyme écrite de Ludres
le 9 septembre, je tire les détails qui suivent. Bien qu'on fût h por-
— 189 —
Les catholiques s'étaient bornés à surveiller et à conte-
nir Tennemi, sans avoir tenté de Teinpôcher de franchir le
Madon. Dès la soirée du 8 septembre, la portion principale
de leur armée se retira sur la rive droite de la Moselle.
Cependant, un détachement demeura à Pont-Saint- Vincent,
sous les ordres de La Chastre, lieutenant du duc de Guise.
Neuves-Maisons abrita des troupes, au nombre desquelles se
trouvait le régiment flamand du marquis de Varembon (1) ;
le duc de Guise prit ses quartiers à Ludres (2) ; des troupes
lorraines se retirèrent jusqu'à Vandœuvre (3), tandis que
d'autres compagnies appartenant à l'armée ducale occupè-
rent le village de Chaligny, qui eut l'honneur de donner
l'hospitalité à Charles III (4). Ce mouvement de retraite ne
téc d'arquebuse, rarlilleric des protestants ne tua qu'un seul homme
aux catholiques. « U y eust de grandes escarmouches, où néant-
moins je ne pense pas qu'il soit demeuré d'une part ou d'aultre cin-
quante soldats ; quant aux petites charges et attaques qui se firent à
cheval, on fist (siC, pour vist) bien tomber de leur costé (du côté des
protestants), et tient-on pour certain que Mouhy {sic) y eust la chambe
(sic) rompue d'une arquebusade. De nostre costé Messieurs de Salerne
et de Vaudargcnt, qui sont deux gentilshommes suivant Monseigneur
(de Guise), furent bien blessés ; néantmoins on espère qu'ils n'en
mourront pas La plus gentille charge qui se fist, ce fust de six
soldats des gardes de Monseigneur, lesquels allèrent attaquer six lan-
ciers, et se meslèrent, ayant tiré leurs arquebuses parmy eux, à coups
d'espée, et en tuèrent deux, dont Us ramenèrent leurs chevaulx, sans
rien perdre. » (Archives Nationales, K, 1565 ; B, 58).
(i) Le il septembre, 1610 pains sont délivrés aux troupes du mar-
quis de Varembon, « estans aux Nœufmalsons »• (Archives de M. et-M.,
B, 1212, fol. 373.)
(2) C'est de là qu'il adressa le 9 septembre à Henri III ia lettre citée
ci-dessus qui Tinforme des événements.
(3) Le 9 septembre, il y a des troupes lorraines à Vandœuvre ; entre
autres, les compagnies de Lenoncourt, d'Artigotly, de Belmont, de Ville,
d'Haussonville, etc. (Archives de M.-ctM., B, 1212, fol. 259 et 328.)
(4) « Rapporte semblablemont ledict de HoudreviUe (receveur de
Noufchâteau) quatre francs six gros pour despense qu'il a faite, luy
deuxième de personnes et deux chevaulx, en venant do Ncufchàleau
à Challigny devers S. Altesse pour recevoir ses commandemcnsen faict
de vivres. »
Le même personnage mentionne aussi une dépense de quatre francs
six gros pour son retour de Chaligny k Neufchâteau, où il fut renvoyé
« de l'ordonnance verbale de S. A. i. (Archives de M.-et-M , B, 1212,
— 190 -
se fit pas avec un ordre parfait ; une note, due à la plume
de comptables malheureux, nous en fournit la preuve.
« Lesdits comptables (c'étaient ceux qui étaient chargés
d'approvisionner les troupes lorraines) couchent en dépense
la quantité de huit mil pains qu'à la fuitte du Pont Saint-
Vincent feurent prins par les soldats aux chartiers qui les
conduisoient au magasin de Challigny (1), qui ne sceurent
avoir descharge, et la plus grande partie duquel vol fut
fait en la présence de Son Altesse retournant de la cam-
pagne». L'incident qui émut tant les comptables s'était
donc placé vraisemblablement à la fin de la journée du 8,
quand Charles îll se retira de Pont Saint-Vincent sur Neu •
ves Maisons et Chaligny.
Si quelques mouvements tumultueux se produisirent,
ils furent vile apaisés. Il n'en est fait aucune mention dans
la lettre que, de son quartier de Ludres, le duc de Guise
écrivit le 9 septembre à Henri III pour lui rendre compte
des événements des jours précédents (2). A son récit, qu'il
établit de concert avec Schomberg, Montberault, La Chas-
tre et Bassompierre, il ajoute ces mots : « Les ennemis se
sont resserrez, que toute leur armée ne tient que quatre
logis, qui m'empesche de rien entreprendre, encore que je
sois jour et nuit à cheval, et que tout le long du jour nous
nous regardions. Depuis quatre jours que j'ai écrit à Votre
Majesté, ils ne se sont avancés que d'une lieue et demie (3),
et nos trompettes et tambours s'oyent facilement, et à
fol. 415). Il ost donc incont(^stable que Charles III a séjourné à Chali-
gny, sans doute avec ses gardes suisses et des compagnies lorraines
(1) « Nota : Qu'il y cust huit chars envoyez par les commis de Nancy
tant aux Neufves-Maisons qu'à Chailligny, sur lesquels il pouvoit y
avoir quelque huit milz pains qui feurent prins par lesdits soldats, sans
que les chartiers en eussent peu tirer acquit. Mesinenient demeu-
rairent les dits chars à la campagne, s'eslans les dits chartiers enfuys
avec leurs chevaulx. » (Archives de M.-et-M., B, 121?, fol. 359, v'.)
(2) C'est la lettre indiquée ci-dessus, p. 180.
(3) Guise fait erreur ; il y a plus de trois lieues de Bayon i\ Ceintrey.
— 191 —
toute heure avons des prisonniers, principalement des
lansquenets .et valets de reîtres, que nous prenons sur les
bords de leur quartier, où j'ai jour et nuit de petites
troupes. ))
Dans Tarraée prolestante, hommes et chevaux étaient fort
éprouvés par la fatigue et le mauvais temps ; aussi ne bou-
gèrent-ils de leurs cantonnements avant le 11 et le 12 sep-
tembre (1). Cependant, si peu désireux qu'ils parussent,
au début de ce séjour, de sortir des villages où ils étaient
établis, il leur fallait trouAcr des vivres (2); aussi ne tardè-
rent-ils pas à se répandre dans la région voisine pour four-
rager et marauder. La Huguerye, qui alla le 9 septembre à
Vézelise (3), raconte que la ville était remplie de Suisses
qui s'y gorgeaient de vin ; les principaux habitants s'en
étaient retirés pour chercher un asile dans la forteresse de
Vaudémont, d'où aucun ordre des capitaines protestants
ne put les faire sortir. On devine que les catholiques ne
manquaient pas, quand ils en avaient l'occasion, de faire
main basse sur les maraudeurs. La Chastre (4), ayant
appris que Maizières et un village voisin, qui est sûre-
ment Viterne, étaient encombrés de Suisses, de lans-
quenets et de reîtres, pour la plupart en état d'ivresse,
(1) La Huguerye {Ephéméride^ p. 196) dit que l'armée quitta Cein-
Ircy le 11 septembre. Cependant, le 13 septembre, Schomberg écrit de
Toul au roi que, « vendredi soir » (c'est-à-dire le 11 septembre au soir),
M. de Guise a surpris les Suisses en deux moulins sur le Madon.
(Bibl. nat., Fr., 4734, fol. 213 ; voir ci-dessous, p. 192.) Il semble donc
nécessaire d'admettre que le mouvement se fit en deux jours.
(2) L'auteur de la lettre anonyme datée de Ludres, 9 septembre,
mentionne aussi que les ennemis sont fatigués et fort gênés par le
manque de vivres. « Nous les tenons si serrés qu'ils ne se peuvent
guère élargir pour vi\re ny pour brûler. » En réalité, ils pillèrent et
brûlèrent, mais au midi de la ligne qu'ils suivaient. Au nord, ils en
étaient empêchés par l'armée catholique.
(3) Ephéméridey p. 183. <• Geste petite ville au-dessoubs do Vaudé-
mont )} dont évidemment La Huguerye a oublié le nom, ne peut être
que Vézelise.
(4) Histoire contenant..., fol. 19.
- 192 -^
tomba sur eux avec sa compagnie, en tua un grand nom-
bre et en prit quelques-uns. Cela ne découragea pas les
autres, qui appréciaient fort le vin du pays ; le lendemain
ils y revinrent en grand nombre. Le duc de Guise, averti
de l'aventure, voulut « se donner sa part du plaisir » ;
quittant son quartier de Ludres, il franchit la Moselle et
arriva par les bois, au-dessus de Maizières, mais si tard
que les maraudeurs s'étaient déjà retirés. Au moins eut-il
la satisfaction de surprendre des partis de Suisses et de
lansquenets en train de moudre le grain dans deux moulins
du Madon ; il en tailla quelques uns en pièces et jeta les
meules dans la rivière (1).
Le H septembre, l'armée protestante, après avoir vécu
quatre jours sur le pays, commença de décamper. Un con
seil de guerre réuni à Ceintrey avait décidé que Ton gagne
rait la vallée de la Meuse, sauf à trancher définitivement,
quand on y serait parvenu, la question, toujours contro-
versée, de savoir si l'on se dirigerait ensuite vers Sedan
ou vers la haute Seine (2). Conformément à cette résolu-
tion, les protestants marchèrent par Germiny et Colom-
bey les-Belles sur les deux Barisey, sis au cœur du Toulois.
Ceux qui n'étaient pas partis le il septembre (3) durent se
mettre en route le 12, si bien que les environs de Pont-
Saint-Vincent et de Vaudémont furent délivrés de leur
présence. Le 12 au soir, le gros des envahisseurs était
arrivé sur la Meuse ; ils établissaient leur camp entre
Vaucouleurs et Pagny-la- Blanche Côle (4). L'armée c^tho-
(1) Lettre de Schomberp au roi, daUHi de Toul, 13 septembre. « Il
(le duc de Guise) fit jelter les meules dans la rivière, qu'est le remède
le plus seur. Car ils (les ennemis) portent des fers de toute grandeur
pour racoustrer les moulins, mais les meules, quand elles sont humi-
des, ne peuvent moudre, et principalement le bled nouveau. »
(2) Suivant le parti adopté, on se réservait de marcher sur Bar et
Sedan, ou de prendre le chemin de la Champagne.
(3) Voir ci-dessous, p. 193.
<i) Je suis les indications de La Huguerye dans son Ephémèride. Le
13 septembre, il est certain que les protestants sont cantonnés u à
^ 193 —
lique, qui était demeurée dans ses quartiers pendant que
les protestants gardaient les leurs, se mit en mouvement
en môme temps qu'eux, c'est-à-dire le 12 septembre ;
abandonnant Pont-Saint Vincent, Neuves-Maisons (1),
Vandœuvre, Ludres et Chaligny, les soldats des ducs de
Lorraine et de Guise suivirent la route qui conduit à Toul
par Villey-le Sec{2). Le 12 septembre au soir^le quartier du
duc de Lorraine était établi au faubourg Saint-Mansuy (3);
Tannée tout entière était réunie aux environs de Toul.
C'est lorsque les protestants quittèrent Vaucouleurs que
se produisit le mouvement décisif qui jeta leur armée dans
la direction des vallées de la Seine et de la Loire Le 13 sep-
tembre, ils étaient à Baudignécourt, sur TOrnain, et le 17
aux environs de Joinville (4). Guise, qui ne les lâchait pas,
Taillancourt, Paigny et autres lieux le long de la Meuze, en descen-
dant à Vaucouleur ». (P. 197.) Ce Pagny ne peut donc être que Pagny-
la-Blanche-Côte, qui est au-dessus de Vaucouleurs, et non Pagny-sur-
Meuse, qui est au-dessous. Si,:i la page pri^cédentc, La Huguerye parle
de Pagny-sur-Meuse,- c'est sans doute qu'U commet une confusion. Le
duc de Bouillon « allait droit » de Barisey k Pagny-la- Blanche-Côte, et
non à Pagny-sur-Meuse. La lettre de Schombcrg au roi, du 13 sep-
tembre, confirme le récit do La Huguerye ; d'après cette lettre, les pri-
sonniers ramenés en ce jour annoncent que l'ennemi loge à Vaucou-
leurs. (Bibl. nat., Fr., A73t, fol. 213 et s.).
(1) Les troupes du marquis de Varembon, qui, le 11 septembre,
reçurent leurs vivres à Neuves-Maisons, se trouvaient le 12 septembre
au faubourg de Saint-Mansuy-16s-Toul. (Archives de M.-et-M., B, 1212,
fol. 373.)
(2) Le compte que j'ai bien des fois cité mentionne le a chemin de
Challigny, proche d'un bois » ; ce chemin conduit à Dommartin-les-
Toul. Ce doit être le chemin allant de Chaligny à Dommartin par Vil-
ley-le-Sec.
(3) On a dit ci-dessus que les troupes des Pays-Bas (marquis de
Varembon) étaient à Saint-Mansuy. Des compagnies lorraines étaient à
Dommartin. Un troupeau do bœufs passait dans C3 village, où étaient
logés les soldats de M. d'Artigotty. « Passant ledit troupeau proche
d'un bois sur le chemin de Challigny », les soldats prennent et tuent
doux bœufs. (Archives de M.-et-M., B, 1212, fol. 387.)
(4) La compagnie commandée par le comte de Chaligny semble avoir
laissé à désirer au cours de cette guerre. Dans une lettre de Schom-
berg à Brulart, datée de Ligny, 20 septembre 1587, Schomberg émet
l'avis que, lorsque les protestants seront sortis de son territoire, M. de
13
— 194 —
abandonna la ligne de Toul à Paris pour suivre la vallée de
la Saulx, d'où il vint à Joinville pour y menacer la marche
de Tennemi. Nous n'avons plus à raconter les opérations
des deux armées ; ce que j'en ai dit suffit, je crois, pour
expliquer les mouvements de troupes dont le comté de
Chaligny et la région voisine furent le théâtre du 6 au 13
septembre 1587 (1).
Le comté de Chaligny ne fut pas, à cette époque, insulté
par les ennemis de la Lorraine. Pont Saint^Vincent et les
autres villages qui le composaient ne furent occupés que
par les troupes catholiques. Est-ce à dire qu'aucune exac-
tion n'y fut commise ? Je n'oserais me porter à ce point le
garant de la vertu des soldats de Guise, de Charles III et
du duc de Parme. Toutefois les faits qu'on put avoir à
regretter n'ont qu'une très médiocre importance auprès
des dévastations que supportaient les populations qui
subissaient le passage de l'armée protestante. Déjà au mois
d'août, de nombreux actes de pillage avaient été commis
dans les états de Charles III. Ce fut bien autre chose en
septembre. Dans la lettre qu'il écrivit de Toul à Henri III,
le 13 septembre 1587, le lendemain du jour où les hugue-
nots avaient passé de Barisey à Vaucouleurs, Schomberg
s'exprime en ces termes: «Ils mettent le feu indifférem-
ment à toutes les maisons des gentilshommes, abbayes,
bourgades et villages d'où ils délogent, et partout ailleurs
où ils peuvent entrer. Hier, en marchant. Monsieur de
Lorraine se retirera, qu'il emmènera les Flamands, cl que a les troup-
pes de M. de Guise, se voyant si faibles et sans espérance d'argent ny
vivres, se perdront comme déjà a commencé do faire toute la compa-
gnie de Monsieur le comte de Chaligny ». (Bibl. nal., Fr., 4734.)
(1) Je ne discute pas les récriminations réciproques des huguenots
français et des cavaliers allemands, qui se sont mutuellement rendus
responsables de n'avoir pas écrasé l'ennemi ù Pont-Saint-Vincent.
L'armée protestante était divisée, indisciplinée, mal commandée ;
l'armée catholique, presque trois fois moins nombreuse, était biendlrigée
et savait ce qu'elle voulait. Celle-ci, à la longue, eut raison de celle-là.
La victoire, qu'en fin de compte Guise remporta sur Bouillon, atteste,
une fois de plus, qu'à la guerre, il y a d'autres facteurs que le nombre.
— 193 -
Lorraine vit dix-huit grands villages en feu. Ils ont brûlé
une maison au baron d'Haussonville et treize villages d'une
terre au sieur de Bassompierre (1). La noblesse de ce pays
fait désespérer M. de Lorraine par leurs plaintes et
doléances de ce qu'il n'a voulu accorder le passage libre
aux ennemis. Tout le peuple crie à M. de Lorraine ven-
geance de M. de Bouillon et de son armée, lui offrant le
reste de leurs biens et leurs vies. Il leur a prorais et juré
tout haut qu'il perdra sa vie et celle de ses enfants, ou il
leur donnera contentement de ce côté là (2) ». Le même
jour Charles III écrivait à Catherine de Médicis: a Quant à
l'armée des ennemis qui est par deçà, elle n'épargne le feu
par où elle passe, et ne sont aucuns villages où ils abor-
dent qui ne brûlent, et puis assurer Votre Majesté qu'il
n'a jamais passé une armée qui ait fait tant de cruautés que
celle-ci (3) ».
La vengeance des Lorrains et de leurs amis ne se fit pas
attendre. Quelques mois plus tard, le duc de Guise et ses
alliés guettaient les reîtres qui, au retour de leur inutile
expédition en France, avaient à traverser le comté de
Montbéliard, appartenant à un prince protestant, Frédéric
de Wurtemberg. Les troupes du duc mirent ce petit état
à feu et à sang. Cette terrible exécution, dont un ouvrage
récent fait connaître les détails (4), doit être considérée
comme les représailles des pillages et des broiements
commis en Lorraine par l'armée du duc de Bouillon.
(1) Probablement Haussonvillo, très voisin dos cantonnements des
rcttres h Bayon, et sûrement Uaroué.
(2) Bibl. nat., Fr. 4734, fol. 213. On lit aussi dans un des récits con-
temporains cités plus haut {i)u passage et route que tiennent les
rcitres..., p. 8) à propos de la Lorraine : « l*ar les endroisls où ilz
ont passé, ont ruiné, desmoly et bruslé plusieurs villages, granpfes et
mélayries, et mis à mort plusieurs hommes, femmes et petits en-
fants ». Ils ne laissaient pas la paille pour coucher, emmenaient blés,
vins, bœufs et chevaux et défonçaient les muids de vin sur place pour
laver les pieds de leurs chevaux.
(3) Bibl. nat.. Fr. 4734, fol. 2VS.
(4) Tuetey, ouvrage cité ci-dessus, p. 173, note.
— 196 —
La Lorraine revit encore les reltres en 1S91, lorsqu'ils
traversèrent un coin du duché pour rejoindre Tarméede
Henri IV dans la région des Ardennes. La lutte éclata
alors du côté de Verdun. Tout porte à croire que les trou-
pes étrangères n'eurent pas à descendre assez bas vers le
midi de la Lorraine pour atteindre le comté de Chali-
gny (1). Désormais, pendant plus de quarante ans, ce
pays jouit d'une paix que le fracas des armes ne devait
guère troubler.
(1) Cette fois les habitants du comté de Chaligny ressentirent de
cette guerre un elTct bienfaisant. Elle donna du travail à quelques-
uns d'entre eux. On lit en elTct dans un compte de 1591-1592 : A
Gaspard Lallement, a prévost au Pont Saint- Vincent et comté de
Chaligny », 146 francs, 1 gros, 8 deniers, pour « plusieurs subjets dn
comté qui ont fait et fourny mil et deux (sic) mannes », autrement
paniers à deux anses, pour servir à la suite de l'armée, à raison de
1 gros douze deniers par panier, marché fait par ce prévôt. (Archives
de M.-et-M., B^ 1227, fol. 211; le mandement du duc, ordonnant le
paiement, est du 13 Juillet 1591.)
CHAPITRE V
Le comté de Chaligny au XVII^ et au XVIIP siècle
1610 1789.
SOMMAIRE
I. — François de Lorraine, comte de Vaudômont, comte de Chaligny.
If. — Vaudémont et sa famille à Pont-Saint-Vincent.
IH. -— Les chasses du comté. — La répression du braconnage.
IV. — Gouvernement de François de Lorraine. — Le haras de Pont-
Saint-Vincent. — Rectification du cours de la Moselle. — Travaux
entrepris pour la construction d'un pont de pierre ; échec de ces
travaux.
V. — La sorcellerie dans le comté de Chaligny.
VI. — Mort de François de Lorraine. — Nicolas-François, comte de
Chaligny. — La guerre dans le comté |i635).
VII. — Les malheurs de la guerre dans le comté de Chaligny. — Ruine
complète du pays.
VIII. — Le comté sous l'administration française. — Restitution du
comté, en 1652, k Nicolas-François. — Mort de Nicolas-François
(1670).
IX. — Le comté suit le sort de la Lorraine : il est séquestré par la
France. — Arrêt de la Chambre de réunion portant réunion de
Chaligny à la couronne de France. — Chaligny et le comté sont
cependant restitués au duc Léopold lors du traité de Ryswiclc
il698). — Le comté de Chaligny uni à la Lorraine. — Formation
éphémère du comté de Guise (1716-1729). — Abolition de la prévôté
de Pont-Saint-Vincent. — Prospérité du pays.
I
Le nouveau maître du comté de Chaligny (1) était le
personnage le plus considérable de la Lorraine après le
(1) Le prix d'achat de la terre de Chaligny ne fut pas payé tout de
suite h la duchesse de Mcrcœur. En 1614, Vaudémont devait encore
57,200 1. tournois, dont il servait l'intc^rét ; il payait environ 6 V«. Il
en était de même en 1615 (Archives de M.-ot-M., B, 1364 et 1367). — Ce
ne fut que le 2 mai que François de Lorraine fil hommage à son frère
et lui prétii serment de fidélité pour sa nouvelle ucquisilion (Archives
de M.-et-M., B, 599, n* 40. Cf. L. Germain, Pont-Saint-Vincent, p.^il).
— 198 -
duc Henri II, son frère aîné. Fils puîné du duc Charles III,
issu par sa mère, Claude de France, de la dynastie des
Valois, François de Vaudémont avait, dès Tannée 1397,
obtenu la main d'une noble et riche héritière, Christine,
fille de Paul de Salm, baron de Brandebourg (1). Christine
n'apportait point seulement à son époux les biens qui lui
venaient de son père, elle y joignait la succession de son
oncle Jean IX, comte de Salm, baron de Viviers et de
Ruppes ; c'est ainsi qu'une moitié du comté de Salm passa
dans la maison de Lorraine, et que Badonviller devint
l'un des séjours du fils du duc Charles lïl. En 1S99, Fran-
çois de Vaudémont fit une autre acquisition, celle du do-
maine de Turquestein. En lOOS, à la mort de son père, il
recueillit, conformément au testament du défunt, outre
divers droits et rentes dont le plus important était une
rente de vingt-quatre mille écus sur riIôlel-de-Ville de
Paris (2), des domaines immobiliers, parmi lesquels figu-
raient la baronnie de Monthureux-sur-Saône et la terre de
Hattonchâtel, érigée pour lui en marquisat (3). C'est dans
la longue série des titres que lui avaient valus ces diverses
acquisitions, qu'en 1610, il introduisit le titre de comte de
Chaligny (4).
Tous ces biens constituaient déjà une fortune considé-
(i) Le contrat de mariage date du 12 mars 1:>07 (dom Calmct, 2*
édit., V, col. 8;)d). Sur ce mariage, qui fut célébré le lii avril, cf. le
mémoire du baron Fréd. Scillière : Partage du comté de Salm^ dans le
Bulletin de la Société philomatiquc vosgienne, 1893-1894.
(2) En réalité, Vaudémont était titulaire d'une quantité considérable
de rentes françaises, soit sur les villes, soit sur le clergé. Voyez par
exemple le compte de sa maison pour 161o (Arch. de M.-et-M., B, 1367),
et toute la série des comptes.
* (3) Dom Calmet, 2« édit., IV, col. 893. Par le testament de Charles lII,
Vaudémont reçut en outre les terres et seigneuries de Clermont et de
Creil en Beauvoisis, avec ll/t38 1. tournois de rentes sur Orléans ; la
terre de Ghoiseux, celle de Gond recourt en Bassigny, la seigneurie de
Demanges-aux-Eaux et divers autres droits.
(4) En 1G15, François portait les titres suivants : marquis de Hatton-
châtel, comte de Vaudémont (ce titre était purement nominal), de
— 199 —
rable ; mais Vaudémont sut encore se procyrer d'autres
ressources. Il était, pour le compte du roi de France, gou-
verneur des villes de Toul et de Verdun, conformément à
Tune des clauses du traité de 1595 (1). Cela lui valait
un traitement de 6,000 livres (2) ; en môme temps le Trésor
royal lui servait une pension annuelle qui, fixée à
18,000 livres sous Henri IV, lut doublée à Tavènement de
Louis XIII (3), époque où, grâce à Marie de Médicis, les
princes lorrains virent pour quelque temps s'accroître
leur influence à la cour de France (4). Malheureusement,
ces pensions fournies par le Trésor français n'étaient pas
toujours régulièrement payées. Aussi François de Vaudé-
mont s'était-il adressé ailleurs. En 1600, il avait accepté
de la République de Venise le commandement de ses
troupes, à charge de les conduire, en cas de guerre, contre
tout ennemi, quel qu'il fût ; il devait recevoir à ce titre, de
la Sérénissime République, une pension annuelle de
12,000 ducats (5). Cette convention mit Vaudémont dans un
cruel embarras, lorsque la guerre faillit éclater entre le
Salm (par moiliê) et de Chaligny, baron de Vivier, Ruppes, Brande-
bourg, Turqiioslein et Monthureux-sur-Saône (Archives de M.-et-M., B,
1368, et passim).
[i) Il en prit possession à Verdun en avril 1596 (dom Calmet, 2'» édlt.,
VU, col. 140).
(2) Cette pension avait été accordée à Vaudémont par Henri IV en
15^5, quand le roi était devant la Fère. Elle ne fut payée pour la pre-
mière fols qu'en 1604 (B, 1339).
(3) En 1611, I^rançois de Lorraine, comte de Vaudémont, avait droit
à une pension de 36,000 livres de tournois, payable sur le siour Abolly,
receveur général de Limoges. En réalité, il ne toucha que 3'*,000 livres
(Archives de M.-et-M., B, 1336). En 16i4, la pension de 36,000 livres fut
payée ; en outre, Vaudémont toucha la pension de 6,000 livres, qui lui
avait été octroyée par Henri IV (B, 1364, fol. 24). De 1615 à 1618, il
ne toucha rien ; en 1610, il reçut quelque chose de sa pension (B,
1408).
(4) En juin 1610, la régente accorda des lettres de naturalité ii Fran-
çois de Lorraine, comte de Vaudémont, lieutenant général et gouver-
neur de Toul et V^erdun, à sa femme, à leurs enfants Henri, Charles,
Nicolas et Henriette.
(5) Archives de M.-et-M., B, 1280, fol. 13. François de Lorraine por-
— 200 —
pape Paul V-el les Vénitiens. Quel scandale si l'armée des-
tinée à combattre le Pontife suprême eût été dirigée par
un membre de celle maison de Lorraine, connue par son
attachement à la foi catiiolique ! La paix conclue en 1607
entre le Pape et les Vénitiens mit fin aux angoisses de
Vaudémont, ainsi qu'à sa pension ; désormais la Répu-
blique s'adressa ailleurs pour trouver des chefs à son
armée.
Du vivant de son père, François de Vaudémont avait été
employé à diverses missions. En 1598, c'est lui qui fut
chargé par son père d'aller à Vaudrevange pour y saluer
au passage l'archiduc Albert, gouverneur des Pays-Bas ;
en 1599, il conduisit sa sœur Antoinette au duc de Juliers
et de Glèves, auquel elle avait été mariée (1). En 1606, il
était à Paris (2) au moment où se poursuivaient les négo-
ciations relatives au mariage que son frère aîné, l'héritier
présomptif de Lorraine, se préparait à contracter avec
Marguerite de Gonzague, nièce de Marie de Médicis ; il
assista, à Fontainebleau, au baptême de Louis XllI ; peu
de temps après, il était envoyé en Angleterre auprès du
roi Jacques I^^ (3). Si, pendant les premières années de la
régence de Marie de Médicis, François de Vaudémont,
comme son frère Henri II, semble conformer sa conduite
à la politique de la cour de France (4), il n'en ira pas de
lait le litre de général des Tramonlains. — Cf. dom Calmet, 2* édil.,
V, col. 872 et s.
(1) Dom Calmet, 2« édit., V, col. 856.
(2) Ibid., col. 873.
(3) Archives de M.-et-M., B, 1298.
(4) On a dit plus haut (p. 199) que la pension qui lui était fournie
par le Trésor royal avait été doublée d s les premiers temps de la
Régence. En 1615, François de Lorraine envoya des gens pour recon-
naître les troupes hostiles au roi, qui passaient en Champagne, vers
Vitry ; sa compagnie de gardes alla rejoindre les troupes royales du
côté de ChAlons (Cf. Archives de M.-et-M., B, 1367, fol. 88 et 89). La
présence, en France, des compagnies de Lorraine et de Vaudémont est
mentionnée dans le Jotwnal de wa riV, de Bassompierre (édlt. de la
Société de l'Uistoire de France). II, p. 13.
— 201 —
même quelques années plus tard. En 1620, Vaudémont,
général de la Ligue catholique en Allemagne, s'occupe
de lever des troupes pour le service de la cause dont
il est un des représentants les plus qualifiés, tandis que le
duc Henri II se trouve dans la nécessité de garder la neu-
tralité, peut-être pour ne pas compromettre la sécurité de
ses états, peut-être aussi pour éviter de heurter les sus-
ceptibilités de la politique française (1). Tant y a que,
tandis que Vaudémont recrute librement des soldats dans
son comté de Salm (2), il suit une ligne de conduite diflé-
rente à Chaligny, qui relève de la Lorraine ; là il est obligé
de faire défense à ses sujets « de prendre les armes ny
s'enroller pour qui que ce soit (3) )).
Au surplus, les habitants du comté de Chaligny avaient
pu entendre le récit d'un fait qui s'était passé non loin de
leurs villages, trois ans plus tôt (en 1617), et qui montrait
à quel point la discorde divisait les deux frères : je veux
parler de la mort de Lutzelbourg, ambassadeur de Henri II,
qu'avait assassiné vers le gué de la Moselle, à Méréville,
un homme dévoué à Vaudémont. On sait qu'à ce moment,
Vaudémont aspirait à obtenir la main de Nicole, la fille
aînée de son frère, pour Charles, l'aîné de ses fils, tandis
que Henri II prétendait marier Nicole au baron d'Ancer-
ville, bâtard du cardinal de Guise. Le conflit ne se dénoua
qu'en mai 1621 : à cette époque le jeune Charles, le futur
(1) Voir celte poUliffue, résumée dans Dareste, Histoire de France^
V, p. 64.
(2) Ciilmel,2' édit., VI, p, ;>0.
(3) 1620. Compte do la gruerle du comté de Chaligny : 18 gros payés
à Bastien Mulnicr, « messager à Monseigneur, pour la journée qu'il a
emploiée pendant les troubles derniers des gens de guerre, ix aller par
les villages dudit comté, faire dcfTcnce de par Monseigneur, à toutes
personnes, de prendre les armes ny s'enrollcr pour qui ce soit ».
(Archives de M -et -M., B, 3928). Je dois dire que mon inlerprétaUon
de ce texte n'est qu'une conjecture, qui me semble assez vraisembla-
ble, n est certain que la Ligue catholique avait, en 1620, essayé do
faire des lovées en Lorraine iBassompierre, Journal de ma vie, II,
p. 158 et la note 3).
— 202 —
Charles IV, épousa Nicole, tandis qu'au baron d'Ancer-
ville, élevé au rang de prince de Phaisbourg, fut accordée
la main de Henriette, Tune des filles de Vaudémont. Les
comptes attestent qu'à cette date, Christine de Salm, com-
tesse de Vaudémont, vint passer quelques jours au château
de Pont-Saint-Vincent (1) ; à entendre dom Calmet, elle
s'était retirée de la cour pour mieux manifester le
mécontentement que lui faisait éprouver la mésalliance
imposée à sa fille Henriette (2;. Si cette version est exacte,
et elle est fort vraisemblable, il faut reconnaître que Chris-
tine ne fut pas plus heureuse dans ses protestations que
jadis ne Pavait été la duchesse de Mercœur, quand elle
voulut empêcher le mariage de sa fille avec César de Ven-
dôme.
Plus tard, après la mort de Henri 11, Vaudémont fut pour
quelques jours proclamé duc de Lorraine, au mépris du
principe de la succession féminine ; c'est ainsi qu'il figure
dans la liste des ducs sous le nom de F'rançois II. Ce n'est
pas ici le lieu de suivre les vicissitudes de la carrière de
ce personnage : j*ai hâte de me renfermer dans l'étude de
son rôle à Chaligny.
Il
Un fait distingue nettement, dans l'histoire du comté de
Chaligny, la période du comte de Vaudémont, de celle du
second duc de Mercœur. Celui-ci n'avait guère habité la Lor-
raine, et sa veuve n'y demeura pas davantage ; tout porte à
croire que depuis la mort du premier duc de Mercœur, sur-
venue en 1577, jusques à 1610, le château de Pont-Saint-
Vincent fut presque complètement abandonné par ses maî-
tres. Au contraire, Vaudémont résidait habituellement en
Lorraine ; il y menait grand train, comme on peut s'en assu-
(1) Archives do M.-ct-M., B, 3942.
(2) Dom Calmel, 2* édil., VI, col. 32.
- 203 —
rer en parcourant la très intéressante série des comptes
de sa maison, conservée aux Archives de Meurthe et-
Moselle. Presque tous les ans, surtout pendant la période
de IGIO à 1620, il s'établissait pour quelque temps avec
sa petite cour à Pont-Saint-Vincent, parfois en août ou
septembre, parfois au printemps, sans parler des brefs
séjours qu'il y faisait volontiers lorsqu'il se rendait à son
château d'Autrey, sis à deux lieues de Pont-Saint-Vincent,
sur la rive gauche du Madon (l).
Les documents laissent entrevoir ce que fut Vaudémont
comme comte de Chaligny. 11 se montre à nous comme un
propriétaire diligent, qui administrait son domaine en bon
père de famille. Chaque année sont mentionnées des répa-
rations aux immeubles ou des acquisitions de mobilier.
Nous savons qu'on tenait en bon élatrle vieux bâtiment du
château de Pont-Saint- Vincent, aussi bien que le pavillon
neuf, œuvre des Mercœur, dont on remarquait la façade
avec ses ordres de colonnes et la toiture surmontée d'or-
nements en forme de vases (2), qui faisaient contraste
avec les créneaux des antiques tours du premier château ;
(1) Voici quelques renseignements sur ces séjours. En août 1611,
séjour de Monseigneur, de Madame et de « leurs trains» au château do
Pont-Saint-Vincent (Archives de M.-et-M., B, 1337, 1338, 3926). En juin
1612, Madame est au château. En 1613, Mosseigneurs (Vaudémont
et son fils aîné Charles, le futur Charles IV) habitent Pont-Saint-
Vincent du 27 septembre au 27 novembre (B, 3969). En 1615, le compte
dr gruerie atteste la présence, au château, du comte de Vaudémont
(B» 3971). En 1616, le comte et la comtesse dtnont à Pont-Saint- Vincent
le 2Î) juillet, lorsqu'ils se rendent à Autrcy ; ils y séjournent en sep-
tembre (B, 3973). En 1617, le comte et la comtesse s'y trouvent au
mois de juillet (B,397i). En mal 1618, Vaudémont y séjourne ; on juin,
il est à Autroy ; en août, il revient au Pont. A cette année, nous
trouvons la mention : c fagots pour une disnée que Madame fist au
Pont » (B, 3975). En 1620, les comptes attestent la présence au châ-
teau, do Monseigneur, de Madame, et de a leurs trains » (B, 3978) ;
Madame s'y trouve en mai 1621, i\ la veille des mariages de son fils
Charles et de sa fille Henriette (B, 39i2). On l'y retrouve encore en
1622 (B, 398i), en 162i (B, 3986), en 1626 (B, 3989).
(2) Comptes do 1620 et de 16i9 (B, 3980 et ;
— 204 —
à ce pavillon neuf donnait accès une large avenue précé-
dée d'une porte, au-dessus de laquelle, en 1620, on plaça
riiorloge qui, jusqu'alors, se trouvait au vieux château (1).
Le « grand jardin » (2), avec ses berceaux et ses haies
taillées, n'était pas négligé ; plus d'une fois il en est fait
mention dans les comptes, grâce auxquels nous savons, en
particulier, que les allées étaient sablées avec soin (3). Les
comptes nous apprennent aussi que (( Madame », en bonne
ménagère, s'occupait elle-même de l'entretien de la literie,
et ne dédaignait pas de passer des marchés pour la confec-
tion des matelas (4}. Il y avait d'ailleurs au château de Pont-
Saint-Vincent des pièces de mobilier plus nobles. Plusieurs
appartements étaient garnis de tapisseries (5) ; on voyait
dans la « sallette » trente-quatre peintures, consistant
pour la plupart en portraits, qu'en 4G18, un peintre de
Vézelise, du nom de Nicolas Mély, fut chargé de « relaver,
nettoyer, reteindre et dorer (6) », travail qui lui fut payé
(1) B, 3978.
(2) On y allait par un pont, jcl(^ sur un fossé du château (B, 3926).
C« jardin, qu'on appelait le jardin de Monseigneur, ne doit pas ^tre
confondu avec un petit jardin sis îi l'intérieur du chAteau. Le nom de
« grand jardin » subsiste encore au cadastre de Pont-Salnl-Vincent.
(3) E.\emple dans le compte de 1626 (B. 3990).
(4) En i6i3, un ouvrier déclara avoir reçu 10 francs et 6 gros pour
« avoir deffait onze matlelas (dont sept fort petits), et avoir battu
toute la bourc d'yceux, et desdicls onze j'en ai faicl sept tout ncu.x,
de marché faict par Madame à 17 gros l'un, qui font 9 francs et 11
gros ». On compte, en outre, 7 gros pour la fourniture des houppes
(B, 3932). D'autres textes attestent que la comtesse s'occupait beau-
coup de son ménage. Pour le mobilier, elle s'adresse à de simples arti-
sans de PontSaint-Vincent, par exemple, au menuisier Vosgien. En
1613, elle fait acheter à la foire de Saint-Jean, tenue à Saint-Nicolas
de Port, de la futaine grise et 30 aunes de toile grise pour faire des
matelas (B, 3932).
(5) D^s 1611, on fait reconnaître les tapisseries du chAleau, qui pro-
venaient sans doute des anciens propriétaires (B, 3fl2<>). En 1623, les
comptes mentionnent 1rs tapisseries de la chambre de Madame (B,
3ÎKI3). Nous savons qu'il y en avait aussi dans la chambre de la dame
d'honneur, Madame de Lmoncourt (B, 3930). En 1622, on répara les
lapiss<îries (B, 31)«i).
(6) B, 3940. Le peintre reçut aussi 16 francs pour avoir fourni de
— 203 —
dix-huit francs. 11 y avait quelques armes clans le cabinet
des armes, et un certain nombre de volumes, traitant de
sujets très variés, dans la bibliothèque, dont nous possé-
dons un catalogue (i).
Malgré tout, il ne résulte pas de l'ensemble des docu-
ments que le château de Pont-Saint-Vincent ait été une
résidence de grand luxe. S'il s'agissait de faire montre
d'élégance, Vaudémont préférait de beaucoup le chAteau
d'Autrey, sa création favorite, où pendant plus de vingt
années il multiplia les embellissements et aussi les
dépenses. Les comptes fournissent des renseignements
multiples sur le « neuf bâtiment » d'Autrey, ses quatre
tours et ses deux corps de logis, percés de nombreuses
ouvertures, dont Tun regardait le village et Tautre le jar-
din (2). Ils permettent de deviner ce qu'était le jardin avec
sa noble terrasse, ses parterres, son petit bois de plai-
sance, ses fontaines dont les eaux limpides, emmenées
par des canaux, allaient se jouer dans un bassin^ avec le
grand cabinet de charmilles, flanqué de quatre cabinets
plus petits, où les visiteurs trouvaient un frais abris contre
les ardeurs de l'été. Aussi, quand Vaudémont devait rece-
voir quelque hôte de distinction, son frère le duc, par
exemple, comme il arriva en août 1618 (3), ou son neveu
Targent, des couleurs et de la colle. Sur ces trente-quatre tableaux,
voir l'inventaire du mobilier du château fait en 1597, ù la mort du pre-
mier duc de Mercœur, d'après les indications données ci dessus, p. 146
et 147, note.
(1) Voir ce catalogue dans les Mémoires de la S. A. l., 3« série (1880),
VIII, p. 340 et s.
(2) B, 1418. Sur le jardin d'Autrey, les fontaines, les bassins, la
garenne, voir B, 1336, 1339 et 1408 ; sur les écuries, voir B, 3982. Sur
les charmilles, voir B, 3979 et 3982. Sur la chapelle, voir B, 1408. A
Autroy, il y avait une basse-cour où François de Lorraine avait placé
des poules de Barbarie (B, 1408, fol. 135). En 1624, il fit construire, au
pied de son château, un pont sur le Brénon, afllucnt du Madon (B,
(3) Sommes payées pour conduire du château du Pont à Aultrey des
tapisseries, matelas et autres meubles, et les avoir ramenés en août
618, (( aprt's le parlement de S. A. » (B, 3940).
— 206 —
le (' prince de Florence », qui vint le visiter en 1626 (1),
c'est à Autrey qu'il lui offrait rhospitalité ; au besoin on
empruntait au chAteau de Pont-SaintVincent meubles et
tapisseries, sauf à les restituer une fois le visiteur parti.
A Pont-SaintVincent, demeure plus modeste, j'imagine
que la vie était plus paisible. Si Ton n'y recevait pas les
les hôtes illustres, on y vivait peut être plus rapproché du
populaire. Dès son premier séjour, au mois d'août 16H,
la comtesse de Vaudémont y fait des aumônes, dont les
documents ont conservé le fidèle souvenir. Parmi ces
menues libéralités,, il en est qui attestent une certaine cor-
dialité de rapports entre la famille princière et la popula-
tion du bourg: c'est, par exemple, une gratification de 7
gros remise à une fille qui, le 25 août, a donné « un levreau
vif à Charles Monseigneur » ; remarquez que Charles Mon-
seigneur n'est autre que le futur Charles IV, alors âgé de 7
ans et devenu, par la mort d'un frère plus âgé, le fils aine
du comte de Vaudémont. Le lendemain 26 août. Madame
achète de la dentelle, sans doute à une ouvrière du pays, à
laquelle elle remet 7 fr. 6 gros. Deux jours plus tard, le
28 août, qui est un dimanche, on célèbre la fête de Pont-
Saint- Vincent à la date traditionnelle encore observée de
nos jours. Alors frappent à la porte du château les « valets
de la fête », vraisemblablement des jeunes gens qui, habillés
d'un costume spécial, annonçaient la fête à son de cors et
de trompes, suivant l'usage des villages lorrains (2). Ils
viennent « présenter de leurs livrées à Charles Monsei-
gneur » ; aussi Madame leur fait donner dix francs (3).
La comtesse continuera de s'intéresser aux choses du
(1) B, 3989.
(2) Voyez dans un NoiM do Lif?ny-cn-BaiTois, du temps du duc
Léopold, l'allusion au « valol de notre bon Dieu qui a corn(> la ft^le ».
n n'a dit à personne où c'était : « bien sur qu'il avait perdu la t^lo ».
(Comte E. Fourier de BAcourt, le Noël des Riblaxcft^ Mémoirei^ de
la S. A. /.„ 3« série, XXI(t89i), p. 370).
(3) Archives de M.-cl-M., B, 1,337 et i:J38.
— 207 -^
pays : elle ne sera pas indiflérente au bien moral et reli-
gieux des habitants du Pont. Quand, vers cette époque,
elle fonde un certain nombre de messes hebdomadaires
dans l'église paroissiale de Pont-Saint-Vincent, elle exige,
pour la plus grande commodité des habitants, qu'une de
ces messes soit dite le matin des dimanches et des jours
de bonnes fêtes (4). Le comte de Vaudémont se montre, lui
aussi, facile et de bonne composition, au moins dans les
petites choses ; il est assez accommodant en ce qui con-
cerne les remises de droits qui peuvent lui être dus (2), et
abandonne sans trop de peine les amendes encourues
pour menus délits. C'est ainsi qu'en octobre 1619, une bande
de garçons et de filles de Laxou ont été surpris au bois de
Chaligny, en la contrée du Buisson Mitard, par l'un des
forestiers du comté, Didier l'Ecrevisse, alors qu'ils étaient
en train de cueillir des pommes sauvages : Monseigneur leur
fait grâce de l'amende (3). Nous constatons d'autres faits du
même genre, par exemple, en 1624, au profit de pauvres
gens qui avaient fait « des bottées » de pommes sauvages
dans les bois de Pont-Saint-Vincent (4). On relève dans
les comptes des largesses plus importantes dont bénéfi-
cièrent les sujets du comte, ainsi des concessions de bois
de construction faites gratuitement à des habitants qui
entreprenaient de rebâtir leurs maisons (o), ou à la com-
(1) Notes de M. l'abbé Boulanger, ancien curé do Pont-Saint- Vincent,
communiquées par M. l'abbé Bastien, curé de Pont-Saint-Vincont en
1900.
(2) Voyez par exemple le compte de 1616, B, 3937. Le comte est bien-
veillant pour ses anciens serviteurs. Ainsi, en 1615, il octroie une grati-
fication de 40 (panes, monnaie du pays, à Jean Gérard, dit Patenôtre,
forestier du comté, qui a servi vingt-cinq ans et qui vit fort miséra-
blement, chargé de trois enfants. (B, 3932.)
(3) B, 3978.
(4) B, 3986.
(5) On en trouve deux exemples en 1620 au profit des habitants de
Thélod : Archives de M.-et-M., B, 3979. — Je ne parle pas ici des deux
arpents de bois de chauffage à prendre chaque année, dans les bois du
comté, concédés en 1621 pjir Vaudémont au noviciat des Jésuites de
— 208 —
munauté de Pont Sainl-Vincent, représentée par ses corn-
mis de ville, pour lui permettre de « rhabiller » le pont
jeté sur le Madon (1).
En somme, je ne sais si je m'abuse, mais il me pa-
raît résulter de l'ensemble des documents qu'à l'époque
de Vaudémont et de sa femme Christine de Salm, quel-
ques liens s'étaient formés entre le comte de Chaligny et
ses sujets. Le comte n'était pas pour eux un inconnu sim-
plement représenté par un intendant qui percevait les
revenus. Quand un glas funèbre sonnait aux clochers du
comté à l'occasion de la mort d'un membre de la fa-
mille du seigneur (2), les paysans n'y demeuraient pas
indifférents, comme autrefois, du temps de la duchesse de
Mercœur. Ces figures de la famille comtale leur étaient
devenues familières, et sans doute quelques-unes au moins
avaient gagné leur sympathie.
III
Dès le mois de septembre 1611, c'est-à dire dès le pre-
mier séjour de François de Lorraine à Pont-Saint-Vincent,
on proclamait dans les villages du comté de Chaligny une
ordonnance du comte de Vaudémont (3) remettant en
vigueur les lois sur la chasse, dans toute l'étendue de la
gruerie, c'est-à-dire dans le district forestier du comté. Il
convient d'ajouter que, depuis l'époque du premier duc de
Mercœur, les comtes de Chaligny étaient maîtres des deux
tiers de la seigneurie de Thélod, et que, vers 1622, Vaudé-
mont se rendit acquéreur du dernier tiers, appartenant
Nancy (Archives de M.-ct-M., H, 1921), ni du bois tiré des forôts du
comté qu'il avait donné en 1G14 aux Capucins de Nancy pour l'agran-
dissement de leur église (B, 3970).
(1) B, 3978, année 1620.
(2) 1622 : On sonne dans les villages du comté pour Madame la com-
tesse, « mère a Madame, que Dieu absolve ». B, 3982.
(3) Ordonnance du 9 septembre 1611 : Archives do M.-et-M., B, 3966.
— 209 -
alors à M. de Haraucourt, gouverneur de Nancy (1). Ainsi
une étendue considérable de bois était affectée aux plaisirs
du comte de Vaudémont : d'abord la portion de la région
méridionale de la forêt de Haye qui dépendait du domaine
de Ghaligny, puis les bois de Pont-Saint Vincent, et enfin
ceux qui avoisinent Tbélod. François de Vaudémont
n'était pas homme à négliger ces plaisirs, bien qu'il eût
des forêts bien plus considérables dans d'autres domaines,
notamment dans le comté de Salm. A Pont-Saint- Vincent
il faisait surveiller ses chasses par un certain nombre de
forestiers, quatre gardes à pied et un garde monté qu'on
appelait le chevaucheur. Cette surveillance était souvent
efficace ; nous en avons la preuve par les procès qui, à
diverses reprises, furent faits aux braconniers. Ainsi en
1612, le forestier bien connu dans la région sous le nom
de Didier l'Ecrevisse surprit à Grehinvaulx, sur la lisière
de la. forêt de Haye, un homme de Ghaligny, qui, muni
d'une arquebuse neuve, attendait le gibier à la sortie du
bois (2). Ce braconnier se nommait Claude Humbert ; il
y a des chances pour que ce soit le même Claude Hum-
bert qui, en 1616, fut pendu à Pont- Saint-Vincent pour
divers larcins, en compagnie d'un autre habitant de
Ghaligny nommé Charles Gaillet. En 1617 (3), un forestier
aperçoit, « entre nuit et jour », dans une loge de rames et
de feuillée, au bois deThélod, un individu ayant auprès
de lui une arquebuse. C'était un très pauvre homme, qui
ne pouvait payer l'amende ; il en fut quitte pour quelques
jours de prison. En 1625, nous constatons que des amen-
des ont été infligées à des braconniers de la môme région,
Jacot Humbert de Thélod, et aussi César Jobois de Vézelise,
celui-ci avait été trouvé « Tescopete au poing, à Torrey du
(i) B, 39Î4.
(2) Archives de M.et-M., B, 3968.
(3) Le 3. novembre. Archives deM.-el-M., B, 3974.
14
— 210 —
Bois Vorry (1) ». Mais le cas le plus remarquable de ceux
que signalent les comptes est celui de Bastien Gilbert,
originaire de Domgermain, qui était tireur de Tabbé de
Saint Epvre ; on appelait ainsi Tindividu chargé de chas-
ser dans les domaines forestiers des établissements ecclé-
siastiques, aux lieu et place des prélats auxquels les canons
de l'Eglise interdisent cet exercice. Or, en 1618, Bastien
Gilbert (2), non content de chasser dans les bois de Villey-
le-Sec, où son abbaye avait des domaines importants, s'en
alla tuer un cerf dans les bois voisins, appartenant au
comte de Chaligny, auprès du village de Maron. Un procès
en règle lui fut fait devant la justice du comté de Chaligny ;
il fut condamné à une amende de 200 francs, dont la ma-
jeure partie (133 francs 4 gros) fut attribuée aux forestiers
préposés à la garde des bois f3). Cela n'effrayait point les
braconniers. En 1620, il fallut munir les forestiers de
poudre d'arquebuse, « aux fins d'attraper quelques tireurs
que Ton disoit chasser dans iceulx bois (4) ». D'ailleurs
il arrivait parfois que les forestiers étaient eux mômes
soupçonnés de braconnage. Ainsi, en 1612, l'Ecrevisse fut
accusé à plusieurs reprises d'avoir tué des lièvres à Gre-
hinvaulx ; les méchantes langues assuraient qu'un jour,
comme il accompagnait le receveur de Clairlieu qui retour
nait à son abbaye après avoir dîné avec lui à Chaligny,
l'Ecrevisse lui avait donne un lièvre d'une provenance
plus que suspecte (5). En 1621, des bruits fâcheux cou-
raient de plus belle sur le compte du même personna-
(1) B, 3989.
(2) Ce porsonnagc était soupçonné de n'en être pas à son premier
méfait ; on lui imputait d'avoir, quatre ans auparavant, tué contre
tout droit un cerf à Viterne. Cf. Arctiives de M.-el-M., B, 3976.
(3) Didier l'Ecrevisse, Didier Voirion, Jean Girard dit Patenostrc,
Didier xMaltredhôtel, Jean Simon, (B, 3976 et 3977).
(4) B, 3778. On trouvera un type de procès pour délit de chasse,
commis à Thélod, en 1026, aux Archives de M.-ct-M., B, 3990 bis.
(5) B, 3968.
- 211 -
ge, auquel des gens se disant bien informés imputaient
d'avoir tué un cerf dans les bois du comté. C'était grave :
quis custodiet custodes ? L'Ecrevisse fut obligé de présenter
à Monseigneur sa justification. Vaudémont fut bon prince
et ne donna pas suite à l'affaire ; au contraire, en considé-
ration de la pauvreté de son garde, il lui accorda une part
des amendes perçues pour délits forestiers (1).
La surveillance qui était exercée sur les braconniers s'éten-
dait aussi aux chiens D'après les ordonnances sur la chasse,
en vigueur dans le comté et dans la seigneurie de Thélod,
tout propriétaire de chien encourait une amende quand
l'animal ne portait pas, pendu au cou, un bracot, pièce de
bois destinée à gêner ses mouvements et à entraver sa
course (2). Il fallut une concession gracieuse de Vaudé-
mont pour que plusieurs habitants de Chaligny, qui labou-
raient la plaine de Chassé, sur la limite de la forêt, obtins-
sent pour leurs chiens la dispense de cet engin : ils firent
remarquer, à l'appui de leur demande, qu'il leur fallait des
chiens prêts à repousser, « tant de jour que de nuit, les
loups qui se jettent incessamment sur eulx (3) ». Aussi
les chiens du seigneur, dispensés de plein droit de cette
obligation, formaient une aristocratie parmi leurs congénè-
res. D'ailleurs Vaudémont semble avoir porté intérêt à sa
meute. Les comptes du domaine de Chaligny la mention-
nent de temps en temps. C'est ainsi que trois lévriers furent
achetés en Angleterre en 1619 ; Vaudémont avait envoyé un
homme de confiance avec la mission spéciale de faire cet
achat (4). En 1622 on nourrissait à Pont-Saint-Vincent un
lévrier rouge de la meute du comte (5). D'autres textes
(1) B, 3981.
{2} B, 3982.
(3) B, 3983 (année 16^).
(4) B, 1409.
(5) B, 3984.
— 212 -
mentionnent la présence à Pont-Saint- Vincent de limiers (1)
et d'épagneuls (2).
Il va de soi que souvent, au cours de ses séjours d'au-
tomne, Vaudémont, accompagné des fils, conduisait la
chasse dans les bois du comté de Ghaligny. Les comptes
ont conservé la trace d'un incident qui survint au cours de
Tune de ces chasses. Un jour, en 1613, le cerf que serraient
les chasseurs se jeta dans la Moselle auprès de Maron, et
fut tué pendant qu'il s'efforçait de traverser la rivière. Les
paysans chargés de conduire la barque qui assurait le pas-
sage de la Moselle à Maron parvinrent, non sans peine, à
le retirer de l'eau, ce qui leur valut un pourboire de deux
francs ; en môme terhps le comte faisait donner une aumône
à une pauvre femme qui se trouvait là (3). Ce n'était pas
toujours Vaudémont qui chassait en personne ; à diverses
reprises il envoya ses gens à des battues ou à des chasses
dont il faisait les frais. C'est ainsi qu'il ordonna plus d'une
fois des chasses au loup, et convoqua pour cet objet, des ar-
quebusiers qui renforcèrent ses forestiers (4). D'ailleurs les
grandes réceptions qu'il donnait à l'hôtel de Salm, où était
établie sa résidence à Nancy, lui fournissaient l'occasion
fort naturelle de faire chasser dans ses bois. Par exemple,
le 2 novembre 1619, à la veille de la tenue des Etats, il écrit
à son capitaine du comté qu'il a l'intention de traiter
nombre de gentilshommes, auxquels il veut « faire goûter
de la venaison de nos bois du comté de Chaligny » ; il
ordonne en conséquence d'y faire chasser deux sangliers
et deux chevreuils (5). Il donne des instructions analogues
(1) Deux jeunes limiers sont envoyés de Pont-Saint-Vincent à Ruppcs
(B, 3980).
(â) Nourriture de trois petites chiennes « cspagncullcs », en 1625-
1626, pendant 748 jours (pour les trois), au moment de la cherté des
grains. On payait 2 gros par jour pour chaque chienne ; en tout,
on paya 131 fr. (B, 3989).
(3) B, 3930.
(4) B, 3989 et 3991.
(5) B, 3977.
— 213 -
dvant la tenue des Etats de 1622 (1). En outre, le 17 mai
1621, les officiers du comté de Chalignysont invités à faire
tirer un ou deux chevreuils, un sanglier, et quelques a mar-
cassins et faons de chevreux », auxquels il conviendra de
joindre aussi quelques «grands poissons » de la Moselle.
C'est que, quelques jours plus tard. Monseigneur donnera
à rtîôtel de Salm un grand festin auquel assistera Son
Altesse: il ne s'agit de rien moins que des noces du prince
Charles avec Nicole, la fille du duc Henri II (2), tristes
fêtes, données en Thonneur d'une union mal assortie.
IV
La chasse n'était pas, il s'en faut de beaucoup, la seule
préoccupation de Vaudémont dans l'administration de son
domaine de Chaligny. Il s'intéressait aux chevaux, et
avait placé à la tête de ses écuries un gentilhomme d'ori-
gine anglaise, le « sieur de Bronne (3) ». Un jour, il s'avisa
d'établir un haras, ou, comme on disait alors, une jumen-
terie, à Pont-Saint-Vincent ; il comptait utiliser pour l'éle-
vage les grandes prairies que traverse la Moselle. Dès 1618 il
avait entrepris la réalisation de ce projet. L'année suivante,
il ordonne des travaux importants aux écuries du château
(( pour y loger nos juments » ; alors on prépare « la cham-
bre des juments », et l'on installe «cent pieds d'auges (4) ».
(i) Ordre de chasser dans les bois de Chaligny, de Th(^lod et de
Vltorne. Il faut tuer des sangliers et des chevreuils (B, 31)82).
(2) B, 3979 et 3980. On tua pour celle circonstance un « porc san-
glier », qui fut conduit iv l'hôtel de Salm. Les forestiers du comte
avaient acheté poudre et plomb à Claude Notaire, marchand à Pont-
Saint- Vincent. D'après dom Calraet, il y eut un festin le 23 mai chez
le duc Henri et un festin le lendemain à l'hôtel de Salm (2" édlt., VI,
col. 32).
(3) Ecuyer d'éscurie. en 1621 ; flis d'un gentilhomme anglais qui
habitait Nancy (B, 398i). Se confond sans doute avec François de
Brown de Montaigu, seigneur de Boncourt, plus tard serviteur dévoué
de la princesse de Phalsbourg. Cf. Pfister, ^fèmoirr.'^ du comte de
Brassac, Mémoires de la S. À. l.. S' série, XXVI (1898), p. 309.
(4) B, 3978 et 3979.
— 214 —
Au printemps de 1619, on nourrissait à Pont-Saint-Vincent
seize juments et sept poulains ; au mois de juin on les mit
à rherbe dans la prairie encore connue de nos jours sous
le nom de pré Fleurion (1). A la fin de Tannée, il y avait
au château du Pont vingt et une juments (2) et cinq pou-
lains, sous la direction d'un fonctionnaire qu'on appelait
jumentier. Je ne sais pour quelle cause, le comte de Vaudé-
mont estima, vers cette époque, que sa jumenterie était
mal placée à Pont-Saint-Vincent; le 10 janvier 1620, les ani-
maux qui la composaient furent ammenés à Angomont,
village du comté de Salm voisin de Badonviller (3). Cepen-
dant, quelques années plus tard, en 1626, Vaudémont
semble avoir éprouvé une velléité de reprendre ses anciens
projets. A cette époque on établit à la grande écurie du
château une cloison destinée à séparer les poulains (c d'avec
les juments, que Monseigneur y a envoyées depuis peu » (4).
Il est une autre entreprise qui sollicita bien plus l'atten-
tion du comte de Vaudémont et absorba une part considé-
rable de ses capitaux. A l'époque qui nous occupe, la
Moselle, après avoir reçu le Madun, ne suivait pas le cours
rectiligne qu'elle afTectc aujourd'hui en aval de Pont-
Saint- Vincent. Elle serpentait dans la vallée, se dirigeant
de Pont-Saint-Vincent vers le promontoire de Ghaligny,
dont elle venait battre le pied (à peu près à l'endroit où la
route de Ghaligny-le-Mont se détache de la route de Toul) ;
revenant ensuite vers le lieu où se trouve de nos jours
le barrage de Ghaligny, elle formait ainsi une première
courbe, d'un large rayon, analogue à celle qu'elle décrit un
peu plus bas entre le barrage de Ghaligny et celui de
Sexey. Sans doute ces sinuosités de la rivière ne devaient
(1)B, 1408.
(2) Il se nommait Gérard Ilcnnequel \lhid.).
(:)) Pcutêlre à cause de l'échec de la construction du pont, dont il
sera parlé ci-dessous. Je ne suis pas éloigné de croire que cette mésa-
venture a quelque peu dégoûté Vaudémont de Pont-Saînt-Vincent.
(4) B, 3989.
— 215 —
pas médiocrement contribuer à embellir le paysage de la
vallée, vue de la colline de Chaligny ; mais les hommes de
Tart affirmaient qu'il importait, pour assurer la sécurité
du pays, d'endiguer la Moselle dans un lit disposé de telle
façon qu'elle ne pût désormais se livrer à ses dangereuses
divagations. Ainsi, dès 1613, Vaudémont s'était arrêté au
projet de donner à la rivière un neuf cours, en même temps
qu'il avait résolu de faire construire un pont de pierre,
destiné à remplacer l'ancien pont de bois du moyen-âge,
détruit depuis longtemps ; ce pont devait être élevé à peu
près à l'endroit où se trouve aujourd'hui le pont de la
voie ferrée qui conduit de Nancy à Mirecourt. On travailla
d'abord au nouveau cours de la Moselle, et ensuite à la
construction du pont.
Le « neuf cours )> fut commencé en 1613 ; il ne fut guère
achevé que vers 1619. Les matériaux, madriers, fascines
et fagots, étaient fournis par les forêts du comté ; c'est à
la corvée qu'on eut recours pour se procurer des ouvriers.
Chaque année, les travaux avaient lieu pendant quelques
mois de la belle saison, plus ou moins longtemps, suivant
la température et les ressources (1). C'était alors au ser-
gent du comté qu'il appartenait de convoquer chaque jour
les ouvriers réquisitionnés pour le lendemain. En 1613,
les chantiers paraissent être demeurés ouverts des pre-
miers jours de septembre au 7 novembre ; le comte de
Vaudémont séjourna à son château du Pont pendant la
plus grande partie de cette période ['2). On employait un
nombre d'ouvriers qui variait entre 50 et 80 (3). Ainsi le
10 septembre, Chaligny (Mont et Val) a fourni 60 travail-
leurs; le 11, il y en a 59, qui proviennent non seulement
de Chaligny, mais aussi de Chavigny et de Neuves-Mai-
(t)B, 3930, fol. 80-81.
(2) B, 3932.
(3) Pour un motif qui sera indiqué à la noie suivante, je crois que
la moyenne des tra\'^llcurs n'a gu^re dû dépasser 50.
- 216 -
sons ; le 5 novembre, on en compte 76, qui proviennent de
Chaligny. Pendant cette première année, chaque travail-
leur recevait par jour une livre de pain cuit (1) ; le paysan
pouvait d'ailleurs se racheter de la corvée en payant par
journée la somme de quatre gros, somme relativement
élevée pour le temps. En 1614, le travail recommença en
juin (2) ; les conditions en furent quelque peu modifiées.
Le comte de Vaudémont décida alors qu'à tous les tra-
vailleurs seraient accordées chaque jour deux livres de
pain (3) ; en outre il abaissa le taux du rachat de la corvée
de quatre gros à deux gros. Il voulait en effet rendre
accessible au plus grand nombre possible de ses sujets
cette faculté de se racheter ; visiblement il désirait que
tous les cultivateurs ayant un peu d'aisance pussent en pro-
fiter. Quant aux pauvres gens, il estimait que les journées
qu'ils trouveraient ainsi par l'effet du rachat constitueraient
pour eux une ressource précieuse; aussi recommandait-
i-1 instamment à ses officiers de préférer les ouvriers
originaires du comté aux étrangers (4). Je ne sais si la
corvée suffit toujours à fournir les bras nécessaires ; en
tout cas, en 1617, on continuait à travailler au neuf cours,
« tant par corvée que autrement (5) ».
Si, en cette année, le travail n'était point encore achevé,
au moins était-il fort avancé; aussi le moment sembla
venu d'entreprendre la construction du pont de pierre
projeté depuis 1613. Ce pont, qui devait reposer sur cinq
(1) On distribua pendant la campagne de 1G13, en pain, 2587 livres,
ce qui représente 2587 journées ; on avait dû travailler environ ;>0
Jours, d'où il est facile de conclure que la moyenne des travailleurs ne
devait guère dépasser 50.
(2) Le il )uin, il y avait sur le chantier 38 ouvriers de Chaligny.
(3) B, 31)33.
(4) B, 3933. Décision du comte, du 14 juillet 1G14.
(5) B, 3937. En 1618 des corvées y travaillent encore. En cette année
le rachat produisit 78 fr. 2 gros pour Chaligny seulement, ce qui
représente, au taux de 2 gros, 469 journées rachetées par les habitants
de Chaligny (B, 3939).
— 217 —
piles (1), exigeait un travail considérable de maçonnerie ;
suivant Tusage, les curés des paroisses du comté et ceux
de Sexey-aux- Forges, de Bainville sur-Madon, d'Acraignes
et de Villers-les-Nancy furent chargés d'annoncer au prône
la prochaine adjudication des (ournitures de chaux et de
pierre de roche (2). Dès 1617, on amena les bois qui
devaient servir au pilotage (3), en même temps qu'on
passa des marchés relatifs «^ la pierre de taille (4). Deux
maîtres maçons se mirent à l'ouvrage ; ils se nommaient
Jean Mathieu et Benoit Grata. Le second appartenait à une
famille d'entrepreneurs bien connus dans la Lorraine et
le Barrois, dont un membre avait, du vivant du duc
Charles III, construit le pont jelé sur la Moselle à Pont-à-
Mousson (5).
En 1618, les travaux de Pont Saint- Vincent étaient pous-
sés avec activité ; au cours de l'été de cette année, Madame
vint visiter les chantiers, et donna quatre francs aux
ouvriers maçons qui y étaient occupés (6). Toutefois, des
documents de Tannée 1619, il semble résulter qu'on avait
peine à trouver l'argent nécessaire pour donner satisfac-
tion aux entrepreneurs du pont (7). D'ailleurs à cette date
se produit un changement significatif : à Mathieu et à
(1) B, 3977.
(2) B, 3939.
(3) B, 3974 et 3975.
(4) B, 3938.
{"}) Au commencement du xvir siècle, les Grala élHienl établis k
Toul. L'un d'eux épousa Sébaslienne Hordat. Sur la famille Grata, voir
un article du comte Fourier de Bùcourt, dans les Mémoires do la Société
des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc, 3* série, VI (1897), p. 133
et s. — Claude Grata, qui parait avoir été le chef de la famille, à
l'époque qui nous occupe, a exécuté des travaux importants à Bar, à
Saint-Mihiel et à Toul. Le 3 juillet 1619, un mandat de paiement fut
délivré à Jean Mathieu et .'i Benoit Grata, pour ouvrages de taille, ma-
çonnerie, pilotage et autres travaux. Ce mandat s'élevait à 1435 francs
10 gros, pour la « parpaye » de 7380 francs qui leur avaient été dus.
(B, 3977 ; cf. B, 3941 )
(6) B, 3940.
(7) Cf. B. 3977.
— 218 —
Grata succède un nouvel entrepreneur, Gaspard Desjar-
dîns, qui prend le litre de maître maçon du comte de
Vaudémont (i). Très probablement les ressources ne
devinrent pas plus abondantes. C'est peut-être pour en
trouver que Vaudémont, en 1620, mécontenta fortement
ses sujets en réclamant des tavernierset des cabaretiers
du Comté un droit annuel « pour avoir permission de
vendre vin (2) ». Les intéressés résistèrent et adressèrent
du comte et à son conseil des réclamations dont j'ignore le
résultat. En tout cas, Vaudémont était à court d'argent;
c'est sans doute à cause de cette pénurie qu'il dut renoncer
à son entreprise. En 1626, les pierres de taille amenées
quelques années plus tôt, gisaient encore sur la berge,
cachées en partie par le sable que les grandes eaux
avaient apporté (3) ; elles servirent plus tard à construire
la chartreuse de Bosservi]]e(4). L'œuvre du pont ne fut
menée à bonne fin qu'au milieu du xviii® siècle, par les
soins de l'intendant français de la Galaiz^ière. J'imagine
que Vaudémont dut ressentir quelque humiliation de
son échec: il semble résulter des textes qu'à compter de
ce moment on ne le vit que très rarement au château de
Pont Saint-Vincent (5).
Au moins fallut-il, vers ce temps, exécuter des travaux
qui furent jugés nécessaires afin de sauver les jardins du
(1) B, 1408.
(2) B, 3978.
(3) B, 3990. — Déjà en 1621, Vaudémont avait fait construire à
Li Verdun un bateau neuf pour le passage de la Moselle à Pont-Salnl-
Vincent. C'est donc qu'il n'entrevoyait nullement comme prochain
l'achèvement du pont par lui commencé (B, 3942.). En 1626, on cons-
truisit pour cet usage un grand bateau (B, 3989). On en construisit un
autre en 1633 (B, 3947 bis.).
(4) Voir ci-dessous, p. 23iS, note 2.
(5) Voir ci-dessus, p. 214, note 3. Remarquez que c'est précisément à
ce moment que Vaudémont envoie son haras à Angomont et semble
dégoûté de Font-Saint- Vincent. La comtesse, au contraire, continua d'y
vivre pendant la période qui commence k 1620 et finit à sa mort, sur-
venue en 1627.
— 219 —
comte, à Pont-Saint-Vincent, de la destruction dont les
menaçaient sans cesse la Moselle et le Madon. C'est alors
(en 1620), que, pour remédier à ce danger, on construisit
une «vanne» sur la rivière, non loin du jardin menacé (1).
Il ne semble pas qu'on ait atteint le résultat désiré. En
1626, les deux rivières avaient de nouveau ruiné leurs
rivages respectifs du côté du château, si bien que les racines
des arbres qui y croissaient étaient découvertes. L'eau,
ajoute un témoin oculaire, atteindra bientôt les fondements
du château si Ton n'y prend pas garde (2). Qui eût pu lire
dans l'avenir eût souri de ces préoccupations des agents de
Vaudémont ; dix ans plus tard, son château devait dispa-
raître, détruit, non par l'action lente du cours de la Mo-
selle, mais par la main brutale des envahisseurs de la Lor-
raine.
Il semble que sous le gouvernement de François deVau-
démont, le comté de Chaligny^ jouissant d'une paix pro-
fonde, ait participé à la prospérité générale qui fut le par-
tage de la Lorraine à cette époque. Toutefois, une ombre
fut projetée sur ce tableau par l'étrange épidémie de sor-
cellerie, qui sévit dans le comté comme elle a sévi, à la
fin du XVI' siècle et au commencement du xvlI^ dans la
Lorraine entière, et, aussi, dans toutes les régions de l'Al-
lemagne, protestantes ou catholiques.
Les comptes du domaine de Chaligny nous font connaî-
tre l'issue d'un certain nombre de procès de sorcellerie,
tant à cause des frais qu'entraînait l'administration de la
justice criminelle qu'à raison de la confiscation qui était
la conséquence des condamnations capitales. Toutefois les
(1) B,3978.
(2) B, 3990. Observations du comptable, François de Fisson^ sur le
compte de gruerie.
— 220 —
mentions fournies par ces comptes ne concernent que la
période qui commence avec Tannée 1611, première année
du gouvernement de François de Lqrraine à Chaligny ;
pour la période des ducs de Mercœur, ou sait que les
comptes ont disparu, d'où il résulte que nous sommes
dépourvus de tout renseignement sur les causes criminelles
du comté de Chaligny à la fin du xvi<^ siècle et dans les
premières années du xvii®. Encore faut-il ajouter que, pour
la période postérieure à 1610, nous en sommes réduits à
des mentions d'ordre financier, sans que nous puissions
retrouver les dossiers des procès de sorcellerie qui se
déroulèrent dans l'auditoire seigneurial de Pont Saint-
Vincent, où se jugeaient les affaires criminelles du comté.
Je me borne a résumer ici les indications que fournissent
les documents.
Dès 1612, le fisc du comté de Chaligny recueille le béné-
fice d'une condamnation pour sorcellerie portée hors des
limites de la seigneurie. En cette année Françoise Aymel,
veuve de Mengin Maitredhôtel, avait été exécutée à Mes •
sein comme sorcière. Or la condamnée possédait quel-
ques biens à Chavigny, dans le territoire du comté ; les
agents de François de Lorraine appréhendèrent ces biens^
conformément à la sentence qui prononçait la confisca-
tion (1).
C'est en 1613 que pour la première fois il nous est permis
de constater des procès de sorcellerie dans le comté. C'est
aussi en cette année qu'ils furent les plus nombreux. Vers
le commencement de juillet, une femme de Chaligny nom-
mée Claudon Frédar, épouse de Jean Pierre, fut arrêtée
sous la prévention de < véuéfice et sortilège », et enfermée
dans la prison criminelle de Pont Saint-Vincent, qui n'était
autre qu'une cave du chAteau ; elle y demeura pendant 4i
jours, sous la garde de quelques hommes du pays, tandis
(i) Archives de M.-cl-M., B, 3982.
— 221 -
qu^Anne, veuve de Claudia Hilaire, était chargée de la nour-
rir, et recevait de ce chef 1 gros et4 deniers par jour. Cepen-
dant, à ]a requête du procureur d'office, le procès de Clau-
don Frédard était instruit devant les gens de justice qui
siégeaient dans la chambre des plaids du château, c'est à
dire devant François de Fisson, capitaine prévôt du comté,
assisté des échevins. L'affaire se déroula suivant les règles
de la procédure à l'extraordinaire, d'une rigueur si cruelle.
La torture fut donnée à l'accusée par l'un des exécuteurs
des hautes justices de Nancy (on l'appelait maître Christo-
phle Boudin) ; deux chirurgiens, André Poncet, de Thélod,
et Mengin Hans, deViterne, avaient été convoqués « pour
panser et médicamenter » la prévenue, après qu'elle eut
reçu la question ordinaire et extraordinaire. Pour ôter tout
refuge à l'esprit malin, on avait, conformément à la tradition
suivie dans les procès de sorcellerie, appelé une veuve de
Chaligny, la femme Toussaint Bacquelin, qui avait « rasé
le poil )) de l'accusée. Le 22 août, la sentence fut enfin ren-
due, après que, suivant la coutume, les gens de justice de
Chaligny eurent soumis la procédure au maître échevin
et aux échevins de Nancy. Claudon Frédard fut condam-
née « à être exposée à la vue du peuple l'espace d'un quart
d'heure, le col au carcant, attachée au pilori, devant l'au-
ditoire de ce lieu de Pont-Saint Vincent, puis menée et
conduite par Pierre Christophle, exécuteur des hautes œu-
vres, au lieu accoutumé pour telle exécution, pour, après
qu'elle aura aucunement senti le feu, être étranglée et son
corps brûlé et réduit en cendres ». La sentence fut exécutée
à Pont Saint-Vincent le jour môme où elle avait été pro-
noncée. Ce furent ces bouchers qui, suivant l'usage, con-
duisirent la malheureuse à l'endroit désigné pour le sup-
plice (1).
Trois semaines plus tard, le 12 septembre, un nouveau
(l) Lors des exécutions do 1615, les bouchers réclamèrent de ce chef
un droit spécial, qui leur fut refusé (B, 393i).
bûcher s'allumait pour Texécution de Claudon Vincent,
femme d'un habitant de Chavigny nommé Jean Rouyer.
Il semble que l'opinion publique ait été très animée à Cha-
vigny contre Claudon Vincent : nous pouvons, en efïet,
constater par les comptes que les frais de nourriture de la
prévenue pendant son emprisonnement, aussi bien que les
frais d'exécution, furent supportés volontairement parles
habitants de Chavigny. Ce détail révèle l'intensité des
haines locales qui, sans doute, expliquent en plus d'un
cas les procès de sorcellerie.
Enfin, le 19 septembre 1613, Pont-Saint- Vincent était,
pour la troisième fois depuis un mois, témoin d'une scène
analogue; on y exécutait Claudon Rolin, veuve de Didier
George le jeune, habitant du Pont. Elle aussi était con-
damnée pour vénéfices et sortilèges. La confiscation avait
été prononcée contre les trois condamnés, mais celte peine
ne pouvait avoir d'effet que contre Claudon Rolin, qui avait
un peu de bien (1). Les deux autres étaient de pauvres
femmes, qui ne possédaient que quelques meubles sans
valeur.
D'autres poursuites pour sorcellerie furent intentées au
cours de cet automne de l'année 1613, mais elles n'abouti-
rent pas à des condamnations à mort. Une sentence du
7 octobre bannit du comté une femme deChaligny, nommée
Mangotte Joly, épouse de Lambert Canel ; les frais de la
procédure furent supportés par le maire et la communauté
deChaligny (2). Enfin deux autres femmes, inculpées de
sortilège, furent « renvoyées jusque à rappel (3) », ce
qui était une formule d'acquittement mitigé ; l'une
était Mengon Rolin, veuve de Didier George l'aîné, de
(1) Voir rinvcnlaire des meubles de Claudon Rolin et l'élat de ses
Immeubles. Les Immeubles consistent en 2 hommées 1/2 de vigne ver
le moulin (du Pont-Saint- Vincent) et 1 bommée 1/^ sur la côte. Les
meubles furent vendus à l'encan (B, 3933).
(2) B, 3930.
C3) B, 3932.
— 223 —
Pont-Saint-Vincent ; l'autre s'appelait Didière et était veuve
d'un habitant de Lorey, François Aubriot. Toutes deux,
avant d'être relâchées, avaient subi la question, l'une par
les mains de Démange Marchai, exécuteur de haute justice
de Lorraine, l'autre par celles de son collègue Christophle
Boudin.
Il résulte de cet ensemble de textes qu'un groupe de
femmes sorcières ou prétendues telles avait soulevé l'opi-
nion publique et attiré l'attention de la justice dans le
comté de Ghaligny au cours de l'été de l'année 1613. Vers
la même époque les officiers de justice de Madame de
Lenoncourt faisaient brûler à Maron une femme du nom
d'Haillevix, épouse de Thouvenin Poiresson. A la suite de la
confiscation prononcée contre cette femme, les officiers du
comte de Ghaligny saisirent une petite vigne sise dans les
limites du comté, au lieu dit en Chassé, compris dans le
ban de Ghaligny (1).
Dans le comté de Ghaligny, les procès de sorcellerie
reparaissent en 1615. Gette fois encore, le 15 octobre, trois
femmes furent arrêtées en même temps pour vénéfice et
sortilège, et jetées dans la prison de Pont-Saint-Vincent,
« en des lieux fort obscurs », où elles couchaient sur la
paille, et buvaient et mangeaient dans la vaisselle de
terre (2). Quatre hommes les gardaient la nuit et deux le
jour (3). Deux d'entre elles furent exécutées en la manière
accoutumée le 12 novembre: c'était Jeannon, femme de
Glémenl Gaillety, pâtre des Neuves-Maisons, et Glaudon,
veuve de Pierre Trinton, de Neuves Maisons. Douze jours
plus tard, le 24 novembre, le bourreau de Nancy exécutaft
à Pont-Saint-Vincent la troisième des femmes arrêtées le
mois précédent. Elle se nommait Jeannotte, et était veuve
(1) B, 39a5.
(2) B, 3934. Le geôlier recevait trois gros par Jour, pour « soulager »
les prévenus.
(3) Un compte de 1615 mentionne quatre cordes de bols délivrées
pour chauffer les hommes de garde (B, 3971).
de Julien Thouillot, de PontSaint-Vincent. Pendant sa
captivité, a à cause de sa vieillesse et caducité, elle ne pou-
vait manger son pain sec»; aussi Jean Mercier, hôtelier
du Pont, dut lui fournir « pain, vin, chair et potage», qui
lui étaient portés régulièrement par un sergent (1). Les
juges éprouvèrent-ils quelque hésitation à ordonner la mort
de cette pauvre vieille femme? Est-ce à cette considéra-
tion qu'il faut attribuer le retard de l'exécution? Les docu-
ments sont trop sobres de renseignements sur cette ques-
tion pour qu'il soit possible d'émettre un avis (2).
Une autre femme de Neuves-Maisons, Marguerite, épouse
de Mengin Badel, avait été poursuivie en même temps pour
sortilège et vénéfîce; sans doute elle était impliquée dans
la môme affaire que les trois condamnées à mort dont iJ
vient d'être parlé. Trois femmes de Messein avaient témoi-
gné contre elle ; elle fut rasée et mise à la question. Mais
elle putéchapper à la condamnation capitale. Après trente-
cinq jours d'emprisonnement, elle fut a renvoyée jusqu'à
rappel. » (3)
Après les trois exécutions de 1616, quelques années se
passèrent sans que de nouvelles affaires de sorcellerie
fussent mentionnées dans le Comté. Il s'en produisit dans
les villages voisins ; ainsi, à Maron, le 8 juin 1616, Cathe-
rine Aymée fut condamnée au feu par les gens de justice
de Madame de Lenoncourt, dame d'honneur de la comtesse
de Vaudémont(4). Autrey fut le théâtre de deux exécutions
en 1619 (5), et de trois en 1620(6). Mais c'est seulement en
(i) B, 3934.
(2) L'année suivante, en 1617, Julien Thouillot, le meunier de Bain-
ville, fut frappé d'aniondc pour avoir « blasphémé le saint nom de
Dieu » (B, 3939). C'était peul-étrc un fils de la condamnée de 1616.
(3) B, 3934. — Les comptes de cette année 1616 attestent qu'on eut
recours à Brahault, charpentier, pour « rabiller » les engins de torture,
et pour faire des d neufs quartiers » qu'on mettait sous le dos des accu-
sés. Sur la question par l'échelle, voir Denis La sorcellerie à Tout
aux ATI« et AK/P siècles.
(4) B, 3937.
(5) B, 1408, fol. 133 V.
(6) B, 1415 (fol. 148 et 149), et 1,416.
1624 que nous retrouvons la trace de procès de sorcellerie
dans le comté de Chaligny. Au mois de février de cette
année, Haillevix Cordier, dite Maillot, veuve d'un habitant
de Neuves Maisons qui s'appelait Jean Lorrain, fut con-
damnée au feu à la requête du procureur d'office ; le gref-
fier ordinaire, Mansuy Mansuy, s'était porté partie civile.
Lors de l'exécution de cette sentence, deux religieux Mini-
mes furent appelés pour assister la condamnée (1). En 1625,
ce fut le tour de Rayne, veuve de Jacot Brahault, qui
demeurait à Pont-Saint-Vincent. Les poursuites contre elle
avaient été provoquées par deux habitants du Pont, Claudin
Jacques et Claude Maillot, qui avaient fait les premiers
frais ; le procureur d'office joignit son action à la leur.
Rayne fut condamnée au feu ; deux pères Jésuites, venus
de Nancy, demeurèrent à Pont-Saint-Vincent pendant trois
jours, « qu'ils assistèrent la dite Reyneàbien mourir (2). »
Vers le même temps, le 20 juin 1625, Alison, femme de
Guillaume Georges, de Pont-Saint-Vincent, aussi accusée
de sortilège, fut «renvoyée jusqu'à rappel», après avoir
subi la question ordinaire (3). Ensuite les exécutions sem-
blent ne plus s'être renouvelées avant 1632 (4). Alors Clau-
don Bourlier, femme de Pierre Mauri, demeurant à Neuves-
Maisons, fut suppliciée pour sortilège ; c'était une pauvre
femme qui ne possédait aucun bien (5). C'est, je crois,
(1) B, 398G.
(2) B, 3987. — Le sieur curé de Pont-Saint-Vincent reçut du fisc à
col te occasion huit francs pour (( despens faits à son logis ».
|3) B, 3987.
(4) Il n'est pas inutile de faire remarquer qu'en 1626, plusieurs per-
sonnes, hommes et femmes, avaient été poursuivies pour sorcellerie A
Thélod. Deux femmes furent condamnées à mort et exécutées; un
homme fut banni, une femme condamnée au fouet et bannie, une femme
renvoyée jusqu'à rappel, une autre renvoyée purement et simplement
(B, 3946). L'une des femmes exécutées avait été condamnée sur la déla-
tion d'un particulier ; le maïeur de Thélod avait fourni en tout ou en
partie l'argent nécessaire à la procédure. L'appel des sentences de Thé-
lod était porté devant la justice du comté de Vaudémont à Vézelise.
(0) B, 3996.
- 226 —
Tannée suivante, en 1633, que périt sur le bûcher de Pont-
Saint-Vincent une malheureuse femme de Chaligny, qui
avait épousé Pierre Masson (i). Après cette année, il semble
qu'on n'entende plus parler dans le comté de Chaligny de
ces accusations qui, depuis vingt ans, y avaient coûté la vie
à douze personnes. D'autres malheurs devaient bientôt faire
oublier ces sinistres procès.
VI
Le lecteur se rappelle peut-être que, depuis l'échec des
travaux qu'il avait entrepris sur la Moselle, François de
Vaudémont semblait avoir beaucoup perdu de son afîec
tion pour le château de Pont Saint Vincent. Ses séjours y
furent plus rares : après la mort de sa femme, survfnue
en 1627, il parut l'abandonner complètement. Nous savons
en eiïel que, en 1629, Vaudémont fit transporter à l'hôtel
de Salm, sa résidence de Nancy, toutes les tapisseries,
« tant bonnes que mauvaises », qui jusqu'alors avaient orné
le château (2). Cependant le reste du mobilier y était de-
meuré ; en 1632 seulement le déménagement fut achevé (3).
A l'automne de cette môme année, le glas funèbre, sonné à
tous les clochers du comté, annonçait aux habitants la mort
du comte de Vaudémont. En vertu d'une disposition du
défunt, le comté de Chaligny, avec la seigneurie de Thélod,
était attribué à son fils puîné, Nicolas-François (4). C'est
désormais à ce prince que devait appartenir, avec le titre
de comte de Chaligny, la réalité du pouvoir dans le comté.
La mort du comte de Vaudémont fut triste ; il put, en
(1) B, 3997.
(2) Archives de M.-et-M., B,3993.
(3) C'est alors qu'on fit transporter îi Nancy toute la vaisselle « de
faïence et autre » (B , 3*Mi).
(4) Dom Calmet, 2« édition, VI, col. 66. — Vaudémont avait partagé h
ses enfants leurs biens maternels, et, « comme Nicolas- François y parais-
Roit lésé, le duc son père lui donna pour supplément le comté de Cha-
ligny et la terre de Thélod ».
- 227 -
ses derniers jours, entrevoir l'ère douloureuse que la Lor-
raine devait traverser. La peste y avait fait son apparition ;
déjà en 1630, elle sévissait à Pont-Saint-Vincent. Le 2 août
lut baptisée une petite fille née aux «loges pestiférées (1) »,
sorte de lazaret où sa mère avait été transportée. En ce
même été, le curé de Chaligny baptisait, dans son église,
le fils de Tun des plus importants parmi les habitants de
Pont Saint-Vincent, Dominique Huot, qui était tabellion et
fermier des droits seigneuriaux dans le comté ; sa famille,
ou tout au moins sa femme, s'était réfugiée à Chaligny
pour éviter la contagion (2). A cette époque la peste faisait
de nombreuses victimes au Pont. L'épidémie y fut si meur
trière que le curé cessa de transcrire sur son registre les
décès trop nombreux (3).
Elle y persista pendant les années suivantes et durait
encore en 1633 (4^ et en 1634 (5). Il ne faut pas s'étonner de
ce que la maladie n'ait pas tardé à gagner les villages voi-
sins. En 1631 et 1632, elle désola Chaligny, où nombre de
(1) Archives de Pont-Sainl-Vincent, registre dos baptômos.
(2) Archives de Pont Saint-Vincent, registre des baptôines.
(3) Note de M. l'abbé Boulanger.
(4) Jean Mercier, admodiateur du « ban m de Pont- Saint-Vincent, en
1633, invoque la contagion comme un motif à l'appui d'une demande en
réduction de son fermage. Archives de M.et-M., B, 3947.
(i5) Le 1" avril 1634, un habitant de Nancy, M. Dubourcq, écrivait A
M. de Fisson, demeurant ft Pont-Saint-Vincent, où il était capitaine et
gruyer du comté, pour le remercier de l'envoi d'une belle carpe de
Moselle (on était au 1" avril), et lui dire qu'il remettrait à M. Arnou'^
président à la Cour, celle cfue Flsson lui avait envoyée h l'intention
ce magistrat. Il ajoute : a Vous scaurez pour nouvelle que S. A. ei
Madame la Duchesse sont sortis de Nancy ; et ne sçait-on où ils sont
allés ». — C'est qu'en eilet le 1" avril 1634, au matin, avait eu lieu
l'évasion du duc Nicolas-François et de sa femme la duchesse Claude.
Le porteur de la lettre, ajoute Dubourcq, a obtenu de S. A. (xNicolas-
François) l'exemption du droit de bourgeoisie à Pont-Saint-Vincent,
« avec obligation de servir la ville durant la peste ». C'est donc (juc la
peste sévissait encore à Pont-Saint-Vincent le 1" avril 16!J4. (Archives
de M.-et-M., B, 3947 bis ) Sur Arnoult, nommé dans celte lettre, qui
est l'intendant de la maison de Nicolas-François, voir l'artich^ de M. F.
des Robert, dans les .Mémoires de la S. A. L., 3' série, XIII (188;i),
p. 82 et s. Dubourcq ou du Bourg, son gendre, était intendant de la
i^uchesse Claude ilbid.^ p. 85).
-228 -
familles furent plongées dans le deuil et la misère (1). Vers
la môme époque, elle frappa Maron et Villers-lès-Nancy (2).
Un peu plus tard, Vézelise et toute la région de Vaudémont
en subissaient les cruelles atteintes. C'était un sombre pré
lude à des maux plus graves encore.
S'il faut en croire les témoignages contemporains, les
débuts du gouvernement de Charles IV n'avaient donné à
son père qu'une satisfaction très médiocre. A entendre
Beauvau, le chagrin de ne pouvoir porter ce ^ils à suivre
des conseils modérés aurait contribué à hâter sa fin (3).
C'est qu'en effet Charles IV semble avoir pris à tache de
précipiter l'explosion du conflit qui, il faut le reconnaître,
ne pouvait guère manquer d'éclater entre la Lorraine et la
France : on doit convenir qu'il y réussit parfaitement. Au
printemps môme de cette année 1632, quelques mois avant
la mort de Vaudémont, les desseins de Richelieu sur la
Lorraine s'étaient manifestés par un fait bien propre à dis-
siper toutes les illusions. C'est alors que les troupes fran-
çaises, conduites par le roi en personne, franchirent les
frontières de la Lorraine; elles s'établirent à Liverdun et
menacèrent Nancy. Le vieux duc vivait encore, quand des
détachements de l'armée d'invasion parvinrent jusqu'au
comté de Chaligny. Nous savons qu'à cette époque, des
dégâts furent commis par les soldats sur les moissons, au
moins à Neuves-Maisons, dégâts assez graves pour qu'ils
aient fourni au fermier du prieuré de Neuves-Maisons un
(1) Beaucoup d'habitants de Chaligny n'étaient plus alors en état de
payer les redevances et les amendes dues au fisc seigneurial (B, 3996
et 3998).
(2) Pour Maron, voir les docunoients cités à la note précédente. Pour
Villcrs, voir Archives de M.-el-M., H, 4G0. Pour Vézelise, voir Lepage,
Communes de la Meurthe. - L'abbaye de Clairlicu demeura longtemps
indemne. Le 5 novembre 1632, un jeune garçon de seize ans, d'ailleurs
inconnu, tomba subitement malade » la porte du couvent et fut em-
porté en quelques heures par la peste. Les religieux le soignèrent en
dehors dos bAtiments claustraux, pour n'y pas introduire la contagion
qui, jusqu'à ce momonl, les avait épargnés. (H, 48i.)
(3) Beauvau, Mémoires (édit. de Cologne, 1689), p. 52.
— 229 —
motif pour résilier son bail (1). Le traité de Liverdun ayaix
donné satisfaction à Louis XllI, les troupes françaises ne
tardèrent pas à se retirer. Mais ce fut pour revenir Tannée
suivante dans ce pays dé Lorraine qu'elles devaient désor-
mais occuper pendant la plus grande partie du xvii® siècle.
Un document atteste que des troupes passèrent à Pont-
Saint-Vincent au moment du blocus de Nancy, qui eut lieu
en 1633. Ces troupes, dont la visite fut considérée comme
un fléau, étaient très vraisemblablement des troupes fran-
çaises, car nous possédons une liste des habitants de Cha-
ligny qui furent ruinés lors de la course qu'y firent les
Français en cette même année, « pour avoir Tinfanterie
passée par Ghalligny et emporté tant peu de meubles qu'ils
avoient (2) ». Le comté avait pris ainsi un avant goût du
triste sort qu'il devait subir pendant dix ans.
On sait les événements qui se succédèrent alors : l'occu-
pation de Nancy, l'abdication et le départ de Charles IV,
l'avènement de Nicolas-François à la couronne ducale, son
mariage avec sa cousine, leur fuite de Nancy le l*^*" avril
1634 (3). A ce moment l'administration française établie à
Nancy s'attribua le gouvernement et la jouissance du comté
de Ghaligny (4), touten conservant les agents qui en étaient
chargés. Les premiers mois du nouveau régime paraissent
n'avoir été marqués par aucun trouble matériel. C'est seule-
ment en 1635 que les paisibles campagnes du comté de Cha-
ligny devinrent le théîUred'une guerre aussi funeste par son
interminable durée que par les excès dont elle fut l'occasion.
(1) H, 1926.
(2) Voir celte liste certifiée par l'échevin, le chevaucheur et un fores-
tier, B, 3998.
(3) Sur la nouvelle do cette fuite, envoyée â Pont-Saint- Vincent par
une lettre à un habitant de Nancy, voir ci-dessus, p. 227, note .">.
(4; En février-mars ir)34, le maréchal de la Force avait réduit le Vau-
démont k l'obéissance du Roi (Pfistor, Les Métnoirea du comte dr ffras-
sac; Mémoires de la S. À.L., :V série, XXVI ( 1898), p. 361).) Il est ccr-
tiiin que le commandant français, maître de Nancy cl de Vézelisc, é'.ait
aussi maître du comté de Chaligny.
- 230 —
Vers l'automne de cette année 1635, le duc Charles IV,
établi dans les Vosges à la tête de son armée (1), menaçait
les troupes françaises qui occupaient la Lorraine. Comme
la garnison française d'Epinal était plus qu'aucune autre
exposée aux attaques de l'ennemi, l'un des généraux fran-
çais, le duc d'Angouléme (2), qui commandait avec le ma-
réchal de la Force, crut nécessaire de lui faire parvenir des
approvisionnements (3). Le convoi, composé de quinze
charriots, fut formé à Nancy à la fin d'août ou au commen-
cement de septembre : Angoulême décida de le faire con
duire par une escorte de 200 cavaliers, sans compter les
dragons, jusques à Pont-Saint-Vincent, dont le château
était alors au pouvoir des Français. Là, Gassion, qui bat-
tait le pays, avait ordre de venir le prendre avec son régi-
ment de cavalerie, deux compagnies de dragons, et SOO
mousquetaires à pied, pour le diriger immédiatement sur
Epinal, sans doute par Bayon et Charmes. L'entreprise
n'était pas sans dangers, car Charles IV avait jeté bien loin
en avant de son armée de forts partis, composés principa-
(1) Son quartier général au commencement do septembre était à
Rarabcrvillers, où le duc avait établi un camp fortifié. l\ s'efforçait
alors d'armer nobles cl soldats dans toute la Lorraine. Voir la lettre
du maréchal de la Force, du 6 septembre 1635, en partie analysée ci-
dessous, note 3.
(2) Charles de Valois, comte d'Auvergne, bâtard de Charles IX et de
Marie Touchcl.
(3) J'emprunte le récit <iui suit à la Gazette extraordinaire du
14 septembre UîS'i, que je trouve dans le recueil des Extraits des Ga-
zettes, de Schmit, ms. do la Bibliothèque de Nancy, 809-812 ; cf. F. des
Robert, Campagnes de Charles IV, I, p. 149.— Aux Archives du Minis-
tère des AITaires étrangères (Lorraine, Correspondance, XXVI, pièce 38,
^ol. 70-80), se trouve une lettre du maréchal de la Force au cardinal de
Richelieu, datée du camp de Lunéville, 6 septembre i(>3î). Il n'a pas été
possible, dit celte lettre, d'attaquer encore le duc Charles, le corps du
vicomte d'Arpajon n'ayant pas encore rejoint. Sur la nouvelle que Ley-
mont avait passé vers Saint-Vincent isic) et vers? Saint Mihiel avec 2000
chevaux pour y rallier des troupes du Luxembourg, il a été décidé de
le fjire attaquer par le vicomte d'Arpajon, qui se trouvait û sa portée.
Le duc d'Angouléme a pris part à l'opération, dont le résultat n'était
pas connu au quartier général de Lunéville le 6 septembre.
— 231 —
lement de cavalerie. L'un de ces partis venait justement de
s'emparer du chAteau d*Haroué, de brûler le village voisin
de Cranlenoy (village et chûteau appartenant à Christophe
de Bassompierre, qui servait le roi), et de rançonner tous
les villages de la seigneurie (1) ; la suite des événements
démontre qu'à cette époque, le comté de Vaudémont
retomba sous la puissance du duc, son souverain légitime.
Or, quand Gassion arriva à Pont-Saint-Vincent, il se heurta
à un corps de cavalerie lorraine, comptant 2000 chevaux,
que commandait François de Savigny, sieur de Leymont,
sergent de bataille de Charles IV. Les Français étaient fort
inférieurs en nombre ; battus par les Lorrains, ils n'eu-
rent rien de mieux à faire que de se retirer dans le château
de Pont-Saint-Vincent. Les vainqueurs voulurent couron"
ner leur succès en emportant ce chAteau ; mais ils lui don-
nèrent inutilement deux assauts, qui leur coûtèrent 60 à
80 soldats. Reconnaissant alors qu'ils ne se rendraient pas
maîtres du château sans canon, ils se décidèrent à en aller
chercher à leur camp, qui était à deux lieues de là (2).
Comme ils s'imaginaient que Gassion, renonçant à accom-
plir sa mission, songeait se.ulement à ramener son convoi
à Nancy, ils firent surtout surveiller la route qui conduit
de Pont-Saint-Vincent à la capitale lorraine. Ils avaient
compté sans leur hôte ; Gassion, usant de ruse, glissa entre
leurs mains, et, (( contrefaisant le Lorrain », réussit à gagner
Epinal par la haute vallée de la Moselle, non sans avoir
taillé en pièces quelques-unes des compagnies lorraines,
destinées à faire le siège du château du Pont, qu'il eut
l'heur de rencontrer sur son chemin.
Il est probable qu'abandonnée à elle-même, la petite
garnison française de Pont-Saint-Vincent ne put défendre
le château, qui dut alors tomber au pouvoir des troupes
(1) Bassompierre, Journal de ma vie, ÏV, p. 191.
(2j Peul-^tre vers Haroué.
— 232 —
lorraines commandées par Leymont (1). Cette hypothèse
semble d'autant plus vraisemblable cfue, quelques jours
après rengagement du Pont, au cours de ce même mois de
septembre, sans s'occuper d'avantage de la vallée de la Mo-
selle, Angoulème et la Force crurent devoir réunir toutes
leurs troupes sur la Meurthe, pour se porter du côté du
camp lorrain établi à Rambervillers (2).
Toutefois, si les étendards lorrains flottèrent, une fois
encore, sur les tours de Pont Saint- Vincent, ce ne fut pas
pour longtemps. Sans doute pendant le mois d'octobre,
toutes les forces françaises furent retenues du côté de la
Seille, pour faire face à l'armée impériale de Gallas
qu'avait rejointe l'armée commandée par Charles IV. Mais
quand, à la fin d'octobre, ces deux armées se séparèrent
sans avoir rien tenté, on eut avis au camp français que
Charles IV comptait se retirer vers la Franche Comté en
longeant les Vosges. Le maréchal de la Force se porta alors
sur la Moselle afin d'essayer de couper la route au duc,
et, en tout cas, de nettoyer la région de la Moselle et du
Madon: on sait que l'ennemi y occupait nombre de petites
places, comme Charmes, Haroué, Vézelise, Vaudémont (3)
et peut-être aussi Pont-Saint-Vincent.
La Force était encore à son quartier général de Cham-
pigneulles, près Nancy, le 21 octobre 1635. Ce n'est que
quelques jours plus tard, à la fin d'octobre ou au com-
mencement de novembre, qu'il accentua son mouvement.
Il se dirigea sur Saint-Nicolas, pour passer de là vers la
(1) L'interprétation (]uc nous proposons ici des renseignements que
nous possédons sur cette campagne semble plus plausible que celle
de dom Calmct (2« édil. VI, col. 193) qui, se fondant sur le Journal
de Bassompierre et les Mémoires de Beauveau, croit que le duc d'An-
goulème se retira à Pont-Saint- Vincent. Je ne vois pas comment dom
C'ilmet peut déduire une telle conclusion du texte de Bassompierre |1V,
p. 192), ou de celui de Beauveau (p. 58).
(2) La Force, Mémoires, III, p. 150.
(3) La Force, Mémoires, III, 163. Pour Haroué, voir ci-dessous,
p. 231.
— 233 —
vallée de la Moselle : c'est alors (o novembre) que se pro-
duisit l'un des plus odieux épisodes de ces guerres, le
brûlement de Saint-Nicolas, dont il faut reconnaître que
Tarmée de la Force n'est pas seule responsable ; les Sué-
dois de Weiraar s'y trouvaient aussi et y prirent leur large
part. Poursuivant sa route, la Force se dirigea vers Méré-
ville, où il passa la Moselle ; c'est peut être lorsqu'il exé-
cuta cette marche qu'un parti de Suédois, détaché de son
armée, assiégea inutilement le château de Ludres (1).
Arrivée sur la rive gauche de la rivière, l'armée française
se porta directement vers le Madon, qu'elle franchit à Pul-
ligny, village visité par les reitres lors de la campagne de
1587; puis La Force établit le gros de sa troupe entre Véze-
lise et Vaudémont, occupées Tune et l'autre par des garni-
sous lorraines ou impériales, et à l'aide de corps détachés
attaqua vivement ces deux forteresses. Vézelise capitula le
30 novembre; Vaudémont, qui, perché sur sdn rocher,
eût pu se défendre plus longtemps, se rendit le 3 décem-
bre (2). Le jour même où capitulait Vézelise, les Lorrains
avaient abandonné le chûteau de Haroué, où le lendemain
le marquis de Sourdis envoya un détachement de troupes
royales (3). Il n'y a pas à douter que les Français, s'ils
avaient perdu, quelques semaines plus tôt, le château de
Pont Saint-Vincent, n'en soient alors rentrés en possession.
A la fin de Tannée 1635, le. comté de Chaligny, tout entier,
comme le comté de Vaudémont, se trouvait de nouveau à la
discrétion des armées de Louis XIII.
(1) Comte dr Ludre, Une famille de la chevalerie lorraine^ I, p. 370
et s. 11 est d'ailleurs possible que ratta(ïue de Ludres ait été le fait de
Suédois détiichés, non de l'armée de la Force, mais de celle de Weimar.
(2) La Force, Mémoires, III, p. la'i ; F. des Robert, Campagnes de
Charles iK, I, p. 2H.
(3) Bassompierre, Journal, IV, p. 195.
VII
Ces événements ne s'étaient pas produits sans entraîner
de lamentables conséquences pour la région successive-
ment occupée par les deux armées ennemies. Vers le mois
de septembre les troupes impériales, qui combattaient pour
le duc de Lorraine (c'était, en cette circonstance, des
corps allemands et hongrois), pillèrent non seulement le
bourg de Pont-Saint- Vincent, mais encore les trois villages
du comté, Chaligny, Chavigny et Neuves-Maisons, aussi
bien que les villages voisins de Maron et de Messein. Les
doléances du fermier qui occupait alors le prieuré de
Neuves-Maisons, appartenant au noviciat des Jésuites de
Nancy, permettent d'apprécier l'importance des dégâts
commis par le soldat. Les Hongrois firent main basse sur
toutes les provisions, eu grains et en vins; ils enlevèrent,
non seulement les chevaux, mais tout le reste du bétail, y
compris les moutons et les porcs ; enfin, le fermier déclare
qu'ils lui ont pris literies, linge et vêtements, a sans rien
avoir laissé à nous tous que ce qu'avions au dos (l)».
Lorsque les Français revinrent, ce fut un régiment alle-
mand au service du roi qui occupa Neuves-Maisons ; le
prieuré abrita pendant cinq jours le « train » du sieur
de Batilïy, qui commandait ce régiment, celui du major,
celui du quartier-maître et celui du grand prévùt avec
ses gardes. Cela faisait plus de quatre-vingts chevaux ;
il.vadesoi que ces hôtes, aussi nombreux qu'incommodes,
achevèrent la ruine du fermier en absorbant ses dernières
ressources. Et, pour que ri^n n'échappât aux gens de guerre,
le régiment français de Restignac « vint loger aux Neuves-
Maisons, duquel se losgeairent deux compagnies au prieuré
avec le sieur de Saint-Julien, maislre de camp, et huit
capitaines, qui ont achevé de tout ruyner ». Généralisez ce
tableau, qui ne se rapporte qu'au prieuré, et vous vous
(i) Archives de M.-el-M., H, i926.
— 235 —
rendrez compte de l'état de désolation où les mouvements
de troupes de 1633 laissèrent le comté de Chaligny. On
peut être assuré que la majeure partie du bétail, gros et
et menu, avait disparu.
L'année 1636 n'apporta aucun soulagement aux popula-
tions si durement éprouvées. Par ordre du gouvernement
royal, les Français procédèrent à la démolition de tout ce
qui restait de châteaux en Lorraine (1). Si celui d'Acrai-
gnes fut épargné (( en considération de M. d'Haraucourt,
qui n'a rien fait contre le service du Roi », si l'intervention
de Bassompierre réussit à sauver le château d'Haroué, la
plupart des maisons fortes de Lorraine furent impitoya-
blement rasées. Alors disparurent, dans la région du Madon,
le château de Vézelise, antique demeure des Vaudémont,
et le château d'Autrey, ce favori du duc François ; alors fut
jeté bas le château de Pont-Saint-Vincent, dont, trente ans
plus tard, les débris servirent à construire la chartreuse de
Bosserville (2); les démolisseurs ne laissèrent subsister
que les communs. Quant au a grand jardin», voisin du
château, que François de Lorraine avait entretenu avec
tant de soin, il fallut en 1637 en rétablir sommairement
l'enclos, (( afind'empescher les passants d'en faire un grand
chemin et de couper les arbres fruitiers. »
(1) C'était la volonté que Richelieu exprimait dès le 31 mai 1635. l\
écrivait alors au prince de Condé : a M. du Rallier, avec ses trouppes,
nettoyera le plus promptement qu'il se pourra la Lorraine.., faisant
raser les petites places qui ne devront pas être gardées ». (Avenel, Let-
tres et papiers d'Etat du Cardinal de Richelieu, \\p.c2). Le 3 juillet
-163'), il se préoccupait de « faire hâter le razement » (Ibid., p. 88). C'est
en 1636 que sa volonté fut exécutée. Voir la liste des châteaux détruits
dans un document publié par dom Calmet (2" édit.), VI, p. 210.
(2) La chartreuse de Bosserville a été bâtie en partie avec les ruines
du château de Pont-Saint-Vincent. Les religieux firent transporter les
pierres de taille et huit colonnes avec leurs corniches, trophées, etc.,
qui ornaient la façade, plus 3,562 pieds cubes de pierres préparées
pour la construction du pont. (Il s'agit du pont que François de Lor-
raine avait voulu construire.) J'emprunte ces renseignements au mé-
moire déjà cité de M. L. Germain, Pont-Saint Vincent, p. 342.
— 2:]G —
Au printemps de 1636, les Suédois revinrent dans le
p«ays. Dans son Journal de ma vie, Bassompierre raconte
qu'à ce moment le duc de Weimar obtint congé du roi « de
rafraischir son armée au comté de Vaudémont et dans le
marquisat de Harouel, qui luy fut donné au pillage: ce
qu'il fit sy bien exécuter que toutes les pilleries, cruautés
et inhumanités y furent exercées, et la terre entièrement
destruitte. » (1) Naturellement les Suédois, qui occupaient
le Vaudémont, poussèrent jusque dans le comté de Chaligny.
Nous possédons encore le récit d'une de leurs excursions,
qui eut lieu en avril 1636. Un détachement d'une dizaine de
cavaliers, ayant saisi dans les vignes de Maron le meunier
du village, le conduisit à Neuves-Maisons, où .les soldats,
désireux de lui extorquer de l'argent, l'accablèrent de me-
naces de mort. Ils usèrent de procédés plus violents à l'égard
d'un cultivateur Agé de Neuves Maisons, nommé Badel,
qu'ils ne laissèrentqu'après l'avoir bien battu. Le lendemain,
du côté de Chaligny, ils rencontrèrent Démange Grandclerc,
le chevaucheur des bois du comté, qui venait défaire la
recette des bois vendus l'automne précédent. Les Suédois,
fort heureux de cette aubaine, commencèrent par lui enle-
ver 300 francs qu'il portait, non sans lui avoir meurtri le
corps à coups d'armes et de bâtons. Ils le reconduisirent
en cet état à Chaligny, où il avait sa demeure. Là ils le pen-
dirent, les mains derrière le dos, aux « courbes » d'une
cheminée, et, à l'aide d'une poulie, se donnèrent le diver-
tissement de le monter et de le descendre, en lui prodiguant
des coups de bâtons et en criant : « Argent, argent, pistoles,
pistoles ! » Le malheureux Grandclerc ne fit cesser ce sup-
plice qu'en découvrant à ses bourreaux une cachette qui
(1) IV, p. 199. Bassompiorre place ces événcmonts en mai : les Sué-
dois durent arriver dans la réj?ion dès le mois d'avril. Le duc de Weimar
Olait le I" mai à Vézelise. Le 5 mai, il avait pris ses quarUers à Saint-
Nicolas. (Extraits de la Gazette^ réunis par Schmit, ms. de la Biblio-
thèque publique de Nancy, 809-812.)
_ 237 -
contenait encore quelque somme de monnaie. Us remme-
nèrent alors dans le bois afin de se faire indiquer par lui
les quelques chevaux du village qui avaient échappé aux
précédentes pilleries. Ce n'est qu'à grand peine que, dans
Taprès-midi, Grandclerc, tout meurtri, put trouver un
refuge à Maron (1). J'ai cité ce fait dont un hasard nous a
conservé les détails ; lout porte à croire que des faits ana-
logues devaient se produire chaque jour dans les villages
qui se trouvaient à portée des cocps de troupes, Suédois,
Français, Croates ou Hongrois. Encore les populations
pouvaient-elles s'estimer heureuses lorsque les envahis-
seurs se bornaient à battre le paysan et à piller ses biens (2).
En 1637, la guerre continua en Lorraine, non pas qu'on
y fît de grandes opérations ; mais les soldats du duc y
occupaient un certain nombre de petites places comme
Moyen, Darney, Charmes, d'où ils s'efforçaient de gêner
les généraux fiançais par tous les moyens qui étaient en
leur pouvoir. Aussi les deux partis se disputaient ces pla-
ces, dont plusieurs furent prises et reprises, au grand
préjudice du plat pays qui ne cessait d'être victime de vio-
lences et de déprédations Au comté de Chaligny, les habi-
tants vivaient dans une crainte perpétuelle des Suédois,
dont les incursions n'avaient pas cessé ; joignez y qu'à l'au-
tomne de 1637, ils furent de nouveau éprouvés par le pas-
sage d'un régiment au service français, le régiment de
Montausier, qui s'arrêta pendant deux jours à Neuves-Mai-
sons. Enfin, comme si ce n'était pas assez des injures des
hommes, « une grande foudre de grêles m a éclaté, le 24 mai,
sur Chavigny, et y a détruit ce qui subsistait de récoltes (3).
(1) B, 3999 (Compte de gruerie de 1639).
(2) Voyez, dans le Journal de Bassompierre {IV, p 200), le récit des for-
faits accomplis à Removiile (Vosges, arrond. de Neufchâteau, canton
de Châtenois), par les Suédois de Weimar, le 28 mai 1636. Pour cou-
ronner d'horribles scènes de pillage, de massacres et de viols, les
enfants furent brûlés dans l'incendie du chAteau.
(3) H, 1926. Ce jour là, la grêle a visité Chavigny et Messein.
- 238 -
II est facile de deviner la désolation où se trouvait plongé
tout le pays ; là-dessus d'ailleurs les témoignages ne nous
font pas défaut.
Les fermiers du pressoir seigneurial de Chaligny (1) dé-
clarent qu'ils n'ont pu jouir de leur droit « par la violence
des trouppes ennemies et Suédois », qui chaque jour pillaient
les maisons et conliaignaient les pauvres habitants à se
réfugier dans les bois. Le vin qu'ils avaient en provision a
été ((gasté » par les pillards, qui, après qu'ils avaient bu à
leur fantaisie, « prenaient plaisir de le lâcher ou de l'em-
mener où bon leur semblait (2) ». D'autres habitants du
môme village. César Mansay, François Jacquot, Nicolas
Jean-Maire, font écho à ces plaintes. Les courses incessan-
tes des soldats, disent ils, ont rendu toute culture impos-
sible; d'ailleurs les cultivateurs ont perdu tous leurs che-
vaux, enlevés lors du passage de troupes. Sans semer
d'avoine, ils avaientau moins tenté d'ensemencer quelques-
unes des terres à blé ; mais le blé a été rongé par les rats
et les souris; on n'en a pas retiré la semence.
Le fermier des Jésuites à Neuves-Maisons, Dominique
Huot, fait sa partie dans ce concert de lamentations. En
1637, il n'a pu habiter le prieuré ; il lui a fallu se tenir
prudemment à Nancy dans une maison qu'il a louée ;
« sinon, luy et sa famille auraient prins le chemin de
l'autre monde ». Presque tous les foins sont demeurés aux
champs, sans qu'on ait pu les faire rentrer. « La mémoire
est toute récente du régiment de Montausier qui, en pas-
sant cet automne dernier (1637), vers la fin du mois d'octo-
bre, aurait logé et séjourné deux jours » ; les soldats
brûlèrent tout le reste des meubles du prieuré, et aussi
les chars, charrettes, charrues et tous autres ustensiles de
labourage déjà renouvelés deux fois ; en outre, ils consom-
mèrent trois virlis (3) de vin. « Chacun sait, ajoute Huot,
(1) Matthias Grandidior ot Claude Husson.
(2) B,3999.
(3) La capacitif, du virli rst de près de 320 litres.
- 239 -
dont je résume les plaintes, que les dites courses ou passa*
ges des gens de guerre, prises de chevaux et autre bétail,
ont lait que les villages (de Messein à Maron), n'ont semé
ni labouré les terres de leurs bans, pas seulement du demi-
quart (1). » Le peu de grain qu'ils ont pu récolter, les
laboureurs de Chaligny ont dû l'emporter sur leurs hottes,
« n'y ayant point de chevaux » (2).
Le fermier du moulin de Pont-Saint-Vincent (il se nom-
mait Didier Mathieu), déclare de son côté qu'en 1637, les
habitants n'ont guère apporté de grain au moulin, « empê-
chés qu'ils étaient par les soldats Suédois, ennemis ou
autres, qui pillaient leurs grains et les contraignaient à se
réfugier dans les bois )). Ceux qui restaient au village,
n'ayant point de blé, étaient réduits à se nourrir de glands.
Le droit de terrage dont nombre d'habitants étaient rede-
vables n'a rien produit, parce que, en cette année, « n'y a
eu aucun laboureur au Pont )). Le paquis de Cazotte, sur la
rive de la Moselle, n'a pu être loué, « faute de bétail ». Le
droit perçu d'habitude sur les fours des boulangers a été
réduit à néant, w pour le dit lieu du Pont avoir été aban-
donné à cause des forces et violences de guerre » ; il en est
de même du droit sur les halles et marchés (3). Ce n'était
pas seulement de Pont-Saint-Vincent que la population
s'enfuyait dans les forêts ; nombre de laboureurs de Chali-
gny s'y étaient retirés (4) pour y vivre de glands ou d'au-
tres fruits sauvages ; le village fut désert pendant une
grande partie de l'année (5). Les fugitifs pouvaient d'ail-
(1) A Chaligny, en 1637, on n'a point perçu le droit habituel sur les
charrues, a pour avoir esté tous les chevaux robbés » (B, 3947).
(2) H, 1926.
(3) B, 3949, passim.
(4) B, 3949.
(5) B, 3949. Une ressource d'alimentation dans ces années terribles
fut fournie par le poisson de la Moselle. Dans les moments de famine,
on y pocha sans se préoccuper des droits du fermier de la poche. (Voir
une demande en réduction adressée en 1639 par le fermier de la pèche
à l'intendant français de Villarccaux, B, 39o0.)
- â40 -
leurs se nourrir de glands sans crainte de faire tort aux
animaux qui. d'ordinaire, étaient envoyés dans les bois pour
y trouver leur nourriture. En effet, en 1637, le domaine
seigneurial ne tira aucun profit de la glandée des bois de
Chaligny, parce que les habitants n'avaient plus de porcs à
y envoyer. Au surplus, une note ajoutée à l'article des recet-
tes du compte forestier pour cette année complète ce
tableau. Le comptable fait remarquer qu'il est un grand
nombre de créances qu'il n'a pu recouvrer, « parce que la
plupart de ceux qui devaient des deniers pour le compte de
gruerie sont morts (1) ». C'est pour la même raison que la
vigne du comte, à Chaligny, est demeurée presque toute
entière en friche ; la plupart des vignerons auxquels elle
était confiée sont morts (2). Il en était de même au Pont ;
« la plupart de tous les héritages sont demeurés friches et
les propriétaires sont morts (3) ».
Quelques traits achèveront cette description. Des trois
moulins du comté, deux ont été brûlés ; le troisième est
fort endommagé; la tuilerie de Chavigny est presque entiè-
rement ruinée (4). En 1637, on compte dans les trois villa-
ges de Chaligny, Chavigny et Neuves-Maisons 29 feux en
état de payer au seigneur certaines contributions ; en 1611
il y en avait 172 (5). Les droits sur le tabellionnage de
Pont-Saint-Vincent n'ont rien produit en cette même
année 1637, non plus que les amendes et autres droits de
justice (6), « pour les forces et violences des guerres », écrit
mélancoliquement le comptable ; on ne passe plus d'actes,
de même qu'on ne plaide plus et qu'on ne poursuit plus les
délinquants. La vie sociale semble arrêtée ; c'est l'état sau-
(1) B, 3940.
(2) En 1637, on n'a tiré de celte vi^'ne que 50 francs, pour '( du fruit
de raisin » qui a été vendu. B, 3949.
(3) B, 3949.
(4) B, 3949.
{;i) B, 3949.
(6) B, 3949.
- 241 -
vage qui renaît, où chaque individu se protège lui-même,
comme il peut, et vil au détriment de son prochain.
Plus lamentable encore, s'il est possible, fut Tannée 1638
dans le comté de Ghaligny. Le mal s'aggravait chaque jour
par reflet des courses auxquelles les deux partis ne ces-
saient de se livrer. Ainsi les « Crawates », c'est à-dire les
soldats ou les alliés du duc de Lorraine qui étaient postés
à Haroué (1), à Moyen ou à Darney, faisaient de fréquentes
pointes jusques à Pont-Saint-Vincent. Le (( barquier », loca-
taire de la pêche, chargé aussi d assurer le passage de la Mo-
selle, s'en plaignait amèrement : on lui enlevait tout son
poisson ; encore était-il trop heureux quand ce n'était pas
lui même qu'on enlevait pour lui faire subir quelques jours
de captivité (2). Naturellement les Croates ne se bornaient
pas à visiter le barquier ; s'ils trouvaient dans la région
quelque objet bon à prendre, ils ne manquaient pas de s'en
emparer. L'administration française s'émut de ces razzias;
pour y mettre un terme, le grand-prévôt de Toul vint à
Pont - Saint - Vincent avec un détachement d'infanterie
suisse, qui se proposait de bien recevoir les Croates. Mais
il paraît que, pour les pauvres habitants, le remède fut pire
que le mal. Comme par le passé, les bois étaient le seul
refuge où ils pouvaient se croire à peu près préservés con-
tre les cruautés qu'ils avaient vu commettre «en la per-
sonne de plusieurs particuliers (3) ».
Ce fut bien pis quand, au mois d'août 1638, un corps
(\) On sait que les Lorrains, que commandait le colonel Glicquot,
envoyé par Charles IV, occupèrent Haroué le 5 septembre 1638, avec
trois régiments d'infanterie, trois de cavalerie et deux pièces de canon.
(Bassom pierre. Journal de ma vie, IV, p. 282.) On devine les courses
qu'ils firent dans les environs. Ils furent d'ailleurs surpris à Haroué
par Bellefonds, qui les. attaqua de nuit le 30 octobre (p. 287). Les Lor-
rains n'en demeurèrent pas moins maîtres du chAteau de Haroué au
moins pendant la première partie de l'année 1639 (p. 294, 299).
(2) B, 3950.
(3) B, 3950 ; supplique à l'intendant français de Villarceaux, Juillet
1638.
16
- 242 -
d'armée français, commandé par le maréchal de camp Bel-
lefonds (le père du maréchal de France), vint s'établir à
Saint-Nicolas, d'où il prétendait secourir la place de Luné-
ville, attaquée par les Lorrains. Bellefonds y demeura
longtemps, plus de trois mois (1). Pour s'y procurer des
subsistances, les troupes placées sous son commandement
ravagèrent régulièrement toutes les contrées avoisinantes,
jusquesà une grande dislance. « Ses soldats, écrit le fer-
mier du moulin de Chavigny, se sont adonnés à fourrager
et à piller le comté de Ghaligny pendant diverses fois qu'ils
y ont retourné avec chariots et charrettes, jusqu'à ce qu'ils
n'ont plus rien trouvé, môme enlevé et pris tous les grains. »
Les habitants, chassés de leurs maisons, sont réduits, une
fois de plus, à se retirer dans les bois. Plusieurs ont été
tués; d'autres, si fort maltraités et a oultragés )) que la
mort s'en est suivie (2).
Tout n'était pas fini quand on fut quitte des soldats de
Bellefonds. Les Lorrains s'étaient emparés de Lunéville ;
dans les derniers mois de l'année 1638, un corps français,
commandé par le duc de Longueville, fut chargé de leur
reprendre cette place. Pour s'y rendre, il traversa le comté
de Ghaligny ; bien plus, il séjourna pendant quatre à
cinq jours, vers la fin d'octobre, à Pont-Saint-Vincent,
et dans les villages voisins. Alors ce fut le comble de la
misère. Tout ce qu'on avait pu sauver, à grand'peine, fut
pris par les soldats de Longueville (3). A ce moment, d'après
les fermiers du moulin de Pont-Saint Vincent, on peut dire
que la moitié des habitants du Pont sont morts ; ceux qui
survivent se sustentent à l'aide de pain et de fruits qu'ils
achètent quand ils en trouvent (4). Du côté de Chavigny,
les paysans ne se soutiennent plus qu'au moyen de quel-
(1) Treize ou quatorze semaines. B, 3950.
(2) B, 3950.
(3) B, 3950. Requête des fermiers du pressoir de Ghaligny.
(4) B, 3950.
— 243 —
ques pommes sauvages et de hottées de bois qu'ils appor-
tent à Nancy pour les vendre (l). Les habitants de Chali-
gny, Neuves-Maisons et Ghavigny, à la fin de cette année
1638, résument en ces ternies leur situation : « Depuis trois
ans, ils ont été tellement affligés par les gens de guerre,
Suédois (2) et ennemis, qu'il ne leur reste plus aucune corn ■
modité^ pour pouvoir subsister à l'avenir, les trois quarts
des habitants étant morts, le reste étant contraint de se
retirer journellement dans l'épaisseur des bois pour se
sauver des Suédois et autres (3) ». En cette même année
1638, le curtjde Ghaligny, Gaspard Huot, écrite son supé-
rieur, le grand-archidiacre de Toul, que ses malheureux
paroissiens ont abandonné la culture de la terre, et que lui-
même, si on ne lui vient en aide, désespère de pouvoir
demeurer à son poste, où lui et son vicaire sont exposés à
mourir de faim (4).
Cet état de choses ne se modifiera guère, ni en 1639 ni
en 1640. D'une part, Pont Saint-Vincent et le comté sont le
(1) B. 3930. Supplique du fermier du moulin de Challgny, adrcssc^e à
Villarceaux en 1638.
(2) L'expression Suédois comprend évidemment les Français, que
souvent on évite de citer quand on s'adresse i\ l'administration fran-
çaise.
(3) B. 3950. Supplique des habitants et communautés de Ciialigny,
Ghavigny et Neuves-Maisons. Ils obtiennent de Villarceaux la remise
des 2(3 de la taiHe.
(4) Il fait observer que les Jésuites, décimateurs de Chaligny pour
les trois quarts, qui tiraient en moyenne de leur dîme 2,000 francs,
viennent de l'alTermer pour 160 francs (H, 1923 et 1926). L'état des
choses était déplorable à Loroy-dcvant-Bayon, qui faisait partie,
comme on le sait, du comté de Challgny. Là, les soldats, surtout
ceux de la garnison de Moyen, avaient tout dévoré. (C'étaient sans
doute des Croates, authentiques ou apocryphes.) En 1638, Claudin
Durant, mayeur, et sa femme, étaient morts de faim. Il n'était demeuré •
à Lorey que quatre habitants, qui finirent par se réfugier à Bayon (B.
3950). Pour cette même année 1638, le comptable de la recette de Thé-
lod fait remarquer que sa recette est minime, « parce que les habitants
qui y faisaient leurs résidances auparavant sont pour la plupart mors
ou absans, les autres qui y résident encorestans si pauvres qu'ils n'ont
moyen de rien payer ». (B, 3949.)
— 244 —
théâtre des « courses ordinaires » des Croates, sortant
fréquemment, pour se nourrir, des postes fortifiés assez
nombreux qu'ils ont conservés ou repris, par exemple de
Darney, de Moyen, d*Epinal (1) D'autre part les garnisons
françaises, qui, elles aussi, doivent vivre sur le pays,
envoient au loin des fourrageurs. A Chavigny, le paysan
tremble devant les partis tirés de la garnison de Nancy, qu'il
voit trop souvent apparaître pour faire main-basse sur les
vivres dont il peut disposer ; à Pont-Saint-Vincent on
redoute les détachements sortis de Neufchâteau. Partout
on craint ceux qui appartiennent à la garnison française
de Lunéville. En outre, pendant qu'en 1639 les troupes
royales assiègent Moyen (2), des partis détachés de l'armée
de siège, notamment ceux du régiment de Vatronville,
viennent journellement au Pont et dans les villages voi-
sins, (( pillant et excédant » ceux qu'ils rencontrent. Dans
tout le comté, la population traîne une misérable exis-
tence, partagée entre la tristesse du. présent et la crainte
d'un avenir plus redoutable encore (3).
L'ensemble des témoignages que j'ai essayé de résumer
sans les affaiblir, et qui tous se prêtent un mutuel appui,
est tel que l'impression qui s'en dégage n'est nullement
exagérée. Elle est d'ailleurs corroborée par la constatation
de certains faits ; je n'en relève que deux. Le fermage des
domaines etdroits seigneuriaux du comté de Chaligny s'éle-
vait en 1620 à 11.320 francs, plus le produit de la gruerie,
(1) Joignczy, au moins pour 1639, Haroué. Voir ci-dessus, p. 241.
(2) n cs^fait mention dos défauts commis par les troupes françaises
au moment où elles allaient assiéger Moyen (réclamations du fermier
du passage de la Moselle à Pont-Saint-Vincent), et des déprédations qui
furent l'œuvre de partis détachés de l'armée de siège, notamment du
régiment de Vatronville 'réclamations du fermier de la pèche). Archi-
ves deM.-et-M., B, 3ÎK>0.
(3) On peut rapprocher les conclusions de celte élude, qui porte sur
le comté de Chaligny, de celles de l'étude plus générale de Lcpage :
La dépopulation de la Lorraine au XVIl' siècle {Annuaire de la
Meurthe^ 1851.) De part et d'autre, les résultats sont concordants.
— 24;J -
ce qui faisait en tout une vingtaine de mille francs. En
1642, après les guerres et la dévastation des forêts, on en
tirait 2.300 francs. Les registres de la paroisse de Pont-
Saint-Vincent constataient, pour l'année 1618, quarante-
cinq baptêmes ; ils en constatent trois pourl'année 1638 (1).
Visiblement le pays a été saigné à blanc, si complètement
que pour quelque temps les sources de la vie semblent y
avoir été taries.
Deux destructions, qui furent la conséquence de ces
guerres, méritent d'être relevées, parce qu'elles caractéri
sent la conduite de l'administration française établie ù
Nancy et dirigée par les intendants qui s'y succèdent.
La première est celle des vignes seigneuriales de Chali-
gny. On a eu l'occasion de mentionner ci-dessus ces vignes,
connues dans le pays sous le nom de Grandes Vignes, qui
couvraient 24 jours de terre sur la colline qui domine la
Moselle. Exploitées depuis un temps immémorial, elles
étaient avant la guerre en excellent état. Déjà en 1637,
faute de bras, elles n'avaient pu être façonnées : le même
cas se représenta les années suivantes. En le constatant
en 1639, le comptable fait remarquer que nul vigneron ne
s'est présenté pour façonner ces vignes, quoiqu'on consen-
tît à abandonner la vendange entière pour prix de la façon.
Cela ne suffit pas ; il faudrait encore ajouter un salaire en
argent pour avoir chance de trouver des façonniers. A ce
sacrifice, l'intendant françiiis, nullement soucieux de l'ave-
nir, ne veut pas se résoudre (2), si bien que, peu à peu, la
vigne péril, ou qu'il faut se décider à l'arracher. Quelques
années plus tard, le terrain où croissaient les vignes sera
loué comme terre arable, moyennant une faible redevance
(Il Pour 1639, ils n'en conslalcnl aucun ; mais cola lient peut ôtro à
l'absence du curé.
(2) (( L'Intendant n'a voulu qu'elle se fasse en argent, .'i 50 francs le
journal ; elle est demeurée en friche et s'en vu entièrement ruynée,
sy doncq il n'y est promptement préveu et assisté en deniers du do-
maine pour la faire faire » (Contrôle de IG39, B, 3îX)0;.
— 246 —
de quelques réseaux de blé et d'avoine (1). C'est seulement
sous François III et sous Stanislas qu'on songera à recons-
tituer le vignoble
La même indifférence pour l'avenir du domaine se mani-
feste dans la conduite de l'administration française à
l'égard des forêts du comté. Nos documents sont remplis
de mentions attestant les ravages qui furent commis dans
ces forêts, notamment dans celles qui font partie de la
forêt de Haye. Non seulement l'administration française y
fit couper beaucoup de bois pour des travaux d'ordre mili-
taire ; mais encore elle approvisionna largement tous les
fonctionnaires français de bois de chauffage. Au besoin ils
ne se faisaient pas faute de s'en faire délivrer sur réquisi-
tion, comme il arriva au maréchal d'Hocquincourt. En
outre, les officiers et les soldats, en dehors de toute auto-
risation, ne craignaient pas de couper ou de faire cou-
per du bois pour leur consommation; des bourgeois de
Nancy profitaient de l'anarchie pour imiter leur exemple.
Dès lors, toute exploitation régulière était rendue impos-
sible. Des faits nombreux l'attesteraient; en voici quelques
uns (2).
En 1637, un groupe d'habitants de Ghaligny, parmi les-
quels se trouvait Mansuotte, veuve d'un paysan assez aisé
nommé Démange Breton, s'étaient rendus adjudicataires
d'une coupe dans le canton de la Fleur de Lys, sis au-
dessus de Maron. Quand le bois fut coupé, des soldats de
la garnison de Nancy vinrent chaque jour, sans aucun
droit, en chercher leur charge ; à qui voulait les en empê-
(1) Par exemple, en 1(J69, la Grande Vigne, maintenant terre labou-
rable, est allerraée à Simon Ëuriet de Neuves-Maisons, pour 5 paires 1/S,
moitié blé, moitié avoine (onze réseaux) (B, 3964).
(2) Exemple : en 1637, on fournit 6 arpents de bois au président du
conseil souverain Blondeau ; 6 au président de Villarceaux (l'intendant);
3 à M. Freinin ; 3 h M. de Chambly ; 3 à six autres personnages ; 3 au
procureur général du conseil; 3 ii l'avocat général. Joignez-y 12 arpents
au gouverneur ; 5 à M. de Lambertye, etc. (B, 3999).
— 247 —
cher ils répondaient par des menaces de raort (1). Au
commencement de Tannée suivante, la même Mansuotte
s'avisa de faire enlever le bois d'une coupe que son mari
avait jadis achetée dans le canton de Grehinvaulx, tout
voisin de Chaligny. Mais les six chevaux qu'elle y envoya
furent volés par les Suédois, et la coupe fut en partie pil-
lée par la garnison de Nancy (2) En 1639, un autre ache-
teur se voyait frustré de la coupe sur laquelle il avait
compté, par un lieutenant suisse dont le corps tenait gar-
nison à Nancy (3). Aussi les administrateurs du comté ne
cessent de se déclarer impuissants à empêcher la dévasta-
tion des forêts. En 1639, ils constatent que la contrée de
Fraize, qui domine Ghavigny, est absolument ruinée, et
que la contrée de Remnaumont, au-dessus de Chaligny,
est déjà fort détériorée. « Ils la ruineront, ajoutent-ils,
aussi bien qu'ils ont ruiné Fraize, si l'intendanf n'obtient
du roi qu'on y mette ordre (4) ». Vraisemblablement l'in-
tendant ne se souciait pas plus de conserver les forêts de
Nicolas-François de Lorraine qu'il ne s'était soucié de
faire des sacrifices pour assurer l'avenir de ses vignes.
Sans doute les gouverneurs de Nancy rendirent plusieurs
ordonnances pour la préservation des forêts ; mais toutes
semblent être demeurées lettres mortes. Au contraire, les
ravages des forêts se poursuivent au cours des années sui-
vantes, c'est à dire à une époque où les campagnes étaient
un peu moins maltraitées. C'est ainsi qu'eu 1644 le capi-
taine gruyer de Chaligny, Fisson, qui avait été maintenu
en fonctions par les Français, renouvelle ses plaintes au
sujet des exploits des soldats de Nancy en Fraize et en
Remnaumont. « Ils abattent les chênes, dit-il, et les habi-
tants des villages voisins en font autant, en se couvrant des
(1) B, 39i)0.
(2) B, 3^)0.
(3) B, 3950.
(4) B, 3950.
— 248 —
ordres qu'ils disent avoir reçus de M. de la Ferlé, gouver-
neur de Nancy, d'abattre le bois au plus prochain et de le
conduire dans sa fourrière (1) ». Il faut dire que La Ferté
a laissé la réputation d'un des plus rapaces parmi les hauts
fonctionnaires du régime français (2). On pourrait d'ail-
leurs multiplier les exemples ; aucun ne serait plus élo-
quent que le nom conservé pendant de longues années, à
la suite de ces événements, par le canton de Remnaumont ;
on l'appelait communément Remnaumont en dégâts. Cette
désignation sufflrait à attester les méfaits de l'administra-
tion que la conquête avait établie à Nancy.
VIII
On sait qu'en 1641, Charles IV fit avec Louis XIII un
accommodement connu sous le nom de Petite Paix, parce
qu'il ne fut observé que quelques mois. Nicolas François
ayant protesté contre celte paix dès qu'il la connut, les
effets n'en pouvaient se faire sentir au comté de Chaligny .
Aussi rien ne fut changé à la situation du comté. Pendant
onze ans encore, il fut administré et exploité sous la sur-
veillance et au profit de l'administration française, qui
d'ailleurs ne cessa point d'y employer des agents tirés du
personnel local. Pendant cette période, sauf dans les
forêts, il semble qu'un ordre relatif tende à s'établir. C'est
que les troupes françaises, dès la reprise des hostilités, ont,
par une action vigoureuse, fait disparaître les garnisons
lorraines ou croates qui, s'étant maintenues jusqu'alors
dans de petits postes, perpétuaient l'état de guerre sur
tous les points du territoire. Cependant on souffre encore
en Lorraine et en particulier dans le comté de Chaligny,
soit des conséquences des calamités d'autrefois, soit du
(i) B, 4000.
(2) Beauvau, p. 8i. Il était surnommé le » Bassa », c'cst-à dire le
pacha delà Lorraine (Ibid , p. 385).
— 249 —
passage assez fréquent des gens de guerre. C'est surtout
dans les régions traversées par les grandes routes que
s'exercent les déprédations. En décembre 1646, le meunier
de Neuves-Maisons, dont le moulin, écarté du village, est
situé sur le chemin public, se plaint d'avoir été, depuis
trois ans, pillé et repillé par les soldats du roi, qui ne lui
ont laissé ni linge ni volailles (1); lui-môme a été, à diverses
reprises, obligé de quitter le moulin pour sauver sa vie,
menacée par les gens de guerre (2). En 1649, la dévastation
est plus générale : les fermiers des droits seigneuriaux
dans le comté ne reçoivent rien, et par conséquent ne
peuvent payer leur fermage à l'administration française..
(( à cause de l'armée d'Allemagne, dont les soldats ont
couru et pillé partout ». En 1650, la guerre reprend en
Lorraine, où le duc Charles a envoyé une armée, sous la
conduite de Ligniville. Les Lorrains se sont emparés de
plusieurs petites places, entre autres d'Haroué, d'où ils font
des incursions dans le pays ; ils pénètrent jusqu'au comté
de Chaligny, dont ils emmènent quantité de chevaux (3),
(1) B, 4001. — En 164j, les Suédois avaient encore mis à contribu-
tion les villages du comté de Vaudémonl ; en 16t7, ils sont attendus
avec frayeur à Germiny, où sont cantonnées des troupes pendant les
années suivantes. /Vinsi l'occupation militaire n'avait pas cessé dans
les campagnes. (Cf. Olry, Notice sur Germiny, dans les 3îémoire$ de
la S. A, /.., 3« série, V (1877), p. 379 et suiv.)
(2) B, 3932. J'ai lieu de croire qu'au xvii' siècle, il n'y avait plus que
deux moulins dans le comté : l'un à Pont-Saint-Vincent, l'a-itre, sur
la rive droite de la Moselle, qui desservait les villages de Chaligny,
Neuves-Maisons et Chavigny. C'est ce moulin, voisin de Neuves-Maisons
et de Chavigny, qui porte indilTéremment le nom de l'un des trois
villages. En 166'% le moulin de Pont-Saint-Vinccnt était affermé à
Alexandre Tondeur, et l'autre moulin îx Didier Removille (B, 3957, 3938
et 3959).
(3) B, 3ÎK54. Ils ont mis en pièces le bateau qui servait au passage de
la Moselle au Pont, et menacé de mort le barquier, qui s'appelait Tortel.
Déjà, au mois de septembre, Ligniville avait fait défoncer le grand
bateau, pour gêner les communications des Français. — Nous savons
aussi, par les comptes, qu'entre 16î)2 et 16;>4, les habitants de Thélod,
pour la plupart, ont dil quitter le village, à cause des malheurs du
temps ; leurs bestiaux ont été enlevés.
— 250 —
Malgré ces désordres, les doléances sont moins graves
et moins unanimes que pendant les premières années de
la guerre ; les dévastations, encore trop fréquentes, ne sont
plus perpétuelles comme autrefois. D'ailleurs l'administra-
tion française semble prendre quelque intérêt au bien du
pays. De 1642 à 1652, elle se hasarde à faire quelques répa-
rations aux bâtiments d'exploitation du domaine seigneu-
rial (1). Ainsi, dès 1642, on s'occupe de déterminer les
travaux indispensables aux moulins du Pont et de Neuves-
Maisons ; les plus urgents de ces travaux sont exécutés.
De même, en 1649, on répare les communs du château du
Pont, qui ont échappé à la destruction, et aussi le près*
soir deChaligny; on poursuit, Tannée suivante, des tra-
vaux analogues (2). Divers indices laissent entendre que,
malgré les incertitudes Kt les menaces de la politique, le
pays se relève de la décadence profonde où il est tombé.
En 1648, les registres de Pont-Saint- Vincent constatent
dix-sept baptêmes (3) ; on est loin des quarante-cinq
baptêmes de 1618, mais on est bien au-dessus des trois
baptêmes de 1638. Le fermage des droits seigneuriaux du
comté remonte lentement ; il produisait, comme on Ta dit,
2,300 francs en 1642 ; en 1650, il s'éleva à 3,135 francs, et
à 5,000 francs en 1652 (4). En somme, dès qu'il a joui
d'une demi sécurité, le paysan lorrain s'est remis à son
dur labeur, et, par son indomptable énergie, a commencé
de s'élever au-dessus de l'abîme de misère où l'avaient
précipité les événements de la période terrible qui s'est
écoulée de 1635 à 1S40.
Cependant, le légitime seigneur et maître du comté de
Chalîgny, Nicolas-François de Lorraine, était toujours tenu
à l'écart de ses domaines que régissaient les agents de
(1) B, 39ol.
(2) B, 3951 et 3953.
(3) Archives de Pont-Sainl-Vincent.
(4) B, 3^54. C'est à pou près le quart de ce qu'il produisait dans les
années normales avant la guorre.
— 251 —
l'intendant français. Cette situation devait bientôt prendre
fin. Dora Galmet a écrit que le frère de Charles IV obtînt
de la France la restitution de ses biens par arrêt du. Conseil
royal en date du 20 février 1656 (1). J'ignore la portée
exacte de Tacte que cite Thistorien de la Lorraine ; ce que
je puis affirmer, c'est que, longtemps avant cette date,
Nicolas-François avait recouvré la possession du comté de
Chaligny. Les documents de l'année 1654 attestent qu'il
en est déjà le maître incontesté; par exemple, en décembre
1654, (( les gens du Conseil de r.\Uesse de Monseigneur le
duc François de Lorraine » donnent des ordres à Mansuy
Mansuy, admodiateur général du comté de Chaligny (2) ;
c'est à Nicolas François qu'en cette môme année les
moines de l'abbaye de Clairlieu s'adressent afin d'obte-
nir d'être restitués dans leurs droits anciens (3). Il y a
plus : d'après un document conservé aux Archives de
Meurthe-et-Moselle, le duc Nicolas-François, quoiqu'il se
trouvât encore à la cour d'Autriche, avait, dès 1652,
recouvré son comté de Chaligny ; au moins cette restitu-
tion était effectuée avant la fin de septembre 1652 (4).
Ainsi le comté était rendu à son souverain quatre ans
avant la date qui semble résulter du texte de dom Calmet.
Peut être n'est-il pas impossible de deviner les motifs qui
poussèrent l'administration française à se départir à cette
époque des mesures rigoureuses prises à rencontre des
domaines personnels de Nicolas-François. Ce prince, quoi-
qu'il ait suivi les Espagnols au siège d'Arras, survenu en
J654, était depuis quelque temps vis-à-vis d'eux dans un
état de défiance qui l'amena, peu après, à abandonner leur
(1) Histoire de Lorraine^ VI, 2' édit., coi. 450.
(2) Archives do M.-cl-M., B, 3955.
(3) B, 3^). C'est en son nom qu'est accordée une importante réduc-
tion des droits seigneuriaux aux liabitants de Tliélod, village durement
éprouvé par la guerre entre l(xi2-1654.
(i) B, 3954. C'est d'ailleurs aux agents de Nicolas- François que
Mansuy Mansuy rend son compte pour l'année 1652.
camp et à passer en France, où déjà nombre de troupes
lorraines s'étaient rendues en vertu de ses ordres
secrets (1). Il est probable que le roi de France avait encou-
ragé les bonnes dispositions de Nicolas-François en lui
rendant la libre jouissance d'une portion de son patri-
moine et, en particulier, du comté de Chaligny.
Quoi qu'il en soit, Nicolas-François jouit de ce domaine
jusqu'à sa mort. Sous son gouvernement se poursuivit la
lente amélioration de l'état économique du comté, qui avait
marqué les années précédentes. D'ailleurs le prince lor-
rain semble n'y avoir pas retrouvé une indépendance aussi
complète que celle de ses prédécesseurs ; il avait à compter
avec les représentants de son tout puissant voisin le roi
de France. C'est ainsi qu'en 1669, un individu coupable
d'une série de vols fut poursuivi et condamné par les
ordres de Nicolas-François ; mais l'exécution fut faite par
les soins du prévôt de la maréchaussée de France, résidant
àToul(2).
Les dernières années de la vie agitéede Nicolas François
s'écoulèrent à Nancy, où, redevenu d'Eglise après la mort
de sa femme, il habitait l'hôtel de la Primatiale. 11 mourut
en janvier 1670, à peu près au moment où, de nouveau,
Louis XIV saisissait le duché de Lorraine, qui avait été
restitué à Charles IV quelques années plus tôt.
IX
Le prince Charles, fils et héritier de Nicolas-François,
était lui-même en état d'hostilité vis à vis du gouvernement
royal, parce qu'il avait protesté dès i662 contre les arran-
(1) Mémoires do Bciiuvau. p. 341 et 342.
(2) Archives do M.-et-M., B, 3ÎKÎ4. Le comté, comme toute la Lor-
raine, subissait d'ailleurs les charges de roccupalion française. Ainsi,
en l(ï63, au temps où commandait lo comte de (îuiche, Neuves-Mai-
sons reçut une demi -compagnie de cavalerie (H, 1Î)2G). C'est à celte
époque que, d'après dom Calmet, le comte de Guichc traita dure-
ment les environs de Nancy.
— 253 -
geraents intervenus alors entre Louis XIV et Charles IV ;
on sait que ce prince, plus tard connu sous le nom de
Charles V, qu'il illustra par ses hauts faits, fut jusqu'à ses
derniers jours l'adversaire redouté du roi de France. Aussi,
le comté de Chaligny, qui faisait partie de son héritage,
retomba de nouveau sous le séquestre de Tadministralion
française. Le gouvernement royal s'efforça alors de se
donner, sur le comté de Chaligny, des titres meilleurs que
ceux qu'il tenait du fait de l'occupation de la Lorraine.
Le roi, qui n'était qu'en fait le maître de la Lorraine,
se trouvait, d'après les traités en vigueur, régulièrement
investi, en droit comme en fait, de la souveraineté sur le
Temporel des Trois-Evôchés ; il avait donc intérêt, et déjà
Richelieu l'avait vu nettement, à donner à ce temporel la
plus grande étendue possible, en diminuant d'autant le
patrimoine du duc de Lorraine. C'est l'œuvre à laquelle,
en 1680, travaillait la Chambre de Réunion établie au Par-
lement de Metz; faisant flèche de tout bois, quand il s'agis-
sait d*étayer les thèses qu'elle jugeait utiles à la cause
royale, elle tirait parfois argument de textes incertains et
de prétentions surannées. Le 30 avril 1680, un arrêt rendu
par cette juridiction déclara le comté de Chaligny réuni à
la couronne; la raison qui fut invoquée pour motiver cette
décision était que Chaligny n'avait point été cédé en pro-
priété par l'évêque de Metz, mais engagé au duc de Lor-
raine pour une somme de cinq mille livres, suivant la con-
vention de l'an 1346 mentionnée au premier chapitre de
cette étude (1). Le roi de France usait donc du droit que
l'évêque de Metz s'était réservé de reprendre le domaine
ainsi engagé, sauf sans doute à rembourser au duc de Lor-
raine les cincf mille livres tournois lors de la conclusion
de la paix. Ainsi le roi pourrait acquérir à peu de frais la
pleine propriété du comté de Chaligny. Dans leur zèle, les
(1) Voir p. 17 et 18.
- 234 -
magistrats français allèrent plus loin encore: ils réunirent
Turqueslein comme ils avaient réuni Chaligny (à vrai dire,
Turquestein et Chaligny étaient l'objet d'une clause iden-
tique dans la convention de 1346), et ils ne craignirent pas
de prononcer aussi la réunion du comté de Vaudémont
pour des motifs qui, il faut le reconnaître, étaient dépour
vus de tout fondement (l).
Ces arrêts eussent dû recevoir leur exécution lorsque, en
1698, la Lorraine, conformément à un article du traité de
Ryswick, fut restituée au duc Léopold, fils d.e Charles V
et petit-fils de Nicolas François. Mais le gouvernement
royal renonça à se prévaloir des décisions dé la Chambre de
Réunion pour retenir le comté de Chaligny, qui, comme
Turquestein et le Vaudémont, fut compris dans la restitu-
tion de la Lorraine. Ainsi le comté fut uni au duché, tout
en conservant, au point de vue judiciaire et administratif,
l'organisation particulière dont le siège était Pont-Saint-
Vincent. Cette union n'était cependant pas définitive : une
vingtaine d'années après la paix de Ryswick, les biens et
droits constituant l'ancien comté furent aliénés par le duc
Léopold, désireux de concourir à la formation d'une sei-
gneurie vassale de la couronne ducale, dont il importe de
dire quelques mots.
La race « formidable » (2) des Guise avait pris fin, en l'an-
(i) Voir sur ces décisions: Hermann Kaufmann, die Reunionskam-
mer zu Melz, dans le Jahrbuch der Gesellschnft fiir lothrin§ische
Geschichte, XI (1899), p. H6, 119; cf. dom Calinct, Notice de la Lor-
raine^ \* Chaligny. La Chambre de Réunion revint d'ailleurs en 1683
sur la quesUon du Vaudémont, sans changer sa décision. Un des argu-
ments qui furent invociués pour le déclarer français reposait sur les
mots d'un acte de I3ii (voir ci-dessus, p. 17), d'après lequel l'évéque
de .Metz devait délivrer au duc a son chastel de Turkestein avec le lié
le comte de Vaudémont de tout ce qui tient de l'éveschié de Metz, soit
à ChaUigny, soit autre part. » Evidemment ce texte visait, non le
comté de Vaudémont, qui n'avait jamais dépendu du temporel de Metz,
mais Chaligny et les domaines, tenus par le comte, qui relevaient de
la suzeraineté messine. La Chambre de Réunion en faisait donc une
fausse interprétation.
(2) L'expression est de Saint-Simon.
- 235 -
née 1688, en la personne de Marie de Lorraine, connue sous
le nom de Mademoiselle de Guise. Par succession, leurs
biens étaient passés aux Condés, mais leur nom, illustre
à tant de titres, semblait éteint pour jamais. Cependant des
collatéraux, lointains descendants du premier duc de Guise
par la branche d'Elbeuf, les princes de Lorraine-Harcourt,
rêvaient de le relever à leur profit. Les lecteurs des Mé-
moires de Saint-Simon n'ont pas oublié les pages mor-
dantes qui y sont consacrées à deux générations de Lor-
raine-Harcourt. Alphonse-Henri-Charles, prince de Lor-
raine, comte d'Harcourt (1), vieux soldat qui avait long-
temps servi les Vénitiens, avait jadis, du vivant de Made-
moiselle de Guise, obtenu d'elle, grâce à Thabileté de sa
femme, la donation du duché et de l'hôtel de Guise ; mais,
Harcourt n'ayant pas su s'imposer une contrainte assez
longue vis-à-vis de la donatrice, la libéralité fut révoquée.
(( Ce fut un coup de foudre pour sa femme, qui avait épuisé
là tout son savoir-faire (2) ». L'aîné de leurs enfants, Anne-
Marie-Joseph, que plusieurs trépans avaient rendu sourd,
fut d'abord destiné à l'Eglise ; mais quand, par la mort de
ses frères, il fut devenu fils unique, sa mère réussit à lui
faire épouser, sous les auspices de la duchesse du Maine,
une demoiselle de Montjeu, a jaune, noire, laide en perfec-
tion, de l'esprit comme un diable, du tempérament comme
vingt, dont elle usa bien dans la suite, et riche en héritière
de financier (3) ». Le malheur était que le père de la nou-
(1) Il avait épousé une Brancas. Voir leurs portraits dans les Hé
moires, édit. de Boisllsie, X, p. 362 et s. Cf. Ecrits inédits de Saint-
Siman, édit. Faugère, VIII, p. 43-45, et Spanheim, Relation de la cour
de France (édit. Bourgeois, dans les Annales de l'Université de Lyon)
p. 228).
(2) Annales de la Cour et de Paris pour les années 4697 et 4698 (édit
de 1701, Cologne), îï, p. 302 On trouvera dans cet ouvrage un portrait
d'Harcourt et de sa femme.
(3) Voir les portraits du mari et de la femme et l'histoire de leur ma-
riage dans Saint-Simon, XIII, p. 1 et s. — Anne-Marie-Joseph de Lor-
raine, comte d'Harcourt, deClermont, de Montlaur et de Saint-Romaix
— 236 —
velle épouse, financier et fils de financier, avait été grave*
ment compromis lors du procès Fouquet. A entendre
Saint-Simon, ce mariage fit scandale ; les princes lorrains
présents à Versailles refusèrent de signer au contrat;
quant au duc Léopold, il interdit aux époux de mettre le
pied dans ses Etats. -Cependant cette méchante humeur ne
fut pas tenace. Une dizaine d'années après leur mariage,
les deux époux, implantés en Lorraine, travaillaient, non
sans succès, à se ménager la faveur de Léopold et à flatter
son goût pour la collation de titres de noblesse, afin de
reprendre le dessein, caressé par la génération précé-
dente, qui consistait à relever le nom de Guise. Toutefois
le vrai Guise, bourg de la vallée de l'Oise, n'appartenait
pas à Léopold; pour atteindre le but, on eut recours à un
procédé ingénieux. Ifarcourt, que son mariage avait rendu
fort riche, avait acquis de ses deniers, outre une terre
dans le Barrois, des domaines situés dans le bailliage de
Nancy, dont les principaux étaient les villages d'Acrai-
gnes et de Maron (1). En outre, le 22 novembre 1716 (2),
marquis de Maubec en Dauphinc, né le 30 avril 1679, mourut le 29 avril
1739. Sa femme était Marie-Louise-Christlnc, lUle do Gaspard Jeannin
de Castille, marquis de Montjeu, qui descendait par les femmes du pré-
sident Jeannin, le célèbre ministre de Henri IV. Ils eurent pour fils
Louis- M a rie -Léopold, qui fut appelé le prince de Guise, comme l'avait
été son p^re depuis 1718; il mourut, non marié, à l'armée d'Italie, le
20 juin 1747, k l'âge de 27 ans. Du mariage d'Anne-Marie-Joseph avec
Maric-Ivouise de Montjeu naquirent aussi deux filles, dont l'une fut la
quatrième femme du duc de Bouillon et l'autre la femme du maréchal
de Richelieu, dont elle eut le duc de Fronsac, père du duc de Richelieu,
ministre de Louis XVlll. (Renseignements empruntés à V Intermédiaire
du 10 juin 1902, col.ifôoet s.).
(1) Acraignes fut acheté aux Bissy, qui le tenaient des Haraucourt :
ceux-ci en étaient propriétaires au moment de la guerre de Trente Ans
(Voir ci-dessus, p. 13.'î ; cf. Comte de Ludro, Histoire (i*une famille de
la chevalerie lorraine ^ II, p 225). Maron avait appartenu aux d'Hoffo-
lUe et avant eux aux Lenoncourt, qui on étaient seigneurs au commen-
cement du xvn* siècle.
(2) Voir la lettre de Harcourt k la Chambre des Comptes de Bar,
datée du 20 juin 1618 (Archives de la Meuse, B, 279, fol. 7, v»). L'acte
de cession du 22 novembre 1716 se retrouve aux Archives de Meurthe-
el-Moselle, B, 599, n* 53. 11 résulte d'un acte do 1739 (Ibid., n» 67) que
— 257 -
il se fit concéder par Léopold, moyennant 90,000 livre» (1),
et sous réserve d'un droit perpétuel de rachat que devait
conserver le domaine ducal, la seigneurie et justice des
villages de Chaligny, de Chavigny et de Neuves-Maisons,
voisins d'Acraignes et de Maron et, de plus, le village de
Lorey-devant-Bayon, autrefois partie intégrante du comté
de Chaligny, avec les moulins et fours banaux de Pont-
Saint- Vincent et de Neuves-Maisons, les pressoirs banaux
de Pont- Saint-Vincent, Chaligny et Chavigny, la tuilerie
de Chavigny, la pêche de la Moselle, le bac de Maron, les
droits de sceau et de tabellionnage à Pont-Saint- Vincent, la
vouerie de Bainville-sur-Madon, et quelques terres doma-
niales à Pont-Saint-Vincent et à Chaligny (2). A ces conces-
sions, Léopold ajouta peu après le passage de la Moselle à
Pont-Saint-Vincent et deux cantons de bois (3) ; il retint
toutefois le surplus des bois du comté de Chaligny, ainsi
que le titre de ce comté.
Tout cet ensemble de biens et de droits constitua,
par la grâce de Léopold, dont l'œuvre fut couronnée par
des lettres patentes du 17 juin 1718, un nouveau comté,
tout à fait distinct de celui de Chaligny ; le chef-lieu en
fut fixé à Acraignes, dont le château avait, comme on Ta
dit, échappé aux démolisseurs pendant la guerre de Trente
ans. Acraignes reçut alors le nom de Guise (qu'ii devait
plus tard échanger pour celui de Frolois), si bien que le
dès 1717, c'est Harcourt, désigaé sous le Utre de c M. le prince de
Guise », qui exerce les droits seigneuriaux cédés en 1716.
(1) 210,000 francs de Lorraine.
(2) C'est ainsi que Harcourt acquérait par le môme acte le « gagnage »
de Chaligny, le « breull » de Pont- Saint- Vincent, ks prés et saulcy
Flcurion, du Colombier et de la Boulangère, le Saulcy et le pré de la
Vanne, les droits de haute et basse justice, ainsi que des cens et rentes.
(3) Dans sa lettre précitée, adressée à la Chambre des comptes de
Bar, Harcourt dit qu'il a acquis, postérieurement à l'acle de 1716, le
bac de Pont-Saint* Vincent et deux cantons des bois, contenant 627 ar-
pents. Quelques mois plus tard, ainsi qu'il est dit ci-dessous, 11 prit
possession de Pont-Saint- Vincent.
17
— asa-
DOuveau comté prit le nom de comté de Guise. Harcourt
ne se contenta pas d'ailleurs de ce titre ; étant déjà prince,
il se fit ou se laissa appeler prince de Guise, au moins
dans Tusage courant. De duché de Guise il ne fut pas
question^ Léopold ne s'étant jamais arrogé le droit de
créer des ducs.
Comme le nouveau seigneur avait droit de haute justice,
une prévôté-bailliage fut organisée par lui à Guise, à
laquelle ressortirent tous ses sujets : la prévôté de Pont-
Saint-Vincent fut en même temps supprimée. Ce fut pro-
bablement sans grand plaisir que les habitants de Pont-
Saint- Vincent virent arriver, le 21 décembre 1718, très-haut
et très-puissant seigneur Anne-Marie de Lorraine, prince,
comte de Guise. Il prit possession (( de la ville de Pont-
Saint- Vincent, dans la maison du sieur Bazin, curé, après
être allé en Téglise de cette ville rendre ses devoirs et
adorations au Seigneur Dieu, par qui les rois et les princes
régnent sur terre » (1) Par la création du comté de Guise,
Pont-Saint-Vincent était déchu du rang et des avantages
que lui procurait sa situation de capitale administrative et
judiciaire d'une petite seigneurie.
Cette déchéance ne fut pas de longue durée. Sans doute,
pendant onze ans, les justiciables de Chaligny et des vil
lages qui avaient formé l'ancien comté durent se résigner
à porter leurs différends devant le prévôt de Guise, dont
Tauditoire était pour eux sensiblement plus éloigné que
celui de PontSaint-Vincent. Mais, trois mois à peine
après la mort du duc Léopold, un édit du mois de juillet
1729, rendu au nom de François III, ordonna la réunion au
domaine ducal des biens qui en avaient été distraits du
temps de Léopold (2). Le comté de Guise ne fut plus désor-
(1) L. Germain, Pont-Saint-Vincent, p. 343 et 344, d'après les notes
de M. Tabbé Boulanger.
(2) Sans doute à la charge do rembourser les sommes versées Jadis
par Harcourt au trésor ducal.
- 289 >-
mais composé que des domaines acquis à titre patrimonial
par Harcourt, au premier rang desquels figuraient Guise
et Maron (1) ; tous les biens et tous les droits provenant de
Tancien comté de Chaligny firent retour au domaine ducal.
Du coup, le comté de Chaligny se trouva reconstitué comme
par le passé. Sans doute il n'avait pas d'autre maître que le
duc de Lorraine, d'abord François III, puis Stanislas ; mais
il recouvra son autonomie administrative et judiciaire
par la restauration de la prévôté de Pont-Saint- Vincent (2).
Toutefois les aspirations du xvni* siècle, en Lorraine
comme en France, étaient peu favorables au maintien de
ces petites juridictions, dont l'existence résultait unique-
ment des hasards de la géographie féodale ; un mouve-
ment déjà puissant entraînait les esprits vers la centralisa-
tion et l'uniformité C'est ainsi que la prévôté de Pont-
Saint- Vincent, rétablie le 14 juillet 1729, fut définitivement
abolie par l'édit rendu en 1751 au nom de Stanislas pour la
réorganisation judiciaire de la Lorraine (3). Désormais les
villages de l'ancien comté de Chaligny relevèrent directe-
ment du bailliage de Nancy, de même qu'au point de vue
administratif ils relevèrent de l'intendant et de son subdé-
légué. Quarante ans avant la Révolution, l'autonomie du
comté avait succombé sous l'influence des tendances qui
caractérisaient les temps nouveaux.
Au cours du dernier siècle de l'ancien régime, Chaligny
et les villages voisins ne connurent pas les calamités dont
(1) Ces biens demeurèrent à la descendance de Harcourt jusqu'en
i752. Aux villages de Guise et de Maron avaient été joints des biens et
des droits à PuUigny, à Cointrey, à Voinémont, à Colombey, à Allain-
auz-Bœufs et à Méréville. Tout cela fut vendu en 1752. par les héritiers
des Harcourt, au chef de la famille de Ludre. pour former ensuite le
marquisat de Frolois. L'ancien Acraignes perdit alors son nom de
Guise pour prendre celui do Frolois, qu'il a conservé. (Ck)mte de Ludre,
loc. cil.)
(2) La prévôté de Pont-Saint-Vincent fut rétablie par une déclaration
de la duchesse régente, du mois de juillet 1729.
(3) Recueil des ordonnances de Lorraine, VllI, p. 25.
— 260 —
ils avaient tant souflert au xvu« sièele. Sans doute on
trouve quelques traces du séjour de troupes françaises
pendant les années qui précédèrent la paix de Ryswick (1) ;
mais, depuis cette époque, tout le pays semble avoir joui
d'une paix profonde. Les Lorrains surent profiter de cette
paix pour réparer les malheurs qui avaient marqué l'époque
du duc Charles IV. Dans le comté de Chaligny comme
ailleurs, malgré l'augmentation des charges publiques qui
fut la conséquence du régime français, le xvm^ siècle fut
une ère de prospérité. La population s'accroît ; le vignoble^
véritable richesse du pays, qui avait tant souflert de la guerre
de Trente ans, n'est pas seulement reconstitué,- grâce à
l'action d'administrateurs intelligents, mais encore il
s'étend sur des terres nouvellement défrichées (2) ; l'agglo-
mération de Neuves-Maisons, qu'enrichit la culture, se
développe au point de prétendre devenir une paroisse
indépendante de Chaligny, dont elle avait relevé jus-
qu'alors ; une école de filles est créée à Chaligny vers 1763,
grâce à la libéralité du curé Duchesne, en même temps
que, par la charitable initiative du même pasteur, peut-
être inspirée par l'exemple d'un curé de Pont-Saint- Vin
cent, sont fondées des institutions d'assistance pour les
pauvres et les malades (3). Une bourgeoisie rurale se
(1) Ainsi le 21 mars 1672, à Pont-Sainl-Vincent, un calviniste, nommé
Bourgeois, cavalier de la compagnie du sieur de la Roqueviallo, se
convertit à la foi catholique (Registres de Pont -Saint- Vincent) ; il faut
en conclure qu'il y avait de la cavalerie française à Pont-Saint-Vincent.
De môme les actes de l'état civil attestent la présence de la compagnie
colonnelle du comte de Bours en 1679. Vers le même temps, nous
savons par les registres de Pont-Saint- Vincent qu'il y avait des dra-
gons qui prirent leurs quartiers d'hiver à Maron.
(2) C'est, par exemple, entre 1730 et 1750, comme on aura l'occasion
de le dire dans la seconde partie de ce travail, que furent accensès les
terrains où se trouvait, avant la guerre de Trente ans, la grande vigne
domaniale de Chaligny ; ils furent accensès à charge, pour les censi-
taires, de remettre le terrain en nature de vigne. Les censitaires s'ac-
quittèrent de cette obligation ; ce canton a gardé jusqu'à nos jours le
nom de Grande Vigne,
(3) On étudiera plus complètement ces fondations dans la seconde
partie de ce travaU.
— 261 —
forme, qui maintiendra sa situation sous la Révolution et
l'Empire, et gardera la fortune et l'influence jusques au
dernier tiers du xix® siècle.
Cependant, dès le xviii« siècle, Chaligny et les villages du
comté, simples paroisses lorraines, n'ont plus d'autre his-
toire que celle de la province, qui elle-même suit les des-
tinées de la France. Le pays a perdu son autonomie : mais
cela ne va pas sans quelques compensations. C'est ainsi
que l'intendant français se trouve en état d'accomplir
l'œuvre tentée en vain, cent quarante ans plus tôt, par
François do Lorraine- Veudémont, comte de Chaligny. En
1752 et dans les années suivantes, par les soins de l'admi-
nistration dont la Galaizière est le chef, on construisit à
Pont- Saint- Vincent le pont de pierre qui, de nos jours
encore, met en communication les deux rives de la Moselle.
Cet ouvrage excita l'admiration du public ; Durival, qui le
vit en 1761, dit que ce pont, de neuf arches, était le plus
beau de la province (1). Ainsi l'Etat centralisé accomplis-
sait sans peine les grands travaux qui avaient dépassé les
forces de la petite seigneurie indépendante. C'était la ran-
çon de l'évolution qui avait fait table rase des formations
historiques et des autonomies locales.
(A suivre.)
(1) Journal manuscrit conservé à la Bibliothèque de Nancy.
TA BLE
DB LA
Première Partie de THistoire de Chaligny
PAOBS
AVAMT-PROPOS 5
CHAPITRE PREMIER
La souveraineté de Vévêque de Metz.
I. — Chaligny avant le xr siècle. — Chaligny dépendant du
temporel de Metz. — Inféodation de Chaligny aux comtes de
Vaudémont. — Importance de Chaligny pour les Vaudémont.
— L'évoque de Metz cède, sous forme d'engagement, la suze-
raineté de Chaligny au duc de Lorraine (1346) 6
II. — Gouvernement des Vaudémont à Chaligny. — Leurs libéra-
lités envers les églises. — Exercice des droits seigneuriaux. 19
CHAPITRE II
Les Joinville, seigneurs de Chaligny f 1347- 4415),
I. — La seigneurie de Chaligny est transmise à Henri de Join-
villc, qui épouse l'héritière des Vaudémont. — Henri de
Joinville- Vaudémont 27
II. — Guerre de Henri de Joinville et d'Arnaud de Cervelles
contre les ducs de Bar et de Lorraine (1363). — Siège de
Chaligny. — Fin des hostilités 30
III. — Dernières années de la vie de Henri de Joinville- Vaudé-
mont. -— Ses embarras Gnaneiers 38
IV. — Marguerite et Alice de Joinville-Vaudémont, filles de
Henri. — Administration de leur mère, Marie de Luxem-
bourg. — Leur mariage. — Chaligny est attribué à Alice,
femme de Thiébaut VII de Neufchâtel 43
V. — Liquidation dos successions de Henri de Joinville- Vaudé-
mont et de Mario de Luxembourg. — Thiébaut VII de Neuf-
chAtel ; il est tué à Nicopoirs (1396) 49
VI. — Alice de Joinville-Vaudémont, dame de Chaligny. — Son
administration pendant son veuvage. — Son testament et sa
mort 83
- 263 —
CHAPITRE ni
Période des Neufchâtel fU45-4559J.
PAors
I. — Premières années de Thiébaul VIII. — Division 63
U. — Rôle politiqire de Thiébaut VIFI à Neufchâtel ; part qu'il
prend à la lutte des Bourguignons contre les Armagnacs. —
Guerre de Thiébaut contre les Bâlois. — Rôle de Thiébaut
dans la guerre de la succession de Lorraine. — Pillage de la
terre de Chaligny ; prise de la forteresse par les partisans do
René d'Anjou 67
m. — Thiébaut IX, maréchal de Bourgogne ; ses débuts ; il
rompt avec René d'Anjou et Jean de Galabre. — Hospitalité
offerte par lui, à Châtel-sur-Moselle, au dauphin Louis ; pas-
sage du dauphin en Lorraine 76
IV. ~ Ambition des Neufchâtel, qui menacent la Lorraine. —
Guerre entre Thiébaut IX et le duc de Lorraine, à propos
d'Épinal. — Succès des Lorrains ; prise et destruction du
château de Chaligny {1467} 82
V. — Mort de Thiébaut IX ; son fils Henri de Neufchâtel lui suc-
cède. — Le duc de Lorraine, qui a confisqué Chaligny, en
dispose à deux reprises. — Fin de la guerre entre la Lor-
raine et les Neufchâtel (décembre 1472) ; restitution de Cha-
ligny à Henri de Neufchâtel 99
VI. — Vicissitudes que subit le domaine de Chaligny jusqu'à la
bataille do Nancy. — Chaligny est de nouveau saisi par le
duc de Lorraine. — Henri do Neufchâtel est pris par les
Lorrains à la bataille de Nancy 107
VIL — Chaligny est concédé par René II à Oswald de Thiers-
tein. — Traité pour la délivrance de Henri de Neufchâlel, qui
passe au service de la France ; acquisition, par Louis XI, de
la suzeraineté de Châtel. — Tentative infructueuse de Henri
pour recouvrer Chaligny et Bainville-aux-Miroirs i12
VIlï. — Les Thierstein, maîtres de Chaligny, en vertu d'une
gagière. — En 4530, l'héritière des Neufchâtel recouvre Cha-
ligny, qui passe par succession aux Isembourg, puis aux
Waldeck. — En 1559, la terre de Chaligny est vendue à
Nicolas de Lorraine, comte de Vaudëmont 121
IX. — Événements de l'histoire de Chaligny pendant la première
moitié du xvi* siècle. — Tendances centralisatrices du gou-
vernement lorrain 126
CHAPITRE IV
Le comté de Chaligny. — la période des Mercœur (4559-ieiO).
L — Le traité de Blâment. — Union de Chaligny et de Pont-
Saint-Vincent 130
II. — La terre do Pont- Saint- Vincent avant 1563 134
PAGES
III. — Érection du comté do Chaligoy l&O
IV. — Nicolas de Vaudémontf duc de Mercœur, comte de Chali-
gny. — Louise de Lorraine, reine de France. — Marguerite
de Lorraine, duchesse de Joyeuse. — Le cardinal de Vaudô-
mont 143
V. — Philippe-Emmanuel, duc de Mercœur, propriétaire de
Chaligny 151
VI. — Henri de Lorraine, comte de Chaligny. — Sa postérité. . 155
VII. -^ Mariage de l'héritière unique des Mercosur avec César
de Vendôme. — Vente du comté do Chaligny à François de
Lorraine 166
VIII. ~- Passages des troupes protestantes au comté de Chaligny.
— La campagne de 1587 ; la « bataille » de Pont-Saint-
Vincent 168
CHAPITRE V
Le comté de Chaligny au XV It et au XV IIP iiècle (4640-f789},
I. — François de Lorraine, comte do Vaudémont, comte de Cha-
ligny 197
II. — Vaudémont et sa famille à Pont-Saint- Vincent 202
III. — Les chasses du comté. — La répression du braconnage . S08
IV. — Gouvernement de François de Lorraine. — Le haras de
PontSaint-Vlnccnl. — Rectification du cours de la Moselle.
— Travaux entrepris pour la construction d'un pont de
pierre ; échec de cette entreprise 213
V. — La sorcellerie dans le comté do Chaligny 219
VI. — Mort de François de Lorraine, comte de Chaligny. — La
guerre dans le comté (1635) 226
VII. — Les malheurs de la guerre dans le comté de Chaligny. •—
Ruine complète du pays 234
VIII. — Le comté sous l'administration française. — Restitution
du comté, en 1652, à Nicolas-François. — Mort de Nicolas-
François (1670) 249
IX. — Le comté suit le sort de la Lorraine ; il est séquestré par
la France. — Arrêt de la Chambre de réunion portant réu-
nion de Chaligny à la couronne de France. — Chaligny et le
comté sont cependant restitués au duc Léopold à la suite du
traité de Ryswick (1698). — Le comté de Chaligny uni à la
Lorraine. — Formation éphémère du comté de Guise (1718-
1729). — Abolition de la prévôté de Pont-Saint- Vincent. —
Prospérité du pays 252
LE VE^iKÏLiBLEDOM,
Ne en jBSo*
nmmn de î.a cour.
Dea Rn/^mj- Je Benait zeU Rc/ or moteur ,
jt mêJder j'a Re^le il consacra sra vie ;
Et pour Lt'fiire' aûn'er ^mpftryofii- la douceur ,
Il j-çut Ll re/ah/ir en.' JepU dc' l\Knvie^.
DOM DIDIER DE Ik COUR DE LA VALLÉE
ET
LA RÉFORME DES
BÉNÉDICTINS DE LORRAINE
1850-1623
PAR
DOM E. DIDIER-LAURENT <*»
O. S. B.
AVANT-PROPOS
Elut malheureux do la Lorraine. —Causes do décadence des inslilutions
religieuses: les guerres, la commende, la pauvreté, les vocations
forcées. — Nécessité d'une réforme. — Sources historiques.
L'élat malheureux de la Lorraine, à la fiD du xyi^ siècle
et au commencement du xvii®, a provoqué, chez tous les
chroniqueurs de cette époque, des descriptions suffisam-
ment détaillées et saisissantes, pour que nous n'ayons pas
à y revenir,
(I) L'auteur de ce travail est décédé prématurément, presque au
jour môme où la Société votait l'impression de son œuvre. 11 serait
superflu do redire combien la perte de ce savant Bénédictin, qui com-
pulsait les archives romaines avec tant de profit pour l'histoire de
Lorraine, a été ressentie vivement par notre Compagnie (v. l'article
nécrologique donné par M. Eug. Martin au Bulletin mensuel, 1902,
p. 239).
Si Dom E. Didier- Laurent eût encore vécu, la Commission de révision
18
— 266 —
Placée entre de puissants compétiteurs sans cesse aux
prises, celte province ne pouvait échapper aux consé-
quences des guerres dont elle était le théâtre, et son orga-
nisation en avait été ébranlée : le caractère religieux de
ces luttes leur avait donné une particulière et pernicieuse
influence sur les principes d'ordre et de hiérarchie, qui
avaient été jusque là le nerf vital des institutions politiques
et religieuses.
Les impôts s'étaient augmentés pour faire face aux dé-
penses de ces guerres, et les défenseurs semblaient aussi
exigeants dans leurs prétentions que les envahisseurs;
ceux-ci, espérant des abbayes un riche butin, les pillaient
et s'en servaient comme de forteresses; les autres, pour
prévenir de telles surprises, se hâtaient de détruire les
monastères dont ils avaient la garde, surtout quand ces
maisons se trouvaient auprès des grandes voies de commu-
nication. Dans les deux cas, c'était la ruine : tel fut le sort,
pour ne parler que des monastères bénédictins, des abbayes
de Sainte Croix de Bouzonville, détruite le 19 mai 1583; de
Saint-Martin de Longetille, entièrement saccagée et brûlée
le jour de la Saint Remy 1552 ; de Saint-Arnould de Metz,
renversée en 1552 ; de Saint-Symphorien, également à Metz,
lui aurait demandé de préciser certains détails accessoires : par exem-
ple, lorsqu'il parie, dans une note, de l'évoque de Toul Christophe de
La Vallée, mieux eût vallu, afin d'éviter des confusions entre plu-
sieurs familles différentes se rattachant aux anciens La Vallée et qui en
prirent le nom, rappeler que ce prélat était de la famille Henriet.
Elle l'eût aussi prié d'abréger un peu les préliminaires, où il n'était
pas nécessaire de s'étendre sur des faits historiques fort antérieurs à
la réforme entreprise par Dom Didier de La Cour et sans rapport avec
elle, notamment la querelle des Investitures, sur laquelle le défunt
n'a pu connaître le travail de M. A. Dantzcr publié l'an dernier dans
les Annalea de l'Est (1902, p. fô).
Mais notre digne confrère M. le curé Didier- Laurent s'est fait scru-
pule de remanier et même de retoucher l'œuvre de son fW^re. La
Comn\ission s'est Inclinée devant ce pieux sentiment, et a borné son
intervention à corriger de minimes détails de pure forme, tels que
des régularisations d'indications bibliographiques.
L. G.
convertie en citadelle en 1361 ; de Saint-Clément, dans la
môme ville, dévastée en 1332, etc.
Lorsque la ruine des abbayes n'était pas consommée par
la guerre, d'autres maux l'amenaient progressivement:
nous voulons dire les compétitions des bénéficiers et la
Commende. En Lorraine, les maisons régnantes tenaient
souvent de près, ou par la parenté, ou simplement par le
protectorat, aux possesseurs des bénéfices ecclésiastiques ;
la collation de ceux-ci n'y était pas exempte d'intrigues
politiques ; c'était une cause inévitable de décadence pour
les institutions qui les subissaient. Elles n'étaient, entre les
mains de ceux qui les détenaient ou les administraient,
qu'un moyen d'influence, et une source plus ou moins
féconde de revenus.
On a beaucoup écrit sur les ruines entassées par la
commende autour des grandes abbayes et des autres béné-
fices, sur les scandales qu'elle ne pouvait arrêter, quand
elle ne les favorisait pas ; nous croyons qu'on ne sera jamais
trop sévère à réprouver l'abus d'une coutume, légitimée
son origine, mais malheureusement devenue presque par-
tout injuste et désastreuse.
11 est facile de comprendre que la multiplicité des béné-
fices, réunis sur la môme tête, enlevait au titulaire la possi-
bilité de répondre aux obligations qu'ils entraînaient,
quand un seul eûtsuflîdéjà pour absorber toute son atten-
tion. Au reste, le but de cette multiplicité était, à peu près
toujours, d'améliorer la situation matérielle de celui qui en
était favorisé ; il se désintéressait de gaieté de cœur des
responsabilités morales dont ces commendes le chargeaient.
L'obligation de pourvoir au ministère et au culte des
paroisses mettait parfois une barrière à cette indifférence,
quand il s'agissait de bénéfices séculiers ; il n'en était pas
de môme pour les abbayes ou les prieurés, à la vie des-
quels le commendataire ne comprenait rien, ou dont seuls
la valeur et le rapport absorbaient sa sollicitude. L'impo-
— 268 —
sition, déjà bien onéreuse, devint insupportable à la fin du
xvi° siècle, par suite des guerres continuelles qui dévastè-
rent la Lorraine. Les exigences des bénéficiers ne s'adou-
cissaient pas en proportion des ruines accumulées, et les
monastères, bien que n'ayant plus le capital, devaient
néanmoins en fournir les intérêts à leur seigneur et maître,
aussi complètement et aussi régulièrement que dans les
temps prospères.
Toute l'activité de l'abbaye ou du prieuré se dépensait
donc dans la recherche des ressources nécessaires, soit à
l'extinction des délies, soit à l'extinction de la créance du
commendataire, soit enfin à la subsistance des religieux.
Dès lors, il était difficile d'obvier à toutes les conséquences
fâcheuses qui résultaient d'une telle pauvreté ; les sacris-
ties, réduites au strict indispensable, offraient peu d'at-
trait pour le culte divin ; chaque individu s'ingéniait à
pourvoir à son entrelien, d'où les pensions, les régimes
particuliers, les réserves, le pécule; le vœu de paurveté
devenait illusoire, outre que les rapports constants avec
les personnes du dehors, précisément commandés par les
conditions d'une vie si précaire, n'étaient rien moins que
favorables à la clôture et au travail sérieux et soutenu.
Sans doute, un esprit monastique et sacerdotal solide
eût résisté à ces dissolvants, mais pouvait on l'espérer,
alors qu'il n'y avait, à la base de la vie religieuse, aucun
vrai noviciat, alors qu'aucun contrôle ne pesait sur les indi-
vidus? Souvent le seul frein à tout cela était l'autorité plus
ou moins compromise d'un prieur claustral livré aux
mêmes difficultés, et obligé de lutter, tant pour son compte
que pour celui de ses religieux, contre les exigences du
bénéficier.
Cette conjuration de circonstances si peu propres à aider
le développement normal ou à maintenir les forces pour-
tant si vives de rinslitution monastique, n'excuse point
les faiblesses de ceux qui, loin de résister au couraut, se
- 2G9 —
laissaient douceraent entraîner par lui. Elle explique cepen-
dant, croyons nous, comment les mailles de la discipline
religieuse avaient pu s'élargir peu à peu ; elle fait toucher
du doigt, avec les causes du mal, les remèdes énergiques
qui s'imposaient, et l'inutilité des demi-mesures qu'on
avait essayé d'employer. Elle fait, en même temps, res-
sortir davantage le caractère vigoureux qui, dans les mains
de la Providence, fut l'instrument docile, destiné à rendre
une sève nouvelle au rameau desséché de l'arbre béné-
dictin.
Ajoutons à ces causes de décadence les trop nombreuses
vocations forcées, dont l'appoint ne pouvait certes com-
penser les lacunes d'esprit religieux et de discipline que
nous avons signalées.
Préoccupées d'assurer à leurs enfants une position sociale
honorable, les familles ne craignaient pas de les engager,
de les presser quelquefois avec menaces, d'entrer dans la
carrière ecclésiastique ou monastique, qui jouissait d'un
grand crédit. L'espoir plus ou moins problémalique d'ob-
tenir plus tard un riche bénéfice tenait lieu de vocation, et
les candidats, plus soucieux d'une situation matérielle que
d'avantages spirituels, s'inquiétaient fort peu des obliga-
tions de l'état où ils s'engageaient.
En compulsant les Archives de la S. Congrégation des
Evéques et Réguliers, nous avons pu le constater: presque
toutes les démarches faites à cette époque pour obtenir la
dispense des vœux de religion, s'appuient sur le défaut de
liberté, lors de l'entrée au monastère; nous avons mt^me
trouvé plusieurs cas, où les châtiments corporels n'y
avaient pas été étrangers.
Les efforts entrepris et les règlements dressés pour la
réforme dont nous voudrions retracer les phases, feront
d'eux mêmes ressortir les vices intérieurs qui s'étaient peu
à peu glissés dans la constitution monastique. Forle en
son cadre primitif, elle s'était malheureusement amoin
— 270 —
drie et débilitée sous Tinfluence des causes extérieures si-
gnalées. Nous nous sommes plus longuement arrêté en
face de celles-ci, parce que ce travail, fait surtout au point
de vue historique, doit relater tout spécialement les gran-
des raisons qui amenèrent la réforme entreprise par le pieux
et zélé prieur de Saint- Vannes de Verdun, Dom Didier de
la Cour de la Vallée.
Les sources auxquelles nous avons puisé pour cette étude,
sont principalement, parmi les imprimés :
Histoire du vénérable Dom Didier de la Cour, Réformateur
des Bénédictins de Lorraine et de France, tirée d'un ma-
nuscrit original de Tabbaye de Saint- Vannes, par un reli-
gieux bénédictin de la Congrégation de Sainl-Maur (1)
Paris, L-F. Quillau, 1772.
(1) L'auteur do. celle Vie est Dom Charles-Michel Haudiqier, reli-
gieux do l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Composée, selon Dom A.
Calmet, a d'après un mauvais manuscrit », cette vie a plus en vue d'édi-
fier le lecteur que de lui offrir un travail historique. Les dates y sont
trop rares, les événements enchevêtrés, et souvent les réflexions per-
sonnelles de l'écrivain y tiennent lieu de critique et de méthode. Ces
qualités étaient moins requises dans un ouvrage entrepris, ainsi que le
déclare l'auteur dans sa Préface, « pour ces personnes qui se font un
devoir de méditer avec attention les grands exemples que leur ont
laissé les héros du Christianisme, aussi bien que pour ses confrères ».
La difficulté de l'œuvre n'a pas échappé à Dom Michel, ainsi qu'il
'l'avoue, difficulté provenant surtout du manuscrit de Saint- Vannes,
a Après l'avoir examiné, dit-il, j'ai compris la difficulté de l'cnti-eprise.
En effet, rien de plus informe que ce manuscrit ; les faits y sont placés
comme au hasard, sans dates, sans liaisons, sans réflexions, sans cri-
tique: beaucoup de minuties, une multitude de petits détails... et un
style maussade. • Nous pourrions, à notre tour, regretter que Dom
Haudiquer ait trop suivi et imité son auteur. C'est une des raisons
qui nous ont fait abandonner le projet de le rééditer purement et sim-
plement, comme de savants amis nous l'avaient conseillé. Tout en fai-
sant de larges emprunts à ce travail divisé en deux parties dont le
commencement sérieux de la réforme marque le centre, nous nous en
écarterons pour l'ordre, et nous tâcherons d'y ajouter plusieurs docu-
ments importants pour l'histoire.
A chaque partie, Dom Haudiquer annexe un chapitre de notes inté-
ressantes, dont plusieurs, après contrôle, méritent de trouver place au
cours de notre travail. Il complète son œuvre par une Ode latine en
— 271 —
D. Hlmbeht Rollet (1) : La Vie du H. P. Dom Didier de la
Cour, Réformateur de la Congrégation de Saint- Vannes,
insérée au tome IV des Chroniques de l'Ordre de Saint-
Benoit, par Yepez, traduction française de D. Martin
Rétheiois (2), de la Congrégation de Saint- Vannes.
M. Jacqueline DE Blémur, Année bénédictine, tome de novem-
bre (14). Vie édifiante extraite en grande partie en vuede
prouver la vertu de son héros et renfermant de ce chef
bien des détails intéressants reproduits par D. Rhételois
et 1). Haudiquer.
D. Calmet. — Bibliothèque lairaine ou histoire des hommes
illustres,
D. Calmet. — Histoire de Lorraine,
D. Calmet. — Notice de la Lorraine,
Akmellinl •— Bibliotheci cassinensis,
l'honneur de son héros, ode accompagnée de sa traduction et composée
par Dom Simplicien Gody, de la Congrégation de Saint-Vannes (p. â70-
284) ; il la termine par une Apologie de l'état monastique (p. 281, fin).
(1) D. Hubert Rollet, que nous trouvons, dos l'origine de la réforme,
parmi les quatre premiers novices de Didier de la Cour, était k même
d'écrire une vie exacte de son maître, et de donner de nombreux dé-
tails sur l'œuvre du prieur de Saint-Vannes, dont il devint bien vite
l'auxiliaire dévoué. Dom Haudiquer a connu cette vie, écrite d'un style
agréable et naturel: nous y regrettons l'absence de dates, dont les his-
toriens de notre héros semblent avoir fait trop bon marché. Pourtant
la comparaison des deux textes nous a souvent guidé pour la suite des
événements, décrits avec plus de précision par D. Rollet. Nous revien-
drons ailleurs sur ce bénédictin de Saint-Vannes.
(2) D. Martin Rétheiois, bénédictin de la Congrégation de Saint-
Vannes, naquit à Verdun et fit profession à l'abbaye de Saint-Mihiel le
17 juin 1628. 11 a traduit de l'espagnol en français les Chroniques de
l'&rdre de Saint-Benoit, composées par D. Ant. Yepez, abbé de la Con-
grégation de Valladolid. Imprimé à Toul en 1G47 et les années suivantes,
l'ouvrage du P. Rétheiois contient, pour bien des mona8t^res, de nom-
breuses additions inconnues à Yepez.
L'obligeance d'un de nos confrères, D Alphonse Pothier, moine de
l'abbaye de Saint-Wandrille (anc. Fontenclle), nous a valu de posséder
la copie de tout ce qui touche à notre héros, dans les Chroniques de
Rétheiois, aujourd'hui rares à trouver. Nous sommes heureux de lui
exprimer ici toute notre reconnaissance. On ne nous incriminera point,
nous l'espérons, d'adresser le même tribut à notre frère, M. le curé de
Thiéfosse, qui a, pendant nos divers séjours dans les Vosges, mis à
•notre complète disposition sa belle collection lorraine.
— 272 —
DoM J. François. — Bibliothèque des écrivains de l'Ordre de
Saint BenoU, t. I.
Hklyot. — Dictionnaire des Ordres monastiques,
ZiEGELBAUER. — HistOTia m litterariœ 0. S, B.
D. Philippe Lecerf. — Bibliothèque de la Congrégation de
Saint-Maur, 1722.
Matricula religiosorum professorum cleric, et sac. Cong. SS.
Vitoni et Hidulphi, 1722.
Article dans VAlmanach de Bar, 1863.
Articlesdans le Kirchenlexicon, Moreri, Michaud, Feller, etc.
Article de M. Léon Germain sur la tombe de D. Didier de la
Cour, dans le Journal de la Soc. d'archéologie lorraine,
1891, p. 42 et 193 (aussi tiré à part).
Gallia christiana, passim.
L'Abbé Guillaume. — Histoire du diocèse de TotU.
L'Abbé Eug. Martin. — Histoire des diocèses de Tout, de
Nancy et de Saint Dié, II.
Robinet. — Pouillé du diocèse de Veixlun.
D. H. Belhomme. — Historia Mediani monasterii,
D. Joseph de L'Islr. — Histoire de l'c^baye de Saint-Mihiel.
Nous ne rappelons ici que les sources générales sur la
Congrégation de Saint- Vannes et Saint-Hydulphe, et la vie
de son fondateur. Les autres sources particulières seront
indiquées au cours du travail.
Parmi les manuscrits :
Paris. — Archives nationales de France, G. 553: Histoire
abrégée de V origine de la Congrégation de Saint- Vannes. —
Ibid., 991, Acti, Capitulorum generalium Congrcgationis
SS. VitOîii et Hidulphi usqice ad erectionem Congregationis
S. iîauriin liegno Galliœ, etc.
Bibliothèque nationale, Fonds latin 5208, pouillé de Toul,
12661, 12666, 12777, 12779, 12780 varia, etc , 13859. —
Instaurati in Gallia Dencdictini Ordinis seu Congrégation
— 273 —
nis S. Mauri Annales, auctore D. Josepho Mege, tomus I ;
Fonds français, Dupuy, Moreau, Brîenne, passim. — Col
lection de lorraine, 27J, 276. 284, 289, 329, 334, 453, 483,
497, 715, etc.
Rome. — Archives de la S. Congrégation des Evêques et Ré-
guliers, du commencement à Tannée 1620, lettres, B. T. V,
Rome. — Archives de la Consistoriale, Acta C, 3065, et R.
3067, p. 387, etc.
Rome. — Archives de la Secrétairie des Brefs, passim,
Rome. — Archives du Vatican, passim.
Rome. — Bibliothèque Angelica, Taxae monasteriorum. —
Lettres de Nonces.
Florence. — Archivio di Stato^ Titulus Refarmationum, t. II.
Meurthe. — Archives départementales, série H.
Nancy. — Bibliothèque de la VillCy n» 40; P. Abram, Histoire
- de l'Université de Pont-à-Mousson, trad. Marigothus.
Epinal. — Bibliothèque départementale,
Saint-Dié. — 80, xvi-xviH, Notes manuscrites de I). Calmet
sur la vie de Dom Didier de la Cour (1), et la Congrégation
de SaiJit- Vannes,
(1) Nous ne pouvons terminer cette revue bibliographique sans dire
un mot des notes recueillies par D. Pierre Munier, moine de la Con-
grégation de Saint-Vannes. Ce religieux, né à Paris en 1672, fut envoyé
en Lorraine pour y faire ses humanités. Entré à Saint-Mansuy deToul,
il y fit .profession le 7 juin 1689. Il s'appliqua à l'étude du grec, puis
devint professeur de théologie à Saint-Evre de Toul et fît, pendant
deux ans, des conférences au palais épiscopal de celte ville. D. Hubert
Belhomme, voulant faire composer l'histoire des réformes bénédictines
de Saint-Vannes, Saint-Maur et Cluny, jeta les yeux sur Dom Munier,
qui se mit à l'œuvre en 1710. Ses recherches et ses visites dans les
monastères durèrent trois ans, après lesquels il rassembla ses maté-
riaux en 14 volumes in-folio, qu'il rédigea ensuite en 6 volumes. Bien
que diffuse, dit D. Calmot, qui en a tiré bon nombre de noies pour
ses ouvrages, l'œuvre de Dom Munier est précieuse par la multitude
de détails qu'elle contient Du temps de l'abbé de Senones, les 14 volu-
mes de documents se trouvaient dans la Bibliothèque de Moyenmou-
lier ; les six volumes rédigés, dans celle de Senonos. La Révolution a
dispersé toutes ces richesses et il nous a été impossible, hélas ! malgré
de longues et minutieuses recherches, d'en retrouver la trace (cf. D.
Calmet, Bibl. lorr., art. Munier).
PREMIÈRE PARTIE
Do la naissance de Didier de la Cour
à la visite apostolique des monastères lorrains
1550-1605.
CHAPITRE PREMIER
Naissance de Dom Didier de la Cour (1550). Il entre à S. -Vannes (1568).
— L'abbaye. — La profession de Dom Didier (1575). — Ses études à
Pont-à-Mousson, à Reims, puis à Pont-à-Mousson (1578 à 1584). —
Ses essais de vie religieuse plus sévère. — Son voyage à Rome, de
1587 à 1589. — Il tente la vie érémitique ù Rarécourt (1589). — II
essaie la vie des Minimes (liiîK)). — II rentre définitivement à Saint-
Vannes.
C'est dans l'humble village de Montzéville (1), au fond
d'une riante vallée et à quelques lieues de Verdun, que
naquit Didier de la Cour de la Vallée. L'impossibilité de
retrouver son acte de baptême nous oblige à lui donner
dès maintenant déjà son nom de profession religieuse, le
seul connu jusqu'ici. On était à la fin de 1550 (2).
(1) Montzéville, village d'environ 600 habitants, situé sur le ruis-
seau de Montzéville, se trouve noté dans le cartulaire de S. -Vannes k
différentes époques : imonzei villa ei Flaviniacus (940) — Amensei
Villa (952) — Àmoncei villa (962)— Àmorrei villa (980) — Amonsei
villa (1047, 1061) — Villa Àmonseia (1049). Dans un diplôme de
l'empereur Othon, en ^9, on lit : Amonzei villa. Dans la Collection
de Lorraine (Paris, B. N., 266, p. 33: À mon zey vil le. Dans Wassebourg,
Àntiquilez de la Gaule belgicque : Montzéville (1549). Item, Coll. de
Lorr. 268, 49 A. 4, en 1515. Nous trouvons encore passim : Monzen-
ville (1549) — Monzey ville «1549) — Amouzeville (1564) — Motisse-
ville (lr)64) — Moiissuinville {VjQi), (1745).
D'apr^îs le Fouillé de 1460 (Bibl. nat., Moreau, 789, fol. 272), l'église
de Ste-Marie de Monzeville était à la présentation de l'abbé de Saint-
Vannes.
(2) Nous proposons cette date plutôt que celle de 1551 préférée par
— 275 —
Les parents de Didier « appartenaient aux plus ancien-
nes familles de Lorraine (1) )), quoique, à Tépoque où il
vint au monde, leur situation de fortune fût assez réduite.
C'est ainsi que parle Dom Haudiquer, sans nous donner
d'autres détails généalogiques du côté des De la Cour;
aussi pouvait-on se demander, jusqu'à nouvelle décou-
verte, pourquoi Dom Didier de la Cour ajoutait à ses
armes et à son nom ceux de « la Vallée ».
Une lettre de Dom Bénigne de la Haye (2), adressée de
Bouzonville à D. Calraet le 6 mars 1753, nous donne la clé
du problème en ces termes : « ... Ma 3* remarque (sur cer
« tains articles de la Bibliothèque hrraine de l'abbé de
« Senones) porte sur D. Didier de la Cour de la Vallée.
« Votre Révérence a supprimé de la Vallée avec tous les
« autheurs qui en ont parlé, si j'en excepte la mère de
« Blémur. Ce nom pourtant ne pourrait que faire honneur
« à ses disciples... Au surplus je n'ai vu nulle part que
(( dans votre livre, que M. de la Vallée resta à Saint-Vannes
M. L. Germain dans son article sur La Tombe de D. Didier de la Cour,
{Journal de la Société d'archêoL lorraine, 1891, p. 194, note 3.) Voici
nos raisons. En mettant la naissance de D. Didier à la fin de 1550, p.
ex. en décembre, il n'avait pas encore 73 ans au 14 nov. 1523, et cela
concorde bien avec l'inscription de la tombe : Aet. 72. — D. Rollet
{Chron. de Réthelois) est formel : Didier naquit... l'an jubilaire 1550.
EnGn, D. Calmet, dans son manuscrit (Bibl. de S. Dié, 80-XVI), dit de
même 1550, et le confirme en disant que Didier fut prêtre à 31 ans en
1581.
(1) Nous renvoyons pour la généalogie de Dom Didier de la Cour au
travail de M. Léon Germain, dont nous avons déjà parlé plus haut, sur
lu tombe du prieur de S. Vannes. 11 nous sera permis cependant de
signaler une opinion difTércnte sur l'origine do la famille de la Vallée,
que nous croyons venue de Bretagne. Nos recherches personnelles
n'ont rien ajouté, en dehors de ce détail, aux données de ce savant
article.
(2) D. Bénigne de la Haye, prof es à S. Hydulphe de Moyen mou tier
le 22 mai 1712, mourut au prieuré de Lay le 24 mars 1773.
La lettre dont nous parlons fait partie de la collection des Lettres
de D. Calmet conservées au Grand Séminaire de Nancy ; manuscrit,
n« 210.
-- 276 —
(( pour y euseiguer les jeunes religieux, mais seulement
« /). Didier, dont il était Voncle maternel (1) ».
Les premières années de Didier s'écoulèrent paisibles
à Tombre du foyer paternel. Les exemples de travail et
de piété suppléèrent pour lui à ce que le manque de
loisirs lui dérobait en soins de la part de ses parents.
Cette atmosphère de sérieux cadrait bien avec le tempé-
rament tranquille de l'enfant, éloigné des jeux bruyants
et trouvant déjà, aux heures de tristesse, une consola-
tion immédiate l\ la vue d'un livre. Bertrand de la Cour
ne se désintéressait pourtant point de l'éducation de ses
enfants, et, le soir, il aimait à les réunir autour de la
table de famille pour leur faire lire un ouvrage pieux, le
plus souvent la a Vie des Saints ». Didier trouva sans
doute dans ces premières lectures le germe de sa vocation;
il en garda toute sa vie l'habitude ; jamais dans la suite il
ne prit son repos sans avoir relu l'un de ces passages qui
avaient frappé son imagination et son âme d'enfant.
Bientôt l'épreuve vint frapper à la porte de cette maison
paisible : Didier n'avait que sept ans, quand une mort
rapide lui enleva son père : Bertrand de la Cour laissait
à Jeanne Bouoard la lourde et difficile tache d'achever
l'éducation de ses jeunes enfants. Trop faible malgré son
courage pour s'y soumettre seule, Jeanne crut prudent de
s'appuyer sur une main plus forte ; elle se remaria, ayant
en vue également de donner un prolecteur à ses enfants et
de sauvegarder plus sûrement leurs intérêts temporels (2).
Le nouveau chef de famille répondit mieux à la seconde
partie de sa tache qu'à la première, et l'éducation de ses
enfants adoplifs dut céder devant les embarras et les obli-
gations des affaires: plus tard toutefois, il songea à com-
pléter leur instruclion un peu négligée jusque là.
(1) D. Haidîqier, op. cit., p. 2(), indi(iuc bion que Christophe de la
Vallée 0 (Hait parent de ï). Didi<^r », mais il ne dit pas à quel degré.
(2) Aucun des historiens du réformateur ne nous a laissé le nom du
second mari de Jeanne Bouoard.
— 277 -«
Didier venajt d'entrer dans sa dix-septième année : il
était temps de Torienter vers une carrière et de lui en ouvrir
la voie par la connaissance des belles-Ietlres. Aussi bien
son caractère porté à Tétude que son désir de répondre
dignement aux exigences de son nom, le poussaient vers
une profession libérale : Verdun n'était pas loin, et les
Jésuites y tenaient un collège florissant (i) ; quelques
parents de la famille y résidaient et pouvaient offrir au
jeune étudiant un asile sûr et peu coûteux. Verdun fut
choisi, et Didier fut confié à une pieuse tante (2), qui Tac-
cueillit comme un fils. Le nouvel étudiant se mit à Tœuvre
avec ardeur, mais bientôt d'autres pensées surgirent dans
son esprit.
A peu de distance de la demeure de Didier, se trouvait
la célèbre abbaye de Saint- Vannes (3), et souvent la tante
et le neveu se rendaient à l'église du monastère pour y
assister aux offices des religieux.
Dédiée par saint Saintin, disciple de saint Denis, selon
une tradition, et premier évéque de Verdun, l'église, aujour-
d'hui placée sous le patronage de S. Vannes, portait au
(1) Le collège des Pères Jésuites fut établi en li>oS par N. Psaulmr,
évéque de Verdun, qui lui destina l'hépital appartenant k l'abbaye de
Châtillon. Tout d'abord tenu par des professeurs appelés de divers
lieux, il fut confié en loGo aux Jésuites, qui durent le quitter à cause
de la poste en 1568. Ils y revinrent en 1570, le transférèrent dans
l'bépital do Saint-Nicolas de Graviôre et y enseignèrent les humanités.
En 1593, un cours de philosophie y fut Institué, (cf. D. Calmet, Notice
de la Lorraine^ art. Verdun.)
(â) Quelle était cette tante ? Une sœur ou une belle-sœur de Jeanne
Boucard très probablement, comme nous pourrions presque le déduire
des relations inUmes de Didier avec l'un des Boucard, gouverneur de
la ville à cette époque, selon D. Haudiquer. Les autres historiens ne
nous donnent aucun indice précis.
(3) Voici ce que dit Mabillon au sujet de l'église de St- Vannes : Haec
insignis Basilica, olim extra muros, nunc in ipsa urbis arce posila,
]am inde a primis receptae cbrislianae religionis temporibus condila
creditur ; primorum illius urbis Episcoporum sepulttfra celobris...
Monachos sœculo decimo in illa basilica institutos fuisse constat, ma-
gno loci honore et ornamento, qui sanctissimorum inde monachorum
et anlistitum seminarium fuit. (Annal, bened., lih. %t, ad annum 753,}
— 278 —
début les titres des SS. Apôtres Pierre et Paul (1). Au
v° siècle, révoque saint Pulchrone transporta sa chaire à
l'église Ste-Marie, qui ne cessa plus depuis d'être le siège
épiscopal, et il mit à l'ancienne cathédrale une commu-
nauté de clercs chargés d'y célébrer TofTice divin. Peu de
temps après, l'évoque S. Vannes qui, par les sages réformes
imposées à la communauté nouvelle, en avait préparé la
destination dérinitive,fut enseveli dans l'église des SS. Apô-
tres, et son nom se substitua aux leurs. Au ix«» siècle, huit
prébendes furent créées par l'un de ses successeurs, Bérard,
et sous Bérenger, au x^ siècle, des moines y furent appelés
de Saint-Evre de Toul. Plusieurs chanoines et prêtres sécu-
liers, émus par un fait extraordinaire, avaient formé le
projet d'abandonner le siècle : Bérenger voulait les em-
pêcher de s'éloigner de Verdun. L'empereur aida l'évêque
dans son entreprise, en établissant une expresse défense
aux clercs de Verdun de se rendre dans d'autres monas-
tères que celui de Saint- Vannes (2).
Peu à peu, les possessions déjà assurées à l'église primi-
tive et cédées à la nouvelle abbaye se virent accrues, grâce
à la bienveillance dont l'empereur d'Allemagne, Henri II,
entoura le bienheureux Richard, abbé de Saint- Vannes (3).
L'âge d'or commençait pour l'abbaye tant au spirituel qu'au
temporel : le duc Frédéric, devenu moine, fut bientôt
rejoint dans le cloître par d'autres personnages nobles, et
la sage conduite du saint abbé donna à la vie de son
cloître une activité qui devait porter ses fruits dans le
fameux schisme suscité contre Hildebrand, le pape Gré-
goire VIL II y eut bien, dans l'intervalle entre la mort du
Bienheureux Richard, le 18 des Kalendes de juillet 1046,
(1) Gallia Christiana, dioc. Vird.
(2) Cf. Bullam Joannis XII A. 9;S6, confirmantis institutioncm et
possessiones Abbatiae.
(3) Richard fut abbé de Saint-Vannes de lOOi à 1046 (cf. Bollandistes
et Gallia christiana).
- 279 -
et réleclion du vaillant Rodolphe, un léger aiïaiblissement
de la discipline, sous le gouvernement du trop indulgent
Grimoldus (1), mais Rodolphe, élu en 1073, ramena facile-
ment la ferveur parmi ses confrères, et sa résistance éner-
gique au schisme de Cadaloûs mit une auréole au blason
de l'abbaye de Saint- Vannes. Chassé, avec la plupart de ses
moines, par révoque de Verdun, Thierry, partisan fana-
tique du schisme, Rodolphe s'enfuit vers la Bourgogne, où
il fut reçu à bras ouverts par Tabbé de Saint-Bénigne de
Dijon, Jarenton, et demeura sept ans dans cette nouvelle
abbaye (2). Pendant ce temps, Fulcrade, abbé de Saint- Paul
de Verdun (3), s'emparait du gouvernement de Saint-Van-
nes, d'accord avec l'évêque schismatique ; les quelques
moines laissés par Rodolphe dans son cloître de Verdun
furent amenés devant le prélat, mis en demeure de prêter
serment de fidélité à l'antipape Clément, et, sur leur refus,
dépouillés, fustigés et chassés ignominieusement de la
ville. Ils allèrent rejoindre leurs frères à Dijon.
En 1088, le successeur de Thierry sur le siège de Verdun,
Richer, rappela les moines de Saint-Vannes (4) ; mais, à sa
mort, Richard, nouvel élu, reprit contre eux les armes de
la persécution. Profitant d'une absence de Laurent, succes-
seur de Rodolphe dans l'abbatiat (1099), Tévéque se pré-
valut de l'investiture que, par privilège extorqué au pape
(1) Grimoldus, 1060 ad 1075, 6 déc, quo fuit remotus a rcgimlne
{Gallia christiana).
(2) Ce fut l'occasion d'une union étroite entre les deux monastères
[Gallia christiana).
(3) L'abbaye de Saint- Paul do Verdun était encore occupée à ce
moment par les bénédictins. Ce n'est qu'au douzième siècle qu'elle fut
cédée aux Prémontrés. C'est le môme Fulcrade qui fut envoyé par
l'Évéque Richer pour sceller l'autel de saint Michel, au moment où
cette église voulait passer de l'évéché de Verdun à celui de Toul (Bou-
quet, t. XIII, p. 624).
(4) Richer après avoir obtenu l'absolution du Pape, voulut recevoir
celle des moines et du clergé de Verdun. Il mourut en 1107 et fut
enterré à Saint- Vannes, suivant son désir, devant l'autel de saint
Laurent.
— 280 -
Pascal, il avait reçue, par la crosse et Tanneau, des mains
de l'empereur Henri. Les moines se refusèrent à le recon-
naître et interdirent même, à quelque temps de là, au
clergé de la ville, la participation à la fête de saint Vannes,
célébrée d'ancienneté par les moines réunis au clençé.
Celui-ci s'insurgea contre cette défense ; des scènes san-
glantes s'ensuivirent. L'évêque interdit l'abbé, qui se
retira une seconde fois, avec ses moines, à Saint-Bénigne
de Dijon. Hugues de Flavigny (1) lui fut substitué par
l'évêque, dont la mort seule, en 1114, mit fin à ces tristes
événements. Laurent reprit le chemin de Saint-Vannes, où
il vécut jusqu'en 1139, occupé à reconquérir à son abbaye
les biens usurpés et détenus par l'évêque Henri, successeur
de Richer.
Conon, élu en 1142, pour remplacer Ségardus, mort
aussitôt après sa confirmation dans Tabbatiat, développa
les possessions de l'abbaye ; il l'entoura d'un mur d'en-
ceinte; il s'occupa activement d'honorer saint Vannes, dont
il fit l'exhumation et la translation en un lieu plus hono-
rable, le V des ides denov. (9 nov. 114.). C'est sous son
abbatiat que les églises de Flavigny et de Neuviller furent
unies au monastère.
Les siècles suivants se passèrent sans incident remar-
quable pour les moines de Verdun : la commende vint là,
comme ailleurs, préparer, dès le milieu du xv» siècle, la
décadence temporelle et spirituelle de la noble abbaye, que
nous trouvons finalement, en 1572, unie à l'Evêché de
Verdun. Ce fut son salut, ainsi que nous le verrons.
(i) Hugues de Flavigny, dans sa chronique poussée jusqu'à l'an HOO,
a laissé une « Historia monasterii S. Vitoni Virdunensis » Bibl. nal.,
lai., 12780, fol. 339-348) cl une a Vita D, Richardi Abbatis n {Ibid., fol.
349-3G2).
On peut aussi consultor la chronique ou hisloirc des évéques de
Verdun, écrite par Laurent de Liègo, pour faire suite à celle de Ber-
lairc et à celle d'un moine anonyme de Salnl-Vannes (cf. Bouquft,
l. XIU, p. 028, note).
~ 281 -
Au point de vue du temporel, la misère h*avait pas
épargné les moines de Saint- Vannes, surtout après la divi-
sion des menses en abbatiale et conventuelle.
Taxée en cour romaine à 66 florins 2/3 (1), Tabbaye de
Saint-Vannes était inscrite aux a Rolles de décimes » pour
800 francs (2) ; elle avait sous sa dépendance plusieurs
prieurés (3) : Flavigny-sur-Moselle, au diocèse de Toul ;
Neuviller-Saint-Pierre, au diocèse de Toul ; Chaudefon-
taine, au diocèse de Chftlons; MontSaint-Martin, près de
Longwy ; Munau ; Auzécourt ; Paul-Croix, etc., et de nom-
breuses paroisses : 20 au dioc. de Verdun ; 10 dans celui
de Toul ; 7 dans celui de Trêves ; 2 dans celui de Liège ;
2 dans celui de Cbàlons ; 1 dans celui de Metz, dont la
collation était au choix de Saint Vannes (4).
(1) BiBL. AuG. il2, Taxœ monasteriorum, p. 438, >•.
(2) BiBL, Nat., Moreau, 789, p. 278. Rôle du xV siècle.
(3) BiBL. Nat., CîoU. de Lorr., 715, f. 148. Robinet, Fouillé ^u dioc.
de Verdun, t. I, p. 205.
(4) Au dioc. de Verdun— Dec. Urban. : Eccl. S. Pétri Angelati.—
Dec. de Forgiis : Monzeville; S. Nicolai de Chastancourt^ cum annexa
de Cuniinier ; Marre; Neufville, cum annexa de Vacherauvifle; Samo-
giieux^ cum annexa de Haulmont ; Maulcourt^ cum annexa de Mogeville
et de Gincrey. Dec. de Claromonle : Eccl. de Parois^ cum annexa de
Uraucouri; Rarecourtj cum annexa de lulneconrt.Dec. deSoullerlis:
Kccl. de I}u//a mt;i7/e (postea uniia eccl. de Nub€Court).Dec. deSancto
MichaClc : Eccl. do Tilly, cum annexa de Villers ; de Boucquemonl.
Dec. do Hattonls Castro; Eccl. de Morville^ cum annexa de Lavigneville
et de Dounoux. — Bibl. Nat., Moreau 789 ; Rotulus Eccles. Parroch.
civ. et diocesis Virdunensis necnon patronorum et collatorum
earumdem.
Au dioc. de Toul. — Dec. de Spinallo : Eccl. de Igneyo. Dec. de Sainc-
toix : Eccl. de Flavigniaco^ de Novovillari, de Wadevilla^ de Hode-
monte, de Granlheno, de Haplemonte, de Curvocampo, de Girber-
cnria. Dec. de Danubrio : Eccl. de Enviaulx. Dec. de Porlu : Eccl. de
Esseyo ad Nanceyujn. Dec. de Prineyo : Eccl. de Esseyo in Vippria,
Bibl. nat., at. 5208 : Regestruni Ecclesiarum Tullens. 1402. Cf. Lepage.
Fouillé du dioc. de Toul.— In docanatude Bazellles : Eccl. de Bellodio^
de Rchont. Dec. de Luxemburg: Eccl. Boviovillarium. Dec. Arluneus.
Eccl. de Longuico, de Villari-monle. Bibl. nal., Acta riaitattomn. Coll.
de Lorr., 270, f. 126, 148, 153, 156.
L'abbaye de Saint-Vannes possédait également l'ermitage Saint-Fir-
min, près Dieulouard. Il fut donné plus tard (le 24 déc. 1574), aux
19
— 282 —
Mais cette influence qui pouvait, en d'autres conditions
et d'autres temps, sembler un signe de richesse, devait
plutôt accroître les charges de l'abbaye que les dimi-
nuer à répoque où nous sommes.
De l'antique gloire du Mont Saint- Vannes, il ne restait, à
vrai dire, que le culte divin, entretenu soit par la nécessité
de répondre aux exigences du chœur, soit par une sorte de
tradition familiale.
Située hors des murs de la ville et dominant la vallée de
la Meuse, Téglise de l'abbaye gardait encore, à la fin du
xvi® siècle, avec l'un des plus riches trésors de reliques, un
reste de cachet médiéval.
Son portail roman du xii« siècle, flanqué de deux tours
du môme temps, formait un contraste original avec le
vaisseau à trois nefs de style gothique, percé de grandes
fenêtres à meneaux et coupé brusquement sans abside à
l'extrémité.
De nombreux corps saints reposaient dans les diverses
chapelles ; c'ét^iient ceux des saints évoques Saintin (1), Pul-
crone. Possesseur, Firmin (2), Vannes et du Bienheureux
abbé Richard. La piété des fidèles les entourait d'une con-
fiante vénération et, aux temps de calamités, venait les
invoquer par de pressantes prières ; saint Saintin était
l'objet d'un culte spécial dans ces moments d'angoisse ; les
processions, faites avec la châsse qui renfermait ses restes
vénérés, étaient presque toujours suivies d'une accalmie ou
d'un signe évident de la protection divine. Les Annales de
Jésuites de Pont-à-Mousson pour en faire leur maison de campagne.
Ce fut la contribution de l'abbaye à la fondation de la célèbre Univer-
sité (Martin, L'Univeraité de Pont-à-Mousson, op. cit.).
(i) Saint Saintin était mort à Mcaux vers 336. Son corps n'avait été
transporté i\ Verdun qu'au xi" siècle.
(2) Le corps do saint Firmin fut transporté dans l'église du prieuré
do Klavigny sur-Moselle, dépendant de l'abbaye de Saint-Vannes, par
le Bienheureux Richard, selon l'abbé Guillaume {Notice sui' te prieuré
de Flavigny), ou par Humbert, 3' abbé de Saint- Vannes (952-972), selon
le P. Benoit Piciirt, dans son Pouillé du diocèse de Tout (art. Flavigny).
-283 -
Tabbaye mentionnent, à ce sujet, nombre de faits justi-
ficatifs.
Il se formait ainsi comme un courant surnaturel autour
de ces tombes saintes, vers lesquelles un puissant attrait
conduisait les pèlerins. Didier de la Course laissa douce-
ment entraîner au bonheur qu'il ressentait dans ces visites,
et les multiplia autant que ses loisirs le lui permirent.
Quoique, pour le reste, les religieux de Saint-Vannes se
fussent relâchés de Texactitude monastique, jamais ils
n'avaient négligé Toffice divin, et ils se faisaient un point
d'honneur de remplir V « Œuvre de Dieu », comme dit
saint Benoit dans sa Règle, avec toute la dignité et la solen-
nité possibles. Leur église était très fréquentée ; on y
goûtait le chant, et les cérémonies s'y déroulaient avec une
aisance et une ampleur qui ravissaient les assistants. L'àme
pure et sérieuse de Didier fut bien vite pénétrée de cette
grande et imposante voix de l'Eglise, et son cœur fut peu
à peu attiré vers cette vie où la prière tient la première
place, et où les lèvres peuvent à l'aise traduire les senti-
ments de la plus haute et de la plus tendre piété.
Après quelque temps de réflexion, le jeune étudiant
s'ouvrit à sa tante des impressions et des désirs qui l'enva-
hissaient; finalement il la persuada de consentira quel-
ques démarches auprès des religieux, dont il brûlait de
devenir le compagnon, ne fût ce que sous l'humble livrée
du convers (1). Ne connaissant que très peu les belles-
lettres, et point du tout la langue latine, il n'osait pré-
tendre au rang de religieux de chœur. Dieu en avait dis-
posé autrement; par un concours de circonstances où
l'amour-propre humain de ses parents tint une large place,
Didier fut admis à Saint Vannes comme novice de chœur
(I) Nos lecteurs savent que les religieux des abbayes, à partir du
moment où le nombre des prôtres s'y accrut, furent divisés en deux
catf^gories principales : les religieux de chœur voués à l'oftice ou au
culte divin et c'i l'étude, et les religieux convers ou laïcs, chargés des
emplois matériels et des travaux manuels.
sur la demande, presque sur Tordre, de l'évéque de Ver-
dun (1). Son entrée eut lieu vers 1568.
Dans ces conditions, elle ne pouvait assurer au nouveau
venu la bienveillance des anciens. Comment, avec un
esprit surnaturel si débilité par le reh^chement, eussent-
ils dominé le mépris qu'ils ressentaient pour ce postulant
dénué de fortune et d'instruction ? Celui-ci n'avait à son
actif qu'une voix assez belle et souple déjà formée au
plain chant. C'était bien peu pour gagner leurs bonnes
grAces !
Du premier jour de son noviciat, Didier fut un vrai
religieux par sa régularité, ce qui ne corrigea pas en sa
faveur les fâcheuses dispositions de ses confrères. Sans la
ténacité humble et patiente qui faisait le fond de son ca-
ractère, le modeste postulant n'aurait pu résister aux mau-
vais procédés et aux mauvais traitements dont on usa
envers lui ; ces mômes qualités, fortifiées par un sin-
cère et inébranlable désir de la vie religieuse, finirent par
toucher le prieur de Saint-Vannes, Dom Ancelin, et un
autre moine, Dom Boncompan. Tous deux levèrent l'in-
terdit qui pesait sur le pauvre rebuté, dont personne ne
voulait s'occuper, et tentèrent de lui enseigner les éléments
de la langue latine. L'Age de l'élève et l'irrégularité des
leçons firent obstacle àdesprogrès sérieux: il fallut re-
courir à un maître du dehors. L'évoque, dont la sollici-
tude ne s'était pas démentie en faveur de Dom Didier,
confia celui-ci à un jeune professeur qui commençait alors
à se distinguer dans la ville de Verdun, Christophe delà
11) Didier s'étant ouvert de son dessein ù son oncle materne], qui
était aussi son tuteur, celui-ci s'opposa formellement à l'entrée de son
neveu comme convers à Saint- Vannes. Les religieux ne voulaient
point l'admettre à un autre titre. Le sieur Boucard, alors gouverneur
de Verdun, s'en plaignit k l'évéque, Nicolas Psaulme, qui usa de son
inQuence et de son autorité pour obliger les moines ù recevoir, parmi
les novices île rhuMir, son jeune protégé.
— 285 —
Vallée (1), oncle maternel (le Didier. Après quelques mois
de leçons, et grAceà une application soutenue, l'élève était
en état de travailler seul II se mit à traduire en français
la Règle de saint Benoît (2). Malheureusement le départ de
Christophe de la Vallée, appelé à d'autres fonctions, le
laissa trop tôt livré à ses propres forces.
Le noviciat de Dom Didier fut long Enfin le 21 mars
1575, il eut le bonheur de faire profession dans Téglise de
Tabbaye de Saint Vannes. Peu lui importaient les épreuves:
il avait réalisé son dessein ; il était moine.
Peu après sa profession, le prieur de Saint- Vannes, d'ac
cord avec D Boncompan^ résolut de renvoyer faire ses
études à Pont-à-Mousson : le monastère et la famille s'en-
gagèrent à payer concurremment les frais du voyage et du
séjour à la nouvelle Université (3). Un jeune religieux,
D. Claude François, non encore profès, lui fut adjoint
comme compagnon ; il devait être plus tard le bras droit
du Réformateur.
(1) Christophe do la VaUôc, né à Abrainvillo, dans le Clcrmontois,
au diocèse de Verdun, était fils de Christophe de la Vallée et de F*cr-
rette Richierde Vandelaincourt. Il étudia en théologie à l'Université de
Paris et obtint du Pape en commcnde l'abbaye cistercienne de La
Chalade. Chargé par le Duc Charles de Lorraine et Catherine de Vau-
démont de l'éducation du jeune prince Erric de Vaudémont, il sut se
concilier la bienveillance du duc, et, peu de temps après, il fut nommé
d l'évôché de Toul (1;)87.). Il le gouverna vingt ans et mourut dans sa
résidence de Lifcrdun, le 27 avril 1607. (D. Haudk^ukr, !'• partie,
note 10.)
(2) Dans la lettre de D. Bénigne La Haye, citée plus haut et adres-
sée ù D. Calmcl, nous lisons : V. R. marque : « et son plus grand
plaisir (de Dom Didier) était alors de mettre en français, i'i l'aide d'un
dictionnaire, tiuehiues lignes de la règle de S. Benoit ». Mes mémoires
portent qu'il la traduisit entièrement et qu'il y réussit très bien, après
y avoir pris une peine indicible et s'y être appliqué avec un travail que
l'on ne pourrait pas exprimer aisément. Il avoua, dans la suite, que la
prière aux pieds du Crucifix lui avait été d'un puissant secours et
qu'il y avait puisé des lumières dans les diflicultés les plus épineuses.
|3) LTniversité de Pont-à-Mousson venait d'être fondée par la Bulle
de (irégoire XIII In Superennnenti du ;> décembre 1572, ù la demande
du Cardinal de Lorraine en ce moment à Rome, et confiée aux Jésuites.
(Cf. Martin, op. cil.)
— 286 —
Dom Didier fut reçu en troisième à Pont-à-Mousson la
veille des calendes de « mars de Tannée 1578 », dit le
P. Abram (1) ; le professeur d'humanités était, cette année,
le P. de Surmond. A la fin de sa troisième année, une épi-
démie le força de quitter Pont-à Mousson, pour aller conti-
nuer momentanément ses études à Reims (2), où il fut reçu
en rhétorique. L'épidémie arrêtée, il revint à Pont-à-Mous-
son. y fit sa philosophie, sous le Père Clément du Puy, et
commença en 1581 sa théologie, qu'il continua avec succès
jusqu'en 1584. Dès la première année, ses supérieurs,
pour récompenser sa ferveur et son travail, l'avaient fait
ordonner prêtre. Ce dut être vers la fin de 1581.
Le cours ordinaire des études achevé, Dom Didier ren-
tra à Saint- Vannes, où il ne fit que passer, car sa vie exem-
plaire ne put s'accommoder du relâchement général, et
ses confrères, pour qui cette vie était un reproche tacite,
avaient le désir de l'éloigner encore. Les succès remportés
par lui dans son premier cours leur fournirent un pré-
texte pour lui persuader de retourner à Pont-à Mousson,
afin de s'y perfectionner dans l'étude de la théologie et des
langues grecque et hébraïque. Ainsi, par un aveuglement
providentiel, ils s'employaient maintenant à mettre
au dessus du niveau intellectuel ordinaire celui à qui ils
(1) Histoire do TUniversilé de Pont-à-Mousson, Iradullc par Marigo-
thus, manuscrit, Bibl. rie la ville de Nancy, n" 40, t. IV, p. 123.
Nous croyons qu'il y a erreur, car, on tenant compte des diverses
données que nous avons, nous «établirons ainsi les études de Dom
Didier : entrée en 3% mars 1577 (la peste vint cette année-l^: Cf. Mar-
tin, oj). cit., p. 3i) ; entrée en Rhétorique, octobre 1577, à Reims, où
Didier fut dispensé de la Seconde : entrée en Philosophie h Pont-à-
Mousson, octobre 1578 à 1581 ; entrée en Théologie i\ Pont-à-Mousson,
octobre 1581,
(2) Cf. Cauly, Hiatoire du Collège des lions- Enfants de ^Université
de Reims : Reims, 1885, p. 682. Les Recteurs de l'Université de Reims
furent, en 1758, Jean Anceltn, et, en 1581, Michel Ancelin. Nous avons
dit que le prieur de Saint-Vannes, Dom Ancelin, fut l'un des deux pre-
miers religieux gagnés d la cause de Dom Didier de la Cour. Le séjour
k Reims n'aurait-il pas eu pour occasion quelque rapport de parenté
entre ces divers personnages de même nom ?
— -^87 —
s'étaient refusés d'apprendre les éléments du latin. Dum
Didier acquiesça à leur désir et retourna à TUniversité.
Déjà Maître es Arts, il compléta son éducation théolo-
prique. 11 surveillait, en même temps, celle d'un cousin, le
fils du sieur Boucard, gouverneur de Verdun, dont nous
avons parlé et qui avait témoigné le désir de voir Dom
Didier s'occuper de ce jeune homme. Dom Didier dut bien-
tôt abandonner cette tâche, le succès ne répondant pas à
ses efforts.
A côté de cette épreuve, Didier de la Cour trouva, durant
son troisième séjour à l'Université, une compensation
dans l'amitié de deux étudiants pieux et travailleurs
comme lui, qui plus tard devaient avoir sur deux Congré-
gations célèbres la même inlluence que lui sur celle de
Saint- Vannes : Pierre Fourier(l), le saint curé de Mattain-
(1) Né il Mirecourt, le 30 novembre 156:5, Ue Deman^^c ou Dominique
Fourier et do Anne Nacquard, et envoyc!' de bonne heure à l'Université
de Pont à-Mousson, où il fit toutes ses classes de grammaire et de phi-
losophie avec un succès remarquable, que rien ne dépassait, sinon sa
piété angélique. En li>8o, il entra comme novice ù l'abbaye des Cha-
noines réguliers de Saint-Augustin à Chaumousey, retourna ensuite'
à Ponl-à-Mousson pour y faire sa théologie, fut ordonné prêtre à
Trêves en li589. En liSÎK), il choisit, parmi les paroisses qu'on lui offrait,
la pauvre cure de Mattaincourt, qu'il transforma par ses exemples et
ses prédications. En 1597 il institua la- Congrégation de Notre-Dame
avec l'aide de la Mère Alix le Clerc, première recrue de son Institut ;
en 1598, il écrivit le Règlement provisionnel qui devait servir de base
aux vrayes constitutions de la Congrégation de Notre-Dame. L'ins-
titut se propagea rapidement. En 1621 il entreprit la réforme des cha-
noines réguliers, réforme approuvée par bulle du 2 novembre 1G28,
pour la nouvelle Congrégation dite de Notre Sauveur. (Rogie, Histoire
du Bienheureux Pierre Fourier, Verdun, Laurent.) D. Haudiqucr ré-
sume ainsi les rapports des trois réformateurs : « On peut dire qu'a-
prés avoir opéré la réforme des Bénédictins, Dom Didier de la Cour
n'inOua pas peu, par ses avis, dans celles des Prémontrés et des Cha-
noines Réguliers » {op. cit., p. 219). S. Pierre Fourier mourut en 1610.
V. aussi, sur le même sujet, l'intéressant article de M. le chanoine
Jules Didiot dans le Bulletin de la Canonisation du Bienheureux
Pierre Fourier du 2 avril 1897. Le savant professeur de l'Université de
Lille, retraçant en quehiues lignes la vie édifiante des trois futurs
réformateurs, lorsqu'ils faisaient ensemble leur philosophie à VÀlma
Mater, ajoute qu'il possède le Dictionarium trilingue de Sébastien
— 288 —
court, réformateur des Chanoines réguliers de saint Au-
gustin, et Servais de Lairuels (1), réformateur des Pré-
montrés.
La régularité de leur vie, leur goût pour le travail et
pour la piété, les réunissaient bientôt dans une étroite et
sainte amitié. Ils habitaient même ensemble, au m 21 de
la rue du Camp, dans la maison Munier.
Munster, imprimé h Bâle en 1543, dont fr. Didier de la Cour dut se
servir il Ponlà-Mousson. Il porte cette inscription , Ego su m fratris
Desiderii a curia ».
(1) Servais de Lairuels naquit en 1562 ù Soignies, dans le Hainaut ;
il était le neveu du prieur de l'abbaye de Saint-Paul de Verdun, de
l'ordre des Prémontrés. Il entra dans celtp abbaye et y fit profession
en 1580. C'est alors qu'il vint à Pont-à-Mousson commencer ses études,
qu'il termina à Paris. Rentré à Pont-à-Mousson, il y vivait k la façon
relAchée de ses confrères, quand une maladie réveilla son zèle. Un ins-
tant il songea à rejoindre Dom Didier de la Cour à Saint- Vannes ; mais,
retenu par son directeur, U commença à mener personnellement une
vie plus austère, attendant l'heure où il pourrait la faire adopter par
ses confrères. Nommé visiteur de la circurie de Lorraine, il vint à
Pont-à Mousson, où l'abbé de Sainte-Marie le prit en estime et le de-
manda comme coadjuteur. Servais obtint les Bulles et succéda pou
après ik Daniel Piciirt. Grâce à ses elTorts bénis de Dieu, la ferveur
commença à renaître à Sainte-Marie et bientôt les règles tracées pour
ses religieux sous le titre de Optica regularium se répandirent dans
plusieurs abbayes et permirent h l'abbé de Pont-à-Mousson d'obtenir
pour «on Ordre, le 18 juillet 1617, une Bulle de réforme générale. Ce fut
le principe de la Congrégation des Prémontrés dite de Sainte-Marie
Majeure ou de l'antique rigueur. Servais de Lairuels mourut le
18 octobre 1631 k Sainte-Marie-aux-Bois (Eug. MarUn, Servais de
Lairuels et la réforme des Prémontrés, Nancy, Vagner, 1893).
(Sur S. Pierre Fourier et Servais de Lairuels voir le résumé de leur
réforme dans le savant ouvrage de M. l'abbé Eug. Martin, Histoire des
diocèses de Tout, de Sancy et Saint-Dié, t. H, livre VIII, chap. 3 et 4.)
CHAPITRE II
Essais d'une vie religieuse plus austère à Saint- Vannes. — Voyage de
Dom Didier à Rome (1587 à 1589). Sa vie érômitique à Rarêeourt,
i589. — wSon entrée chez les Minimes. — Son retour définitif ii l'ab-
baye de Saint-Vannes, 1590.
Lorsque Didier de la Cour rentra à Saint- Vannes (1), il
trouva les choses dans le môme état qu'à son départ. Sans
doute, on n'y était point choqué par les graves scandales
que Ton pouvait reprocher à d'autres abbayes : l'office
divin, nous l'avons dit, s'y faisait avec décence, mais la
vie, en dehors de ce seul point resté intact, au moins exté-
rieurement, s'y passait dans l'oisiveté ; les religieux, au
sortir de l'église, se répandaient dans la ville, ou attiraient
dans l'abbaye des jeunes gens pour jouer avec eux ; quel-
ques-uns môme ne se gênaient point pour y recevoir des
dames, au détriment des règles de la clôture. Aux travaux
intellectuels avaient succédé la légèreté et la dissipation ;
à l'austérité et au silence, la vie facile ; les exercices de
piété étaient devenus individuels, de publics et communs
(1) Combien de temps dura le troisième séjour de Dom Didier à
Pont-à- Mousson ? Nous ne le savons pas au juste. Le cours complet des
études théologiques, nous apprend M. l'abbé Martin, était de six ans.
Dom Didier ne fît certainement pas trois nouvelles années en plus de
colles écoulées de 1581 à 1584. D'autre part, d'après les historiens de
Pierre Fourier, celui-ci, entré en 1585 chez les Chanoines Réguliers,
profès en 1586, serait revenu alors à Pont-à-Mousson, où il aurait
connu Dom Didier. Cela nous parait difficile ; car, entre sa rentrée à
Saint-Vannes et son voyage à Rome (nov. 1587), Didier de la Cour eut
le temps d'être à deux reprises maître des novices. Quatre mois sont
bien courts pour cela. Nous croirions donc plus volontiers que D.
Didier connut P. Fourier et^ Servais de Lairucls dans son premier et son
deuxième séjour ù Pont-à-Mousson, et qu'il ne passa guèr?, que deux
années k l'Université dans son troisième séjour, c'est-à-dire les armées
scolaires de 1584 à 158G. 11 aurait donc pu connaître P. Fourier, avant
qu'il fût Religieux, pendant ses études de grammaire, et aussi peut-être
de 1584 à 1585.
— 290 —
qu'ils devaient être. Il fallait, pour vivre en vrai religieux
dans un tel milieu, une force de caractère peu commune,
et une grande patience.
L'autorité que la science donnait au nouveau maître
sorti de Pont-à-Mousson,lui fit un devoir de chercher, dans
son humble sphère, à enrayer un tel désordre: les difficul-
tés que sa vie, contrastant avec celle de ses confrères, lui
suscitait chaque jour davantage, le poussèrent à une dé-
marche auprès de révoque de Verdun, abbé de Saint-
Vannes, le prince Charles de Lorraine, cardinal de Vaudé-
mont (1). L'intervention du Cardinal, à la suite de ces
plaintes, n'eut pour effet que d'irriter plus violemment les
esprits contre celui qui était la cause, on Ten soupçonnait
du moins, des reproches faits par l'évoque. Le premier
pas était franchi ; l'humble et fervent religieux fit le second
en acceptant la charge de Maître des novices, dans l'espoir
de former un noyau de jeunes uioines échappés à la perni-
cieuse influence des anciens. Ceux-ci malheureusement ne
lâchèrent point prise, et ce fut le Maître des novices qui
dut céder la place au mauvais vouloir, ne pouvant assez
soustraire ses disciples à l'atmosphère de relâchement qui
les entourait. Une seconde fois, il reprit le poste abandonné;
une seconde fois découragé, il dut le quitter. Le cardinal
intervint de nouveau et, convaincu de l'inutilité des demi-
mesures, menaça les moines d'une réforme complète, s'ils
ne voulaient accepter de vivre plus conformément à leur
état. Il appela môme à Verdun le prieur de Senones, Dom
Poirot, pour s'entendre avec lui sur les bases de la réforme.
(1) Charles de Lorraine, Cardinal de Vaud«'îmont, né en 1539 au châ-
teau de Nomeny, de Nicolas de Lorraine, comte de Vaudémont, et d'Anne
de Savoye-Nemours, (étudia k Pont-à-Mousson, où il soutint avec succès,
en 1579, plusieurs thèses sur l'Eglise, sous la direction du P. Luc
Pinelli, son professeur. Il fut, peu de temps après, nommé cardinal,
puis évoque de Toul. En 15K), il passa à l'évéché de Verdun, et mou-
rut deux ans après, laissant la réputation d'un émule de saint Charles
Borromée (28 octobre 1857). (Hauuiqurr, note 17; Martin, Wniver-
site de Pont'à'Mousson.)
— 291 —
Les religieux de Saint- Vannes prirent sérieusement peur,
et usèrent de leurs dernières ressources pour échapper à
ces menaces. La mort du cardinal, survenue le 28 octobre
1587, les rassura pour un moment, mais ils cherchèrent à
éloigner l'auteur de toutes ces tentatives de réforme, en
profitant de Toccasion favorable qui se présentait à eux.
L'abbaye de Saint- Vannes, possédée en commende par le
célèbre Cardinal de Lorraine, archevêque de Reims (1), avait
étécédée parlui, et transférée à Tévêché de Verdun en 1572,
malgré la résistance des moines. A sa mort, ils reprirent
espoir d'obtenir la désunion de Tabbaye de la mense épis-
copale, tant pour échapper aux charges matérielles de la
commende, que pour éluder, du môme coup, l'autorité des
évoques de Verdun. On en tint conseil, et il s'en suivit qu'on
proposa à Dom Didier de la Cour de poursuivre celle aflaire
en cour de Rome ; bien entendu, on ne mil en avant que la
gloire de l'abbaye, le bien qu'elle ressentirait de la désu-
nion, et même l'intérêt de la réforme, que tous déclaraient
désirer. On le voit, rien ne manquait à l'intrigue. Il fut, de
plus, assuré que personne, en dehors des moines, ne sau-
rait le but du voyagea Rome; qu'il serait représenté comme
un simple pèlerinage, et qu'enfin, une fois arrivé dans la
Ville éternelle, rien ne ferait défaut au mandataire, ni
pour sa subsistance, ni pour les dépenses nécessaires à
l'entreprise.
(1) Nous devons corriger ici une faute de D. Haudiquer. A la page 45
de son ouvrage, il dit : a Les moines devaient cependant se souvenir
qu'après la mort du Cardinal de Lorraine, prédécesseur immédiat de
M. Psaulme, ayant élu pour leur abbé M. Toussaint Hocédy, depuis
évéque de Toul, ils n'avaient pu le maintenir. » Or le cardinal prédé-
cesseur de Psaulme à Verdun mourut en 1573. Toussaint Hocédy était
mort en 1565. La vérité est que, en 1548, Nicolas de Lorraine résigna
son abbaye de Saint-Vannes au Cardinal Charles de Lorraine, qui en fut
abbé jusqu'en 1575, et eut pour successeur Nicolas Psaulme. La « Gal-
Ha n marque, comme cinquantième abbé de Saint-Vannes, Toussaint Ho-
cédy, de 1554 à 1565, époque de sa mort. Il est à croire que les moines
l'élurent en effet, mais que le cardinal garda sa commende. Il n'était
pas question alors de désunion, l'union n'ayant eu lieu qu'en 1572.
Cf. RoBi.NET, Fouillé de VerduUy et la Gallia christiana.
— 292 —
Doni Didier demanda quelques jours pour réfléchir. Soit
désir de rendre service à son abbaye, pour laquelle il pro-
fessait un sincère amour, soil nécessité d'échapper pour
quelque temps encore à ce milieu peu propice à une ré-
forme durable, soit enfin occasion de visiter des sanctuai-
res chers à son ame si profondément pieuse, il se laissa
persuader. Une des visées de ses confrères lui échappa :
ceux-ci lui avaient représenté les droits de l'abbaye comme
indéniables ; mais, dans le fond de leur pensée, ils n'étaient
pas aussi assurés qu'ils le disaient du succès de leur cause.
Peu leur importait; en cas d'échec, ils seraient les pre-
miers à désavouer leur mandataire et à rejeter sur lui toute
la responsabilité des démarches faites en leur nom :
l'évoque vainqueur ne pardonnerait pas facilement à son
adversaire vaincu, et celui ci ne pourrait plus user de son
influence ruinée, pour obtenir des ordres de réforme. Le
plan était habilement conçu: Didier de la Cour ne pouvait
pas en deviner toute la malice et, comme la nomination du
futur évoque ne devait pas larder, on le pressa de partir,
malgré l'hiver qui s'avançait.
Le 9 novembre 1587, le chapitre de l'abbaye fut convo-
qué. On y renouvela la promesse des secours de voyage et
de procédure, et, muni de ces pièces, le pèlerin s'achemina
vers Rome.
D'après Dom Haudiquer (1), Didier de la Cour partit
accompagné d'un de ses frère^, chanoine régulier de l'ordre
de Saint Augustin, et d'un neveu, m.iis il fui privé de leur
société, à cause d'une maladie survenue en cours de roule
au chanoine, maladie qui obligea le frère et le neveu à
rebrousser chemin. Dom Calmel, qui possédait un meilleur
manuscrit, prétend que le procureur de Saint-Vannes avait
pour compagnon l'un des chanoines de la cathédrale de
Verdun, Jean de Rambervillers (2). Celui ci se serait rendu
(1) Haudiquer, op. cit.^ p. îiO.
(2) Jean de Rambervillers, chanoine de Verdun, s'était fait élire par
^ 293 -
à Rome pour y soutenir ses droits à Tévêché de Verdun,
contre le candidat du Roi, M. Boucher (1). Nous croyons
plutôt ici à la version de D. Haudiquer, à cause du secret
motif de son voyage, qu'il eût été imprudent de révéler à
un évoque de Verdun. Cela nous est confirmé par les aveux
du pieux moine sur le bonheur goûté par lui, pendant la
route, à la méditation des psaumes, dont seules la rencontre
des voyageurs et la bienséance le distrayaient.
Quoi qu'il en soit, et malgré Tabsence de détails sur
ritinéraire de Dom Didier, qui ne dut guère s'écarter de
la route obligée (c'est à-dire par Metz et Bàle, le Saint-
Gotliard, la Lorabardie), nous pouvons nous faire une
idée de ce qu'il dut être, en plein hiver, à travers la Lor-
raine, l'Alsace, la Suisse et l'Italie, où il arriva au com-
mencement du printemps 1388. Les modiques ressources
emportées pour la route étaient épuisées. Dora Didier,
comptant sur la parole des moines de Saint-Vannes, ne
doutait point de trouver à Rome des lettres dechangesuffi-
santes pour parer à toutes les dépenses : il n'y trouva rien.
Ses illusions tombèrent alors ; abandonné à la Providence,
il gravit le mont Pincio et alla frapper à la porte des
Minimes français qui desservaient l'église de la Trinité. Il
le chapitre le 7 novembre 1587. — Nicolas Boucher avait été nommé
par le pape Sixte V ; l'affaire fut portée et jugée à Rome ; Boucher fut
maintenu en la possession de son bénéûce et présenta ses bulles au
chapitre le li novembre 1588. U fut sacré à Paris le 1*' décembre sui-
vant. (Robinet, Pouillé de VerduUy 1" tome, p. 39.)
(1) Nicolas Boucher, né en 152i à Cernay-en-Dormols, près Grandpré,
diocèse de Reims, d'un pauvre laboureur, s'éleva par son mérite per-
sonnel. D'abord professeur de philosophie dans l'Université de Reims,
ensuite recteur, chanoine de la cathédrale, supérieur du séminaire
jusqu'en 1574, ayant été nommé précepteur des princes de la maison
de Lorraine, il mérita l'estime du duc de Lorraine, qui lui procura pour
récompense l'évôché de Verdun en 1587, après la mort du Cardinal de
Vaudémont. 11 mourut le 19 avril 15913 et fut inhumé dans sa cathé-
drale. M. Boucher avait les mœurs très pures et beaucoup de capacité;
malheureusement il était dur et sévère, et il eut le tort de se jeter
dans le parti de la Ligue, (Haudiquer, 1" partie, note 24). Cf. Cauly,
op. cit., p. 252, 255.
y fut reçu à bras ouverts ; on lui donna ce qui iui était
nécessaire pour ses démarches, et aussitôt il lança Tallaire
et présenta au Souverain Pontife la requête tendant à la
désunion de Tabbaye de Saint-Vannes de la mense épis-
copale (1).
Comme on le voit d'après la pétition, le principal argu-
ment mis en relief est la fausseté du prétexte qui avait servi
à obtenir la bulle d'union : la pauvreté de Tévéché de Ver-
dun. Dom Didier se réservait de développer aux Cardinaux
de la S. Congrégation tous les motifs de la demande des
moines lorrains. Nous croyons utile de ne pas omettre cet
exposé très intéressant des conditions matérielles de Tab-
baye de Saint- Vannes, qui dut être présenté en deux fois à
la Congrégation consistoriale(2).
(1) Voici le texte de celte requête, que nous avons retrouvée écrite
de la main de Dora Didier, dans les Archives de la Consistorialc, R.
3067, p. 387.
Beatissime Pater,
Cum monasterium Sancti Vitoni ordinis B. Benedicti in Urbe Vir-
dunensi celcl)errimum et antiquîssimum cxstet, factam estutadpreces
R. Epi eiusdem urbis per fel. roc. Gregorium XHI, sub pr»elcxlu
pauportatis, Episcopatui perpétue unirctur; cum tamen eodem tem-
pore quo dicta unio facta est, fructus mens»^ Episcopalis cssent duc«-
tus XVI millium, ex qua unione monachi dicti monasterii tara in spi-
ritualibusquam temporalibus multum gravantur: non solum quia per
hanc unionem extincto nomine et titulo abbatia* monasterium cum
un l verso conventu religlosorum eidem Epo acsi illorumordinem expresse
processus foret in omnibus subjicitur, sed rtiam quia ta m iis qua* ad
divinum cultum quam iis quœ ad congruam eorum habitationem neces-
saria sunt privantur. Quare ut suis miseriis et necessitatlbus succurre-
rent, coacti fuerunt unum ex suis fratribus Romam mittere ad pedes
Sanctitatis Vestne confugere, illam humiliter supplicando quatenus
dignetur gravamina huiusmodi (qufe non exprimuntur sigillatim ne
S. V. illorum prolixitate gravetur) viris religiosis sui vel alterius ordi-
nis cognoscenda et S. V. referenda committere ; sic enim diclis grava-
minibus ad plénum cognitis poterit cadem S. V. tôt incommodis ac
necessitatibus prout in Domino ei videbitur providerc. Quam Dominus
Ecclesiie sua» ad multos annos incolumem servare dignetur.
Fr. Desiderius a Curia.
(2) Illustrissimi et Reverendissimi Domini.
In civitate Virdunensi est venerabile ot antiquissimum monasterium
S. Vitoni ordinis B. Benedicti annui redditus ducatorum quatuor mil-
- 295 —
A la première lecture, le sentiment de la Congrégation se
dessina en faveur des moines : (( Déjà, dit Dom Haudi-
lium habens numerum monachorum viginti soptem dequollcct mona-
chi non debuissont ab aliquo molestari, nihilominus Episcopus tune
temporis Nicolaus Psalmeus nuncupatas, qui lied ex suo Episeopalu
pedditus 16 milita dueatorum pcrciporct, tune dictam abbatiam non
citatis monaehis soeundum formam Sacri Ck)ncilii scss. 24 can. 13 sub
prictextu paupcrtutis Episcopalui perpctuo uniri cura vit.
Mortuo Episcopo fuit recursum ad S. Sedera pro rcvocatione dieta»
unionis (juia surrcplitia cssct nompe quod dicorct Episcopatum pau-
pereni et eum nihilominus notorium essct habcre redditus XVI mille
dueatorum: tum quia nuUa est quod (ut supra dictum est) monachi
citati non fuerunt.
Ex dicta unione quam plurima gravamina et damna tam circa cul-
tum divinum quam circa monachos orta sunt et quotidie oriuntur.
!• Pra.'fati monachi valdr gravantur eo quod in omnibus et per omnia
dicto pnpsuli ac si ordinem illorum professus foret subjiciuntur, et
datur cidem facultas constituendi Priorem aliumve prœpositum super
ipsos cum tamen causa unionis ad ista se non exlenderet.
2" (iravantur quia non assignantur redditus sufficientes, ad eorum
sustontationem, et praHerea capelhpct dormitorium eiusdem monastcrii
ruinam minantur nec ab aliquo reparantur, nam monachi ob ablatas
facultates ea reparare ncqueunt.
'S* Privantur jure recipiendi redditus sede vacante, vel mortuo abbate,
cum justius slt ut ipsi quam alii récipient fructus sui monasterii.
4" (iravantur quod a tempo re unionis coacti sunt agere vigilias super
muros civitatis et alere milites cum Episcopus soeundum lenorem bul-
la) unionis tencatur omnia onera monasterii supportare.
5"* Sunt sex Prioratus eiusdem monasterii in quibus offieium divinum
omnino negligitur.
6» Ecclesia (in qua multa eorpora Sanctorum requiescunt) privatur
cappis, easulis, dalmatieis aliisque paramentis ad eultum divinum
necessariis ; multa et sacella eiusdem Eeclesiœ diruta et prophanata sunt
ita ut offieium divinum in ipsis fieri non possit.
7" In dieto monasterio est derelieta bibliotheca, infir maria mona-
chorum et in ipso dormitorio multa eubicula ad habitationem religio-
sorum nocessarla desunt.
Idco pro parte monachorum post obitum Episcopi et in actu collatio-
nis Episcopatus fuit reelamatum ut alteri Episcopo novo non conferre-
tur Episcopatus cum dicta unione et ideo lUmi Dni providentes nulli-
tatem et gravlimlna decreverunt expectandum esse quousque de
Episcopatu provisum esset, de quo cum hodie provisum sit pnefati
monachi supplicant pro annulaUone dictée unionis aut saltem pro
provisione tum cullus divini quam reparationis monasterii atque victus
monachorum quibus ad minus necossaria est tertia pars reddituum
monasterii ad debitam et congruam eorum substentationcm.
Deinde ne successu temporis officia eleemosinaril et thesaurarii
— 296 -
quer (1), on parlait des mesures à prendre pour leur
rendre justice, mais l'éveil était donné. Un des amis du
candidat présenté par le Roi écrivit au cardinal Farnèse
la lettre dont nous donnons ici la traduction : (( Illus-
trissime et Révérendissimc Seigneur, Tabbaye de Saint-
Vannes, située dans la ville de Verdun, est unie à l'Eglise
Cathédrale de Verdun ; le bruit s'est répandu que quel-
ques religieux de cette abbaye se sont remués, à l'oc-
casion delà vacance de ladite Eglise, pour faire ressortir
quelques charges qu'ils prétendent causées par cette union,
en faisant parvenir à N. S. P. un mémoire sur ce sujet. Sa
Sainteté l'ayant remis à V. Seigneurie Illustrissime et Ré-
vérendissimc pour l'étudier et en référer, comme à bref
délai on espère que Sa Sainteté pourvoira de pasteur la dite
Église, on supplie humblement V. Seigneurie Illustrissime
et Révérendissimc de vouloir bien réserver la solution de
cette affaire à l'évêque qui sera nommé à Verdun, et de qui
les religieux en question recevront toute la satisfaction dési-
rable. »
La supplique n'est pas signée, parce que, sans doute,
elle était accompagnée d'une lettre personnelle au cardinal
que le Pape avait chargé de l'affaire.
La nomination de l'évoque de Verdun ne tarda pas ; dans
la Congrégation consistoriale du 30 mars 1388 (2), le Pape,
vcniant in manu Stecularium sicut pra'faii sex prioralus, monachi simi-
liler supplicant ut dicta ofûcia quap semper a Rcligiosis eiusdem mo-
nastorii posscssa sunl, post mortem eleeinosinarii et thesaurarii con-
ventui uniantur.
Poslremo pra»fatl monachi pclunt ut sede vacante vel mortuo abbatc
ipsi liabeant Jus rccipiendi rcdditus monastcrii et cligendi Priorem
(sicut antc unionem habobant) qui solus hal)eat potestatem in illos
quantum ad rogularem disciplinam, quœ omnia ad *gIoriam Dci el
icdificationem EcclcsiiP sibi concedi humiliter supplicant. — Proconventu
et monacliis S. Vitoni.
(1) HAuoiguER, op. cit., p. 55.
(2) Romieap. S. Petrum die mercuriiSO niartii 1588 fuit consistorium
in quo SSraus Dnus N dixit vacante Ecclesia Virduncnsi per obitum
Cardinalis de Vaudemonl, capîtulum Verduncnsem praedicta Kcclesim
(electionem succcssoris) ad sespectarc vigore Concorda torum (asseruisse);
- 297 —
à qui la succession était dévolue, parce qu'elle venait d'un
cardinal, ainsi que le disent les Actes, nomraa N. Boucher
à révôché de Verdun. C'est aussitôt après que Dom Didier
présenta un nouveau mémoire, celui que nous avons donné,
et dans lequel il est fait allusion à la provision accomplie
de révôché.
Le cardinal Farnèse, à qui avait été adressée la lettre
précédente, ne fut pas le seul auprès de qui le procureur
de Saint- Vannes dut se présenter pour soutenir le bien
fondé de sa cause.
Bien que sa modestie et sa timidité fussent opposées à
toutes les démarches auxquelles il dut se soumettre, il ne
négligea rien pour mener son action avec énergie. Malheu-
reusement, il ne recevait que fort peu d'argent de ses
confrères, et il en eût fallu beaucoup pour subvenir à tous
les frais ; si les Minimes ne l'avaient aidé avec la plus
grande générosité, et si personnellement il n'avait eu l'es-
prit d'économie le plus strict, jamais il n'eût pu se mainte-
nir aussi longtemps dans une telle situation. Pour ne pas
être trop à charge aux religieux qui lui donnaient si chari-
tablement l'hospitalité et l'appui de leur influence, Didier
de la Cour consentit à enseigner la philosophie à leurs jeu-
nes scholastiques, et il y réussit aux applaudissements de
tous: ils organisèrent des séances publiques où ses élèves
soutinrent heureusement des thèses en présence de plu-
sieurs cardinaux. Cela augmenta encore auprès de ceux-
ci le crédit dont le pieux moine jouissait déjà par sa droi-
ipsiim commisissc causam Congni Cardinalium super rébus Consisto-
rialibus, qui, audilis juribus dicU Capituli renucrunt quoddam, et non
concesso quod Goncordata citarentur, banc provisionem ad Stem Suam
spectare eu m Ecclcsia prœdicta vacaverit per obi lu m Cardinalis. Et
ideo, Sanctitate Sua proponente, providit dictam Ecclesiam Virdunen-
sem... de persona Nicolai Boucher Remensis diœcesis, ipsumque ilii in
Episcopum pricfecit... cum reservatione monastcriorum et prioratuum
quos obUnet... sine prciudicio iurium ipsius Capituli Yirdunonsis si
qua habet super prsedicta m Ecclesiam Virdunensem ... Referentc Rmo
CarafTa (Arcbiv. S. Congnis Ck)nsistorialis, Acta G. 3065, 15, p. 114).
20
— 298 —
ture et sa vie si édifiante. L'aflaire de la désunion gagnait
du terrain , lorsque Tévêque de Verdun nouvellement
nommé, informé des tentatives de Dom Didier, s'émut et
envoya à Rome un avocat pour défendre sa cause. Celui-ci,
arrivé en toute hâte, chercha par tous les moyens à discré-
diter la mission du procureur de Saint-Vannes, qu'il rendit
responsable de toute l'affaire. Pendant ce temps, à Verdun,
les choses n'allaient pas mieux ; après une lettre de menaces
envoyée aux religieux de l'abbaye le 25 juillet 1588, de Pont-
à-Mousson où il se trouvait, l'évêque vint en personne à
Saint- Vannes et reprocha leur tentative aux moines. Ceux-
ci prirentpeur, désavouèrent leur procuration, révoquèrent
les pouvoirs donnés à leur mandataire et prièrent celui ci
de rentrer à l'abbaye. De son côté, l'évêque écrivit à Dom
Didier, lui prodiguant les éloges et lui faisant mille pro-
messes, s'il se désistait de ses revendications: ce qui l'avait
le plus touché, c'était l'exposé des revenus de son évôché,
fait par D. Didier en cour de Rome ; on le comprend: il
n'avait pas encore ses bulles, et leur taxe devait être fixée
d'après ces revenus, ainsi que les annates.
Tant de revers, au moment où il touchait au but, abatti-
rent un instant le courage de Dom Didier. La faiblesse de
ses confrères, qui lui répondait si peu de l'avenir, le res-
sentiment à craindre de la part de l'évêque-abbé, le dégoût
de rentrer dans une communauté où déjà il avait tant souf-
fert du relâchement général, tout cela suscita en lui une
lutte terrible qui fut sur le point de l'éloigner à jamais de
Saint-Vannes. Accueilli d'autre part avec déférence par les
Minimes, recherché môme par eux, édifié de leur vie calme
et régulière, il se demandait s'il ne valait pas mieux pour
lui se donner à eux et leur consacrer sa vie et ses forces
inutilement perdues, à ce qu'il croyait, dans la poursuite
d'une œuvre humainement impossible. Mais Dom Didier
comptait sans cette profonde affection qui reste au fond du
cœur, malgré tout, pour le lieu que l'on a choisi tout
— 299 —
d'abord, affectioa que les misères et les ennuis peu-
vent assoupir, mais qu'ils ne tuent jamais. Il était trop
bénédictin et avait trop goûté la suave et forte discrétion
du Patriarche des moines d'Occident, il avait trop joui
d'une vie imprégnée de la prière liturgique, pour se lais-
ser tenter par les dehors d'une perfection actuelle et per-
sonnelle plus douce et plus facile en apparence. Il préféra
tout perdre aux yeux des hommes qui lui conseillaient un
changement en soi légitime, et ne consentit pas à renoncer
à son habit. Il prit le parti de quitter Rome.
Au mois de septembre, il se disposa à partir, après s'être
muni d'une lettre de recommandation du cardinal J. Ma-
druce (1) pour l'évéque de Verdun. Cette lettre était datée
du 17 septembre 1588. Les Minimes, mus par le désir de
garder Dom Didier plus longtemps et par le secret espoir
de se l'attacher définitivement, aussi bien que par la crainte
de le voir affronter les dangers d'un nouveau voyage en
hiver, le supplièrent de rester jusqu'au printemps. Il se
laissa convaincre et continua renseignement de la philoso-
phie aux jeunes Minimes ; mais il eut soin d'écrire à l'évê
que de Verdun, pressé de le revoir, une lettre datée du
4 octobre, dont le Père Haudiquer nous a gardé la subs-
tance (car elle est manifestement traduiteen style moderne)
et qui témoigne fidèlement de l'esprit de droiture et de
respect pour l'autorité, qui animait son auteur (2).
(1) Jean Madrucc, évcVjue de Trente par la résignation do son oncle
Christophe Madrucc, fut crée cardinal par Pie IV on 1501. L(Sgat on
Allemagne en 1î)82, il travailla avec succès dans les affaires les plus im-
portantes de l'Eglise. Il mourut à Rome le 20 avril 1600.
{2) « Monseigneur, j'ai vu, par les lettres de mes Confrères, que votre
Grandeur me rappelle à Saint- Vannes. Je n'ai assurément rien de plus à
cœur que de lui obéir, mais la proximité do l'hivor ot les instances que
me font mes amis, me dissuadent d'enlroprondro pour le moment un
si long voyage, à cause dos pluies et des glaces. Je crois <|u'un pareil
inconvénient est bien suffisant pour me faire différer mon rolour jus
qu'au printemps, sans trahir mon devoir. Personne n'est tenu ù l'imi
possible. D'ailleurs mon Supérieur et mes confrères ne m'ordonnen
point positivement de m'en retourner ; ils semblent plut(U laisser à
.— 300 -
L'affaire de la désunion était enterrée : le procureur sus-
pendit ses démarches et se remit à sa vie religieuse jus-
qu'au commencement du printemps.
m:i disposition le temps de mon départ. Mais, quand bien mAme la
rigueur do la saison ({ui approche no s'y opposerait pas, je croirais
encore pour une autre raison pouvoir me dispenser de me mettre en
chemin. On ne voyage point sans argent ; j'en suis absolument
dépourvu. Mes confrères qui m'en avaient promis beaucoup m'en ont
très peu envoyé. Puisque ce n'est qu'à leur prière que je suis venu ici,
il convient qu'ils m'en envoient davantage pour faciliter mon retour.
« J'ai appris au«»si, Monseigneur, que Votre Grandeur était fort en
colère contre moi, surtout au sujet de la supplique où j'ai marqué
expressément les revenus annuels do l'Evèché de Verdun et ceux de
l'Abbaye de Saint- Vannes. Je puis vous assurer que je me suis conduit
dans cette affaire sans mauvaisoîi Intentions. Celle surtout d'avoir
cherché à vous déplaire ne peut avoir eu Heu de ma part. Le siège
épiscopal de Verdun était vacant, lorsque je suis parti pour Rome, et
je ne savais sur qui tomberait le choix de la divine Providence pour le
remplir. Aussi, si j'ai eu le malheur de vous offenser, ce n'a été que
par accident, et sans aucun dessein relatif à votre personne. Au sur-
plus, je <Iéfic qui (jue ce soit de me reprendre de mensonge. Tout co
que j'ai proposé dans la Congrégation des affaires consistorlales est
exactement vrai et je peux le démontrer aussi facilement à Roaic que
dans le pays même. Mais les choses ont bien changé de face : mes
confrères ont voulu ci-devant que j'agisse : Us ne le veulent plus aujour-
d'hui. Je ne veux rien faire contre leur gré.
« Dans le fond. Monseigneur, sommes-nous coupables de prendre en
main les intérêts de notre maison ? J'en appelle à votre justice, abs-
traction faite de la dignité dont vous êtes maintenant revêtu. Pouvons-
nous voir indifféremment une union faite par subreptlon ? Dans quel
état se trouve maintenant l'Abbaye de Saint-Vannes, autrefois si célèbre
et si florissante ? Le temporel y est dans le plus affreux désordre, ainsi
que le spirituel. Le mal serait peut-être supportable, si au moins nous
avions directement affaire ii nos Seigneurs les Evôques-Abbés ; mais
nous sommes livrés ii des gens qui, tout à fait étrangers à l'état reli
gieux, se font un jeu do nous nuire, en les Indisposant malignement
contre nous. Un ressentiment aussi juste que lenùtre ne doit donc point
être pris en mauvaise part.
« Quant à mol, Monseigneur, je n'ai fait pour notre Maison que ce
que vous voudriez que fit un homme employé à votre service pour le
succès de vos affaires. C'est pourquoi je supplie Votre Grandeur qu'elle
daigne juger de ma conduite selon la raison et l'équité, et non selon les
vues de l'intérêt et le rapport des hommes. Enfin je suis déjà tout
accoutumé aux di.sgrAces ; s'il faut en encourir une nouvelle, je me
souviendrai de ces paroles si consolantes de l'Evangllo : Heureux ceux
qui souffrent persécution pour la justice, parce que le Royaume des
Cieuxest à eux. » (Haudiquer, op. cit. ^ p. 63 et sulv.)
— 301 —
Un instant encore il se demanda s'il devait regagner
Verdun, et s'il ne ferait pas mieux, en désespoir de cause,
d'éclianger la règle bénédictine contre celle des Minimes.
L'amour de saint Benoit triompha de nouveau dans son
cœur, et, au commencement du printemps 1589, il reprit
le chemin déjà parcouru dix-huit mois auparavant II le
fit comme la première fois, seul, absorbé dans la prière et
la méditation, et dut arriver en Lorraine vers le commen-
cement de l'été de la môme année (1).
Ses confrères le reçurent mal : il s'y attendait ; Tévéque
l'accabla de reproches et les gens de service du prélat ne
manquèrent pas de faire leur cour en cette circonstance, en
traitant le pèlerin de Rome avec toutes sortes d'indignités.
Rien n'émut le fervent moine qui se confina dans sa cel-
lule, d'où il ne sortait que pour l'office divin et les exerci-
ces de communauté : ceux-ci étaient, du reste, fort peu
nombreux. Quelques mois se passèrent ainsi, pendant les-
quels l'animosité des confrères se calma légèrement, mais
sans donner aucun espoir d'amélioration dans leur con-
duite antimonastique.
Didier de la Cour ne se contenta pas de la tranquillité
relative dans laquelle on le laissait : il aurait voulu que la
discipline fût remise en vigueur autour de lui. D^ nou-
veaux doutes l'assaillirent sur sa vocation ; il s'en ouvrit à
ses directeurs, qui le retinrent à Saint Vannes, mais lui
permirent de suivre son attrait pour un plus parfait accom-
plissement de ses vœux monastiques. En conséquence le
fervent religieux se dépouilla de tout le superflu qui se
(1) Les dates pri^cisfts nous manquent; mais, on admettant que Dora
Didier de la Cour quitta Rome vers la fin de fc^vrier, il faut compter
environ trois ou quatre mois de voya^ye. D'autre part, dès le milieu
d'août, la permission lui fut concédée de se retirer à Rnrécourt, après
un nouvel essai de vie ù Saint- Vannes, où il «Hait, ainsi (|ue nous l'ap-
prend un détail de D. Haudiquer, à la saisf)n où l'on cultive les jardins.
« Dom Didier de la Cour ayant arraché les Heurs de son jardin pour y
planter des légumes »... Ihid., p. 83.
— 302 —
trouvait dans sa cellule, et fit renouveler toutes les per-
missions que déjà son prieur Dom Anselin lui avait don-
nées pour l'usage du nécessaire. Le repos que cet acte
d'abnégation lui procura fut de courte durée et les idées de
changement de vie revinrent à son esprit, mais cette fois
avec une direction dilïérente: sans abandonner la vie béné-
dictine, Didier de la Cour se proposa d'en chercher une
forme nouvelle dans la vie érémitique que saint Benoît
lui-môme permet aux moines « déjà exercés dans les com-
bats de la vie cénobitique (1) », et pour laquelle il se sen-
tait un attrait spécial.
Non loin de Verdun, rattachée à l'église dépendant de
Saint Vannes au village de Rarécourt(2j,s'élevaitunehum-
ble chapelle entourée d'un champ et placée sous le vocable
de Saint-Christophe (3). Didier de la Cour la connaissait,
soit parce qu'elle n'était pas loin de son pays natal, soit
parce qu'elle appartenait à la mense abbatiale de Saint-
Vannes; il la demanda à son prieur et à ses confrères, avec
la permission d'y résider, leur promettant de se contenter
d'une portion de pain qu'on lui ferait passer toutes les
semaines. Une telle proposition parut tout d'abord aux
moines une véritable folie, puis l'insistance de Dom Didier
et le désir qu'ils avaient de le voir s'éloigner les décidèrent
à consentir à sa demande ; ils se firent même forts d'obte-
nir l'agrément de l'évoque abbé. Celui-ci, revenu de sa
première irritation, donna par écrit sa permission le 10
août de la même année 1389 ; bien plus, il offrit de bâtir
une cellule à côté de la chapelle pour le nouvel ermite.
(1) Cf. R«>gle de saint Benoit, chap. I". Des diverses espèces de moines.
(2) Cf. Rolie des Eglises paroissiales du diocèse de Verdun, dans notice
Saint- Vannes nt sup.
(3) L'évoque de Verdun était collalour de l'église de Rarécoiirl,
comme abbé commendalairo de Saint-Vannes. Elle appartient au doyenné
deCIcrmont. La chapelle Saint-Christophe qui dépendait de Rarécourt,
fut détruite au commencement du xvm' siècle.
Cf. Haudiqubr, op. cit., et Robinet, Pouillè de Verdun,
— 303 —
Didier de la Cour refusa et, se contentant de la promesse de
pain, changée ensuite en celle de froment, il se rendit dans
sa solitude où il s'accommoda un gîte sur le plafond de la
chapelle. Il y avait accès par une échelle qu'il retirait
ensuite. Il ne sortait de sa retraite que pour cultiver son
champ et recevoir le pain bis et Teau, qui, pendant les huit
mois de son séjour à Saint-Christophe, furent sa seule
nourriture et sa seule boisson.
Au bout de ce temps, les Huguenots répandus dans la
région découvrirent la retraite du solitaire et le dépouil-
lèrent des quelques provisions qu'il conservait : une femme
du voisinage, prévenue du jeûne forcé de Termite, lui pro-
cura un peu de nourriture. On était alors au commence-
ment d'avril 1590. Sur le conseil de deux Pères jésuites
que la Providence dirigea à cette époque vers Rarécourt,
Didier quitta sa retraite trop exposée aux incursions des
soldats et revint à Saint- Vannes. Son intention n'était point
pourtant d'y demeurer, car, après avoir conféré pendant
quelques jours avec l'évéque, il reçut de lui l'autorisation
de tenter un essai chez les Minimes : le souvenir de la paix
goûtée chez ces religieux à la Trinité des Monts ne l'avait
point quitté. L'autorisation lui fut accordée le 18 avril 1590,
et, quelques jours plus tard, malgré ses quarante ans,
Didier de la Cour entrait au noviciat des Minimes de Ver-
dun (1). Aucun exercice ne le rebutait et la ponctualité de
son obéissance était pour tous un sujet d'édification. Pen-
dant quelque temps, il sembla avoir trouvé sa véritable
voie : sa tranquillité ne fut pas de longue durée, etsix mois
ne s'étaient pas écoulés, que le fils de saint Benoit, sentant
comme une sorte de reproche continuel en lui- môme à
cause de son changement de vie, rentra, vers la fin de 1590,
(1) Les Minimes avaient Hé établis ù Verdun en 1575 par l'év<V|ue
Nicolas Psuuimo, A l'endroit où était autrefois le monastère des Reli-
gieuses pénitentes de Sainte-Magdeleine, dans Tlle de Tilly.
D. Calmbt, Notice de la Lorraine^ art. Verdun,
— 304 —
dansTabbayede Saint-Vannes. Il ne devait plus la quitter.
Fatigué des luttes incessantes auxquelles son âme avait
été livrée chaque fois qu'elle avait tenté de quitter la vie
bénédictine, Didier de la Cour attendit l'heure de Dieu. Il
continua, pendant plusieurs années, à mener la vie paisible
et obscure du cloître, édifiant ses confrères et cherchant à
réaliser personnellement le type du moine bénédictin. Il
se préparait ainsi, sans le savoir, à le réaliser dans les
autres, par une vie partagée entre le travail silencieux, la
pénitence et Toffice divin.
CHAPITRE III
Essais divers de rérormc générale en loîKS, puis particulière à Notre-
Dame de Nancy et à Saint-Vannes. — Visite canonique du Prince Erric
à Saint-Vannes en 1598. — Il y dresse d'inutiles règlements. — Elec-
tion de Dom Didier de la Cour comme prieur de Saint-Vannes (1598).
— Nouveaux essais infructueux de mitigation. — Dom Didier de la
Cour commence un noviciat avec quelques compagnons. — Sépara-
tion d'avec les anciens. — Prise d'habit le 20 janvier 4599. — Plusieurs
moines de Saint-Vannes opposés à la réforme sont envoyés à Moyen-
moutier. -- Les prieurés de Mont-Saint-Martin, près de Longwy, et
de Chaudefontaine sont détachés de l'abiiaye de Saint- Vannes et
donnés aux Jésuites.
Par Bref en date du 12 mai 1")91, le Pape Grégoire XIV
avait institué le cardinal Charles de Lorraine, fils de Char-
les III, son Légat a latere pour la réforme des monastères
de sa Province. Le cardinal ne put se mettre à l'œuvre
avant 1595. Il convoqua à Saint-Mihiel les abbés réguliers
elles prieurs conventuels de rOrdre. Huit seulement répon-
dirent à son appel :
D. Jacques de Tavagny, abbé de Saint-Evre de Toul (1) ;
D. Didier Sarrion, abbé de Saint-Airy de Verdun (2) ;
D. Jean Sellier, abbé de Notre-Dame de Bouzonville (3) ;
D. Nicolas de Neufville, coadjuteur de Saint-Avold (4) ;
(1) Issu d'une ancienne et noble famille de Bourgogne, Jacques de
Tavagny fit profession de la Règle de saint Benoit à l'abbaye de Saint-
Evre, dans laquelle, d'après les anciens statuts, on ne recevait que des
nobles. U était trésorier de l'abbaye quand 11 fut élu abbé, le 15 mars
1559, après la mort d'Adrien Baudaire. Il mourut le 1" mars 1590,
après avoir été abbé pendant 38 ans, laissant une réputation de bonté
et de charité. Il rebâtit l'église et dressa des règlements pour le bon
gouvernement de l'abbaye en l'année 1567 ; nous aurons occasion de
remarquer son zèle pour l'établissement de la réforme monastique.
(2) Didier Sarrion, qui plus tard devait introduire la réforme à Saint-
Airy, et dont la Gallia consacre la mémoire pjir ces quelques mots :
de monasterio optime merilus.
(3) Jean Sellier était de l'Ordre de CIteaux et moine de Beaupré. Les
moines de Bouzonville l'avaient élu en 1589.
(4) L'abbé de Saint-Avold était alors Jean de Trêves.
— 306 —
D. Jeaa Jérôme, prieur de Saint-Mihiel (1) ;
D. Louis de Thullières, prieur de Moyenmoulier (2) ;
D. Didier Anselin, prieur de Saint- Vannes de Verdun (3) ;
D. César Rotarius, prieur de Mont-Saint-Martin ou de
Notre-Dame de Nancy (4).
L'Assemblée se tint sous la présidence d'Antoine Four-
nier, suffragant de Metz, évoque in partibus de Basilite, et,
pour la circonstance, vice légat du cardinal (5). Une messe
du Saint-Esprit fut célébrée le 7 juin, jour de l'ouverture
des délibérations. Le vice-légat exposa aux abbés et prieurs
réunis au chapitre les causes de leur convocation : le désir
de restaurer ou de consolider la discipline éteinte ou affai-
blie dans bon nombre de monastères; il proposa, comme
moyen le plus convenable, la formation d'une Congréga-
tion selon les décrets du Concile de Trente.
Les capitulants aquiescèrent unanimement au projet et
demandèrent qu'on en dressât un instrument authentique ;
après quoi, le vice légat déclara, au nom du cardinal, qu'il
ratifierait les décisions de l'Assemblée, puis il se retira.
Les abbés et les prieurs, quittant eux aussi le chapitre,
se réunirent dans la chambre du prieur claustral, pour élire
le président de cette nouvelle Congrégation et du chapitre,
(1) L'abbaye de Saint-Mihiel était tenue en commende par le Cardinal
de Lorraine.
(2) Erric de Lorraine avait obtenu ses bulles de commende en 1588,
évinçant Louis de Thullières élu par les moines.
(3) Nous l'avons nommé au sujet de la réception et des études de
Didier de la Cour.
(4) Prieuré dépendant de l'abbaye de Molesme et qui devait, quelques
années après, être uni à la Primatiale érigée h Nancy.
(5) Le R. Père Antoine Fournier ou Fermier, chanoine régulier de
Saint-Denys de Reims, docteur en théologie, célèbre prédicateur, fut
appelé dans la ville de Metz par le cardinal Charles de Lorraine, qui en
était évéque ; il devint son grand vicaire et ensuite son sufTragant
sous le titre de Basilite in partibus.
Le Cardinal, légat du Saint-Siège dans la Lorraine, le Barrois et les
Trois-Evèchés, employa Mgr Fournier pour travailler avec lui à l'œuvre
de la réforme des Ordres religieux. L'évéque de Basilite mourut le 25
novembre 1610. — Gvlmet, Bibl. lor., art. Fournier.
— 307 —
ainsi qu'un secrétaire. Dom Jacques de Tavagny fut choisi
pour président et visiteur ; Dom Claude Riquechier, pour
secrétaire (1). Les abbés commendataires furent exclus de
la confédération.
{{) D. Claude Riquechier, né à Commercy-sur-Meuse, profôs de Sainl-
Evre-les-TouI, y était prieur dès 1595 ; il rédigea, comme secré-
taire de l'assemblée de Saint-Mihiel, les 36 articles qui devaient être
la base de la réforme.
Plus tard D. Claude Riquechier devait jouer un rôle important dans
la réforme, en 1610, de l'abbaye de Saint-Evre, où il eut à lutter con-
tre Louis de Tavagny. En 1619, il travailla, de concert avec Mgr do
Maillanne, à l'introduction d3 la réforme au prieuré du Breuil destiné
à devenir un séminaire d'études pour la Congrégation de Saint-Vannes.
Voici les 36 articles rédigés par les Pères de Saint-Mihiel. La copie
du procès-verbal de cette Assemblée se trouve avec la signature de
D. Riquechier à l'Archive nationale de Florence. Àrchivio dislato, Tit.
Reformationum II, n» 560. Cette pièce est en latin, nous donnons seu-
lement le résumé traduit des articles.
La présence de ce document parmi les papiers de Lucalberti, le Visi-
teur Apostolique dont nous aurons à parler plus lard, montre bien la
relation des articles délibérés en 1595 à Saint-Mihiel, avec ceux que le
Visiteur laissa en 1606 au cardinal légat avant de reprendre le chemin
de l'Italie. (V. plus loin chap. II de la 2' partie.)
Le 1" article concernait la formation du gouvernement de cette nou-
velle congrégation, dans la 1" session.
^ Session.
2. L'office divin sera célébré décemment dans chaque monastère,
selon les traditions de ce monastère, jusqu'à ce que l'on puisse avoir
un bréviaire commun ; le Visiteur y pourvoira le plus rapidement
possible.
3. On gardera les heures adoptées pour l'office divin, en tâchant, dans
la mesure du possible, de se conformer aux prescriptions de la Règle
de saint Benoit.
4. Dans les monastères gouvernés par des abbés on des prieurs com-
mendataires, on députera deux ou trois religieux prudents pour la
confession.
5. Les prêtres célébreront la messe an moins une fois par semaine ;
les diacres et les sous-diacres communieront le dimanche ; les frères
plus jeunes, une fois par mois.
6. C'est le Supérieur qui indiquera à l'hebdomadler le moment de
commencer l'office. •
7. Le Chapitre se tiendra trois fois par semaine, et le Supérieur y
fera une exhortation en langue vulgaire.
8. Le silence sera de règle au chœur, au dortoir et au réfectoire.
9. Le Visiteur s'attachera à découvrir les points de la Règle qui
— -.308 —
Une deuxième session fut tenue le môme jour, dans
laquelle on rédigea les vingt premiers articles. Le lende-
main 8 juin, deux autres sessions donnèrent les autres ar-
seraient négligés et y portera prudemment remède.
10. Les religieux n'auront rien qui ne leur ait été donné par le Supé-
rieur et ne pourront conserver d'argent auprès d'eux.
11. Ils devront être prêts k tout abandonner sur l'ordre du Supérieur
régulier.
12. Au réfectoire on gardera les anciennes traditions pour le chant
des prières et le silence.
13. La table sera commune à tous ; on ne pourra manger en dehors
du réfectoire sans permission et l'on ne pourra également ad mettre sans
autorisation aucun étranger au réfectoire.
14. En ce qui concerne les vêtements, on suivra les traditions dos
anciens Pères ou celles de chaque monastère.
15. Défense de porter la barbe et les cheveux longs ; obligation de
porter la tonsure.
16. Les vêtements d'étoffe étrangère, de soie, etc., sont interdits,
ainsi que les chemises brodées, les anneaux et les bijoux. Les habits
seront décents et modestes.
17. Les serviteurs seront habillés convenablement.
18. Les femmes sont absolument exclues de la demeure et de la clô-
ture des moines.
19. Chaque monastère aura une hôtellerie et tout ce qui y touche.
20. Les moines en voyage devront demander l'hospitalité dans les
monastères de la même congrégation.
8 Juin, — 3* Session.
21. On gardera, pour la distribution des aumônes, les traditions éta-
blies, qu'on suivra sans fraude ni pour la quantité, ni pour la qualité.
^. Les Supérieurs choisiront, dans leurs monastères, un religieux
capr.ble d'instruire ses confrères ou, à son défaut, un séculier docte et
honnête.
23. On ne recevra, pour l'admission des novices, que ce que les Cons-
titutions permettent de recevoir.
2i. Les postulants qui désireront être admis au monastère, feront
leur demande eux-mêmes ou bien par leurs parents. Si les Supérieurs
et le couvent les admettent, on les éprouvera selon les prescriptions de
la Règle de saint Benoit.
25. Les moines leront leur profession solennelle à l'âge requis par le
Concile de Trente, ou, s'il plait aux abbés, à 18 ans ; ils la feront, en
tout cas, avant d'être présentés aux ordres sacrés
26. L'office divin exigeant un certain nombre de moines, et ce nom-
bre étant diminué, les Supérieurs devront le combler avant deux ans
par des fondations, ou alors le Visiteur y pourvoira.
27. En ce qui concerne la collation des bénélices, source do tant
— 309 -
ticles auxquels le vice-légat demanda qu'on fît les additions
suivantes :
1. Les religieux dormiront tous au dortoir (1).
2. Nul ne sortira du monastère sans la permission de son
Supérieur et sans compagnon.
3. Les portes du monastère seront tenues fermées pen-
dant la nuit, et le Supérieur en gardera les clés (2).
Avant de se quitter, les capitulants signèrent les statuts
avec les additions et indiquèrent pour le mardi d'après
l'Octave du Saint-Sacrement 1598, à Saint-Mansuy-les-
Toul, le prochain Chapitre général. Saint-Mansuy, il est
vrai, ne faisait point partie de Tessai de Congrégation
résolue à Saint-Mihiel : le Visiteur fut chargé officielle-
d'abus, on devra revenir aux Constitutions, en les conférant selon l'âge,
le rang, la dignUc, la science.
28. Les abbayes seront soumises à la Visite, ainsi que les prieurés
qui en dépendent.
29. Les prieurs conventuels et les autres dignitaires de l'Ordre seront
élus par le couvent et confirmés par les abbés réguliers. Pour les
abbayes en commende, la confirmation reviendra au Visiteur.
30. On installera une infirmerie dans chaque monastère de la dite
congrégation.
3L Avant d'appeler le médecin du corps, l'inGrmier appellera le prê-
tre aûn que le malade pense à son âme en premier lieu.
4' Session.
32. Le jeûne et l'abstinence saront gardés pendant l'A vent et les autres
jours prévus, c'est-à-dire les veilles dos grandes fêtes comme celles du
Corpus Christi et de la sainte Vierge, et cela hors du réfectoire comme
à l'intérieur.
33. Le Visiteur pourra déléguer pour la visite, mais les monastères
ayant un abbé ne pourront être visités que par un abbé.
3i. Les dépenses du Chapitre général et des Visites se répartiront
sur chacune des maisons qui y prennent part.
35. Les Supérieurs invités ou cités au Chapitre triennal seront punis
d'amende k répartir sur les dépenses do la Congrégation, s'ils n'y
viennent pas.
36. On fera toute diligence pour récupérer les biens aliénés.
(1) Le dortoir, dans la règle bénédictine, est la partie du monastère
renfermant les cellules des moines, non une salie commune, ainsi qu'on
l'entend aujourd'hui.
(2) Cf. Haudiqukr, op. cit., p. 101.
— 3i0 —
ment par les capitulants de tenter quelques démarches afin
de Vy faire entrer, ainsi que Tabbaye de Saint Pierre de
Senones, celles de Saint-Vincent, Saint Clément, Saint-
Symphorien et Saint-Arnould de Metz, et Saint-Mansuy de
Toul.
Ratifiés par le Cardinal-Légat, les règlements de l'assem-
blée de Saint-Mihiel semblaient devoir promptement remé
dieraux principaux désordres. Mais la routine était trop
grande parmi les anciens religieux pour céder devant de
si nombreuses prescriptions ; il eût fallu prévoiries excu-
ses de natures habituées à leurs aises, le refus formel de
pratiquer une règle qui n'existait pas au moment de la
profession, et qu'on n'avait jamais eu le dessein de suivre :
c'était, en un mot, trop demander à des âmes éloignées de
la ferveur initiale ; quant à ceux des religieux qui débu-
taient dans la vie monastique, les statuts n'en parlaient
que très peu et les assimilaient trop aux anciens.
Les Supérieurs, zélés au début, se découragèrent bien
vite ; plusieurs autres, qui auraient eu besoin d'une réfor-
me personnelle, n'y tenaient point : la torpeur envahit de
nouveau tout le monde. Pour comble de malheur, le Visi-
teur, Jacques de Tavagny, mourut à peu de temps de là, le
4 mars 1596.
L'éloignement du Chapitre, fixé à 1598, engagea le Cardi-
nal-Légat à nommer un Visiteur provisoire dans la per-
sonne de Jean Sellier, abbé de Bouzonville, puis à avancer
le Chapitre qui fut réuni à Saint Evre les Toul, le 23 avril
1597.
Selon les résolutions de l'assemblée de Saint-Mihiel, de
nouvelles instances avaient été faites auprès des quatre
abbés bénédictins de Metz. Ceux-ci, pour se mettre à l'abri
du cardinal et pour se dispenser d'assister aux chapitres
convoqués par lui, dressèrent, cette môme année 1397, des
statuts pour le bon gouvernement de leur monastère (1).
(1) Bibl. lorraine de Dom Cal met, art. Valladier,
— 311 —
Leur but, disaient ils, était de former entre eux une Con-
grégation à laquelle ils se proposaient d*amener d'autres
monastères (1).
Les statuts qu'ils firent ne furent point observés, et les
abbés de Metz, quelques années après, se firent donner, de
la part du roi Henri IV, une défense d'assister aux assem-
blées et de recevoir une visite sous prétexte de réforma-
tion (2).
L'assemblée de Saint-Evre n'eut aucun effet : présidée
au nom du Légat par M. Thiriet, abbé commendataire de
Saint-Léon, chanoine et officiai de Toul, elle ne tarda pas à
se diviser au sujet de la nomination d'un Visiteur.
Les uns prétendaient que seuls les abbés pouvaient être
élus ; les autres voulaient que tout religieux, même sans
litre ou dignité, fût éligible.
D'autres enfin faisaient difficulté de donner leur vote,
pour la raison que plusieurs abbés manquaient au Cha-
pitre.
Le cardinal, informé de ces incidents, déclara l'Assem-
blée dissoute et se réserva de faire savoir aux abbés et
prieurs le jour et le lieu d'une nouvelle réunion.
Toutefois, découragé, il écrivit au Pape Clément VIII, le
priant de trancher la difficulté en supprimant tout à fait
les Bénédictins dans la Province de sa légation. Mais s le
(1) A des époques antérieures, en 1332 d'abord, des statuts avaient
été dressés pour le bon gouvernement des abbayes de Metz par Adémar
de Montell, évoque de cette ville. Lui-môme ne faisait que confirmer
les règlements dictés dans le même but dix ans auparavant par les
échevins de la cité, obligés d'intervenir pour réprimer les désordres
des religieux.
En 1433, Conrad Bayer de Boppart, l'un des successeurs d'Adémar,
composa, mais en vain, de nouveaux statuts de réforme.
(2) L'acte dont il s'agit, daté du 17 janvier 1606, avait pour objet direct
de récuser Tintervention du Visiteur Apostolique, dont nous aurons
bientôt à parler. Il n'osa pas y pénétrer ; mais, peu de temps après, le
Cardinal de Lorraine obtint du même roi Henri IV un Brevet pour la
réforme des quatre abbayes messines. — D. Calmkt, Bibl. lorr.^ art.
Yalladier. t
— 312 -
Pape lui répondit qu'il Tavait envoyé pour guérir et non
pour étouffer le malade ; pour relever le bâtiment qui
menaçait ruine, et non pour achever de le détruire : que
Tordre de saint Benoît avait rendu de si grands services
à TEglise, que l'idée seule de l'abolir lui semblait crimi-
nelle, et qu'il n'y avait au contraire rien de plus glorieux
que de contribuer à son rétablissement (1) ».
Cette réponse rendit au légat une nouvelle ardeur.
Abandonnant cette fois l'idée d'une congrégation, le
Légat voulut tenter la réforme sur un terrain plus limité :
près de lui se trouvait le prieuré de Notre-Dame à Nancy (2).
Il écrivit à l'abbé de Saint-Maximin de Trêves (3) pour lui
demander deux religieux. Celui-ci lui envoya D. Nicolas
Peltre (4), lorrain de naissance et D. Agricius, qui fut
nommé Prieur claustral de Notre-Dame. Malgré le zèle de
ces deux religieux, l'entreprise échoua.
A Saint-Mihiel, dont il était abbé commenda taire, le
cardinal voulut introduire la réforme, ses commissaires
durent se retirer devant les menaces des religieux résolus
à les repousser de vive force (S).
Le cardinal assembla alors quelques abbés réguliers,
pour choisir de concert avec eux un monastère capable de
(1) Cf. Haudiquer, op. cit., p. 4 et 103.
(2) Dans la suite le prieuré Notre-Dame eut un autre sort que celui de
la réforme, par son incorporation à la Primatiale de Nancy et la sup-
pression de son titre.
(3) Cette abbaye, dont la Gallia fait remonter l'origine à Const^inUn,
avait pris le nom de saint Maximin dont elle reçut le corps. Au x' siècle
les moines, relâchés de leur ferveur, furent expulsés. C'est Henri I" qui, j
après avoir rétabli leur monastère obtint de relever directement de j
Rome; l'abbé était alors Régner (11)83-1014). (Gallia christiana).
(4) Nicolas Peltre devint, sous le litre de Nicolas IV, abbé de Sainl-
Avold et fut bénit le 13 avril Vôdd {Gallia christ.}. L'abbaye de St-Avold
ou St-Nabord fut fondée, sous ce titre, vers 750 par Chrodogang, évô<|uc
de Metz. On croit qu'elle existait déjà auparavant sous le vocable de
Saint-Paul.
(5) Voir plus loin, à propos de la visite apostoli(iue de Dom Laurent
Lucalberti, les diverses péripéties de la réforme de Saint-Mlhiel
IP partie, chap. I. ,
— 313 —
recevoir la réforme et de la communiquer ensuite peu à
peu aux autres abbayes. Leur choix se fixa sur l'abbaye de
Saint-Vannes de Verdun : possédée alors en commende par
Erric de Lorraine (1), évoque du diocèse, elle promettait,
grâce à rinlervention de son abbé, favorable aux desseins
du Légat et doué de qualités administratives sérieuses, de
répondre au désir de tous.
L*évéque-abbé accepta la mission que lui confiait le car-
dinal et se mit sans tarder à Tœuvre. Il venait de prendre
possession de son Evôché ! Ayant réuni un certain nombre
d'ecclésiastiques et de religieux en son palais épiscopal, il
fut décidé qu'il ferait une visite canonique en l'abbaye de
Saint- Vannes, mais que, vu l'ignorance où l'on se trouvait
alors de la manière dont la Règle bénédictine devait être
observée^ on se contenterait de ramener les moines à la
pratique de leurs vœux et à une vie plus honnête. Un prieur
claustral serait nommé et armé de toute l'autorité spiri-
tuelle et temporelle pour la gloire de Dieu et le succès de
la réforme.
Le nouveau prieur fut choisi à Senones, où déjà il exer-
çait la même charge : c'était D. Philippe FrançoisCollart (2).
(1) Erric ou Henry de Lorraine, fils de Nicolas de Lorraine, comte de
Vaudémont, cl de Catherine d'Aumale, sa troisième femme, naquit à
Nancy, le 14 mars 1576 . On lui donna comme précepteur Christophe
de la Vallée^ le futur évoque de Toul. A la mort de Nicolas Boucher,
évé(|ue de Verdun, Erric fut pourvu de ce bénéfice et il obtint ses
Bulles en 1595. La mémo année, il prit possession de son évéché, mais
ne reçut la consécration épiscopîile qu'en 1()02. Le nouvel évôciue,
reprenant l'œuvre du Cardinal de Lorraine, mit tout son zèle à lavisitedes
paroisses de son diocèse et ii la réforme des ordres religieux. Son titre
d'abbé commcndataire de St-Vannes de Verdun et de St-Hydulphe de
Moyenmoulier, l'aida puissamment dans la réforme de ces deux
abbayes et l'érection de la Congrégation de St-Vannes et St-Hydulphe.
En 1611, le prince Erric donna sa démission de son évéché. Il mourut
à Nancy, le 28 avril 1023, au retour d'un voyage à Rome.
D. Calmet, lUbliothèque lorraine, art. Erric.
(2) l). Philippe François-Collart, né à Lunéville le 25 mars 1579, était
fils d'un conseiller de S. A. de Lorraine 11 reçut une excellente
éducation. Dès l'Age de dix ans, il fut conduit à l'abbaye de Senones,
où Jean Lignarius, cousin de sa mère, lui donna l'habit. H l'envoya
21
— 314 —
Peu après, l'évoque de Verdun fit annoncer sa visite (1). Il
vint à Saint-Vannes le 8 avril 1598, parcourut les différentes
parties du monastère et, après s'être rendu compte des abus
et des manques d'observance, dressa quelques statuts qu'il
fit lire en chapitre et dont voici la teneur :
(( Savoir que cy après on ne conserverait plus de grandes
hosties dans le saint ciboire, parce que ce n'était pas la
coutume de l'église ; qu'on ferait un ciboire d'argent et
qu'on ne conserverait plus la Sainte Eucharistie dans
ensuite à Pontà-Mousson, où il fut Tun des plus brillants élèves et se
distingua surtout dans la connaissance de la langue grecque. Il n'avait
pas vingt ans quand on le demanda prieur de St- Vannes : son jeune
âge ne lui permit pas d'y rester, mais il y revint quelques années
après et y embrassa la réforme, le 21 janvier i60i. Il enseigna ensuite
la théologie à St-Mibiel, retourna en 1607 comme maître des novices
à St- Vannes et y composa peu après, à l'usage des novices, plusieurs
ouvrages de vie intérieure, tels que : la guide spirituelle pour les
novices (imprimé à Paris en 1616) ; les Exercices des novices ; la
Règle de S. Benoît traduite; le Noviciat des vrais bénédictina^ etc.,
ouvrages qui servirent aux noviciats de la congrégation de St-Vannes,
et furent même adoptés en 1618 par la Congrégation belge de la Pré-
sentation Notre-Dame.
D. Philippe François devint prieur de St-Airy en 1612 et exerça
les premières charges de la Congrégation, dont il fut visiteur en 1609,
1611, 1613, 1616, 1620, et président en 1622. 11 mourut à St-Airy, le
S7 mars 16a').
D. Calmet, Bibliothèque lorraine, art. François (D.).
(1) Voici comment le compte-rendu envoyé au Pape sur l'adminis-
tration du prince Ërric dans les quatre premières années de son
épiscopat, s'exprime au sujet de cette visite faite, dit-il, « sub inilio
verls anni sequentis (adventum in civit. Virdunensem 10 oct. 1397).
Illmus Dnus monasterium S. Vltoni visitandum suscepit quod quidem
praocipuum est eorum quac ei iure ordinario in dicta civitate subsunt
estque mensœ episcopali perpetuo unitum.
Et, ut tota visitatio felicius succederet, accersiri curavitR. P. Priorem
S. Apri doctorem Theologum et eiusdem ordinis religiosum, ut eius
consilio in dicta visitatione uteretur._ ^
Inchoata igitur visitatione, cum Illmus Dnus collapsam omni ratione
disciplinam religiosam in diclo monasterio reperisset, sublalis
primum scandalls et essentialibus regulao et votorum obligationibus
restitutis, priorem seniorem religiosae disciplinée minus sollicitum
deposuit aliumque eius loco probatae vitae religiosum de monachorum
etiam electione restituit... »
(Archives, Evéques et Réguliers, 1602, s. 1. V.
- 315 -
une boîte d'yvoire ; que, par le temps et lieu convenable,
il pourvoirait, par la grâce de Dieu, à la consécration et
à la dédicace de l'église ; qu'on détruirait toutes les cellu-
les qui étaient dans les jardins des religieux ; que ces
jardins néanmoins resteraient pour leurs récréations ;
qu'on bâtirait dans le dortoir une salle dans laquelle tous
les novices prendraient ensemble leur sommeil; qu'il y
aurait toujours deux cierges allumés sur Tautel où Ton
célébrerait la messe ; que le supérieur désignerait deux
confesseurs des religieux et des domestiques, tous les
autres étant exclus de cet office, à moins que le supérieur
ne juge nécessaire de les en charger.
« Que chaque religieux seretireraità sa chambre et gar-
derait le silence dans les lieux prescrits par la règle, et
qu'il voulait qu'elle fût exactement gardée ; qu'on tien-
drait trois fois la semaine Chapitre pour les corrections:
savoir le lundy, le mercredy et le vendredy, et qu'il ne
serait permis à personne de s'en absenter ; qu'on puni-
rait selon la qualité des fautes ceux qui y seraient tombés,
sans acception de personnes, suivant les constitutions et
la Règle. Que tous les vendredys il y aurait une exhorta-
tion faite par le supérieur ou par quelqu'autre député
par lui ; qu'on lirait pendant tout le repas, premièrement
l'Ecriture Sainte, ensuite un autre livre tel que le supé-
rieur ou le maître des novices l'ordonnerait.
« Que les lectures, Toraison, la méditation, les exercices
corporels et le temps de la récréation, seraient réglés
par la volonté du supérieur, qui ferait en sorte que le
temps fût utilement employé et que les religieux ne
demeurassent point dans l'oisiveté. Après Compiles, le
portier apportera toutes les clefs à la chambre du supé-
rieur ; il ne sera permis à aucun religieux d'aller dans la
chambre de son confrère pendant le temps du silence, de
l'étude, de l'oraison et du repos,
a Tous les religieux habiteront et dormiront dans le
- 316 —
môme dortoir, qui sera diligemment fermé toutes les
nuils par le supérieur. Les novices auront une salle com-
mune où ils dormiront ensemble dans des lits séparés,
proche de la chambre de leur père maître, qui sera
obligé de les aller voir souvent et de veiller sur eux, et
ces lits seront séparés par des rideaux à cause de Thon-
néteté. Personne ne pourra sortir du monastère sans la
permission du supérieur, sans l'habit convenable et sans
compagnon ; aucun religieux ne possédera rien en parti-
culier et ne retiendra point d'argent, à moins que la
nécessité de son office ne Texige, comme les prieurs et
économes, mais ils recevront tous leur nourriture et leurs
habits des supérieurs ou des économes selon la Règle,
parce que cet article en est un point essentiel (1). m
Pour donner plus de force à ces articles, Tévôque-abbé
ordonna qu'ils seraient lus tous les quinze jours, le ven
dredi pendant le dîner, et quelque temps après, en juillet,
il vint de nouveau à Saint- Vannes pour se faire remettre,
sous peine de censure à encourir par les récalcitrants, tout
ce que chacun possédait en son particulier.
Le nouveau prieur ne put tenir devant les difficultés et
même les insolences que ces mesures, cependant si légiti-
mes et si douces, lui valurent de la part des anciens reli-
gieux, sensibles seulement à la menace des censures.
Quelques mois après son installation, il dut rentrer à
Senoncs, laissant Tabbaye de Saint- Vannes en proie aux
mêmes misères et aux mômes souffrances. Dom Anselin
s'excusa sur son âge, qui lui rendait impossible la reprise
de la charge de prieur, et il fallut songer à une nouvelle
élection.
Trois candidats pouvaient se partager les voles :
Dom Boncompan (celui qui, avec Dom Anselin, avait
aidé à l'entrée de Dom Didier de la Cour à Saint- Vannes).
I) Bibliolhèiiuo de Saint-Dié, XVI. — Notes manuscrites de Dom
Calmet.
— 317 —
Dom Claude François (dont nous verrons plus lard le
rôle important dans Tœuvre de la réforme); il était alors
procureur de Tabbaye.
Dom Didier de la Cour.
Ce dernier surtout était redouté des anciens religieux ;
ils voulaient à tout prix Técarter, et usèrent pour cela d'un
stratagème assez habile. L'opposition deThumble religieux
et sa répugnance à toute charge étaient connues et prou-
vées. Pourquoi ne pas profiter de ces dispositions et Tobli-
ger à en faire une protestation définitive qui l'excluerait à
jamais de la charge de prieur, et qui peut être môme le
pousserait à s'en préserver en quittant Saint- Vannes? Per-
suadés que Didier de la Cour s'enfuirait plutôt que de se
soumettre à une charge dont il n'avait que trop pressenti la
responsabilité et le peu de succès, ils s'entendirent pour
lui donner leurs voix. A l'unanimité, Didier de la Cour fut
élu prieur. Déconcerté par un vote si inattendu, l'humble
religieux, sans se douter qu'il répondait ainsi au plus vif
désir des ennemis de la réforme, quitta le Chapitre, pro-
testant de son refus absolu .
Mais Dieu veillait sur son œuvre : il permit qu'à la porte,
le prieur fugitif rencontrât deux religieux de la Compa-
gnie de Jésus, en qui il avait pleine confiance, et qui étaient
venus pour connaître le résultat de l'élection. Apprenant
les intentions de Dom Didier, ils se récrièrent, et s'unirent
pour lui représenter la culpabilité de sa faiblesse ; ils le
firent si bien que, vaincu, le moine rentra au Chapitre, et
déclara se soumettre à la décision de ses confrères.
Ce fut un coup de foudre que ce revirement pour les
moines opposants ; leur impression fut si profonde, que
l'un d'entre eux ne tarda pas à quitter en secret l'abbaye,
ainsi que l'habit religieux, laissant par écrit le témoignage
de l'odieuse machination dont il avait été le principal orga-
nisateur. On était au milieu de l'année 1598 [[\
(1) Lii Mère de Blôinur, op, cit., parlant de l'élcclion du prieur de
— 318 —
Le nouveau prieur commença son gouvernement par un
acte pieux envers l'un de ses prédécesseurs. Le Bienheu-
reux Richard, abbé de Saint- Vannes, reposait dans Tune
des chapelles de l'église : Didier le fit exhumer et lui
ménagea, dans le chœur môme, une sépulture digne de sa
renommée. L'évéque entra dans les vues du prieur, et
changea en l'honneur de la Sainte Trinité la messe dite
jusque-là pour le suffrage de Tàme du saint abbé. C'était
un protecteur puissant acquis à la réforme (1598).
Confiant en son appui, Didier de la Cour se mit coura-
geusement à l'œuvre ; deux voies s'ouvraient devant lui :
l'une delà mitigation, qui consistait à ramener par de sages
avis, par des encouragements, ou au besoin par des répres-
sions, les anciens moines à une vie honnête et digne de
leur état ; l'autre, qui seule lui semblait avoir chance de
succès, excluait les anciens de tout essai sérieux et formait
à côté d'eux une communauté nouvelle, complètement
séparée de l'influence des anciens, et élevée selon les plans
d'une réforme radicale.
L'évéque-abbé, à qui le prieur développa ses raisons en
faveur du second mode, n'osa l'accepter sans conseil ; il
réunit, pour en délibérer, plusieurs personnes très graves
du clergé séculier et régulier. Parmi les membres de
l'assemblée, un certain nombre ignoraient la vraie notion
de la vie monastique ; d'autres avaient peur de voir une
Saint-Vannes, dit : a Ce fut donc en l'an fo96 qu'il plut à Dieu de jeter
les yeux de sa mis<^ricorde sur les maisons de saint Benoit, se servant
de la personne du P. Didier de la C!our, pour rétablir la sainte Règle
dans son ancienne splendeur ».
Nous nfî pouvons admettre cette date, quoiqu'elle soit donnée aussi par
D. Réthelois (Chron. Vepez), puisque le Chapitre général où l'on décida
de tenter la réforme d'une abbaye, d'abord, n'eut lieu qu'en 1597, et
qu'alors D. Didier fut nommé maître des novices, charge qu'il dut
abandonner comme ineflicace pour l'œuvre projetée. (Cf. D. Calmet,
Bibl. Saint-Dié, qui donne aussi cette date de i:i98.)
Le prince Erric, dans la relation de sa visite à Saint-Vannes en 1598,
dit nettement qu'il déposa l'ancien prieur [D. Ànselin) et en fit élire un
autre {D. Didier).
— 319 —
nouvelle institution diminuer Tinflueuce de la leur ; plu-
sieurs enfin désiraient garder les relations agréables que
Saint' Vannes leur offrait avec son ancienne observance. Ces
différents points de vue empêchèrent Didier de la Cour de
triompher dans sa demande de réforme complète. Il s'in-
clina devant les décisions de l'Assemblée.
Pour donner plus de poids aux quelques règlements éla-
borés dans cette réunion, Tévêque vint lui-même à Saint-
Vannes, et réunit en chapitre tous les Religieux. Comme le
point de la propriété personnelle était celui qui causait le
plus de désordres, il ordonna aux moines, sous peine de
censures, d'apporter ce qu'ils possédaient, leur promettant
du reste que le Procureur, Dom Claude François, leur four-
nirait tout ce dont ils auraient besoin. Malgré cette assu-
raâce, malgré les termes minutieux dans lesquels elle fut
donnée, les moines habitués à se pourvoir eux-mêmes de
tout, à leur gré, ne se rendirent à l'invitation de l'évoque
que par la crainte des peines dont ils se voyaient menacés.
La charité et l'empressement avec lesquels Dom François
répondit aux demandes de ses confrères ne calma nulle-
ment leur mécontentement: ils se rendirent même d'autant
plus arrogants qu'on se montrait plus condescendant ;
d'autant plus exigeants qu'on était plus bienveillant, et les
désordres du passé ne firent que changer d'objet. En face
de cette mauvaise volonté, le prieur n'avait qu'une alter-
native : ou se démettre de sa charge, ou obtenir ce qu'il
avait demandé, une réforme sans mitigation. L'évêque,
mal conseillé, recula une seconde fois : deux Pères Jésui-
tes, distingués, du reste, par leur savoir et leur zèle, le
Père Toronce et le Père de la Tour se firent forts de conver-
tir les opposants, « qu'ils savaient être de braves gens
et qui appartenaient presque tous à la Congrégation de
Notre-Dame ». Sur leur proposition, Didier de la Cour
consentit à ce que, les uns après les autres, ses moines
fussent mis en retraite sous la direction des deux Pères
— 320 —
Jésuites. Le résultat, hélas ! du second essai fut semblable
au premier : rien ne changea dans les habitudes des reli-
gieux de Saint-Vannes. Les deux conseillers qui avaient
promis à l'évoque un plein succès durent eux-mêmes se
convertir à la conviction de Dom Didier de la Cour : seule,
une rénovation pure et simple du personnel, des habitu-
des, et de l'esprit, pourrait opérer une réforme durable.
Leur persuasion entraîna celle de Tévêque (1) et résolution
fut prise pour mettre courageusement la main à l'œuvre.
La première mesure indispensable était d'éloigner de
Saint- Vannes les religieux les plus mal disposés parmi les
anciens. Le prince Ërric avait obtenu la commende de
l'abbaye de Moyenmoutier, au diocèse de Toul. Celte abbaye,
aussi peu fervente que celle de Saint Vannes, avait, sous le
gouvernement d'un prieur indigne (2), perdu de sa codsi-
(1) .... Sed ciim inveterata Vivendi licenUa lus statuUs necdum plane
continori posset novaque el graviora scandala orircntur, de perforliori
integriorique disciplinaB roligiosie in dicto monastcrio rosUtuUonc cim-
silium inllt.
Quod eu m sine quorumdam Religiosorum magis discolarum Iransla-
tione tieri non posset, Illmus Dnus consUtuit aliquot monachos in aliiid
sibicooimcndatum inonaslcrium transferre. Quamobrcm obtenta cius rei
facultatoab Illmo Cardinali Legalo quinquc rcligiosos e dicto manaslorio
S. Vitoni Virduncnsis ad Médium monasterium Tullensis sou nullius
diœcesis transtulit« de dictorum etiam religiosorum translalorum con-
sr'nsu et postulatione....
(Relation des actes du prince Erric fi la sacrée Congrégation des Evo-
ques et Réguliers, 1G02, suite.)
(2) Le prieur dont il s'agit est Dom Louis de Thulliëres. A la mort
du cardinal Charles de Vaudémont, il avait été élu abbé de Saint-Hy-
dulphe de Moyenmoutier, mais son élection n'avait pas été confirmée
à Rome et la commende de l'abbaye avait été dévolue au prince Erric
en mars ilîHS. Dom Louis de Thulli(^res garda sa charge de prieur,
mais ses excès personnels et les abus qu'il toléra dans' son monastère
devaient être plus tard l'occasion d'une visite Ciinonique suivie d'en-
quête et de condamnation. Lui et ses moines avaient cru l'éviter, dit
la Méro de Blémur, on se montrant faciles à recevoir les Vannistesque
leur envoyait le prince abbé. Nous aurons sous peu à revenir sur la
triste situation de l'abbaye de Moyenmoutier au commencemonl du
xvii* siècle. Voici comment D. Bolhomme rapporte l'arrivée dos nou-
veaux moines : « 1599, die 22 Januarii, cum ita imminulus essel reli-
giosorum mediancnsium numerus ut divinis rite peragendis impares
— 321 -
dératioo et, ne recevant plus de vocations, menaçait de
s'éteindre sous peu. Le prieur Erric, qui déjà avait pensé à
la réformer, crut mieux faire d'attendre que Tessai nou-
veau de Saint-Vannes eût porté ses fruits, mais il profita de
la diminution de religieux à Moyenmoutier pour y envoyer
les mécontents de Saint- Vannes, avec l'agrément du cardi-
nal-légat.
Le 22 janvier 1599, cinq Religieux Vannistes arrivaient à
Moyenmoutier ; les autres opposants restés à Verdun fu-
rent mis dans les bâtiments du monastère donnant sur la
cour, non sans protestation de leur part et de celle des amis
qu'ils avaient su se ménager dans la ville (1).
En même temps que l'on écartait les obstacles à l'éla-
blissement de la réforme, on s'occupait de recruter de
nouvelles vocations. Les Pères Toronce et de la Tour avaient
promis de fournir vingt-quatre jeunes gens: leur succès
ne répondit pas à leurs espérances, et trois seulement con-
sentirent à entrer à Saint- Vannes ; les Récollets en envoyè-
essent, quinquc religiosi VitoDiani reformationcm recentcr introductam
récusantes ad mcdianuin cœnobium dirifçunlur» et in eo, jussu Ërricl
abbatis recipiunlur. Quod factuni est ut Vitoniani illi Doinno Ludovico
de Thullièrcs priori claustral!, tanquam superiori In omnibus obtem-
perarent : officialcs monasterii in suis ofliciis nuUatcnus turbarent, et
locum post mcdiancnses semper et ubique habercnt, de cœtero cum-
deni inter se servantes ordinem quem in monasterlo Vitoniano tonue-
rant. (Uist. Mediani monast.)
(1) Cœteros vcro in supra vivendi licenlia inveteratos vel caducos
extra claustrum in atrium ejusdem monasterii transtulit, ne suo malo
exemplo aliis religiosis monasticiEdisciplinc-e studiosis ofTendiculo essont
eosquc a proposilo averterent, lis soUs in dicto claustro retentis qui
libère religiosie diseiplinu» se submittebant
Ac ne dictum monasterium hominibus deslitueret, octo vel novom
circiter juvenes ad religiosam perfectionem aspirantes sorvatis antiquis
regulît statutis cl cercmoniis recepit regulamque S. Benedicti juxta
cxplicalionem R. Patrum congregationis S. Juslinae montis Cassinensis
obscrvandam Iradidit, esumque carnium, lineorum usum omnemque
proprietatem perpetuo substuiit, communitalomqne victus et vestitus,
babitum religiosum, jejunium byemalo, vigilias, malulina cœterasque
regulîe observa tiones restituit... (Relations du Prince Erric à la S.
Congr. des Ev. et Rég., 1602, suite).
1
— 322 —
renl un quatrième. C'était là tout le noyau destiné à germer
et à grandir avec une sève nouvelle : il faut avouer que,
humainement parlant, aucune espérance sérieuse ne pou-
vait se fonder sur un si pauvre commencement et dans des
circonstances si défavorables.
Arrivés au commencement de janvier 1600 à l'abbaye,
les postulants furent reçus avec toute la charité possible
par le prieur, mais avec non moins de défiance et d'hosti-
lité par les anciens. Ceux ci, heureux de trouver chez l'un
des nouveaux venus l'absence d'études suffisantes, chez
l'autre peu de santé, chez tous l'ignorance du chant et des
cérémonies, en profitèrent pour formuler contre eux un
refus net d'acceptation et pour les discréditer, eux et la ré-
forme, jusqu'au dehors de la clôture. Didier de la Cour raf-
fermit ses disciples contre le découragement trop facile à
craindre et à prévoir, et leur donna, le 20 janvier 1599,
l'habit des novices, c'est-à-dire la tunique, le scapulaire
sans capuce, et le bonnet carré (1).
Le noviciat se composait de quatre sujets, Dom Denys
Froment, Dom Jean Barthélémy, Dom Jean Thibaut et Dom
Hubert Rollet. Sauf D. Jean Barthélémy et surtout D. Hu-
bert Rollct, qui plus tard rendit des services éminents à la
Congrégation, les novices ne donnaient pas lieu de croire
qu'ils fussent des colonnes bien solides pour le nouvel édi-
fice, et les difficultés que les anciens ne tardèrent pas à leur
créer, semblaient plutôt faire présager une ruine complète
de l'œuvre tentée. Rien ne manqua, en effet, à l'épreuve du
noviciat canonique pour les postulants de Saint-Vannes :
au-dedans,les moines irrités d'être gênés dans leurmanière
de vivre libre et inoccupée, par Texemple de la régularité
et du travail de confrères plus jeunes, se rejetaient sur
(1) Cette ci^rémonie se faisait alors sans solennité dans un apparte-
ment du monastère. Plus tard, quand les Constitutions nouvelles furent
acceptées, c'est au chapitre que les candidats reçurent l'habit de l'Ordre.
D. C.\LMBT, Comment, sur la règle de S. Benoit,
— 323 —
rinexpérience de ceux-ci dans raccomplissement deToffice
divin et leur reprochaient de ridiculiser cette action sainte
aux yeux de toute la ville. Toute occasion était !»onne pour
les humilier et les décourager; les serviteurs eux-mêmes,
heureux de flatter les désordres de leurs anciens maîtres,
se mettaient de la partie et s'ingéniaient à tourmentei' les
fervents novices jusque dans leur nourriture. Au dehors,
les amis des anciens religieux, habitués à partager les jeux
de ceux-ci et des personnes de tout rang, furent indisposés
à dessein contre Tessai de réforme.
Malgré tant d'épreuves, grâce à la prudente fermeté et à
la bonté de leur maître, aucun des nouveaux postulants ne
songea tout d'abord à s'effrayer pour l'avenir: leur ferveur
augmentait à mesure que les difficultés redoublaient. Dieu
leur ménageait cependant,de ci de là, quelques consolations;
peu de temps après leur prise d'habit, ils virent les anciens
Religieux quitter d'eux-mêmes par dépit le réfectoire et le
cloître intérieur et se faire comme une nouvelle commu-
nauté : ce fut pour Didier de la Cour l'occasion d'introduire
l'abstinence perpétuelle et le travail manuel, qu'il regar-
dait comme indispensables à sa réforme.
L'abstinence de la viande ordonnée par saint Benoît, avec
exception pour les seuls malades, n'était pas regardée alors
comme une mortification extraordinaire; elle était un prin-
cipe admis par tout l'ordre monastique, où l'on n'avait
point encore à se préoccuper de l'état des santés, devenu
depuis si généralement précaire, ni du surmenage si fré-
quent de nos jours.
Quant au travail manuel, saint Benoît l'avait imposé à
ses moines, aussi bien pour remplir les intervalles laissés
libres par l'office divin et la méditation, que pour a subve-
nir, le cas échéant, aux nécessités ou à la pauvreté » du
monastère. Selon lui, a les frères doivent se regarder
comme étant vraiment moines, s'ils vivent du travail de
leurs mains à l'exemple des Pères (du désert) et des Apô-
— 324 —
très » {S. Ilegnla, cap. 40, passim.), La mesure suivant la-
quelle le travail manuel devait trouver place dans le cadre
de la vie bénédictine dépendait de Tabbé, qui, cependant,
devait veiller à ce que les moines peu accoutumés à ce
genre d'occupations, ou trop faibles, ne fussent pas effrayés
par Ses exigences. Chacun sait les controverses suscitées,
au xviii^' siècle, entre Mabillon et Tabbé de Rancéà cesujet.
Ce que les assertions de ce dernier avaient d'excessif res-
sort suffisamment de l'histoire monastique bénédictine,
où Ton trouve parallèlement ou successivement retracé le
travail du moine «défricheur», du moine « écrivain », du
moine « apôtre », du moine « architecte», du moine « ar-
tiste », selon que la société civile et l'Eglise le demandaient.
Faire uniquement du moine bénédictin l'homme de la-
bour, c'est lui enlever un de ses plus puissants moyens
d'action bienfaisante. Tous les réformateurs l'ont parfaite-
ment compris et, aussi bien à Bursfeld qu'à Valladolid,
chez les Exempts qu'au Mont Cassin, le travail manuel
avait sa part, mais une part restreinte, et le travail intel-
lectuel avait pris l'importance principale dans la vie mo-
nastique. Dom Didier de la Cour n'avait pas l'ombre de
doute sur ce qu'il devait choisir: comment du reste la
situation des abbayes à réformer se serait-elle prêtée à une
autre organisation ? Situées pour la plupart dans des villes,
elles auraient fourni peu de matière à l'activité monasti-
que. L'exemple de Saint-Vannes, où l'absence d'occupa-
tions intellectuelles avait laissé les religieux tomber dans
une oisiveté périlleuse et indigne de leur état, l'avait trop
convaincu du besoin, pourses jeunes novices, d'une forma-
tion sérieuse de l'inlelligence. Et il ne négligea rien pour
les mettre à hauteur de leur futur ministère; pour lui, «un
bénédictin ignorant était une espèce de monstre » et sou-
vent, dans sa vie, on Tentendait souhaiter « que la Congré-
gation fiU tenue indispensablement de servir le public
quant à l'enseignement dans les Collèges et au ministère
— 325 —
de la chaire, afin que les réformés fussent forcés par là
de mieux étudier et de donner Tessorà leurs talents (1). »
Le règlement qu'il composa pour ses disciples, parta-
geait le temps libre entre les offices liturgiques, et le consa-
crait soit à rétude de la Règle, de TÉcriture Sainte, du
chant et de la liturgie, soit aux divers travaux intérieurs
du cloître. Les récréalionselies-mêmes se passaient en entre-
tiens sérieux, de sorte qu'aucun instant n'était sacrifié à
la volonté propre ou à l'oisiveté.
L'année s'avançait sans que rien semblât devoir la trou-
bler, lorsque tout à coup Dom Didier tomba gravement
malade : son invincible fidélité aux observances de la
Règle, dont seule la volonté de l'abbé-évôque put l'obli-
ger à se dispenser en quelques points, l'empêcha de se
remettre aussi vite et aussi complètement qu'avec des
soins assidus. Ses disciples ne purent se préserver de
toute tentation de découragement : stimulés et peut-être
intimidés par les exemples de leur supérieur, ils n'osèrent
pourtant l'avouer, et continuèrent vaillamment à souffrir
avec patience les épreuves et les incertitudes qui se mul-
tipliaient chaque jour.
Vers le mois de juin, alors que Dom Didier se trouvait
presque rétabli de sa maladie, la venue d'un nouveau
novice rendit espérance à tous. Son âge, sa science et sa
profonde humilité devaient être pour ses jeunes confrères
un secours et un encouragement bien opportuns. Après
avoir rempli, pendant de longues années, la charge de
prieur dans l'abbaye de Saint-Airy de Verdun, Dom
Biaise Waltier avait pris la résolution d'embrasser la ré-
forme. Son arrivée à Saint-Vannes soulagea beaucoup Dom
Didier, qu'il aida dans la formation des jeunes novices
pour l'étude du chant et des cérémonies ; il se chargea
également de chanter chaque jour la messe conventuelle
pour les nouveaux venus.
(1) Cf. Haudiquer, op. cit., p. 194 et 195.
- 326 —
Presque en môme temps, le prieur, cédant aux instances
réitérées d'un oblat du monastère qui, à peine âgé de
quinze ans, demandait de prendre place parmi les novices,
lui donna Thabit. Trop faible pour supporter l'obser-
vance des réformés, Jacques Somnin dut interrompre
l'essai et le réserver à plus tard.
Au courant de cette année 1599, l'abbaye de Saint-
Vannes perdit deux des prieurés qui dépendaient d'elle :
celui de Mont-Saint-Martin, auprès de Longwy, et celui de
Chaudefontaine : là manière dont ils lui furent enlevés
peina beaucoup le pieux prieur, qui n'avait jusqu'alors
manifesté que de la confiance aux auteurs ou instigateurs
de cet acte. Nous laisserons parler D. Haudiquer, plus
explicite que D. Rolletdans son récit : « Les Jésuites de
Verdun voulant faire unir à leur collège le Prieuré de
Saint-xMartiu près de Longwi, au diocèse de Trêves,
dépendant de l'abbaye de Saint-Vannes, demandèrent,
outre le consentement de TÉvèque-Abbé, celui des Reli-
gieux de la Communauté. Ceux-ci l'accordèrent gra
cieusement, à condition que les Jésuites donneraient tous
les ans une redevance consistant en un franc barrois.
C'était assurément peu de chose sur la totalité d'un
assez bon bénéfice. Mais, dans les Bulles d'union qu'un
Notaire Apostolique vint signifier à la communauté assem-
blée en Chapitre, on ne trouva pas la moindre trace de
redevance. On se récria en vain... Les Jésuites répondi-
rent nettement qu'ils voulaient que leurs bénéfices fus-
sent absolument affranchis de toute servitude. » [Op, cit.,
p. 169-170.)
« La seconde affaire tira beaucoup plus à conséquence
pour la maison de Saint Vannes. Il y avait plus de 80 ans
que le riche prieuré de Chaudefontaine, près de Sainte-
Menehould, était entre les mains des séculiers et même
des Huguenots. Il vint enfin à vaquer, après une aussi
longue aliénation, et l'Évêque-Abbé de S.-Vannes, qui en
- 327 —
était collateur, le donna à Dom Didier de la Cour en
faveur de la réforme. Il y eut un compétiteur avec lequel
on s'accommoda aisément. Le sieur Hénard, archidiacre
de Verdun, qui avait envie d'entrer chez les Jésuites, et
qui n*y voulait paraître qu'avantageusement, importuna
tant, de concert avec eux, le prince-évéque, que ce prélat
demanda le Prieuré au nouveau titulaire, et cela sur de
faibles raisons. Dom Didier sentit toute l'indignité de la
manœuvre et n'eut garde d'abord de s'y prêter. Mais
les intéressés revinrent si souvent à la charge, ils repro-
chèrent tant les services rendus par l'évéque à la réfor-
me, sans oublier ceux qu'il pouvait encore lui rendre,
que le P. Prieur, qui avait autant en horreur la cupidité
que les tracasseries, prit le parti, pour la décharge de
sa conscience, d'assembler la Communauté. L'affaire mise
en délibération, il fut résolu qu'on sacrifierait le Prieuré
au bien de la réforme... et peu après, conformément au
projet des Jésuites, on l'annexa à leur Collège de Reims »
{Ibid.) (1).
(i) Après rimpression du tome IV des Chroniques de TOrdre de
saint Benoit par D. Réthelois en 1648, dans lesquelles sont rapportées ces
désunions de prieurés, les Jésuites se plaignirent que l'auteur eût
donné d'eux l'idée de gens qui cherchent à s'emparer des prieurés
bénédictins.
Ils firent même une réclamation au Chapitre général de 1()65. Le
Chapitre général répondit au R. P. Cordlcr, Provincial, qu'il n'avait
pas été du tout, dans l'intention de l'auteur des Chroniques, de blesser
les Religieux de la Compagnie. Il renouvela la défense faite en 1649 ii
D. Réthelois d'imprimer un nouveau tome sans la permission du Pré-
sident de la Congrégation ou de ses Supérieurs.
D. Calmet, Bibl, larr., art. Réthelois.
CHAPITRE IV.
Profession des premiers rcli^îlcux de la réforme le 30 janvier 1600. —
Quelques hésitants se laissent toucher parla grAce. — La vie austère
des nouveaux moines. — Dom Didier de la Cour tombe malade. 11
veut se démettre de sa charge. — Intervention de l'évéque-abbé. —
Nouvelles professions : Pierre Rozet. — Retour de Dom Claude
François. — Des moines françiiis viennent embrasser la réforme à
Saint-Vannes.
L*année canonique louchait à sa fin, et la date de la pro
fession solennelle avançait rapidement ; Didier de la Cour,
ignorant les craintes qui couvaient dans l'àme de ses disci-
ples, rendait déjà grâces à Dieu de la moisson, humble
sans doute, mais bien mûre, qu'il allait pouvoir recueillir.
Il n'avait rien ménagé pour la mettre à Fabri de toutes les
tempêtes intérieures et extérieures qui ne discontinuaient
pas à Saint- Vannes ; malheureusement l'intimidation avait
peu à peu fait son œuvre.
Outre les quatre novices nommés et Dom Waltier, deux
religieux anciens avaient appuyé et promis de partager
l'œuvre : Dom Claude François et Dom Philippe Lambinet.
Celui ci n'eut pas le courage d'aller jusqu'au terme de
l'épreuve et reprit rang parmi les anciens. Dom François
couvrit sa retraite momentanée par un voyagea Rome : il
voulait y gagner les indulgences du Jubilé et aussi peut-
être attendre là ce qui adviendrait de l'œuvre de Didier.
Celui-ci fut profondément affligé de son départ, et, quoi-
qu'il ne doutât point de le voir revenir près de lui et eni-.
brasser la réforme, la privation qu'il ressentit à cette
occasion, de son meilleur ami et de son plus fidèle appui,
lut plus pénible à son àme que toute autre difficulté.
La date de la profession qui devait avoir lieu le 20 jan-
vier 1600, fut remise au 30, à cause d'un voyage entrepris
par le prince Erric. Quelques jours auparavant, Didier de
— 329 —
la Cour proposa à ses novices une formule de serment
par laquelle chacun s'engageait « à ne recevoir jamais dans
la Congrégation aucun religieux qui ne fût disposé à en
garder exactement les statuts, tels qu'ils avaient été
observés pendant Tannée du noviciat, et à ne choisir
aucun Supérieur qui ne fût zélé et affectionné pour la
réforme ».
Agréée par les novices,- la formule fut ratifiée par le
prince-évôque. Enfin le 30 janvier arriva. Didier de la
Cour, pour marquer l'importance de ce jour, duquel date
vraiment l'établissement de la réforme, avait invité à la
cérémonie de la profession les abbés voisins et une grande
partie des chanoines et officiers ecclésiastiques, ainsi que
des personnes notables de la ville.
Uniquement préoccupé de la grande action qui allait
s'accomplir, le prieur de Saint- Vannes ne se doutait pas que
ses espérances étaient sur le point de s'évanouir. Trois de
ses novices, parmi lesquels Dom Waltier, avaient cédé au
découragement, et si, par timidité ou par crainte de peiner
leur maître, ils ne lui avaient pas découvert leur dessein,
ils n'en étaient pas moins résolus à quitter l'abbaye le
jour môme de la profession. L'abbé de Saint- Airy devait
reprendre son prieur ; les autres avaient fait venir leurs
parents et se proposaient de partir avec eux. Dieu les
arrêta : au moment où ils allaient sortir, l'évéque arriva
en grande pompe avec tout son cortège. Il n'était plus
temps pour eux d'échapper à la cérémonie ; changeant
tout à coup de résolution, ils virent dans cet événement
inattendu un signe providentiel, et se rendirent à l'église
pour accomplir, cette fois sans regret, leur sacrifice. Seul,
D. Philippe Lambinet resta en arrière, pour peu de temps,
il est vrai.
La profession monastique a toujours eu un caractère
spécial de solennité, et saint Benoît s'est inspiré, pour
celle de ses fils, des anciennes traditions du monachisme
22
— 330 —
oriental. Regardée à la fois comme uoe sorte de second
baptême et comme un contrat indestructible, elle avait été,
dès son origine, accompagnée de rites qui en relevaient la
dignité et en traduisaient la signification.
Bien des Ordres religieux ou des Congrégations ont
emprunté une partie de ces rites, et plus tard l'Eglise, en
les approuvant, leur a conféré la môme force et la même
valeur officielle que pour TOrdre monastique ; mais il
reste à celui-ci un symbole particulier : celui d'une
consécration complète du .« moine » au service divin
liturgique. Et voilà pourquoi la cérémonie de la
profession monastique se faisait, et doit se faire encore,
pendant la Messe, afin que le novice bénédictin qui émet
ses vœux sache qu'il les émet spécialement pour être
(( rhomme de la liturgie ».
A Saint Vannes, on avait conservé la tradition intacte sur
ce point; la profession des nouveaux réformés se fit, selon
la règle, à l'Offertoire de la messe solennelle, célébrée ce
jour- là par Dom Didier de la Cour.
Après l'Évangile el le sermon, le pieux prieur alla dépo-
ser sa chasuble et l'évêque-abbé, assis devant l'autel, reçut
sa profession. Puis, laissant son trône à Dom Didier, il
assista à son tour à la profession que Dom Waltier (1) et
les autres novices firent entre les mains de leur prieur, à
la grande édification et joie de tous ceux qui étaient pré-
sents. La réforme était dès lors un fait accompli et, à partir
de ce jour, 30 janvier 1600, elle ne devait plus enregistrer
que des succès toujours croissants.
Dom Philippe Lambinet, ému de ce qu'il venait de voir,
supplia le prieur de Saint-Vannes de recevoir sa profession.
Dom Didier de la Cour ne voulut point accéder trop vite
aux désirs de ce Religieux, dont il craignait les indécisions
(1) Dom Biaise Waltier n'avait que six mois de noviciat; l'évoque
le dispensa du resle et l'admit h prononcer ses vœux avec les autres
novices (Haudiquer, op. cit., p. 452).
- 331 -
et le peu de ténacité dans la volonté. Il lui imposa un
retard de quelques jours, et enQn, le 3 février, lui permit
de renouveler, en particulier, ses vœux selon la ré-
forme (1).
Le prince Erric songea aussitôt à établir pour les Reli-
gieux anciens une manière de vivre qui les empochât de
nuire à Taccroissement de la petite et fervente commu-
nauté.
Ne pouvant demander et espérer beaucoup de leur fai-
blesse, il dressa seulement neuf règlements, dont les sui-
vants étaient les principaux :
Il était permis aux non-réformés de demeurer dans la
grande cour du monastère, réservant Tintérieur du cloître
aux réformés.
Ils ne pouvaient sortir de cette cour sans une permission
spéciale du prieur claustral.
Défense leur était faite, sous peine de prison, de fré-
quenter les cabarets et d'introduire dans leurs cellules
aucune personne du sexe, sous aucun prétexte.
Ils devaient assister à roffîce divin, et se confesser tous
les huit jours.
Sauf en ce qui concernait les affaires communes et tem-
porelles du monastère, ils n'avaient pas voix au chapitre et
ne pouvaient prendre part aux délibérations concernant
la réforme, ni prétendre à aucune autorité sur les réfor-
més.
Le prince s'occupa également de la situation matérielle
des nouveaux profès, auxquels il assigna quelques fonds
pour leur vêtement et leur nourriture. Enfin, il fit quel-
ques statuts sur les réparations nécessaires dans les lieux
réguliers de l'abbaye.
(1) D. Philippe Lambinet ne fut pas sans raison retardé pour sa pro-
fession. Didier de la Cour vit ses craintes malheureusement justifiées
à quelque temps de là. D. Philippe fit déclarer sa profession nulle et
se retira du monastère (Haudiquer, op. cit. y p. 153).
— 332 —
La cérémonie qui venait de s'accomplir avait dissipé
bien des préjugés répandus dans la ville de Verdun contre
la réforme ; la vie de ceux qui l'avaient embrassée devait
bientôt elle-même, en s'imposant par son exemplaire aus-
térité et sa constante ferveur, vaincre les derniers assauts
de l'opposition. Les anciens moines ne pouvaient long-
temps supporter avec indifférence la vue de leurs confrères
uniquement occupés à prier et à travailler; ils ne pouvaient
non plus partager leur observance, dont chaque détail
contrariait leurs habitudes, ni même s'accoutumer à la
vie digne, mais relativement facile, que leur imposait
l'abbé.
Nous les avons vus déjà quitter d'eux-mêmes le réfec-
toire ; ils ne tardèrent pas à se désintéresser des affaires
traitées en chapitre et à déserter celui-ci ; comme si cela
ne suffisait pas encore pour apaiser leurs mécontente-
ments ou calmer leurs remords, après avoir également
quitté le dortoir commun, ils allèrent pour la plupart
rejoindre les Religieux que le prince Erric avait envoyés à
Moyenmoutier. Ils n'y furent pas longtemps à l'abri de la
réforme.
Leur départ servait à merveille les vœux et les intérêts
de Dom Didier de la Cour et de ses disciples : eux présents,
il fallait accepter aussi les services des domestiques atta-
chés à leurs personnes ; après leur éloignement, il devenait
facile de congédier ceux-ci. Le prieur le fit, accomplissant
par là une œuvre favorable à la réforme, et un acte de
justice envers les nouveaux moines, que ces serviteurs
avaient traités d'une manière si odieuse depuis leur entrée
à l'abbaye.
Nombre de points des Constitutions cassiniennes adop-
tées par les réformés étaient restés lettre morte jusqu'alors :
ils furent mis en vigueur, et Taspectdu monastère changea
tout à coup, provoquant l'admiration de tous ceux qui en
approchaient.
— 333 -
Autrefois toute Tobservance des religieux de Saint- Van-
nes se résumait dans l'office divin décemment récité, et le
reste de leur existence s'écoulait à la recherche de dis-
tractions soit au dedans, soit au dehors du monastère,
sans aucun souci de la clôture ou du silence. On aimait à
voira leur place les nouveaux venus, non moins appliqués
que leurs devanciers à la célébration de la liturgie, consa-
crer le temps laissé libre par ce devoir primordial à des
méditations ou à l'étude des sciences ecclésiastiques, ou
môme à des travaux manuels. Plus de sorties inutiles ; plus
d'étrangers admis sans raison grave dans le monastère :
le cloître avait retrouvé son silence par la cessation des
jeux bruyants qui, jusqu'à ce jour, l'avaient troublé. Quel-
ques récréations, passées dans des entretiens pieux, étaient
la seule distraction de ces vrais fils de saint Benoît, livrés
tout entiers au recueillement et à la vie intérieure. Leur
règlement, conforme à celui du Mont Cassin, ne laissait
rien au hasard, et il nous est facile de reconstituer Tune
de ces journées monastiques telles qu'elles se succédaient
à Saint-Vannes après la réforme (1).
Éveillés dès deux heures du matin — plus tôt même aux
jours de fôte — ils se rendaient à l'église pour y chanter
ou réciter les Nocturnes et les Laudes, dont la durée et la
solennité dépendaient de la fête. Ils retournaient ensuite
dans leurs cellules pour y lire ou étudier (2).
(1) Telle fut la Journée du bénédictin à Saint- Vannes dès le principe,
toile elle fut pendant toute la durée de la Congrégation, à part les
modifications que les lieux et diverses circonstances durent amener.
Elle se trouvait presque réglée comme nécessairement par les heures
de l'office divin qui en était le pivot. Les décrets des Chapitres généraux
signalent les changements sanctionnés et nous les noterons au passage
chaque fois que l'occasion s'en présentera et qu'ils pourront être de
quelque intérêt pour l'histoire de la Congrégation. Sans y attacher
une importance excessive, on doit les observer, parce qu'ils révèlent
souvent la physionomie d'une époque monastique ou l'état et les
besoins d'une abbaye en particulier. C'est ainsi que les maisons où plus
tard on établit les centres d'étude pour les jeunes religieux, durent
accommoder l'horaire ou l'observance aux travaux qui s'y faisaient.
(2) Dans le principe, les moines de la Congrégation do Saint- Vannes
— 334 —
Un peu avant cinq heures et demie, ils se trouvaient
réunis de nouveau à l'église pour y satisfaire leurs dévo-
tions privées et s'y livrer à la méditation. A six heures on
récitait Prime, que Ton achevait au Chapitre; immédiate-
ment après, venait le Chapitre des coulpes (1), où chacun
s'accusait des manquements extérieurs commis la veille
contre la règle. On distribuait ensuite le travail de la jour-
née et l'on récitait Tierce.
Selon que c'était jour de jeûne ou non, Sexte, None et la
Messe conventuelle se célébraient à 11 heures ou à
10 heures, et précédaient toujours le seul repas de la jour-
née. A table, jamais la viande n'apparaissait et jamais on
ne parlait.
Le repas était suivi d'une récréation commune de
trois quarts d'heure, après laquelle chacun retournait au
travail ; c'était généralement à ce moment qu'on se livrait
au travail manuel, jusqu'au premier son des Vêpres. A
trois heures et demie, celles-ci étaient chantées, puis on
rentrait en cellule jusqu'à l'heure de la collation, c'est-à
dire cinq heures les jours ordinaires, cinq heures et demie
les jours de jeûne régulier, ou jusqu'à Compiles, qui se
disaient toujours à six heures et demie, et précédaient la
collation aux jours de jeûne ecclésiastique. A partir de
Compiles, régnait le silence rigoureux, et à sept heures
trois quarts, tout le monastère devait être dans le repos :
les portes en étaient rigoureusement fermées et les clés
déposées chez le supérieur.
Le départ des serviteurs laïques avait augmenté les tra-
vaux matériels des Pères de Saint Vannes : aucun novice
convers ne s'était présenté jusqu'alors ; chacun se soumit
ne se couchaient pas après les Laudes, mais le Cliapitre de 1621 décida
que cela était permis : « Dictiini usum licttum declaramus ».
(Il Pendant les 50 premières années, le Chapitre des coulpes se
Unt tous les jours (cf. les éditions des constitutions de 1610, 1625, 1640),
mais à partir de 1674, nous le voyons prescrit deux fois la semaine
seulement.
- 335 —
de bon cœur à la nécessité de pourvoir aux offices laissés
vides, tant pour Tentretien et la propreté du monastère,
que pour la cuisine elle-même. Ce n'était point chose nou-
velle dans rhistoire religieuse des abbayes, et il suffît d'en
parcourir les annales pour y rencontrer nombre de faits de
ce genre : il est probable que les moines de Saint- Vannes
aimaient à se les rappeler comme encouragemeot au milieu
de leurs fatigues, et comme consolation des bévues aux-
quelles leur inexpérience les exposait nécessairement. La
providence vint bientôt à leur secours, en leur envoyant
un auxiliaire précieux dans la personne du premier frère
convers de la réforme, Simon Gouthier, aussi pieux
qu*habile dans tout ce qui regardait le service intérieur de
Tabbaye ,1).
Les novices arrivaient également pour le chœur : le 21
mars 1600, le frère Nicolas Fabius prononçait ses vœux
solennels ; le 11 juillet, c'était le tour du frère François
Séguret.
Dom Didier de la Cour voyant son noviciat augmenter,
et prévoyant de nouvelles vocations, crut le moment venu
de séparer et les novices et les jeunes profès des religieux
plus anciens, afin de donner aux premiers une formation
plus complète et plus conforme aux idées de la réforme.
Les règles canoniques, aussi bien que les Constitutions
cassiniennes, le demandaient, et les occupations du prieur
Tengagaient à se décharger de la délicate et importante
mission de maître des novices, sur un autre qui pût s'y
employer uniquement. Parmi ses disciples il avait de
bonne heure distingué D. Hubert Rollet : celui-ci avait à
peine 22 ans à ce moment. Dom Didier de la Cour lui
confia cette charge en la fête Je l'Assomption de Notre
(i) « Nonobstant ses occupations continuelles, le frère Simon Gou-
thier assistait avec tant d'édification aux exercices spirituels, qu'il y
aurait beaucoup à dire de sa ferveur et de ses autres vertus ». ifEPEZ,
Chroniques, t. IV, ch. VIU, par. 25.
— 336 —
Dame, et, quelques jours après, le nouveau mattre pouvait
déjà présentera son prieur un nouveau profès: D. Bernard
Loterlot.
Fidèle à son programme, le réformateur reprit, point par
point, les diverses constitutions dont il avait la garde, afin
d'en préciser la portée et d'en rendre plus facile et plus
pratique l'observance : jusqu'alors l'idée d'une congrégation
ne s'était pas encore dessinée; il s'appliquait à tout ce qui
pouvait affirmer son œuvre à Saint-Vannes. Commençant
par l'office divin, il insista sur la grandeur de ce devoir,
ne dédaignant pas lui-môme d'en remplir les plus humbles
fonctions, pour en inspirer un profond sentiment de respect
aux jeunes religieux. On avait, par un zèle malentendu,
tenté de lui faire abandonner ce qui paraissait trop exté-
rieur, comme le chant : il n'avait pas prêté l'oreille à ces
conseils qui eussent « dénaturé l'esprit bénédictin)). Au
lieu de rien enlever à ce qu'il avait trouvé de digne et de
solennel dans la liturgie de Saint- Vannes, il chercha à la
rendre plus accessible au peuple, en la rendant plus agréa-
ble; il ne craignit pas d'entreprendre, en compagnie de son
maître des novices, le voyage de la chartreuse du Mont-
Dieu (1), afin d'y recueillir des principes pour la psalmodie
et le plain chant. Il en revint tout pénétré d'un nouveau
zèle, non seulemient en ce qui concernait la liturgie, mais
aussi sur plusieurs points de gouvernement, que les Char-
treux lui avaient enseignés (2). Pour mieux se les assimi-
(1) Cette chartreuse, située sur la rivière de Bar entre l'Aisne et la
Meuse, à quatre lieues de Sedan, fut fondée en 1430 ou 1134 par Eudes,
abbé de S. -Rémi de Reims, du consentement de l'archevêque Raynaud, i
qui contribua à cet établissement, avec plusieurs autres personnes...
S. Bernard allait de temps à autre chercher dans cette chartreuse une j
retraite plus solitaire. On y conservait avec soin sa chambre.
Haudiqi'Er, op. cit., 2« partie, p. 252, note 7.
(2) D. Haudiquer nous donne quelques détails intéressants sur ce
voyage de D. Didier de la Cour et de son compagnon. Les Chartreux
c les reçurent, dit-il, avec beaucoup d'honnêtetés. On leur donna
toutes les instructions qu'ils cherchaient et surtout les règles pour
— 337 -
1er, il se retira pendant quelques jours chez les Jésuites de
Verdun, et y rédigea tout un programme de nouvelles
observances, en plus de celles que pratiquaient déjà ses
disciples. Heureusement les Jésuites arrêtèrent son ar-
deur, et lui persuadèrent de s'en tenir aux constitutions
adoptées, et d'en exiger seulement de plus en plus l'exacte
pratique. Le conseil était sage; l'humble réformateur s'y
soumit, et rentra à Saint- Vannes, où il reprit la direction
de sa fervente communauté.
La Providence lui réservait une nouvelle consolation
dans l'arrivée au noviciat de Tune des futures colonnes de
la réforme, Dom Pierre Rozet, vers le mois d'octobre 1600.
Le nouveau moine avait déjà fait sa profession dans l'ordre
de Saint-Benoît, et était prieurde Notre-Dame à Nancy. Au
moment où il était question d'unir son prieuré à la Prima-
liale de cette ville, D. Rozet entendit parler des progrès
que faisait chaque jour la réforme à Saint- Vannes, et il réso-
lut de s'y rendre. Il y était devancé par la réputation d'un
homme versé dans le maniement des affaires, bon théolo-
gien, habile canoniste ; son extérieur était digne, presque
majestueux, et sa conversation douce et aisée. Les services
qu'il rendit bientôt à la congrégation, justifièrent l'accueil
favorable qu'il y reçut, et lui obtinrent de renouveler sa
profession le 21 mars 1601, six mois seulement après son
entrée au noviciat.
De bonnes nouvelles, pendant ce temps, arrivaient d'Italie,
où D. Claude François terminait son pèlerinage jubilaire.
Lui aussi, réjoui et réconforté par les progrès quotidiens
la psalmodie et le pla in -chant. Ces règles furent adoptées depuis
chez les Vannistes ». Ils donnèrent également à Dom Didier de
la Cour d'excellents conseils sur le gouvernement à établir dans sa
congrégation, insistant particulièrement sur les chapitres généraux et
les actes de visites, qu'ils regardaient comme des moyens puissants
pour maintenir rétroitc observance. La congrégation de Saint-Vannes
ne négligea rien dans la suite pour sauvegarder ces deux points impor-
tants de son régime. Uauoiquer, op, cit., p. 162 et suiv.
— 338 —
de Tœuvre de Dom Didier de la Cour, avait accepté, en
allaat au Mont-Cassin prier sur le tombeau de saint Benoit,
d'y étudier la manière de vivre des religieux, et de leur
demander des éclaircissements sur la pratique de leurs
constitutions récemment adoptées à Saint- Vannes. Rien ne
nous empêche de croire que ce fut grâce à lui que Didier
de la Cour obtint un modèle d'habit, tel que le portaient
les moines cassiniens et que ce fut alors, et non comme
d'aucuns le prétendent, le jour de la profession, que les
moines de Saint Vannes le revêtirent. Il semble, au pre-
mier abord, que ce fait n'ait qu'une importance médiocre
dans l'histoire de la nouvelle congrégation. Pourtant, mal-
gré son autorité et malgré l'adoplton des constitutions du
Mont-Cassin, le réformateur n'avait pas osé changer l'habit
en usage à Saint- Vannes, et il attendait une occasion favo-
rable, afin de mettre pour ainsi dire le sceau à la complète
observance des nouveaux règlements. Il le fit solennelle-
Fnent en chapitre, et avec lui D. Rollet, et bientôt tous leurs
confrères suivirent leur exemple (1).
Un danger qui devait, à double reprise, provoquer
le réformateur lui-même, menaça, vers la fin de l'année
1600, l'œuvre si heureusement ébauchée. Dom Didier de la
Cour tomba gravement malade: les soucis qui. depuis plu-
sieurs années, avaient pesé sur lui, et les austérités inces
santés qu'aucune fatigue ne pouvait interrompre, avaient
, (1) Aussi bien que sur les autres articles de la vie monasUque, le
relâchement s'était peu k peu introduit à Saint-Vannes et dans d'autres
monastères, en ce qui regardait le vêtement. La pauvreté pour les
uns, le luxe pour les autres, ou bien également la recherche du plus
commode, avaient introduit toutes sortes d'abus et il n'y avait de règle
fixe que pour les novices, ainsi que nous l'avons dit. Les divers règle-
ments élaborés au cours des tentatives de réforme portent à ce sujet
des ordres précis. C'est un caractère presque général à toutes les épo-
ques de décadence, que celui de la recherche personnelle ou du caprice
dans la matière ou la forme des vêtements : ce qui explique suffisam-
ment le soin des réformateurs à préciser ces questions, secondaires en
elles-mêmes.
— 339 -
eu raison de la forte santé du prieur ; pour la deuxième
fois, ses disciples se crurent sur le point de le perdre.
Généreux et calme, plus occupé de consoler ceux qui
rapprochaient, et de les rassurer en leur parlant de la-con-
fiance que le passé lui donnait pour Tavenir dans la pro-
tection de Dieu, il se préparait sans trouble à la mort.
Mais, cette fois encore, lu- seul sacrifice de sa bonne volonté
fut agréé de Dieu, et Dom Didier guérit.
Toutefois, profitant de cette occasion, il chercha à se
démettre de sa charge de prieur : en changeant d'objet,
rinquiétude n'en demeura pas moins vive à Saint- Vannes.
Sans doute, le Père Rollet, sur lequel il pensait se déchar-
ger de son office, avait la confiance et la sympathie de tous,
mais il était bien jeune, et lui-môme, à qui Dom Didier, au
cours de leur voyage au Mont-Dieu, s'en était ouvert, était
effrayé d'une telle responsabilité et refusait de s'y sou-
mettre. Le prieur était inflexible ; on le menaça de l'auto-
rité épiscopale ; il se crut fort contre celle-ci, parce que,
au moment de son élection, l'évêque lui avait promis par
écrit de le décharger de la supériorité, aussitôt que la
réforme serait établie ; il cessa même tout acte d'autorité,
montrant à qui voulait lui parler comme prieur, cette pro-
messe écrite ou, comme il l'appelait, « ses patentes de
simple religieux ».
Le prince Erric, averti de ce qui se passait, vint aussitôt
à l'abbaye, sous prétexte d'y faire une simple visite. Le
grand-vicaire qui l'accompagnait et à qui il avait donné
ses instructions, devait chercher à convaincre le prieur, et,
s'il n'y réussissait pas, lui, l'évêque abbé, se réservait
d'user de son autorité pour le forcer à garder sa charge.
Les paroles menaçantes du grand vicaire firent impression
sur le réformateur ; il s'inclina devant sa volonté et reprit
le gouvernement de l'abbaye.
L'évêque de Verdun continuait aux moines de son
abbaye de Saint -Vannes sa bienveillance et son appui.
— 340 -
Souvent il venait les voir, admirant leur vie simple et
austère, aimant à s'entretenir avec eux. « Son intérêt pour
eux alla si loin qu'il eut, dit-on, envie de désunir de
révêché de Verdun la meuse abbatiale de Saint-Vannes,
afin que les réformés, rentrant par là dans tous les biens
qui leur avaient été donnés par les fondateurs, pussent
entretenir une plus nombreuse communauté. Des per-
sonnes influentes le détournèrent de ce beau projet, et
il l'abandonna (1). )>
Dom Claude François ne tarda pas à rentrer à Saint-
Vannes ; il amenait avec lui deux religieux de l'abbaye de
Corbeil, en Normandie, Dom Jacques Pichard, manceau
d'origine, et Dom Pierre du Loir, normand.
Tous deux étaient allés à Rome pour gagner les indul
gences de l'année sainte, mais aussi dans le but de trouver
un monastère auquel ils pussent s'agréger. Leur abbaye
n'était, non plus que celles de Lorraine, un foyer d'obser-
vance, et ils désiraient travailler sérieusement à leur per
faction religieuse dans une communauté en règle. Avant de
passer les monts, ils avaient bien essayé la vie des Feuil-
lants (2), et se réservaient, faute de mieux, de l'embrasser à
leur retour. Mais quand, à Rome, ils se furent mis en rela-
tion avec Dom François, ils résolurent de passer avec lui
en Lorraine, pour y voir cette nouvelle réforme dont ils
apprenaient le succès toujours croissant.
La joie fut grande à Saint Vannes quand les trois pèlerins
y arrivèrent au printemps de l'année 1601. Dom Didier de la
Cour était particulièrement heureux du retour de Dom Fran-
(1) Dom Haudiqubr, op. cit.yp. 167.
(2) La réforme dile des t FcuillaDts » avait été entreprise par le
Bienheureux Jean de la Barrière, abbé commendalaire de l'abbaye de
ce nom, en Gascogne. Malgré bien des contradictions, cette réforme,
commencée vers l'année 1580, s'était fortifiée, et, dès 1589, Jean de la
Barrière était venu, avec soixante religieux, prendre possession du
monastère fondé par Henri III, au faubourg Saint-Honoré à Paris. Ce
monastère avait pris le nom de l'abbaye du Languedoc.
— 341 ~
çois. Celui-ci, né en 1559 d'une famille parisienne établie
à Verdun, était entré comme oblat (1) à Vàge de 10 ans dans
Tabbaye de Saint- Vannes, un peu après que Dom Didier de
la Cour y avait demandé son admission. Lorsque Didier de
la Cour fut envoyé à Pont-à-Mousson pour y continuer ses
éludes, les parents du jeune Claude obtinrent du prieur
Dom Anselin de lui confier leur fils, et tous deux se lièrent
d'une étroite amitié. La peste qui obligea Didier à se
rendre à Reims pendant une année, éloigna Claude Fran-
çois vers Paris, où il acheva ses études et eut beaucoup à
souffrir durant le siège de cette ville par Henri IV. Rentré à
Saint- Vannes, D. Claude François y fit profession le 21 mars
1589, alors que Dom Didier terminait son séjour à Rome,
et se préparait à regagner la Lorraine. Pendant les années
qui suivirent, Dom Claude François, chargé de la procure
ou mieux de la « cellérerie m du monastère, fut un cons-
tant et fidèle auxiliaire du prince Erric dans ses essais de
réforme. L'inutilité de ces efforts le découragea ; c'est alors
qu'il demanda à se rendre à Rome, à l'occasion de l'année
sainte 1600.
Ses deux compagnons séjournèrent quelque temps à
Saint-Vannes, et demandèrent d'y être admis en qualité de
novices, non cependant sans exprimer le désir de faire
auparavant un voyage à Paris, en vue d'y terminer quel-
ques affaires. L'entrée du noviciat leur fui, après quelques
objections de la part du prieur, assurée en môme temps
que la permission de s'absenter, et ils se rendirent à la
capitale. L'austérité qui régnait à Verdun, les difficultés
qu'ils avaient rencontrées chez Dom Didier au sujet de
leur admission (2), et surtout les doutes répandus à Paris
(1) Quoique primitivement le titre d' n oblat » entrainât pour l'en-
fant l'obligation de se consacrer au service du monastère auquel ses
parents l'avaient offert, il fallait, à l'époque où nous sommes, que ce
titre fût ratifié spontanément et librement par l'enfant devenu adulte,
qui faisait ainsi une véritable profession.
(2) Dom Haudiquer, qui fait ressortir dans un autre passage de son
— 342 —
sur la durée de la réforme, les découragèrent dans leur
projet et^ sans rien dire, ils entrèrent chez les Feuillants.
C'est là q ue Dom Claude François, envoyé par le prieur Erric
en Bretagne pour y soutenir ses intérêts d*abbé commen-
dataire, les trouva après de nombreuses recherches. Il
avait le droit de leur reprocher leur manque de parole et
il n'y faillit pas ; les deux fugitifs étaient d'ailleurs fatigués
de leur nouvel essai ; ils virent, dans le passage imprévu
du moine lorrain, une indication providentielle, se ron-
dirant à ses exhortations et décidèrent de quitter Paris,
mais seulement l'un après l'autre, pour ne pas trop attirer
l'atteation. Dom Jacques Pichard regagna la Lorraine vers
le mois de novembre, et prit l'habit le 8 décembre.
L'année canonique fut rigoureusement observée pour
éprouver sa volonté et, malgré son âge avancé, il dut subir
des humiliations plus nombreuses, devant lesquelles il ne
recula pas un instant. Il flt profession le 8 décembre
1602, âgé de quarante et un ans (1). Son confrère Pierre du
livre, la bonté et la facilité avec laquelle le réformatear acceptait les
postulants chez qui il remarquait une sincère bonne volonté, ne nian>
que pas de développer les raisons de la conduite de Dom Didier envers
les deux nouveaux candidats.
L'expérience pouvait lui faire craindre que leur âge, leur formation
antérieure, leur supériorité même sur les jeunes novices ne fussent
autant d'obstacles à leur persévérance. La pensée de les exposer au
découragement dans les épreuves et les humiliations d'un noviciat
austère, lui faisait également redouter la contagion de ce décourage-
ment pour ses jeunes disciples. La conduite des deux pèlerins ne
devait pas tarder à prouver que Dom Didier avait deviné leurs secrètes
frayeurs.
(1) D. Martin Rhételois, dans sa traduction des Chroniques d'Yepez,
consacre à D. Jacques Pichard un article élogicux {ibtd., t. III, p. 18à}.
Six mois après sa profession, dit-il, D. Pichard fut envoyé à Moycn-
moutier avec D. Claude François. La maladie qui chassa les réformés,
le ramena à Saint-Vannes, où il se'montra si fervent et si capable, qu'il
ne tarda guère d'être employé aux premières charges de la réforme.
Appliqué à la vie intérieure, il était d'une exactitude exemplaire à
l'ofTice divin. On lui attribue plusieurs guérisons qui semblent tenir
du miracle, par exemple celles qu'il opéra sur quelques malades en leur
faisant l'aumône. 11 prédit également la mort tragique de M. de Marcillac,
— 343 —
Loir le suivit quelque temps après, et renouvela ses vœux
le 21 mars 1604.
L'année 1602 compte, parmi ses profès, le jeune oblat
que sa faiblesse avait obligé de quitter le premier noviciat
de la réforme; le 21 juin, Jacques Somnin prononçait ses
vœux solennels entre les mains de Didier de la Cour.
pour lors gouverneur de Verdun, décapité plus tard à Paris. Les supé-
rieurs majeurs de la congrégation avaient la plus grande estime pour
lui et vinrent le visiter dans sa dernière maladie. Il mourut pieuse-
ment le 5 Juin 1628, à l'âge de 67 ans, laissant la réputation d'un saint
et d'un grand serviteur de la Sainte- Vierge.
CHAPITRE V
Le prince Erric obtient un bref de réforme du Pape Clément VIÏI pour
l'abbaye de Sainl-Hyduiphc de Moyenmoutier, 19 mai 1601. — Il fait
la visite canonique de ce monastère, dépose le prieur, établit la réforme
de Saint-Vannes par l'introduction de quelques moines de Verdun. —
Il communique à l'abbaye ainsi réformée les privilèges de la congré-
gation cassinienne de Sainte- Justine. — Le prieur de Saint- Vannes est
institué visiteur de Moyenmoutier. — Etrange maladie des réformés.
— Leur retour à Verdun. — La question de a stabilité» soumise aux
docteurs de Ponl-à-Mousson.
Les moines envoyés de Verdun à Moyenmoutier au mois
de janvier 1599 n'y avaient pas apporté un élément de
réforme, mais ils avaient permis au prince Erric de cons-
tater le bienfait de la mesure prise dans sa ville épiscopale.
Encouragé par raffermissement progressif d'une vie monas-
tique édifiante à Saint-Vannes, il voulut renouveler égale-
ment son abbaye de Moyenmoutier, en y introduisant quel-
ques moines réformés. Au courant de Tannée 1601 , il écrivit
au Pape Clément VIII, en vue d'obtenir un bref lui permet-
tant de visiter, au nom du siège apostolique, les abbayes
qu'il tenait en commende ou qui dépendaient de sa juridic-
tion épiscopale, et d'y prendre toutes les mesures nécessaires
pour les ramener, si besoin en était, à une observance plus
parfaite. En date du 19 mai de cette même année, le Pape
lui accorda le bref désiré, avec pleins pouvoirs d'informa-
tion, de législation, de correction et de répression, selon
qu'il jugerait utile au cours de son enquête (1).
(1) Clemens Papa VIII. Vencrabilis frater, salutem et Apostolicam
benedictionem.
Gum sicut semper nobis exponi fecisti in S. Hydulphi monasterii
0. S. Benedicti, TuUcnsis dicecesis, necnon Belli-Loci in Argona CIu-
niacensis Ordinis, Virdunensis dioecesis monasteria quae ex concessione
et dispensationc apostolica in commcndam ad tui vitam obtincs, ac in
quibus nonnuUi monachi scandalosi et forsan incorrigi biles reperiun-
tur visitare intendas, nos dictorum monasteriorumsalubri dircctioni et
prospcro statui quantum cum Domino possumus consulere volenles,
— 345 —
Au mois d'octobre suivant, le prince Erric se transporta
à Moyenmoutier pour y faire la visite canonique. L'enquête
de tua pietate, prudentia ac religionis zelo plurimum in Domino confisi,
tibi ut tanquam noster et apostolicae sedis delegatus, per te vel alium
seu alios a te deputandam yel deputandos, monasteria prœdicta semei
tantum visitare, ac tam in capite quam in membris corrigere et refor-
mare, ac in singulorum monachorum vitam, ritus, mores et discipli-
nam diligenter inquirere, necnon Ëvangelic» et Apostolicae doctrinsB
sacrorumque canonum et conciliorum generalium decretis, sancto-
rumque Patrum traditionibus, ac ordlnum dictorum monasteriorum
insUtutis inhserendo quaBcumquemutatione, correctione, reformatione,
emendatione, revocatione, renovatione aut etiam ex integro editione
indigcre agnoveris, renovare et" de novo constituere, condita sacris
canonibus et Goncilii Tridentini decrelis non repugnantia conflrmare,
abusus quoscumque tollere, bonas ac laudabiles inslitutiones ac impri-
mis cultum divinum, monasticam disciplinam et observantiam regu-
larem, ubicumque excidcrint, modis congruis restituere, monachosque
pnedictoB ad debitum et honeist» vitae modum reducere. Si aliquos in
aliquo delinquentes rcpercris, eos juxta canonicas sanctiones et eorum
regularia instituta, punire et castigare illosque, prout expodire judica-
veris, ad alia monasteria seu regularia loc^ e]usdem ordinis per te in
commendam aut alias forsan obtenta Iransferre, quœcumque vero
graviora repereris, ea in scriptis redacta ad nos diligenter deferri
facere, contradictores quoslibet ac rebelles, eisque auxilium, consilium
vel favorem publiée vel occultô, directe vel indirecte, quovis qusesito
colore vel ingcnio prœslantes, cujascumque status, gradus, ordinis ac
conditionis fucrint, per privationem eorum olficiorum et dignitatum,
ac inhabilitatis ad illa et alia in posterum obtinenda, et quascumque
alias arbitrio tuo vel a te dcputandas, imponendas et infligendas pœ-
nas, ac demum per aliquas censuras ecclesiasticas aliaque opportuna
juris et factl remédia, appeliatione postposita compescere, ac legiti-
mis super bis babendis servatis processibus, pœnas et censuras ipsas
liera' is vicibus aggravare, interdictum ecclesiasticum apponere ac
etiam, si opus fuerit, auxilium bracbii soecularis invocare, omniaque
alia quœ ad visitationem correctionem et reformationem pertinent, pro
dictorum monasteriorum prospère statu dirigendo, neccssaria et oppor-
tuna facere et exequi libère et licite possis et valeas, auctoritate apos-
tolica, tenore prœscntium licentiam concedimus et impertimur. Non
obstantibus prsemissis ac quibusve apostolicis necnon in provincialibus
et synodalibus conciliis editis generalibus vel spccialibus constitutio-
nibus et ordinationibus, ac dictorum monasteriorum et illorum ordi-
num etiam juramento conflrmatione apostolica vel quavis firmitate
alia roboratis, statutis et consuetudinibus, privilogiis quoque indultis
et litteris apostolicis, sub quibuscumque tenoribus et formis ac cum
quibusve clausulis et decretis in génère vel in specie ac alias in contra-
rium pnemissorum quomodolibet conccssis conflrmatis et approbatis :
quibus omnibus et singulis eorum tenores prœsentibus pro expressis
23
— 346 —
dont il rendit compte aussitôt au souverain Pontife f), ne
lui révéla que trop l'état misérable de son abbaye : le prieur
fut convaincu de crimes contre la religion et la morale, et
dut avouer ses fautes. Le visiteur le déposa de sa chaîne
de trésorier et de prieur, et le priva de voix active et pas-
sive ad vitam, puis le chassa du monastère. C'est seulement
à la prière du prévôt de Saint-Dié (2) et des abbés de Seno-
nés (3) et d'Étival (4), qu'il renonça à le condamner à la
prison, vu son âge et ses infirmités. Jusqu'à ce qu'on lui
eût assigné un monastère, il devrait vivre parmi les cha-
noines de Saint-Dié, et on lui donnerait une pension
annuelle de 800 francs, soit 700 pour son entretien et 100
pour se libérer de ses autres obligations. Sous peine de
prison perpétuelle, il lui fut enjoint de renoncer à ses
crimes passés (5).
Un autre décret fut également porté contre un religieux,
D. Claude Mourreux, convaincu de plusieurs crimes d'in-
conduite. Il fut privé de son office de chantre du monas-
tère, et condamné à la prison (6) pour trois ans, après les-
habentcs, illls allas in suo robore pcrmansuris, bac vice duntaxal spe-
cialiter et expresse derogamus cœterisque contrariis quibuscamque.
Datum Romae, apud S. Marcum, sub annulo piscatoris die XIX ma|i
MDCI, poDtifîcalus nosLri anno decimo.
(1) Cf. Arch. Év. et Rég., a. 1601, où nous avons trouvé cette rela-
tion.
(2) Gabriel de Reynette.
(3) Jean Lignarius.
(4) Antoine Doridan.
(5) En 1606, le prieur déposé adressa à la S. CongrégaUon des Ev. et
Rég., une requête en vue de pouvoir accepter des bénéfices sans charge
d'âmes ou des canonicats, afin do pourvoir à sa subsistance. La Sainte
Congrégation lui fit répondre de s'adresser au Pape lui-même.
Archives Ev. et Rég. Anno 1606.
(6) D'après les nouvelles constitutions, le régime do la prison dans
les monastères consistait à être renfermé dans une cellule, à vivre
séparé de la communauté, qui avait défense de communiquer avec le
coupable. De temps à autre, selon le conseil de saint Benoit {reg. Il,
cap. 27 1, on lui envoyait quelque religieux capable do l'encourager à
supporter chrétiennement sa peine, à expier ainsi sa faute. Les seules
lectures permises au prisonnier étaient des lectures pieuses. Son
— 347 —
quels il devrait quitter la contrée, et se rendre dans le
monastère qui lui serait assigné.
Quelques jours après, le 3 novembre, en présence de
Tabbé de Senones, de Nicolas Hénart, son vicaire général,
de D. Jacques Boucher, son vicaire pour les abbayes et les
monastères, de D. Claude-Jacques Chamagne, prieur de
Senones, de D. Nicolas Oubry, prieur, et de Nicolas Grillot,
tous d'eux d'Etival, et de plusieurs autres prêtres, curés
des églises dépendantes de Moyenmoutier, le prince Erric
fit proclamer solennellement, au chapitre de ladite abbaye,
la charte de réforme. D. Belhomme, dans son histoire de
Moyenmoutier, nous a conservé le texte intégral de cette
charte dont nous n'avons extrait littéralement que le bref
pontifical, et dont nous ne donnerons que les principales
idées. Le prince-abbé ayant constaté le relâchement des
anciens religieux rebelles aux avertissements réitérés, et
voulant y remédier plus eflicacement, demanda au Pape
Clément VIII un bref qui lui permît de prendre les moyens
nécessaires pour étoufler le mal. En date du 19 mai, le
bref lui fut expédié, et, en vertu de l'autorité qui lui était
donnée, le prince fit la visite canonique de son abbaye.
Les plus coupables des religieux furent punis par la priva-
tion de leurs offices et de la voix active et passive; quant à
ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas se soumettre à
la réforme, ils furent dispersés dans divers monastères. A
leur place, continue le prince, « nous avons introduit
et établi comme les vrais membres de ce monastère, les
UR. PP. Claude François et Pierre Rozet, prêtres, les frères
Nicolas Fabius et Bernard Loterlot, religieux profès de
Tordre de Saint Benoît, de notre monastère réformé de
Saint- Vannes de Verdun, leur donnant tous et chacun
régime élait proportionné au délit. Le prisonnier, on le voit, était
dans toute autre condition que celle des prisonniers de nos jours et
que celle décrite quelquefois avec fantaisie par des historiens, heu-
reux d'évoquer l'image de supplices cruels et inhumains.
— 348 -
droits, privilèges, fruits, revenus, profits et gains, qui sont
connus comme appartenant ou qui appartiendront plus
tard au couvent ou chapitre dudit monastère, et les avons
mis en réelle et actuelle possession dudit monastère ; nous
leur avons assigné leur stalle au chœur et leur place au
chapitre (1), déclarant et décernant que ces dits religieux
introduits par nous, et mis en place des anciens, ainsi
que leurs successeurs, observeront désormais parfaitement
la règle de saint Benoit, interprétée d'après les déclarations
des Pères de la congrégation de Padoue, c'est-à-dire du
Mont-Cassin, garderont Tabstinence de la viande hors le
cas de maladie, pratiqueront le jeûne d*hiver et les vigiles
nocturnes selon les prescriptions de la règle, et n'useront
pas de linge fait de lin ». L'abbé déclare abrogée toute
coutume contraire à ces règlements, et il établit que pour
mieux sauvegarder la réforme introduite par lui, les no-
vices qui seront reçus à Moyenmoutier, après avoir récilé
la formule de profession telle que la règle Ja donne, devront
prêter serment sur les saints Evangiles « de ne jamais se
soustraire à l'observance réformée de la règle, de ne rece-
voir aucun religieux qui n'ait la volonté sincère de l'ob-
server, et de n'élire aucun supérieur qui ne soit zélé pour
son maintien (2) ».
Pour assurer davantage encore la durée de la réforme, le
prince Erric décide que, chaque trois ans, le prieur de Saint-
(1) Le moine ayant comme centre de vie Toffice divin, on comprend
pourquoi son installation se faisait et se fait encore aujourd'hui par
l'assignation de sa stalle au chœur. Le chapitre n'est dans l'institution
monastique qu'un prolongement du chœur, mais comme c'est là que
se délibèrent les grands intérêts de la communauté, celui qui vient
d'être adopté par celle-ci, doit y être introduit solennellement. Ailleurs,
la prise de possession se faisait par la remise des clés des lieux régu-
liers et du monastère, ou encore par la tradition des vases sacrés. Le
symbole de ces diverses cérémonies se découvre de lui-même. (Cf.
Hist. de Beaulieu en Àrgonne, par Auguste Lcmaire).
(2) Ce serment, institué par Didier de la Cour, se prêta pendant toute
la duréo do la congrégation de Saint- Vannes et Saint-Hydulphe. Cf.
Constitutionis anni 1774 professionis forma, p. 11. scctio 11% n* 14.
— 349 —
Vannes pro tempore existens pourra et devra visiter ses
religieux de Saint-Hydulphe, et prendra les mesures qu'il
jugera bon pour les maintenir ou les ramener aux règles
de la congrégation de Sainte-Justine, ainsi que pour récu-
pérer les biens et les revenus de Tabbaye, sans pouvoir
cependant rien en distraire. Le visiteur et ses compagnons,
lesquels ne pourront être plus nombreux que trois, y com-
pris le serviteur, seront entretenus, à l'aller et au retour,
par le monastère visité, à charge de conscience pour le
visiteur de ne pas prolonger au-delà du nécessaire leur
séjour à Moyenmoutier. A chaque visite, le prieur de Saint-
Vannes, après avoir exposé les raisons de sa venue, fera
lire les articles précédents en chapitre, et cette visite ne
pourra en rien préjudicier aux droits qui appartiennent à
Tabbé commendataire présent ou à ses successeurs. Si
quelque empêchement ou négligence survient et empêche
la visite, les religieux de Moyenmoutier ne seront nulle-
ment tenus de la demander ou de la reconnaître par un
cens quelconque. L'abbaye de Moyenmoutier, sauf ce cas
de visite, reste absolument autonome (1), et s'il arrivait
qu'à Saint- Vannes on se relâchât de la réforme, surtout
en ce qui regarde l'abstinence de la chair ou l'usage de la
laine au lieu de toile, les religieux de Saint Hydulphe ne
seraient plus tenus d'accepter la visite du prieur de Ver-
dun.
Une des sources de désordre et de. pauvreté pour le
monastère était l'indépendance de plusieurs offices, tels
(1) Erric, en maintenant l'autonomie de Moyenmoutier, entrait par-
faitement dans le plan de sjint Benoit, qui veut la famille monastique
complète en elle-mômc et capable de s'administrer. Le contrôle qu'il
imposait à cette abbaye, contrôle déterminé et limité k certains actes,
devait faciliter l'érection d'une congrégation ; mais le prince évoque
ne s'en souciait pas ; aussi eut-il soin de ré8erv<^r tous ses droits d'abbé
commendataire. A l'heure où la bulle d'érection parut, cette opposition
se fit jour par le refus momentané d'enregistrer le document pontifical,
qui détruisait la juridiction de l'abbé commendataire, pour ne lui
laisser que la jouissance des revenus.
— 350 —
que ceux du prévôt, du trésorier et du vicaire (1) ; le
prince Erric la supprima en réunissant sur la tête de Dom
Claude François, la charge et les revenus de ces offices.
Enfin, quelques jours plus tard, le 7 novembre, en vertu
des mêmes pouvoirs qui l'avaient autorisé à Tintroduction
de la réforme, Tévéque abbé, assemblant de nouveau les
religieux réformés, en chapitre, leur fit donner lecture de
la charte par laquelle ils participaient, eux et leurs succes-
seurs dans ledit monastère, aux a grâces, privilèges, au-
(( torités, pouvoirs et indulgences de ladite congrégation
(( (de Sainte- Justine) dont ils avaient accepté l'observance
« avec toutes ses charges... ». Ils pouvaient désormais
(( se servir du bréviaire de cette congrégation, soit dans le
(( chœur, soit hors du chœur, recevoir des frères commis
v ou convers, et les admettre à la profession des vœux
« simples et conditionnels, avec permission de les relever
« de ces vœux, du consentement de la majeure partie du
{( chapitre (2) ».
(1) C'est le 3 novembre égalemenl 1601, devant les mêmes témions
que ci-dessus, que fut accomplie l'union de ces divers bénéfices claus-
traux avec la charge prlorale. D. Hubert Belhomme rapporte les actes
d'union (op. cit.).
(2) Voici la teneur du document dans sa partie essentielle :
Erricus a Lotharlngia Dei et Apostolics sedis gratia Episcopns et
Comes Vlrdunensis, Abbas monasterii S. Uidulpbi, etc., omnibus prœ-
sentes litterus visuris, salutem in Domino sempiternani... Auctorilate
apostolica nobis in bac visitatione delegata, omnes et singulas gratias,
indulta, privilégia, facultates, immunitates, prerogativas, aulhoritatcs,
indulgentias qusB ab apostolica scdeaut superioribusdictiOrdinis, Con-
gregationis Patrum S. Justinje seu Montis Cassini unquam datae et colla-
tse sunt, omnibus et singulis communiter et divisim Religiosis hujus
monasterii et eorum in dicto monasterio Breviario dictœ Congregalio-
nis, maxime eo quod lypis anno 1(300 oxcusum est, in dicto monaslcrio
et extra illud, tam in choro quam extra illum, ex dictarum gniUarum
et facullatum, constitulionum et privilegiorum diclîe Congregationis
communicatione uti posse et debere," commissosque seu con versos fra-
très juxta dictîe Congregationis constitutionum déclara tiones recipere,
et ad professionem simplicium et conditionalium volorum, juxta dic-
tas Constitutiones nccessarium judicarent, per priorem dicti monas-
terii, de consensu et judicio omnium vel saltcm majoris partis CapituU
dispensandi, absolvendi, et dictes commissos ab eorum obligatione
^ 351 —
Rien ne semblait mieux organisé que cette réforme,
dans laquelle tout était prévu au temporel comme au spi-
rituel. Les religieux venus de Verdun ne devaient cepen-
dant pas tarder à subir la persécution qui s'attaque à toute
œuvre providentielle. En arrivant à Moyenmoutier, Dom
Claude François avait choisi la partie du monastère qui
pût incommoder le moins les anciens religieux autorisés à
demeurer dans leur cloître ; sa délicatesse n'éteignit point
le mécontentement de ceux-ci, et bientôt une guerre
ouverte fut déclarée. Pendant plusieurs semaines, le nou-
veau prieur et ses compagnons n'eurent pour lits que le
plancher de leurs cellules, et pour aliments que ceux
qu'ils trouvaient dans l'intérieur ou dans le jardin de
l'abbaye. Une sorte de ban fut proclamé contre eux, et sans
le concours de quatre serviteurs dévoués qu'ils obtinrent
de Saint-Vannes, ils n'auraient même pu se procurer les
choses les plus nécessaires à leur entretien.
Un tel régime ne pouvait que trop les prédisposer à
toute espèce de maladie: il s'en déclara bientôt, en eflet,
sous une forme étrange, que plusieurs historiens ont cru
devoir attribuer à des maléfices. Quelle qu'en fût la cause,
cette maladie les éprouva cruellement tous; sept d'entre
eux moururent dans l'espace d'un an ; les six autres
demeurèrent pendant un long temps perclus des membres.
D. Claude François résista d'abord, puis fut atteint à son
tour et si gravement que, ne voyant aucun remède à son
mal, il se fit transporter à Verdun. A peine y arriva-t-il,
qu'il fut pris de syncopes, et on dut le laisser pour quel-
liberos dimittendi. Non obstantibus ordinationibus, constitutionibus,
indultis et privilcgiis quibuscnmque, quavis authoritato' roboratis,
aliisque omnibus et singulis qu^ sanctissimus Dominus noster in
delegatione commissionis nostrîe voluil non obstare. In quorum fidom
etc.. Datum in monasterio S. flidulphi die septima novembris anni
millesiml sexcentesimi primi. — Sign.*. Erricusa Lotharingia Episco-
pus et cornes Virdunensis.
D. H. Belhomme, Hist, Mediani mononasterii.
— 352 —
ques jours aux soins de sa famille, avant de le rendre à
l'abbaye de Saint-Vannes. La maladie céda rapidement aux
soins dont il fiit l'objet, mais la convalescence se fit longue,
et D. Claude François ne se trouva rétabli complètement
qu'après une année (1).
Une difficulté s'éleva à cette époque dans l'abbayede Saint-
Vannes, et nous croyons devoir en parler parce qu'elle
touche à un point essentiel de la constitution monastique :
celui de \3i stabilité (2),
Le nombre des religieux malades, qui, de Moyenmoutier,
demandaient à revenir à leur monastère de profession, ne
tarda pas à inquiéter les religieux de Saint- Vannes, à cause
du surcroît d'occupations et de dépenses imposé par leur
triste état de santé, et leurs voyages répétés. Auquel des
(i) Cf. D. Haudiquer, op, cit.^ 2' partie, pages 198, 199. Cette maladie se
manifestait surtout par des douleurs d'intestins si violentes, que lors-
que la crise prenait le malade, trois hommes des plus robustes avaient
peine à le retenir dans son lit. Bien que très étrange au premier
abord, une telle inûrmité s'explique assez par la mauvaise nourriture
et les conditions déplorables dans lesquelles les nouveaux venus se
trouvèrent à Moyen moutier, sans qu'il soit besoin de faire intervenir
d'agent préternaturel. Dom Didier de la Cour était lui-même persuadé
qu'on devait l'attribuer à la mauvaise qualité de certaines eaux. Ibid,
(2) La stabilité que le moine voue à son monastère, l'oblige à ne pas
quitter celui-ci de sa propre volonté, et lui confère quelques droits,
comme par exemple, celui de revenir ik ce monastère, si l'obéissance
l'a envoyé ailleurs pour un certain temps. Par la stabilité, il prend
place dans la famUle qui l'a reçu, éprouvé, admis après examen : celle-
ci ne peut le renier, ni lui enlever son titre familial, sinon dans les cas
prévus par le droit général ou les constitutions particulières ; le moine,
do son côté, ne peut y renoncer sans cause légitime et sans l'autori-
sation de ses supérieurs. Ce vœu, si mal compris souvent, tout en
fixant le moine dans telle abbaye ou tel prieuré, no l'cmpéchc nulle-
ment d'être transféré provisoirement par l'obéissance dans un autre
monastère. Si ce transfert était rendu définitif pour des raisons ma-
jeures, le .vœu de stabilité se transporterait par le fuit même à ce
nouveau monastère, où le moine retrouverait les droits qu'il aurait
perdus dans sa première résidence. La stabilité, établie par saint
Benoit lui-môme, a pour but de prot<^ger le moine contre les périls
d'une vie errante, telle que certains solitaires d'Orient la pratiquaient
au détriment de la religion, et en même temps de faciliter l'organisa-
tion de la famille religieuse, l'un des .éléments principaux du régime
monastique.
— 353 -
deux monastères ces dépenses devaient-elles être inscrites ?
A Saint-Vannes, où ces moines, par leur profession, avaient
acquis un droit de stabilité, ou bien à Moyenmoutier, où
Tautorité apostolique leur avait assigné une stalle dans le
chœur et une place au chapitre ? Transférés dans ces con-
ditions d'autorité et de solennité, n'avaient-ils point, par le
fait, abandonné leurs droits de profession et comme trans-
porté leur stabilité à Saint-Hydulphe? Dans ce dernier cas,
ce n'était pas au monastère de Saint- Vannes de subvenir
aux frais de leur maladie, mais à celui de Moyenmoutier,
et les religieux malades n'avaient aucune espèce de droit
h demander leur retour à Verdun, d'autant qu'aucun con-
trat, ni aucun lien d'association n'existaient entre les deux
abbayes.
L'affaire alla assez loin pour que l'on se décidât à la sou-
mettre au jugement de l'Université de Pont-à-Mousson : les
juristes de la docte aima mater ne virent en cela qu'une
question de justice, et, partant de ce principe que les reli-
gieux ne pouvaient avoir une prébende monacale en deux
lieux différents, ils se prononcèrent en faveur de Saint-
Vannes: les moines de Verdun n'étaient nullement tenus à
recevoir leurs anciens confrères tombés malades, et même
ils avaient le droit de se faire indemniser des dépenses
occasionnées par eux.
Quant au dévouement des réformés envoyés à Moyen-
moutier, à l'instabilité de la réforme dans ce monastère,
à l'absolue impossibilité d'y être soigné, il n'y était pas
fait allusion.
Dom Claude François et ses confrères de Saint-Hydulphe,
alarmés de cette sentence, déclarèrent alors qu'ils préfé-
raient renoncera des droits éventuels sur Moyenmoutier,
qu'à ceux que leur profession monastique leur avait assu-
rés à Saint-Vannes.
Ce fut très probablement à la suite de cette difficulté
que fut projeté et rédigé le traité d'union entre les deux
monastères.
CHAPITRE VI
Traité d'union spirituelle et temporelle entre les deux abbayes de Saint-
Vannes et de Moyen mou tier (30 avril 1603) — Projet de congré-
gation ; difficultés. — Dom Rozet obtient la bulle d'érection des
deux monastères en congrégation. — L'évéque de Verdun refuse
d'accepter et de promulguer la bulle. — Il s'y résigne ensuite et la
fait promulguer à Moyenmoutier. — Premier chapitre général tenu
à Saint-Vannes le 31 Juillet 1604. — Décrets de ce chapitre: question
de la juridiction des prieurs résolue par le bref du 23 juillet 1605. —
Le cardinal étudie les moyens d'appliquer la réforme dans l'étendue
de sa légation.
Ce n'était point la première fois que Tabbaye de Moyen-
moutier contractait union avec une autre abbaye, et il n'est
pas sans intérêt de rapprocher de celui-ci le contrat passé
en 1323, entre Bencelin, abbé de Saint-Hydulphe et Jacques
de Dompierre, abbé de Saint-Airy de Verdun (1). Les prin-
cipales clauses regardaient, il est vrai, les rapports spiri-
tuels des deux monastères, sur lesquels les deux abbés
échangeaient leur autorité ; elles réglaient les honneurs à
rendre ou les prières à offrir en' cas de décès des supé-
rieurs ou des moines, mais il n'y manquait pas non plus
une sorte de compénétration ; en effet, l'abbé reçu dans le
monastère uni, pouvait y w tenir le chapitre, remettre les
peines, réconcilier les discordants avec leur abbé » ; le
moine y était considéré « comme l'un des profès de l'ab-
baye » ; on le recevait, et il prenait part aux délibérations
du chapitre. Ce n'était donc pas exclusivement une asso-
ciation spirituelle : ce qui la distingue des unions conclues
plus tard, non seulement entre deux monastères, mais
entre plusieurs, c'est que celles-ci, en gardant à chaque
monastère son autonomie, le mettaient sous le contrôle
d'un supérieur unique et constituaient une véritable hié-
(1) Cf. l'abbé Léon Jérôme, l'abbaye de Moyenmoutier, Bulletin de
la Société philomatique vosgieime, 1899-1900, p. 80 et suiT.
— 355 -
r«nrchie, tandis que la première met les droits des supé-
rieurs au même niveau ; cela était possible entre deux
monastères, cela ne se pouvait point pour toute une confé-
dération d'abbayes ou de prieurés.
Le traité qui fut signé entre Saint-Vannes et Saint-Hy-
dulphe participe déjà du principe hiérarchique tel qu'il
existait dans la congrégation de Sainte-Justine de Padoue,
et tel qu'il devait s'affirmer à l'organisation complète de
la congrégation lorraine issue de cette union des deux
monastères.
En voici la teneur :
In nomine Domini^ Amen.
« Nous soubscrits, promettons soub l'obligation de nos
v«Hux, que moiennant la grâce de Dieu, nous tiendrons et
observerons entre nous une telle union et concorde de
charité fraternelle, que, pour choses quelconques, nous ne
nous séparerons les uns des autres, soit en prospérité ou
adversité, indigence ou abondance, et que, (quand Dieu le
permettra ainsi) nous supporterons tous également toute
l'indigence et incommodité qui en pourra arriver, cher-
chant tous en général et en particulier le bien et le soula-
gement de nos confrères affligez, sans s'attribuer aucune
chose de son labeur, industrie, ménage, rentes et revenus
tant du commun que des particuliers : et que nous garde-
rons en toute perfection la pauvreté religieuse, avec com-
munication de tous biens et maux, qu'il plaira à Dieu
envoler à Tune ou l'autre maison.
Pour l'observation de ce que dessus, soub la mesme
obligation susdite, jurons et promettons que nous rendrons
l'obéissance au supérieur commun, tel qu'il sera choisy
de toute la Congrégation, tant au spirituel qu'au temporel,
lequel, assisté de ses Anciens, sera obligé de tellement dis-
poser du spirituel et du temporel, que, sans respect de l'une
plus que de l'autre maison, eu égard au seul honneur de
— 356 —
Dieu, il pourvoiera aux nécessités de chacune maison et
des religieux d'icelle.
Et, afin qu'il puisse mieux exécuter ce que dessus, il aura
puissance avec le conseil de ses Anciens de se servir des
moiens de l'une des maisons pour subvenir à l'autre, n'en-
tendant aucunement qu'il y ait aucune propriété entre les
deux maisons tant au spirituel qu'au temporel, sans avoir
égard si les dits moîens viennent de l'une ou l'autre mai-
son.
Et cas advenant qu'il fallût défendre son bien par Jus-
tice (ce qui ne se pourra commencer ou terminer sans
l'adveu du supérieur commun et de ses Anciens y compris
les Prieurs, qui partout tiendront les premiers lieux entre
les Anciens et en toutes décisions (sauf où ils seraient
parties), tous les frais seront supportez aux frais com-
muns, sans distinction ou division en cecy, non plus qu'en
autre chose quelconque, et ne se pourront défendre sinon
avec toute Justice, observant en tout et partout la bien-
séance et modestie religieuse.
Que s'il arrivait que, par procèz ou autre fortune, l'une
des maisons soit ruinée en tout ou en partie, l'autre sera
obligée de nourir et de pourvoir aux nécessités des Reli-
gieux comme à eux-mêmes sans aucune diOérence ou
reproche.
Toute l'espargne qui se fera en l'une ou l'autre maison
sera tellement à la disposition du Supérieur commun,
qu'il en pourra avec l'advis de ses Anciens accomoder
autant bien celle qui ne l'aura pas épargné que l'autre,
sans que l'une ou l'autre y prétende droit particulier.
S'il est question de faire rachapt de quelques biens alié-
nés de l'une ou l'autre maison, il se fera de la bource corn
mune, sans que l'autre puisse prétendre droit de répéti
tion, à raison que les commoditez qui réussiront de tels
réachapts se feront au profit des personnes qui font la
congrégation et non des maisons, comme n'étant qu'un
- 357 -
corps, sans pouvoir prétendre être de l'une elnon de l'autre
maison, ains de Tune et l'autre suivant la disposition des
Supérieurs.
Non seulement ceux qui sont présentement profez signe-
ront ce que dessus, mais aussi ceux qui viendront à mesure
qu'ils feront profession.
Le tout à condition qu'il n'y ait rien en tous les susdits
articles qui ne soit selon Dieu, justice et raison, ou qui
contrarie aux décrets des saints Canons, le tout soub le bon
plaisir de Sa Saincteté. Ainsi arrêté ce 30 avril 1603. »
Ce traité était, il faut le dire, une charte de bonne
entente entre les frères éloignés d'une même famille ; il
se ressentait avant tout des difficultés qui venaient de sur-
gir au point de vue matériel et au retour desquelles il vou-
lait apporter un obstacle insurmontable. Mais il est facile
de voir que ce n'était et ne pouvait être qu'une ébauche
de congrégation, nullement une véritable constitution des-
tinée à régler les rapports de monastères divisés par les
intérêts, réunis seulement par les liens d'une commune
observance à promouvoir et à soutenir. Né d'un fait, ce
traité ne pouvait avoir l'extension d'une organisation des-
tinée à appliquer des principes généraux ; il réglait un
état particulier : les relations de deux maisons, dont Tune
était la fille de l'autre, et n'était occupée que par les moines
de celle ci. Les intérêts étaient communs, mais il n'en
serait plus de même du jour où les religieux ayant fait
profession à Moyenmoutier deviendraient assez nombreux
pour créer et soutenir des intérêts locaux.
De plus, à ce moment, le même abbé tenait les deux
abbayes en commende ; et le supérieur était également
accepté par les moines des d*^ux maisons, tant pour son
intervention dans les afiaires spirituelles que pour son
contrôle dans les affaires temporelles. Du jour où la com-
mende se divisait, ou bien si quelque maison étrangère
demandait à entrer dans l'association, le traité se trouvait
— 338 —
trop spécifié dans ses articles, pour répondre à Tun et à
Tautre de ces changements.
Il fallait doncquelque chose de plus large comme champ
d'application, et de plus précis comme organisation (1).
Dom Didier de la Cour en fut rapidement convaincu, et en
parla à Tévéque. Celui ci convoqua une assemblée d'ecclé-
siastiques, qu'il présida lui-même, et à laquelle il soumit
le projet d'unir les deux monastères réformés en une
congrégation régie par les mêmes constitutions que celle
de Sainte-Justine de Padoue. Les deux monastères avaient
déjà adopté l'observance de la congrégation cassinienne, il
s'agissait seulement d'en adopter le régime et l'organisa-
tion.
De toute l'assemblée, seul le P. Florent, récollet, per-
sonnage de vertu et d'expérience, partagea l'idée de Dom
Didier et de Dom Claude François. Leur avis fut cependant
accepté, et l'on décida d'envoyer à Rome un procureur
chargé de poursuivre l'érection des deux abbayes en une
Congrégation.
Dom Pierre Rozet fut chargé de cette mission délicate.
L'Evêque écrivit à Rome à divers cardinaux pour leur
recommander le mandataire à qui, le 15 décembre 1603, il
remit sa procuration.
Dom Rozet se mit en route dès les premiers jours de
l'année suivante. A son arrivée à Rome, il alla présenter
ses lettres de créance au cardinal Baronius, qui le reçut
avec toutes les démonstrations possibles d'adection. Grâce
à l'influence de ce cardinal, le procureur de Saint- Vannes
ne tarda pas à être admis en audience par le Pape, et à
voir sa mission couronnée de succès.
(1) Peu de jours après ce traité d'union, une confraternité fui établie
entre les deux monastères lorrains et le Mont-Cassin par le chapitre
général de la congrégation do Sainte-Justine tenu in agro Mantuano
le 13 mai 1603. L'acte est signé par le Présidont des moines cassiniens,
D. Ambroslus a Dupio et le Secrétaire D. Dominicus a Golonia [BibL
Saint'Dié. ms XVI).
— 359 -
La bienveillance dont il était entouré permit à Dom
Rozet de demander au Procureur des Cassiniens copie des
privilèges accordés par les Souverains Pontifes à la con-
grégation de Sainte Justine, depuis son érection^. Sa prière
fut exaucée et, dans un voyage qu'il entreprit au Mont-
Cassin, le procureur lorrain fit transcrire et réunir les
copies authentiques qu'il désirait. Le Pape devait, en effet,
bientôt donner la bulle d'érection, et Dom Rozet voulait
avoir en main les pièces officielles contenant les privi-
lèges auxquels la nouvelle congrégation allait participer.
Le 7 avril de cette année 1604, Clément VIII érigea, sous
le titre de Saint- Vannes et Saint-Hydulphe, la Congréga-
tion qui rapidement devait grandir et sortir des limites de
la Lorraine, pour laquelle on l'avait désirée (1).
(I) Glemens Papa octavus. Ad perpetuam rei memoriam. Quantum
oz monasteriis pie ioslitutis et recte administratis in Ecclesia Del
splendorls atque utilitatis oriatur perpendentes id unutn ex debilo
pastoralis officii prsestare cupimus ut velus et regularis disciplina ubi
eollapsa est restauretur et constantius ubi conservata est perse?orct ac
regulares personse ad Régulas quant professa sunt prœscriptum, vi-
tam suam instituant et componant, cui rei aliùs sicut accepimus, cum
venerabilis frater Errlcus Episcopus Virdunensis diligenter incumberet
superioribus annis dlvlni Numinis providentia ac cura et diligenlia
dicti Errici Episcopi in S. Vitoni Virdunensis quod unitum est mensse
^piscopali Virdunensi et S. Hyduiphi loci Mediani Monasterli, Tul-
lensis seu nuUins diœcesis, quod ipse Erricus episcopus ex concession e
et dispensatione apostolica commendam ad sui vitam obtinet, ordlnis
S. Benedicti monasteriis, reformaUo observantiœ regularis juxta ins-
titula et Constitutiones Montls Cassinensis Gongregationis Introducta
fuit ac monachi utriusque monasterli hujusmodi etiam sponte accep-
taverunt, omnibusque huiusmodl instilutis, constltutionibus hactenus
sese exacte conformaverunt et in futurum conformare Intendunt.
Cum autem credibiie non sit eiusmodi reforma tionem fore diuturnam
nisi annuis visitatlonibus excolatur, quae tamen ûeri non possunt nisi
inter illos allqua Congregatlo in qua Superiores deputentur qui huius-
modl munera et alla ad observantlam et reformationem conservandam
necessaria subeant, instituatur. Pro parte Errici episcopi ac dilectorum
filiorum Priorumet Convcntuum dlctorum monasteriorum nobls humi-
liter supplicatum, quatenus eongregationem dlctorum duorum monas-
teriorum crigere et instituere aliasque in prsemissis opportune provi-
dere de auctoritate apostolica dignaremur.
Nos Igitur plum ac nunquam satis laudandum proposltum Errici
— 360 —
La jeunesse de la réforme empêchait l'observance de
l'un des points les plus importants des Constitutions cas-
siniennes ; il fallait plusieurs années de vie religieuse
pour être élîgible aux charges, sept ans pour le supériorat,
episcopi ac Priorum ac conveQtuum prifidiclorum plurimum in Domino
coinmendantos, ac eos et eoium quemlibel a quibusvis cxcommunica-
tionis suspensionis el intcrdicti aliisque ecclesiasticis scntentiis cen-
suris et pœnis a jure vel ab homine quavis occasiooe Tel causa latls,
si quibus quoinodolibet innodati existant, ad eflectum prdBsentium
duntaxat consequendum série absolventes et absolûtes fore censentés,
huiusinodi supplicalionibus inclinali, ex sententia reforma tioni praefec-
torum quibus boc universum negotium diligenter examinandum et
nobis référendum commisimus, Congregationom perpetuam diclorum
monastoriorum S. Vitoni et S. Hydulphi ad instar Congregationis Cas-
sincnsis scu S. JustinsB de Padua, apostolica auctoritate tenore praesen-
tium crigimus et instituimus ; ita ut capitulum générale et ab eo electi
pnesides et visitatorcs enmdem habeant auctoritatem in dictée Congre-
gationis monasteria prœdicta ac Regulares in eis commorantes, quam
alii Priesides et Visitatores in dicta Congregatione Montis Cassinensis
sou S. Justinie de l^adua, teneanturque suas Ckingregationîs monas-
teria fréquenter visitareot illorum reformatloni incumbereel ea obser-
var(> quae in sacris canonibus et Goncilio Tridentino sunt décréta, nec-
non cidcm Congregationi per présentes sic erectœ et institutse omnia
et singula privilégia, grattas, induigentias, immnnilates, exemptiones,
lit)ertates, favores et indu Ita praedicta Ck)ngregationis Montis Cassinen-
sis seu S. Justinse de Padua, illiusque singuiis monasteriis per quos-
cumque '^omanos Pontificcs praedecessores nostros, et sedem aposto-
licam, aut aliàs quomodolibet concessa et in futurum concedenda eis-
dem auctoritate et tenore concedimus et impartimur ac omnibus et
singuiis dictorum monasteriorum personis et praesidentibus et visita-
toribus ut illis potiri et gaudcre necnon qusBCumque alia monasteria
il la ru m partium quorum conventus et monacbi rcgularis disciplinée
observantiam sou reformationem acceptare illamque sabire voluerint
cidem Congregationi praedictas ercctae aggrcgare. illlsquc omnia et
singula privilégia, gratias, indulgentias, immunitates excmptiones,
libertates, favores et indulta eis concessa et concedenda communicaro
libère et licite valeant indulgemus. Et quamvis etiam sicut acccpimus
quodam statuto eiusdem Congregationis caveatur et expresse probi-
bcatur ne quis ad aliquem supcrioritatis gradum assumi possit, nibi
complète scptcnnio post sacerdotium in Congregatione susceptum aut
ad cura m Novitlorum nisi complète novcnnio, neque illi qui Sacerdotes
ad Congrcgationem vcnerint, nisi decimo sexto et decimo octave res-
pective in Congregatione complète, et nemo in priorem aut abbatcm
promoveri possit, nisi quinquonnio in docanatu aut prioratu respective
laudabililor vixcrit, nibilominus quia nulli vd saltem pauci adhuc
sunt juxta dictum statutum qualiûcali et diilicile est ut in futurum
— 361 —
neuf ans pour Toflice de maître des novices, à compter de
la date du sacerdoce, si on l'avait reçu dans Tordre, et res-
pectivement quinze ans et dix- sept ans à compter de la
profession, si Ton était entré prêtre au monastère.
On exigeait pour les prieurs ou abbés, qu'ils eussent
passé respectivement cinq ans comme doyens ou comme
prieurs avant d'être éligibles à ces charges. Le procureur
fit valoir la difficulté de trouver des supérieurs ayant rem-
pli ces conditions, et le pape y pourvut dans la bulle dont
nous donnons ici un court résumé, laissant le texte latin
en note.
semper reperiantur, PraBsidenU futuro Congregationis per prsescntes
ercctse hujusmodi ac successoribus suis super hujusmodi statuto
dispensandi quolies nccesse erit facultatem tribuimus et potestatem ;
sicque per quoscumque Judices et commissarios, quayis auclorilate
fungentes, sublata eis et eorum cuilibet quavis aliter )udicandi et
interpretandi facultato et anctoritatc, ubique Judicari et definiri debere,
nccnoD irritatum et inane quidquid secus super bis quavis auctoritato
scieiiter vel ignoranter contigerit attentari. Quocirca dilectis (iliis cau-
sarum curiœ Camerae apostolicae genorali Auditori et Decano Ecclesiaï
Virdunensis et PrîBposilo Ecclesiaï Gollegiatte S. Deodati Tullensis seu
nullius Diaecesis per praesentes committimus seu mandamus quatenus
ipsi vel duo aut unus eorum per se vel alium seu alios przesentcs lit-
teras et in eis contenta qusecumque ubi et quando opus fuerit publi-
ciintes faciant auctorltate nostra omnia observari ; contradictores quos- .
libet et rebelles et pnemissis non obtempérantes per sententias, cen-
suras et pœnas ecclesiasticas aliaque opportuna |uris et facll remédia
appellatione postposita compescendo, invocato etiam ad hoc si opus
fuerit auxilio brachii s^cularis. Non obstantibus felicis recordationis
Bonifacii Papaî VIH praedecessoris nostri de una et Concilii generalis
de duabus disetis, dummodo vigore prsesentium ad judicium ultra très
dietas non trahatur alilsque constltutionibus et ordinationibus apos-
tolicis, necnon praedictis et aliis dicti ordinis statutis, consuetudinibus,.
privilegiis quoque indultis et litteris apostolicis sub quibuscumque
tenoribus et formis ac cum quibusvis clausulis et decretis in génère
vel in specie quomodolibet concessis approbatis et innovatis ; quibus
omnibus etiamsi de ilIis specialis, speciGca, expressa et individua,
non autem per clausulas générales idem importantes mentio seu quievls
alia expressio habenda foret, illorum tenores pro expressis habentes,
illis allas in suo robore permansuris, bac vice duntaxat speclaliter et
expresse derogamus ceterisque contrariis quibuscumque. Datum Ro-
mœ apud S. Petrum sub annulo piscatoris die VII aprilis MDCIV pon-
tiûcatus nostri anno XIII. M. Vestrius Barbianus.
- 362 —
Après avoir rappelé Tutililé que TEglise retire des ins-
tituts monastiques bien gouvernés et fidèles à leurs règles,
Clément VIII rend hommage au zèle de Tévèque de Verdun,
le prince Erric, qui a ramené la discipline dans les deux
monastères de Saint- Vannes et de Saint-Hydulphe, dont,
par dispense apostolique, il cumule la commende.
Pour répondre au désir de Tévêque et des moines, et afin
de consolider cette réforme par les visites annuelles, le
Pape, après avoir consulté ceux qu'il avait préposés à
rétude de la réforme, érige, de son autorité apostolique,
(( une congrégation stable des deux monastères de Saint-
Vannes et de Saint-Hydulphe, en la forme et sur le
modèle de la congrégation du Mont Cassin, autrement
de Sainte-Justine de Padoue. De sorte que le chapitre
général et les présidents et visiteurs, qui y seront élus,
aient la môme autorité que ceux du Mont-Cassin sur les
monastères qui leur sont soumis ». Avec Taulorité, le
Pape conférait à la nouvelle Congrégation les w privilèges,
(( grâces, indulgences, immunités, exceptions, libertés et
(( faveurs, octroyés à la Congrégation de Sainte-Justine »,
avec le droit pour ses chefs, d'aggréger de nouveaux
monastères et de leur donner part aux mômes concessions
obtenues ou à obtenir dans la suite.
Quant au choix des supérieurs dans les commencements.
Clément VIII donne pouvoir aux présidents futurs de la
Congrégation, de dispenser autant de fois qu'il en sera
besoin, des délais imposés pour Téligibilité.
La bulle prévoyait enfin la résistance possible, et donnait
tout pouvoir au prévôt de Téglise de Saint-Dié et au doyen
de l'église de Verdun, chargés de la publier, pour procé
der contre les opposants, les frapper des peines et cen-
sures ecclésiastiques et, au besoin, avoir recours à l'appui
du bras séculier.
C'est un véritable succès que Dom Rozet avait obtenu
dans un délai si bref, et avec des clauses aussi larges et
— 363 —
aussi formelles : il fut reçu avec une vive joie à Saint-
Vannes ; le pieux réformateur surtout voyait ainsi avec
bonheur son œuvre définitivement consacrée par l'autorité
apostolique. On se préoccupa aussitôt de la publication du
document pontifical, et il semblait que tout devait aller
sans obstacle, quand inopinément on se heurta au refus du
prince Erric lui-même.
Bien qu'il eût le premier consenti à l'érection de 1%
Congrégation bénédictine, l'évoque de Verdun ne pensait
peut-être pas dès l'abord, que cette érection dût modifier
l'exercice de son autorité sur les monastères unis dont il
était l'abbé commendataire. Le Pape, dans sa bulle, louait
bien le zèle et l'activité du prince pour la réforme qu'il
avait si sagement introduite ; mais, après déclaration faite
par son autorité apostolique de l'union des deux abbayes
en Congrégation, il n'était plus fait mention que du chapi-
tre général, des présidents et visiteurs nommés par celui-
ci, sans allusion à l'autorité de l'évêque sur la nouvelle
Congrégation. L'administration de celle-ci lui échappait.
Au point de vue du droit, c'était légitime et môme indis-
pensable ; la commende ne pouvait plus entrer en ligne de
compte dans l'organisation d'une société où elle n'existait
que de fait et tradition, non en vertu d'un principe.
De plus, la nouvelle Congrégation, recevant le pouvoir
de s'aggréger d'autres monastères, et participant, par la
commission des privilèges, à l'exemption de la Congréga-
tion de Sainte-Justine, devait être dégagée de toute inféo-
dation et sujétion à tel diocèse ou à tel évêque.
Le prince Erric était d'un caractère trop droit pour ne
pas se rendre compte de tout cela ; mais, à plusieurs repri-
ses, nous avons pu constater que sa droiture n'était pas
toujours servie par un volonté assez ferme et qu'il se lais-
sait volontiers influencer. Autour de lui et plus que lui-
même peut être, on s'inquiétait de l'autonomie dévolue à
la Congrégation ; on voyait s'échapper l'autorité jusque là
— 364 —
réservée toute entière à Tévêque ; on prévoyait surtout la
un plus ou moins prochaine de la « commende », qui allait
trouver dans la « régularité » une ennemie inévitable. Le
prince Erric prit peur, et refusa de recevoir et de publier
la bulle.
Cette résistance inattendue raviva chez les religieux de
Saint-Vannes la crainte d'un naufrage au moment où ils
iouchaient au port. Didier de la Cour lui-même s'en émut ;
il ne ménagea ni prières près de Dieu, ni instances auprès
de celui qui l'avait engagé dans l'œuvre de la réforme, et
qui semblait alors vouloir tout ruiner. Il gagna sa cause.
Le prince Erric se rendit et donna son acquiescement à la
fulmination de la bulle, après l'avoir lui-même reçue et
acceptée.
Il fut décidé que la proclamation solennelle en serait
faite à Moyenmoutier en présence du couvent et de deux
délégués de Saint-Vannes. Elle eut lieu en effet le 8 juillet
suivant.
Gabriel de Raynette, prévôt et chanoine de l'insigne col-
légiale de Saint-Dié, en vertu des pouvoirs que lui confé-
rait le Pape, fît lire la bulle d'érection dans le chapitre de
Moyenmoutier, et prononça contre les opposants et les
rebelles de l'extérieur la peine d'excommunication, contre
ceux du couvent la suspense a divinis, contre les chapelles
et églises des dits rebelles l'interdit. Il intima en outre à
tous clercs, notaires et tabellions publics, etc., de prêter
leur concours, s'il était nécessaire, pour procéder contre
les opposants après leur avoir fait les trois monitions
requises.
Acte fut dressé aussitôt de cette publication, en présence
de Jean Lignarius, abbé de Senones, Antoine Doridan, abbé
d'Etival, de Fr. Claude Jaquot, autrement dit Chamagne.
prieur claustral, et Fr. François Mallau, prêtre et religieux
profès du monastère de Senones, de noble sieur François
Fournier, percepteur des revenus de S. A. le duc de Lor-
— 365 —
raine à Saint-Dié et Raon, témoins appelés foroiellenient
pour assister à la présente déclaration.
La publication finie, rédigée et soussignée par le notaire
J. Ruyr, les religieux présents furent invités à formuler
l'acceptation de la bulle, ce que le prieur de Moyenmoutier
fit en son nom et au nom de ses moines ; D. Aubert Rollet
ainsi que D. J. Pichard confirmèrent cette déclaration,
tant pour eux que pour le prieur et le couvent de Saint-
Vannes, dont ils étaient les représentants. Le même notaire
en dressa Tacte officiel (1).
Ainsi fut érigée et constituée la Congrégation lorraine
bénédictine de Saint Vannes et de Saint-Hydulphe, le 8
juillet 1604. Elle comptait alors vingt trois profès de.
chœur.
L'organisation du régime s'imposait ; c'était le chapitre*
général qui devait s'en occcuper ; on le réunit* le 31 du
même mois dans l'abbaye de Saint- Vannes.
Dom Didier de la Cour en fut élu président, ainsi que de
la Congrégation, sans abandonner pour cela le titre de
prieur de Saint-Vannes ; Dom Pierre Rozet fut nommé
visiteur; Dom Claude François, prieur de Moyenmoutier.
Parmi les principales questions soumises au chapitre,
nous devons citer celle concernant les pouvoirs des nou-
veaux supérieurs de la congrégation. Les constitutions du
Mont Cassin adoptées par les Vannistes se référaient à la
juridiction et aux pouvoirs de supérieurs revêtus du titre
d'abbés: les réformés de Lorraine n'avaient que des prieurs,
et il ne semblait pas que, avant bien longtemps, ils
eussent d'autres titulaires. La difficulté pouvait devenir
grave en face des abbés commendataires toujours prompts
à reprendre l'autorité à laquelle, plus ou moins forcément,
ils avaient dû renoncer.
Le chapitre général résolut de s'adresser de nouveau à
(1) Cf. D. H. Belhomme, Hist. Med. mon.
— 366 -
Rome afin d'obtenir une solution du doute sur l'extension
de Tautorité des prieurs lorrains réformés ; il confia celte
mission à Dom P. Rozet, qui revenait à peine de la Ville
éternelle. Il ne partit que quelques mois plus tard, au
commencement de Tannée i605.
Les constitutions de ce chapitre (1) portent en grande
partie sur des doutes liturgiques. On y décida que, aux
matines de la férié, on chanterait Thymne ; aux matines des
fêtes doubles, la première hymne, le Te Deum, le Te decet
laus, TEvangile, TOraison et les Laudes depuis le Capitule,
ainsi que les Mémoires aux Laudes et aux vêpres (n'I).
Dans le triduum avant Pâques^ les matines seront chan-
tées en latin, sauf les répons (n*> 2).
Le jour de Noël, Tlnvitatoire et le psaume Venite seront
chantés par deux chantres en chapes (n^ 3).
On célébrera, selon le rit usité dans le pays, les fêtes de
la Purification et de l'Annonciation de Notre-Dame (n^ 4,
5,6).
Le Kyrie eleison qui se chante avant le Pater et l'Orai-
son à Tofïice, sera chanté en se tournant vers l'autel (n* 7).
Les n^ 8 et 9 règlent les psaumes du chant et le ton du
Deus in adjutorium, ainsi que la bénédiction du feu qui
se fera more romano.
(1) C'est aux Archives nationales à Paris que nous avons trouvé le
texte des décrets ou constitutions des chapitres généraux de Saint-
Vannes, sous la cote LL, 991.
Le cahier qui les contient servit à la congrégation de S.-Maur,
comme de source authentique. On se contenta d'adapter à l'usage de
cette congrégation les décrets édictés pour la congrégation lorraine, et
les modifications furent insérées dans le texte même ; elles sont peu
nombreuses du reste.
Voici le titre du recueil, fol. 26, r* : Scquuntur acta capitulornra
generalium Congregationis SS. Vitoni et Hidulphi usque ad ereclionem
Congregationis S.-Mauri in rqgno Galliîe. Quas Patres Gongr. S. Mauri
observari mandarunt prœter ea qiiœ delela sunt, (Chapitres de t60i à
1622, fol. 26 à 42). A la suite se trouvent les décrets des chapitres
généraux do la congrégation de S.-Maur depuis 1618, époque de sa
formation.
— 367 —
Désormais on suivra exactement Je bréviaire, pour
la récitation de Tofiice, sans rien changer, ajouter, ni
retrancher (n^ 10).
La réception des novices et leur profession se feront
désormais selon le rite du Mont Cassin, en conservant
toutefois l'usage de choisir, en chapitre, entre les vête-
ments du siècle et les habits monastiques (n"" 11).
Chaque fois qu'il plaira au R. Père Président de se trans-
porter dans un autre monastère que celui de sa ré&idence
habituelle, il sera nourri, ainsi que son socius et son domes-
tique, aux frais de ce monastère pendant son séjour. Les
frais du voyage seront mis au compte de la Congrégation,
tant pour l'aller que pour le retour (n^ 12).
Pendant l'absence de Dom Rozet, la charge de visiteur
revint à Dom Didier de la Cour. A cette occasion, il fit
plusieurs fois à pied, le voyage de Saint-Vannes à Moyen-
moutier, où les religieux s'acclimataient peu à peu, depuis
que les vexations des anciens et de leurs amis du dehors
les laissaient en paix. Au retour de l'un de ces voyages, le
réformateur s'arrêta à Nancy, appelé d'office par le cardinal-
légat : Dom Didier de la Cour n'avait pas eu le temps de faire
disparaître les traces de fatigue d'une route si pénible
pendant la mauvaise saison ; il dut se présenter avec toutes
les apparences d'un homme exténué, et reçut du cardinal-
légat de sérieux reproches sur la manière dont il traitait
sa santé. Allant même plus loin, au cours de la conversa-
tion engagée sur le terrain de la réforme, dont il désirait
la propagation dans les trois évêchés et toute la Lorraine,
le cardinal représenta à Didier de la Cour l'influence dan-
gereuse que son austérité pouvait avoir sur les novices de
bonne volonté, mais de faible santé. Il lui rappela comme
exemple les souffrances des moines de Saint Hydulphe.
C'étaient toujours les mêmes objections qui, une pre-
mière fois, avaient ruiné les essais de réformes tentés par
le légat et qui revenaient encore à son esprit. Le réforma-
I
— 368 —
leur ne se laissa nulleineot troubler : bien qu'en pratique
il se fût beaucoup modifié, il ne voulait pas admettre en
principe que des mitigations pussent avoir plus de succès
qu'une franche observance II exposa ses vues au cardinal,
expliqua les malheurs de ses confrères de Saint-Hydulphe
en montrant qu'il fallait les attribuer à des causes étran-
gères à l'observance de la réforme, et en donna comme
preuve leur prompt rétablissement dès qu'ils furent de
retour à Verdun.
Le cardinal, satisfait des réponses et des explications
du pieux religieux, lui soumit son plan au sujet de l'ex-
tension de la réforme, et lui lit part de son projet d'en
écrire au Procureur de la Congrégation et au Pape, afin
d'obtenir un bref lui donnant sur ce point toute autorité.
Didier de la Cour l'approuva.
Dom Rozet avait pendant ce temps présenté sa requête
en cour de Rome et, le 23 juillet, le Pape Paul V lui accor-
dait la concession désirée par le chapitre général de l'année
précédente (1).
(1) Paulus V. Ad perpetuam rei memoriam. Ex iuncto nobis dosuper
apostolicse servitulis oflicio, ad ea libentcr LDtendimiis ut regulares per-
soDie quse ad suœ profcssionis pcrfeetloncm altineat fideliter, observent
etquse proptcrca a scde apostolica facta fuisse coinperimus ut firiniiis
subsistant, approbamus et confirmamus. Dudura siquidem fol. rec.
Clemens PP. VIÏI praedecessor Doster certis causis adductus eongrega-
tionem monasteriorum SS. Vitoni Virdunensis, et Uydulpbi TuUensis,
seu nullius diœcesis, ordinis S. Benedicti ad instar congregationis Men-
tis Gassinensis seu S. Justinae de Padua apostolica auctoritate perpc-
tuo erexit ila ut générale capitulum et ab eo electi priesides vel visl-
tatores eamdem baberent aucloritatem in dictée congregationis monas-
teria pnedicla ac regulares in ois commorantes, quam aiii pra^sides ac
vlsitalorcs in dicta congregatione Monlis Gassinensis seu S. Justimr de
Padua, dictieque congregutiuni sic erecUe omnia et singula privilégia,
gratias, indulgentias, cxomptiones, libertates, favores et indulta dicla^
congregationis Montis Ga.ssini seu Sanctée-Justinae illiusque singulis
monasteriis per quoscumquc llomanos Pontificos et dicta m sedem aut
alias quomodolibet concessœ et in futuruoi concedendie dicta auctori-
tate concessit ac omnibus et singulis dictorum monasteriorum perso-
nis et praesidentibus et visitatoribus, ut illis potiri, uli et gaudere ac
ea communlcare libère valeant induisit, prout in litterls dicti pncde-
cessoris desuper die sepUma aprilis 1604 confcctis plcnius continetur.
— 369 —
Après avoir rappelé rérection faite par son prédéces-
seur Clément VIII, de la Congrégation de Saint- Vannes et
de Saint Hydulphe, et la communication au chapitre géné-
ral, aux présidents, et aux visiteurs qui la gouvernent, des
privilèges, immunités, exemptions concédés dans le passé
à la Congrégation du Mont-Cassin ou à concéder dans Tave-
nir, ainsi qu*il ressort des lettres apostoliques du 7 avril
1604, Paul V expose le doute soumis par le procureur de
cette congrégation, D. Pierre Rozet, au sujet des supé-^
rieurs dépourvus du titre d'abbé.
Cum autem sicuU dilectus fîlius Petrus Roset, procurator geacralis
congregationis SS. Vitoni et Hidulphi huiusmodi nomine ipsius con-
grogalioDis exponi nobis nupcr fecit forsan a nonnullis ambigi possit
an prsesides, visitatores, priores, aliiqao superiores in dicta congro-
gaUone SS. Vitoni et Hidulphi principale rcgimen habentes non abba-
tos, possint habere eamdem auctoritatem vigore dictarum litterarum
quam in dictae congregationis Montis Cassini scu Sancto^ JustinaB do
Padua monasteria babeant : Nos omnem in priemissis dubitandi mate-
riam amputarc cupiontcs ac tcnorcm diclaram litterarum proinde ac
si do verbo ad verbum insororontur prrtîsentibus pro exprossis haben-
tes, ex voto Venerabilium fratrum nostrorum S. R. Ecclesiie Gardina-
lium super negotiis Kpiscoporum et Rcgularium deputalorum crec-
lionem et privilogiorum ot aliorum praedictorum concessionem et
communicationom ac indultum per litteras pr<pdictas ac omnia et sin-
gula in eis contenta aposlolica auctoritate tonore pra'sentium pcrpotuo
approbamus ot con(lrm:iinus ita ut praîsidcnles, visitatores, priores,
aliique superiores principale regimen dictîc congregationis SS. Vitoni
et Hidulphi pro temporo habentes in monasteria ipsius congregationis
SS. Vitoni et Hidulphi ac personas in eis pro temporc coramorantes
eamdem auctoritatem prorsus habeant et eisdem privilogiis a Romanis
Ponlificibus priedocessoribus nostris concessis uti possint etsi illi abbates
non sint, quam pra>sidenles et visitatores aliique superiores dictie con-
gregationis Montis Cassini habent et habere poterunt quomodolibet in
futurum quibusque utuntur, fruuntur, potiuntur et gaudent ac uti
frui potiri et gaudore valebunt, sicque per quoscumque indices et
commissarios quavis auctoritate fungentes, sublata eis eorum cuilibet
quavis aliter iudicandi et interpretandi facultate et auctoritate ubique
indicari et definiri debere, irritum quoque et inane decernimus si
socus super his a quoquam quavis auctoritate scionter vel ignoranter
contigeril attentari. Non obstantibus pnemissis ac quibusvis constitu-
tionibus et ordinationibus apostolicis necnon omnibus illis quae dictus
prîedccessor in suis litteris pnedictis voluit non obstare cœterisque
contrariis quibuscumque.
Datum Romœ, apud S. Marcum die XXIII julii 1605, P. N. anno
primo.
M. Vestrius Barblanus.
- 370 -
« Pour enlever tout doute sur ce point, dit le Pape,
renouvelant les privilèges et les concessions de Notre
Prédécesseur, du conseil des Emes Cardinaux préposés
aux affaires des Evoques et Réguliers, Nous voulons, que
les Présidents, Visiteurs, Prieurs et autres Supérieurs
chargés du gouvernement majeur de la dite Congrégation
des Saints Vannes et Hydulphe, jouissent sur les monas-
tères qui en dépendent, ainsi que sur ceux qui les habi-
tent, 'de la même autorité et des mêmes privilèges qui
ont été concédés par Nos Prédécesseurs aux Présidents,
Visiteurs, et autres Supérieurs de la Congrégation du
Mont-Cassin, quand bien même les dits Supérieurs de
Saint- Vannes ne seraient point abbés. »
Et ce, nonobstant toute tentative et toute constitution
contraires.
Lorsque la nouvelle de cette faveur parvint en Lorraine,
le cardinal-légat se mit à Tœuvre pour obtenir le bref en
vue de l'extension projetée de la réforme, et il en écrivit
à Dom Rozet afin que celui-ci prolongeât son séjour à
Rome. Le procureur n'y perdit point son temps. Plu-
sieurs demandes présentées par lui cette année existent
encore dans les archives de la Congrégation des évèques
et réguliers ; Tune implore pour les Vannistes l'induit
de dispense, dont plusieurs autres ordres jouissent, par
rapport aux offices de la Sainte-Vierge et des défunts,
marqués comme obligatoires pour les chapitres, dans
rédition du bréviaire monastique ordonnée par S. Pie V.
Le procureur insiste spécialement pour que l'induit soit
accordé aux religieux légitimement dispensés de la pré-
sence au chœur.
La Congrégation, avant de donner une réponse, demanda
si la règle de Saint-Benoit ne s'y opposait pas, et le procu-
reur lui exposa que rien dans la règle ne prescrivait ces
offices.
Malgré cet éclaircissement, il ne semble pas que Dom
— 371 —
Rozet obtint tout ce qu'il demandait, car les constitutions
portent certaines indications pour les jours où Ton doit
réciter au chœur roffice de la Sainte-Vierge ou celui des
défunts.
Il fut plus heureux sur un autre point beaucoup moins
important, en recevant, pour les supérieurs des monastères,
le pouvoir de déléguer un frère convers dans la prépara-
tion des vases sacrés de la messe.
Entre temps, il fit un second voyage au Mont Cassin et y
reçut des conseils précieux qu'il rédigea en douze articles,
lesquels servirent de base aux décrets portés plus tard par
le cardinal-légat sur le gouvernement de la congrégation
lorraine.
Quatre professions marquèrent pour le chœur cette
année 1603; entre autres, celle de D. Hydulphe Jobarf,
profès le 7 septembre- à Moyenmoutier. Ce religieux devait,
dans une vie monastique assez courte (il mourut à Saint-
Mihiel le 20 septembre 1632), rendre de vrais services à la
Congrégation, dont il exerça les principaux emplois, et
dont il fut même élu président l'année qui précéda sa
mort (1).
Le chapitre général de cette année 1605 nomma, comme
président, D. Claude François, alors prieur de Moyenmou-
tier, et continua de s'occuper surtout des modifications à
introduire dans certaines coutumes liturgiques, comme en
ce qui concernait les funérailles des frères (art. 1'^'*) ; la
fêle de la Translation de Saint-Benoît (au 11 juillet), laquelle
aurait une octave, et se célébrerait solennellement (art. 2) ;
les fêtes des saints Vannes et Hydulphe, déclarés patrons
(i) D. Hydulphe Jobart a composé :
!• L'honneur du prince regretté sur la vie et le trépas de Henri II,
duc de Lorraine^ 1625 ;
2" L'histoire de l'abbaye de Saint-Mihiel, 2 vol. in-fol. — Le pperaier
a pour titre : Antiquité de l'ancienne abbaye de Saint-Mihiel. Le
deuxième rapporte tout ce qui s'est passé au temps de l'introduction
de la réforme. D. Galmbt, Bibl. lorraine.
— 372 —
principaux de la Congrégation (art. 3) ; la sonnerie des
cloches (art. 4) ; le rite à suivre à la fête de la Sainte-Trinité
(art. 5); la distribution de Teau bénite (art. 6) ; la manière
de réciter les oraisons (art. 7) ; Tadoration de la Croix le
Vendredi-Saint (art. 8) ; les inclinations profondes au
chœur (art. 9) ; la première messe, que les nouveaux
prêtres ne chanteront que quinze jours après leur ordina-
tion, et le rôle d'hebdomadier qu'ils feront pendant six
semaines (art. 10) ; les Patrons des monastères (art. 11) ;
la rubrique à suivre dans la variation des tons du Gloria à
la messe, lesquels tons sont au nombre de quatre, non
compris celui de Pâques (art. 12).
Les autres articles ont rapport aux a Déclarations » pro-
prement dites (1). Le n^ 13 porte que les supérieurs auront
un modèle des habits monastiques ; le n® 14, que les novices
seront soumis à Texamen du chapitre quatre mois après
leur entrée au noviciat, puis de nouveau quatre mois après.
II y aura (u» 15) trois clés pour fermer Tarchive et le
trésor où Ton conservera les objets précieux. L'une de ces
clés sera en la possession du prélat ; les deux autres seront
confiées à deux anciens qui, autant que possible, seront
présents, lorsqu'on devra sortir quelque objet de ces deux
endroits.
Le serviteur de table prendra son repas avec le lectenr
dans les monastères importants (n® 16).
On tiendra une liste de tous les profès avec le jour,
l'année et le nom du monastère où ils auront émis leurs
vœux (no 17).
Les détails de la vie des réformés se précisaient ainsi
chaque année ea revenant aux traditions anciennes et à
une saine interprétation de la règle bénédictine. Concentrée
(1) Le mot « Déclarations » mis ici pour Constitutions^ indique un
mode spécial d'explications ou développements ajoutés aux chapitres
de la ri^gle proprement dite ou d'additions aux constitutions elles-
mêmes. D. Galmet, Biblioth, lorr.^ art. J.
- - 373 —
dans Vopus Dei, Toffice divin, rattention des Vannistes se
portait en premier lieu sur ce qui était de nature à donner
à celle œuvre principale une organisation régulière et
édifiante, et cela explique les minutieux décrets liturgiques
des divers chapitres généraux. Didier de la Cour répondait
par là aux exigences monastiques de la vie bénédictine et
attirait en môme temps de nombreux admirateurs dont
plusieurs ne tardaient pas à trouver leur voie^ comme lui
avait trouvé la sienne, au contact de ce courant liturgique.
La formation des novices était aux yeux du réformateur
d'une importance capitale : ce qu'il avait établi dès le
principe pour les rompre à Tobéissance et à Thumililé,
était maintenu sans faiblesse comme sans rigueur. Mais il
voulait faire des hommes prêts à toutes sortes de missions.
A réducation de la volonté, il joignit celle de l'esprit par
des cours sérieusement organisés ; nous verrons bientôt le
chapitre général et les supérieurs du régime prendre en
mains la direction des études, et leur donner une impul-
sion nouvelle.
On pouvait, par ces premiers fruits, juger du bien que
la réforme devait opérer là où elle s'établirait. Ceux qui
lui avaient fait opposition revenaient peu à peu de leurs
préjugés : elle sortait insensiblement de la période des
essais, pour devenir un fait accompli et accepté.
Dom Didier de la Cour lui même, dont la prudente
réserve et les timidités du commeucement s'expliquent
trop bien par les difficultés de Tœuvre, avait retrouvé
toute confiance : il semblait voir clairement le doigt de
Dieu dans la transformation inespérée dont il était le
témoin Personne plus que lui n'était capable de l'appré-
cier, parce que personne comme lui n'avait senti le néant
des appuis et des elîorts humains dans son accomplisse-
ment. Tout s'était passé presque malgré ceux qui s'étaient
employés de tout leur zèle à la provoquer: les vues person-
nelles, les intérêts temporels, les mesquines questions
- 374 -
d'influence, les intrigues multiples dont les détenteurs de
Tautorité avaient peine à apercevoir la trame, le défaut de
ressources, tout se conjurait au dehors pour la ruine. Au
dedans, elle allait à rencontre de l'ambition et de la faci-
lité de vie et n'apportait pour toute attraction, en dehors
des espérances de Téternité, qu'une perspective d'humilia-
tions et de renoncements quotidiens.
Souvent le succès de l'entreprise parut compromis ;
chaque fois, elle sortit du danger plus assurée et, à peine
le pieux réformateur commençait-il à désespérer, qu'une
indication providentielle venait relever son courage et
ranimer son ardeur.
En lisant les diverses péripéties de cette page d'histoire,
on pourrait se demander pourquoi Didier de la Cour se
laissait si facilement abattre, et si les désirs fréquents de
changer de vie dont il fut saisi n'enlèvent pas à son carac-
tère ce trait de ténacité douce que nous lui avions reconnu
à son entrée en religion ?
Il suffit, pour dissiper ce doute, de se rendre compte du
genre d'œuvre auquel la Providence l'avait appelé. La
ténacité peut s'exercer quand elle a pour objet une disci-
pline nettement tracée, proposée à des volontés tenues de
s'y soumettre. Tel n'était point le cas. La réforme ne pou-
vait avoir force de loi, qu'avec le concours spontané des
religieux à qui on la présentait. Or, ceux de Saint-Vannes
d'abord, de Moyenmoutier ensuite, étaient loin de cette
générosité, et ils n'étaient tenus d'observer que les
prescriptions strictes auxquelles la profession les enga-
geait. Leur refus d'aller plus avant était appuyé par leurs
amis du dehors, et l'autorité ecclésiastique, ébranlée par
ceux-ci, n'osait intervenir pour réduire leurs objections.
En face de ces obstacles humainement insurmontables,
quelle volonté ferme n'eût pas fléchi ou cédé ? Dieu seul
pouvait apporter le remède : l'humilité du pieux réforma-
1
- 375 -
leur ne Tautorisait pas à croire que Dieu mettrait la main
à l'œuvre dont il se sentait Tinfirae instrument.
Mais, du jour où quelques caractères généreux et résolus
se groupèrent autour de lui, Didier de la Cour reprit espoir,
et quand, après bien des luttes, il vit sa petite phalange
définitivement enrôlée sous la réforme, et prête à tous les
sacrifices, il n'hésita plus. La victoire était assurée, le
temps achèverait de la rendre complète.
C'est l'heure où la réforme, sanctionnée par l'autorité
apostolique, soutenue par le légat et fortifiée par la pré-
sence d'un délégué du Saint-Siège, allait prendre sa cons-
titution définitive. L'autorité personnelle de Didier de la
Cour cédait la place à l'autorité de l'Eglise ; son influence
ne cessa pas pour cela d'inspirer tous les actes et toutes les
décisions qui devaient promouvoir le développement de
son œuvre.
DEUXIÈME PAKTIE
De la Visite jusqu'à la mort de Dom Didier de la Cour
(1605-1623)
CHAPITRE PREMIER
Le cardinal -légat obtient un bref pour l'exteoslon de la réforme, 27
septembre 1605. — Dom Rozet revient avec un visiteur apostolique :
Dora Laurent Lucalberti. — Visite des monastères, d'après la rela-
tion adress('îe au Souverain Pontife. ~ Considérations générales sur
les abbayes de Lorraine ; état de la réforme ; visite de Saint-Mibiel
(introduction de la réforme), de Longueville, Saint Nabor, Bouzon-
ville.
La réforme, si bien commencée ù Saint- Vannes de Ver-
dun et à Saint-Hydulphe de Moyenmoutier, ne devait pas
tarder à prendre de l'extension. Pressé par ceux qui dési-
raient en voir les fruits se multiplier, le cardinal de Lor-
raine l'eprit confiance en constatant Theureux succès des
efforts du prince Erric, et se laissa persuader de demander
à Rome un bref pour l'introduction de ladite réforme dans
les abbayes dépendantes de sa juridiction.
Dom Pierre Rozet se trouvait encore en Italie, où il venait
d'obtenir si heureusement plusieurs privilèges pour la
nouvelle Congrégation ; le cardinal lui écrivit, le priant
de poursuivre l'envoi d'un nouveau bref en vue de son
projet. La lettre que nous donnons en note (1), nous
(1) Quum ab Illma Dominatione Vestra pro salutari reformat ione
monastcriorum monacborum 0. S. Benedicti provintiiie et dislrictus
istius legationis prudenter proposlta sunt uti ab ea quam prœ se fert
singulari pictate et zelo pcrfecta Ilmo D. N. grata admodum fuerunt.
Nam et Hcutitudini suie antiquius nibil est quam regularom discipli-
nam sarlam tcctamquc conservare ac sicuti collapsa et imminuta cl
- 377 -
montre que Dom Rozet l'obtint sans peine ; elle date du
20 septembre 1605.
Pendant qu'on rédigeait le bref, le Pape fit écrire à Dom
Chrysostome, président de la congrégation cassinienne en
Lombardie (1), pour lui enjoindre de donner, comme com-
pagnon à Dom P. Rozet, un moine de sa Congrégation,
renommé par sa science théologique et sa prudence, Dom
Laurent Lucalberti (2), religieux de la célèbre abbaye de
sublevata ac in pristinum et antiquum splcDdorem restituere quod
solo opportune reforma Uonis remedio effici posse vldetur. Hoc ipsum
monasteriis istis adhiberi S. S. vehementer probavit atque ideo litte-
ras in forma Brevis ad id necessarias expedire mandavit sperans
Illma Dominatione Vestra negotium promovente ac Deo piis eius cona-
tibus aspirante féliciter confectum iri. Quod tamen ut facilius et ube-
riore cum fructu consequi possit Illma Dominatio Vestra, animadvertit
eadem Sanctitas Sua planeque ei opus esse judicavit ad hujusmodi
mlnisterium opéra alicujus monachi non minus vitse integritatc quam
regularis disciplinée peritia prsestantis, arctiorique vitae assuati quo-
ad omnia sedulo uti possit. Delegit vero ad id munus uti peridoneum
R. virum Laurentium Oorentinum monachum prsedicti ordinis Congnis
Cassincnsis qui ad omnia visitatlonis peragenda munia Illmse Domina-
tion! Vie presto aderit opusquo Del diligentes faciet. Iset Sanctitatis S.
]ussu et superiorum suorum permissu isto proQciscitur ; eum quin
bénigne pro sua singularl humanitate susceptura suaquc ope et consillo
in omnibus adjutura sit nec dubitat eadem Sanctitas Sua cui gratum id
in primis est futurum. Nihil ipso laboris non suscipit ut lUmse Dni
Vaî in hoc Sancto Visitatlonis opère deserviat, sive ipsa personaliter id
oblre voluerit, sive eum una cum aliis piis et prudentibus viris ad hoc
destinare. Dei ipse gloriam animarumque salutem ac domus Dei splen-
dorem priecipuum visitatlonis scopum ob oculos sibi tantum proponet
nihilque ei antiqulus erit quam lUmae Dni Vie qua auctore tam prce-
clarum opus aggrediendum e^t, iussis et mandatis in omnibus ut par
est obtemperare.
Hhîc sunt quœ Sanctitas Sua ad lUmam Dnem Vam hisce litteris
perfercnda esse mandavit, eorum executionem perspectœ eius pru-
dentiiB et dextcritati relinquens. Cœterum manus Vestra) IllmiB Dnis
humillime deosculor, ciquc a Deo optimo maximo salutem et bonorum
omnium copiam exopto.
Romie, 20 sept. 1605.
Arch. Ev. et Rég...» a. 1605 (Gard. Galli).
(1) La lettre que nous avons retrouvée à l'Archive des Ev. et Rég.
dit que le moine choisi par Sa Sainteté pour aller avec D. Rozet en
Lorraine, emportera le bref do réforme et qu'il devra sans retard ni
excuse se mettre en route. Arch. Ev. et Rég., 1605, 20 sept.
(2) Voici la notice que Dom Marianus Armellini consacre à Laurent
Lucalberti dans sa a Bibliotheca Cassinensis » à l'appendice de la
£5
— 378 —
Sainte-Marie de Florence et doyen de la Congr^tioo cas-
sinienne. Sa présence en Lorraine, outre qu'elle serait d'un
secours aux visiteurs que le légat nommerait, serait un
appui moral pour leurs décisions.
Les deux voyageurs arrivèrent à Nancy vers la seconde
moitié du mois de novembre 1603, et allèrent, le 21 suivant,
présenter au cardinal-légat le bref dont ils étaient chargés
et les lettres de créance du moine florentin.
La nouvelle de la visite qui allait s'ouvrir émut les pré-
lats, dont plusieurs n'étaient rien moins que disposés à se
laisser réformer. Parmi les plus actifs à l'empêcher, se
îr partie intitulé : « Catalogi très Episcoporum,reforinatoruin, et viri-
rum sanctitate illustrium e Congregatione Gassinensi » :
Laurentius Lucalberti Florentiae io lucem prodiit, ibidemque in
monastcrio S. Mariie, bencdictlnai militise rudimenla posuit anno
1573 die £3 aprilis.
Linguarum pcritia, sacra tbeologia, aliisque scienliis celebris fuit,
quibus regularià disciplinie zclus, morum gravitas, actuumque cir-
cumspeclio decus addebant.
His cogniliSf Paulua V Pont. Maximus in Lotharingiam et Burgun-
diam eu m misit, ut Cardinali Carolo a Lotbaringia PontiQcio Legalo
in reforma tione monasteriorum earum regionum prsesto adesset eisquc
Congregationis nostrie ritui, consuetudines ac leges prapscriberet
earumquo observantiim introducendam curaret. Ex ea itaque Visita-
tlone et Reformatione, triplez Congn*gatlo monastica Régulai obser-
vantissima, Deo bene juvante emersit, Sanctorum scilicct Vitoni et
Hydulphi in Lotbaringia et Burgundia, S. Placidi in Belgio, S. Mauri
in Gallia, sanctitate ac liltcris in hodiernum usque diem florentissima.
Reversus post hîec in Italiam Laurentius, et in ruralem Abbatisp Flo-
rentin^p ecclcsiam, sibi et sludiis vacaturus secedens, ibidem infelici
fato occubuit, noclu a latronibus vel, ut ab aliquibus audivi, a proprio
famulo proditorie obtruncatus anno 1021, setatis suse 70.
Ailleurs il dit : ...quibus peractls (visitationis scil. opère) Lucalber-
tius animadvcrtcns Congncm SS. Vitoni et liydulphi |am stabilitam
et in perfecta observanlia regulie formatam ut aut minime jam omittcre,
aut rejicore posset ordlnem conversationis a R. P. D. Desiderlo a Curia
Introductum : passim dictilans Ileligiosos sic reformates veros angelos
esse quibus sanctiores, sapicntiores ac perfcctiores monacbos nuspiam
vidissot arbltransque se salis edoclum de statu illius Congregationis,
ut l'onlillci Maxime suisque suporioribus de co roferret, statuit de
Modiano monasterio tandem recederc et in Italiam regrodi circa finem
monsis Augusli anni 1606, postquam annum fere inte^rum apud
Congnem SS. Vitoni et Hydulphi perstitissel...
— 379 —
trouvait l'abbé de Saint-Evre de Toul, Dom Louis de Tava-
gny, qui, en succédant à son oncle dans Tabbatiat, n'avait
point recueilli rhéritage du zèle montré par celui-ci pour
la réforme. Le cardinal ne se 'laissa pas arrêter par les
demandes de « mitigation >) qui lui étaient proposées. Le
bref du 27 septembre lui enjoignait, en effet, de proposer la
réforme de Saint-Vannes « à tous les monastères en géné-
ral, soit qu'il y eût des abbés réguliers ou non, sans
néanmoins les contraindre de la recevoir, mais, en cas
de refus, de les astreindre à une façon de vie plus mo-
deste et retenue que du passé ; d*unir tous les monas-
tères soub la même Congrégation, avec obligation d'obéir
et de reconnaître los Supérieurs choisis par les Pères de
la réforme ; d'empescher que ceux qui n'accepteraient la
réforme ne reçussent aucun novice, et de faire renvoyer
ceux qui n'étaient pas encore profès, s'ils n'étaient pas
jugés capables d'être admis en la réforme, au cas qu'ils
la demandassent; de faire en sorte que les abbés et supé-
rieurs qui ne seraient pas de la réforme n'eussent rien
de commun avec les réformés, établissant des menses
séparées et capables de les entretenir; et, finalement, qu'au
cas où quelqu'un s'opposât aux commissions susdites,
de le priver de ses bénéfices et le contraindre d'y déférer
par censures et autres voies de droit » (1).
Dom Claude François qui, à ce moment, était prieur de
Moyenmoutier et président de la nouvelle Congrégation,
fut mandé parle légat pour s'entendre avec lui et le Père
Lucalberti, sur les moyens à prendre en vue de l'exécution
du bref pontifical.
Pour donner plus de force et d'autorité à la visite, on
résolut de la confier à un délégué pris hors de l'ordre,
chargé de représenter le légat et assisté par les Pères
(1) Ybpez, Chron.^ trad. Rhételois, t. IV. — M"* de Blémur, op. cit.
Ce bref a été édité par D. Joseph de Tlsle, dans son Histoire de
Vabbaye de Saint-Mihiel^ p. 50â.
— 380 —
Lucalberti et Dom Claude François. Celui-ci pourtant, par
prudence et discrétion, crut mieux de ne point paraître
officiellement dans la commission et se contenta de suivre
les deux autres commissaires dans Taccomplissement de
leur mandat. Le délégué choisi fut le sieur de la Ferté,
docteur en théologie et commandeur de Saint-Antoine de
Pont-à-Mousson : doué d'une science reconnue, d'une
prudence et d'une discrétion parfaites, animé d'un véri-
table zèle, le sieur de la Ferté fut d'un grand secours à la
réforme et aux visiteurs.
Presque aussitôt tous trois se mirent à l'œuvre. 11 nous
sera facile de les suivre à travers les abbayes de Lorraine,
grâce au rapport que Lucalberti composa pour le Pape à
son retour en Italie, et qu'un de nos confrères a bien voulu
nous donner, l'ayant par hasard rencontré à la Biblio-
thèque Vaticane (1). Nous l'avons plus tard collationné
(1) BiBL. Vatic. fonds latin, n« 79i3, fol. 429 : Relazione^ etc.
« Le Pape Paul V avait ordonné par bref à rillustrissime cardinal de
Lorraine, son Légat dans ces régions, de visiter et de réformer les
abbayes de l'Ordre de saint Benoit situées dans les limites de sa
légation, avec l'assistance de quelques moines cassiniens. Sa Seigneu-
rie, retenue par des infirmités, se substitua le Révérendissime Mgr
Nicolas de la Ferté, religieux commandeur de Saint-Antoine de Ponl-à-
Mousson, homme de sainte vie, de grande prudence et de doctrine
auquel, selon les ordres transmis de la part du Pape par rillustrissime
cardinal Galli, elle m'adjoignit moi D. Laurent, florentin, comme
assistant, de sorte que, dans toutes les visites, conseils et décrets qui
en furent la suite, je tins toujours la première place par déférence
pour Celui qui m'avait délégué. Aussi puis-je exactement rapporter
tout ce qui s'est passé, comme en effet je le fais à présent, ou du
moins les choses principales, et en particulier ce qui regarde le bon
désir et le zèle actif manifestés par l'Illustrissime Légat dans la
réforme des moines.
Voici quelques remarques générales sur la Provinte de Lorraine. La
partie soumise à la Sérénissime famille de Lorraine est profondément
catholique et religieuse, grâce non seulement à la sollicitude et à la
piété de l'Illustrissime Légat, mais encore k celles de ces Princes
Sérénissimes. Leurs peuples les ont imités et bien qu'entourés de
toutes parts de provinces infestées par l'hérésie, ils se sont conservés
catholiques et enfants soumis du siège apostolique. Dans la partie de
la Lorraine sujette de la couronne de France, les villes de Toul et de
- 381 -
avec le brouillon qui se trouve à Florence (Archivio di
Stalo, Badia di S. Maria, vol. II Reformationum, fol. 360).
Rédigé en italien, le rapport comprend deux parties: Tune
Verdun sont catholiques, tandis que la ville de Metz, la principale do
toute la région, est partie catholique, partie protestante.
Les abbayes bénédictines de la Lorraine sont au nombre de quinze
et deux d'entre elles seulement étaient réformées quand nous y
entrâmes : l'abbaye de Saint-Vannes de Verdun et l'abbaye de Saint-
Hydulphe au diocèse de Toul. L'abbé commendatairc de ces deux
deux abbayes est rillustrissime et Révércndissime Erric de Lorraine,
évoque de Veidun ; il les réforma dès l'année 1599, en excluant les
anciens moines de mœurs dépravées, et leur assignant une pension
suffisante pour vivre. Il y laissa seulement Didier de la Ck)ur, prieur,
homme versé dans la théologie, qui promit par serment d'observer la
Règle de saint Benoit selon les Institutions cassiniennes. Bientôt, à ce
Père, se joignirent quelques moines de ces dites abbayes et d'autres
monastères, ainsi que quelques postulants, et ce fut le commencement
de cette réforme, à laquelle ils se mirent avec un grand esprit de fer-
veur, par une assiduité constante k la prière et aux exercices spirituels,
leur zèle pour l'office divin, l'hospitalité, la charité, l'éloignement des
personnes du monde, l'abstinence soutenue dans le boire et le manger,
l'austérité dans les vêtements et le sommeil, et l'observation exacte de
la Règle de saint Benoit. Toutes leurs actions respirent tant de sain-
teté qu'ils sont en haute estime non seulement dans leur ville, mais
aussi dans les provinces voisines, et que de toutes parts un grand
nombre de religieux et de séculiers se présentent à eux, demandant
d'ôtre admis dans leur Congrégation.
Des religieux aussi fervents avaient besoin non pas d'ôtre réformés,
mais d'être exhortés à la pçrsévérance et k la discrétion dans les pre-
mières années, afin que leur austérité ne leur valût pas des infirmités
incurables, à leur détriment et à celui de leur observance : c'est ce qui
leur fut recommandé à plusieurs reprises et par moi et par les Révé-
rends Pères Jésuites.
Cette Congrégation, toute neuve encore, n'avait pas de régime déter-
miné, et il n'y avait en France aucune Congrégation à laquelle elle pût
emprunter le moyen de s'administrer; je leur donnai, d'après ce qui
se passe dans la Congrégation d'ilalie, quelques constitutions et dispo-
sitions pour élire leurs supérieurs, veillant surtout ci trois choses : la
première, que leurs supérieurs ne fussent point à vie; la seconde, qu'ils
eussent leur autorité limitée de façon à ce que, au cas d'abus, ils pus-
sent être retenus et châtiés ; la troisième, que d'ans toute la province
un seul monastère eût le droit de recevoir les novices, ce qui permet-
trait de mieux les former et d'éviter toute occasion de querelles et de
dissensions. Ces dispositions, proposées par moi et acceptées par
eux, furent examinées au Conseil de l'Illustrissime Légat et confir-
mées par sa Seigneurie Illustrissime par un Bref du mois d'août.
Au sujet des cérémonies, ils étaient divisés: aulant que je le pus,
- 382 -
renferme des considérations générales sur l'état de la Lor-
raine et de ses abbayes bénédictines, Texposé des essais et
des succès de la réforme, et de quelques moyens à prendre
]e cherchai à les ramener aux cérémonies romaines et à nos usages
monastiques cassiniens, soit parce que cela me paraissait plus raison-
nable, soit encore parce que l'uniformité des cérémonies aide aussi à
maintenir l'union et la concorde des esprits.
Les études les préoccupent peu, et ils consacrent le temps que
l'office laisse libre h des travaux manuels. Toutefois le voisinage des
hérétiques, la rareté des curés, et le petit nombre de religieux font
que les babitants de ce pays auraient besoin d'être secourus par des
prédications, des catéchismes, des disputes, des confessions et l'admi-
nistration des sacrements, et les religieux de notre ordre devraient s'en
préoccuper d'abord, ceux-là surtout qui vivent de revenus de monas-
tères, qui ont en quelque manière comme annexe le soin des âmes, et qui
auraient, avec un peu d'exercice, des sujets très aptes k ce ministère.
Les moines lorrains présentèrent leurs excuses sur ce point à l'Hlus-
trissime Légat, promettant pour l'avenir d'y faire attention. Emu par
leur réponse, le Légat ne fit sur ce point aucune ordonnance et Je ne
voulus pas non plus les importuner, afin qne ma bonne intention ne
fût pas mal interprétée d'eux.
Pour maintenir et étendre la réforme commencée avec tant de fer-
veur et de bonne volonté, 1'' il serait nécessaire qu'ils fussent relevés de
l'autorité de leurs abbés, et gouvernés, punis ou récompensés, par leurs
prieurs {les abbés étant commendataires), et qu'ils se réunissent entra
eux pour tenir leurs Chapitres et élire leurs supérieurs. Les abbés
n'auraient d'autre autorité que dans ce qui concerne l'office divin, et
les moines ne pourraient rien aliéner de la mense conventuelle sans
leur consentement ; pour le reste, les moines auraient leur action libre
réglée par leurs prieurs et leurs Chapitres, car il n'est pas raison-
nabli que des prélats de vie licencieuse et ignorants de la vie monas-
tique veuillent gouverner et juger les acUons de roligi'iux réformés :
ils feraient tout de travers.
â* Il serait très utile que le général ou président des réformés eût
le titre d'abbé, en donnant le titre d'abbaye à l'un ou à l'autre de leurs
prieurés, afin qu'il pût, avec plus d'autorité et de renom, figurer dans
les congrégations où interviennent les abbés non réformés, et que ses
propres sujets l'eussent en plus grande vénération.
3" Il faudrait de même, pour répondre au désir exprimé dans le
Bref de S. S. le Souverain Pontife et non encore réalisé, faute de temps,
qu'U fût assigné aux moines une mense en biens immeubles séparée de
la mense abbatiale, et en même temps des revenus pour les bâtiments
et les ornements de l'église. Les revenus de la mense seraient admi-
nistrés par les moines seuls, mais ceux des bâtiments par un commun
accord entre les moines et l'abbé.
4" Pour éviter la tyrannie des supérieurs, occasionnée par leur per-
pétuité, principale cause de ruine des ordres religieux en France, on
— 383 —
pour la forfifier et retendre ; l'autre est une description
sommaire de Tétat particulier des monastères visités.
Nous donnerons en note la traduction fidèle de ce docu-
ment, qui révèle, à côté de bien des misères, fruits de la
pauvreté et de la commende, de sérieux efforts de relève-
ment dans Tordre monastique. En le lisant, il ne faut pas
observerait les statuts acceptés par eux, à savoir que les supérieurs
des réformés, qu'il s'agisse des supérieurs des monastères ou des supé-
rieurs chargés du gouvernement général de la Congrégation, ne pour-
ront être nommés à vie, mais devront être absous de leurs charges
après 3 ou 5 ans et devront rentrer dans la vie privée au moins pour
deux ans.
5* Pour former plus complètement la jeunesse et pour éviter les
désordres, il n'y aurait, dans toute la province, qu'un seul monastère
où les novices prendraient l'habit, en nombre sufflsant pour toute la
province.
6' Il serait à désirer que les Pères réformés fondassent un collège
ou au moins transportassent un prieuré ou une abbaye dans la ville de
Pont-à-Mousson, où se trouve l'Université des études, et là on enverrait
les jeunes moines qui auraient l'esprit plus élevé, afin qu'ils eussent
occasion de se stimuler aux études des arts et des spéculations les
plus sublimes ; cela n'empêcherait pas que, dans chaque monastère,
il y aurait toujours des lecteurs chargés, selon les circonstances,
d'instruire les moines et en particulier la jeunesse.
Parmi les autres abus, il faut noter que chaque monastf're a son bré-
viaire particulier et différent des autres, avec une grande diversité de
prières : outre la confusion qui s'en suit, il y a là danger de supersti-
tion et il me semblerait utile et convenable de donner, à tous les moines
réformés ou non de la dite Lorraine et de toute la France, un même
bréviaire, le Romain, en tenant compte des particularités voulues par
saint Benoit dans sa Règle: c'est-à-dire du nombre des psaumes et
des leçons.
Les moines des abbayes non réformées mènent une vie scandaleuse,
livrés, pour une bonne part d'entre eux, à l'ivrognerie, au jeu et au
concubinage, tiennent une table opulente, vivent pour la plupart
chargés de dettes et meurent faillis ; ils sont très négligents pour le
culte divin et n'observent ni ne savent les décrets et constitutions
portés par les Souverains Pontif:s sur la vie honnête des Réguliers.
Les novices y sont admis soit par fourberie, soit par menace de parents
qui n'ont rien pour les nourrir, ou ne veulent pas démembrer leur
héritage entre des fils très nombreux ; ils dépensent à l'entrée une
bonne somme d'argent en cadeaux et on banquets ofTcrts à l'abbé et
aux moines ; une fois entrés, ils y sont élevés sans aucune connais-
sance de règle ou de vœux monastiques. L'Illustrissime cardinal de
Lorraine tenta de les réformer en 1595, mais en vain ; aussi le bref de
Votre Béatitude était-il bien nécessaire à cet effet. »
— 384 -
perdre de vue ce que nous avons dit brièvement du désar-
roi politique et civil de la Lorraine à cette époque, désar-
roi qui ne pouvait que trop se communiquer à la société
religieuse.
Les mesures que le Visiteur suggère au Pape, en ce qui
vise l'absence de travail intellectuel, concernent seulement
les abbayes non réformées. Le premier soin de Didier de
la Cour avait été, en effet, d'appuyer sa réforme morale et
monastique par de sérieux règlements sur le travail et les
études, et l'une des principales préoccupations des Chapi-
tres généraux de la Congrégation ne cessa dans la suite de
se porter sur le môme point : assurer aux jeunes moines
une bonne formation intellectuelle.
La perpétuité des supérieurs devait nécessairement
effrayer alors un Visiteur obligé de constater les déplora-
bles conséquences que ce régime avait amenées sous la
Commende. Si l'on ajoute à cela que D. Lucalberti appar-
tenait à une Congrégation réformée elle-même depuis peu
sur la base d'un régime triennal, on ne s'étonnera plus de
l'insistance qu'il meta représenter la perpétuité des supé-
rieurs comme le plus grand danger contre le succès et la
durée de la réforme ; le principal ennemi de celle-ci était
réellement la commende, et surtout la commende à vie.
Nous aurons, dans le cours de l'histoire de la Congré-
gation de Saint-Vannes, l'occasion de revenir sur cette
question du Régime ; elle y fut souvent discutée et semble
n'y avoir jamais reçu de solution satisfaisante dans la pra-
tique, sinon celle de la continuation indéfinie dans les
charges par Mecrion du Chapitre général. Elle équivaut
pour la durée, mais ne répond pas, pour l'autorité, à celle
de la perpétuité franche, atec le contrôle du Chapitre géné-
ral, telle qu'elle a été admise pour les Congrégations
modernes. N'anticipons pas cependant, et suivons nos Visi-
teurs dans leur course apostolique à travers les abbayes de
la région. Deux n'avaient pas besoin de visite, puisque
— 385 —
d'elles-mêmes avait été formée la nouvelle Congrégation :
Saint-Vannes de Verdun, Saint-Hydulphe de Moyenmou-
tier. II est bien possible cependant que le Visiteur ne les
ait pas négligées : c'était un moyen pour lui de se rendre
compte de Tétat de la réforme.
La relation nous conduit à Saint- Mikiel, à Longetille^ à
Saint'Avold, à BouzonviUe, à Toul, soit pour la visite de
Tabbaye de SaintEvre, soit pour celle de Tabbaye de
Saint'Mansuj/, et enfin elle nous amène à Senones.
Quant aux abbayes de Metz, à savoir Saint-Arnould,
Saint-Clément, Saint - Symphorien, Saint - Vincent, ai nsi
qu'aux monastères de SaintAiry de Verdun et de Beaulieu-
en-Argonne, le Visiteur s'excusa de ne point s'y être trans-
porté, parce qu'elles dépendaient du royaume de France
et que ses pouvoirs ne s'étendaient pas jusque là.
Pour faciliter l'exécution de la Visite, le cardinal or-
donna, (( en vertu de l'obéissance, à tous les abbés réguliers
et commendalaires et autres supérieurs des monastères de
recevoir les députés, de les entendre, de leur déférer en
tout et partout, même de les défrayer, eux et leur suite,
pendant tout le temps des dites visites, condamnant par
anticipation, toutes les oppositions, réclamatio.is ou appels
qu'on sçaurait faire. » (Rmételois, op. cit., chap. X, § 5).
Visite de Tabbaye de Saint-Mihiel
La commission des Visiteurs date du 7 décembre 1603;
ils se rendirent tout d'abord à l'abbaye de Saint-Mihiel,
possédée en commende par le cardinal de Lorraine et ils y
arrivèrent sur la fin de Tannée.
Fondée et enrichie en 709 par le comte Wulfoade et sa
femme, Adalsinde, l'abbaye de Saint-Mihiel dominait le
mont Châtillon, à une lieue de la ville. Un siècle plus tard,
sous le gouvernement du célèbre Smaragde, elle avait été
-^ 386 —
transportée sur le bord de la Meuse, ne gardant à Ghâtil-
Ion que le lieu de sépulture des moines, auprès de Téglise
consacrée, dit on, par le pape Etienne II lui-même en 753.
Cinquante-huit abbés s'étaient succédé, tantôt réguliers,
tantôt séculiers, à la tête de ce monastère, jusqu'au jour
où le cardinal Charles de Lorraine la reçut en comraende,
en 1587. Bien que privée par Frédéric, duc de Mosellane,
d'une partie de ses possessions, elle valait encore à ce
moment dix mille livres de rente à Tabbé (cf. Revenus du
dioc. de Verdun : Bibl. nat., Moreau, 789). En cour romaine,
elleétaittaxée666 florins (Bibl.ang., 195. Taxaemonasterior,
f. 438). Il est vrai qu'on avait réuni à la mense principale
plusieurs de ses dépendances, en particulier les prieurés
de Bar (1), de Saint-Biaise (2), d'Amance (3), et de Vieux-
Moutiers (4) ; plusieurs autres ne devaient pas tarder à
être affectées à des bénéfices étrangers à l'ordre de Saint-
Benoit. Tels le prieuré de Salone (5), qui fut uni à la Pri-
(1) La suppression et l'extinction du prieuré de Bar furent opérées en
1480 par Sixte IV et les revenus unis à l'abbaye de Saint-Mihiel, moitié
à la mense conventuelle, moitié à colle de l'abbé. Ce fut le commen-
cement de la distinction des menses, car jusque-là les abbés, soit régu-
liers, soit séculiers, avaient fourni des pensions aux religieux, partie
en argent, partie en nature. (Bibl. nat., Lorraine, 289 ; Abb. et Prés.,
fol. 171).
(2) Saint-Biaise ^ au diocèse de Verdun, cédé ensuite aux Capucins,
du consentement des moines.
(3) Laitre-sous-Àmancey diocèse de Metz, uni à la Trésorerie.
(4) VieuT-MoutierSy diocèse de Verdun, amodié à un religieux de La
Chalade.
(5) Le prieuré de Salone fut fondé par Fulcrade, abbé de Saint-Denis,
au vin* siècle, et placé sous l'invocation de la sainte Vierge, de saint
Privât et de saint Hilaire.
En 815, l'abbaye de Saint-Denis donna ce prieuré à Smaragde, abbé
de Saint-Mihiel, moyennant une reconnaissance annuelle de cinq marcs
d'argent. Cette donation fut suivie de celles de plusieurs manses et
vignes par Charles le Simple, le 8 des calendes d'août 890, et par Louis
d'Outre-Mer en 950. A différentes reprises, l'exemption du prieuré de
la Juridiction des évèqucs de Metz fut mentionnée et reconnue.
En 1598, à la mort de Pierre de Saint- Vincent, docteur en théologie
et titulaire de ce prieuré, celui-ci n'eut pas d'autre possesseur et le
cardinal de Lorraine, en sa qualité d'abbé, se le réserva pour l'unir
— 387 —
matiale de Nancy, celui de Saint-Michel de Pont-à-Mousson
employéàla fondation du séminaire de Tévôché de Metz (1),
celui de Harréville (2), incorporé à la collégiale de La
Mothe, celui de Saint-Thiébaut de Saint-Mihiel, cédé aux
Minimes (3), celui de Saint-Léonard enlevé parles Hugue-
nots du comté de Fénétrange (4), enfin ceux de Mérode (5)
et de Rancourt, attribués à d'autres titulaires.
Le cardinal de Lorraine, à son retour de Rome en 1592,
ému de la vie que menaient les religieux de son abbaye
de Saint Mihiel, résolut de leur rendre, si possible, Tesprit
monastique qu'ils avaient perdu. Pour s'assurer leur bonne
volonté, il fit unir, sur leur prière, le prieuré de Laître-
sous-Amance à l'office du Trésorier, et ramena de Nancy,
où on les avait transportés pour les soustraire aux dépré-
dations des soldats, tous les objets précieux de l'abbaye.
Profitant de l'Assemblée des abbés et prieurs conven-
tuels réunis pour conférer de la réforme générale des ab-
bayes de sa légation (6), il soumit à son approbation un
certain nombre de décrets qu'il désirait faire observer à
peu de temps après, en 1602, à la Primatiale de Nancy, contre le gré
des religieux.
Sur Salone, v. l'abbé Picrson, dans Mémoires de la Soc. d* Archéologie
lorraine, 1870, p. 114 139.
(1) Les moines voulurent en vain s'opposer à ce démembrement ; le
cardinal finit par l'obtenir.
(2) La fondation du prieuré à' Harréville (Haute-Marne) remonte à
l'an 1032, sous l'abbatial de Nanterre, abbé de Saint-Mibiel. Une partie
de SCS revenus seulement fut attribuée à la Collégiale de La Mothe. Plus
tard, le prieuré fut de nouveau réuni à l'abbaye de Saint-Mibiel, par
lettres apostoliques du 23 août 1749. — D. Calmet, îîoiice de la Lor-
raine^ art. Harréville.
(3) Les Minimes prirent possession du prieuré de Saint-Thiébaut le
25 octobre 1598, Clément VIII ayant accordé les bulles d'union. Les
religieux de Saint-Mibiel se réservèrent toutefois le droit d'aller y
chanter la messe les jours de la fête du patron et de la dédicace, ainsi
que les premières et deuxièmes vêpres. — D. Joseph de l'Isle, Histoire
de l'abbaye de Saini-Mihiel.
(4) Saint- Léonard^ au diocèse de Metz.
(5) Merodorum, nommé dans la bulle de Pascal II (1106), probable-
ment Méroué près Montbéliard, dit Dom Calmet, Notice, art. Marey.
(6) V. !'• Partie, ch. IIÏ. Essais divers de réforme.
— 388 -
titre d'essai, dans son abbaye de Saint-Mihiel. L'Assemblée
approuva lesdits statuts et le cardinal les promulgua (1).
(1) Charles, par la divine Providence, cardinal du titre de Sainte-
Agathe et légat de Lorraine, évèque de Strasbourg et de Metz, abtié
de Saint-Mihiel, désirant de rétablir la discipline régulière d(*laiss(^e
pour la plupart par la malice des temps en notre abbaye et monastère
de Saint-Mihiel, nous ordonnons ce qui s'ensuit :
!• Que les prieur et religieux tant profés que novices assisteront
diligemment et dévotement et avec toute révérence au Saint Servie©
qui se dira à heures limitées selon la (orme et coutume ancienne de la
maison, accompliront les fondations des messes et autres services selon
les intentions des fondateurs et selon qu'ils y sont obligés.
2^ Lesdits prieurs et religieux se lèveront à minuit et se trouveront
en l'église pour y dire les matines.
3* Rendront obéissance, honneur et révérence au prieur, comme à
notre personne, lequel ne permettra les vices et scandales régner parmi
eux, mais les châtiera et punira selon la gravité des fautes commises
sans exception de personnes ; et voulons que la correction des vices
soit faite selon la forme prescrite dans la Règle de saint Benoit et sta-
tuts anciens de la maison, que nous voulons être remis en usage.
V Lesdits religieux vivront en commun et leur seront distribués les
vivres, habillements et autres choses nécessaires comme le prieur le
trouvera expédient.
5* Ledit prieur retiendra ses religieux qui sont en charge dans l'en-
clos de la maison, et ne leur sera loisible aller en ville ou aux champs
sans la permission du prieur, qui ne leur sera donnée pour aller aux
noces, festins et banquets, mais pour choses nécessaires, conformément
à leur état.
6* Les novices qui se présenteront pour prendre l'habit, seront dili-
gemment examinés sur les mœurs, doctrines, disposition du corps et
intention. Tous banquets excessifs, présents et conditions qui sentent
la simonie, seront retranchés.
?• Lesdits novices, étant arrivés a l'Age de quinze ans, seront avertis
par le prieur de se mettre on l'an de probation, durant lequel ils seront
diligemment instruits par le prieur de l'état et charge de la religion et
des vœux qn'ils auront h faire.
8* Le seizième de leur Age expiré et accompli, ils feront profession
solennelle en présence de deux notaires apostoliques, qui en feront
registre, et sera ladite profession inscrite au livre du chapitre.
9° Et, où lesdits novices ne se trouveraient pas capables ou refuse-
raient do faire ladite profession, aussit<H ils seront renvoyés ù leurs
parents, et il leur sera rendu ce qu'ils auront apporté à leur entrée
dans la maison, sauf i\ déduire la nourriture pour le temps qu'ils auront
été dans la dite maison.
10° Les novices ne recevront pas les saints Ordres avant qu'ils aient
fait profession.
11* Le prieur claustral choisira deux maîtres, de bonnes mœurs et
— 389 —
Ces décrets furent en partie observés pendant six mois.
Le Visiteur vint alors pour se rendre compte de Tétat de
Tabbaye : on le reçut bien, mais le tout se borna à quelques
cérémonies ; la peste, qui sévit ensuite dans la ville de
Saint-Mihiel, fit perdre le peu d'observance rétablie parles
statuts.
Les choses en étaient là, quand arriva la nouvelle du
bref obtenu à Rome par le cardinal-légat en 1605, et Tan-
nonce d*une visite faite au nom du Pape. Les religieux de
Saint-Mihiel, les premiers menacés, écrivirent à Dom Louis
de Tavagny, abbé de Saint-Evre, opposé comme eux à
une réforme absolue. Il leur répondit de demander et
d'accepter les statuts proposés en 1595, se réservant de
provoquer une assemblée d'abbés et de prieurs, pour conve-
doctrine sufOsante, pour inslruire lesdits novices, tant en ce qui est du
service de l'Eglise et Télat de la religion, que de grammaire et autres
doctrines, s'il en est besoin, et leur seront limitées les heures, pour
éviter désordre et confusion. Ledit prieur tiendra la main à cette
bonne œuvre, comme en toutes autres qui se feront pour l'instruction
desdits novices.
12* Les religieux porteront la tonsure accoutumée en l'Ordre ; ils
feront couper leur barbe, porteront des habillements modestes, décents
et convenables à l'état de la religion, k quoi le prieur prendra garde.
13* Les bénéflces et offices claustraux ne se donneront qu'à ceux qui
auront fait profession et, en ce, les anciens qui en seront capables,
seront préférés.
14" Ceux qui auront bénéfice dans la maison y feront résidence pour
faire leur devoir, sans charger la maison, et il ne sera loisible à un
religieux de tenir ensemble bénéfice et office dépendants de la maison,
à qui que ce soit sans exception.
lo* Nous défendons à nos religieux, de quelque qualité qu'ils soient,
de nourrir chiens de chasse, porter armes défendues aux ecclésiasti-
ques, et commandons à notre prieur d'en faire une recherche exacte,
sous peine de nous en prendre à lui.
16" Nous mandons et ordonnons à notre prieur de faire effectuer
promptement tout ce que dessus, sans toutefois déroger aux anciens
statuts et règles de la maison, que nous entendons ^tre remis en usage ;
et, où il se trouverait quelque rebelle ou réfractaire à nos ordonnances
ledit prieur nous en donnera avis, afin d'agir comme trouverons à faire
de droit.
D. Joseph db l'Islr, Hist. de l'abbnye de Saint-Mihiel.
— 390 —
nir d'une sorte de mitigation. Nous avons vu que ses
efforts furent vains.
Sans espoir de ce côté, les religieux de Saint-Mibiel se
tournèrent vers le roi de France et s'adressèrent, par Tin-
termédiaire d'un d'entre eux, au Président de Bournon à
Verdun, père dudit moine. Le Président, plus sage qu'eux,
désapprouva leur dessein et leur fît voir l'embarras où ils
allaient se mettre. Ils retirèrent la demande qu'ils avaient
projetée, de se faire exempter de 4a visite comme sujets
du roi.
Les Visiteurs arrivaient à Saint-Mihiel. Dom Jérôme,
grand-prieur, alla les recevoir dans une maison voisine de
l'abbaye, accompagné de quelques anciens. Les Visiteurs
déclarèrent l'objet de leur mission et remirent au lende-
main l'accomplissement de leur mandat. Au jour dit, la
communauté fut assemblée au chapitre ; lecture fut donnée
des pouvoirs des Visiteurs, et ceux-ci commencèrent la
visite de l'église, delà sacristie, ainsi que des ornements et
de l'argenterie. Les moines virent bien qu'ils ne pouvaient
plus empêcher l'exécution de la réforme ; ils refusèrent
toutefois de l'accepter pour eux-mêmes, ne se sentant pas
le courage d'en supporter les obligations.
Les députés se retirèrent la veille de Noël, M. de la Ferlé
à Pont-à-Mousson, Dom Lucalberti et Dom Claude François
à Saint-Vannes. Ils y demeurèrent peu de temps, car le
cardinal les convoqua aussitôt à Nancy avec le grand-
prieur et trois religieux anciens de Saint-Mihiel, pour
conférer avec eux sur la situation à faire aux réformés et
aux anciens.
La plupart de ceux-ci vivaient comme de simples parti-
culiers : point de noviciat ; point de profession. Gomment
obtenir quelque changement dans de telles conditions ?
Comment imposer une vie aussi austère que celle de Saint-
Vannes, à des individus qui n'avaient de leur état que
l'enseigne? Une seule ressource restait: offrir une pension
— 391 -
aux anciens religieux et renouveler entièrement le per-
sonnel (1). Pour les récalcitrants, c'était le dernier moyen
d'échapper aux censures ou à la dispersion ; ils s'y rési-
gnèrent et acceptèrent de se retirer, en promettant de vivre
plus dignement, moyennant qu'on leur donnerait les deux
tiers des revenus de la mense conventuelle. Ils étaient dix-
huit, et les religieux destinés à les remplacer devaient
venir au nombre de treize: ils avaient donc la belle part.
Dom Lucalberti écrivit aussitôt à Dom Didier de la Cour,
prieur de Saint-Vannes, pour négocier avec lui l'acceptation
de la nouvelle abbaye, et le prier de lui envoyer douze
moines de son choix.
Dom Didier de la Cour trouva avec raison que, soit au
point de vue des sujets demandés, soit surtout au point de
vue des moyens de subsistance qui leur étaient offerts,
l'incorporation de l'abbaye de St-Mihiel allait être une
lourde charge pour la Congrégation, jeune encore. Il avait,
par-dessus tout, la crainte d'être obligé d'envoyer en fon-
dation des sujets non formés, et sa prudence se défendait
contre la rapidité avec laquelle on semblait vouloir mar-
cher. D. Lucalberti ne recevant probablement pas de
réponse à sa demande, écrivit une seconde fois, exposant
au prieur de Saint-Vannes l'ennui qu'il avait de devoir trop
longtemps demeurer hors de sa Congrégation, et lui repro-
(1) (Suite (le la relation de D. Lucalberti). « Passons au particulier.
L'abbaye de Saint-Mihiel, située dans la terre du môme nom au diocèse
de Verdun, fut visitée la première, parce que son abbé est l'IUustris-
sime Légat, et qu'elle est la plus riche. Les moines do cette abbaye, en
personnes raisonnables et de bonne éducation, objectèrent pour leur
défense qu'ils n'avaient jamais fait profession ni tacite ni expresse, et
qu'ils avaient été placés dès leur enfance dans le monastère Ils fini-
rent cependant par se laisser persuader de sortir de l'abbaye et de
mener une vie réglée et honnête, se réservant, comme ils étaient dix-
huit, les deux tiers de la mense conventuelle ; l'autre tiers fut donné
à douze moines réformés qui furent introduits dans ladite abbaye à la
grande satisfaction et joie de toute la ville, et à la louange de l'Illus-
trissime Légat, n
— 392 —
chant sa défiance envers Dieu. Didier de la Cour lui répon-
dit par la lettre que nous donnons en note, où il s'excuse de
la difflculté qu'il a ressentie d'accepter les conditions pro-
posées, non certes par défiance de Dieu, mais par obéis-
sance aux décrets pontificaux sur la réception des reli-
gieux dans un monastère dénué de fonds suflisants pour
les nourrir. Il Tencourage enfin à poursuivre l'œuvre de
Dieu à laquelle il a été consacré, et qui lui vaudra tant de
mérites (1).
Le 21 janvier 1606, après que Ton eut dressé l'état des
revenus des deux menses abbatiale et conventuelle, un
traité ou règlement fut rédigé : les anciens moines devaient
quitter les lieux réguliers et le cloître, pour s'établir dans
la première cour du monastère. Une pension leur futassi-
(1) Pax Chrisli. Révérende Pater.
Binas a te literas accepimus quibas nos quasi consolaris quod iniqui»
conditionibus cogamur monasterium Sancti Michaelisaccipere. Quceres
ctsi nobis durior visa est, tamen quia audimus et speramus id futurum
gratum lllustrissimo Domino Cardinali, etDco juvante, nostrae congre
gationi aliquem commodum ac fructum sumi, nos libenter tanto oneri
humeros supponemus. Quod autem nos aliquo modo diffidentiae erga
Deum accusas, sciât tua paternitas quod id non ex diffidentia processit,
sed ex priBcepto summi Pontiûcis Clementis VIII et aliorum, qui in
quadam bulla cavit ne in ullo monasterio plures recipiantur reiigiosl
quam possunt ali ex redditibus monastcrii. Sed quidquid sit, spero nos
propedie plures hablturos monacbos quam necesse erit ad reforma-
tionem monastcriorum quas evacuanda erunt.
Quod autem scribis te moleste ferre quod tamdiu absis a monasterio
et fratrum tuorum consortio, non id qnidem mirandum, cum nihU
molestius acciderc possit uni religiose devoto quam sua devotione ac
tranquillitateprivari. Demum si haec tranquillitas cum fructu qui ex
tuis laboribus proveniat comparetur, potius molesta isla tranquillitas
Judicanda est quam tam fructuosus labor, qui licet te a tuis separet,
non tamen a Deo dijungit ad eu jus gloriam tam diligcnter navas operam.
Quare non est quod tua paternitas moleste ferat absentiam suorum, sed
potius Immensas Deo 0. M. gralias référât qui te dignum tamlaudabili
opiTC judicaverit. Faxit Deus ut tibi omnia et nobis omnibus prospère
succédant.
.... JanuariilGOe
fr. Desiderius a CuHa,
V«» ReverentisB devotas.
Au dos : Au R. Père visiteur
delà congrégation du Mont-Cassin, àToul.
{Arch. Florence: Réform., t. II.)
— 393 -
gnée selon leurs offices ou leur rang d'ancienneté (1). Si
Tun d'entre eux mourait, le suivant par âge pouvait échan-
ger sa pension contre celle du défunt, au cas où celle-ci
était supérieure à la sienne. Exception était faite pour les
pensions du grand prieur et du Trésorier, qui devaient, à
leur mort, revenir directement aux réformés. Les autres
devaient leur appartenir au furet à mesure qu'elles étaient
laissées libres par le décès du premier titulaire ou des
titulaires qui lui auraient été substitués. En cas de sécula-
risation d'un ancien, sa pension se partageait entre les
autres au prorata de la leur (2).
Quant au spirituel, le cardinal imposa aux réfractaires
les points suivants : i^ l'office sera récité en commun dévo-
tement et distinctement^ dans la chapelle deTéglise appelée
Pierrefort: les matines à cinq heures ; prime, tierce, sexte
et la messe à sept heures ; none, vêpres, complies à deux
heures du soir.
2^ Les religieux se confesseront une fois par mois et
communieront ou diront la messe selon les Canons. 3^ Ils ne
quitteront jamais l'habit et porteront la tonsure. 40 Ils ne
pourront ni élever des chiens, ni chasser. 5*^ Pour sortir du
monastère, ils devront se munir d'une permission. 6° Sous
(1) D. Jérôme, grand-prfcur, reçut 1200 francs pour sa pension. —
D. François de Serocourt de Belmont, 800 fr., plus 100 fr. pour la Tré-
sorerie à céder aux réformés. D. Didier Bournon, 600 fr. — Item, D.
Didier Chasteaux. — D. Philippe de Neufville,5fô fr. — D. Gérardin, dit
de Maisi, 525 fr. — D. Jean d'Haronville, 500 f r. — D. François de Geury,
D. Warin Maillet, D. Jean de Gustines, D. François Vignolcs, chacun
400 fr. — D. Gabriel Vignoles, 300 fr. — D. Charles le Pougnant, ancien
moine de La Chalade, gardait l'amodiation du Vieux-Mou lier.
(2) Les religieux réformés introduits à Saint-Mihiol furent : D. Claude
François, qui, malgré ses résistances, dut accepter le titre de grand-
prieur. — D. Jacques Richard. — D. Bernard Loterlot. — D. Nicolas
Matbis. — D. Phi lippe- François Collard. — D. Hydulphe Jobard. —
Fr. Jacques Somnin. — Fr. Maur Golly. — Fr. Benott Corvisier. —
Fr. Jean Donné. ~ Fr. Jean Placide. — - Fr. François Paul Cachet. Tous
étaieut clercs. — Fr. Nicolas Rézet, commis.
Cf. D. Joseph de l'Isle, Histoire de l'abbaye de saint-Mihiel, etc.^
1757.
26
— 394 —
peines canoniques, défense de visiter des femmes de répa-
tation suspecte. 7^^ Défense de se livrer aux jeux de hasard
et de prendre part à des banquets.
Ce règlement fut intimé aux intéressés le 27 janvier, par
le sieur de Belchamp, archidiacre de Sarrebourg, manda-
taire du cardinal légat, accompagné de Dom Claude Fran-
çois.
Le cardinal pourvut aux difficultés pécuniaires. En plus
de la part prise sur la mense conventuelle, il laissa aux
réformés 9 à 10000 francs pour bâtir et meubler selon leur
gré leur rfouvelle résidence. C'est le 10 février 1606 que
les anciens religieux se retirèrent, faisant place aux douze
religieux mandés de Saint- Vannes. A la télé de ceux-ci le
cardinal plaça Dom Claude François lui-même, et bientôt
Tabbaye réformée devint, grâce aux ressources assurées
par le légat et à la prudence du prieur, l'une des colonnes
de la Congrégation (1).
Visite de l'abbaye de St-Martin de Longeville
De Saint-Mihiel, le rapport du Visiteur passe à Tabbajc de
Longeville (2), dédiée à saint Martin et également connue
sous le nom de Glandicres. Fondée au ix« siècle, elle n'avait
(1) Cf. Bibl. nat., Lorr. 289, fol. 128, Faclum pour le prieur et les reli-
gieux de SainlMihiel, 16 pages impr.
(2) Happorl do D. Lucalbcrti (suite). — « L'abbaye de Saint-Marlin do
Longeville, au dioc^.se de Metz, était en état pire que toutes les autres:
les bAtiments étaient en ruines, les revenus hypothéqués, le^ terres
aliénées et chargées de dettes, l'église sans calices, sans livres de chœur,
sans ornements ; 1<1 vivaient 4 ou 5 moines qui ne disaient point la
messe, mémo le dimanche. Les excès de l'abbé étaient des plus énor-
mes et publics : on en fit un procès, ratifié par la confession dudit abbé;
celui-ci fut déposé de sa charge et relégué dans un monastère de
réformés pour y )eûner et y faire d'autres pénitences salutaires, qu'il
accepta en toute humilité, avouant qu'il en méritait de plus grandes,
et là il remercie Dieu d'avoir ainsi pourvu au salut de son àme.
L'abbayo fut donnée à son coadjuteur, homme de sainte vie et de
grande doctrine, dont on espère beaucoup do bien et qui introduisit
aussitôt des religieux réformé?. »
- 395 —
eu, jusqu'à Tépoque où nous sommes, que des abbés régu-
liers ; mais, si elle avait échappé à la commende, elle n'avait
pu se soustraire aux incursions de troupes, se trouvant
bâtie sur la route nationale de Lorraine en Allemagne.
Voisine de la France et du Luxembourg, elle avait égale-
ment dû, à plusieurs reprises, lutter contre l'un ou l'autre
de ces pays, désireux de se partager les quelques dîmes qui
faisaient tout son revenu. Pendant le xvi» siècle, surtout
au moment des guerres civiles, elle avait beaucoup souf-
fert, non seulement dans ses revenus pécuniaires (1), mais
même dans ses richesses intellectuelles : trésor reli-
gieux et bibliothèque, tout avait été pillé par les troupes.
Dieu permit que, en plus de ces ruines matérielles, un abbé
indigne de ce nom achevât de dévaster moralement le
monastère de Longeville. La Gallia christiana consacre ces
quelques lignes à l'abbé en question, dont les dernières
années rachetèrent heureusement en partie les fautes :
« Claudius Eliphi, 1582, pessimos mores habuit. In carcere
inclusus est Mediani monasterii, ubi obiit a. 1611 ».
Dom François Thierry, qui était le coadjuteur de Claude
Eliphi depuis l'année 1603, fut appelé à lui succéder dans le
gouvernement de l'abbaye. 11 n'était profès de la règle
bénédictine que depuis le 3 novembre 1605, mais il entra
immédiatement dans les vues du légat et des Visiteurs, en
introduisant la réforme dans son abbaye le 29 septem-
bre 1606.
Visite de Pabbaye de Saint- Avold.
A côté de Saint-Martin de Glandières se trouvait située,
dans le même diocèse de Metz, et presque dans les mômes
(1) Le Pouillé général (Bibl. nat., Moreaii 783] lui donne comme valeur
6.000 livres.
En cour romaine, elle était taxée à 370 florins (Bibl. ang., Taxse
monast., i\2).
Sur diverses possessions revendiquées par Tabbaye ^e Longeville, v.
Bibl. nat., Lorr. 286, fol. 64, 66, 67 etc., et 271 ; Aff. ceci., 224.
conditions défavorables, Tabbaye de Saint-Nabor (<), ou de
Saint- Avold. La date de l'origine de cette abbaye est incer-
taine. Dom Calmet la place a^sez longtemps atant Tannée
750, en laquelle Tévêque de Metz Chrodegang déposa le
corps du saint martyr Nabor dansTéglise de ladite abbaye.
La Gallia christima, où, à la date de 791, nous trouvons le
quatrième des 48 prélats qu'il donne jusqu'à Marcel Hann,
ne semblerait pas reculer aussi loin la fondation de cette
abbaye. Quoiqu'il en soit, Saint-Avold ne tarda pas à deve-
venir l'un des principaux monastères de la province, grâce
aux largesses d'Angelrame, évéque de Metz (1817 ou 818),
l'un de ses plus insignes bienfaiteurs. Honoré du titre de .
premier baron de l'évêché, l'abbé de Saint-Avold tenait
le premier rang parmi les autres abbés aux assises de
Metz. En cour de Rome, l'abbaye de Saint-Avold était taxée
(1) Relation de Lucalberti (suite).— « L'abbaye de Saiol*Nabor, dans la
terre du môino nom, diocèse de Melz, est en assez bon état pour ce qui
regarde les bâtiments ; mais elle est chargée d'une infinité de dettes, a
beaucoup do biens aliénés et hypothéqués, grâce aux exactions des
nobles et des soldats do la garnison de Metz^ lesquels, dans leurs excur-
sions, font beaucoup de dommages aux abbayes sises aux alentours de
la ville, grâce surtout aussi principalement au mauvais gouvernement
et à la prodigalité de l'abbé mort pendant mon séjour en Lorraine. Los
moines élurent alors un profès de leur monastère, homme prudent et
de vie honnête, et qui, ayant été cellérier, s'entend très bien aux affaires
temporelles et pourra aider beaucoup ses confrères. En cour de Rome,
l'abbaye fut donnée à Mgr de Maillane, protonotaire apostoUque, an
grand murmure des moines et des séculiers, protestant que c'était leur
enlever leurs privilèges que do leur donner un abbé non élu par eux,
et leur causer des pertes, parce que les revenus de l'abbaye, diminues
de peu que ce fût, par une rente à payer audit abbé, ne seraient plus
suffisants pour alimenter le nombre de moines nécessaire au service
de leur église, dans une contrée si vaste et si populeuse.
En ce qui concerne leur vie, ces moines prétendent être de la Congré-
gation do Saint-Maximin de Trêves et, par suite, ne pas être obligée à
autre réforme, à quoi on répondit que celte Congrégation n'existait plus,
sinon dans un ou deux monastères chargés do dettes ; qu'il n'était pas
bon que leur abbaye fût unie â des monastères hors du pays ; que leur
argent sortait de la province et qu'on le savait, ainsi que leur principe
d'admettre seulement des novices allemands, chose déplaisante pour leur
souverain. Mais, à cause de la controverse touchant l'abbé élu et l'abbé
commcndataire, on remit â plus tard la résolution â prendre, u
- 397 —
à cent florins avant Tannée 1456, où le Pape Calixte III lui
annexa l'église paroissiale de Riperg (alias Ruperilii) ce
qui lui donna une plus value, et éleva la taxe à 106 florins
2/3 (Bibl. ang., Taxœ monast. 112, fol. 272). Au pouillé des
abbayes (Bibl. nat., Moreau, 784, fol. 9 v»), elle est estimée
à six mille livres (cf. ibid, Moreau, 783, xvii® s,).
Unie tout d'abord à la Congrégation de Bursfeld, elle fut
réformée par l'abbé Mathieu (flolS). A l'époque delà visite,
c'était Nicolas Peltre qui, depuis 1599, occupait l'abbatiat:
le Visiteur n'en fait pas précisément l'éloge. Il mourut du
reste dans le courant de l'année 1606, et eut pour succes-
seur D. Marcel Hann, de Saint-Maximin de Trêves, qui fut
élu le 11 mai de la même année. La réforme, que le Visiteur
n'osa pas introduire à cause de la compétition entre l'abbé
élu et Mgr des Porcelets de Maillane, pénétra cependant à
Saint- Avold en 1607.
Visite de Tabbaye de Sainte- Croix de Bouzonville.
De Saint-Avold, les Délégués apostoliques revinrent vers
Toul en passant par Bouzonville (l), sise également au dio-
cèse de Metz. Moins déchue que les autres monastères,
l'abbaye de Sainte-Croix de Bouzonville avait eu cepen-
dant ses jours d'épreuve. Fondée en 1033 par le comte
Adalbert, tige de la maison de Lorraine, et par la comtesse
Judith, sa femme (2), l'abbaye dut son nom à une relique
(1) Suite de la relation : o L'abbaye de Sainte-Croix de Bouzonville, au
diocèse de Metz, est sous le patronat du duc do Lorraine; elle a main-
tenant pour abbé Jean Sellier, moine profèsdo l'ordre de Saint-Benoit ;
elle est en assez bon état en ce qui regarde les bâtiments et en ce qui
concerne le service de l'église. Les moines, au nombre de 12, observent
les prescriptions essentielles de la Règle ; on dut les laisser dans la
même situation, les Pères réformés n'ayant pas le nombre sufTîsant de
moines pour remplir actuellement cette abbaye. »
(2) Cf. D. Calmet, Notice de la Lorraine, art. Bouzonville. — Bibl.
nat., Lat., Miscell. monast., 12777, p. 210-212. — - GaUia chriMiana,
Bouzonville. — Bibl. nat., Lorr. 284-497-276. — Lat. 1266G : diverses
donations, confirmations ou transactions avant le xvii" siècle.
— 398 —
de la vraie Croix, que le comte rapporta de Jénisalem. Doté
par celui-ci de nombreux alleux, le monastère garda, dans
la suite, la protection spéciale des descendants du comte.
Sur le désir de Tévéque de Metz Adalberon, Gérard d'Al-
sace, petit-fils d'Adalbert, échangea ses droits sur l'abbaye
contre le château de Commercy {Commaniaco). « retinens
8ibi posterisque suis advocationem loci jure hctreditario ». Les
avoués du duc ne mirent malheureusement pas le même
dévouement que leur seigneur dans la défense des droits
de l'abbaye, et à plusieurs reprises celle-ci dut se défendre
contre eux (notamment en 1123 et 1184.). A la fin du xvr
siècle, le 19 mai 1583, Fabbaye fut totalement dévastée, sauf
l'église. Jean Sellier, élu abbé en 1589, consacra son abba-
tial à la relever de ses ruines ; c'est lui également qui, en
1612, devait y introduire la réforme.
CHAPITRE II
Visite des abbayes de Saint-Mansuy et Saiot-Evre de Toul, de Saint-
Pierre de Scnones. — Six monastères échappent à la visite : à Metz,
Saint-Clément, Saint-Symphorien, Saint-Arnould, Saint-Vincent ;
l'abbaye de Beaulieu-en-Argonne et Saint-Airy de Verdun. — Dé-
crets du Visiteur. — Son retour en Italie.
Visite de l'abbaye de Saint-Mansuy de Toul.
Après la visite de Bouzonville, eut lieu celle des abbayes
de Toul, Saint-Mansuy (1) et Saint-Evre. Commencée par
saint Gauzelin, évéque de Toul, vers 930 (2), la fondation de
l'abbaye de Saint Mansuy date vraiment de 982, époque à
laquelle saint Gérard, successeur de saint Gauzelin sur le
siège de Toul, « a estably un abbé nommé Adam et des
religieux de l'Ordre de Saint-Benoît, avec assignation de
rentes et revenus suffisants pour leur entretien, confir-
mant les donations auparavant laites audit lieu, tant par
Gauzelin, son prédécesseur évêque, que par autres fidèles,
(1) Relation de Lucalbcrti, suite. — « L'abbaye de Saint-Mansuy, au
faubourg de la ville de Toul, quoique pourvue de bonnes rentes, n'eq
est pas moins dans une très mauvaise impasse, grâce à soixante ans
passés sous le gouvernement d'un abbé commendataire italien qui en
a tiré plus de 12000 écus, sans en dépenser même cent, de sorte que les
bâtiments tombent en ruines et que la sacristie en est réduite à n'avoir
pas une seule cbasuble noire. Le vicaire de cet abbé est Monsieur
Chaumont, chanoine de la ville de Toul. Ayant porté plainte à la cou-
ronne de France, il empocha la réforme de s'établir ; les moines ont
des mœurs déréglées, comme ceux que nous avons déjà cités. L'un
d'entre eux, M. Guissard (?), les ayant quittés pour entrer chez les
réformés, a laissé une deAto de 200 écus (ou sols ?) provenant des
dépenses ordinaires qu'il est de tradition de faire dans ce monastère à
leur entrée et à leur ordination sacerdotale ; il supplie Sa Sainteté de
permettre que ses créditeurs soient payés avec la valeur de la pension
que devrait lui servir le monastère au lieu do la nourriture qu'il n'y
reçoit plus, afin que son père, qui est pauvre, n'en soit point rendu
responsable. »
(2) D. Galmbt, Notice de la lorr., art. Toul.
— 400 —
lesquels il affranchit et exempte de toute juridiction, et
entre autres l'enclos et le circuit dans lequel est situé lexlit
monastère de Saint-Mansuy, avec les terres et le ban aux
environs (1) m.
Parmi les possessions que cette charte assurait, citons
les principales : l'église de Bonnay (2), la chapelle du Mont
de Bar, l'église de Moienvic, les églises de Naives, de Hode-
lincurt, de Tulley» les chapelles de Saint-Florentin de Chel-
mes, de Seixey, d'Orisim, de Benneron et quelques pièces
de terre (3). En 988, saint Gérard ajoute les dimes de
Gelaincourt (4).
En 1096, Lancelina donne à Saint-Mansuy l'église et une
partie de la seigneurie de Bures (5).
En 1246, l'abbaye obtient les églises de Germay et de
Bretoncourt (6).
En 1264, les églises de Lezeville, Espihon, Solencourt,
Germeville, Sommelenance (7).
En 1284, deux autres cures sont mentionnées : Eflin-
court et Montreul (8), etc.
Parmi les prieurés qui, au cours des siècles relevèrent
de Saint-Mansuy, citons ceux que nous donne unerequôte
faite plus tard pour obtenir l'indépendance de l'abbaye vis
à vis de la ville de Toul (9) : Notre Dame de Neufchâteau,
Saint-Jacques, Bieurville, Rinel, Saint Don, Fontenoy en
Vosges, Saint-Thiébaut, Passay, Hamaureux, Saint-Michel
du Mont de Bar (10). Les cures à la collation sont, à la même
(1) Bibl. nat., Lorr. 329, Toul, fol. 26-27 : Inventaire motivé des
Titres do Saint-Mansuy. XVll\
(2) Bonnay, Bibl. nat., Lorr. 329, Titre 1,36.
(3) Monl de Bar, Tulley, Orisons ou Orisim, Bodelincourt, ibid.,
D* 36 (1050).
(4) Gelaincourt, ibid., titre 3.
(5) Bures, ibid., titre 4.
(6) Germay, ibid. Utre 6.
i7) Sommetonnance, ibid., n» 8, n» 10, n« 11, n» 12, n« 13,
(8) Lézeville, Upihon, Solencourt. Bibl. Nat. Dupuy 124 (126i).
(9) Bibl. nat., Lorr. 334, Toul.
(10) Citons quelques actes de conGrmaUon : 965, cartul. d'Othon H,
— 401 —
date, au nombre environ de trente, les chapelles, de
sept.
Au commencement du xvii* siècle, les revenus de Tabbé,
outre les rentes en nature, s'élevaient à 17812 fr., 5 gros (1) ;
on comprend ainsi les réflexions du Visiteur, le rendant
responsable des ruines accumulées pendant un abbatial de
60 ans, uniquement occupé à percevoir les revenus, sans
acquitter les charges. Nous avons la confirmation de ce
triste état de choses dans la déclaration suivante faite par
les moines en 1610 ; ils y exposent : a Que tous les bâti-
ments de leur église, couvent et monastère, en ce qui est
resté debout et en estre, sont fort vieilz et caducques, et
menassent ruyne imminente par tous et pareillement
aussy tous les autres bastiments en deppendantz.... ; que
les usuynes comme moulin, four, pressoirs et autres
bâtiments de mesnage de leur abbaye, ayent esté pour la
plupart ruynés par les guerres dernières, en sorte qu'ils
sont contraints d'y employer par chacun an pour le moins
3.000 livres en réparation (2). »
Toutefois, pour être juste, on ne peut tout rejeter sur le
dernier abbé qui précéda la réforme. Depuis sa fondation,
vers 930, jusqu'à l'arrivée des commendataires, trente-cinq
abbés réguliers s'étaient succédé dans l'abbatiat, agrandis-
sant peu à peu le domaine temporel de leur monastère,
ainsi que les documents nous le montrent. Citons pour
Bibl. nat., Lorr. 329, n" 44. — 1152, Bullo d'Eugène III, ibid, n« 37. —
1134, Bulle d'Adrien IV, n» 38. — 1103, cart. de Pibon, n» 36. — 1118,
cart. de Riquinus, n" 35.
Autres possessions à Lézeville^ haneufveville^ 1262, Bibl. nat., Lorr.
329, n» 7 î — à Pargney-sur-Meuse, Rigney, Bussoncourt, 1263, ibid,
n» 40; — Longeaux, 1284, ibid. ; — Demgerei, Malezei, Bibl. nat.,
Dupuy, 124, 1282; — Fussey, 1292, ibid. — La Borde (maladrerlc) Bibl.
nat., Fr. 18859 ; etc....: cf. Déclaration de revenus, 1610, Bibl. nat., Lorr.,
Toul, n« 17; - 1624 ; ibid. fol. 198-210.
(1) Bibl. nat., Lorr. 329, Toul, 1 fol. 198-210, Déclaration de revenus,
1624 et passim.
(2) Ibid, 398, Toul^ SainiMansny, f. 45-46. Déclaration de revenus,
1610.
— 402 —
simple mémoire : Faribertus, 971 ; Odon ou Dodon, 1050 ;
Theomar, 1103 et 1118 ; Raynal, 1135; Jean, 1152 ; Aubert,
1189'; Otton, 1264 ; Gérard, 1284, etc. (1). Entre temps nous
trouvons l'un ou l'autre d'entre eux cherchant également
à affermir les intérêts spy-ituels de leur abbaye par des
actes d'association avec d'autres monastères ; c'est Rainai
qui, au xii« siècle, établit des liens entre l'abbaye de Saint-
Mansuy et celle de Moutier-Saint-Jean (Reomense), dont Ber-
nard est alors l'abbé ; en 1294, Guillaume, l'un de ses succes-
seurs, confirme cette association ; en 1299, c'est Gérard qui
établit les mêmes relations spirituelles avec son homonyme
de Saint-Evre de Toul, etc. (2).
Mais avec Jean de Lamballe, vers 1480, était venue la
commende ; puis, durant le xvi' siècle, les guerres ; puis
enûn le fameux abbé Nicolas Ususmaris, italien naturalisé
par lettres dul3oct. 1552 '3). Les titres deSaintMansuy(4)
sont remplis des échos de la procédure engagée ou subie
par l'abbé contre les détenteurs des dîmes de son bénéfice,
ou contre ses moines, dont il néglige de payer la pension.
Vers 1592, le duc de Lorraine s'occupa de procurer à
Mgr Jean des Porcelets de Maillane, encore étudiant à
l'Université de Pont-à-Mousson, la coadjutorerie de l'abbaye
de Saint-Mansuy ; il en écrivit dans ce sen§ au sieur de
Lutzelbourg son cousin et ambassadeur à Rome, le 25 juil-
let 1592 (5). Le Pape la lui conféra en 1597 (6), et non pas
en 1603, comme le voudrait la Gallia christiana. Ce n'est
qu'en 1607, à la mort de Nicolas Ususmaris, que Mgr des
Porcelets de Maillane se mit en mesure de prendre pos-
session de l'abbaye de Saint-Mansuy.
L'arrivée des Visiteurs réveilla la torpeur des moines et
(1) Bibl. nat., Lat. 42779, fol. 26.
(2) Bibl. nat., Lat. 12779. Diplom. monast.
(3) Bibl. nat., Fr. 2742.
(4) Bibl. nat, Lorr. 271, 329, 398 et 399.
(5) Bibl. nat., Lorr. 398, Saint-Mansuy, fol. 16-17.
(6) Bibl. nat., Dupuy, 124, fol. 205.
- 403 —
tout leur sembla bon pour échapper à la réforme : nous
aurons occasion de parler de leur opposition, en môme
temps que de celle des religieux de Saint-Evre ; signa-
lons seulement le stratagème du vicaire de Tabbé, qui
recourut au roi de France pour le supplier d'intervenir et
d'empêcher la réforme ; mais le duc de Lorraine, appuyant
le désir du cardinal-légat, écrivit à Tabbé Ususmaris, qui,
à ce moment, se trouvait à Gènes pour soigner sa santé,
et se plaignit des agissements de son vicaire Dominique
Chaumont. Le 2 décembre 1606, Tabbé de Saint-Mansuy
s'excusa par lettres, auprès du duc de Lorraine, de ne pou-
voir se transporter cette année à Toul pour remplacer son
vicaire ; il lui exprima la peine qu'il éprouvait de l'ennui
que ledit Chaumont avait dû causer à Son Altesse, et lui
promit d'aller, au mois de mai suivant, à Saint Mansuy,
remettant, au cas où il ne pourrait pas s'y rendre, toute
son autorité abbatiale au Duc lui-même. Enfin, il lui ma-
nifesta son adhésion absolue au vœu du cardinal-légat
touchant la réforme de ses moines (1).
Visite de l'abbaye de Saint-Evre (2).
Fondée au vi* siècle par saint Evre, 7® évêque de Toul,
en l'honneur de saint Maurice, l'abbaye avait été placée
sous la Règle de saint Benoit, et gouvernée par Apollinaire,
(1) Bibl. nat., Lopr. 329, Toul, f. 234>5.
(2) Relation de Lucalberti (suite). « L'abaye de Saint-Evre, au fau- J
bourg de Toul, a pour abbé monsieur Tavagné [Louis de Taragny),
religieux de l'Ordre de Saint-Benoît. C'est un homme qui fait profes- |
sion de noblesse, mais qui dépen.«e on procès et en dîners les revcnuâ \
de l'abbaye, sans aucun souci des bt^liments ni des pauvres : on pré- j
tend qu'il ne sait pas dire l'office ; quant à la messe, il la dit rare-
ment. Les moines sont, h son exemple, de mœurs très libres, excepté
le prieur, théologien de la faculté de Paris, prédicateur de grand
renom dans ces provinces, et de vie très sainte ; il s'appelle monsieur
Claude Riquechier et favorise de toutes ses forces la réforme. Mais
les moines, du consentement, dit-on, de l'abbé, ayant mis à leur tète
monsieur de la Plance (Planche), homme de très mauvaise vie, firent
— 404 -
à la fois abbé du nouveau monastère et de ceux d'Agaune-
en-Valais et de Saint- Bénigne de Dijon. C'est vers le
milieu du ix* siècle, que son nom de Saint-Maurice fit
place à celui de son fondateur, saint Evre. A la môme
époque, Charles le Gros donnait à Fulbert, abbé de Saint-
Evre, par une charte datée du xvi* jour des kalendes de
mars (1), quatre manses de terre situées « dans et dehors
la ville de Toul, avec toutes les terres arables en dépen-
dantes, comme aussy les vignes, prés, paquis, bois, mou-
lins, rivières, et même aussi les sujets mainmortables
qui lui appartenaient audit lieu (2) ». Cette donation
ajoutait une garantie aux possessions de Saint-Evre, en
donnant, comme condition obligatoire, que le monastère
serait gouverné par un abbé capable d'aider ses frères et
pris dans le sein de leur communauté ou d'une autre
semblable. Outre ces terres, Saint-Evre possédait le do-
maine de Saint-Maximin, situé aux portes du monas-
tère (3). En 935, Gauzelin, évéque de Toul, confirma les
biens de l'abbaye et exprima le projet d'y rétablir une
stricte observance delà Règle, renouvelant pour les moines
recours auprès des intendants royaux de Toul et de Metz, qui empé*
obèrent toute tentative de réforme. II faut noter ici la mauTaise
action de ces moines, qui s'adresseront au tribunal civil, y faisant de
fausses accusations contre leur prieur et contre rniustrissimo Légal, et
disant que les Italiens voulaient se déclarer les maîtres dans ces pro-
vinces, ainsi que leur rébellion contre leur prince naturel, en affirmant
que les faubourgs appartenaient à la couronne de France, tandis que,
de mémoire d'bomme, il est notoire qu'ils ont toujours été possédés
sans conteste par les princes de Lorraine comme seigneurs absolus.
Mais c'est cbose habituelle dans ces pays, que les prélats, voulant
châtier leurs sujets, on soient empêchés sous couleurs diverses par le par-
lement de Paris et autres ministres du Roi, qui, de différentes manières,
s'occupent à trouver des raisons pour empêcher les supérieurs ecclé-
siastiques d'agir, d'où vient que le clergé est peu régulier. »
(1) Bibl. nat., Lat. 12779, Diplom. monast. La Gallia christiana donne
la date du xi* jour des Kalendes de juillet.
(2) Ces biens devinrent plus tard possession de l'abbaye Saint-Man-
suy, ainsi que le prouve le titre classé parmi ceux de Saint-Mansuy,
Bibl. nat. Lorr. 329, Toul. Inventaire motivé des Titres, n'32, f. 21.
(3) Gallia christiana, Toul, Saint-Epvre.
- 408 -
le privilège d^élection de leur abbé : « Item constituimus ut
eidem coenobio abbas semper praeficiatur ex electione mona-
chorum qui secundum Regulam praefati Patris Benedicti
praeesse et prodesse fratribus utiliter queat d.
Si Ton en juge par le soin mis à conserver, dans les
archives de Tabbaye, les titres de ce privilège, on peut con-
clure que Tabbaye de Saint-Evre eut à lutter à diverses
reprises pour garder son droit d'élection (1). Au x° siècle,
la mense de Saint-Evre s'enrichissait de l'église de Co-
lombiers (2) et du prieuré de Bainville (3), pendant que
révoque Brunon commençait à relever le monastère deux
fois incendié et que, sous son successeur Berthold, l'abbé
Guillaume de Saint-Bénigne de Dijon y restaurait la disci-
pline. Tout d'abord mal acceptée, cette réforme fit bientôt
sentir son heureuse influence et attira de nombreuses
donations à Saint-Evre : en 1072, Pibon, évoque de Toul,
lui accordait l'église de Blénod-lès-Pont-à-Mousson et celle
de Fains, ultra Mosam apud Barrum castrum. En 1116, les
moines recevaient l'église d'Ochey ; en 1150, le domaine
de Gerbécourt et la chapelle de Chatenois (4). Mais, aussi
bien que l'histoire de Saint-Mansuy, celle de Saint-Evre
relève des difficultés nombreuses créées par ses défen-
seurs naturels, les voués des ducs de Lorraine. Déjà ruinée
à plusieurs reprises, l'abbaye le fut de nou7eau en partie
(1) Bibl. nat., Lorr. [VM, Toul, fol. 33, ad a. d36. Cette prérogative se trouve
confirmée en 1179 dans une Bulle d'Alexandre III à Hugues, abbé de
Saint-Evre : a Obeunte te vero i)unc ejusdem loci abbate vel tuorum
quolibet successorum, nullus ibi qualibet subreptlonis astuUa seu vio-
lentia praeponatur, nisi quem fratres communi consensu, vel fratrum
pars consilii sanioris secundum Dei timorem et beat! Bene dictl Regu-
lam providerint eligendum. ». Ces titres furent la base des réclama-
tions faites contre les coadjutours de Louis de Tavagny et de M. de
Ciccon au xvii' siècle. Bibl. nat., Lorr., 334.
(2) Au]. Colombey probablement (v. Lepage, Stat. de la Meurthe). Cf.
acte de 1258. Bibl. nat., Dupuy, 124 f. 181.
(3) Bainville (aux Miroirs), prieuré fondé au x' siècle (cf. Lepage,
Siai. de la Meurlhe),
(4) Gallia christiana, Toul, SaintEpvre.
- 406 -
en l'an 1532, qui vit détruire son église (i). Pendant les
années qui suivirent, les moines firent Tofrice divin dans
le réfectoire vaste et voûté de Tabbaye. transformé momen-
tanément en oratoire. Jacques de Tavagny, élu en 1559,
commença la reconstruction du sanctuaire, que son neveu,
Louis de Tavagny, évêque titulaire de Christopole et son
successeur dans l'abbatiat, devait achever et consacrer le
30 août 1613.
Taxée en cour romaine (2) à 130 florins, l'abbaye de
Saint-Evre avait sous sa dépendance cinq prieurés, Lan-
décourt (3), Gondrecourt (4), Deuilly (5), Chatenois (6),
Bainville, cinq chapelles et environ la collation de qua-
rante cures. Le Fouillé de 1402 lui donne une valeur de
900 livres (7).
A plusieurs reprises, l'abbaye de Saint-Mansuy avait dû
être reconstituée spirituellement, presque chaque fois
après une période de ruines matérielles. Nous avons men-
(1) D. Calmet, Notice de la Lorraine : Toul, SainUEpvre,
(2) BiBL. ANG., Tax^e monast., etc.
(3) Landécourt, fondé au commencement du xii' siècle {Landecuria).
(Lepage).
(4) Gondrecourty dans le Nantois, estimé dans le pouillé à cent sols
toulois, fondé au xi" siècle (D. Calmet).
(5) Deuilly (Saint-Georges de), situé près du château de Deuilly,
dans les bois, sur le chemin de Tignécourt à Serécourt, fondé au
XI' siècle. Plus tard, probablement à la fin du xvu<) siècle, on le trans-
porta à Morizécourt. (D. Calmet, Notice de la Lorr.). La Congrégation
de Saint-Vannes, après la réforme, y nommait un prieur, un sous-
prieur et un autre religieux. Le pouillé lui donne une valeur décimale
de 25 sols toulois. Le prieur avait la collation de onze églises ou an-
nexes. Bibl. nat., Lat. 3208, PouUlé de 1402, fol. 23 {D. Calmbt, Notice
de la Lorr.).
(6) Chatenois (Saint-Pierre et Notre-Dame de). Ce prieuré fondé par
Hadwide de Namur, épouse du duc Gérard d'Alsace, en 1069, fut donné
vers 1070 à l'abbaye de Molesme, puis en 1116 à l'abbaye de Saint-
Evre. Sa valeur décimale, d'après le pouillé de 1402, était de cent sols
toulois. Grâce à la malheureuse invasion de la commendc, le prieuré
de Chatenois ne put suivre son abbaye-mère dans la réforme. Ce n'est
qu'en 1636, sous M. de Mauléon de Labastidc, que les bénédictins van-
nistesy furent introduits; v. Bibl. nat., Lat. 12661 (varia). — D. Calmet,
Notice. — Mém. Soc. d'Arch. lorr. (M. de Chanteau), 1879, p. 283.
(7) Bibl. nat., Lat. 5208. Cf. Lepage, op. cit.
— 407 —
tioDDé le projet de réforme de Gauzelin au x« siècle, celui
de Guillaume de Saint-Bénigne de Dijon, exécuté au xi« siè-
cle ; Hermann d'Ogéviller, qui, de prieur de Flavigny,
était devenu abbé de Saint-Evre, suivit leurs traces ; après
avoir exposé ses plans de réforme dans une réunion d'ab-
bés tenue à Toul en 1420, en vue d'une restauration géné-
rale derOrdre, il en avait fait l'application à son abbaye.
En 1567, Dom Jacques de Tavagny publia des statuts pour
son monastère, et nous savons par ailleurs le rôle impor-
tant qu'il joua pour le succès de la réforme dans les
diverses tentatives faites par le cardinal de Lorraine (V.
Ir« partie, ch. 3). Sa mort arrêta le tout. Son neveu, en héri-
tant de son gouvernement abbatial, fut loin d'en recueillir
la sainte et ferme prudence. Louis de Tavagny était un
prélat de carrière, et les quelques notes caractéristiques
que nous donne à son sujet le Visiteur ne sont pas de
nature à faire attendre de lui un appui sérieux pour la
réforme.
D'accord avec les moines de Saint-Mansuy, qui, de leur
côté, avaient trouvé, dans le chanoine Chaumont, un appui
contre l'introduction de la réforme, les religieux de Saint-
Evre, ayant à leur tête Dom Claude de la Planche, adres-
sèrent au roi de France une requête d'opposition à la dite
réforme. En toute autre circonstance, ils se seraient défen-
dus d'appartenir à la ville de Toul et par conséquent à la
France ; mais il fallait une raison ou un prétexte à leur
refus d'accéder au désir du légat ; peu importait la non
valeur de ce prétexte (!}.
Le 31 janvier 1606, ils firent au roi les déclarations dont
nous donnons ici la substance.
1. Les religieux des abbayes de Saint-Mansuy et de
Saint-Evre font partie du clergé de la ville de Toul et ont
voix élective à la création des magistrats de la ville.
(1) Bibl. nat., Dupuy 124, fol. 214-216.
- 408 -
2. L'abbaye de Saint-Evre n'admet que des gentilshom-
mes de famille ; les religieux de Tordre du Mont-Cassin ne
sont que de condition servile.
3. Les religieux sont élevés dès leur enfance à Tabbaye,
ce qui n'a pas lieu pour ceux du Mont-Cassin.
4. Les religieux de Saint-Evre administrent eux-mêmes
leurs revenus, possèdent huit ou dix beaux villages :
l'ordre du Mont-Cassin a un économe, Magister Cellarius^
et l'introduction de cet officier ne fait pas prévoir une
meilleure gestion des biens.
5. La création des officiers, laissée à l'arbitre des réfor-
mateurs, sera un préjudice pour l'abbaye et un mépris de
l'intention des fondateurs.
6. La levée des revenus sera soustraite aux religieux et
conférée à l'économe.
7. Les religieux ont le droit de choisir les moines à
quinze ans, et de les choisir parmi les familles appartenant
à la même noblesse qu'eux.
8. Enfin, ce sera la perte des anciens religieux, qui se ver
ront ainsi sans demeure, sans règle, etc.. (1).
Le mémoire était habile, tant à cause de l'appel fait au
roi, toujours heureux de voir s'étendre les confins de son
royaume, qu'à cause du motif principal invoqué : l'ingé-
rence des moines italiens Le roi agréa en partie la requête
et, le 3 juin suivant, son procureur fit à Toul opposition à
ce que les Bénédictins du Mont-Cassin fussent introduits
dans la dite abbaye de Saint-Evre, du moins sans l'agré-
ment de son Souverain (2). Le procès-verbal de cette inti-
mation est du 16 juin suivant (3).
Plus tard, les opposants souscrivirent aux propositions
du légat, et acceptèrent de se retirer moyennant qu'on
leur ferait une rente de 700 francs pris sur la mense con-
(1) Bibl. nat., Dupuy 12i, fol. 214-216.
(2) Bibl. nat., Français 2742, fol. 323.
(3) Ibid.
— 409 —
ventuelle. Le cardinal, à qui le bref de réforme donnait
toute latitude, accepta ce traité ; mais, au moment de le
signer, le chef de l'opposition, Dom de la Planche, se
rétracta (1). Les autres s'adressèrent au Roi pour le sup-
plier d'annuler leur première requête et Dom de la Planche
fut expulsé. Le 3 décembre de Tannée suivante 1607, un
arrêt du Conseil d'Etat lui alloua, sur le revenu du tem-
porel, une certaine somme pour son entretien (1).
L'abbé Louis de Tavagny travaillait également pour sa
part avec ardeur contre l'introduction de la réforme ; déjà
il s'était signalé lors de l'arrivée des Visiteurs par son zèle
à empêcher la visite, promettant d'amener sans cela les
monastères à un mode de vie plus conforme à leur état.
Quand les délégués furent sur le point d'agir à Saint-Evre,
le ^cardinal légat pria le Duc d'intervenir et celui-ci écri-
vit à l'abbé pour l'avertir que la réforme allait être mise
dans son monastère, mais que lui abbé ne serait pas sujet
aux ordonnances qui en ressortiraient, sauf, par exemple,
pour les aumônes, réparations... Les pensions laissées aux
religieux anciens qui vivraient hors du monastère, re-
viendraient à leur mort, par moitié, à l'abbé et au couvent,
à charge pour eux cependant de payer les dettes, s'il y en
avait, et les frais des funérailles. . . Enfin, au fur et à me-
sure que la construction commencée de l'église avancerait,
les religieux et le couvent satisferaient à ce qui est de
l'accord sur ce fait. La lettre est datée du 12 mai 1606 (2).
Les résistances des opposants neutralisèrent le zèle de
Dom Claude Riquechier, prieur de l'abbaye et chaud parti-
san de la réforme. Celle-ci ne fut introduite à Saint-Evre
qu'en 1611.
DeToul, les Visiteurs se rendirent à Senones, leur der-
nière étape (3).
(1) Ibid.
(2) Bibl. nat. Lorr. 334, Toiil, fol. 14.
(3) Relation de Lucalberti (suite), a Les moines de l'Abbaye de Senones,
Î7
• I
- 410 --
Visite de l'abbaye de Senones.
Au vii« siècle, Gondelbert s'était retiré dans la solitude
des Vosges. Il y bâtit ud monastère, auquel il donna le nom
de Senones (1) ; le roi Childéric II, sur sa demande, lui
accorda remplacement de Tabbaye et y ajouta tout le
ml de Senones, ainsi que Vipucelle et Plaine. Cette donation
afin de fuir la réforme en se soustrayant à l'autorité du duc de Lor-
raine, ont obtenu l'assistance d'un comte hérétique, auquel ils sont
soumis, de sorte qu'on n'y a pu faire la visite ni aucune autre tenta-
tive; ils alfîrment que leur abbaye est impériale et ne relève pas de
la juridiction de l'évéque de Metz et, par conséquent, n'est pas com-
prise dans le bref de réforme : l'abbé de Senones, s'il n*est pas très
entendu en affaires temporelles, n'en est pas moins un homme de sainte
vie, charitable et très zélé pour le culte divin. Ayant été déchargé de
l'administration de l'abbaye, il a reçu comme coadjuteur messire Térel,
âgé seulement de vingt-deux ans et de vie très dissolue. On n'est pas
sûr qu'il ait fait une véritable profession, ayant fait son noviciat dans
le monastère de Longeville, où il n'y a que quatre ou cinq moines
livrés au concubinage, et un abbé encore plus dissolu. Lui-même, dans
la ville de Nancy, où réside le légat, ne porte pas l'habit, de sorte
qu'il n'y a pas de doute que, sous son gouvernement, l'abbaye se rui-
nera entièrement. Lorsque l'abbé, très dévoué au Saint-Siège, eut
connaissance de la valeur de ce successeur, il ne dit rien, sinon qu'il se
soumettait à la volonté de Sa Sainteté, mais cela me peine de voir que
cet abbé mal informé ne puisse s'avouer toute la vérité ii cause de la
puissance et de la faveur dont jouit son adversaire. Le meilleur re-
mède serait que Sa Sainteté ordonnât la translation de l'abbaye et des
moines au prieuré de Baccarat, lequel se trouve dans le duché de
Lorraine. De cette façon on pourrait y introduire des moines réfor-
més et l'on conserverait à l'abbaj'e ses revenus, dont une petite partie
seulement se trouve dans le domaine du comte, faisant défense au
nouvel abbé de rien aliéner, mais passant sous silence les aliénations
faites dans le passé, afin d'éviter des procès sans issue. »
(1) L'absence du nom de Gondelbert, au vu* siècle, dans, les listes
épiscopaies de la métropole de Sens, jette un grand doute sur ce point
afûrmé par Ilichcr dans sa Chronique et reproduit par les historiens de
l'abbaye de Senones. Pour ne pas nier absolument tout rapport entre
ces vocables de Senones et de Sens, ainsi que le fait M. le Docteur
Fournier : Quelques noms de lieux vosgiens^ Bull, de la Soc. philom.
cosgiemie^ t. XXVI, p. 54, nous inclinons vers l'opinion émise par
Mabillon {Ànn., t. 1, Lucse, p. 425), que saint Gondelbert aurait été l'un
des chorévéques de la province de Sens, si l'on doit accepter comme
impeccables les listes chronologiques des évêques de cette province.
V. D. Calmkt, Hist. de l'abbaye de Senones. -• Gallia christiana.
— Bibl. nat., Lorr. 288, Abbayes, S. — Bib. nat.. Franc. 42696. — Bibl.
nat.. Franc., Nouv. acq. 2'}29. — Bibl. ang., 195, Taxas mon., fol. 426
— 411 —
fut confirmée par Adalbéron, évoque de Metz, sous Tabbé
Rambert au x® siècle, puis, à la prière du dit évoque, par
leroiOthon en 949, plus tard par l'empereur Henri IV,
qui augmenta les possessions de Tabbaye, par Calixte II en
1123, par Eugène III en 1152. Dès le xii* siècle commença,
avec les princes de Salm, cette lutte qui occupe toute
la force vitale de Tabbaye, et qui, interrompue par des
semblants de trêves, recommence sans cesse, grâce aux em-
piétements des lieutenants du prince. Au xvi' siècle, Tab-
baye fut détruite par un incendie, sous Tabbatiat de Thi-
rion d'Anthelup, et ne tarda pas à subir l'influence des
guerres, tant au temporel qu'au spirituel. Les possessions
lui assurent oflîciellement 10,000 1. de rentes. La cour
romaine la taxe à 134 flor. 2/3.
De l'abbaye de Senones dépendaient les prieurés de
Mervaville (1), de Xures (2), de Vie (3) du Monniet ou
(1) Mervaville^ prieuré fondé sous le vocable de la Sainte- Vierge
dans la banlieue do Glonville, diocèse de Toul, au xii" siècle, par Cuné-
gonde, dame de Viviers, achevé vers le milieu du xiii* siècle, par
Gcitherine de Limbourg, duchesse douairière de Lorraine. Thicbaut II
donna au prieuré de Mervaville, par son testament de 1312, dix sols
petits tournois. Il fut uni plus tard au prieuré du Breuil. Le
prieuré de Mervaville n'a laissé de trace que dans la forme du nom
de ia localité située entre Flin et Glonville, près d'Azerailles. D. Calmet,
Piotice. — Jouve, Etudes sur le.^ possessions de Senones,
(2) Xures^ fondé par dame Cunégondc, veuve de Mainfroi, seigneur
de Taincry, fut consacré par Etienne de Bar, évoque de Metz, en 1129.
Ce prieuré était situé dans le canton de Vie.
(3) Vie, S.-Christophe, fondé en 1120 par Antoine, abbé de Senones, et
dédié solennellement par Etienne de Bar, évoque de Metz, le 21 juin
112i. Nous le voyons cité en 1244, 1297 ; puis en 1380 il fut détruit, et
son titre transporté au couvent des Cia risses. Au xv' siècle, les Cor-
deliers y furent installés, mais l'abbé de Senones s'opposa à leur entrée.
A la fin du môme siècle, les bénédictins s'occupèrent de relever l'an-
cienne église du prieuré. Donné en commende k Jean de Neuville,
curé de Maxey-sur-Meuse, le prieuré fut traîtreusement cédé aux
Cordeliers moyennant pension. L'abbé de Senones, irrité, retira le prieuré
aux Cordeliers en 1567. En 1596, un accord fut passé entre le prieur
Dom Poirot et l'abbé Lignarius, et confirmé en 1598. En 1600, le 21 mal,
la nouvelle église du prieuré fut consacrée par Antoine Fourier, suf-
fragant du cardinal de Lorraine. {Xhhé Pir.iMioy, Le. prieuré de Saint-
Christophe à Vie, dans Mëm. Soc. d*archM. lorr., 1869, p. 524-539.
- 412 -
Deneuvre (l),de Fricourt (2) et environ 18 cures à la colla*
tion de l'abbé, réparties entre les doyennés de Deneuvre
et de Port ^3). Les revenus avaient été réglés par différents
rôles ou contrats passés entre Tabbé d'Anthelup (4) et ses
religieux, et reproduits presque fidèlement par tous ses
successeurs.
L'abbé Jean Lignarius, dont parle le Visiteur (o), avait
à la fois contre lui les lieutenants des ducs de Lorraine et
ceux du prince de Salm, qui se disputaient la souverai-
neté de Tabbaye de Senones. La Bibliothèque nationale
garde diflérents « traités des pritilèges de Vabbaye de Se-
nones », composés à cette époque pour protester contre les
entreprises des officiers de la Maison de Salm (6).
Trop âgé pour soutenir ces luttes, Jean Lignarius avait
jeté les yeux sur son jeune parent, Philippe-François Col-
lart, qu'il avait élevé lui-même, pour en faire son coadju-
(1) Le Monniet ou Deneuvre fondé en 1126 pur Antoine, abbé de
Senones, dans un vallon assez solitaire au-dessous de la ville et do
château de Deneuvre, dédié i\ saint Etienne, sans doute k cause du
bienfaiteur, Etienne de Bar, qui en avait donné le terrain à l'abbé de
Senones. Il fut d'abord conventuel ; puis, en 1480, sur la demande des
relif^ieux de Senones, il tut incorporé aux menscs abbatiale etconven •
tuelle par Sixte IV et son titre éteint (Cf. H. Lepace, Statistique (te la
Meurthe et D. C.vl.met, Notice de la lorr.).
(2) Fricourt (V. infra).
Située dans la chûtellenic de la Garde, au diocèse de Metz, le prieuré
do Frtcoîtr^ avait été érigé sous le tifrede Notre-Dame de Bon Secours.
Il est cité dans une Bulle d'Innocent ÏII en 1152. D. Calmkt, Notice^
art. Fricourt.
(3) Voici, d'après le Fouillé de 1402, la liste de ces cures «'i la collation
do Senones : Wypucelle, Plaignes, Senones, Selles, Magneville, Estenaulz,
Waqueville, Broville, Saint-Clément, Saint-Etienne, Moyen, Deneu>Te,
Kambervillcrs, Ilablainviller, Saussures, dans le doyenné de Deneuvre;
Arches, .\rchotles, Saint-Epvre, au doyenné de Port.
(4) Nous avons publié ce document-type dans le Bulletin de la So-
ciété philomatique vosgicnne (année 1899-1900;.
(5) Jean Lignarius était le 53' abbé do Senones et gouverna son
abbaye de 1588 à 1625.
(6) Bibl. nat., Lorr., 328, Abbayes et Prieuré, Senones (V. la liste des
documents qui concernent celte abbaye dans notre notice sur le Rôle
de D'Anthelup, toc, ci7.
— 413 -
leur. Quand Dom Philippe François eut fini ses éludes,
l'abbé de Senoncs lui proposa d'accepter cette charge.
Dom Philippe s'y refusa et, pour mieux s'en défendre, se
retira à Saint-Vannes, où il embrassa la réforme (1).
C'est alors que Jean Lignarius fit nommer coadjuteur
le sieur Térel, dont l'ambition ne larda pas à se manifes-
ter. A peine élu, il fit le procès de celui à qui il devait sa
charge, et Jean Lignarius eut à se défendre en cour de
Rome contre les imputations calomnieuses qui y furent
portées.
Parmi les lettres adressées de Lorraine à Dom Lucal-
berli après son retour en Italie, nous en avons retrouvé
plusieurs du malheureux abbé de Senones. se justifiant
des fautes qu'on lui prôtail, et suppliant l'ex-Visiteur
apostolique de le défendre en cour de Rome (2).
Nous ne suivrons pas les péripéties de la lutte, ni les
diverses difficultés que la réforme eut h vaincre pour péné-
trer dans l'abbaye de Senones. Dom Calmet les a suffi-
samment exposées dans l'histoire de ce monastère (3).
(1) Sur D. Philippe-François Collart, v. D. Calmet, Bibl. lon\, art.
Philippe François.
(2) Archivio di Stato, Firenze, Tit. Réf. II.
(3) D. Calmet, Hist. de l'abbaye de Senones, publiée par Dinago.
Relation de Lucalberti (suite). « Quatre abbayes situées à Metz, une
non réformée à Verdun, celle de Saint-Airy et celle de Beaulieu dans le
nu^me diocèse, no purent iMre visitées, parce qu'elles se trouvent
sous la dépendance des rois de France.
En ce qui concerne les revenus des abbayes, je n'ai rien k dire,
sinon que, par suite de la vie irréjjuliére des moines et la négligence
des abbés, elles sont très loin d'égaler les anciennes richesses, et on
no peut cependant les comparer aux abbayes d'Italie, ce pays étant
sans argent. Avec tout cela, ces moines peuvent vivre honorablement
ainsi que leurs abbés, excepté ceux des monastères de Saint-Nabor et
de Saint-Martin de Longevillc. Je ne puis rien certiiier en particulier,
parce que je savais qu'ils auraient souffert difficilement mes questions
k ce sujet. Aussi je ne voulus pas y mettre de curiosité, de peur de
passer pour chercher leurs revenus et leur imposer des décimes, uu
lieu do m'occuper de la réforme des mœurs. Ils ont sur ce point une
sorte de préjugé contre les Italiens, qu'ils regardent avec défiance et
contre lesquels ils murmurent, à tort ou à raiso i, que les ministres du
- 414 —
La visite apostolique se borna à ces abbayes dépen-
dantes des ducs de Lorraine. Les autres, relevant de la
souveraineté des rois de France, ne pouvaient être abor-
dées sans une délégation toute spéciale du roi.
Avant de terminer sa relation, Dom Lucalberti s'excusa
de ne pouvoir donner de détails sur les revenus des di-
verses abbayes visitées, à cause de la défiance naturelle
que sa qualité d'Italien pouvait soulever, s'il avait voulu
Saint-Siège sont plus exigeants dans leurs prétentions que ne le vou-
draient leur titre ou office, aussi bien dans la Lorraine que dans les
provinces voisines.
La réforme de ces moines ne peut se faire que par l'extinction des
anciens, mais jamais par leur réunion avec les réformés sous un même
supérieur. Il est de même impossible de réformer les abbés, à cause de
leurs mauvaises habitudes et de leur trop grande autorité.
Pour réformer les abbayes qui ne le sont point, il faut en chasser
les anciens, et y implanter de jeunes novices qui soient éduqués dans
la crainte de Dieu et l'observance de la règle. Ce qui aide beaucoup et
retient les mauvais, et ce qui favorise la discipline ecclésiastique, est
l'autorité do l'Illustrissime Cardinal-Légat. Une bonne partie de ces mo-
nastères se trouvent exempts des évéquos ; ceux-ci, d'autre part, ont de
très grands diocèses qu'ils tiennent du Roi de France et les mettent en
défiance contre les ducs de Lorraine, et il s'ensuit qu'il leur est diffi-
cile de remédier aux désordres. L'illustre Légat, étant le fils de Son
Altesse le Duc, joint au contraire l'autorité temporelle à la spirituelle,
et personne autre que lui ne pourra jamais aussi utilement servir la
réforme. Déjà il a renouvelé l'ordre des Prémontrés et a donné un
grand élan à la foi et à la piété catholiques, en employant à l'instruc-
tion de ses peuples des Jésuites, des Capucins et des Minimes, ide telle
sorte qu'il a éloigné l'hérésie, et corrigé beaucoup d'abus, ce qui ne de-
mandait pas moins que tout son zèle et toute son autorité.
Voilà tout ce que j'ai jugé digne de relater des visites et des réformes
des monastères lorrains, réformes non encore terminées par l'Illustris-
sime Légat quand je partis. Mais, comme les principales étaient accom-
plies et que les autres exigeront beaucoup de temps, je ne pensais pas
nécessaire d'être là ; aussi je demandai et obtins la permission de m'en
retourner, avec le bon plaisir de l'Illustrissime Légat, d'autant plus
qu'il la fin du mois d'août, il partit pour accomplir un vœu de pèleri-
nage à une église de Notre-Dame dans les Pays-Bas, église très fréquen-
tée par la dévotion des peuples. Comme l'aller et le retour exigeaient au
moins deux mois, je n'aurais pu, si j'avais attendu son retour, tra«
verser les Alpes avant les mauvais temps, et j'aurais dû passer encore
cet hiver en Lorraine, ce qui m'eûtété très pénible. Aussi, je me hâtai
d'obtenir la permission de me mettre en route, ne voyant pas que ma
présence fût bien nécessaire à la cause de la réforme. »
— 415 —
s'ingérer danr les questions temporelles. Selon lui, et en
cela il ne faisait que confirmer la conviction que Didier de
la Cour avait toujours soutenue, la réforme devait se
constituer dans chaque abbaye parTextinction ouTéloigne-
ment des anciens moines irréformables, et par Fintroduc-
tion d'une nouvelle phalange, pleine d'une sève fraîche,
qui pût résister à la contagion funeste de l'indifférence ou
de la tiédeur. Le Visiteur se rendait compte cependant que
ce n'était pas chose facile partout; l'autorité et le zèle
du Légat et du duc de Lorraine avaient favorisé, sur leur
domaine, et conduit déjà la réforme à bonne fin ; mais les
quelques oppositions ressenties, lui présent, dans lesabbayes
ayant l'un ou l'autre prétexte pour échapper à la juridic-
tion et à la souveraineté de ces princes, ne lui laissaient pas
d'illusion sur les Juttes que l'avenir pouvait lui réserver.
De retour à Nancy, à la cour du cardinal-légat, le Visi-
teur apostolique rédigea un certain nombre de constitu-
tions en rapport avec les besoins des abbayes non encore
réformées, mais propres en môme temps à affermir le bien
dans celles qui avaient embrassé le nouveau genre de vie.
Voici la substance de ces constitutions, dont plusieurs
reproduisaient les règlements tracés par l'assemblée des
abbés et prieurs tenue à Saint-Mihiel en 1595.
1. Les Prieurs devront veiller à l'observance, et à leur
défaut les Visiteurs rappelleront les délinquants au devoir.
2. Aucun religieux ne retiendra rien à son usage, qui ne
lui ait été concédé par son supérieur (cf. 1595, n^ 10).
3. Aucun religieux ne recevra d'argent pour se vêtir ou
se nourrir {ibid., n^ 10).
4. L'administration des revenus conventuels sera confiée
à un religieux. Celui-ci rendra compte de sa gestion cha-
que semaine au prieur, chaque mois au prieur et au cou-
vent, chaque année au Chapitre général.
5. Le moine ne pourra posséder aucun objet ni vêtement
de prix.
— 416 —
6. Chaque religieux fera Tinvenlaire de ce qu'il a dans
sa cellule ; le prieur le transcrira sur un livre et fera cha-
que mois la visite des cellules, ayant soin de punir ceux
qui garderaient des objets non déclarés.
7. Le religieux ne pourra faire aucun acte d'achat ou de
vente.
8. Les officiers déposeront l'argent de leurs offices chez
le prieur et lui demanderont ce dont ils auront besoin. Un
cahier sera tenu des entrées et sorties de chaque office.
9. Aucun moine n'aura de serviteur, en dehors des offi-
ciers, qui pourront en avoir selon que cela sera nécessaire.
10. Les religieux ne pourront disposer des restes de leurs
portions de nourriture. Elles seront données aux serviteurs
ou aux pauvres.
11. Le supérieur pourvoira aux vêtements des religieux
et veillera à ce qu'ils soient convenables quant à la quanti-
té, à la taille, à la qualité, etc.
12. Les religieux rendront les vêlements vieux en rece-
vant les neufs.
13. Aucun moine ne portera de vêtements de couleur non
admise,nidesoieou recouvert d'ornements (cf. 1595, n» 16).
14. Les chemises de lin, pour ceux qui auront la permis-
sion d'en porter, devront être unies, sans dentelle ni bro-
derie (cf. 1595, n^ 16).
15. Le prieur fera en Chapitre le serment de ne donner
d'argent qu'aux officiers ; s'il contrevient à son serment, il
sera déposé. Il en sera de même du cellérier.
16. Les abbés seront tenus d'entourer leurs monastères
de murs de clôture dans l'espace de trois mois, sous peine
de voir séquestrer une partie de leurs revenus. On devra
veiller, avec une grande attention, à ce que la clôture soit
strictement gardée.
17. Les religieux qui sortiront dans la ville où se trouve
leur monastère ne pourront le faire sans permission, sans
coulle et sans compagnon.
— 417 —
18. Les religieux ne pourront habiter que dans les monas-
tères de leur congrégation, lorsqu'ils seront en voyage (cf.
1595, n<> 20).
19. Aucun religieux ne pourra sortir sans l'habit. Le dé-
linquant sera puni par la prison.
20. Il est défendu à tout religieux, sous peine d'excom-
munication, de porter les armes sans permission, soit au
dedans, soit au dehors de son monastère.
21. Sous aucun prétexte, les femmes ne pourront fran-
chir la clôture (cf. 1593, n° 18).
22. Lorsqu'un religieux aura à s'entretenir avec une per-
sonne de l'autre sexe, il le fera toujours en présence de
témoin. Il lui est interdit de fréquenter des personnes sus-
pectes. S'il le fait, on l'avertira, et s'il recommence, on le
punira.
23. Le prieur, assisté d'un compagnon, devra visiter les
demeures des moines.
24. Les religieux dormiront dans un dortoir commun,
dont la clef, ainsi que celle de la sacristie, sera remise au
supérieur.
25. Tous, sauf permission, prendront part à la table
commune, et il est interdit d'admettre sans permission des
séculiers à table (cf. 1595, n*» 13).
26. En voyage seulement, le moine pourra manger à
l'auberge.
27. Selon le texte de la Règle, on fera la lecture à table
et Ton observera le silence, ainsi que les cérémonies tradi-
tionnelles pour les prières (cf. 1595, n<> 12).
28. L'usage de la chair sera permis selon la constitution
de Benoît XT, sauf le Carême, TA vent, etc.
29. On jeûnera le vendredi.
30. Les religieux ne porteront ni chevelure ni barbe (cf.
1595, no 15).
31. Ils ne pourront se livrer aux jeux de cartes ou de
hasard, selon les décrets des moines de Sens et de Reims,
en 1379.
- 418
^ 32. Aucun officier ni supérieur ne pourra avoir de ser- |
viteur jeune. Il leur est Interdit d'user de vêtements <
luxueux.
33, Aucun religieux ne pourra vivre seul, pas même les
prieurs.
34. Défense de se livrer à la chasse à courre ou aux
oiseaux.
33. Chaque abbaye suivra son rite dans la célébration
de l'office divin.
36. Dans chaque monastère, le supérieur choisira deux
ou trois moines prudents et instruits pour entendre les
confessions. Deux ou trois fois par an, il se mettra lui-même
à la disposition de ses religieux, se contentant de les invi-
ter, sans les forcer, à s'adresser à lui (cf. 1595, n» 4).
37. Les prêtres doivent célébrer trois fois la semaine.
Abbés et moines sont tenus d'entendre la sainte messe
chaque jour (cf. 1595, n° 5).
38. Les diacres et sous-diacres feront la communion cha-
que dimanche (cf. n^ 5).
39. L'hebdomadier ne commencera l'office qu'au signe
du supérieur (cf. n^ 6).
4° On aura grand soin des vêtements et des vases sacrés.
Les prieurs auront une vigilance spéciale sur ce point, et
les visiteurs devront les rappeler à l'ordre s'ils y manquent.
41. On gardera exactement le silence au dortoir et à l'ora-
toire, surtout pendant Toffice (cf. n^ 8),
42. On gardera pour les aumônes les traditions établies,
sans rien changer ou frauder sur la qualité, la quantité,
etc. (cf. 1595, no 2i).
43 On choisira un moine capable pour proposer et résou-
dre les cas de conscience trois fois par semaine.
44. On tiendra également le chapitre des coulpes trois
fois par semaine, et le supérieur y fera une exhortation en
langue vulgaire (cf. 1595, n» 7).
45. Le nombre des moines ne suffisant plus pour la celé-
— 419 —
ration de Toffice divin, les supérieurs devront, avant deux
ans, y pourvoir par des fondations, sinon le Visiteur s'en
chargera (cf. 1595, n^ 26).
46. La collation des bénéfices se fera suivant Tâge, le
rang, la dignité, le mérite (cf. 1595, n« 27).
47. Dans chaque monastère on installera une infirmerie
(cf. 1595, n^ 30).
48. On mettra toute diligence à Tassistance des mourants
(cf. no 31).
49. On emploiera toutes les voies possibles pour récupé-
rer les biens aliénés (cf. 1595, u^ 36).
50. On exhorte les abbés réguliers à voyager avec un
compagnon.
51. Dans la cellule de chaque moine, il y aura un choix
de livres pieux qu'il emploiera pro opportunitate. Il devra
chaque jour méditer la Passion du Sauveur et faire Texa-
men de sa conscience.
52. Chaque religieux aura un exemplaire de la Règle de
saint Benoit et une image du saint Patriarche dans sa cel-
lule. On aura soin que nos églises aient les images des
saints de TOrdre.
53. Chaque jour on lira au réfectoire un chapitre de la
Règle, afin que personne ne puisse s'excuser d'ignorance.
54. Les abbés remettront à leurs prieurs le soin des
affaires temporelles, afin de pouvoir s'occuper des âmes.
55. Ils devront pourvoir aux réparations, ou créer une
rente pour en couvrir les frais.
Le Visiteur proposait ces points, non comme des lois,
mais comme des avis, leur enlevant toute obligation de
conscience, sauf pour la matière des vœux, et il ajoutait
que ces constitutions ne devaient nullement détruire les
louables constitutions de chaque monastère.
Vers la fin du mois d'août de cette année 1606. Lucalberti
repritlecheminderitalie,accompagnéjusqu'àBàleparDom
Pierre Rozet. Le 20 du même mois, le cardinal de Lorraine
- 420 -
avait écrit au cardinal Galli, Préfet de la Congrégation des
Evoques et Réguliers, tant pour lui rendre compte de ses
efiorts dans l'introduction de la réforme, que pour louer le
Visiteur, « dont il ne pourrait jamais assez reconnaître la
science, le zèle, la piété, l'habileté et les travaux accomplis
ea Lorraine ». Le légat protestait enfin de nouveau que, là
où les circonstances le demanderaient, il emploierait,
comme par le passé, toute sa peine, toute son autorité,
pour rendre à l'Ordre de saint Benoit, qu'il aimait, sa
pleine vigueur. Cette lettre était datée de Nancy (1).
Peu de jours après, le cinq septembre, la Congrégation
des Evéques et Réguliers, pressée sans doute par les supé-
rieurs de Lucalberti, écrivait au cardinal-légat afin de le
prier de laisser revenir le Visiteur. « Sa mission est rem-
plie, disait-elle ; il Ta remplie avec zèle et, si tout n'est
pas complètement terminé, ce qui reste à faire n'exige
plus sa présence en Lorraine, tandis que son absence
d'Italie peut être à lui et à ses supérieurs assez pénible ».
Aussi la sacrée Congrégation avait-elle demandé au Pape
de permettre au Visiteur de revenir dans sa patrie, et sa
Sainteté l'avait concédé. Pourtant, si le cardinal-légat
jugeait opportun que le Visiteur restât auprès de lui plus
longtemps, la S. Congrégation s'en remettait à sa pru-
dence (2).
Evidemment, Dom Lucalberti avait manifestée plusieurs
reprises le désir de rentrer dans sa Congrégation, tout ea
rendant compte à ses supérieurs de ses faits et gestes. La
lettre que Dom Didier de la Cour lui avait écrite en janvier
160«> y faisait allusion déjà.
Les deux lettres, celle du légat au cardinal Galli, et du
cardinal au légat se croisèrent et, le 13 octobre (3). le
cardinal Charles de Lorraine écrivit de nouveau au
(1) Archives de la S. Gong, des Ev. et Réguliers, 1606, 20 aug.
(2) Ibid., 1606, 5 sept.
(31 Ibid., 1606, 13oct.
- 421 —
cardinal Préfet des Ev. et Rég. pour lui accuser récep-
tion de sa lettre et lui annoncer le départ du Visiteur
(( qu'il a laissé partir de façon à lui permettre de faire la
route à son aise et de rendre compte de sa mission, chose
peut-être déjà accomplie ». (1)
Lucalberti emportait le meilleur souvenir du réformateur
et des réformés. Dans une lettre adressée aux députés du
chapitre de Saint-Vannes, il leur conseilla de s'en rappor-
ter à Dom Didier sur toutes les affaires, a Ses sentiments,
leur disait-il, doivent être pour vous comme ceux de saint
Benoît même. Car, si Dieu a choisi autrefois notre saint
Patriarche pour fonder l'Ordre monastique, il a de môme
choisi, dans ces derniers temps, Dom Didier de la Cour
pour le rétablir ». (2)
Le Visiteur laissa du reste aux Vannistes certains articles
propres à affermir leur Constitution, notamment en ce qui
concernait la liturgie et les études. On ne trouvera pas
déplacée ici une parole de regret sur la fin tragique de cet
ami des moines lorrains. Armelliui nous apprend qu'en
1621, alors qu'il se trouvait dans une campagne dépendante
de l'abbaye Sainte-Marie de Florence, il fut assassiné la
nuit par des voleurs, d'autres disent par son propre servi-
teur (3). La nouvelle de cette fin tragique ne dut certaine-
ment point passer inaperçue dans la Congrégation lorraine
à laquelle il avait fait tant de bien.
(t) Les relations de D. Lucalberti avec les bénédictins lorrains ne
cessèrent pas à son retour en Italie. Plusieurs fois ceux-ci eurent
recours à lui, notamment D. Lignarius (y. plus haut) et D. Claude
Riquechier, qui lui soumit des questions relatives à l'office divin, tel
qu'on le célébrait à Saint-Evre, 3 février 1607. Dès le 5 décembre 1606,
D. Hozet s'était enquis des nouvelles de son voyage auprès du moine
florentin, trop silencieux à son gré. Archivio di Stato, Florence tit
cit., p. 274, 275, 276.
(2) Haudiquer, op. cit., p. 210.
(3) Bibt. Cass., loc. cit., vide supra.
CHAPITRE III.
Quelques décrets du cardinal-légat. — Chapitre général de 1606 et
i607. — Réforme de l'abbaye des Bénédictines de Salnt-Maur à Ver-
dun. — Réforme de Saint-Avold . — L e roi de France consent à la
réforme des abbayes de Toul. — Chapitre général de 1608 et de 1G09:
1'* édition des constitutions de la Congrégation de Saint-Vannes et de
Saint-Hydulpbe. — Chapitre général de 1610.
La visite, outre les fruits immédiats de réforme qu'elle
produisit dans plusieurs monastères, et qu'elle prépara
dans les autres, eut pour heureux résultats d'affermir et
de préciser les constitutions de la jeune Congrégation de
Saint-Vannes. Les chapitres généraux qui la suivirent,
s'inspirant des conseils du Visiteur et des désirs du légat,
mirent peu à peu en ordre les points jusque-là restés obs-
curs, soit pour le gouvernement général de la Congréga-
tion, soit pour la formation des novices. De concert avec
le président du régime, Dom Claude François, le cardinal-
légat, en publiant le décret qui unissait à la Congrégation
de Saint- Vannes son abbaye de Saint-Mihiel (1) et le prieuré
de Sainte-Croix de Belval (2), y avait joint plusieurs arti-
- (1) Voir, plus haut, la réforme de Saint-Mihiel au cours de la visite
(20 janvier 4606).
(2) La Celle de Belval avait été fondée en 1097 par un moine de
Moyenmoutier, désireux de mener la vie érémitique et auquel le comte
Gérard donna une de ses propriétés. Plus tard le même comte, vou-
lant pourvoir au salut de son âme et à celui de ses ancêtres, fit bâtir et
dota la nouvelle Celle en l'honneur de la sainte Croix, de la Sainte-
Vierge et de saint Spinule, disciple de saint Hydulphe. En ilOl l'abbé
de Moyenmoutier, du consentement de ses moines, fit transporter ù
Belval le corps de saint Spinule, qui y devint, par ses miracles, un cen-
tre de dévotion. Les comtes de Va udémont augmentèrent à l'cnvi le
patrimoine du nouveau prieuré, dont l'é-glise fut consacrée en 1134
par Henri, évéque de Toul. En 1^2, à la suite de l'incendie de Moyen-
moutier, le comte Henri consentit à suppléer aux documents disparus
dans le feu en renouvelant et confirmant toutes les donations faites
par ses prédécesseurs au prieuré de Belval. Il y ajouta même de nou-
velles donations, de sorte que le domaine de la primitive Celle, borné
- 423 -
des présentés par les Pères Visiteurs et les supérieurs
majeurs de la Congrégation. L'objet particulier de ces
décrets était le régime auquel serait soumis le renouvelle-
ment des supérieurs, quand le nombre des monastères le
permettrait (1). Ces articles étaient :
lo Le chapitre général se tiendra tous les ans, et on ne
pourra s'en dispenser sous aucun prétexte ni dans aucun
temps (art. 2).
2«> Le président et les Visiteurs ne demeureront en charge
que pendant un an et vaqueront de leur office pendant deux
ans (art. 3).
3° Les supérieurs des maisons ne pourront rester en
place que pendant cinq ans dans leurs monastères ou dans
d'autres, après quoi ils devront vaquer deux ans (art. 4).
d'abord à Belval, s'était augmenté de fragments de terres ou de reve-
nus, principalement à Châtel, Rancourty Portieux, Moriville^ Este-
non, etc..
Uni par le décret de 1606, à la Ck)ngrégalion de Saint- Vannes et de
Saint-Hydulphe,le prieuré de Sainte-Croix de Belval ne reçut lesbéné-
dictins réformés qu'en 1608. D. Pierre Rozet, alors prieur de Moyen-
moutier, en prit procession au nom de la Congrégation, et quelques
années plus tard, vers l'an 1614, après la cession du compétiteur, on y
mit une communauté. Deux ans apr^s, le prieuré était annexé à l'ab-
baye Sainte-Croix de Nancy. D. Bklhommb, Bist. Mediani Monast. -— D.
Calmet, Notice de la Lorraine. — Bibl. nat., Différends du prieur de
Belval avec le seigneur de Portieux, Lorr. 271, 281, 453, 483.
(I) Arch. .nat., g. 533-4. Histoire abrégée de la Congrégation de Saint-
Vannes, faisant partie d'un mémoire au sujet du régime de la dite
Congrégation.
(2)... Ordinamus capitulum nostrum générale célébra ri debere per
patres et fratres çongregationis nostrae... et boc singulis quidem annis
domlnica tertia id est vigesima prima die post resurrectionem Domini
nostri Jesu Cbristi. Pars prima conslitutionum çongregationis cassi-
nensis pro directioneregiminis^ Florentiœ, 1520, cap. I.
(3)... neminem vero eorum qui quatuor proxime prseteritis annis
Prœsidens fuerit regiminis in l^ssidentem anni pr<i?sentis eligi posse
declaramus... Ibid.^ cap 21
Statuimus tamen quod is qui fuerit visltator anno prseterito, nisi
elapso bicnnio, in visitatorcm minime eligi possit... Ibid., cap. 24.
(4)... Hoc sane attendentes, quod si quis priPlatorum in aliquomonas-
terio per quinquennium steterit : illo iterum non instituatur, nisi ex
- 424 -
 peu de chose près, ces articles reproduisaient les
ordonnances de la Congrégation cassinienne, mais ils
devaient être l'objet de nombreux changements dans la
suite.
Les études fixèrent également l'attention de Dom Claude
François, qui dressa l'article suivant :
On érigera aux frais communs de la Congrégation un
monastère dans la ville de Pont-à-Mousson pour entretenir
les jeunes religieux propres à l'étude, sous des supérieurs
qui prendront soin de leur conduite, tant pour les mœurs
que pour ce qui regarde les études. Ces jeunes religieux
réciteront ensemble les heures de l'office divin, mais non
aussi lentemaent que dans les communautés ordinaires :
ils entendront une messe basse et observeront les règle-
ments qui leur seront prescrits.
C'était l'époque où presque tous les ordres religieux de
Lorraine formaient le projet d'avoir une de leurs maisons
à proximité de la célèbre Aima Mater, où jusque-là leurs
jeunes sholastiques avaient dû vivre isolément. La pau-
vreté de la Congrégation empêcha l'exécution de ce projet,
que nous verrons plus lard repris (1621). Il se réalisa
enfin par l'installation, dans le prieuré du Breuil,près de
Commercy (1), d'un cours d'études pour les jeunes moines
qui ne pouvaient en trouver dans leur propre monastère.
Ces divers articles avaient été soumis au chapitre géné-
ral avant de recevoir la sanction du cardinal ; à ce moment,
Dom Lucalberti, partant pour l'Italie, écrivit, dit Dom
cvidcnti causa utilitalis illius monasterii fuerit pcr defifinitorcs.., otiam
per annum secum dispcnsalum. Ibid.^ cap. 22.
Ce fut précisément celle clause, nisi ex evidenti causa qui fut la
source et des nombreuses discussions et des divers changements ten-
tés au sujet du régime dans la Congrégation de Saint-Vannes ; les uns
la voulant exclure, les autres l'admettre.
(1) EuG. Martin, L'Université de Pont à-Mousson. — Dom Calmbt,
Bibl. lorr.y art. Claude François.
— 42o —
Uaudiquer, aux Pères qui se rendaient à ce<!hapitre tenu
à Saint- Vannes le 3 septembre (1).
Dom Pierre Rozetfutélu président du régime. Voici les
constitutions qui y furent décrétées (2).
1- Les cérémonies de la messe seront désormais obser-
vées par tous et chacun selon le nouveau missel corrigé
par ordre du Pape Clément VIII.
2<> Les choristes revêtus de la chape seront assis au
milieu du chœur. Lorsqu'on chantera V Alléluia, on ne dira
le neume qu'à la fm.
3° Le dernier coup de l'office divin se sonnera l'espace
d'un Miserere, quand on sonnera toutes les cloches.
4<> Désormais quand on se couvrira la tète de la calotte,
dans les villes, dans le monastère où à la campagne, on
mettra également le capuce.
50 Les religieux qui auront reçu de leurs supérieurs le
pouvoir de confesser pourront également entendre les
confessions des serviteurs attachés au monastère, à moins
que les supérieurs n'aient limité ce pouvoir.
6<> Au chapitre on lira seulement le texte de la Règle,
mais au réfectoire on lira également la déclaration accom-
pagnant le texte qui aura été lu ce jour-là au chapitre.
7" Aucun religieux ne pourra plus désormais sortir du
monastère pour traiter les affaires, excepté le cellérier.
8' Dans l'absence des supérieurs, toute l'autorité spiri-
tuelle et temporelle sera dévolue au supérieur chargé du
soin du monastère, ainsi que le marquent les Déclarations.
90 Les novices, en émettant leurs vœux, continueront à
faire sur les saints évangiles le serment d'observer les
constitutions de la réforme.
10<> Les humiliations (3) se feront à l'église au milieu du
chœur la face tournée vers l'autel.
(1) Cf. supra.
(2) AhCH. NAT., LL. 991.
(3) S. Benoit, dans sa Règle, veut que le moine s'humilie aussitôt
— 426 —
11^ Il a été décidé que chaque monastère paiera 60 francs
barrois par religieux, afin de couvrir les dépenses pour
rhabillement et les voyages et d'éviter toute cause de
litige ; nous déclarons que cette caisse commune commen-
cera au l®"" octobre de cette année 1606, à cette condition
cependant que tout ce qui sera donné de neuf ou de vieux
à chacun des Frères par les supérieurs sera la propriété de
la Congrégation et non du monastère où ils se trouvent.
Ces monastères devront verser leur quote part comme s'ils
n'avaient rien fourni, en tenant cependant compte à leur
actif des objets neufs et non usés qui se trouvent dans le
vestiaire, et cela selon leur prix et valeur.
12o Et, afin d'enlever tout doute au sujet du vestiaire,
nous déclarons que, sous le nom de vêlements, nous com-
prendrons le$ coiffures, vêtements, tuniques, flanelles, les
chemises de laine et de drap, les caleçons et les bas de
laine, les chaussures, le chapeau, la coulle, les scapulaires
allant jusqu'aux genoux, les calottes et les manteaux dont
le collet aura moins de deux doigts de largeur.
Avec l'argent de la caisse commune, on pourvoira aussi
aux deux nécessités suivantes : c'est-à-dire aux dépenses du
R. P. Président et des Visiteurs, ainsi que des Pères et
Frères envoyés quelque part sur l'ordre du Chapitre général
du Président ou du régime, et des délégués au chapitre ou à
la Diète.
13^ La collation du soir aura lieu à 5 heures en hiver ;
en été, à 3 h. 1/2.
Le Chapitre suivant, de 1607, s'occupa de plusieurs détails
liturgiques que nous signalons au passage ; ils concernent
l'usage des lampes au chœur, le chant des grâces, le ser-
vice de la table, les récréations qui précèdent l'A vent et le
Carême. Les portes du monastère ne s'ouvriront plus à
qu'il s'est trompé dans quelque point de roffice divin, et s'il ne s'humUic
spontanément, il devra être soumis à une satisfaction plus grande. Reg.
cap. 45.
— 427 —
personne après huit heures, sinon dans un cas urgent ; les
hôtes eux-mêmes devront être retirés à cette heure-là.
Dans le cours de cette année, dix-sept nouvelles profes-
sions furent enregistrées tant à Saint-Vannes qu'à Moyen-
moutier. Du nombre était celle de Dom Pulcrone Lavi-
gnon (1), futur abbé de Saint-Avold, dontle gouvernement
fut si tourmenté.
C'est vers cette époque que nous devons placer la
réforme de Saint-Maur de Verdun, réforme à laquelle le
pieux prieur de Saint- Vannes se décida sur le désir, sinon
sur Tordre du prince Erric.
Fondée en Tan 1000 par Tévêque Haymon, à côté de
l'église dédiée d'abord à saint Médard, puis à saint Maur,
deuxième évoque de Verdun, l'abbaye reçut, dit-on, comme
premières religieuses, des bénédictines portugaises, dont
l'abbessefut Adelberge, surnommée Ave ou Eve (2).
La ferveur première s'était éteinte au cours des siècles,
et, à la fin du xvi«, l'abbaye de Saint-Maur était devenue
une collégiale de chanoinesses vivant selon leur volonté,
(1) Profèsde Saint- Vannes le 17 février 1607, D. Pulcrone Lavignon ou
L'Avignon fut canontquement élu abbé de Saint-Avold le 16 septembre
1624, élection confirmée par le vicaire-général de Metz et par le duc
Charles IV. Mais, aussitôt que la mort de Mgr de Maillanc, auquel
succédait D. Lavignon, fut connue à Rome, M. de Bourlémont. qui s'y
trouvait, demanda et obtint du Pape la succession de l'évcquc de Toul
à l'abbaye de Saint-Avold. Son père se présenta le 3 février 162i) pour
prendre possession au nom de son fils. D. Lavignon transigea avec son
concurrent pour une partie des revenus à condition que cette transaction
serait ratifiée ^i Rome. La ratification ne fut point obtenue et le
contra resta sans valeur. Cité à Rome, l'abbé de Saint-Avold partit sans
permission fut arrêté à Phaisbourg, relégué à Senones et déclaré sus-
pens de sa charge jusqu'au chapitre général suivant. Son élection fut
contestée à Rome par M. de Bourlémont. D. Lavignon, cité, ne comparut
pas et fut condamné aux galères par coutumace. La sentence ne fut jamais
entérinée et resta sans effet. Son Innocence fut enfin reconnue par les
Etats de Metz, et 11 fut remis en possession de son abbaye, où il mourut
paisiblement le 19 février 1660. D. Calmet, Notice de la Lorraine^ art.
L'Avignon.
(2) D. Calmet, Notice, art. Verdun. Brûlé en 1254, le monastère fut
recommandé par le pape Alexandre IV à la charité des trois évéchés.
— 428 —
sans clôture, sans vie commune et administrant chacune
leurs revenus (1).
En 1599, le prince Erric avait, au cours de sa visite cano-
nique, remarqué et essayé de corriger les plus apparents
de ces abus ; il se heurta à une opposition formelle. Les
religieuses s'adressèrent à Borne pour se plaindre des ten-
tatives de révoque au sujet de la clôture, et demander
qu'on voulût bien entendre leurs raisons avant de les y
astreindre (2).
Voyant Tinutilité de ses efforts, le prince Erric pensa
que la persuation pourraitobtenir ceque ne pouvait l'au-
torité. Quelques années se passèrent, après lesquelles ii
put faire accepter à Tabbesse, Catherine de Choiseul (3), de
recevoir les conseils du prieur de Saint- Vannes. Celui-ci
était loin de désirer pareille tâche, soit à cause de sa répu-
gnance à se retrouver dans le monde, soit à cause de son
humilité, qui le portait à se regarder comme incapable de
succès dans une affaire aussi délicate. Sur le désir formel
de révéque, il se rendit à Saint-Maur dans le courant de
Tannée 1606, et, pendant plus d'un an et demi, il persévéra^
donnant deux fois par semaine des conférences aux reli-
gieuses sur la Règle de saint Benoit.
Enfin Dieu bénit ses efforts et son obéissance. L'abbesse,
touchée de ses exhortitions, admit l'étroite observance sem-
blable à celle de Saint- Vannes ; elle en reçut l'habit de^^
mains de Dom de la Cour, le 21 mars 1608f ainsi que sa
nièce et coadjutrice, Ursule de Saint-Astier, et plusieurs
autres (4^
(1) C'est l'abbcssc de Marguerite de Bar, 130i, qui partagea, à la Gn du
XIII* ou au commencement du xiv* siècle, les prc^bendcs entre les reli-
gieuses et leur permit do vivre à part. Ibid.
(2) Arch. Ev. et RÉo. ad annum 1600, lettre V.
(3) Catherine de Choiseul, 42' Abbesse de Saiot-Maur, mourut le 5
juillet 1611.
(i) Sur la n^formc de l'abbayo de Saint-Maur, qui servit de modèle à
bon nombre d'autres maisons de Bénédiclines, v. D. Uhételois, C/tro/iî^i/^
d'Yepez, t. v. page 554 et suiv.
- 429 -
La réforme si bien commencée fut bientôt mise en péril ;
en l'acceptant, les religieuses avaient stipulé que Tévéque
promettrait de les laisser sous la direction des Pères de
Saint-Vannes, donnant, comme principal argument, qu'à
l'origine de leur abbaye c'était un abbé de Saint- Vannes,
le bienheureux Richard, qui les avait gouvernées. L'évo-
que n'entendait nullement se priver ainsi du droit de
visite, et il obtint un Bref de Rome lui donnant pleine et
entière juridiction sur les dames de SaintMaur. Celles ci,
faisant appel à des personnages inQuents, empêchèrent
rintimalion du Bref, et le prieur-évéque dut rentrer en son
palais sans avoir pu le leur signifier.
A rinsu de Dom Didier de la Cour, qui redoutait
cette direction, Tabbesse s'adressa à Rome et en reçut
non seulement une permission, mais un ordre pour les
Vannistes de continuer à gouverner les religieuses de Saint-
Maur : une seule réserve leur permettait de faire, après un
an d'essai, les remontrances qu'ils jugeraient bon de
faire (2).
Le prieur de Saint-Vannes, ayant eu connaissance du
décret émané du Saint-Siège, en fut consterné, car il crai-
gnait de passer aux yeux de l'évêque pour avoir intrigué
dans ce sens ; par prudence et délicatesse, il consentit à ne
rien changer pour le moment. Dans l'intervalle, il se pour-
vut auprès du Saint-Siège, qui retira son ordre, laissant
toute liberté aux moines de Saint-Vannes d'accepter ou de
refuser la direction des dames de Saint-Maur. Nouvelles
alarmes et protestations de celles-ci, qui déclarèrent hau-
tement qu'elles allaient abandonner une réforme acceptée
sous la condition formelle d'être dirigées par les moines.
Enfin, après bien des discussions, on conclut que les
religieux de la Congrégation de Saint- Vannes garderaient
ladite direction, sous l'autorité et consentement néan-
(2)- Cf. D. Haudiqubu, op. cit., p. 213 elsulv
— 430 —
moins des évoques de Verdun. Cet arrangement calma les
esprits et Tabbaye de Saint-Maur continua ses progrès
dans la voie de la réforme ; ce qui fut pour Dom Didier de
la Cour une grande consolation,
C'est vers la fin de Tannée 1607 que la réforme pénétra
à Saint- Avold, ainsi que nous l'avons vu (1). Dans le même
temps, les négociations se poursuivaient pour son intro-
duction à Saint-Mansuy et à Saint-Evre, et la question
semblait alors toute entière entre les mains des officiers
du roi^ qui s'opposaient à l'entrée d'étrangers dans les
abbayes dépendantes de l'autorité royale. Les moines
n'étaient que trop de leur avis.
Au mois d'août 1609, le roi donna à ses officiers de Toul
un règlement à ce sujet : (( Sa majesté, y était-il dit,
approuve l'introduction des religieux réformés aux abbayes
où il y en a d'autres. Mais ce changement ne se devant
faire sans son su et sa permission, elle en doit être avertie
auparavant. De sorte que ses officiers font leur devoir
quand ils s'opposent, jusqu'à ce qu'ils ayentreçu ses com-
mandements sur cela. Et est mesmeà propos qu'en telles
occasions ils voyent la bulle en vertu de laquelle se fait
une telle réformation, pour tenir sa Majesté avertie s'il y
a rien contre sok autorité ».
C'était, avec des réserves, l'approbation de la réforme
vanniste.
L'abbaye de Saint-Mansuy se rendit et reçut los moines
réformés. Saint Evre lutta encore deux ans et ne s'aggré-
gea à la Congrégation qu'en 16H.
Les supérieurs majeurs de la Congrégation, voyant que
celle ci s'affermissait et s'étendait chaque jour davantage,
crurent qu'il était bon de fixer, d'une manière définitive, sa
constitution et son régime.
En 1608 (2), le Chapitre détermina quelques nouveaux
(1) V. plus haut : Visite de D. Lucalberti à Saint-Avold en 1606.
(2) Arch. nat.,LL. 991.
— 431 -
points du cérémonial et de la Règle ; en particulier il sla
tua que les jeunes moines feraient la communion, aux
jours de fête, à la messe solennelle, les autres jours, aux
messes privées (art. 4) ; qu'on nommerait dans chaque
monastère quelqu'un chargé de veiller à Tobservation
uniforme des rubriques (art. 5) ; que Toffice divin serait
réglé de telle façon que le dîner fût à 10 heures aux jours
exempts de jeûne, à H heures aux jours de jeûne régulier,
à midi, aux jours de jeûne ecclésiastique (art. 6) ; que la
récréation serait de trois quarts d'heure, à la suite du
dîner, et qu'elle même serait suivie de la sieste en été
(art. 7). On dispensera de la discipline le vendredi, aux
fêtes de précepte (art. 8), et du jeûne régulier à certains
jours prévus par les Déclarations (art. 9).
Les Visiteurs précéderont le supérieur en temps de visite,
le suivront en autre temps (art. 12). Leurs vœux seront
exécutés s'ils revêtent la forme d'ordonnances (art. 13). Ils
auront soin de s'informer si les Supérieurs excèdent en
conversation aux heures indues (art. 14).
Les supérieurs, aussi bien que les moines, s'abstiendront
d'acheter quoi que ce soit qui touche aux objets quoti-
diens (art. 14) ; les religieux garderont l'uniformité dans le
vêtement (art. 15), pour lequel chaque maison paiera sa
part au vestiaire commun, selon le nombre des moines
qu'elle doit avoir, qu'ils y soient de fait ou non (art. 16).
Si même leur nombre n'est pas complet par la faute du
supérieur, c'est à-dire si celui-ci refuse de demander ou
d'accepter des moines* il paiera cinquante francs en plus
de sa part (art 17).
Les Frères commis auront un maître spécial (art. 18), et
interviendront autant que possible à la lecture de table
et à toutes les conférences (art. 20).
En 1609 (1), il n'y eut pas de constitutions nouvelles,
(<) Ibid.
- 432 -
probablement parce que celte année-là on s'occupa en
général de la révision des constitutions, qu'on fit impri-
mer l'année suivante 1610, à Verdun, chez Valpy. C'était
la première édition, destinée à remplacer les Constitutions
de la Congrégation cassinienne jusque là suivies en Lor-
raine. Cette première édition, renouvelée depuis, apportait
peu de changement au régime adopté dès l'origine, tant
pour le gouvernement général de la Congrégation, que
pour celui des monastères.
Le point central du Régime, dont la 1^' section de la
Ir* Partie s'occupe, était le Chapitre général. Il se tenait
tous les ans et comprenait, comme membres obligés d'y
intervenir, le Président, les Visiteurs et les abbés ou supé-
rieurs de chaque monastère, avec un moine de chaque mai*
son élu par le couvent. Chaque Supérieur devait produire
au Chapitre les noms de ses religieux, ceux des défunts
depuis le dernier Chapitre, les comptes des recettes et des
dépenses. Le Chapitre général constitué recevait la démis-
sion du Président et des Visiteurs, nommait des Définiteurs,
un Président du Chapitre, des Conservateurs, un Secré
taire, un Chancelier, un Vicaire du Chapitre, des Audi-
teurs des causes et un Dépositaire (1). Le Chapitre procé-
dait ensuite à l'examen de l'état des monastères, à celui
des finances de la Congrégation et à la nomination des
supérieurs, c'est-à-dire du Président du Régime, des Visi-
teurs, du Procureur en Cour et des supérieurs des monas-
tères. L'autorité et les pouvoirs de chacun étaient déter-
minés dans une 2"" section des constitutions, qui reprodui-
(1) Une des forces de cette organisation était le contrôle sérieux des
différentes charges, qui ne pouvaient ainsi souffrir longtemps de l'arbi-
traire auquel la faiblesse humaine les exposait. Les abus de pouvoir
étaient plus faciles à réprimer ; mais d'autre part ce contrôle semblait
favoriser les plaintes des subordonnés contre leurs supérieurs ; les
Chapitres généraux suivants y portèrent remède en n'admettant que
les rapports écrits opportunément, convenablement et religieusement
dressés. (Cf., plus bas, Chap. général de 1614, art. 19.)
- 433 -
saient à peu près les mêmes prescriptions que celles du
MoDt-Cassin. Une deuxième partie traitait des observances
et pratiques à garder dans le monastère, des personnes qui
le constituent et enfin des affaires temporelles.
Sauf quelques points d'observance modifiés au cours de
la Congrégation, les constitutions restèrent intactes dans
toute sa durée. La dernière édition de 1774, mise en paral-
lèle avec les constitutions cassiuiennes qui servirent de
base à l'édition de 1610, en diffère très peu. Nous avons
déjà signalé les deux seuls articles d'une certaine impor-
tance qui varièrent ; la tenue des Chapitres généraux,
annuelle à l'origine, triennale depuis environ l'année
1740(1), et la vacance des Supérieurs, dont la question se
posa en 1625, presqu'aussitôt après la mort de Dom Didier
de la Cour (2).
Au Chapitre général de 1610 (3), on trancha quelques
difficultés sur divers points de liturgie(art. 12,11);— le règle-
ment des Frères convers fut précisé: désormais les commis
auront une demi-heure environ après une heure de l'après-
midi. Pendant ce temps, ils pourront lire ou prier. A sept
heures et demie, ils se coucheront, et se lèveront à quatre
heures, excepté celui qui éveille les religieux pour mati-
nes. Ils pourront cependant se lever plus tôt s'ils veulent ;
mais, aussitôt levés, ils diront leur office, entendront la
messe et se mettront à leur obédience (art. 4). Puis on statua
quelques autres articles. Au cas où tout le Régime (Prési-
dent et Visiteurs) résiderait dans le môme monastère, la
visite de celui-ci se fera par deux Visiteurs spéciaux nom-
més par le Président (art. 5); celui-ci aura soin de faire payer
la pension du procureur en cour de Rome (art. 6). — Per-
(1) Arch. Dép. de la Meurthb, Série H, 217 : Mémoire imprimé sur
lo mode d'élection des Supérieurs.
(2) Arch. nat., G», 533-4 : Histoire abrégée de la Congrégation de
Saint-Vannes.
(3) Arch. nat., LL. 931 : Constitutlones Capitulorum, etc.
- 434 —
sonne n e pou rra , sans perm ission et sans corn pagnon , ou vrir
pendant la nuit la porte du monastère (art. 7). — On gardera
exactement la règle pour les redditions de compte (art. 9),
ainsi que pour les ordinations, à moins d'exception faite
par le Chapitre ou le Régime (art. 12). — Désormais le
moine député au chapitre général par le Couvent, sera
élu par scrutin écrit secret.
CHAPITRE IV
La réforme vanniste est demandée de divers points de la France :
PariSf Toulouse, Besançon. — Le roi de France donne son consente-
ment, 1610. — Réforme de Beaulieu-en-Argonne et de Saint- Airy de
Verdun, 1611. — Réforme du Collège de Cluny à Paris, 1613. — Cha-
pitres généraux de 1611 et 1612. — Réforme de Faverney, en Fran-
che-Comté.
Lors de la Visite apostolique de Dom Lucalberti, six des
abbayes lorraines s'étaient soustraites à l'autorité du délé-
gué du Saint-Siège en se retranchant derrière leur dépen-
dance du roi de France. Parmi elles, l'abbaye de Beaulieû-
enArgonne et l'abbaye de Saint-Airy de Verdun ne devaient
pas longtemps soutenir la résistance.
Le Pape Clément VIII, dans sa bulle d'érection de la
Congrégation lorraine, avait étendu la communication des
privilèges de la Congrégation cassinienne à tous les mo-
nastères d'au-delà des monts qui voudraient s'agréger à
Saint-Vannes et Saint-Hydulphe (1) ; de ce côté, il n'y
avait aucune difficulté; mais la surveillance jalouse des
officiers du roi de France ne permettait pas l'empiétement
des moines lorrains sur les provinces dont ils avaient la
garde. Ce qui s'était passé à Toul avait servi d'avertisse-
ment aux supérieurs majeurs de la Congrégation ; ils
avaient d'autre part conscience que développer trop rapi-
dement leur cadre d'action, c'était affaiblir leurs forces
encore jeunes, et ils tenaient à ne laisser essaimer les mo-
nastères qu'à bon escient.
Pourtant, de bien des points de la France, les demandes
se faisaient pressantes. Du centre et du midi, les lettres
les plus élogieuses arrivaient à Saint- Vannes, suppliant le
pieux réformateur de se laisser toucher et de ne pas
(1) Cf. 1" Partie, ch. VI, Bulle d'éreclion.
~ 436 -
réservera la seule Lorraine le bienfait d'une régénéralioa
monastique si heureusement accomplie, a Monsieur de
Verdun, premier Président du Parlement de Toulouse, dit
Dom Kaudiquer (1), écrivit jusqu'à douze fois dans la
même année au Père Didier de la Cour et aux autres
Supérieurs ».
Aux moines français dont nous avons déjà signalé Tar-
rivée à Saint-Vannes, d'autres étaient venus se joindre :
de Saint Faron de Meaux, Dom Isaac Noyau, Dom Nicolas
Dagron, Dom Benoit Tristan ; de Luxeuil, Dom Atkanase
de Mouzin ; de Saint-Pierre de la Règle à Limoges, Dom
Anselme Rolle, alors élève au Collège de Cluny à Paris ;
de Lézat, Dom Colomban Corleus, etc.. . (2).
Dom Laurent Bénard (3), prieur du Collège de Cluny à
Paris, enthousiasmé par ce qu'il entendait dire de la vie
des moines vannistes, demandait la réforme pour son Col-
lège, avec espoir de la propager dans l'ordre de Cluny,
bien déchu à cette époque. De Besançon, l'abbé Dom Guil-
laume Simonin, dissimulant sa dignité, était venu à Saint-
Hydulphe de Moyenmoutier vers le mois de juillet (4), pen-
dant l'absence du prieur, Dom Pierre Rozet, convoqué au
Chapitre général. 11 avait humblement demandé de pren-
dre place parmi les simples religieux, y était resté quelques
jours sans être reconnu. Puis, quand son étude fut faite, il
révéla qui il était, oflicia pontiQcalement, fit une exhor-
tation pathétique aux religieux, déclarant vouloir intro-
duire la réforme dans son monastère, et partit laissant
(i) D. Haudiquer, op. cit., p. 232.
Cf. D. Rhételois, op. cit., t. IV, par. 2.
(2) Cf. Dom Hacoiquer : op. cit. — D. Mège : Congragationi SanctU
Maurl Annales, t. I, (Bibl. nal., Lett. 13859), pag. 109 cl sq. — Dom Rhé-
telois, Chroniques de l'Ordre de Saint-Benoît, tome IV, chap. XII,
§1,2.
(3) Nous reviendrons plus loin sur ce moine, si ardent défenseur de
la réforme monastique.
(i)Cf. D. Calmet, Bibl. lorr., art. D. GuilL Simonin.
io) D. Ciilmet dit : iîn octobre 1610, erreur évidente.
- 437 -^
entre les mains du sous-piieur une supplique écrite dans
ce sens et datée du 16 août 1610.
De tous côtés les demandes affluaient, et ceux qui les
adressaient se mettaient en mesure, dans le même temps,
de solliciter les autorisations nécessaires. Le roi de France,
rois au courant du triste état où la vie monastique se trou-
vait dans toute retendue de son royaume, malgré différents
essais de réforme (1) tentés sur plusieurs points et à diffé-
rentes époques, prêta une oreille bienveillante aux sollici-
tations qui lui étaient faites. Le 18 septembre de cette
année 1610, il donna des lettres-patentes permettant aux
religieux de Saint- Vannes d'envoyer des moines en France
pour y rétablir la discipline (2).
C'était le moment attendu par le prince Ërric, alors abbé
(1) Le principal avail été la formation de la Congrégation deChezal-
Benolt. L'abbaye de ce nom, située au diocèse de Bourges, fondée en
1093 par André, religieux de Vallombreuse, était devenue le centre
d'une sorte de confédération érigée par bulles du Pape Léon X en 1516.
Elle avait sous sa dépendance les monastères de Saint-Sulpice de
Bourges, de Saint- Allyre de Clermont, Saint-Martin de Séez, Saint-
Vincent du Mans et cinq autres monastères de religieuses. Elle dura
jusqu'en 1633, époque ù laquelle elle s'unit à la Congrégation de Saint-
Maur. — D. Haudiqubr, op. cit., note 14, p. 2o5. — V. également, dans
Revue bénédictine l'histoire de cette Congrégation par D. Ursmer
Berlière, 0. S. B., a. 1900-1901.
Citons aussi, paraPôlement à cette tentative, celle des Exempts de
Flandre.
(2) Voici la tttneur de ce document : « Supplicantium suggestionlbus
inclina ti et eorum propagandie reformationis propositum omni que
potest regia majestas auxilio atque favore communire cupientes
utpote ecclesiaslicu3 nostrseque rei saluberrimum necnon divine cul-
tui amplificando quam maxime commodum, pra$sertim veroquum.
monasterii Sanrli Viioni monachisint regnoet ditioninostris oriundi,
de honoratissimae et augustae matris rcgentis consilio, facultatem
illistota qua valemus authorltate regia, damus ut quelles a monas-
teriornm benedictini institut! abbatibus prioribusque ad resarciendas
disciplinsB monasticœ jacturas acciti fuerint, monachos illuc mitant,
quotquot judicaverint necessarios qui disciplinam ibidem restituant
simllem ci quie in monasterio obscrvatur, collapsosque mores ad
pristinum rigorem pro viribus revocent atque restaurent ». D.Mège,
op. cit.
Ces lettres furent renouvelées et conGrmées au mois de juillet 1611.
Arch. NAT., Go, 533 4.
— 438 —
commendataire de Beaulieu, pour tenter de relever la vie
monastique dans cette antique abbaye. Depuis sa fonda-
tion au VII* siècle par saint Rouin (1), moine écossais venu
à Tholey en 628, l'abbaye de Vasloge avait subi bien des
vicissitudes. Tout d'abord très prospère et très observante,
elle avait dù^ dès le commencement du xi« siècle, être
ramenée à une vie plus fervente par le Bienheureux
Richard, abbé de Saint-Vannes. Avec la ferveur, la pros-
périté avait reparu dans l'abbaye de Vasloge, transformée
en Beatdieu par l'abbé Poppo (2), à cause du site agréable
qu'elle occupait.
A la fin du xiii® siècle et au commencement du xiv^
les moines de Beaulieu sont aux prises avec les comtes de
Bar, qui revendiquent la protection de l'abbaye, sur
laquelle le roi de France prétend des droits (3). Vers 1297,
l'abbaye est saccagée et pillée par le comte Henri III, ainsi
que les villages qui en dépendent (4). Philippe le Bel con-
(l)(Âgreberti Episcopi Virdunensis) tcmporeSanctusCrodingus Waslo-
gium monasterium construxit et subditione Ecclcsiae noslrse constituit.
Bertarius, De gestis Ep, Yird. iMigne, Pat, laL^ 132, p. 5U}. Vasloge
était un lieu solitaire dans la forôt d'Argonne, à 6 lieues de Verdun.
Chassé de sa retraite par Austrasius, seigneur du lieu, saint Rouin
alla à Rome en pèlerinage. A son retour il guérit Austrasius tombé
dangereusement malade et reçut de lui en reconnaissance le territoire
qu'il avait tout d'abord choisi. Il s'y retira avec quelques moines ame-
nés d'Argonne et vécut avec eux selon la règle de ce célèbre monas-
tère. Saint Rouin mourut en 680.
Son culte était déjà célèbre au x' siècle, époque à laquelle on portait
au Mont-Joui la châsse contenant ses reliques, en même temps que de
Verdun on y apportait celles de saint Airy et de saint Vannes. D. Cal-
MET, Notice de la Lorraine, art. Beaulieu.
(2) Poppo, 10* abbé de Beaulieu, gouverna également les abbayes de
Saint- Waast d'Arras et de Stavelot, où il mourut en 1048. Il semble
qu'il ait été plutôt prévôt qu'abbé, laissant ainsi l'honneur de Tabba-
tiat au Bienheureux Richard [Gallia christiana),
(3) Sur l'histoire cîo l'abbaye de Beaulieu, voir la savante étude de
M. Auguste Lemaire : Recherches historiques sur l'abbaye et le comté
de Beaulieu en ArgonnCy et la Notice de la Lorraine de Dom Calmet.
(4) Ces villages étalent : Aubercy, Beaulieu^ Brabant, Brizcaux^
Char montois-V abbé, Le Chemin, Eclaires, Evres, Fleury, Foucuu-
court, Grigny, Gumont, lavoge, Pretz, Riau<:ourl, Senart, Sommains,
— 439 —
damne Henri III, en 1301 (1), à compenser ia ruine du mo-
nastère par une forte indemnité ; pour mieux se sauve-
garder, Tabbé Gui de Pernes, premier du nom, obtient, le
14 juin 1301, une bulle du Pape Boniface VIII, unissant
Beaulieu à l'Ordre de Cluny, tout en lui laissant son auto-
nomie. L'abbaye dépeuplée se relève à peine de ses mal-
heurs, quand, en 1401, elle est de nouveau prise d'assaut
et ravagée. Un siècle plus tard, elle est mise encommende
et c'est ainsi que l'évèque de Verdun en prend possession
en 1590, mais en quel état de dégradation ! Plusieurs
années se passent dans cette triste situation. Enfin,
encouragé par ses succès à Saint-Vannes et à Moyenmou-
tiers, le nouvel évèque-abbé vient à Beaulieu, muni d'un
bref pontifical, fait la visite canonique du monastère et
laisse à côté de l'ancien prieur, Dom Jean Lebœuf, celui
qui, en d'autres circonstances déjà, s'est distingué par sa
prudence et son zélé ; Dom Claude Riquecbier de Toul.
Celui-ci interroge chacun des anciens religieux au sujet de
la réforme que l'abbé se propose d'introduire ; chacun
d'eux s'excuse sur son âge et ses habitudes. Pourtant, ils
ne s'opposent nullement à l'introduction des réformes ;
Dom Riquecbier en informe aussitôt le prince Erric, qui
obtient de Dom Didier de la Cour une nouvelle phalange
de religieux (2).
Arrivés à Beaulieu dans le courant de cette année 1610,
les réformés prirent aussitôt possession des lieux réguliers
par les cérémonies d'usage, c'est-à-dire la tradition des
vases sacrés pour l'église, et des clés pour le monastère, et
par l'installation au chapitre.
Triaucourt, Vouliers. Lrmaire, éclaire. 23, Cf. Bibl. nat., coll. Moreau
789, XVI' siècle : L'abbaye de Beaulieu est du Royaume, elle consiste
«en dix-sept beaux et bons villages sur lesquels l'abbé est comte et
seigneur, haut, moyen et bas jusUcier, et peut valoir le revenu pour
l'abbé 8000 livres de rente ».
(!) D. Galmet, op. cit.
(2) Lemaire, op. cit.
- 440 -
Une pension fut assurée aux religieux anciens, qu'oA
laissa sous la conduite de leur prieur, Dom Lebœuf . Le
Frère Pierre Florentin, qui n*était encore que novice, lut
envoyé à Saint- Vannes pour y faire ses études ; quant aux
religieux réformés, on leur assura le libre et exclusif usage
des lieux réguliers, en assignant aux anciens une partie du
monastère en dehors de la clôture (1).
La situation matérielle des Vannistes à Beaulieu n'était
pas brillante. Charles de Lorraine qui succéda, le 29 mars
1611, au prieur Erric comme abbé commendataire, s'em-
pressa de leur concéder une redevance estimée à deux
cents livres tournois. C'était une bien faible ressource, et
Ton dut, peu de temps après, renvoyer à Verdun quelques-
uns des nouveaux venus. Cette mesure af&igea grandement
Dom Didier de la Cour. De Paris, où il se trouvait alors, il
écrivit à Dom Nicolas de la Vallée, religieux de Beaulieu,
une lettre de regrets, dans laquelle il exprimait sa crainte
que ce retranchement fait au service de Dieu n'entrainât,
en retour, un retranchement de ses bienfaits et de sa grâce.
Outre la ressource d'une économie mieux entendue, que
n'a t-on, ajoute-t-il, recours au prince Erric,dont la piété
ne cesse d'enrichir le couvent (des capucins) de Saint-
Nicolas et d'autres monastères ? Enfin pourquoi ne pas
s'adresser au titulaire actuel, w (2 décembre 1612) (2).
La profession à Saint-Vannes de Dom Biaise Waltier,
ancien prieur de Saint-Airy, n'avait pas été sans causer
une vive impression et sur l'abbé et sur les moines de celte
dernière abbaye. Sa situation indépendante de Tévèquede
Verdun enlevait à celui-ci la possibilité de forcer la main
aux opposants de la réforme: il y avait, dans leurs excuses,
une véritable conviction que les traditions dont ils vivaient
(1) Voici les noms des anciens religieux de Beaulieu à celte
époque : Jean Lebœuf, prieur et infirmier. ~ Mangin Dubaut. —
Antoine le Hérat. — Antoine Millet, chambrier. — Nicolas de la Vallée,
aumônier. — Pierre Florentin, novice. — Lemairb, op. cit, (éclalicic,
27). — :2) Ibid.
— 441 -
valaient les « nouveautés » qu'on voulait leur imposer, et
qu'ils n'étaient pas aussi déchus qu'on se plaisait a le
dire. Telle fut, du moins, la réponse de l'abbé Saryon au
visiteur Lucalberti, lorsque celui-ci, invité à dîner à Saint*
Airy, répondit, un peu sévèrement peut-être, qu'il ne pou-
vait, d'après la Règle, diner ailleurs que dans les maisons
de l'Ordre, ce qui voulait dire de la réforme, quand il s'en
trouvait à proximité. Le Visiteur séjournait alors à Saint-
Vannes au mois de mai 1606, et le diner projeté devait
être l'occasion d'une conférence sur la réforme de Saint-
Airy.
Piqué au vif, Tabbé Saryon refusa toute autre entrevue
et, dans sa réponse, à laquelle nous avons fait allusion plus
haut, il pria le Visiteur de mettre par écrit ses desiderata^
afm qu'ils pussent être étudiés et par l'abbé et par le
chapitre. Les négociations en restèrent là avecDom Lucal-
berti (1).
Ce n'était pas la première fois que des essais de réforme
avaient échoué devant les vieilles habitudes des moines de
Saint-Airy. Cette abbaye avait eu, elle aussi, cependant,
ses, heures de ferveur depuis sa fondation par Rambert,
évéque de Verdun, qui éleva, près de la chapelle de Saint-
André convertie en église par saint Airy, le monastère
dédié aux saints Martin et Airy. Huit moines étaient venus
de Saint-Maximin de Trêves pour l'occuper, ayant à leur
tète Baudry, le Premier des abbés du nouveau monastère
(1037) (2).
Dans le cours de son histoire, Saint-Airy ne fui point à
l'abri de toute misère spirituelle et temporelle. Moins d'un
siècle après sa fondation, le monastère était la proie des
flammes (1120). Rebâti vingt ans après par l'abbé Richard,
(1) Archivio di Stato. Firenze, lit. de Réf. p. 268-269. Lettre de
Lucalberli à Didier Saryon, datée de Sainl-Vanaes, le 2 mai i606, et
réponse de Dom Saryon, du 5 mai suivant.
(2) Gallia chrisUana^ Verdun, Sancii-Agerici.
— 442 —
il devenait le théâtre d'une lutte enire les moines et
Tabbé Radulphe, obligé de céder à l'opposition et de ren-
trer à Saint-Vannes, où Tun de ses parents, Segardus, tenait
la crosse abbatiale. Le célèbre abbé de Clairvaux, saint
Bernard, proposa son candidat, Gilles, aux moines de Saint-
Airy, qui Tacceptèrent (1140), Une période de calme suivit
jusqu'au milieu du xif siècle, où Dudo, moine de Saint-
Vannes, devenu abbé de Saint-Airy, laissa tomber la disci-
pline (1). Quinze ans plus tard, Jean lit la séparation des
menses abbatiale et conventuelle, et les abbés se succédèrent
dans la commende, s'occupant plus de leurs revenus que
des intérêts spirituels des religieux.
En 1577, l'évoque de Verdun, Nicolas Bousmard, se trans-
porta à Saint-Airy pour y faire la visite canonique (2) ; le
12 mai, il édicta quelques règlements touchant l'office
divin et les autres exercices religieux, mais sans grand
succès apparemment ; car, en 1598, le prince Erric, fai-
sant à son tour la visite des monastères de sa ville épisco-
pale, dut en promulguer de nouveaux sur les points essen-
tiels de la pauvreté : il ne trouvait pas l'abbé et les reli-
gieux disposés à accepter une parfaite observance de la
régie (3). »
Didier Saryon, neveu de son prédécesseur, dont il avait
été fait coadjuteur et dont il chercha à reproduire la bonne
administration, avait fait ses études à Saint Maximin de
(1) Gallia christiana, loc. cit.
(2) D. Calmet, Bibl. lorr., art. Bousmard.
(3) Aimo 1598... (( Illustrissimus visitationcin in civilute iachoatam
eontinuando visitavit monasterium S. Agerici 0. S. B. quod mœnibus
dictac civitatis continetur, in qua visitatione cum abtiatem et reli-
giosos ad perfectaai Regulae obscrvationcin a longisaimo tempore
contraria consuetudlne sublalam disposilos minime repcrerit cssen-
tialia duntaxat regulae hae prima visitatione restituit proprietatemque
« omnem et particularem sui vcstitus administralionem reiigiosls
« interdixit. »
Archives de la S. Gong, des Ev. et Rég. 1G02, v. : Séries rerum ges-
tarum ab Illuslrissimo Dno Enrlco, etc.
^ - 443 —
Trêves ; il fut élu abbé à la mort de son oncle, arrivée le
2 mars 1598.
Grand ami des lettres, il enrichit la bibliothèque de
Tabbaye des ouvrages des Pères et des théologiens de
marque, ne négligeant point pour cela les autres devoirs
de sa charge. La sacristie reçut de nouveaux et précieux
ornements ; la châsse de saint Airy fut recouverte de lames
d'argent ; le chœur, entièrement restauré.
Avec des idées aussi larges, touchant les deux points
essentiels de la vie monastique, l'office divin et Tétude^
Tabbé de Saint- Airy ne pouvait manquer d'apprécier le bien-
fait d'une institution appelée à favoriser ces mêmes vues ;
aussi ne tardat-il pas à accepter la réforme, qui pénétra
dans son abbaye au courant de l'année 1611. Quelques mois
après, le 6 novembre de cette année, Didier Saryon mou-
rait, laissant une mémoire heureuse dans les annales de
Saint-Airy.
La demande de Dom Guillaume Simonin, faite au prieur
de Moyenmoutier, ne resta pas sans effet. De retour dans
son monastère, il adressa aux princes Albert et Claire-
Eugénie une supplique demandant de pouvoir introduire
la réforme à Saint-Vincent de Besançon (1). Leurs Altesses
y consentirent par lettres du 2 octobre 1610, et le Pape lui
fit expédier un bref dans le même sens, à la date du 30 dé-
cembre suivant. Dom Simonin (2) s'adressa aussitôt aux
supérieurs de la Congrégation de Saint- Vannes et, le
(1) La tradition veut que cette abbaye ait été bâtie par Benoit
d'Anianc sur le tombeau des saints Fcrréol et Ferjeus, puis ruinée
ensuite et transportée ailleurs. Les Bénédictins y entrèrent sur la fin
du XI' siècle. L'abbé de Saint- Vincent était nommé par l'évèi|ue de
Besançon; mais, en retour, il pren-iit part à l'élection de celui-ci-
Déchu de sa ferveur, l'abbaye dut subir une visite canonique ordonnée
par Paul V en 1610; et, à la suite de cette visite, la réforme fut décidée.
Gallia chrisliana^ Bisunt. (supplément Hauréau, t. xv.)
(2) Profès, chantre, sacristain et enfin abbé de Saint-Vincent,
D. Simonin avait fait vœu, quand il fut présenté avec deux autres pour
l'élection, que, s'il devenait abbé, il établirait la réforme dans son
monastère. D. Calmet, Bibl. lorr., art. Simonin.
— 444 -
29 mars 1611, qui, cette année là, était le mardi de la
Semaine Sainte, Dom Pierre Rozet, prieur de Moyenroou-
lier et dom Jean Barthélémy, sous-prieur de Senones, arri-
vèrent à Besançon avec quelques autres moines. L'abbé,
gagné par Dom Simonin à l'idée de la réforme, les accueil-
lit favorablement ; mais les anciens religieux ne voulurent
point entendre parler des nouveaux venus. Le Jeudi Saint
au soir, un mal étrange saisit Tabbé, les anciens et quel-
ques réformés ; le lendemain, le plus opposé à la réforme
vint faire sa soumission et Tabbé en profita pour mettre
les moines vannistes en possession de Tabbaye. Lesanciens
se turent ; mais, le 4 avril suivant, ils renouvelèrent leur
protestation contre l'introduction de la réforme L'arche-
vêque tint bon et ât défense à tous les religieux sans dis-
tinction de franchir les murs du monastère sans la permis-
sion du prieur Dom Rozet ; puis il dressa des statuts pour
les récalcitrants.
Le 29 juillet suivant, il assigna des revenus pour Tentre-
tien des réformés. Toutes ces mesures devaient être rati-
fiées deux ans après par des lettres patentes de Leurs
Altesses, en date du 9 mars 1613. Quelques années plus
tard, Tabbé sembla se repentir de ce qu'il avait fait en
faveur delà réforme et créa des difficultés aux Vannistes
au sujet de la juridiction qu'il prétendait vouloir conserver,
mais se désista de ses plaintes en 1619 et, le 12 février 1623,
il mit définitivement le sceau à la réforme de son abbaye,
en signant avec les Vannistes une transaction sur le tem-
porel (1).
De Paris, Dom Laurent Bénard continuait ses relations
avec ses élèves entrés au noviciat de Saint-Vannes; son
grand désir de réformer l'ordre de Cluny semblait revivre
en lui plus fort que jamais, au récit de ce qui s'accomplis-
(1) D. Simonin mourut dans son château de Ville-Palei (diocèse de
Besançon), le 26 août 1630 et fut enterré dans son abbaye de Saint-
Vincent. C'était un prélat zélé, prudent et très habile en affaires.
i
- 445 -
sait en Lorraine. Mais son expérience du passé n'avail-elle
p^s suffisamment d'obstacles à lui représenter pour le
décourager dans ses projets ? Et, si ses confrères n'avaient
pu supporter quelques règlements voués par eux, comment
accepteraient ils une règle étrangère ? Le prieur de Cluny
voulut se rendre compte par lui-môme et se rendit à l'ab-
baye de Saint-Mihiel. Là il ne tarda pas à constater la vérité
des récits qu'on lui avait faits ; son admiration grandit
pour ces moines qu'il voyait réaliser une vie si rapprochée
de l'observance prescrite dans la Règle de saint Benoît ;
mais aussi, hélas ! sa crainte de ne pouvoir jamais le faire
adopter s'accrut. Partagé entre ces deux sentiments, il
rentra au collège de Cluny et y médita un plan de réforme
mitigée, que bientôt il abandonna pour poursuivre l'intro-
duction de la réforme pure et simple.
Il en écrivit aussitôt à Dom Anselme RoUe (1), qui com-
muniqua sa lettre aux Pères de la Congrégation réunis en
Chapitre ; ceux-ci hésitèrent tout d'abord sous l'influence
des mêmes craintes que nous avons signalées plus haut,
puis se décidèrent à envoyer à Paris, pour traiter cette
affaire, D. Pierre du Loyr(2)et D. Anselme Rolle lui-môme
(i) D. Anselme Rolle, qui avait depuis peu renouvelé sa profession à
Saint-Vannes, fut un des principaux ap(Mros de la réforme et prit
part ù toutes les conférences qui donnèrent lieu à l'érection de la Con-
grégation de Saint-Maur. Prieur de Corbic en 1621, il mourut en 1627 à
Sainte-Croix de Bordeaux. 11 est le premier qui ait donné quelque
ouvrage nu public dans la congrégation gallicane parisienne, en faisant
paraître dos œuvres faussement attribués à saint Benoît et annotées
par lui.
D CiLMKT, Bibl. lon.^ art. Rolle.
(2) D. Pierre du Loyr était Tun des doux moines que D. Claude
François avait ramonés do Rome *a Saint- Vannes ;. il appartenait à
l'abbaye de Cormeil et avait suivi D. Jacques Pichard chez les Feuil-
lants, puis à Rome, puis enfin en Lorraine, où il avait fait profession
de la réforme dans l'abbaye de Moycnmoutier, le 21 mars 160i. Après
plusieurs années passées on France, il revint en Lorraine et mourut à
Saint- Arnould de Metz on 1657.
D. Haudiql'er, op. ft(., p. 173 et suivantes, ot la Malricula Religio-
sorum.
— 446 —
qui venait de renouveler sa profession à Saint- Vannes, le
23 mai, ils prirent l'hospitalité à Saint Denys-laCharlre
pour ne pas éveiller les soupçons et conférer en toute
liberté avec Dom Bénard. Dom Didier de la Cour, que le
Chapitre avait, malgré lui, élu président de la Congréga-
tion, crut devoir les rejoindre dans la capitale, laissant
entre les mains de Dom Claude François, prieur de Saint-
Mihiel, et des Visiteurs, le gouvernement de la Congré-
gation.
La réforme du Collège de Cluny présentait de sérieux
obstacles, parmi lesquels Tabsence de consentement écrit
de l'abbé, l'incertitude des moyens de vivre, la crainte que
les réformés en fussent tôt ou tard chassés par le roi,
méritaient d'être surmontés avant de penser à une tenta-
tive pratique.
D. Laurent réfuta les objections dans deux lettres aux
supérieurs majeurs de Saint Vannes, assurant que l'abbé
était favorable à la réforme du collège, que celui-ci avait
des possessions fermes, et enfin que la présence de moines
loirains n'y pouvait porter ombrage à personne, le collège
comptant 50 cellules, dont 27 pour les religieux clunisiens,
et le reste pour les étrangers^ allemands, italiens, etc.
Malgré ces déclarations, les supérieurs réunis en diète
extraordinaire, tout en louant le zèle de Dom Bénard, ré-
clamaient des garanties plus fortes : une déclaration écrite
et formelle du consentement de l'abbé de Cluny, ratifiée
par le Saint-Siège et sanctionnée par le Conseil du roi, la
promesse que les réformés dépendraient seulement des
supérieurs nommés par la congrégation de Saint- Vannes.
Dom Bénard obtint de son abbé, le 17 décembre 1612, un
consentement notarié et promit pour plus tard l'asseati-
ment du Pape et du roi. Il supplia les supérieurs lorrains
de ne point tarder à lui envoyer des moines qui seraient
chargés des cours et inculqueraient, par leurs principes
et leurs exemples, l'amour de la réforme à leurs élèves. Il
— 447 —
lut eafiQ exaucé et, dès les premiers mois de 1613, un
groupe de réformés arriva à Paris, conduit par Dom Jean-
Placide Gollard (1).
Dom Bénard les accueillit avec toutes sortes de marques
de bienveillance, leur assigna à chacun une classe, où ils
lurent installés par le Président, Dom Didier de la Cour,
et les pria de dresser eux-mêmes leur règlement, qu'il rati-
fia pleinement. Pour mieux garder intacte leur dépen-
dance vis à- vis de leurs supérieurs lorrains, il fit devant
notaire une déclaration formelle, par laquelle il se désis-
tait de toute juridiction sur eux et les dégageait de l'obliga-
tion d'obéissance monastique. L'acte est du 8 mai 1613 (1).
(1) Dom Jean-Placide CoHard avait fait profession à Saint-Vànnes le
7 janvier 1604 ; il remplit dans In Congrc^gation de Saint- Vannes les
premiers emplois avec distinction. Six fois il fut nommé Visiteur et
autant de fois Président. La mission dont on le chargea, de conduire
les réformés A Cluny, montre la confiance qu'on avait en lui. C'est lui
également qui devait, en ir)38, confirmer, en qualité de Visiteur de la
province de Gliampagne, l'acte par lequel les religieux réformés éta-
blis à Cluny s'y stabilisèrent. L'acte est du 1" septembre. Les moines
ainsi transfères étaient : D. Firmin Rainssant, D. Charles des Crochets,
D. Simplicicn Gody, D. Placide Roussel, D. Colomban Boban, D. Ignace
Philibert, D. Albert Marchand, D. Anselme Guschemant, D. Timothée
Bourgeois, D. Sylvestre Perreciol.
Cf. D. Edmo.nd Martkne, Hist. ms. de la Cong. de Saint-Maur, § ^,
page 492.
(i) Frater Laurentius Bcnard, facullatis Parisiensis doctor theologus
prioratus collegii reguiaris Cluniacensis in Academia lutetiana fundati
humiiis prior, omnibus et singulis has présentes inspecturis salutem
in Domino.
Notum facimus quod cum die octava mensis maij anni 1613 venera-
biles et dilecti in Christo fratres Domni Joannes Placidus, Franciscus
Paulus, Joannes Chrysostoraus, AtlianasiusMongin,Uieronymus Coque-
lin et frater Alexius Gobort, omnes reiigiosi professi, 0. S. Ben. Cong.
S. Vitoni Virdunensis, in pnesentia Pelri le Couturier put>lici authori-
taie Aposlolica et euria^ episcopalis parisisiensis notarii jurait, et Fran-
cisci de Lanson, Claudii Fouqucreau et Christophori Bardeau, testium
vocalorum a nobls admissi fucrint in reiigiosos mansionarios reforma-
tes dicli noslri prioratus et Collegii Cluniacensis pro copia et potestate
nobis data per litteras patentes ab illmo principe et revmo DD. Ludo-
vico a Lotharingia duce et arehiepiscopo Remensi, pari Franciae primo,
legato nato et Cluniacensi abbate, die 17 decembris novissimi super ins-
tilutione reiigiosorum reformatorum in dicto prioratu seu Collegio
- 448 -
Sous la direction des nouveaux maîtres, le collège de
Cluny s*accrut rapidement en régularité et en nombre. T>e
prieur lui-même donnait l'exemple de la fidélité aux règle-
ments tracés par les Vannistes, et ne s'en exemptait en
aucun point. C'est du collège de Cluny que devait, quelques
années plus tard, partir le mouvement de réforme du grand
Ordre clunisien, réforme favorisée par le cardinal de
Richelieu et qui finit par l'union de Cluny à la Congréga-
tion de Saint-Maur (1636). L'extension que prenait la Con-
grégation de Saint-Vannes, loin d'a&aiblir sa vitalité, lui
procurait chaque année un nombre plus grand de reli-
gieux. Sept professions avaient marqué l'année 16H ; 1612
en compte vingt-cinq, dont nous avons déjà cité quelques-
unes. Ajoutons les noms de Dom Laurent Majoret, cité par
Dom Calmet dans sa Bibliothèque lorraine comme auteur
d'un éloge funèbre de Catherine de Lorraine ; celui de Dom
Mathias Pothier, envoyé plus tard en Belgique pour la
réforme de l'abbaye de Saint-Hubert; enfin ceux de Dom
Charles Cuny et Dom André Roger, qui devaient, à peu de
temps de là, porter la réforme à Saint-Remy de Reims.
Les Chapitres généraux continuaient à veiller sur i'ob
servance exacte de la Règle et à déterminer chaque point
douteux. Celui de 1611 prescrit le jeûne quadragésimal
pour les vigiles des fêtes de la Pentecôte, de l'Assomption
de la Sainte Vierge et de la Toussaint (1) ; il rappelle la
Cluniaceosi conformiter ad actum consensus dati per yen. fr. D. Girar-
dum prioratus S. Stephani Nivernensis priorem ac procuratorem ge-
neralem Ord. Clunlac, coram praefato Petro le Couturier notario pu-
blico die 23 mensis fobruarii novissime elapsi initum; nuUam nobis
prœfati admissi fratres jurarint obedieiitiam ecclesiasticam, regularem
atque monasticam quam solis lenentur cxhibere rev. patribus pne-
fat£ Congnls S. Vitoni Virdun. et non nobis qui nullam in eos in vir-
tute nostrsB dignitatls prioralis jurisdictionem habere prsetendimus,
uedeos ab otnni noslra potestate immunes et integros profitemur atque
declaramus per prsescntes manu noslra scriplas et propria syngrapha
consignatas atque adeo nostri prioratus atque Collcgii majore sigillo
munitas, octava die maij, a. D. 1613. — S. : fr. Laurenlius Benard. —
D. Mèoe, op. cit., a. 1612.
— 449 —
défense aux officiers du monastère de garder en secret de
l'argent auprès d'eux ; toutes les valeurs doivent être dé-
posées dans un coffre fermé à trois clés, dont Tune sera
chez le supérieur, les deux autres chez deux sénieurs (3); il
confirme la décision du chapitre de 1606 sur le vestiaire (4);
il décide que les dépenses, en temps de maladie conta-
gieuse, seront au compte du monastère où se trouve cette
maladie, sauf celles du médecin, du chirurgien, du phar-
macien, ou les dépenses excédant les ressources de cette
maison, auxquels cas les supérieurs majeurs devront'pour-
voir selon les prescriptions de la charité (5) ; il règle l'heure
des récréations (2) ; enfin, il ordonne qu'un registre soit
formé et tenu des actes des Chapitres généraux (6).
En 1612, plusieurs points du cérémonial sont expliqués:
on proportionnera l'observation des règles du missel ro-
main, pour la messe solennelle, au nombre des moines;
l'encensement aux --vêpres et aux matines des grandes
fêtes dépend rade la facilité qu'on aura à le faire (n^^ 1,2). Le
chapitre rappelle expressément aux supérieurs qu'ils doi-
vent avoir la main à l'observation de la Règle, des Déclara-
tions et des Constitutions, soit des Chapitres généraux soit
des Visiteurs (n^S). Les lettres du Chapitre seront munies
des sceaux de la Congrégation (n''4). En l'absence du supé-
rieur, l'autorité du monastère reviendra au premier doyen
ousénieur (n^ 5). Défense désormais d'assister aux déclama-
tions, dispu tations et au très exercices scolaires pu blics (n^ 6).
La profession des commis se fera en Chapitre, sans cérémo-
nies^ en présence de tout le couvent et à l'heure du chapi-
tre, ainsi que le porte le livre des Déclarations. Leur habit
sera un peu plus court que celui des clercs, et leurs scapu-
laires un peu plus étroits ; ils auront deux bandelettes atta-
chéesaux épaules etdescendantjusqu'aux genoux (n"7). Dans
le tridutim qui précède Pâques, la discipline se prendra le
matin avant la méditation (n^ 8].
Peu de temps après le Chapitre de 1612, la réforme s'ou-
vrit une voie vers la Franche Comté, qui devait plus lard
devenir Tune de ses trois provinces. Assez près de la limite
sud de la Lorraine se trouvait Tabbaye de Faverney, au dio-
cèse de Besançon. Fondée pour des religieuses d'abord,
puis confiée à des moines par Tarchevéque de Besancon
Anseric en 1132, Tabbaye de Faverney avait passé aux
mains des commendataires de par Tautorité de Grégoire
XIII, en 1582, et avait subi toutes les conséquences de ce
changement. Un miracle arrivé en 1608 fut l'occasion pro-
videntielle de son relèvement spirituel. Au milieu d'un
incendie qui dévasta Téglise, la Sainte Hostie qui servait
de Réserve, demeura suspendue intacte au milieu des flam-
mes. Un pèlerinage sortit de ce prodige et, en 1613, Dom
Doresmiens, abbé de Faverney, en prit occasion pour y in-
troduire la réforme. Un ancien religieux de ce monastère,
Dom Claude Hidulphe, fut envoyé à Moyenmoutier pour y
renouveler son noviciat. Après y avoij émis sa profession
selon l'observance lorraine, le JO juillet 1614, il revint à
Faverney pour y enseigner la philosophie et la théologie.
A peu de temps de là, il devait être nommé prieur, puis
coadjuteur de l'abbé en 1622 et chargé du noviciat, inauguré
dans son monastère en 1624. GrAce à la charité qui le carac-
térisait et à sa conduite exemplaire, il fut d'un grand
secours pour l'établissement de la réforme et des bonnes
études, qui firent de Faverney, dans la suite, une des princi-
pales abbayes de la Congrégation (1).
(1) D. Calmkt, Bibl. lorr., art. Hydulphe {D. Claude). D. Hydulphe ne se
contenta pas de promouvoir les éludes parmi ses confrères plus jeunes.
U fonda dans son abbaye un véritable séminaire pour l'éducation des
jeunes nobles. En 16H0, D. Hydulphe se fît bénir abbé, sans changer
rien pour cela à sa vie édifiante. 11 fut nommé visiteur des monastères
do ciuny en Franche Comté et s'occupa do la réforme d'un certain
nombre d'autres maisons religieuses, en particulier de l'abbaye de
Luxeuil. Il mourut k Saint-Mibiel au retour d'un Chapitre général tenu
à Saint- Vannes en 1662, le jour de l'Ascension. En 1673, ses restes
furent transportés a Faverney.
CHAPITRE V
lotroductioD de la réforme à Saint- Augustin de Limoges. — A Saint-
Nicolas de Port (1613). — Chapitres généraux de 1613 et 1614 ; nou-
velle formule de serment pour les profès. — Quelques nouvelles vo-
cations françaises. — Réforme de Saint-Julien de Noalllé et de Saint'
Faron de Meaux, 1615. — En Lorraine, plusieurs abbayes désirent la
réforme. — Réforme de Jumièges en Normandie, 1616.
Le voyage de Dom Didier de la Cour à Paris n'eut pas
seulement comme résultai la réforme du collège de Cluny.
Dom Laurent Bénard, en attirant les Bénédictins lorrains
dans son prieuré, leur avait laissé espérer que d'autres
monastères désireraient s'unira la Congrégation de Saint-
Vannes. Plusieurs abbés, en effet, lui avaient demandé
conseil à ce sujet et, en particulier, celui de Saint- Augustin
de Limoges, Dom Jean Regnault, à qui plusieurs de ses
religieux avaient exprimé le désir d'une vie plus monas-
tique.
L'abbaye de Saint-Augustin de Limoges était doublement
célèbre pour avoir été le premier sanctuaire élevé dans les
Gaules en l'honneur du Docteur de l'Eglise de Carthage,
et pour avoir compté parmi ses abbés, au Moyen Age, de
véritables artistes (1).
Le seixième siècle, en introduisant la commende à
Saint- Augustin, y introduisit la ruine temporelle et spiri-
tuelle: les édifices furent négligés, les moines abandonnés
à eux mômes sans direction et, lorsque les bandes calvi-
(1) Au xiii* siècle, l'abbé Etienne fabriqua des chapes, des calices, des
encensoirs d'or et d'argent, des reliures rehaussées d'or et de pierre-
ries. L'un de ses successeurs, Raymond, fit de ses propres mains une
grande croix d'argent et deux calices dorés d'une rare beauté, exécuta
cinq chapes remarquables, transcrivit cinq livres estimés et sculpta le
tombeau d'un évoque. L'abbé Gérard Fabry bâtit des églises gothiques
et introduisit ce style dans Torfèvrerie. — Laforest, Limoges au XVll*
siècle.
- 452 -
nistes s'y présentèrent pour piller ce qui avait échappé aux
abbés coramendalaires, l'abbaye n'offrit aucune résistance.
Le procès-verbal des déprédations, daté du 23 octobre 1595,
constate qu'il nese trouvait à Saint-Augustin, en ce moment,
que huit religieux, lesquels n'y résidaient même pas (I).
Heureusement Dieu avait ménagé dans Tabbé Jean
Regnault un homme de cœur, qui se consacra à relever les
ruines de son monastère (2). Réunissant autour de lui les
restes de sa communauté, il commença par poursuivre,
devant le parlement de Bordeaux, la réintégration des biens
usurpés ou irrégulièrement aliénés. 11 s'adressa ensuite à
l'évoque de Limoges (3), le priant de lui nommer une com-
mission qui, de concert avec lui, rédigerait des constitu-
tions pour ses moines. La commission, à laquelle furent
appelés les prieurs de Brantôme, du Glandier et des Ternes,
composa des statuts qui parurent trop durs à quelques-uns
des religieux. Ceux ci reçurent une pension et se retirèrent.
Les autres se groupèrent autour de Jean Regnault, qui,
pour consolider son œuvre, forma le projet d'agréger
Saint-Augustin à l'une des congrégations bénédictines
encore vivantes : Chesal-Benoît, les Feuillants ou les
Exempts (4). 11 pensa même à la Congrégation anglaise, qui
avait en France plusieurs collèges florissants. S'étant ouvert
à Dom Laurent Bénard de son désir, le prieur de Cluny lui
fit part de son estime pour la Congrégation vanniste, et
l'engagea à s'adresser à elle pour obtenir quelques moines
{i)Ibid.
(2) Dom Jean Rcgnaud O'j Regnault, profès de la Soaterre, prévùté
dépendante de Saint-Martial, fut reçu docteur de la faculté de Parts et
pourvu par Henri IV, en 1594, de l'abbaye de Saint-Augustin. l\ pensa
aussitôt à y mettre la réforme et fit pour cela plusieurs tentatives :
seules, celles qu'il fit avec les Vanoistcs aboutirent. 11 mourut en 1622,
après avoir fait sa démission en faveur de Dom Maur Dupont, son
prieur claustral.
D. Haidiquer, op. cit., 2* partie, note 29, p. 262.
(3) Henri de la Mahthome, f 1618.
(4) Laforest, op. cit.
^ 4b3 -
réformés. Bien mieux, lorsqu'il sut le voyage à Paris des
moines lorrains, il en écrivit à Dom Regoault^ qui se mit
aussitôt en route, accompagné de deux de ses moines, non
moins ardents que lui pour la réforme : Dom Augustin
Dupin, prévôt de Tabbaye, et Dom Placide de Vaux.
Ils arrivèrent à Paris la première semaine du carême
1613, et commencèrent aussitôt les conférences avec Dom
Didier de la Cour et Dom Laurent Bénard (1).
Deux religieux de Saint-Augustin, neveux de Tabbé,
furent pris de peur en pensant aux conséquences de l'intro-
duction de moines étrangers : c'était pour eux la ruine des
espérances que la commende de leur oncle leur laissait
entrevoir. Ils firent tous leurs efforts pour détourner le
coup, et peu s'en fallut que l'abbé, subjugué par eux,
n'abandonnât le but de son voyage précipité. Déjà il parlait
de ne recevoir les réformés que le temps nécessaire pour
développer burs principes et en montrer la pratique, après
quoi ils pourraient retourner en Lorraine. Dom Laurent
Bénard, à qui il fit part de ses hésitations, lui reprocha
avec fermeté son changement comme une faiblesse inspirée
par l'ennemi des âmes et, pour en finir, le pria de donner
le lendemain une réponse décisive.
Dom Jean Regnault convint, eu les méditant, de la jus-
tesse des paroles du prieur. Le lendemain, avant de se
rendre au lieu des conférences, il visita quelques sanctuai-
res sur son chemin.
Dom Laurent, le voyant arriver à Cluny, le félicita et
l'encouragea de nouveau, lui faisant entrevoir le mérite
qui couronnerait la réalisation de son projet. A ce moment
arrivait Dom Didier de la Cour avec quelques moines
réformés. La demande de ceux-ci concernant les biens des
anciens religieux, qu'ils désiraient avoir, rendit toutes ses
terreurs à l'abbé. Il comprit, par les détails de leurs con-
ditions, qu'un de ses moines avait exposé à nu toute la
(1) D. MisoE, Annales, ad. a. 1613.
- 434 -
situation ; il lui en fit sur le champ d'amers reproches et
s'indigna de ce que les Lorrains avaient cherché, plus que
de justice, à pénétrer dans les affaires de Saint-Augustin (1).
Dom Didier de la Cour, se levant avec calme et modestie,
remercia l'abbé de sa bonne volonté, protesta qu'il ne
voulait rien enlever des biens de son monastère et qu'il
désirait laisser tout en paix. Là-dessus, les autres per-
sonnes présentes se levèrent et firent mine de sortir. Pen-
dant ces quelques instants, Dom Regnault s'était promené
très agité. Enfin, inspiré de Dieu, il revint sur ses hésita-
lions, reprit son projet et promit aux réformés non seule-
ment ce qu'ils demandaient, mais plus encore, et cela
librement et spontanément. Sur le champ, il fit venir un
notaire apostolique; on rédigea l'acte d'union de Saint-
Augustin de Limoges, qu'il signa avec les autres personnes
présentes (5 mars 1613) (2).
Dom Didier de la Cour envoya peu après à Limoges deux
de ses religieux, Dom Claude Jacob et Dom Mathieu Oudin,
afin de préparerles voies à la colonie qui devait s'y rendre.
Ils trouvèrent tout en triste état. Dom Anselme Rolle les rejoi-
gnit et fut installé prieur, et quelques années s'écoulèrent
avant d'amener un complet changement dans la physiono-
mie du monastère de Limoges, qui était la première enclave
française de la Congrégation lorraine.
En Lorraine même, ellene restait pas inactive et gagnait
chaque année quelque nouvelle abbaye ou quelque nou-
veau prieuré. Bouzon ville s'était incorporé à la fin de 1612,
sous Tabbatiat de Jean Sellier (3).
En 1613, les Vannistes rentrèrent en possession d'un
(1) D. Rhéthclois résume ainsi la situaUoo de Tabbaye de Limoges:
« Le monast^Te était ruiné en ses bâtiments, emlsarrassé d'affaires,
chargé de quarante-huit procès, et de petit revenu » {op. cit.^ t. IV,
chap. XII, p. 2).
(2) Haudiqubr, op. cit. et loc. cit.
Cf. D. MÈ6E, Annales, loc. cit,
(3j V. plus haut, Visite de Lucalberti à Bouzonville.
- 435 —
ancien prieuré bénédictin à Saint-Nicolas-de-Port. Donné
à Tabbaye de Gorze par Angelram, évèque de Metz, le do-
maine de Varangéville avait été transformé en prieuré sous
i'abbé Henry. Lorsque l'arrivée des reliques de saint Nico-
las eut provoqué un pèlerinage à quelque distance de là,
les moines de Varangéville, chargés de desservir la chapelle
où étaient exposées les reliques du saint évoque de Myre,
établirent le prieuré de Saint-Nicolas, qui s'appelait alors
Saint-Nicolas de Varangéville. Nous ne relèverons pas ici
les noms de tous les personnages qui vinrent en pèlerins à
Saint-Nicolas : qu'il nous suffise de dire que les ducs de
Lorraine aimaient à se mettre, par quelque donation, sous
la protection de ce saint. A la fin du xv^ siècle, la magni-
fique basilique d'aujourd'hui remplaça l'ancienne et mo-
deste chapelle ; sa construction fut achevée en 1544. Mal-
heureusement, avec l'achèvement de l'église, commença la
période de décadence du prieuré : la commende y fit son
œuvre de destruction, les guerres du xvi<^ siècle consom-
mèrent la ruine. Les religieux se dispersèrent et des prê-
tres séculiers firent le service du pèlerinage. Au moment
où l'abbaye de Gorze fut sécularisée et ses revenus affectés
à l'Université de Pont-à-Mousson (1), il fut question de
réduire au même sort le prieuré de Saint-Nicolas ; le
cardinal de Lorraine, retenu par la pensée du pèlerinage,
fit offrir aux moines de Saint-Vannes le prieuré en
détresse. Le petit nombre des religieux réformés les em-
pêcha de l'accepter.
On fit alors appel à des religieux ambrosiens venus
d'Italie. Ceux ci ne purent longtemps persévérer: ils se
retirèrent en 1613 dans leur pays. Les Jésuites et les Mini-
ment s'offrirent alors, pendant que l'évéque de Toul faisait
des démarches pour y attirer des religieux oblats de Saint-
Charles Borromée. Entre temps, les prieurs de Saint-Evre
(1) En 1572.
^
— 456 -
et de Saint- Maosuy demandaient qu'on donnât la préférence
à leur Ordre, ce à quoi l'évoque consentit. Un traité fut
passé pour l'installation le 8 septembre 1613, et Ton créa à
la nouvelle communauté un fonds pour assurer son entre»
tien(l).
Plus la Congrégation se répandait^ plus les supérieurs
majeurs tenaient la main à la formation sérieuse des
moines: au chapitre de cette année, on attira l'attention
des supérieurs locaux sur la réception des Frères, soit au
noviciat, soit à la profession, leur enjoignant d*observer à
l'avenir, mieux que par le passé, le chapitre de la Règle et
des Déclarations qui s*y rapportait (art. 5). Il ordonnait
aux supérieurs et aux maîtres des novices de veiller avec
diligence à ce que les nouveaux venus fussent appliqués à
l'étude de la sainte Règle, des Constitutions, des Déclara-
tions et des exercices du noviciat, tout le temps de leur
probation, avec défense de lire des ouvrages qui n'y auraient
pas trait (art. 6).
J^ formation des frères commis ne l'intéressait pas moins,
et les Pères du chapitre exhortaient les prélats à veiller
aussi avec sollicitude sur les travaux des commis, à leur
donner un directeur spirituel et à ne pas permettre qu'ils
s'absentassent des conférences, spécialement aux jours de
fêtes (art. 7). A tous, le chapitre enjoignait l'absolue
discrétion sur les délibérations des réunions capitulaires,
soit générales, soit particulières, et sur les visites canoni-
(1) Bibl. nat., Lai. 12688, fol. 114-165, L'Histoire dn prieuré de Saint-
Nicolas en Lorraine, de l'Ordre de Saint-Benott. C'est un travail sans
date ni nom d'auteur, contenant des détails intéressants mêlés parfois
k des redites. Il comprend une préface, puis une première parUe trai*
tant de la «naissance du prieuré de Saint Nicolas » ; une seconde par-
tie : a des progrès du prieuré » ; et une troisième partie : « de la décadence
du prieuré et de son rétablissement ». A la suite, dans le même registre,
fot. 166-169, se trouve une narration d'une écriture différente, conte-
nant le récit de plusieurs miracles ou faits de salut attribués à l'inter-
cession de saint Nicolas de Port.
Sur Saint-Nicolas, Bibl. nat., Lorr. Abb., «39.
-- 457 -~
ques (art. 11), ainsi que rburallité à garder dans restime
de leur vocation, défendant à tout moine de juger les
personnages civils et ecclésiastiques, leurs supérieurs ou
leurs frères, et en général les religieux, de quelque ordre
qu'ils fussent (art. 15). Il rappelait aux sénieurs que les
seuls signes de prééminence auxquels ils auraient droit
dans les monastères étrangers an leur propre, seraient les
suivants : donner le signal pour roflice au chœur, enton-
ner le Te Deum, bénir la table, chanter TEvaugile et le
Pater aux vêpres et à laudes (12) ; tous les autres signes
d'autorité, comme donner la bénédiction de sortie ou de
retour, recevoir les excuses des retardataires, entendre les
coulpes ou tenir chapitre, imposer quelque pénitence^
étaient réservés à celui qui succédait dans le gouverne-
ment au supérieur absent (art. 13). Quant aux doyens, ils
devaient s'en tenir aux prérogatives prévues par les
constitutions (art. 20), et même les dignitaires appelés
à faire le service de table ne pourraient donner aucun
des signes qui reviendraient à leur charge (art. 21).
On voit que le chapitre, jusque là occupé de régler la
plupart du temps des questions de détail, sentait la néces-
sité de fortifier son cadre contre les suites à craindre de la
multiplicité des fondations, laquelle entraînait aussi la
multiplicité des supérieurs : ceux-ci devaient quelquefois
être pris parmi les profès nouveaux, jeunes d'âge ou de vie
religieuse.
Un plus grand danger se dessinait, c'était la reprise de§
bénéfices par les réformés et la difficulté d'en accorder
l'administration ou l'usufruit avec les obligations de la
pauvreté monastique. Le Chapitre général y pourvut par le
décret suivant (1) : « Afin de détruire toute ambition, nous
(1) Ce qui venait d'arriver à Saint- Airy dut provoquer ce décret et
appnler l'attention des supérieurs, afin d'empêcher que le fait se repro-
duisît. D. Didier Saryon. abbé de Saint-Airy, mourut le 6 novembre
1611. « D. Rozet, qui était alors Prieur de Saint-Vannes et Visitçur de.
3b
— 458 -
statuons que personne de notre Congrégation ne pourra
être élu ou promu abbé, ou, s'il arrive que quelqu'un le
soit, aussitôt après son élection ou sa promotion, il devra
renoncer au gouvernement, tant spirituel que temporel,
entre les mains des supérieurs du Régime, près de qui
Tadministration restera entièrement, selon la teneur du
serment prêté. »
Le serment dont il s'agit ici comprenait rengagement
déjà imposé auparavant aux réformés : de ne jamais ad-
mettre à la profession dans la Congrégation, ni élire à
aucune charge, celui qui ne voudrait point promettre de
vivre selon la réforme. Il y joignit la clause concernant
les bénéfices, ainsi que le voulait le décret ci-dessus, et
chaque nouveau profès dut, à partir de ce moment, s'en-
gager à en observer la double obligation (1).
la Congrégation, eut l'adresse, dit D. Calmet, de s'en (aire élire abbc ;
celte démarche eut des suites. » D. Rozet fit, en effet, conûrmer son
élection et se fit bénir, puis il prit possession de l'abbaye. « Il aurait
voulu la conserver jusqu'à sa mort, mais il y éprouva tant de résis-
tt tance de la part des supérieurs majeurs, qu'il dut se désister de ses
« prétentions. » D. Calmet, Notice de la lorr., art. Rozet,
(1) Jusjurandum ab omnibus faciendum qui profnsioneni emitlunt.
Quia divina gratia largientc hodierna die solemnem professionem
emissurus sum, ne aliqua ambiguilas ex quibusdam professionis meae
verbis oriatur, dicoquod pcr istam clausulam sub Congregatione SS.
Vitoni et Uydulphi, intelligo quod in posterum vitam meam et mores
instituam sccundum Regulam S. Bcnedicti a Patribus S. JusUnse de
Padua seu Cassinensis declaratametexpositam prout usque ad hodier-
na m diem in Congregatione SS. Vitoni et Hidulphi observatur. Et etiam
nullum unquam officium ccdesiasticum, praisidentiam, abbatlam, prio-
ratum, prseposituram, adminislrationcm, regimen aut uUum Superiori-
tatis gradum nulle modo mihi ofTerri curabo aut obiatum admit-
tam aut de eo admisse disponam nisi sub beneplacito et consensu
regiminis aut definitorum Capituii Generalis, nec unquam per me
eut per alium ullum talis beneûcii, priBsidentis, abbatice, prioratus,
prspositurs, administrationis, regiminis aut cuiuslibet superioritaUs
mihi commisse prolongationem in uUa curla sive ecclesiastica sive sae-
eulari directe aut indirecte procurari permittam aut curabo. Insaper
quod nunquam consentiam ut aliquis cuiuscumque status in bac Con-
gregatione Incorporetur aut in Superiorem eligatur nisi prias consU-
terit de ij[)sius voluntate et dcsiderio vivendi secundum reformaUo.
nom et praddictas superioritatum sessiones subeundi, Juzta Gonstita-
- 459 -
Pour bien se rendre compte des conditions dans les-
quelles se trouvaient les nouvelles fondations, le Chapitre
général décida que les supérieurs de ces fondations le
tiendraient au courant de ce qui s'était passé à leur entrée
dans le monastère réformé par eux (art. 22).
Afin d'éviter toute distinction entre ceux qui avaient fait
profession avec l'ancienne formule de serment et les futurs
profès, le Chapitre général suivant de 1614 décréta que, au
retour de leurs supérieurs, les moines anciens prêteraient
entre leurs mains et sur les saints évangiles, le nouveau
serment (art. 15).
Il détermine également la manière dont on renouvelle-
rait les vœux (1), et en quels termes (2) chaque année, le
premier jour de l'an ou à la fête de l'Epiphanie (arL 10) ; il
étendit la règle de la vacance des charges aux doyens des
monastères, qui devaient être absous au moins pour trois
jours, dans le cas où l'on jugerait convenable de les conti-
nuer dans leurs offices (art. 12).
Revenant sur la formation des novices, le Chapitre décida
tiones et décréta felicis mcmoriic Cardinalis Caroli a Lotbaringia a
Sede Apostolica ad id spccialiter deputati. Arch. Nat., LL. 991, fol.
34 et 35.
(1) Voici le cérémonial de cette rénovation, usité encore dans les
Congréfça lions modernes. Le jour de la Circoncision et de l'Epiphanie,
les moines se réunissaient en cou lie au chapitre ou dans une chapelle
de l'église ; l'autel y était illuminé. Tous ii genoux chantaient le
Kent Creator et le président ou supérieur disait l'oraison, puis faisait
une courte exhortation .
Le supérieur montait à l'autel et y faisait la rénovation de ses
TŒUx, puis il prenait place devant l'autel, et les religieux venaient,
chacun à tour de rôle, lire à ses pieds la formule de rénovation, qu'ils
tenaient et que le Supérieur devait également toucher en même temps.
Ils baisaient ensuite la main du supérieur, se levaient, s'inclinaient et
se retiraient à leur place.
(2) La formule de rénovation, on latin pour les choristes, en français
pour lesconvers, était la suivante : In nomino F). N. J. C. Amen. Ego
N. promitto stabilitatem meam et conversionem morum mcorum et
obedientiam secundum Regulam S. Bcnedicti coram Dco et omnibus
sanctls quorum reliquiiu habenlur in hoc monasterlo sub Congrega-
tione Sanclorum Vitoni et Hidulphi. Arch. Nat., LL. 991.
— 460 —
que, à chaque présentation des novices à la communauté,
on noterait soigneusement les défauts qui leur seraient
reprochés et qu'on les en avertirait, afin de voir s'ils y
prêtaient attention dans la suite (art. 14). A rentrée des
postulants, l'argent de ceux-ci (sauf réserve de trente
francs) serait employé pour leur procurer les vêtements,
livres ou objets nécessaires (art. 13).
Le décret sur la vigilance à ne point s'entretenir des
défauts des prélats fut confirmé, et les délinquants mena-
cés de peines (art. 17).
Divers autres articles déterminaient l'attribution au
budget des dépenses générales de la Congrégation, ce qui
pouvait excéder ou manquer à la somme de 60 francs
fixée pour le vestiaire de chaque religieux (art. 16), et décré-
taient, avec divers points de loffice ou du cérémonial (IJ,
(1) Les Commémoraisons coiamunes ne se chanteront pas. Le Bene-
dicamus Damino ne se chantera que lorsqu'on terminera avec chant
l'ofûce divin (art. 1). L'aspersion du soir, le De Profundis, avec les
collectes, seront maintenus jusqu'à nouvel ordre du Chapitre (art. 2) et
l'on ne récitera, le soir, les litanies brèves des Saints ou celles de la
Sainte Vierge que le dimanche aux deux compiles et les fôtes doubles
(art. 3). Là où c'est la coutume de réciter les matines et les vôpres dc^
défunts, on continuera à les sonner, s'il y a concours de peuple ; sinon,
à l'exclusion du scandale, le supérieur jugera ce qu'il y a faire (art. 4.i.
L'anniversaire des défunts comprendra un nocturne et trois leçons
{art. 5). On revêtira la coulle à toutes les fêtes de l'* et do 2* classe, à
celles de la Conception de la Vierge, de sainte Scholastique, et aux
jours indiqués dans le cérémonial (art. 9). Les psaumes graduels se
diront assis ; pour le reste, on suivra les indicaUons du bréviaire
(art. 10). Au réfectoire, le psaume d'action de grâces sera le Miserere
et non le Laudate (art. 11).
Le dimanche, l'antienne de la Vierge se dira debout pendant tout le
temps pascal (art. 1, addit.). L' \ngelus et l'aspersion du soir suivront
les prières de compiles (art. â, addit.). La lecture de la Règle à prime se
fera, jusqu'à nouvel ordre, selon les Déclarations (art. 3, addit.). On
allumera le cierge pascal aux compiles du Samedi Saint, le jour de
Pâques pendant les matines, et les deux jours suivants pendant les
laudes et la messe, vêpres et compiles ; jusqu'à l'Ascension, à la messe
et aux vêpres, le dimanche et les fêtes doubles (art. 5, addit.]. Aux
fêtes les plus solennelles, on encensera l'autel au commencement de
la messe et des vêpres ; aux autres fêtes de 1" et de 2' classe, on mettra
deux choristes, si on le peut, et on encensera l'autel au Magnificat
(art. 6, addit.}.
— 461 —
que désormais les communications des moines au Chapitre
général se feraient par écrit, avec ordre, opportunément,
et seraient inspirées par le respect et la modestie (art. 19).
Tous ces décrets reçurent la sanction du Chapitre de
1615, qui, en les confirmant, y ajouta quelques nouvelles
constitutions prescrivant : de suivre les traditions locales
pour le culte rendu, au Saint-Sacrement, à la fête du Corpus
(art. 1) ; de faire usage ,des livres de chœur nouvellement
édités (art. 2) ; de soumettre à la visite du médecin, en
présence de deux sénieurs, les postulants sur le point de
revêtir Thabit monastique (art. 5) ; de procéder, non plus,
par écrit, mais au moyen de billes, aux votes conventuels
(art. 6).
La fermeté du Chapitre général à maintenir Tobser-
vance et à déterminer, par des règles précises, tout ce qui
concernait la formation des postulants, n'arrêtait ni le
concours ni la persévérance de ceux-ci. L'année 1612. que
nous avons vue si riche en professions, fut suivie d'un
nombre presque égal d'engagements nouveaux les années
suivantes. En 1613, dix huit novices, venus de différentes
provinces, prononcèrent leurs vœux ; parmi eux, nous
citerons Dom Firmin Rainssant (1), Dom Marc d'Abon-
court (2), Dom Théodore May (3), Dom Colomban Ré-
(1 D. Firmin Rainssant, né à Suippe en Champagne, on 1596, profès à
Saint-Vannes le 21 avril 1613, fut élu prieur du BreuU en 1627, passa
ensuite à Cluny, puis dans la Congrégation de Saint-Maur, où, en 1651,
il fut nommé Visiteur do la province de Bretagne. Il mourut cette
année Ih même, dans l'exercicfï de la visite à Saint-Léon près Dinan,
le 8 novembre, en odeur de sainteté. Dom Le Cerf dit de lui qu'il fut un
des plus saints religieux de la Congrégation de Saint-Maur. 11 a laissé un
vol. in-12 de Mèditntionff pour tinis les jours de Uaiinée ; Paris, Bil-
laine, 1633. Cet ouvrage eut diverses éditions, avant celle de 1699
(in-4"*), et fut en usage dans les Congrégations de Saint-Vannes et de
Saint-Maur. D. Calmet, Bibl. lorr., art. Rainssant ; D. Le Cerf,
Biblioth. art. Rainssant.
{2)D. Marc d'Aboncourt, profès le 1" mars 1613 à Saint-Mansuy lès
Toul, mort à Bcaulieu en 1651, partisan zélé de la vacance rigoureuse
des supérieurs. D. Calmet, tbid., art. Aboncourf.
(3) D.Théodore Moy (autrement Théodore de la Croix), né à Saint-
— 462 —
gnier(l), que leurs écrits ou leur influence distinguèrent
dans la suite. En 1614, vingt et un nouveaux profès sor-
tirent des différents noviciats, entre autres Dom Augustin
Dupin (2), Dom Claude Brenier(3), Dom Hugues Ménnrd (4),
Dom Maur Tassin (5). La moitié des profès de cette année
venaient de France ou de Bourgogne ; trois appartenaient
à Saint-Augustin de Limoges, que les Vannistes venaient
d'occuper. En 1615, Dom Laurent Bénard ouvrit la liste
des quatorze nouveaux réformés profès. Non content de
de pratiquer au collège de Cluny les vertus monastiques
selon l'observance des moines lorrains, il était venu à
Saint-Vannes-pour se donner définitivement à la Congré-
gation nouvelle ; mais son ardeur fut tempérée par la pru-
MihicI,profcs h Saint-Vannes le 25 novembre iG13, mort au prieuré de
Sainte-Croix à Nancy le 25 décembre 1635, a composé: !•, en 1628, la Vie
de saint Hydulphe, laquelle est restée manuscrite, 2* des Essais sur des
guérisons opérées à Moyenmoutier, 3" un autre ouvrage intitulé a Phar-
macie spirituollo », resté également manuscrit. D. Calmbt, op. c if.,
art. Croix.
(1) D. Colomban Régnier, profès le 15 décembre 1613 à Saint- Vannes,
après avoir été formé au collège de Cluny, y retourna après sa pro-
fession, et fut l'un dos principaux organisateurs de la Congrégation de
Saint-Maur, dont il devint l'un des présidents ; plus tard, en 163i, il
fut l'un des plus actifs apAtres de l'union de Cluny à sa Congrégation.
Il mourut ii Jumièges en 1637, n'ayant cessé depuis sa profession
jusqu'à sa mort, dit D. Rhételois, de s'avancer en la vertu comme un
« saint et de travailler au rétablissement de son ordre comme an
apAtre ». D. Rhételois, op. cii.^ passim.
(2) D. Augustin Dupin, bientôt après envoyé à Saint-Augustin de
Limoges, puis ù Noaillé, pour l'établissement de la réforme. Profès h
Saint- Vannes le 2o mars 1614, il est mort h Sainte-Croix de Bordeaux,
le 24 février 161)2, laissant en manuscrit l'Histoire de l'abbaye de Saint-
Augustin de Limoges.
(3) D. Claude Bronier, profès h Moyenmoutier le 10 juillet 1614, mort
à Saint-Mibiel le i^ mai 1662.
(4) D. Hugues Ménard, né â Paris en 1585, profès d'abord à Saint-
Denis, puis k Saint- Vannes, le 15 août 1614, entra ensuite dans la
Congrégation de Saint Maur, où il fut l'un des plus zélés promoteurs
des bonnes études. Son Martyrologe, son Sacramentaire de saint Gré-
goire et sa Concordia Regularum, l'ont rendu célèbre. Il est mort k
Saint-Germain-des-Prés en 164i,
(5) D. Maur Tassin, profès du 25 mars 16i4 à Saint- Vannes, mort
en 1645.
— 463 —
dence des Supérieurs majeurs, qui le jugèrent plus apte à
les aider dans la propagation de leurs principes, en
demeurant indépendant. Toutefois, sll ne ûi pas profession
formelle, Dom Laurent Bénard se donna d'une manière
complète à la réforme par un acte authentique équivalant
à la profession, en date du 5 mars 1615. Le 12 mai suivant,
à Saint-Mihiel, le futur premier Supérieur général de la
Congrégation gallicane ou de Saint-Maur, Dom Martin
Tesnière (1), émettait ses vœux de religion.
De retour à Paris, Dom Laurent Bénard eut à s'occuper de
la réforme de Tabbaye de Noaillé (2), au diocèse de Poitiers.
Le 17 août 1603, le Pape Paul IV, par sa Bulle « In supre-
mœ dignitatU spécula »..., datée de Sainte-Marie -Majeure,
introduisait dans cette abbaye des religieux feuillants ;
mais ceux-ci ne tardèrent pas à abandonner leur œuvre.
L'abbé commendataire, François de la Béraudière, évèque
de Périgueux, qui avait à cœur de réformer les moines de
Noaillé, apprit, dans l'un de ses voj'ages à Paris, l'entrée
des Vannistes à Saint- Augustin de Limoges, et se trans-
porta auprès d'eux pour se rendre compte de l'observance
qu'ils y tenaient. Enchanté de leur vie, il entra aussitôt
en négociations avec l^urs supérieurs de Lorraine, et
Dom Laurent Bénard fut chargé d'emmener deux moines
qui iraient se joindre à quelques-uns de leurs frères de
Limoges, pour se rendre ensuiteà Noaillé.
Au mois d'août, la colonie rassemblée à Limoges se
(1) Envoyé au monastère des Blancs-Manteaux à Paris avec D. Maur
Tassin, D. Martin Tosnit're travaillai l'établissement delà Congréga-
tion nouvelle, qui l'élut son Président au premier chapitre général de
1618 ; il fut également l'un des apôtres de la réunion de Cluny à Saint-
Maur. 11 mourut eni&io.
(2) L'abbaye de Sain t-J union, au bourg de Noaillé en Poitou, n'était
d'abord qu'un prieuré dépendant do l'église Saint-Hilalre de Poitiers.
Son érection en abbaye se lit sur la fin dn viii* siècle. Le titre de
Saint-Junien lui fut donné peu de temps après l'an 830, à l'occasion de
la translation du corps de ce saint solitaire. D. Haudiqubu, op. cit., II*
partie, note 33.
— 464 -
présenta aux portes du monastère de Noaillé, mais inutile-
ment ; elle dut se retirer devant les oppositions formelles
du prieur, Dom Vérimaud, et des anciens qui prétendaient
ne pouvoir jamais se soumettre à un régime autre que
ôelui auquel ils étaient habitués (i). Les réformés, vaincus
cette fois, revinrent un mois après le 15 septembre, assis-
tés de Tabbé de Saint-Augustin de Limoges et de celui de
Charraux. Ceux-ci, assemblant les religieux anciens à
rheure de prime, leur signifièrent la volonté de leur abbé
commendataire au sujet de la réforme, et présentèrent une
lettre du roi leur en prescrivant Tacceptation (2).
Le prieur Dom Vérimaud, le sacristain Dom Benoit
Mathon, et le Réfectorius, Dom Jacques Rîgaud, se décla-
rèrent satisfaits de l'introduction des réformés et signèrent
leur déclaration. Le sous-prieur, Dom Claude Jacquot, le
chambrier, Dom Jean-Chrysostome Thomas, l'aumônier.
Frère Pierre de Soindres, le sacristain, Dom Augustin
Dupin, et le chantre, Dom Jean de Vaux', joignirent leurs
signatures à celles des anciens et tous se rendirent à
Tofflce de prime. Là, des difficultés surgirent sur la
présidence que le prieur ancien revendiquait jusqu'à ce
que les réformés eussent un autre supérieur. L'abbé, au
(1) D. Mège, Annales..., anno 46/3.
(2) De par le Roi. Cher et bien aimé. Ayant oui les difficultés que
vous faites (( à l'établissement des religieux réformés de votre ordre,
que le sieur de Périgueux, abbé de l'abbaye de Nouaillé, veut instaUer
en ladite abbaye, étant en cela fondé en arrêt de notre Cour et Parle*
ment de Paris et sentence du lieutenant particulier de cette ville, com-
missaire pour l'exécution dudit arrêt, et pour ce que c'est chose qui
regarde l'honneur et le service de Dieu, et qui est de bon exemple, et
pour l'édification du public, nous avons voulu faire cette lettre pour
vous dire que nous désirons que les receviez et establissiez avec vous
pour y vivre selon leur institution et réformation et sans que vous y
apportiez aucun empêchement en cela à l'arrêt de notre dite Cour et à
notre intention, à quoi vous ne ferez faute. Donné à Poitiers ce 12 de
septembre 1615 ».
Signé : Louis ; plus bas, Philippcaux.
BiBL. Nat., Lat. 18397 : Recueil de chartes... tirées des manuscrits de
D. Fonteneau, t. XXII.
-^ 465 —
sortir de TofQce, convoqua pour le lendemaiQ à la même
heure les moines au chapitre, afin d*y délibérer sur l'in-
troduction de la réforme et d'élire un coadjuteur au prieur,
à qui son grand âge rendait impossible l'exercice de sa
charge.
Le prieur protesta dans la journée contre ce projet, et
déclara interjeter appel comme d'abus contre l'abbé de
Limoges et l'évêque dePérigueux. L'abbé persista dans sa
volonté d'établir la réforme voulue par la Cour ; et, le len-
demain, au sortir de prime, eut lieu l'élection qui créa
coadjuteur pour trois ans Dom Claude Jacquot, à charge
pour lui de 'favoriser la réforme (1).
L'abbé s'en retourna dans son abbaye, après avoir ins-
tallé ses moines réformés, mais sans prendre garde à leur
assurer des moyens de vivre: ils étaient donc entre les
mains des anciens religieux, qui ne se firent pas faute de
les accabler de privations, « leur mesurant le pain, leur
servant très peu de vin, et ne leur donnant qu'un seul
plat de légumes mal apprêtés ».
Durant l'hiver, les réformés étaient contraints d'aller
eux-mêmes faire la provision de bois dans la forêt, pour le
service de la cuisine ou des pièces chauffées.
Aucune plainte ne s'échappa de leurs lèvres ; aucun
d'eux ne songea à regagner Limoges, où ils auraient eu une
vie sinon commode, du moins pacifique.
Ce régime aurait duré peut être de nombreuses années,
si le Parlement de Poitiers, secrètement averti par quel-
que témoin de ces odieux traitements, n'y avait mis bon
ordre. La contrainte dura encore longtemps, dit Dom
Mège, et ne finit qu'à la mort des opposants les plus
influents (2).
Presque simultanément s'accomplissait la réforme de
(1) Bibl. nat. Latin, 18397, Papiers de Dom Fonteneau.
(2) D. Mëge, op. C27., anno 1615.
— 466 --
Noaillé et celle de Saint-Faron de Meaux (1). Dès l'année
1606, trois religieux de ce monastère, Dom Isaac Noyau,
Dom Nicolas Dagron et Dom Benoit Tristan avaient été
reçus à Saint- Vannes et y avaient fait profession selon la
nouvelle observance (2).
En 1615, Dom Isaac Noyau, allant à Paris, passa par son
ancien monastère, dont le prieur venait de mourir. La
tenue du moine réformé frappa ses confrères d'autrefois,
et ils furent si édifiés de sa manière de parler qu'ils lui
proposèrent de l'élire. Celui qui avait la chance de Télec-
tion parmi eux se désista volontiers en sa faveur. Dom Noyau
déclina modestement cette marque de confiance, en disant
qu'il ne pouvait quitter la Congrégation à laquelle il s'était
voué, et que, s'il était leur prieur, il ne pourrait souffrir
qu'on vécût autrement à Saint-Faron qu'à Saint- Vannes (3).
Les moines ne se tinrent pas pour battus ; ils écrivirent à
Dom Didier de la Cour pour obtenir son acquiescement à
leur projet, favorisé par l'évoque de Meaux. Le prieur de
Saint- Vannes consentit en principe à l'élection.
L'évéque de Meaux vint le 15 septembre à Saint-Faron
et y commença la visite canonique, qui aboutit à l'élection
de Dom Isaac Noyau. La réforme était donc décidée. Dom
Didier de la Cour envoya au prieur les deux moines de
Saint-Faron laissés à Saint-Vannes, ainsi que quelques
autres religieux en nombre suffisant (4).
Des difficultés survinrent de la part du vicaire général de
l'évoque, une sorte de maniaque, dit Dom Rhételois, qui,
s'imposant à Saint-Faron, en fit fermer les portes et se mit
à briser et à dilapider tout ce qu'il trouvait sous la main,
en haine des réformés. L'un des moines parvint à s'échap-
(1) L'abbaye de Saint-Faron fut bâtie l'an 672 sous le vocable de
Sainlo-Croix, auquel fut plus tard subsUtué celui de son saint fonda-
teur, qui y fut enlrrn^. D. Haudiqufr, op. cit., H* partie, note 31.
(2) D. Rhktelois, op. cit., t, IV, cbap. XII, p. 3, 4,5.
i'.V) D. Haudiqukr, op. cit., p. 2^ et suiv.
(4) D. Mège, Annales, ad a. 4G15.
- 467 -
per par une fenêtre et alla avertir révoque de ce qui se
passait (1). Le prélat arriva en toute hâte, accompagné des
magistrats de la ville, fit enfoncer les portes et réduisit
bientôt à rimpuissance son inconscient vicaire.
Les actes de la réforme furent dressés ; on envoya Tun
des moines à Paris pour les faire approuver et enregistrer
par Tautorité royale : après quelques tentatives de résis-
tance soudaine de la part de l'ancien religieux, qui avait
cédé à Dom Noyau son droit à l'élection, les actes furent
approuvés, et les réformés demeurèrent tranquilles posses-
seurs de l'abbaye de Saint-Faron.
La France semblait vouloir surpasser la Lorraine dans
Taccueil qu'elle faisait à la réforme de Saint-Vannes. Il y
avait une accalmie dans notre province, ou plutôt une
sorte d'expectative ; car, si nous n'avons pas, durant ces
années de 1613 à 1618, à enregistrer dt^ nouvelles adhésions
de monastères, le terrain se préparait lentement. Dès
1609, les moines du prieuré de Saint-Christophe de Lay
avaient adressé à Rome une supplique pour demander
d'être mis en nombre suffisant : c'était un pas vers
plus de discipline et vers la réforme. L'abbé Valla-
dier s'employait dans le même sens pour son abbaye de
Saint-Arnould ; à Belval, les moines réformés avaient
pris possession du prieuré (1614) ; à Nancy, on projetait la
fondation d'une abbaye nouvelle (2). Les derniers eHorts
de la communauté en détresse ne purent vaincre le mou-
vement général, et la vogue que les constitutions de Saint-
Vannes obtenaient à la Cour de France encourageait les
(1) L'évéquede Meaux était alors Joan du Vieux- Pont (1603-1623),
homme de zèle et do charité, grand ami des Bénédictins et partisan
zélé de la réforme (cf. D. Haudiquer, op. cit.. 2* partie, note 32).
(2) Il s'agit de l'abbaye dénommée plus tard Saint Léopold et dont
le duc Henri demanda la fondation ^i Paul V en 161 i-. Le Pape accorda
ce qu'on demandait le 29 décembre 1616. En 1617, on commença le
mur de clôture ; mais, à cause de l'opposition faite par les bourgeois,
les travaux ne furent repris sérieusement qu'en 1626. Cf D. Calmbt,
f^oiice de la Lorraine ^ art. Nancy [Bénédictins).
partisans de la réforme. On n'était pas, en effet, sans re-
marquer le changement rapide survenu dans les disposi-
tions du roi, jaloux et craintif pour son autorité quelques
années auparavant, et devenu, presque sans transition, un
zélé défenseur de ce qu'il prohibait alors par lui-même ou
par ses officiers. On peut attribuer une partie de ce
revirement à l'essai si heureusement tenté à Cluny, et en
renvoyer la gloire à Dom Laurent Bénard, dont le tact et
la ferme constance avaient grandement aidé Dom Didier de
la Cour dans cette circonstance. De Cluny était partie la
réforme de Limoges et de Noaillé; de Cluny, elle rayonna
également vers la Normandie, où elle pénétra grâce à une
rencontre inattendue et providentielle.
Dans le courant de l'année 1615, Dom Adrien ï^nglois,
moine de la célèbre abbaye de Jumièges (1), était venu à
Paris pour traiter diverses affaires. Etant entré dans
l'église du collège de Cluny pour y dire plus tranquille-
ment son office, il y trouva quelques religieux réformés,
dont la gravité et la modestie le frappèrent. 11 s'informa
de leur Congrégation et apprit tout ce qui s'était passé déjà
pour la résurrection de l'ordre, soit en Lorraine, soit en
France. Emu jusqu'aux larmes par le récit qu'on lui fai-
sait, il alla trouver Dora Bénard, qui acheva de l'enthou-
siasmer pour la nouvelle observance ; Dom I^nglois
résolut de travailler de tout son pouvoir à l'introduire
dans son abbaye.
De grands obstacles s'y opposaient, principalement: la
défense faite par le Parlement, en 1607, d'appeler à
Jumièges des moinéîs étrangers sous prétexte de réforme;
lesantiques usages du monastère, auxquels les religieux
refusaient de renoncer ; le peu de connaissance des
moines de Jumièges dans les sciences ecclésiastiques ;
(1) L'abbaye de Saint-Pierro de Jumièges romonle au vu' siècle,
époque il laquelle (c. 6i)Û| saint Philibert en Jeta les fondements sous
Clovis II et en (ut le premier abbé.
enfin, l'absence en Normandie d'une abbaye bien disci-
plinée.
Dom Langlois, élu prieur à peu de temps de là, n'en pensa
pas moins à son projet et alla en conférer avec l'archevêque
de Rouen (1). Celui-ci vint à Jumièges le 6 avril 1616, et
constata tout d'abord que le maître des novices titulaire
était curé d'une paroisse et ne pouvait ainsi s'occuper des
jeunes religieux. Il en prit occasion de persuader les
moines, rassemblés par lui au Chapitre, de la nécessité
d'une formation sérieuse pour les novices, et leur proposa
de demander deux moines lorrains qui pussent subvenir
à cette charge. Les moines y consentirent, et lui don-
nèrent acte écrit et signé de leur acquiescement, refusant
toutefois l'union de leur abbaye à la Congrégation lor-
raine.
Les délégués, aussitôt envoyés à Saint-Vannes, où ils
furent accueillis avec joie par Dom Didier de la Cour, lui
exposèrent le but de leur mission et obtinrent deux moi-
nes, Dom Anselme Rolle et Dom Maur Tassin, qu'ils em-
menèrent aussitôt. Placés à la tête du noviciat, les deux
Vannistes y réussirent parfaitement et rallièrent à la
réforme les opposants de Jumièges. Bientôt après, la
réforme fut résolue ; acte en fut dressé, sans cependant
aucune mention de la Congrégation lorraine, afin de ne pas
éveiller les susceptibilités du Parlement de Normandie.
Les moines déclaraient s'unir— autant que possible —aux
monastères de Noaillé, Limoges, etc. Malgré cette précau-
tion, le Parlement s'émut et chercha à inquiéter les réfor-
més ; ses tentatives furent vaines, l'œuvre subsista (2).
Louis XIII, cette même année, renouvela l'assurance de
sa protection envers la Congrégation de Saint- Vannes, en
évoquant, par ses lettres patentes du 28 octobre 1616, toutes
les causes de cette Congrégation à son Grand Conseil. Ces
(1) François do Harlay.
(2] D. MfeoE, Annales, anno 1615-1616.
— 470 -
lettres reconnaissaient, comme réformées en France, les
abbayes de Beaulieu en Argonne. Saint- Augustin de Limo-
ges, Saint-Julien de Noaillé, Jumièges et le Collège de
Cluny à Paris (1).
Dom Didier de la Cour, tout en suivant avec bonheur ce
développement inespéré de la réforme, ne laissait pas d'être
très attentif à ce que Tesprit initial qui avait animé son
œuvre se gardât dans toute son intégrité, et ceux qui le
secondaient dans Tadministration de la Congrégation par-
tageaient les mêmes préoccupations. Nous en avons la
preuve dans les ordonnances successives des Chapitres
généraux, qui, moins attentifs aux détails si importants au
début, sentent la nécsssité de fortifier les points essentiels
des constitutions, et ne craignent pas d'y revenir davan-
tage et d'une manière plus rigoureuse, à mesure que la
Congrégation s'étend au loin. Des relations nouvelles se
créent, les visites des étrangers se multiplient ; il y a là un
péril pour l'esprit religieux et pour l'observation de la
règle. Le Chapitre général de 1616, après avoir conGrmé
les ordonnances du précédent, rappelle aux supérieurs le
devoir qu'ils ont de veiller à l'observance, spécialement au
silence, aux sorties, aux pertes de temps ; ils les veut très
attentifs pour les permissions à donner aux moines, quand
il s'agit de prendre des repas avec les étrangers, séculiers
ou réguliers, ou de converser avec eux (art. 1). Il leur pres-
crit la sévérité à l'égard des rebelles, des désobéissants, et,
au cas où ceux-ci manifesteraient du mépris pour les puni-
tions qu'ils auront jugé bon de donner, les supérieurs
locaux devront, du conseil des Anciens, en référer aux
Supérieurs majeurs. 11 ordonne que, là où elles n'existent
pas, on crée des cellules ou prisons monastiques (art. 2).
A l'égard des conversations sur les défauts des personnages
du temps, le Chapitre accentue les défenses et les peines
(I) Aroh. nat. G'J. 533. Histoire abrégée, etc.
— 471 —
déjà établies contre les délinquants incorrigibles (art. 3).
Les Supérieurs n'approuveront les jeunes religieux pour
la prédication, que lorsque ceux-ci en auront fait un long
exercice en présence des anciens du monastère (art. 5) .
Enfin, les Visiteurs auront soin que leurs ordonnances
soient mises en pratique avant leur départ du monastère
où ils les auront portées (1).
En 1617, le Chapitre régla quelques points de liturgie
concernant ou bien diverses fêtes : saint François (art. 1),
TExaltation de la Sainte-Croix, dans laquelle le jeûne doit
être observé, à moins que cette fête ne soit celle du patron
ou du titulaire de l'abbaye (art. 7), ou les anniversaires
des défunts (art. 2 et 3). Il défend l'accès de la cuisine à
tous les moines, qui devront prendre en silence au réfec-
toire tout ce que la règle ou l'autorité leur permettent de
prendre hors des repas.
(1) Au Chapitre général, les Déûniteurs eurent un assez grand nom-
bre de questions à résoudre sur l'interprétation de divers points des
constitutions. Ces quesUons étant ou locales ou de peu d'importance,
nous n'avons pas cru nécessaire de les rapporter dans ce travail, des-
tiné à suivre le développement et l'adaptation des articles généraux
empruntés aux constitutions cassinicnnes, base des constitutions de
Saint- Vannes. II y a bien dans, ces décrets, de nombreux articles qui
s'adressent plutôt au cérémonial ou aucoutumier qu'aux constitu-
tions ; nous les avons respectés pour ne pas ébrécher par trop l'en-*
semble des décisions capitulaires.
CHAPITRE VI
La réforme lorraine désirée hors de France, spécialement en Belgique :
origines de la Congrégation de la Présentation de Notre-Dame. — Ereo
tion de la Congrégation gallicane parisienne, 1618. — Chapitre géné-
ral de 1618. — Réforme de Scnones et de Salnt-Arnould de Metz. —
Réforme du Breuil. — Chapitre général do 1630 et 1621. ~ Réforme
de Saint-Remy de Reims et de Moircmont — Projet de retraite de
Dom Didier de la Cour : ses travaux, sa sollicitude pour les études. —
Règlements édictés à ce sujet par le Chapitre de 1622. — Dom Didier
de la Cour se prépare ô la mort. — Réforme du Saint-Mont, 1^3. —
Maladie et mort du Réformateur. — Conclusion.
Bien que nous ne puissions ici exposer dans le détail
tout ce qui sortit de la réforme lorraine et de l'œuvre de
Dom Didier de la Cour, nous ne croirions pas avoir rendu
suffisamment hommage à ses mérites, si nous ne signalions
pas l'influence heureuse qu'elle eut, même au loin, sur des
provinces étrangères à la France.
De Souabe et de Bavière on vint consulter le prieur de
Saint-Vannes pour l'érection des Congrégations bénédic-
tines qui y renaissaient. Du Mont Cassin, le Président delà
Congrégation de Sainte Justine s'intéressait aux bénédic-
tins d'Angleterre, et demandait à Dom Didier de la Cour
de vouloir bien admettre, dans les noviciats lorrains, des
moines anglais, qui ensuite iraient travailler aux missions
de leur pays, ce qui lui fut accordé facilement (l). La Bel-
gique, si proche de la Lorraine, devait principalement res-
sentir l'heureuse influence de la réforme de Saint- Vannes.
Deux abbés belges, ceux de Saint-Hubert en Ardennes et
de Saint-Denis près de Mons en Hainaut, conçurent le pro-
jet d'introduire l'observance de Lorraine dans leurs mo-
nastères et même, si c'était possible, de les unir à la Gon-
(1) D. Calmet, Bipl, lorr., art. François.
à
I
— 473 -
grégation nouvelle. Ils comptaient sans le gouvernement
et sans les évêques (1).
Nicolas Fanson, moine de Saint-Hubert (2), religieux à
la fois très savant et très attaché aux pratiques de la régu-
larité^ rêvait une vie plus austère que celle de son abbaye,
où cependant régnait une bonne observance. Il pensa à
entrer cliez les Chartreux et fit part de son projet à Tun de
ses confrères, Dom Louis Viset, qui l'eu détourna, en lui
laissant espérer pour Tabbaye une réforme salutaire, et en
lui faisant part de son désir d'entrer à Saint Vaones. L'un
et l'autre sollicitèrent leur admission dans la Congréga-
tion lorraine. C'est alors que Jean de Masbourg, abbé de
Saint-Hubert, étant mort inopinément, le 29 janvier 1611,
Dom Fanson fut élu pour son successeur. Aussitôt après sa
bénédiction, le nouvel abbé mit la main à l'œuvre de la
réforme, en commençant par retrancher certains abus qui
existaient encore.
Au début de l'année 1612, il envoya Dom Viset à Verdun,
sans avouer aux moines le but de cette mission. Ils furent
bien étonnés quand, l'année suivante, ils virent leur
confrère rentrer parmi eux et recevoir la charge de sous-
prieur (août 1613). L'intention de l'abbé se fit manifeste
alors, mais cette manière de procéder à la dérobée lui
avait aliéné les esprits ; il dut s'appuyer sur l'autorité du
nonce, Antoine Albergati, qui lui écrivit en faveur de son
projet le 20 avril 1614, et sur l'intervention du Prince-Evô-
que de Liège qui vint faire la visite à Saint-Hubert, pour
ramener la paix parmi ses moines.
(1) Dom Ursmer Bcrlière a écrit l'histoire de cotte réforme de la
Présentation de Notre-Dame, faussement appelée, par divers auteurs,
Réforme de Saint-Placide. V. Siuiien und MiiUieil. aus dem bene-
dictiner Orden, 4886, pp. 414-432, et Revue bénédictine, années 1896 et
1897.
(2) Nicolas Fanson, né en 1575, avait été tout d'abord attaché au
service do l'abbé de Saint-Hubert ; en 1608, il avait demandé son
admission dans la communauté.
31
— 474 —
Après le départ du prélat, Tabbé Faason écarta quelques
religieux opposants et reçut quatre postulants qu'il confw
à Dom Vise t. Non content de cela, il obtint de Paul V, en
date du 11 avril 1613, un bref lui accordant libre recours
au Saint-Siège contre quiconque voudrait s'opposer à son
louable désir de réforme (i). Fort de ce document, sans
tenir compte de la juridiction épiscopale, dont l'abbaye
n'était pas exempte, l'abbé appela les Supérieurs de Lor-
raine pour introduire la réforme. Cette précipitation com-
promit tout. Les Supérieurs de Lorraine, venus à Saint
Hubert, s'y heurtèrent à une vive opposition des religieux
anciens qui, dispersés dans les prieurés dépendants de
l'abbaye, étaient rentrés dans celle-ci à la nouvelle de
l'arrivée des moines étrangers, et y revendiquaient ferme-
ment leurs droits capitulaires. L'abbé dut céder et les
Supérieurs de Lorraine, se retirer.
Le Prince-Evôque reprit cependant l'œuvre de Dom Fan-
son, et, après plusieurs visites et conférences, un accord
fut dressé entre l'abbé et ses moines (le 21 avril 1618). Il
y était décidé que le noviciat maintenu à Saint-Hubert
serait confié aux Pères réformés, que les moines anciens
seraient libres de vivre selon les anciennes traditions du
monastère, suppression faite de certains abus, que les nou-
veaux profès émettraient leurs vœux selon la réforme et
qu'enfin l'abbé pourvoirait à l'entretien des moines qu'il
enverrait dans les prieurés, lesquels moines y conserve-
raient leur voix active et passive pour les élections du Cha-
pitre de l'abbaye. Les conflits seraient désormais portés
devant l'Ordinaire, qui en serait juge (2).
Le 14 juin suivant, deux Pères de Lorraine arrivèrent en
(I) Dom Ursmer Bcrlière a publié ce bref, avec la \eV jo Bellar-
min le transmettant à son destinataire. Le cardinal c / excuse de
n'avoir pu obtenir du Pape la peine de l'excommunication contre les
opposants de la réforme. Revue bénédictine^ juin 1896.
•^2) Revue bénédictine, loc. cit.
- 475 —
Belgique et six postulants reçurent Thabit de la réforme à
Saint-Hubert.
De Saint-Hubert la réforme passa à Saint-Denis, où un
noviciat fut érigé sous la direction des Vannistes (1), à
Saint-Adrien de Grammont (2), à Afflighem (3), et ces
diverses abbayes (à l'exception de Saint-Hubert, soumise à
rOrdinaire), en suite du concordat signé à Afilighem le 26
août 1628, formèrent la Congrégation de la Présentation
de Notre Dame (4).
En France, on pensait sérieusement à Térection d'une
Congrégation. Au point de vue de Tunité de gouverne-
ment, les monastères éloignés offraient de véritables diffi-
cultés. Dans plusieurs il n'avait pas été question des Supé-
rieurs lorrains, soit pour ménager la susceptibilité des
religieux, soit pour ne pas attirer l'attention des Parle-
ments provinciaux. D'autre part, Dom Didier de la Cour et
ceux qui partageaient avec lui la responsabilité du Régi-
me ne pouvaient se désister d'une surveillance nécessaire
sur les maisons qui adoptaient leur observance, et où plu-
sieurs de leurs sujets se trouvaient établis. Enfin, l'exten-
sion de la réforme en France trouverait, à la longue, des
obstacles dans la sujétion à une autorité étrangère.
fl) Le noviciat avait été confié à Dom Maihias Pothier d'abord, puis
à Dom Cliarles Cuny, profès de Moyenmoulier, le 6 mai 1612. Dom Cuny,
qui avait travaillé ^i la réforme de Saint-Remy de Reims, fut envoyé
de là .'i Saint-Denis en Broqucroie. Plus tard il dirigea le noviciat
d'Afflighem et remplit à plusieurs reprises les charges de Visiteur et
de secrétaire dans la Congrégation belge. Il mourut à Saint-Adrien de
Grammont, le 7 décembre 1641. Revue bénédtcline, novembre 1896. La
réforme fut introduite en 1623 k Saint-Denis et, le 2*« mars 162j, Dom
Mathias Pothier y reçut, au nom de l'archevêque de Cambrai^ la pro-
fession des réformes.
(2) 1627.
(3) 1627.
(4) Le noviciat se fit dans ces divers monastères avec les Exercices
spiritveh de Dom Philippe François, dont on imprima en 1626 une
édition aux frais des abbayes do Saint-Denys et de Saint-Hubert.
Revue bénédictine^ loc. cit.
— 476 —
Toutes ces considérations amenèrent le Chapitre général
tenu à Saint Mansuy de Toul, sous la présidence de l'évé-
que (1), au commencement de mai 1618, à formuler le
désir de voir les monastères de France s'unir entre eux :
les moines lorrains ne cesseraient pas pour cela de prêter
leur concours au rétablissement de la discipline et du
véritable esprit monastique, là où on les appellerait.
Aussitôt après ce Chapitre, Dom Laurent Bénard, prieur
du Collège de Cluny, et Dom Anselme Rolle, de retour
à Paris, tinrent une assemblée des Supérieurs des monas-
tères réformés de France, et se formèrent en Congrégation
sous le titre provisoire de gallicane parisienve (2).
Dom Laurent Bénard fut nommé Procureur, et chargé, à
ce titre, des démarches à faire en cour de Rome et auprès
du roi, pour Térection canonique et légale de la Congré-
gation. Il fit le serment d'obéir à la nouvelle Congrégation,
réserve faite des autres vœux à émettre plus tard. L'assem-
blée décida enfin qu'on ferait droit à la demande de réfor-
me de l'abbé de Saint-Germain des Prés (3), à condition
qu'il remettrait les bâtiments en état convenable (4).
Le roi ne tarda pas à donner les lettres patentes d'érec-
tion légale de la nouvelle Congrégation, et le premier
Chapitre général des Supérieurs qui en faisaient partie, se
(i) Mgr des Porcelets de Maillane, abbé commendataire de Saint-
Mansuy, dont le dévouement envers les Bénédictins n'avait point faibli
un instant. D. Rhételois, op. cit.^ t. IV, eh. 12, p. 7.
(2) D. MfeGE, op. cit., ad a. 1618 ; cf. D. Haudiqubr, op. cit. y p. 235.
(3) Depuis plusieurs annéos, les moines de Saint-Germain des Prés
avaient demandé aux Bénédictins de Lorraine de leur envoyer quelques
religieux pour introduire la réforme. Le nonce de France s'était entre-
mis, sur la fin de 1613, pour obtenir cette réforme, sur le désir de la
reine qui, peu de temps après, en mai 1614, écrivit elle-même au Pape
dans ce sens.
Cf. Bibl. Ângcllca, 1224, Lettre du 22 décembre 1613 au Nonce de
France. Voir aussi la lettre de la reine au Pape dans Revue bénèdtc-
tine, janvier 1901 : La Congrégation de Chezal- Benoît, par Dom U. Ber-
.lièrc.
(4) 1618.
— 477 —
réunit au monastère des Blancs Manteaux (1), le 2 novem
bre de cette môme année 1618 (2), sous la présidence de
Dom Claude François, délégué de Saint-Vannes.
Le monastère choisi pour le lieu du Chapitre venait
d'entrer depuis peu dans la voie de la réforme ; il était la
première conquête des moines réformés de France, qui, en
quelques années, occupèrent quarante-cinq maisons divi-
sées en trois provinces : France, Aquitaine. Bretagne.
Ce ne fut cependant qu'en 1621, par ses bulles du 17 mai,
que le pape Grégoire XV érigea canoniquement la Congré-
gation gallicane, devenue depuis la Congrégation de Saint-
(1) Ce monastère, ainsi appelé à cau^e des manteaux blancs que por-
taient les premiers religieux, dont le véritable nom était Sei'vites ou
Serviteurs de la Vierge, abolis en 1297 par le Concile de Lyon, avait été
fondé en 1252 II passa aux Guillelmites, qui le conservèrent jusqu'à la
réforme. A ce moment, il était dans un triste état temporel et spiri-
tuel ; en vain, le provincial de Flandre, Dom Etienne Léomel, avait-il
essayé de relever l'observance dos religieux. Ceux-ci, pour lui échap-
per et éluder ses décrets, firent des démarches en vue de céder leur
monastère aux Fouillants : l'acte était rédigé, mais le mnltre des sceaux,
M. Brulart, qui avait quelque droit en l'église des Blancs- Manteaux,
où ses parente étaient enterrés, refusa de sceller le contrat et dénonça
les intrigues de l'atlalre au IVésident Mole. Celui-ci fit venir l'un des
religieux, D. Wespereau, lequel autrefois avait étudié à Verdun et pos-
tulé l'entrée à Saint-Vannes, et lui demanda quelles étaient les causes
de ces intrigues et quel remède il serait opportun d'y apporter. Dom
Wespereau n'hésita pas : il conseilla de faire venir des moines van-
nistps. M. Mole entra dans ses vues; les Guillelmites eurent beau
s'agiter, ils leur fallut accepter, pour ne point passer par les enquêtes
dont leurs scandales passés les menaçaient. Les GulUelmites belges se
retirèrent; des moines furent envoyés il D. Martin Tesnière, prieur de
Sainl-Faron, le priant d'agréger à la nouvelle Congrégation le monas-
tère des Blancs-.Manteaux. L'acte d'union fut signé le '2 septembre 1618.
ri) Anno Domini millesimo sexcentesimo decimo octavo, die 2'» novera-
bris, convenerunt in monaslerio .-VIborum Mantellorum Patres Bene-
dictini monasterii S. Auguslini Lemovicensis, S. Justiniani Nobiliacen-
sls, Collegli Cluniacensis, S. FaronIs Meldcnsis, S. IVtri Gcmmeticensis
et Alborum Mantellorum in prœsenlia R. P. Claudii Francisci Prioris
S. Michaêlis a Si" Michaêle in Lotharingia, deputali a Congregationo
SS. Vitoni et Hydiilphi, ut darent initium Congregationi GalliciE Pari-
siensi ubi elecli sunt in Superlores regiminis : Supcrior, D. Martinus
Tesnière ; Coadjutoros Superioris, 1). Laurentius Benard, D. .Vnselmus
Rolle. Bibl. nat., Lat., 1.38')2, EI»'Cliones Capitul )rum Generalium Con-
gregationis S. Maurî.
— 478 -
Maur, la rendant participante des privilèges de celles du
Monl-Cassin et de Sainl-Vannes.
Le Chapitre de Saint-Mansuy, en consentant à détacher
de la Congrégation vanniste les monastères de France,
réservait son droit sur les moines employés à la réforme et
momentanément envoyés hors de Lorraine ; il renouvela
le mandat de ces religieux, dont la plupart revinrent, dans
la suite, au berceau de leur profession. Seuls, les religieux
originaires de France se stabilisèrent pour la plupart dans
les nouveaux monastères du royaume. Les rapports offi-
ciels entre les deux Congrégations ne cessèrent que lorsque
celle de Saint-Maur fut assez forte pour se suffire; mais,
pendant près de dix années, il y eut toujours un moine
lorrain, comme représentant de la Congrégation de Saint-
Vannes, aux Chapitres généraux français.
Parmi les quelques ordonnances de 1618, notons celle
qui recommande aux Supérieurs d'exiger (là où cela se
pourra facilement) des parents des novices, avant la pro-
fession de ceux-ci, le serment de protéger en toute circons-
tance la Congrégation et d'avertir les Supérieurs de ce
qui serait de nature à les intéresser pour leur gouverne-
ment (art. 1). La réception des novices ne se fera qu'après
la visite du médecin (art. 4), ainsi qu'il a déjà été ordonné.
En l'absence du Supérieur, le moine choisi par lui sera le
dépositaire de l'autorité (art. o). Quand les religieux iront
en voyage, le supérieur devra leur remettre, avec des lettres
testimoniales, tout ce qui leur sera nécessaire pour la
route (art. 2).
Le Chapitre avait également enregistré l'union de
l'abbaye de Senones qui, après bien des luttes et des diffi-
cultés, avait fini par laisser pénétrer des moines de Saint-
Vannes (26 mars 1618). Un accord avait été signé entre les
anciens et les réformés, mais les premiers ne tardèrent
pas à se repentir de l'acquiescement donné par eux à la
volonté de Tévèque de Toul. Une requête fut envoyée à
■ — 479 —
Rome à la Sacrée Congrégation des Evoques et Réguliers,
pour la supplier d'ordonner audit prélat, a lequel a intro-
duit des moines réformés dans le monastère de Senones
sans Tautorisation du Saint-Siège et sans le consente-
ment de l'abbé », de rappeler ces moines et de les ren-
voyer dans leurs monastères respectifs. Il était demandé,
en outre, que, selon le contrat dressé, les revenus dont les
anciens durent rendre compte depuis 1603, fussent mis en
commun et ne fussent pas consacrés aux seuls réformés (1).
La Sacrée Congrégation répondit, en date du 9 octobre
1618, de « garder la teneur deTaccord ». Or, comme elle ne
parlait pas du renvoi des réformés, une nouvelle supplique
lui fut adressée, insistant sur ce point que les moines intro-
duits mettaient, par leur manière de vivre particulière, le
désordre dans la maison, et refusaient Tobéissance à
l'abbé. Rome renouvela sa réponse du 9 octobre, « de garder
la teneur de l'accord selon le décret précédent (2, » (16 no-
vembre 1618). Les moines ne revinrent pas à la charge. .
Un mois après cette réponse pour Senones, le 22 décem-
bre, l'évêque de Toul recevait un bref lui ordonnant d'in-
troduire la réforme dans le monastère de Saint-Arnould
de Metz (3). A son défaut, l'exécuteur du bref devait être
N. Coëffeteau, évêque de Dardanie et suflragant de Metz.
(1) Arch. Gong. Ev. et R<''g., ad a. i618, lettre T.
(2) Ibid.
(3) Paul V, en ordonnant la réforme de l'abbaye, laissait les moines
libres de l'accepter : ceux qui l'adopteraient auraient droit de voix
active et passive; les autres, de voix active seulement. En cas d'insufTi-
sance de religieux, on en ferait venir d'autres monastères, et ces moines
auraient à Saint-Arnould les mômes droits que ceux dont ils auraient
joui dans leur monastère de profession. Les novices seraient congédiés,
ou, s'ils voulaient accepter la réforme, ils seraient envoyés dans des
monastères de réformés pour y achever lour noviciat et y faire leur
profession selon la nouv-^lle observance : aucun post'ilant ne serait
admis désormais sans promettre do vivre selon la réforme. Quant aux
abbés, ils seraient nommés selon le nouveau régime,. si l'abbaye l'ac-
cepte; sinon, leur nomination reviendrait au Saint-Siège. Enfin, les
opposants devraient être réduits à l'acceptation par les peines du
droit. Le bref était signé de Sainte-Marie-Majeure.
— 480 —
La primitive église de Tabbaye de Saint-Arnoul, consa-
crée en rhonneur de saint Jean TEvangéliste, et détruite
vers le milieu du v* siècle, avait été rebâtie parl'évêque de
Metz saint Goëric, qui y avait fait apporter le corps de son
prédécesseur saint Arnoul, mort au Saint-Mont près de
Remireraont. Ce fut l'origine de son nom. L'évèque y
plaça des chanoines, qui y demeurèrent jusqu'au milieu
du x« siècle, époque où, leur ferveur s'étant relâchée,
Adalbéron les remplaça par des Bénédictins. Le premier
abbé du nouveau monastère fut Arbert ou Héribert, moine
de Gorze, en 941. La fondation fut confirmée par l'empe-
reur Othon à deux reprises, en 941 et 949, et le pape
Léon IX fit au siècle suivant (1049) la dédicace de la nou-
velle église, qui devint le tombeau de nombreux prin-
ces (1).
Jusqu'en 1552, l'abbaye royale de Saint-Arnoul fut flo-
rissante, au point de vue temporel du moins (2), car, à
plusieurs reprises, des tentatives de réforme durent y être
faites (3). Mais, au moment des guerres du xvi^ siècle, le
gouverneur de Metz, François de Guise, après avoir trans-
porté les corps des saints et des princes, de l'église de
Saint-Arnoul dans celle des Dominicains, y fixa égale-
ment les Bénédictins, et fit raser leur église et leur monas
(1) D. Calmet, Notice de la Lorraine, art. Metz ^ Suint- Arnould,
(2) Elle était cotée à 7,000 livres au Poulllô général : Bibl. nat.,
Moreau, 783-4. A Rome, elle était taxée à i,400 Oorins. Bibi. ang., 112,
TaxsB monasteriorum.
(3) Nous avons déjù parlé de ces essais infructueux, particulièrement
de ceux d'Adhémar de Montcil, évoque de Metz, en 1332, et de son
successeur, Conrad Bayer de Boppart, en 1433, lequel rédigea quelques
statuts, de concert avec Tabbé de Saint-Mathias de TH^ives, Jean de
Rhodes, « personnage fort vertueux et lequel avait été auteur de la
Congrégation réformée de Bursfold en Allemagne ». Un nouvel essai, à
la fin du même siècle, fut tenté par Georges do Baden, qui invita les
abbés de Mclz à l'assemblée générale de la Congrégation de Bursfeld.
Enfin, on se souxyent des statuts rédigés par les abbés de Metz pour
échapper en lo95 à l'autorité du cardinal-légat. Cf. D. Pikrre des
CaocHETS, Histoire de l'abbaye royale de Saint-Arnoul : Bibl. Epinal,
ms. 36.
— 481 —
tère, comme étant de nature à servir de poste avancé pour
les ennemis.
A la mort de Charles de Senneton, 41^ abbé bénédictin
selon la Gallia, André Valladier, dont le talent oratoire
et la science étaient alors en fçraude renommée au pays
messin (1), fut sollicité par les moines de Saint Arnoui
pour être leur abbé, contre Charles et Louis de Senneton,
frères du défunt. Celui-ci avait poussé à une ruine com-
plète l*abbaye, déjà grevée, et Ton craignait avec raison le
gouvernement de ses frères (2).
Le pape y consentit par ses buljes du 5 novembre 1613, à
C3ndition que Valladier ferait un noviciat, après avoir reçu
l'habit bénédictin, et émettrait la profession religieuse.
Celle-ci eut lieu le 29 avril IfîlD à Notre-Dame du Puy, et
Tannée suivante, le 26 mars, le nouveau profès reçut la
bénédiction abbatiale à Clermont. Les premières années de
cet abbatiat furent pleines des procès que Valladier eut à
soutenir, soit avec les magistrats de Metz au sujet de
prééminences et immunités diverses (3), soit avec des reli-
(1) Né à Saint-Pol dans le Forez en 1o65, André Valladitîr, après de
bonnes études, se rendit à .\vignon et entra dans la Compagnie de
Jésus en 1586. Prédicateur en vogue, il quitta Avignon à la suite de
quelques difficultés avec son Recteur, vint à Lyon, Moulins, Dijon, puis
de nouveau à Lyon. Après de nouveaux différends avec son supé-
rieu»», il quitta la Compagnie en 1(508 et se rendit à Rome, pour reve-
nir ensuite à Paris, où il devint prédicateur ordinaire du roi. Le car-
dinal de Givry, nommé évéque de Metz, le fît son vicaire général.
D. Calmet, Hibl. lorr., art. Valladier.
(2) Voici les raisons exposées par les moines de Saint -Arnoui pour
obtenir confirmation de rélcction précipitée de Valladier, dont ils font
un pompeux éloge : !• le brevet royal obtenu par le sieur de Senne-
ton ; 2" la gloire de Dieu et le Bien de la réforme ; 3* le désir de rete-
nir à Metz ce prédicateur si redoutable aux hérétique** et si aimé de
ses concitoyens ; 4' le sieur de Sonneton serait le candidat dos héréti-
ques ; 5" l'élection de Valladier sauvera le spirituel et le temporel de
l'abbaye ; H* le relèvement de 1 illustre monastère de Saint-Arnoul
entraînera celui des autres'; 7" cette élection fait la joie de toute la
ville. Suit un e^^posé des souffranc«^s du passé. Bibl. nat., Lorr., 3i(>,
Saint-Arnoul, fol. 136-iO.
(3) ïbid.
— 482 —
gieux, dont Tenthousiasme du premier jour passa à l'excès
opposé. Les pires accusations furent portées en cour du
roi contre Valladier. Les moines demandèrent par leur
procureur et confrère, Dom Pètre, que François de Lor-
raine fut nommé coadjuteur de Valladier (27 avril 1618) ;
le 30 du même mois, ils retirèrent leur demande. Quelques
mois après, c'est à Rome même qu'ils portèrent leurs
plaintes et leurs accusations. Heureusement, Valladier y
fut défendu par le prince Erric de Lorraine, qui, par ses
lettres du 8 août 1618, réduisit à néant les accusations des
moines. Ceux-ci envoyèrent alors un Procureur, Dora
Christophe Fletot, prévôt de Téglise collégiale de Saint-
Thiébaut de Metz, pour soutenir leur cause auprès du Saint-
Siège (acte du 5 octobre 1618) (1).
Pendant ce temps, François de Lorraine à qui, par
traité du 13 septembre, André Valladier cédait son droit,
obtenait ses bulles de prise de possession, le 13 septembre
1618, recevait du roi ses lettres d'attache le 27 octobre, et
prenait de fait possession, malgré l'opposition des reli-
gieux, en décembre 1618 (2). La réforme le suivit de près.
Le 6 février 1619, le roi donnait ses lettres pour l'exécution
du bref du 22 décembre ; des pourparlers eurent lieu entre
les religieux de Saint- Arnoul et les Vannistes, et un traité
inUrvint le 2 octobre 1619 (3).
Le 11 novembre suivant, notification fut faite, aux
moines, du bref de Paul V et de la volonté du roi, par le
président du Parlement de Metz, et, le même jour, Coëffe-
(1) Bibl. nat., Lorr., 327, Saint-Arnoul, fol. 114-127.
(2) Ibid.
{A] D. Calmet, Nolice de la Lorr., art. Valladier. Voir là la suite
dos difficultés entre l'abbé do Saint -Arnould et ses moines. Valladier
essaya en UVSS de fonder une abbayo, avec dix moines, réformes dans
l'égliso do Suinte Barl>o près de Metz. Les revenus n'y suflisant pas,
cotte égliso fut donnée aux Frères mineurs par traité du 22 décembre
1(U)3, ratilié au Chapitre général de i()6t ; mais le roi s'opposa à son
exécution. Los Hénédiclins durent reprendre leur église. Valladier
mourut en IGiW. Jbid.
- 483 —
teau, évèque de Dardanie, introduisit ofTiciellement les
moiaes réformés dans la royale abbaye. La paix ne fut pas
complète pour cela ; il y eut, dans la suite, des diflicultés
pour l'exécution des traités passés entre Tabbé et les
moines, et ce fut seulement en 1631 que tous les différends
prirent fin.
L'évéque Jean de Maillane travaillait avec ardeur à la
réforme des maisons religieuses partout où son zèle était
désiré. Dans le courant de cette môme année 1619, à la
requête de Dom Claude Riquechier, prieur de Saint-Evre,
Tun des plus actifs soutiens de la Congrégation bénédic-
tine lorraine, il introduisit la réforme dans le prieuré de
Notre-Dame du Breuil, près de Commercy (1). Le plan du
prieur était d'y installer un séminaire d'études pour les
jeunes moines, la Congrégation n'étant pas assez riche
pour réaliser le projet d'une maison d'étudiants à Pont-à-
Mousson (2). Les études théologiques furent installées, en
effet, au Breuil, et y demeurèrent jusqu'à l'invasion des
Suédois : quelques monastères avaient, pendant ce temps,
conservé leurs cours d'études ; après cette époque, on ne
laissa au Breuil que les cours d'humanité et de grammaire.
L'impulsion que cette fondation donna aux études, fit
réclamer presqu'aussitôt un tempérament, et le Chapitre
général de 1620 défendit de compromettre la formation
religieuse des jeunes moines en les appliquant aux études
aussitôt après la profession. Il fut décidé qu'on les laisse-
ruit encore un an aux exercices du noviciat et que, pen-
dant cinq ans, tout en suivant les cours de philosophie
et de théologie, ils seraient soumis ù l'autorité du maître
des novices lart. 5). Le correctif mis au zèle indiscret de
quelques supérieurs, en ce qui concerne les études, dut
(1) D. Calmbt, Malice de la Lorr., art. Breuil et liibl. Idrr.y art.
Riquechier. «
• (2) V. Chapitre général de 4606 : projet de D. Claude François,
V* partie, ch. VI.
— 484 —
également être appliqué à d'autres points de leur prouver
nement. Plusieurs, désireux sans doute d*appuyer les nou-
velles réformes rep:ardant la liturgie, avaient cru bon de
faire disparaître jusqu'aux vestiges des coutumes ou tra-
ditions anciennes. Le Chapitre (art. 4) décida que l'on 1
conserverait avec soin les ornements sacrés faits à Tan- i
cienne mode, ainsi que les manuscrits, et défendit aux
supérieurs de les vendre ou disperser sous aucun prétexte.
Réprimant le désir de la nouveauté, qui hélas ! prévalut
plus tard, il prohiba tout changement dans les édifices des
monastères et dans les antiques usages, sans 4a permis-
sion du Régime (art. 4, fin) ; il ordonna de suivre, pour les
nouvelles constructions, la lettre des constitutions, en évi-
tant les dépenses superllues (art. (>). Enfin, il réprima tout
ce qui, dans Tameublement des monastères, pouvait b\e^
ser la simplicité (art. 7).
D'autre part, il encouragea le zèle pour roftice divin, en
prescrivant de chanter la messe conventuelle tous les jours
sans excuse, \k où il y avait cinq religieux en plus du Supé
rieur (art. 1). de réciter les Litanies après les psaumes de
la Pénitence en carême (art. 2), enfin, de députer, dans
chaque monastère, un religieux chargé d'enseigner la
psalmodie et le chant (art. 3).
Le (Chapitre de lt):il ne fut pas moins formel sur la place
prépondérante à gardera l'oflice divin, qui, dès le com-
mencement de la réforme, avait été l'objet princii)al des
soins et de la surveillance des supéi-ieurs : les monastères
de Saint Evre de Tout, de Saint-Pierre de Senones, de
Saint-.Vrnoul de Melz, furent nommément rappelés aux
Déclarations sur la psalmodie (art. i), et il fut expressé-
ment défendu de se servir du prétexte des éludes, pour se
dispenser de l'ofTice divin iibid).
La vigilance des supérieurs fut de nouveau réveillée sur
l'observance de la Règle et des constitutions (art. 2».
Chacun d'eux fut invité à donner à toute sa communauté.
- 485 -
une fois par semaine, une conférence sur la Règle (art. 6),
el, au cas où, dans le courant de Tannée, la discipline ten-
drait à se relâcher en quelque monastère, le Régime devrait
y pourvoir en nommant un délégué chargé de faire toute
diligence pour remédier au mal ; ce délégué ne devrait
point quitter le monastère en danger, avant que la disci-
pline y fût en meilleur état.
Une grave question qui, jusque là, n'avait pas eu lieu
d'être agitée, et qui devait Tètre vivement quelques années
après la mort de Dom Didier de la Cour se posa, aux capi-
tulants. L'un des décrets intimés par le cardinal de Lor-
raine, en 160C, portait que les supérieurs des monastères,
après cinq années de gouvernement, devraient rentrer
dans la vie commune et vaquer deux ans de la supériorité.
Pendant plusieurs années, ce décret ne fut point observé,
faute de sujets pour remplir les charges ; mais, dès 1611,
Dom Didier de la Cour avait donné l'exemple de la soumis-
sion à cette règle en refusant toute autorité. Dans la suite,
grâce aux fondations nombreuses qui se présentaient, on
continua les supériorités au delà de cinq ans ; mais, en
1621, devant la multiplication soutenue des professions, le
Chapitre général dut reprendre le décret de la vacance et
déclara que le « nombre croissant des religieux le rendait
désormais exécutable » ; et, de fait, il releva de leurs
charges « plusieurs supérieurs pourtant très méritants » ;
il déclara, en outre, que cette loi s'appliquait aussi bien
aux doyens des monastères qu'aux supérieurs (art. 4 et
5)(1).
(1) Cette question de la quînqucnnalité des supérieurs, paciOquement
trail(^e en ce Chapitre, fut une source de différends entre les continua-
teurs de l'oBuvre do Didier de la Cour. Lui présent, on n'osait et ne
voulait pas discuter ses sages avis. Il en fut autrement presque aussi-
tôt après sa mort. Dès 1620, la difficulté reprit son cours entre les par-
tisans d'une vacance rigoureuse après cinq ans, et ceux plus sages,
croyons-nous, d'une vacance relative laissée au jugement du Chapitre.
Dom Claude i'rançois, représentant autorisé des idées de Dom Didier
de la Cour, était pour celle-ci et, d'après son avis, en cas^ de nécessité
— 486 —
Malgré rérection de la Congrégation gallicane pari-
sienne, les moines lorrains continuaient à travailler à la
réforme des abbayes du royaume. Dès Tannée 1617, (jabriel
Giffort, vicaire général de Reims, avait rêvé et projeté la
réforme de la célèbre abbaye de Saint Remy (1).
L'année suivante, quelques religieux de ce monastère,
entrant dans ses vues, manifestèrent leur propre désir de
recevoir la nouvelle observance. La demande fut adressée
à Saint-Vannes et les supérieurs de la Congrégation, après
quelques années, envoyèrent à Saint-Remy DoraAndié
Royer (12)comme prieur, et Dom Charles Cuny(3) comme
ou (VuiHitê^ les supérieurs pouvaient ôtrc maintenus. W écrivit en
1627 doux opuscules, le premier pour proposer un accommodement, le
deuxième pour appuyer son opinion de vacance relative sur l'exem-
ple du Chapitre do 1621, qui n'avait relevé que quelques supérieurs.
Le chef de l'autre opinion était D. Philippe-François Collard, soutenu
par D. Marc d'Aboncourt. Un bref intervint en i6iî0, permettant de
continuer les supérieurs en cas de 7iécessilé ou d* évidente utilité : mais
les opposants ne s'y soumirent qu'en 1635.
D. Calmkt, Notice de la Lorr., art. François et Àboncourt, Arch.
Nat., (i» 933-î)3i, Mémoire, etc.
(1) D. Méijf, Annales, ad. a. 1617. — D. Rhételois, op. cit., t. IV,
p. 185.
(2) D. André Royer, né à Saint-Mihiel, y flt profession le 30 novem-
bre 1612 ; en 1620 il fut envoyé à Paris où il étudia au Collèfçe de
Cluny.
En 1625, D. Royer alla h Reims et y resta comme prieur p<^ndant
plusieurs années. Ayant ou à souffrir d'indignes traitements de la part
d'anciens religieux opposés à la réforme, il fit appel à l'archevêque de
Reims, qui vint en personne faire une enquête juridique à Saint-Rt^my,
où il reconnut et proclama hautement la piété et l'innocence du prieur
et la malice de ses accusateurs. A la suite de celte enquête, D. Royer
demanda et obtint de l'archevêque la permission d'aller prêcher l'.Vvenl
et le Carême dans l'abbaye des dames d'Avenay, près Ay. En KxU, il
obtint le prieuré d'Insmin^, dépendant de Saint-Mihiel, et, en 1638, celui
de Bnr-IoDuc. Ce cumul élait contraire aux canons; Dom Royer
encourut le mécontentement de ses supérieurs. Ayant fait pénitence,
il fut relevé de ses censures et successivement nommé abbé de Saint-
Mansuy de Toul et de Senones, mais ne jouit d'aucune de ces deux
abbayes. Il mourut au priourédu Breuil, le 13 octobre 1662. D. Calmet,
Notice de la Lnrr., art. Koycr.
(3i D. Chai les Cuiiy devait passer de Reims en Belgique, où il tra-
vailla à l'érection do la Congrégation belge ; voir plus haut.
— 487 -
sous-prieur. Le 27 septembre 1625, des traités furent signés
entre les religieux anciens et les réformés. Non loin de
Reims et dans la même province, une autre abbaye, placée
sous le vocable de Notre-Dame, allait également recevoir
la réforme. Le monastère de Moiremont, ou Maurimont, fut
fondé au ix« siècle, au diocèse de Ghâlons, à une lieue de
Sainte-Menehould, par le comte Nautérus, pour des cha-
noines. En 1074, Oderic, prévôt de l'église de Reims y mit
des moines de Tordre de saint Benoît. La ferveur première,
là comme ailleurs, avait fait place à une vie peu édifiante.
Au commencement du xvh® siècle, Tabbé Nicolas de Braux
prit la résolution d'y rétablir l'observance monastique. Sur
les conseils de quelques personnages, il s'adressa aux supé-
rieurs de la Congrégation de Lorraine, qui y envoyèrent
des religieux réformés (1622). Nicolas de Braux les favorisa
autant qu'il put et les aida grandement, surtout dans la
construction des édifices nécessaires et dans la décoration
de l'église (1).
Ce fut comme la dernière victoire en France de l'humble
et pieux prieur de Saint-Vannes. Bien que retiré de toute
charge et uniquement occupé de sa sanctification person-
nelle, le Père ancien, comme on l'appelait, était toujours
rame de sa Congrégation. Rien ne se faisait sans son avis
et il en était tellement troublé qu'il pensa sérieusement se
retirera Saint-Mihiel, pour y vivre dans la retraite et s'y
dérober à toute apparence d'autorité. Il en écrivit au prieur
de cette abbaye, le 5 août 1621 ; on nous permettra de repro-
duire, d'après Dom Haudiquer, cette lettre, qui est la pein-
ture parfaite du caractère de son auteur, ami de l'austérité,
du silence et de la vie cachée.
« Mon Révérend Père, nos Pères de France ne sont point
encore de retour. Je commence à croire que quelque
fâcheux inconvénient ne les retienne. Vous me marquez
(I) D. Rhktelois, t. VI, p. 423.
— 488 -^
que vous m*avez fait préparer une chambre chez vous ;
je vous eu remercie de tout mon cœur Je souhaite que
là où je serai, à Snint-Mihiel et ailleurs, on me traite en
tout comme un des moindres religieux. A Tégard des
besoins du corps, une chambre ou dortoir, meublée sim-
plement comme les autres, la portion ordinaire, seule-
ment avec un peu d'eau chaude pour tremper mon vin,
voilà tout ce qu'il me faut; et, comme j'ai des raisons
particulières pour craindre les moindres excès de nour-
riture, je demande qu'on m'exempte des repas de com-
pagnie, même à mon arrivée. Je prie aussi, au cas que je
tombe malade, qu'on m'épargne les médecins le plus
qu'on pourra. Quant au spirituel, je n'ai rien de plus à
cœur que de garder étroitement notre sainte règle. J'en
ai malheureusement trop négligé la pratique jusqu'ici,
mais désormais je ne veux pas être plus ménagé qu'un
autre. J'assisterai à tous les offices et je ferai la semaine
de célébrance à mon tour, à moins que quelque jnfirmité
ne m'en empoche. Qu'on n'attende de ma part, dans
l'absence du supérieur, aucun signe de prééminence,
soit à l'église^ soit ailleurs. J'entends que celui qui avant
mon arrivée présidait aux exercices continuera, de
même que si je n'étais pas dans la maison. De celte
manière je demeurerai en paix et je serai bien charmé
que d'autres fassent ce que je ne puis faire. Voilà, mon
Révérend Père, les conditions que je prends la liberté de
, vous proposer pour ma résidence chez vous. Je vous prie
de vouloir bien les agréer et surtout de me dispenser de
faire compagnie aux étrangers (1). »
Ce séjour à Saint-Mihiel n'eut pas lieu : Dom Didier de
la Cour continua à Saint-Vannes le rôle qu'il s'efforçait
vainement d'effacer le plus possible. Jusqu'à la fin, il fut
le président effectif de la Congrégation. Il employait tou-
son temps disponible à l'étude, pour laquelle il avait tout
(Il D. HAUDiQinn, o;j. cj7., p. 237 et suiv.
- 489 —
jours professé un amour particulier. Après Toffice divin,
les saintes Ecritures (1) et la théologie avaient ses préfé-
rences; il leur consacra ses dernières forces. Sous sa
dictée, quelques jeunes religieux écrivirent des traités de
théologie qu'il n'eut malheureusement pas le temps d'ache-
ver, à son grand regret.
Entre temps, la sainte Règle sur laquelle on lui demandait
des éclaircissements faisait le thème de ses commentaires,
ainsi que nous le laisse entendre la lettre suivante adressée
à Dom Anselme Rolle, alors prieur de Corbie, et relative
à l'envoi d'un traité sur la Règle et les constitutions.
a Mon Révérend Père, je suis bien joyeux qu'avez reco-
gnu la vérité de mes lettres par lesquelles je vous man-
dais que notre frère Symon avait envoyé à Paris ceste
copie de la règle de notre Père sainct Benoit, que votre
Révérence m'avait laissée partant de Verdun. Vous ne
pouviez espérer autre chose de moy que ce que je vous,
ai envoyé, à scavoir grossier et peu d'esprit. Si j'eusse pu
faire davantage, je l'eusse faict volontiers. Mais nemo
dat quod non habet ; on n'en doit espérer davantage du
peu que j'ay fait sur la déclaration, puisqu'il procède de
la même source que l'autre. Si on voulait accommoder
ce que nos Pères (ont préparé) dans votre chapitre avec
notre petit travaille (sic), cela pourrait servir pour (un)
temps attendant meilleur. Je prie Notre Seigneur qu'il nous
donne le vray esprit de notre Père saint Benoit tant dans
ces quartiers-ci 'qu'aux vôtres pour faire revivre la vraye
piété religieuse et chrestienne.
Je suis, mon Révérend Père, votre humble confrère.
D. Didier de la Cour.
De Saint- Vannes de Verdun, le 1 d'octobre 1621 (3f). »
(1) Il connaissait si parfaitement l'Ecriture sainte que, pendant sa
dernière maladie, si le religieux chargé de lui en faire la lecture se
trompait en quelque chose, D. Didier le reprenait aussitôt. D.
Haudiquer, op. cit.j p. 243.
(2) Bibl nat., Lat. 12783, Miscellanea benedlctina, f. 149.
32
- 490 —
L'humilité, qui était la vertu par excelleoce du prieur
réformateur (1), se dessine à chaque ligne de cette lelUe
si déférente pour un de ses disciples. Elle nous fait vive-
ment regretter la rareté des vestiges recueillis, soit des
quelques ouvrages (2), soit des lettres du prieur de Saint-
Vannes. N'aurait-il pas lui-même, en détruisant ce qu'il
pouvait rassembler de ses lettres, réalisé le désir formel-
lement exprimé par lui qu'on ne fit aucun éloge de sa
personne après sa mort, ou bien devons-nous encore
mettre cette destruction au compte de la Révolution ? C'est
plus probable, car les manuscrits de l'abbaye de Saint-
Vannes sont en petit nombre à la Bibliothèque de la ville
de Verdun et nos recherches à Paris nous ont peu satisfait
sur ce point.
Ce qui tenait le plus à cœur à Dom Didier de la Cour
dans le gouvernement de sa Congrégation, c'était la forma-
tion des jeunes religieux. Nous l'avons entendu exprimer
ce seul regret, ou même cette seule crainte, dans le déve
loppement rapide de son œuvre : de voir ses disciples se
lancer trop tôt dans l'action et compromettre ainsi leur
formation, soit religieuse, soit théologique et scientifique.
(1) D. Haudiquer rapporte que Dom Didier de la Cour ne pouvait
soudrir qu'en sa présence on louât l'œuvre de la réforme, dont il ren-
voyait toulc la gloire i\ Dieu, se contentant de se regarder comme
un vil instrument de la puissance divine. Il alla môme jusqu'à dire un
jour à ses frères en religion que, s'U avait quelque pouvoir sur eux.
« il leur défendrait sous peine d'excommunication, de dire du bien de
lui après sa mort » ; car, ajoutait-il, « j'ai mené une vie fort conamune
aux yeux des hommes et très misérable devant Dieu. Un peu de
gravité et de retenue, voilà tout ce que je puis avoir de bon ». El
colto déclaration verbale dut être consignée par écrit sur son désir
formel {op. cit.^ p. 244).
(2) Outre les traités de théologie et quelques commentaires sur la
sainte Règle, Dom Didier de la Cour avait laissé un récit assez court
des événements qui marquèrent le commencement de la réforme, de
1587 jusqu'en 1599. A la fm du manuscrit, l'auteur avait mis: « Ego
fratcr Desiderius a Curia quae hic scripta sunt dictavi, et dum ageren*
tur interfui. » D. Jean François, Bibliothèque des écrivains de COr-
dre de Saint-Benoît, t. I, p. 223 (note).
— 491 —
De là, les règlements édictés par les Chapitres généraux et
déjà signalés au cours de ce travail. Dom Didier en fut
certainement Tâme ; les ordonnances du Chapitre tenu à
Saint-Evre de Toul en 1622, pour les professeurs et étu-
diants, révèlent à chaque article l'esprit de prudence con-
sommée dans la direction des jeunes moines qui attira au-
près du réformateur tant d'âmes désireuses de trouver leur
voie et d'y avancer à pas sûrs. Le désir de promouvoir les
études y domine sans doute, mais discrètement limité par
la préoccupation de conserver et d'augmenter chez les
moines qui s'y livrent, à titre d'élèves ou de professeurs,
une solide piété religieuse.
Voici ces ordonnances, qui forment un véritable code
succinct, mais précis, de pédagogie monastique.
Règlements des Etudiants (1).
1. Tous les jours, principalement dans les premiers
temps, ils se rappelleront le but de leurs études, c'est-à-
dire l'acquisition de la science comme instrument pour
parvenir à une véritable piété religieuse, but principal de
la vie monastique.
2. Qu'ils prennent garde que l'excès d'application n'étei-
gne en eux l'esprit de dévotion et que jamais, sous pré-
texte d'études^ ils ne se dispensent de leurs exercices de
piété habituels.
3. Qu'ils ne sortent jamais, dans les leçons, des limites
de la modestie religieuse et s'abstiennent surtout de l'obs-
tination excessive et des paroles dures, qui pourraient
blesser le sentiment de sincère charité qu'ils doivent nour-
rir envers leurs maîtres et leurs frères. S'ils viennent
(1) Nous devons ces règlements, tant des étudiants que des profes-
seurs, ù l'obligeance de M. le chanoine Chapelier, curé doyen de
Lamarche(aui. à Mirecourt), qui, après les avoir acquis d'un antiquaire,
a bien voulu nous les communiquer. Nous l'en remercions bien vive-
ment. Les Regulae 8lu4entium et les Regulae professorum sont en
latin dans l'original ; nous les avons traduites fidèlement.
— 492 —
à s'oublier sur ce point, qu'ils demandent aussitôt ao pro-
fesseur une pénitence. Au cas où ils ne voudraient point se
rendre, qu'on les avertisse trois fois charitablement ; s'ils
résistent â ces monitions des supérieurs ou des professeurs,
qu'on les exclue du cours ; qu'on ne leur permette pas d'y
rentrer avant d'avoir suffisamoîent réparé, et qu'on leur
impose une pénitence proportionnée à leur résistance.
4. Qu'ils emploient avec soin tout le temps qu'ils ont
pour l'étude et que, pendant l'office divin, réunis en une
même salle, ils récitent l'office et travaillent en com-
mun (1).
5. Qu'ils aillent fréquemment chez le Supérieur pour lui
rendre compte de l'état de leur conscience et ne craignent
pas d'exposer en toute liberté au préfet des études les diffi-
cultés qu'ils rencontreront, et qu'ils soient surtout attentifs
à éviter les murmures, les médisances, les paroles mali-
gnes contre les supérieurs, professeurs ou leurs confrères,
qu'il s'agisse de n'importe quel sujet pouvant causer du
scandale.
6. Que les jours de fête et les dimanches soient consa-
crés par eux aux choses spirituelles.
7. Les jours ordinaires, après avoir prévu ce qui regarde
la messe conventuelle, si besoin en est, ils se recueilleront
jusqu'au second signal ; de même, depuis le premier coup
des vêpres jusqu'au second, ils se livreront à une lecture
pieuse, à la prière ou à la méditation.
8. Ils auront un respect marqué pour leur maître, parti-
culièrement pendant la classe, et ne soutiendront pas obs-
tinément leur opinion personnelle ; ils se garderont bien
de témoigner par quelque signe ou mouvement qu'ils
(1) Le Chapitre de 1622, en renouvelant et confirmant les décrets du
C)ia pitre précédent, avait ajouté un correctif à l'article premier, défen-
dant de se dispenser de l'office sous prétexte d'études. Ce correctif
permit aux supérieurs de dispenser les jeunes religieux de l'assistance
au chœur pendant le temps do leurs études.
- 493 —
n'acceptent pas ses réponses, ses solutions ou sa doctrine.
9. S'ils remarquent que les études leur causent quelque
préjudice, ils devront aussitôt en informer le supérieur où
leur maître.
10. Qu'ils ne prennent pas prétexte de leurs études pour
enfreindre la loi du silence et ne forment pas de réunions
sans permission, hors le temps des cours, pour parler de
leurs études. S'il ont quelque difïïculté à résoudre, ils la
proposeront publiquement à leur maître dans le temps du
cours.
11. Ils devront toujours et partout parler latin, excepté
seulement pendant les récréations prises à l'intérieur ou
hors du monastère ; ils pourront alors parler leur langue
maternelle.
12. Enfin, pour obéir à l'ordre du Chapitre général, les
présentes ordonnances, édictées et portées par lui, seront
lues publiquement au commencement de chaque mois
dans les classes, afin qu'on les comprenne mieux et qu'on
les observe plus exactement.
Règlement pour les Professeurs.
1. Ils se souviendront avant tout de se conduire d'une
manière édifiante, soit dans leur manière d'être, soit dans
les conversations, soit dans toute leurs actions.
2. Ils veilleront a ce que leurs élèves ne se laissent point
affaiblir par les études, tant pour l'observance extérieure
que pour la vie intérieure.
3. Ils s'appliqueront surtout à résoudre les questions les
plus utiles, laissant de côté les oiseuses et inutiles.
4. Ils suivront avec soin l'avancement de leurs élèves, se
gardant toutefois des préférences et tenant plus de compte
des besoins que des personnes.
5. Ils éviteront de perdre du temps inutilement avec
leurs élèves, en plaisantant ou en s'entretenant de sujets
futiles : jamais ils ne prêteront l'oreille à leurs murmures
— 494 —
ou à leurs plaintes contre leurs supérieurs ou leurs con-
frères ; ils traiteront en patience leurs tentations de décou-
ragement contre leur vocation ou autres faiblesses.
6. Ils veilleront sur chacun de leurs élèves et ne souflri-
ront pas que la moindre atteinte soit portée pendant les
classes à l'esprit religieux.
7. Si quelque défaut apparaît chez Tun des élèves, ils
saisiront Toccasion d'avertir doucement et en toute charité
celui en qui ils l'auront remarqué, surtout s'il s'agit de
quelque manquement fréquent à la modestie religieuse, à
l'humilité, à la soumission d'esprit ou au respect mutuel.
8. Ils devront sans faute avertir les supérieurs, si quel-
que élève se montrait incorrigible et semblait mépriser les
avis secrets et publics : ils ne pourront jamais accorder,
sans l'assentiment du supérieur^ aucune récréation ni
aucun délassement extraordinaires.
9. Ils apprécieront minutieusement les progrès de leurs
disciples dans les études : et, s'ils s'aperçoivent que quel-
ques-uns profitent moins que les autres, ils devront en
chercher la cause, afin d'y apporter le remède convenable.
10. lis prendront garde que les élèves ne nuisent à leur
santé par un zèle immodéré pour l'étude, et ils s'observe-
ront eux-mêmes sur ce point.
H. Chaque trois mois, ils rendront compte, au R.P. Pré-
sident du Régime, de l'état de leurs élèves, de la conduite
et de la capacité de chacun, tant dans les études que dans
la direction des âmes, eu un mot de tout ce qu'ils pour-
ront prévoir d'utile en eux.
12. Ils veilleront à ce que les élèves dispensés de l'assis-
tance au chœur, ne s'adonnent pas, pendant ce temps, à
l'oisiveté : aussi les élèves seront ils réunis alors pour réci-
ter leur office et travailler en commun.
13. Au cas où les scholastiques chargés de les remplacer,
pendant leur absence, dans la surveillance des études,
viendraient à être empêchés, les professeurs choisiront un
- 495 —
autre élève capable, par sa bonne conduite, de veiller sur
ses confrères.
14. Les élèves seront exercés pour les disputes publiques
et les autres exercices scolastiques ; les défendeurs des
thèses et leurs adversaires seront avertis d'apporter toute
la modération qui convient à la piété et à la modestie reli-
gieuse.
15. Chaque année, à la fin des cours, les étudiants auront
vacance pendant un mois ; les professeurs les applique*
ront aux exercices spirituels et à la retraite, et pourront
ensuite leur accorder la faculté défaire, avec la permission
des supérieurs, une promenade vers un but de pèlerinage,
pourvu qu'ils soient trois ou quatre ensemble, et que Tun
d'eux, le plus digne, soit mis à leur tête.
16. Enfin, au commencement de chaque mois, le règle-
ment des professeurs, comme celui des élèves, sera lu en
public dans les classes mômes.
L'esprit de famille, tempéré parles réserves nécessaires
entre maîtres et disciples, régnait dans le régime des étu-
des, où tous mettaient en commun leur désir de la perfec-
tion religieuse, dont l'apport devait lui-même servir à
l'avancement scientifique. La confiance la plus entière
devait animer les relations mutuelles ; mais la liberté était
laissée aux opinions, pourvu qu'elles fussent selon la saine
doctrine et du domaine utile. Plus tard, après les troubles
que la résistance à la Constitution « Unigenitus » jeta
dans la Congrégation, les Chapitres généraux durent pré-
ciser le sens de l'enseignement sur les questions contro-
versées (1).
Pour le moment, les esprits étaient au repos et il n'y
avait guère à craindre que des questions d'école, dont il
fallait régler le mode d'une manière générale. Ce que l'on
(1} V. Constitutions de i768. Pars secunda, cap. XVHI, de Studus,
— 496 —
cherchait avant tout, c'était à développer Tamour de la
science et à ouvrir les esprits des jeunes religieux^ bans les
surcharger. On leur en donnait le temps ; rien ne les pres-
sait. Après leurs années réglementaires d'études, ils
n'étaient pas immédiatement tenus d'en faire usage au
dehors. En 1616, le Chapitre avait défendu de laisser les
jeunes moines se livrer à la prédication avant de longs et
sérieux exercices ; le Chapitre ^,de 1621 interdit de même
qu'ils fussent appliqués à la confession au dehors du cloî-
tre, avant d'en avoir été jugés capables par le Chapitre lui-
même ou par le Régime (art. 3) (1).
L'œuvre de Dom Didier de la Cour n'était-elle pas com-
plète, autant qu'il pouvait l'espérer après vingt ans seule-
ment d'existence ? Les constitutions étaient définies, les
Chapitres généraux organisés, la hiérarchie nettement
déterminée, la formation des jeunes religieux aussi mûre
que possible, leur persévérance assurée dans la suite par
une discipline ferme et douce à la fois, par la vie liturgi-
que et l'étude heureusement combinées, aussi bien que par
une austérité discrète mais soutenue. Tout semblait, et
tout était, enefiet, aussi parfait Que peut l'être ici- bas une
œuvre faite par des hommes et pour des hommes.
Le mouvement si rapide que suivait la réforme ne devait
(1) Le Chapitre de 1628 ôdicta, outre cette ordonnance, quelques arU-
cles dont voici la substance : Les signaux de matines se sonneront à un
quart d'heure d'intervalle (art. 1). Les religieux qui seraient fatigués
pourront se reposer après matines. La méditation se fera à cinq heures
et demie cette année, tant en été qu'en hiver. Prime se dira à six heu-
res ; la matière de la méditation sera lue pour tous à haute voîx
(art. 2). Pour plus de régularité, tout le Régime {Président, Visiteurs),
se tiendra dans le même monastère, afin de répondre plus prompte-
ment aux nécessités des diverses maisons (art. 4). Les assistants des
supérieurs seront assimilés aux Doyens, mais pour cette année seule-
ment (art. 5).
Ces décrets terminent la série de ceux qui servirent de base à la
Congrégation de Saint-Maur. La collection qui les contient ne donne
plus ensuite que les décrets des Chapitres de la nouvelle Congréga-
tion.
— 497 —
s'arrêter qu'après avoir atteint tous les monastères de
Lorraine et de France. De notre province, il ne restait
plus à conquérir que les abbayes de Saint-Symphorien,
de Saint- Vincent et de Saint-Clément de Metz. Dans le cou-
rant de sa dernière année de vie, le pieux réformateur eut
encore la consolation de voir les Bénédictins reprendre au
Saint-Mont leur poste avancé de prière, grâce aux efforts
de Catherine de Lorraine, heureuse de compenser de cette
façon sa dévotion envers saint Benoit, si cruellement déçue
dans son abbaye de chanoinesses à Remiremont.
Fondé au commencement du vu® siècle sur le mont
Habend pour des moniales, sous la règle de saint Colom-
ban (1), le monastère qui depuis reçut le nom significatif
de Saint-Mont avait, dans la suite, passé aux chanoines
réguliers de Saint- Augustin. Les moniales avaient quitté
la montagne pour se retirer de Tautre côté de la Moselle.
Devenue bénédictine vers le ix^ siècle, Tabbaye de Remi-
remont ne put malheureusement se défendre de Télément
séculier et, quelques siècles à peine après cette transforma-
tion religieuse, elle était peu à peu devenue de fait un Cha-
pitre de chanoinesses. Seule, Tabbesse faisait encore pro-
fession de la règle de saint Benoît. Catherine de Lorraine
voulut ramener les chanoinesses à une vie plus monasti-
que, mais par des moyens violents qui compromirent son
projet : ne Tavait-elle pas du reste sapé par la base en
(1) Après les judicieuses et sérieuses déducUons faites par notre
fr^re, M. l'abbé Didier-Laureut, dans son travail sur le manuscrit remi-
remontais de l'Angelica, nous ne pouvons que difllcilement admettre
l'existence d'une double communauté, l'une de moines, l'autre de mo
niales, soit au Saint-Mont, soit ensuite k Remiremont. Les chanoines
d'abord, les moines ensuite, succédèrent sur le mont Habend aux mo-
niales, et, si l'on peut constater la présence de quelques religieux à
côté des religieuses, c'est s3ulement, croyons-nous, à titre de chape-
lains. Mémoires de la Société d'Archéologie lorraine, 1897 : Vabbaye
de Remiremont.
Sur Catherine de Lorraine, v. l'intéressant travail de M. Pfister dans
les Mémoires de l'Académie de Stanislas, 1897.
-^ 498 —
ealevant aux chanoinesses l'office monastique pour leur
donner Toffice romain ? Elle dut capituler devant l'opposi-
tion ouverte. C'est alors qu'elle s'adressa aux supérieurs
de Saint-Vannes et obtint quelques religieux pour repren-
dre au Saint-Mont la place des chanoines en 16S3.
Retiré à Saint Vannes dans sa cellule de simple religieux,
Didier de la Cour attendait en paix la findeses travaux (i).
Soumis comme un novice à son prieur, il se détachait peu
à peu des plus petits liens qui le retenaient ici -bas. 11 avait
toujours aimé le pro nihilo reputari, si fécond en vertus mo-
nastiques ; il y fut fidèle jusqu'au dernier jour : quand,
inquiets de voir les forces du « Père Ancien » diminuer,
les supérieurs majeurs vinrent à Verdun pour le visiter,
l'humble vieillard s'en émut et ne put s'empêcher de pro-
tester contre cette marque de déférence. Les exceptions les
plus légitimées par son état lui étaient à charge : seule
l'obéissance pouvait le contraindre à s'y soumettre.
Assidu à la célébration du Saint Sacrifice, qui était « son
unique consolation et son plus grand bonheur », il ne
l'abandonna que quand ses forces le trahirent tout à fait,
c'est-à-dire au commencement de novembre 1623. Il se
sentait descendre vers la tombe et, lorsque le moment vint
de recevoir les derniers sacrements, il voulut que ce der-
nier acte fût un acte de moine : il se fit revêtir de son habit
religieux, entendit la sainte messe, qu'on dit à côté de sa
chambre, communia et reçut ensuite l'Extrême Onction.
Sa joie ne put se contenir : (( C'en est fait, dit-il, je meurs
content, puisque Dieu m'a fait toutes les grâces que je
pouvais souhaiter (2) ».
Le quatorze novembre, la fièvre s'accentua, et sa parole.
(i) En 1619, Dom Didier de la Cour fit encore, et probablement poar
la dernière fois, le voyage de Moyen moutier, pour y assister à la recon-
naissance des reliques de saint Hydulphe. D. Belhomme, Hist. Med,
Mon. (1619).
(2) D. Haudiquer, op, cit., p. 245 et suiv.
— 499 —
qui jusque-là avait été intelligible, lui manqua. Douce-
ment, sans efiort, le soir vers quatre heures, il rendit son
âme à Dieu. Il était dans sa 72*" année (1).
La dépouille mortelle fut exposée d'abord dans une cha-
pelle, puis dans la nef de Téglise, afin de satisfaire la dévo-
tion des fidèles.
La mort du prieur de Saint-Vannes ferme le cadre que
nous avons imposé à notre modeste travail; puisse celui-
ci trouver dans l'indulgence des lecteurs une compensa-
tion à ce qui lui manque pour être complet. La rareté et
réloignement des sources, comme aussi l'étendue que
comporte le sujet, nous ont forcé souvent de résumer bien
des événements de la vie du Réformateur lorrain. Le peu
que nous avons tenté de faire pour rendre hommage à ses
(1) Les différents historiens de Dom Didier de la Cour rapportent
que plus de cinquante personnes virent briller une ôtoile au-dessus de
l'église du monastère, quand le corps du pieux défunt y fut trans-
porté. La vénération qui entourait le moine vivant, se manifesta alors
d'une manière touchante : le peuple accourut en foule et ne cessa,
pendant tout le temps que le corps fut exposé, de baiser ses mains et
de lui faire toucher des objets pieux. Le titre de « vénérable », qui
depuis a toujours accompagné son nom, continua de montrer quelle
estime le prieur do Saint-Vannes laissait en mourant.
Dom Didier de la Cour fut inhumé, comme il l'avait désiré, dans le
chœur de l'église de Saint- Vannes. Sa tombe fut recouverte d'une dalle
où était gravée son portrait, avec une inscription qui rappelait les dif-
férentes étapes de sa vie et de son œuvre de réforme. C'était plus qu'il
n'avait demandé sans doute, car lui-même avait préparé l'épitaphe
suivante : Hic jacet Desiderius a Curia, Religiosus huius Monasterii,
cuius anima vestris precibus com'"endatur. Mais peut-on incriminer
des fils d'avoir voulu glorifier leur Père ?
Le 30 mars 1811, Antoine-Henri de la Cour, parent du prieur de
Saint- Vannes, voulant préserver la précieuse tombe de la ruine qui
menaçait l'église de Saint- Vannes, fit transporter les restes du Réfor-
mateur dans l'antique chapelle castrale du petit Monthairon. C'est là
qu'ils reposent, au pied de l'autel.
Voir, sur la tombe de Dom Didier de la Cour, la brochure de M. Dony :
Tombes du Pays verdunois, Verdun, Laurent, 1891, et l'article de
M. Léon Germain sur le même sujet, dans le Journal de la Société
d'Archéologie lorraine, 1891, ainsi que le nôtre dans le Bulletin de
Saint-Martin^ septembre 1899.
- 500 -
mérites et à ses vertus, en ne cachant rien des difficultés
de l'œuvre, était du domaine historique. Le détail de la vie
intime du moine se révèle dans cette suite des événemenls
qui ont marqué sa vie extérieure : un tel arbre n'aurait
pu résister aux tempêtes du commencement, encore moins
grandir et se développer, sans une forte sève intérieure
partie de la racine môme. Et cette sève s'est conservée, à
travers bien des heures de grande sécheresse, il est vrai,
jusqu'aux jours où elle a semblé perdue à jamais. La
Révolution semblait, en effet, l'avoir tarie; elle n'avait fait
que l'emprisonner, et le jour où, dans l'une des ruines du
vieux prieuré de Solesmes, l'abbé Guéranger sentit naître
en lui la vocation monastique, cette sève lui fut communi-
quée à nouveau : bientôt l'on vit grandir le rejeton des
anciennes Congrégations de Saint- Vannes, de Saint Maur
et de Cluny, sous le nom générique de Congrégation de
France. Depuis, d'autres rameaux ont reverdi sur la tige
des mêmes principes monastiques, et l'on peut ajouteraux
noms qui précèdent, ceux des Congrégations de Beuron et
du Brésil, car elles sont autant de familles issues du même
Père Dom Didier de la Cour de la Vallée.
TABLE
PAGES.
AVANT-PROPOS 265
PREMIÈRE PARTIE.
CHAPITRE PREMIER. — Naissance de Dom Didier de la Cour,
4550. — Il entrée Saint-Vannes, 1568. — L'Abbaye. — Pro-
fession de Dom Didier, 1575. — Ses études, 1578-1584. ... Hi
CHAPITRE II. — Sa vie austère à Saint- Vannes. — Son voyage à
Rome, 1587-9. — Sa vie érémitique à Raucourt, 1589. —
Essai chez les Minimes, 1590. — Rentrée à Saint-Vannes . 289
CHAPITRE m. — Essais divers de réforme générale, puis parti-
culière. Visite du prince Erric à Saint- Vannes. — Election
de Dom Didier comme prieur, 1598. — Prise d'habit, noviciat
de quelques religieux. — Les opposants envoyés à Moyen-
moutier. — Les prieurés de Mont-Saint-Martin, près de
Longwy, et de Chaudefontaine détachés de Saint- Vannes . 30^
CHAPITRE IV. — Profession des réformés, 30 janvier 1600. —
Vie austère qu'ils mènent. — Maladie du prieur.— Il veut se
démettre de sa charge. — Dom Claude François revient de
Rome, amenant deux moines français à Saint- Vannes . . . 3i8
CHAPITRE V. — Rref de réforme pour Moyenmoutler, 19 mai
1601. — Son exécution ; réforme de cette «abbaye. — Le
prieur de Saint- Vannes institué Visiteur de Moyenmoutler.
— Etrange maladie des réformés. — Son retour à Verdun.
La question de la stabilité 344
CHAPITRE VI. — Traité d'union entre Saint-Vannes et Salnt-
Hydulphe, 30 avril 1603. — Projet de Congrégation. — Bulle
d'érection, 7 avril 1604. — Sa promulgation à Moyenmoutler.
Premier Chapitre général à Saint- Vannes. — Question de la
juridiction : bref du 23 juillet 1605. — Le cardinal-légat étu-
die le moyen d'étendre la réforme 354
- 802 —
DEUXIÈME PARTIE.
PAGES.
CHAPITRE PREMIER,— Bref de réforme, 27 septembre 1605. —
Visite apostolique de Dom Lucalberti. — Etat général des
monastères. — Visite de Saint-Mihiel : la réforme j est
introduite. — Visite de Longeville, Saint-Avold, Bouzon-
Tille 376
CHAPITRE II. — Visite de Saint-Mansuy et Saint-Evre de Toul.
— De Senones. — Décrets du Visiteur. — Son retour en
Italie, 1606 399
CHAPITRE III. — Autres décrets du légat. — Réforme des Béné-
dictines de Saint-Maur de Verdun. — De l'abbaye de Saint-
Avold. — Chapitres généraux de 1608-1609-1610. — Edition
des constitutions 4i2
CHAPITRE IV. — Réforme désirée en France. — Beaulieu, Saint-
' Airy de Verdun, le collège de Cluny à Paris la reçoivent. —
Chapitres de 1611-1612 —Réforme de Faverney 435
CHAPITRE V. — Réforme de Saint-Augustin de Limoges. — De
Saint-Nicolas de Port, 1613. — Chapitres généraux de 1613-
1614. — Quelques nouvelles vocations françaises. — Réforme
de Saint-Junien de Noaillé et de Saint-Faron de Meaux, 1615.
— De Jumièges, 1616 451
CHAPITRE VI. — La CongrégaUon belge de la Présentation
Notre-Dame. — Erection de la Congrégation de Saint-Maur,
1618. — Chapitre général : réforme de Senones et de Saint-
Arnould de Met?, du Breuil, 161819. — Chapitres de 1620-
1621. — Réforme de Saint-Remy de Reims et de Moiremont.
— Retraite de Dom Didier de la Cour. — Chapitre de 1622 :
règlements pour les études. — Réforme du Saint-Mont. —
Maladie et mort de Dom Didier de la. Cour. — Conclusion. 47i
LA STATION FUNÉRAIRE
DU
BOIS DE LA VOIVRE
(HAROUË)
PAR
Le Cte J. BEAUPRÉ et le D^ J. VOINOT
AVANT-PROPOS
En 1889^ dans la monographie de la commune de Ua-
roué, M. rinslituteur Vosgien signalait, près de la tranchée
allant de Vaudeville à Ormes, « plusieurs monticules
paraissant faits de mains d'hommes ». Il s'agissait de
tumulus situés dans le bois de la Voivre, entre cette tran-
chée et les teries de la commune de Haroué.
Ayant appris, au mois de décembre 1902, que M. le doc-
teur Voinot avait ouvert quelques-uns de ces tumulus,
nous fîmes aussitôt le nécessaire, mon confrère M. G.
Goury et moi, pour assurer à la Société d'Archéologie lor-
raine le droit de faire des fouilles conjointement avec
M. Voinot. M. le comte de Ludre accorda, avec sa bonne
grâce habituelle, les autorisations les plus larges; mais,
étant donné la mauvaise saison, les travaux ne purent
commencer avant le mois de mai 1903.
— 504 —
Soixante sept tumulus ont été fouillés, dont 49 par moi
et 18 par M. Voinot. Il en reste encore quelques petits à
explorer dans la partie du bois la plus proche de Haroué.
Les tumulus de ce côté de la station qui ont été explorés,
paraissaient contenir exclusivement des incinérations, sans
aucun mobilier funéraire. Aussi, les crédits étant très
limités et la saison trop avancée, nous n'avons pas jugé à
propos de les ouvrir. D'après le plan, dressé aussi exacte-
ment qu'il m'a été possible de le faire au milieu des taillis,
le nombre des tertres dépasse 80 (1). Quelques-uns ont dû
être omis, car il en existe de si petits qu'il est presqu'im-
possible de les distinguer des mouvements naturels du sol.
Indépendamment de M. le comte de Ludre, il y a lieu de
remercier d'autres confrères, M. le docteur Voinot d'abord,
pour avoir abandonné à la Société la plus grosse part des
tumulus, et ensuite MM. Gh. Drouet, A. Poirot, le docteur
Viller, les abbés Olry et Nicolas, qui ont bien voulu par-
tager à différentes reprises une surveillance qui n'a été
interrompue par moi à aucun moment de ce long travail.
J. BEAUPRÉ.
(1) C'est, jusqu'ici, la station funéraire la plus importante de la régioiL
ri
56
3i*
PREMIERE PARTIE
Compte rendu des fouilles
Jumulusl. {{)— Cei{im\i\us de relief très faible (0«»40,
sur 8 à 10 m. de diamètre), recouvre remplacement d*un
foyer, marqué par une couche de cbarbolis de près de
0™.10 d'épaisseur et de 3 m . de diamètre, au centre de la-
quelle se trouvait un vase grossier en terre noire mal
cuite, complètement en morceaux.
lumulus 5, — Présente les mêmes caractères ; mais la
couche de charbons est moins épaisse.
Tumuîus 4. — Mêmes particularités.
Tumulus 3 et 5. — Mêmes dimensions ; non fouillés. .
Tumulus 6. — (Diam' 10 m. ; haut"^ O'^^iO). A donné les
débris d'une poterie rouge de très mauvaise qualité. Il
est du type des précédents ; mais la couche de charbons
se trouve un peu plus profondément enterrée (0^60) et
le sol naturel, en dessous du foyer, est fortement cuit au
rouge.
TtimulusJ. — (Diam' 1 i m.; hauf 1™20). N'a donné, mal
gré sa belle apparence, que de menus morceaux d'une
poterie rouge très grossière.
Tumulus 8, — Appartient au type \ et suivants, mais la
couche de charbons est faible, profondément enterrée
comme dans le tumulus 6. Son relief est aussi plus consi-
dérable (0"^80).
Tumulus 9. — (Diam^ 12 m.; haut"^ 0™40.) N'a rien donné.
* Tumulus 10. — (Diam'^ 15 à 18 m. ; haut^O'^GO). A une
profondeur de O^^GO, deux vases, placés l'un dans l'autrç.
(1) Les tumulus marqués du signe* ont été fouillés par M. J. Voinot.
3:j
— 506 -
Tumulus IL — (Diam. de 10 à 12 m. ; haut. 0"80). A
O^^TO de profondeur, légère couche brune étendue sur le
sol vierge, orientée du Nord au Sud, marquant remplace-
ment d'un corps. — Mobilier funéraire : à un bras, un gros
anneau de lignite (pi. II, fig. 40), portant des traces très
apparentes d'oxyde de fer provenant sans doute d'un bra-
celet; à l'autre bras, deux ornements de même nature, mais
plus petits (pi 1, fig. 23, 28). Quelques fragments d'un pot
en terre noire, au Sud de la couche archéologique,
Tumulus 12. — Mêmes particularités. — Mobilier : 3 pe-
tits bracelets, en lignite et en bronze (pi. I, fîg. 21, 22, 25,
et pi. II, fig. 43,39).
Tumulus 13. — Mûmes conditions de gisement. Mobi-
lier; 1 gros bracelet de lignite complètement effrité (pi. II,
fig. 36, 39) et fragments d'un gros bracelet dç terre cuite
(pi. II, fig. 33).
Tumulus 14. — Mêmes particularités, mais relief plus
fort. Mobilier : fragments d'un petit bracelet formé
d'une substance d'apparence bitumineuse, moulée autour
d'un cercle dont la matière a disparu, laissant un vide
central (pi 1, fig. 34).
Tumulus 15. - (Diam'î 10 m. ; haut' 1™20). Rien.
Tumulus 16. — Mêmes dimensions, peut-être un peu plus
gros.— A donné un grand vase complètement brisé, en terre
brune (pi. V, fig. 2).
Tumulus 17. — (Diam* de 10 à 15 m. ; haut' 1 m.) Un peu
nivelé pour le passage du sentier. Broyon formé d'un
talon de hache eu pierre polie (pi. 1, fig. 8), placé près
de la tête d'un corps inhumé Nord-Sud,, étendu sur des
pierres plates. Traces d'oxyde de fer à l'emplacement de
la tête.
* Tumulus 1S, — {Diam'^ 13 m. ; haut' 1^30). —\ 0°40
de profondeur, S poteries, dont 3 vases de terre rouge ver-
nissée en forme de coupe, un autre à base étroite avec ren-
flement vers le haut, 2 sortes d'assiettes, 2 pots en terre
— 507 —
blanche, 2 autres en terre noire. Ces poteries conte-
naient, Tune une monnaie gauloise, les autres des clous à
grosse tôte, très courts ' Il y avait en outre une sorte
d'agrafe consistant en une tige de bronze de forme ronde,
unie, épaisse au centre de 0'n004, diminuant progressive-
ment de diamètre pour se terminer en pointes aiguës. Elle
est repliée de façon à former un croissant de 0^035 envi-
ron de diamètre. Sur le même plan se trouvait une léte de
fémur. Plus bas, à 0™60, était un pierrier contenant
un squelette orienté Nord Sud, ayant aux pieds un vase
en terre noire avec ornements en dents de scie, et à un
poignet un bracelet de fer, formé d'un grand clou (pi. III,
fig. 70).
lumiilus 19. — Un peu plus petit. Quelques fragments
de poterie, un morceau de quarzite taillé en pointe, et un
autre en forme de râcloir (pl. Il, Vi^. 50, et pi. I, fig. il».
Peut-être une incinération, si Ton peut en juger par l'abon-
dance assez grande de charbons contenus dans la couche
noire du fond et la forte cuisson du sol. On ne saurait tou-
tefois rien affirmer, malgré l'importance de la fouille dont
le tumulus a été l'objet.
Tumulus 20. — (Diam" 15 m. ; haut' i"»20). A O'^SO de
profondeur, un fragment de tibia provenant sans doute
d'une inhumation superficielle d'époque postérieure, violée
à une époque reculée.
A 0n»80, couche de charbons de 0™05 recouvrant le sol
vierge, assez fortement brûlé sur de 0«»02 d'épaisseur. Dans
cette couche de charbons, se trouvait une grande épée de
fer mesurant en place 1°*10 de longueur, cassée sans doute
intentionnellement en 2 parties. Elle est en fort mauvais
état de conservation. Elle n'a pu être recueillie que par
menus fragments. En admettant qu'il y ait eu inhumation
sur foyer et que le corps ait été orienté Nord-Sud, la face
vers le Sud, Tépée aurait été placée sur les jambes, for-
mant avec celle ci la croix de sajnt André. Dans le tumulus
— 508 —
27, comme nous le verrons, l'épée était posée de la même
façon.
lumulus 21, — (Diam' 18 m. ; hauf l'»20). A 1°»10 de
profondeur, lit de pierres placées les unes à côté des autres
sur le sol vierge : dans les interstices, terre noire mêlée de
charbons. Ce pierrier est orienté Nord-Est, Sud-Ouest. Vers
le centre, 4 bracelets très petits^ en bronze, placés deux par
deux, à Oï"oO de distance (pi. I, fig. 16, 17, pi. Il, flg. «,
44, 52) (1), et un rAcloir en quartzite (pi. I, fig. 19).
* Tumulus :^:?.— (Diam" 15 m.; haut^ 1^50)— Inhumation:
pointe de flèche en silex rose.
Tumulus '23, — (Diam* 8 m ; haut^ 0™40). Rien.
Tumulus n. — (Diam« 18 m. ; haut' 1°»60). Ce tumulus a
été un peu entamé par la tranchée allant des terres de
Haroué à la route d'Ormes à Vaudeville.
A la surface du sol vierge, se trouvait une épée de fer
très large, en mauvais état de conservation, à laquelle
adhéraient des fragments de tibias. Elle porte de nom-
breuses empreintes de tissus et de bois. Son orientation
est la môme que celles des tumulus 20 et 27.
Tumulus '25. — (Diam» 20 m. ; haut' 1»=60). Ce tertre, de
grandes dimensions, contenait un pierrier de forme ovale,
dont le grand axe est orienté Nord-Sud : ce pierrier devait
être épais de .1 m. au centre, mais il avait été dérangé au-
trefois, comme l'indique le désordre d'une grande partie
des matériaux rocheux. Il a donné quelques fragments de
poterie épars parmi les pierres, quelques centimètres d'un
fémur et les morceaux d'un bracelet plat, sorte de ruban de
bronze (pi. I, fig. 13), biisé intentionnellement et dispersé
entre les pierres du fond.
Tumulus 2C).— (Diarn^ 8 m. ; hauf; 1 m). N'a rien donné.
Tumulus 57. — (Diam* 20 m. ; haut' 1™60). Ce tumulus
devait être jadis très élevé ; mais la terre dont il est composé
(l) C'est par erreur que les deux parties ûgurent, sur la planche, sous
d»*ux numéros dilTérenls 44 et 52.
- 509 -
a été entraînée de tous côtés par les renards. C'est une
sépulture double, homme et femme.
A la surface du sol, sur une couche de terre marneuse
très dure et rapportée, se voyait un pavé formé de grosses
pierres plates de calcaire dolomitique des marnes irisées,
disposé en carré long de 2 m. surl^^oO, sur lequel on
remarquait la couche habituelle de terre noirâtre Ce carré
était terminé, à chaque extrémité des côtés longs, par une
pierre plate placée de champ, limitant la sépulture de
2 corps, représentés par quelques parcelles d'os des
jambes et des bras, les uns empâtés dans l'oxyde de fer,
les autres imprégnés d'oxyde de cuivre.
Ces matières minérales provenaient: 1° d'une épée de fer
assez bien conservée, placée la poignée à droite, la pointe
à gauche en dessous des genoux, et en travers des jambes
d'un guerrier, formant avec celles-ci la croix de saint
André, comme l'atteste encore la position des fragments
d'os empâtés dans la rouille ; 2^ d'un petit objet de bronze
indéterminable, peut-être les restes d'une épingle. Ce
dernier objet appartenait à un second corps placé côte
à côte avec le premier. 11 en est de môme d'un petit
bracelet de lignite (pi. 1, fig. 26j. Le guerrier, comme
il a été remarqué dans les tumulus 20 et 24, n'avait
aucune parure. A hauteur de son humérus droit, un peu
au-dessus et parallèlement à celui-ci, on remarquait une
couche de rouille, épaisse de 0»"002, longue de O^^SO,
irrégulière comme largeur, mais ne dépassant pas 0"^07 à
0"^08. Il est impossible de dire à quel genre d'objet
cette bande métallique peut avoir appartenu. Une poterie,
noire de pâte et d'enduit, se trouvait placée aux pieds
des deux morts.
Tumulus SS.— (Diame 13 m. ; haut*" l«n60). Bien conservé ;
n'a cependant donné qu'une poterie incomplète, placée à
0™.30 de profondeur (pi. V, fig. 1).
Ji/mt//MS^9. — (DiamMOm. ; haur Cn^OO). A 1 m. de
— 510 —
profondeur et à Qn^lO du sol vierge nous avons recueilli
une sorte de tasse intacte (pi. II, fig. 37 et pi. V, fig. 4) en
terre grossière rougeàtre, un petit bracelet de bronze et
deux bracelets de lignite, dont un incomplet (pi. I, fig. i8,
24, 33). Par exception, ces objets ne reposaient pas sur le
sol vierji:e, mais sur de la terre rapportée.
Tumulus 30. — (Diam^ 10 m.; haut' O^^SO). Na rien
donné.
Tumuluii 31. — (Diam^ 10 m. ; haut^ 0°*40). Au centre, à
la profondeur de deux fers de bêche, deux bracelets de
bronze, de taille moyenne, placps à O^oO l'un de Tautie,
de l'Est à rOuesl (pi. 1, fig. 14, 15).
* Titmylvs 32, — (Diam* 15 m. ; haut^ 1 m.) N'a rien
donné.
Tumulus 33, — Diam- 10 m.; haut' O^'OO). A 0^50 de pro
fondeur, lit de pierres plates avec couche noirâtre épaisse
de 0'" 10 environ. Orientation Nord-Ouest, Sud-Est. Débris
de deux bracelets plats, en bronze (pi. II, fig. 48). Plus
loin, bracelet plat en bronze et bracelet rond en lignite, de
faible diamètre (pi. II, (ïg. 42). Quelques fragments de
bois reposant sur une petite pierre et conservés par le
voisinage des objets de bronze, permettent de croire que
le bras, sinon le corps, reposait sur une planche. Moitié
d'un autre bracelet plat, en bronze, un peu plus gros,
cassé anciennement (pi. II, fig. 47).
Tumvlns 34. — (Diam^ 15 m. ; hauf l^^eo.) A 1^60 de
profondeur, débris d'un vase (pi. V, fig. 6), à côté duquel
se trouvait : un gros bracelet de lignite, accolé à deux bra-
celets de bronze, un gros et un petit, k 0°»40 vers l'Est,
même réunion d'objets (1). Près de ces derniers, beau
broyon en quartzite (pi. I, fig. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7).
* Tumulus 35. — (Diam^ 25 m.; haut' 1°^60). Pierrier cen-
tral ; restes de charbons très volumineux.
(1) Les anneaux de lignite étaient placés en bas, près du poignet;
ceux en bronze, au-dessus; le plus petit, en haut.
~- 511 —
Tumulus 36. — (Diam® 30 m. ; haut' 1^20). N'a rien
donné.
♦ Tumulus 37. — (Diarn^ 15 m.; haur 1 m.) A 0«°80, inhu.
mation ; 2 bracelets (pi. III, fîg 73), dont un plat, en
bronze (1), un vase en terre grise. — Orientation Nord Sud.
♦ Tumulus 38. — (Diam' 13 m.; haut' 1 m.) A 0=»70, inhu-
mation orientée Nord -Sud : 2 bracelets moyens en bronza
et en lignite, 2 petits bracelets de bronze (pi. III, fîg.
63, 64, 65, 66, 69, 74).
♦ Tumulus 39. — (Diam« 15 m. ; hauf 1™50) Gros pierrier
au centre. Inhumation orientée Nord-Sud ; vase en terre
grise.
Tumulus 40. ^ (Diara« 30 m.; haut' l»n40). Ce tumulus a
un peu la forme d*un cône tronqué . A 01^50, apparaissent
quelques pierres appartenant à un noyau rocheux en
forme de carapace de tortue, orienté du Nord au Sud.
Suivant cette orientation, on découvre d'abord une sorte
de caisson en pierres debout, avec pavage de dalles au fond,
encore bien conservé dans sa partie Sud, mais bouleversé
dans sa partie Nord. Cette sépulture a évidemment été
violée a une époque inconnue. Sur le même plan, à 0^50
et suivant une même orientation, devait se trouver une
seconde sépulture, si Ton en juge par quelques os épars
dans les pierres et écrasés par celles-ci. A cette dernière
appartenaient un anneau de bras ou de jambe uni,
avec protubérance centrale sur la face extérieure, des
fragments d'un petit bracelet uni, également en bronze
(pi. II, fîg. 53, 56), et une fibule de forme ronde en ambre
avec cercles gravés, concentriques, recouverte d'une plaque
très mince en or, portant des ornements au repoussé (pi. IVy.
Près de la cuisse droite, caillou en quartzite en forme
d'œuf (pi. I, fig. 29). '
(1) Trop fragile pour être traDsporté, il n'a pu ôtre photographié
même type que le n* 72, mais plus petit).
— 512 -
En dessous de ces sépultures et séparées d'elles par des
pierres, se trouvaient deux autres corps orientés de l'Est à
rOuest, la face vers l'Est. Quelques débris de la tête et
quelques fragments d*os assez bien conservés ont permis
de se rendre compte exactement de leur orientation. Parmi
les premiers, on remarque une mâchoire inférieure com-
plète et quelques dents de la mâchoire supérieure, et un
occipital auquel adhèrent encore d'importantes parties des
pariétaux. Ces débris ont appartenu à des sujets de 50 à
60 ans. Auprès d'uii des crânes se trouvaient: i^une petite
tige de fer portant deux barbelures (pi. I, fig. 12) ; 2^ de
menus morceaux d'un fil très fin en bronze et d'un autre
enroulée en spirale formant deux tours sur lui-môme (pl. II,
fig. 46). Les pierres entourant et recouvrant ces sépultures
paraissent avoir été disposées primitivement en forme de
voûte ; des pierres plates marquent la direction des corps.
Un broyon (pi. II, fig. 41) et quelques débris de poteries
en terre rouge très grossière ont été recueillis çà et là parmi
les matériaux rocheux.
* Tumulus 41, — (Diam« 10 m.; haut^ 0"»50). Inhumation
orientée Nord-Sud, sous un pierrier ; 2 gros bracelets de
bronze; 2 gros bracelets de lignite (pi. III,fig. 59, 60, 61,62).
Tumulus 42, — (Diam« 15 m. ; haut' 1"»30). A la surface
du sol, couche de terre noirâtre avec charbons, épaisse de
3 à 4 cent., orientée Nord-Sud. Aucun mobilier.
* Tumulus 4S.^ (Diam^' 15 m.; haut' 1^70). A 0">30de pro-
fondeur, demi-bracelet en bronze (pi. III, fig. 71) et, à i^6{
sous un prierrier, restes de fibule en bronze.
Tumulus 44. — Diam"^ 15 m. ; haut' l°i20). Ce tumulus,
très bien bonservé, présente à sa base les traces d'un feu
violent : une sorte de fosse, dans laquelle un feu aurait été
fait, semble avoir été creusée dans le sol, car la terre
est cuite tout autour, et a pris la couleur de la brique.
Cette couche de terre calcinée, dans laquelle on ne voit
d'ailleurs que de très rares parcelles de charbon, mesure
-- 513 -
en quelques endroits près de 0™40 d'épaisseur. Aucune
trace de mobiJier funéraire.
Tumulus 45. — (Diam* 10 m.; haut' 1""10.) Noyau central
en pierrailles, orienté Nord-Sud, Quelques débris d'un pot ;
couche noire; peu de charbons ; reste de pointe de flèche
en silex blond (pi. I, fig. 31).
Tumulus 46,. — (Diam« 15 m.; hauf 1°^30.) N'a rien
donné. Les renards avaient en grattant ramené un
gros racloir en quartzite à la surface du sol (pi. II,
fig. 38).
Tvmulus 47. — (Diara« 15 m. ; haut' 1™20). (Ouvert par
M. Voinot ; continué par la Société). Pierrier central avec
restes d'un vase. A la base du tumulus, au centre, un bra-
celet en bronze (pi. II, fig. 51) et un grattoir en quartzite
(pi. I, r\g. 20). Il paraît y avoir eu ici superposition de
sépulture.
Tumulus4S. — (Diam^ 30 m. ; haut' l'n20). Dévasté par
les renards. N'a rien donné.
Tumulus 49, — (Diam« 10 m. ; haut»* l'n20). Pierrier cen-
tral orienté Nord-Sud. Couche noire ; débris de pot; quel-
ques fragments d'un bracelet de lignite (pi. I, fig. 27) et
une sorte de grattoir en silex brun (pi. L fig. 30).
Tumulus 50. — (Diam<^ 15 ni. ; haut»" 1"20). A 0™30 de
profondeur, petit fragment de fer indéterminable (pi. I,
fig. 9) ; anneau de bronze uni ; fragments d'un bracelet
uni ; torques avec tampons terminaux ; le tout est en
bronze (pi. II, fig. 54, 55). Rien sur le sol du fond. Il
semble y avoir eu également, dans ce tumulus, superposi-
tion de sépulture.
Tumulus 51. — (Diam^^ 10 m. ; haut' 0'"50). Rien.
Tumulus 5^. — Non fouillé (1).
Tumulus 53. — (Dianv^ 15 m. ; haut. 1"»20). Rien.
(I) Ce tumulus a été complètement dévasté par les chasseurs do
renards : son relief est en conséquence assez faible (0"80) ; mais, par
contre, son diamètre atteint près de 30 m.
— 514 —
Tumulus 54.— (Diam* 20 ra.; hauU 1°»70). (Commencé par
M. Voinot ; achevé par la Société). Pierres éparses çà et là
dans la masse terreuse. Il a donné, au centre, des traces de
sépultures. Le corps avait dû reposer sur une couche de
pierres couvertes de cendres, en forme de carré long
orienté Nord Sud ; quelques pierres placées de champ de
distance en distance délimitaient la tombe. Pas de traces
de mobilier funéraire, ni de débris osseux.
* Tumulus 55. — (Diam® 15 m. ; haut^ 1»50). Rien.
Tumulus 56. — (Diam* 20 m.; haut^ l'°20). Rien.
Tumulus 57. — (Diam* 20 m. ; haut»" 1°»50). A 0"50 de
profondeur, vase brisé en terre rouge très grossière, et, à
deuxJers de bêche, entre celui-ci et la tranchée, fera
cheval relativement moderne (1). Au fond, rien.
Tumulus 58. — (Diaro* 15 m. ; haut^ i^W), Pierrier cen-
tral paraissant avoir contenu deux sépultures, celle du
fond orientée du Nord au .Sud, celle du dessus de TEst à
rOuest. Elles ont donné quelques fragments d'os, des
débris de poteries et un fragment de bracelet de bronze
(pi. II, fig. 75) ayant appartenu probablement à celle d«
dessus, qui m'a parue violée. On y remarquait la présence
de deux énormes dalles en calcaire dolomitique, sur les-
quelles avait sans doute reposé un corps.
Tumulus 59. — (Diam'^ 15 m. ; haut' 1^50 ). Violé depuis
longtemps ; restes de poterie grossière rouge et, près de
la surface, fragment de poterie très fine vernissée brune
de la Tône III.
Tumulus 60. — (Diam. 10 m. ; haut. 1™30), Quelques
fragments d'un petit bracelet plat, complètement oxydé
(pi. II, fig. 57), et d'un autre rond, épais de 0"02, en partie
détruit (pi. II, fig. 37). Petit pot en terre rouge grossière
(pi. V, fig. 6).
Tumulus 6i, 69, 63. — (Diam® 10 m. ; hauf 0°»50). Rien.
(1) D'après notre confrère M. le C Larguillon, ce fer serait bor-
gonde.
— 515 —
Tumulus 64, 65, 66. — (Diam« 10 m. ; haut' 0"40). Non
fouillés.
Tumulus 67. — (Diam® 10 m.; haut' 0"50). Poterie;
forte couche de charbons comme pour les tumulus 2, 3,
6, etc..
Tumulus 68.- (Diara* 15m.;haufl m.). Quelques débris
d'un vase grossier en terre rouge ; aucunes traces de (iliar-
bons.
Tumulus 69. — (Diam*" 10 m.; haut»^ 1 m.) Pierrier central
orienté Nord-Sud. Quelques débris d'ossements; un gro.9
broyon en quartzile gris (pi. II, fig. 58).
Tumulus 70. -— (Diam^ 20 m. ; hauf 1 m.). N'a rien
donné.
Tumulus 71. — (Diam® 12 m. ; haut' 1 m.) Inhumation
orientée Nord Sud. A 0'"40, vase en terre grise.
Tumulus 71— (I)iam* 15 m.; hauf^ 1 m.). A0"80, sous un
pierrier orienté Nord-Sud, deux bracelets de brooze
moyens (pi. III, fig. 67, 68).
^ lumulus73. — (Diam« 10 m.; haut»" l«n50). Deux brace-
lets en bronze, plats, larges au centre (pi. III, fig. 72), à la
profondeur de 0™70. Inhumation orientée Nord-Sud. Re-
fouillé par la Société, il a encore donné un petit anneau
en terre cuite (pi. I, fig. 10).
* Tumulus 74. — (Diam® 20 m.; haut' 1™30). Inhumatiou
Nord-Sud, sous un pierrier. Restes d*un crâne. Sur la poi-
trine, deux petits morceaux de ter longs de 5 à 6 cm. se
croisant en forme de V.
Tumulus 75. — Très petit, non fouillé.
Tumulus 76. — Très petit, quelques traces de charbons.
J. Beaupré et J. Voinot.
DEUXIEME PARTIE
Observations sur la station funéraire du bois
de la Voivre.
Les dimensions des tumulus de la Voivre varient entre
Om4o et lm60 de relief, sur 10 à 35" de diamètre. Malheu-
reusement, les plus gros ont été minés par les renards, et
surtout bouleversés par les travaux entrepris pour les
déterrer. Les uns sont en forme de calotte bien arrondie;
les autres, de préférence les plus volumineux, sonlaplatis
à leur sommet, mais c'est plutôt une exception. Si cette
conformation est la suite d'une violation de sépulture dans
certains cas, elle provient aussi de remaniements dus à des
causes accidentelles et à des inhumations successives.
A première vue, on peut prévoir une mauvaise conserva-
tion des ossements (1\ car les matériaux terreux employés
consistent en limon de surface complètement décalcifié.
J'ai fait remarquer ailleurs que ce genre de terrain a été
très recherché en Lorraine, par les peuples anciens, pour
rétablissement de leurs sépultures, probablement à cause
de la facilité avec laquelle il se travaille. Mais j'ai éga-
lement signalé les inconvénients de la décalcification du
sol au point de vue de la conservation des os (2;. Ce limon
de surface, repose sur une terre blanche dépourvue de
(1) Mon collaborateur, M. le D' J. Voinol, ayant l'intention de publier,
dans lin des prochains numc^ros du Bulletin mensuel de la Société
d'archéologie lorraine, une noie sur les rares ossements découverts à
Voivre, je ne traiterai pas ici la question anthropologique.
(2) J. Beaupré, Obs^er ru lions sur les sépultures sous tumulus de la
lorraine.
lahrbuch der (Messellschaft fiir Inthringische Geschichte und
Altertumakunde (Band XIV, 1902, p. 294).
— 517 —
pierres, contenant des petits nodules pyriteux s*écrasant
sous Toutil des terrassiers et donnant à la gangue terreuse
qui les environne une couleur de rouille. Plusieurs assez vo-
lumineux, se sont désagrégés d'eux-mêmes; aussi est-il fort
difficile de décider si Ton se trouve en présence d'un oxyde
provenant d'un objet de 1er tombé en poussière, ou des
restes de la décomposition d'une pyrite, d'autant plus que
c'est surtout à la surface du sol en place que cette décon^-
position est la plus fréquente, c'est-à-dire au niveau de la
couche archéologique.
Beaucoup de tumulus étaient vides ; la décomposition
avait achevé son œuvre. A part les fragments d'os en con-
tact immédiat avec des objets de bronze, conservés par les
composés cui vriques qui les ont imprégnés, ou empâtés dans
la rouille provenant de gros objets de fer, on ne retrouve
d'ossemeats que dans les tertres où l'on a pris la précaution
d'entourer le cadavre de pierres calcaires, ce qui confirme
mes observations antérieures. Les matériaux rocheux em-
ployés ici sont des pierres de calcaire à chaux hydrau-
lique, de coloration grise.
Indépendamment de ces causes naturelles de disparition
des ossements, il faut mentionner des remaniements de
sépultures opérés à différentes époques, dès les temps les
plus reculés. Celles-ci sont manifestes dans plusieurs
tumulus.
En général, les corps sont orientés du Nord au Sud ;
quelques uns, mais bien plus rarement, de l'Est à l'Ouest.
L'orientation est indiquée par la couche de coloration un
peu plus foncée, provenant de la décomposition des matiè-
res organiques, et par la position des bracelets. Encore
est il impossible de décider, dans la plupart des cas, si le
vase funéraire était placé aux pieds ou à la tète du mort.
Il semble toutefois que la règle était de le placer aux pieds,
et plus rarement à hauteur des mains.
Nous avons également remarqué des débris de vases au
centre de quelques tumulus, à une faible profondeur.
- 318 —
Il est possible que ces derniers aient servi à contenir des
restes d'ossements incinérés, comme je l'ai remarqué à
Clayeures et à Villey-Saint-Etienne en 1898 Mais, là, les
débris d'os étaient bien déterminables, tandis qu'ici, on
ne retrouve plus rien. Il y aurait eu alors superpositions
des deux modes de sépultures.
Le plus grand nombre des tumulus contenait un seul
corps, placé invariablement au centre, à la surface du sol
vierge. Cependant, la partie supérieure de quelques-uns
avait été utilisée pour une seconde sépulture. Le tumulus
40, par exception, contenait au moins quatre corps,
deux au fond, placés côte à côte, orientés de l'Est à l'Ouest,
deux au-dessus, orientés du Nord au Sud II m'a paru pré-
senter une grande analogie avec le tumulus III de la station
funéraire de Serres, explorée en 1902 (1).
Sur 67 tumulus fouillés, 12 seulement renfermaient des
pierres, soit amoncelées en forme de carapace de tortue
au-dessus du corps, soit disposées en forme de pavage. Ce
dernier a été primitivement recouvert d'une couche de
cendres et de charbons sur lequel le mort a été étendu,
mais il n'en est resté que de faibles traces dans les inters-
tices des pierres.
En général, dans les tumulus composés exclusivement
de matériaux terreux, les charbons sont rares. La couche
de résidus de calcination était elle moins épaisse ? Il n'y a
aucune raison de le supposer. Cette bonne conservation
est plutôt due dans les tumulus pierreux, à la présence
des matériaux rocheux. Quoiqu'il en soit, certains tumulus
de la partie centrale de la station portent les traces d'un
feu violent. La surface du sol naturel est cuite au rouge
jusqu'à une profondeur atteignant par places jusqu'à 40 cm.
dans le tumulus 44. Contrairement à toute attente, les restes
(1) J. Beaupré, Compte rendu des fouilles exécutées en 4902, etc,
dans des tumulus situés dans le bois communal de Serres. (Bulle-
tin mensuel de la Soc, d*arch, lorr.^ janvier 1903.
— 519 —
de cendres et de charbons ne sont pas èxtraordinairemènt
plus abondants ici que dans les autres tumutus. Aussi
faudrait-il peut-être admettre que la plus grande partie
des produits de combustion a été enlevée avant la mise en
place du cadavre. Les tertres présentant ces particularités
n'ont donné aucun vestige d'ossements ni de mobilier
funéraire, et souvent pas même de débris de poteries ; ils
n'occupent pas non plus un emplacement de nature à atti'-
rer l'attention. Doit-on les considérer comme ayant contenu
des restes d'incinération ? Je ne le pense pas. Je croirais
plutôt à un rite funéraire, consistant à purifier le sol au
moyen d'un feu sur l'emplacement duquel le corps était
ensuite placé, puis recouvert de l'amas de matériaux cons-
tituant le tumulus. A première vue, j'avais cru à des cas
d'incinération ; mais, en comparant mes observations de
celle que j'ai faites ensuite sur certains tertres de la par-
tie Nord Ouest de la station, cette opinion semble peu sou-
tenable. En effet, dans ces derniers, l'incinération s^afflrme
avec bien plus de netteté ; elle est certaine. Le vase funéraire
repose au centre d'une couche charbonneuse, épaisse, bi^n
conservée. Si cette couche de charbons n'avait pas été, dès
le principe, bien plus abondante dans ces tumiilus que
partout ailleurs^ on ne s'expliquerait pas comment les ma-
tières charbonneuses, enfoncées à la profondeur de un ou
de deux fers de bêche, se seraient mieux conservées là que
partout ailleurs, où l'épaisseur de la couche de terre aurait
dû au contraire contribuer à leur conservation. En admet-
tant une différence de date, l'écart ne saurait être assez
considérable pour expliquer une telle dissemblance.
En résumé, il est impossible de dire d'une façon certaine
si l'on rencontre des incinérations ailleurs que dans la
partie la plus proche de Haroué. Toutefois il est possible
que les tumulus 19, 20, 4i aient contenu des incinérations.
En récapitulant, nous trouvons sur 67 tumulus ouverts:
6 tumulus à incinérations bien nettes (1, 2, 4, 6, 8, 67).
— S20 —
4 tumulus ayant peut-être contenu une incinération
(19, 20, 44, 76).
.34 turaulus à inhumations (11, 12, 13, 14, 17, 18, 21, 2i,
25, 27, 29, 31, 33, 34, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 45, 46, 47,
49, 50, 54, 58, 60, 69, 71, 72, 73, 74).
23 tumulus à inhumations probables (7, 10, 15, 16, 23,
26, 28, 30, 32, 35, 36, 48, 51, 53, 55, 56, 57, 59, 61, 62, 63,
68, 70).
Ces chiffres font ressortir, une fois de plus, la rareté des
incinérations dans les tumuluslorrains ; ii y a lieu defdire
observer qu'il n'en n'est pas de même en Belgique.
Si l'on examine sur le plan l'ensemble de la station, on
remarque ensuite :
loQueles tertres sont disséminés sans ordre sur un espace
de près de 600 mètres,
2° Qu'ils forment, malgré cela, une sorte de traînée allant
sensiblement du Nord au Sud, en prenant comme points
extrêmes les tumulus 59 et 60, orientation analogue à celle
de la grande majorité des corps.
3'' Que les lumulus de la partie Nord-Ouest, remarquables
parleurs incinérations et leur faible relief, sont en dehors
de cette traîQée.
4*" Que les tumulus à inhumations les plus riches occup-
peut la partie centrale de cette ligne et sont, selon toutes
probabilités, les plus anciens de la station, qui s'est éten-
due dans la suite vers le Nord, le Sud et l'Est et, proba-
blement en dernier lieu, vers le Nord-Ouest.
Mobiliers funéraires
Les mobiliers funéraires se composaient d'objets de pier-
re, de bronze, de fer, de lignite et de terre cuite : un seul
comptait un bijou d'ambre et d'or ; un autre, un bracelet
lormé d'une substance indéterminée. Ces mobiliers et en
général tous ceux de la même époque trouvés en Lorraine
présentent une remarquable homogénéité: les pièces qui
pnotMypM * !*»•«« •» O» «•■«r
Stanoa
(flan
PI. I
Ridmctiott de moilii
) la Voivre
HMMypM k. tMiarM « 0>. liMey
Station lim^^ ***-
PI. II
Rlduction de moitié
la Voivre
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riMMotypi* A. Bargcm «l G>. Xaacy
Station ion^»^ ^
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PI. m
r>«
62
60
Riduction de moiiu
Voivre
11*J ^
OF
- 521 -
les composent attesteat une industrie ayant son cachet
particulier. On la retrouve dans les bassins de la Moselle,
de la Meurthe et de la Sarre. Elle ne me semble pas s*^^.e
étendue au Sud au-delà des Faucilles, sinon peut-être d
titre de pièces isolées.
Je dirai quelques mots seulement des objets recueillis,
les ayant presque tous fait figurer sur les planches, p^ .-
mant ces représentations bien préférables aux meilleures
descriptions.
Objets de pierre. — Les objets de pierre se composent
surtout d'outils en quartzites, tels que broyons, racloirs,
etc. Un des broyons est fait d'un talon de hache polie plate,
de grandes dimensions (pi. 1, fig. 8). Un caillou de quartz,
de forme ovoïde, placé près d'un fémur, me paraît avoir
servi d'amulette (pi. 1, (ig. 29). Parmi les silex taillés,
d'ailleurs très rares (3 pièces), citons une belle pointe de
flèche en silex rose.
La présence d'instruments de pierre dans des sépul-
tures, môme plus récentes que celles-ci, est un fait très
fréquent. Si elle n'a pas été signalée plus souvent, c'est
parce qu'on n'y a pas prêté attention, la plupart des
fouilles n'étant pas, ou étant mal surveillées.
Cela confirme le long usage des matériaux rocheux dans
la confection des instruments, opinion que nous avons
toujours soutenue.
Au lieu d'admettre le fait sans parti pris, comme il
se présente, on voudra peut être voir dans ces outils,
des objets votifs . Cette objection a été très longtemps en
faveur pour se tirer d'embarras. Mais il est vraiment trop
commode, on en conviendra, de mettre d'un seul mot, en
quelque sorte hors la loi, ce qui vient à rencontre de
certaines théories.
Il n'y a pas à dire non plus que ces instruments se
trouvaient peut-être dans les matériaux apportés pour
élever les tertres funéraires. Nous les avons toujours re-
3i
— 522 —
cueillis dans la couche archéologique, dans le voisinage
immédiat des corps. Aussi, malgré leur apparence néoli-
thique, je n'hésite pas à considérer ces objets comme
contemporains des autres.
Objets de bronze. — Le bronze est représenté par des
anneaux, un torques et des débris de fibules. Leur
patine est différente. Chez les uns, elle est de coloration
vert clair ; chez les autres, d'un ton bleu souvent in-
tense (1). L'altération du métal est plus ou moins avancée.
Dans certains cas, elle est si profonde qu'il n'existe plus
aucune partie inattaquée par l'oxydation. L'objet alors,
quand il est mince, ne présente pas de solidité et se frag-
mente à la moindre tentative faite pour le recueillir, s'il
n'est pas déjà tombé partiellement en poussière.
Nous avons récolté 37 anneaux en bronze, les uns pleins
et les autres creux. Tous nous ont paru être des bracelets.
Un seul, garni en son milieu d'une saillie de quelques
millimètres s'avançant vers l'extérieur, semble être un
anneau de jambe. J'en ai trouvé un pareil à Villey-
Saint Etienne en 1898 (pi. II, fig. 53). Il en serait peut-être
de même du n^ 53.
Parmi les objets de bronze, il faut mentionner également
un torques à tampons, unique spécimen de ce genre de
parure, si à la mode à l'époque marnienne. Il y a lieu de
remarquer qu'il était compris dans le mobilier d'une
sépulture paraissant placée au dessus d'une plus ancienne.
Un bracelet (PI. III, f\^. 71), d'ailleurs incomplet, orné de
points entourés d'un cercle, présente cette curieuse parti-
cularité d'avoir été raccommodé au moyen d'une feuille de
bronze, consolidée avec un tissu dont la trame est encore
très apparente.
Je ne décrirai pas les différents bracelets ; je renvoie le
(1) C'est de l'azurite ou cuivre carbonate bleu (69 */, de caivre 5V«
d'eau, etc...)-
lecteur aux planches : je tiens cependant à donner quel-
ques explications concernant ceux dont Tornementation
n'est pas visible sur celles-ci.
Le bracelet n» 13, d'aspect archaïque, se compose d'une
bande de bronze plate, épaisse de O'ûOOS, large de 0"»028,
terminée aux extrémités par une baguette transversale, un
peu arrondie, dépassant de chaque côté de 0*"002. A 0"01
de chaque extrémité partent deux triangles isocèles hauts
de 0™02, le sommet tourné vers le milieu du bracelet et
se joignant par celui-ci à deux autres, placés en sens
contraire, de façon à former un losange entre les deux
triangles, et un demi-losange de chaque côté. Ces triangles
sont rayés transversalement; mais les losanges et la partie
comprise entre les bases et les baguettes terminales sont
iinis. Quant à la partie centrale du bracelet, elle est éga-
lement ornée de stries transversales. Cette ornementation
rappelle celle du haut de la hache de Mareuil-sur-Ourcq (1),
quelques parties d'un bracelet de Réallon (2) et d'un autre
de Mittelwihr (3), bien que ces deux objets diffèrent
complètement pour la forme de celui de la Voivre.
Les no* 16 et 45 ressemblent aux n®» 4 et 2 de l'Album
Caranda (pi. XVII et pi. XVI) (4).
Le no 57 est plat, épais de 0"^002, d'une largeur uni-
forme t0'"005). Sur la planche il ne paraît pas ainsi, car il
est empAté dans de la cire destiné à le consolider. Son
ornementation consiste en un léger renflement central,
arrondi, et en deux autres de moindre relief le long de
chaque bord, le tout allant d'une extrémité à l'autre
(v. Album Caranda, pi. XVII, fig. 5).
Le n® 72 est du modèle des n»* 47, 48, 49 et 42, mais pluf
(1) Dictionnaire archéologique de la Gaule. (Fig. 8).
(2) Même ouvrage (Fig. 7).
(3) Faudel et Bleiciier, Matériaux pour une histoire préhistorique
de l'Alsace (Fig. 4 et 2, pi. V).
(4) M. MoREAU, Àlbîim Caranda,
— 524 —
gros, son ornemeotalion consiste en quelques petits ronds
avec point au centre.
En somme, à part quelques exceptions, Tensenible
des bracelets ne rappelle, comme forme, ni les types de la
Champagne, ni ceux du bassin du Rhône, ni ceux de la
Belgique, ni ceux de la Suisse. Serait-on en présence
d'une industrie locale ? je ne le pense pas. Peut-être fau-
drait-il en chercher l'origine dans quelque courant com-
mercial et surtout ethnique, venu de l'Europe centrale.
Objets de fer. — Les objets de fer étaient, en général, en
trop mauvais état pour être reproduits de façon à présenter
de rintérêt, il est bon d'en donner une description détaillée.
Ils se composent de :
1° 3 épées de fer.
La première est complètement oxydée. Elle n'a pu être
recueillie que par fragments, malgré tous les soins appoi^
tés à cette opération. Elle mesurait en place 1™10^ de la
pointe à l'extrémité de la soie, et n'avait pas de fourreau.
Ld lame, pistiliforme^ comptait 0°^06 à sa partie la plus
large, et On^Oo dans sa partie moyenne. Elle avait été brisée
en deux parties, un peu en dessous de la partie large de
la lame.
La pointe parait avoir été mousse, mais on ne saurait être
affirmatif, car elle a pu être empâtée par la rouille. La base
de la lame portait deux crans latéraux bien marqués,
mais aujourd'hui tombés en poussière. La soie, plate, de
même épaisseur et de même largeur que la lame dans sa
partie moyenne, porte encore trois rivets de bronze, épais
d'environ 0^004, autour desquels on remarque des restes
de bois provenant de la poignée. Ces rivets placés à la suite
l'un de l'autre, à O^^Oâ d'intervalle, sont visibles seule-
ment sur la face qui était tournée vers le sol. Il n*existe
pas de traces de rivets à la garde. Quant à la façon dout
se terminait la poignée, il est impossible de s'en rendre
compte. Cette arme me paraît nettement hallstattienne.
- 525 --
La seconde épée était encore plus mal conservée ; aussi
est il impossible de préciser sa forme. En place, elle
m'avait semblé plutôt droite que pistiliforme, dépourvue
de soie, mesurant environ 0™60 de long. Un petit frag-
ment de fer retrouvé dansla terre enlevée à l'emplacement
de la poignée m'a démontré mon erreur, au moins quant à
la soie. En ce qui concerne la forme de la lame, je
m'aperçus, en dégageant celle-ci de sa gangue terreuse,
qu'elle formait une masse trop pleine de boursouflures
pour pouvoir être classée avec certitude plutôt dans une
catégorie que dans une autre.
La troisième épée est la mieux conservée, parce qu'elle
reposait sur une grande dalle. Elle est pistiliforme comme
la première, sans avoir toutefois des caractères aussi
tranchés.
De la pointe à la garde, elle mesure 0™75 de longueur.
La soie est incomplète ; il en reste seulement Oï^iO : elle
est plate, de même largeur que la lame, mais ne porte
pas de traces de rivets de bronze.
Cette arme me paraît avoir été dans un fourreau de bois
recouvert d'une étoffe, dont le tissu est demeuré empAté
dans la rouille, avec une partie du bois sur presque toute
la longueur de la lame. L'arme se termine par une pointe
bien nette mais non effilée, les deux droites qui la consli
tuent se coupant presque à angle droit. L'extrémité de
la lame avait-elle cette forme, ou celle-ci tient-elle à la
présence du fourreau ? Le fourreau recouvre encore
la pointe, puisqu'on voit encore très nettement, sur les
tranchants, le fil ayant servi à coudre l'étoffe.
Je crois néanmoins que la forme de la pointe de la lame
correspondait à celle du fourreau, sans cela, ce dernier
ne se serait pas imprégné d'oxyde de fer et, par suite, ne
serait pas conservé d'une façon aussi remarquable.
Dans l'ouvrage de M. le D^ Gross (1) on remarque, page
(1) Gross, « La Têne ; Un oppidum helvète ».
- 526 —
11, fig. 1, un fourreau d'épée de la Têne présentant, avec
celui de Haroué, une certaine ressemblance par suite des
apparences de tissu imprimé à sa surface. Mais, indépen-
damment de la forme générale qui est différente, des
ornements de la partie supérieure du fourreau qui n'exis-
tent pas ici, il s'agit à la Tène d*un estampage imitant un
tissu, tandis qu'à Haroué celui-ci est trop nettement mar-
qué pour permettre le moindre doute sur son existence.
Il y a lieu de faire remarquer l'identité de type existant
entre les épées de la Voivre, de la Naguée (1), de Moncel (2),
en Lorraine, avec celles de Magny-Lambert (Côte d'Or) (3)
et de la région d'Ottignies, en Belgique (4).
2o Un grand clou de fer (pi. III, fig. 70), longde0™25,
roulé en guise de bracelet autour d'un fragment de radius.
3^^ Deux petites liges de fer, longues de O^'Oo à 0"06,
placées, d'après M. Voinot, en forme deV, à hauteur de la
poitrine d'un corps.
't** Une petite tige de fer de 0™07 de longueur, plus épaisse
à l'une de ses extrémités, et présentant vers sa partie effilée
deux barbelures bien conservées, placées l'une au-dessus
de l'autre. Ces dernières forment une très faible saillie
(pl. I, fig. 12).
Elles ont été obtenues au moyen d'une entaille faite à
chaud sur une arête vive, avec soulèvement de la parcelle.
Cette tige me paraît être un reste de fer de flèche.
(1) Db Martimprbt, Les sépultures sous tumulus de la Naguée.
(Mém. de la Soc. d'arcli. lorr.^ 1889, p. 75-85).
(2) J. Beaupré, Compte rendu des fouilles exécutées en 4899^ dan^
des tumulus^ à ^foncel-sur-Seille (Bulletin mensuel de la Soc. d'arch.
lorr., 18S9, p. 27-28).
(3) A. Bertrand, Les tumulus gaulois de Magny-Lambert {Mémoires
de la Soc. des Antiquaires de France, IV* série, 4* vol., p. 20;.
(i) Ch. Deus, Sépultures à incinérétwns du premier âge du fer
dans la région d'Ottignies (Amiales de la Soc. d'arch. de Bruxelles,
1903, p. 138).
— 527 —
5» Un fragment de fer plat, peut-être un de ces instru-
ments désignés sous le nom de rasoirs avec plus ou moins
de raisons. Il est long de0»»04 dans un sens, de0'»045 dans
un autre, épais de 0™003 à 0"»004, avec cassure assez fraîche
à la partie gauche (pi. I, flg. 9). .
Il faut mentionner également des traces d'oxyde de fer
remarquées ça et là, soit dans le sol, soit sur des bracelets,
des os, ou des pierres. Elles proviennent d'objets parais-
sant quelquefois avoir été assez gros, probablement des
bracelets.
Objets en lignite, — Ceux-ci consistent en 19 bracelets,
peut-être 20 ; car, en voulant reconstituer un bracelet très
volumineux complètement désagrégé (pL II, fîg. 36 et 39),
j*ai cru trouver des morceaux présentant un profil de na-
ture à supposer qu'ils ont pu appartenir à deux pièces
différentes ; aussi n*ai-je pas poussé plus loin ma tenta-
tive de restauration. Ces parures peuvent rentrer dans
trois catégories suivant leur taille.
Première catégorie (Gros). — (PI. III, fig. 61, 62: haut'
0™06, épaiss"^ 0™024, diam^ intér^^ 0™06 ; pi. II, fig. 40 :
hauf O^OS, épaissr 0«»015, diam» intér»" 0'«06 ; pi. 1, fig. 3,
4 : haut' 0N)4, épaiss' 0^025, diam^ intér' 0""055 ; pi. II,
fig, 36, 39: épaiss' (non reconstituée), diam^ intérJ^Oïn.OS^).
Deuxième catégorie (Moyens). — (Pi. III, fig. 65, 66 :
haut^ 0°»02o, épaiss' O'^Olo, diam® intér' 0^06.) Ces deux
bracelets portent la trace d'un long usage. Les numéros 24
et 28 (pi. I) forment un type intermédiaire bien tranché
entre ceux-ci et les suivants.
Troifiième catégorie (Petits). — Simples anneaux (pi. I,
fig. 21,22, 23, 25, 26, 27, 33 ; pi. II, fig. 42).
Le faible diamètre intérieur de tous ces bracelets, laisse
supposer que, pour parer à la difficulté de l'introduction
du bras, ces parures devaient être mises en place avant que
le membre ait atteint toute sa croissance.
Si quelques-uns de ces anneaux sont bien conservés,
- 528 -
d'autres au contraire sont fendillés, et s'en vont en la-
melles. Ce lignite est du reste plutôt lamellaire que ter-
reux, ayant conservé des éléments végétaux reconnaissables,
incomplètement lignitisés. Certains s'étaient déjà décom-
posés dans le sol ; d'autres se sont délités en séchant, mal-
gré les mesures prises pour éviter une dessiccation trop
rapide.
Ce lignite ne proviendrait-il pas de Gemmelaincourt?
Cela expliquerait le nombre de pièces de ce genre relative-
ment considérable dans les bassins de la Moselle, de la
Meurthe, de la Sarre, et de la Saône (1). Il y aurait là une
question intéressante à étudier.
Aucun bracelet de lignite ne nous a paru avoir été inten-
tionnellement brisé comme quelques-uns de ceux en
bronze. S'il en existe d'incomplets, il faut attribuer le fait
plutôt à des causes naturelles de fractures et de décompo-
sition.
Comparativement aux autres stations funéraires lor-
raines, la station de la Voivre est relativement très riche
eu lignite.
Objets en terre cuite. — La céramique est représentée à
la Voivre par un bracelet en terre cuite du modèle des gros
bracelets de lignite et un petit anneau. Malheureusement
le bracelet était brisé en plusieurs morceaux. J'ai pu néan-
moins le reconstituer en grande partie (pi. 11, fig. 3o).
L'anneau mesure O'^OS de diamètre extérieur et 0™.0015
de diamètre intérieur.
Il est en terre très impure, de coloration grise rappe-
lant celle de la terre glaise desséchée, très peu cuite,
paraissant avoir été simplement chauffée, et non plact-e
dans le feu.
Viennent ensuite de nombreux vases, aux formes arron-
(1) Les lij^nitcs sont rares en Champagne. Dans Fouvrage de M. Mo-
rel, 3 bracelets seulement en jayet sont représentés (pi. 17. fig. 7 et 10
et pi. 21, ng. 4.). Ils sont de petite taille.
Cr-
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OF*
— 529 -
dîes et régulières dénotant dans leur fabrication l'emploi
sinon du tour, au moins du plateau tournant.
La pâte est assez grossière, mélangée de grains de
quariz : plus fine cependant dans les poteries de petites
dimensions. Sa couleur est brune, noire ou rouge brique.
Des taches indîliuent l'inégalité de la cuisson et de l'épais-
seur, de la pâte. Il en résulte une grande fragilité : certaines
parties s'en vont en poussière, tandis que d'autres ont la
dureté de la pierre. Tout est plus ou moins en morceaux,
et, malgré les soins mis à recueillir les moindres fragments
on s'aperçoit, au moment de reconstituer les objets, qu'il en
manque, le plus souvent, une notable partie. Ceux-ci ont
été mis en place déjà brisés, pour la plupart, et incomplets.
Comme décoration, le motif géométrique est employé
exclusivement ; quant au profil, il est un peu écrasé, mais
ne manque pas de cachet. Dans l'ouvrage de M. Morel, je
n'ai pas trouvé de poteries ayant quelqu'analogie avec
celles de ce pays-ci, ni comme aspect général, ni comme
décoration (1).
Quelques-unes sont munies d'anses, en général de faibles
dimensions ; d'autres, de trous de suspension.
Deux catégories de vases ont été trouvés à la Voivre
(voir pi. V):
Les uns ont la forme de tasses. Ils sont de petites
taille, assez grossiers et sans ornements.
Les autres, de beaucoup les plus nombreux, sont très
ventrus, ayant un fond très petit et une large ouverture,
avec col peu élevé. Le motif de décoration le plus com-
mun consiste en deux ou trois cercles gravés sur le haut
du ventre, à une faible distance du rebord formant
goulot. Ces cercles concentriques sont espacés de 0^002 à
0^004. Ce genre de décoration se retrouve, en Lorraine, sur
presque toutes les poteries de cette époque.
(1) MoRBL, La Champagne souterraine.
— 530 —
L'ornementaHon la plus intéressante appartenait à une
sorte de vase (tumulus 21) qu'il m'a été impossible de
représenter sur la planche V, car il était trop incomplet
pour en préciser la forme. Il m'a paru plus aplati et plus
large d'ouverture que le n*» 6 de la planche V. Du goulot,
pris comme centre, partent une douzaine de rayons cons*
titués par 3 lignes gravées à 0«*001 l'une de l'autre. Ces
rayons se terminent, un peu au-dessous du ventre, à
environ 0™04 du fond. Ils portent, aux deux extrémités,
3 petits cercles tangents, de 0°»00H de diamètre, placés sur
la même ligne, les rayons partant du cercle central. Dans
ces cercles sont inscrites d'autres circonférences. La pâte
est noire, peu épaisse, bien cuite.
Fibule d'ambre avec plaque d'or, *- Cette belle pièce se
compose d'un disque d'ambre d'un brun rosé, de la gros*
seur d'une pièce de 2 francs et à peu près de la même
épaisseur, orné de cercles concentriques finement gravés
au tour. Au centre était appliquée une mince feuille d'or
portant des dessins au repoussé, décollée accidentellement
par un coup de pelle. Elle était fixéeau moyen d'un mastic, sur
lequel se voient, reproduits en relief, les dessins delà feuille
d'or. Quelques traces de vert de gris, mêlées au mastic, an-
noncent, dans la gangue terreuse, la présence du bronze
formant la monture de la fibule. Comme l'ambre est très
fendillé par places, je n'ai pas osé dégager le disque, de la
terre dans laquelle il se trouve engagé. Je me suis con-
tenté de laver l'ambre avec un petit pinceau et de passer le
tout à la solution résineuse employée pour le lignite.
L'ornementation de la plaque d'or est bien marnienoe.
Elle consiste en un motif central de deux demi S adossés,
en relief, entre lesquels se voit un cercle, également
en relief, avec un point saillant au centre. Çà et là, pour
garnir les vides, on a répété cette dernière ornementation.
Le contour est marqué de deux cercles concentriques dis-
tants de 1 "/m, et l'espace compris entre eux orné de
PI. IV
Station funéraire de la Voivrc
(Haroué)
:^.T^-
T^*
'^^"^^I^^IU^^B
:^^
Bft;^5|
Grandeur nalureUe
Fibule
(PltitjHe iVor moulée sur ambre)
— 531 -
petits points également en relief (pi. IV) Cette forme de
fibule, peu répandue à Tépoque marnienne, est connue,
par du rares exemplaires, auprès desquels celle de la
Voivre n'est pas de nature à faire mauvaise figure (1).
Est-ce un bijou de fabrication locale ou d'importation?
C'est une question difficile à résoudre actuellement. Quoi
qu'il en soit, son ornementation me parait être une mani-
festation d'un genre de décoration dont les auteurs de
certaines monnaies gauloises se sont plus tard inspirés. (2}.
Substance indéterminée. — Il s'agit du bracelet n^ 34. Il
me semble avoir été fait d'une substance encore indéter-
minée, de nature bitumineuse et charbonneuse, enroulée et
comprimée jusqu'à dessiccation autour d'un cercle solide
qui a disparu : aussi le bracelet est actuellement creux.
Cette pièce semble identique à un bracelet trouvé à
Clairlieu, dans la forêt de Haye, et déposé au Musée
lorrain.
Si, en règle générale, les objets composant les mobiliers,
funéraires ont été déposés intacts dans les sépultures,
certains d'entre eux ont néanmoins été intentionnelle-
ment brisés et leurs fragments, ou quelques-uns seulement
de leurs fragments, ont été enfouis çà et là dans le tumu-
lus (3). Ces mutilations volontaires me paraissent avoir eu
pour cause principale, au moins à l'origine, l'intention
de prévenir les violations de sépulture, plus encore qu'une
pratique ayant pour but d'exprimer une idée de deuil,
comme certains l'ont prétendu. Cette mutilation devint-elle,
dans la suite des temps, un rite funéraire? C'est probable.
En conséquence j'inclinerais à considérer peut être comme
s (I) Voir la fibule de Magny -Lambert, Mém. de la Soc. des antiquai-
res de France ; celle de la collection Morel, La Champagne souter-
raine {p\. XXXVI), et celle de M. More^u {Album Caranda, pi. XVII).
(2) Elle rappelle notamment le n' 8885-8881, pi. XXXVI (Aduatici) de
de l'Atlas des monnaies gauloises de H. de La Tour.
(3) Voir les tumulus 25, 33, 43, etc.
— 532 —
les plus ancienDes de la station, les sépultures contenant
des mobiliers avec objets intacts. Ces mutilations seraient
un acheminement vers la suppression des signes exté-
rieurs de nature à déceler remplacement des sépultures.
Sur les 67 tumulus fouillés, examinons maintenant
quelle est la proportion des tombes d'hommes comparée à
celle des femmes.
Laissant de côté les tombes où nous n'avons trouvé au-
cun mobilier funéraire de nature à fournir quelques ren-
seignements, on trouve 3 sépultures de guerriers, bien
marquées par la présence des épées (tumulus 20, 24, 27).
De l'absence, dans ces tumulus, de toutes traces de bra-
celels, ne serait-on pas en droit de conclure que cette pa-
rure aurait été réservée aux femmes, non seulement dans
la tribu dont les morts étaient enterrés à la Voivre, mais
dans toute la région. Il ne s'agit pas, comme on pourrait
le croire, d'un cas isolé, pouvant constituer une simple
coïncidence, mais d'un ensemble de faits auquel je n'ai
pas trouvé d'exception. Examinons, en effet, dans les dif-
férents compte rendus de fouilles faites dans les tumulus
contemporains de ceux de Haroué, si les épées n'élaient
pas accompagnées de bracelets, d'armillesou d'anneaux de
jambe.
M. de Martimprey mentionne à la Naguée trois tombes
de guerriers caractérisées par des épées. Or, si Ton exa-
mine la liste des objets composant les mobiliers funé-
raires de ces tombes, on n'y voit figurer aucun bracelet, ni
autre ornement du même genre (1), alors que dans les au-
tres tombes ils constituent presqu'exclusivement les mo-
biliers funéraires.
xM. Morel, à Diarville en 1888, a découvert une épée
dans un tumulus, accompagnée seulement d'un rasoir.
(1) Comte de Martimprey, Les sépultures sous tumulus de la Afl-
fjuèe (Mémoires de la Société d'Archéologie lorraine, 1889, p. 79,
80, 81.
- S33 —
Dans un tumulus voisin, est-il dil dans la relation de
cette fouille, on avait trouvé antérieurement une épée,
avec un riche mobilier mais pas de bracelets (1).
M. E. Uuber, à Cadenborn (2), signale, dans le tumu'
lus III, une grande épée de fer; dans le mobilier, figure un
torques, mais pas de bracelets.
À Villey-Saint-Etienne, un seul tumulus m'a donné des
fragments d'épée, des os humains (3).
A Moncel, deux tumulus contenaient des épées ; pas de
traces de bracelets (4).
A Crantenoy, dans un tumulus au milieu des champs
proche de la station de Haroué, se trouvait une épée de
bronze, sans autre mobilier funéraire (5).
En présence de ces faits, et en l'absence d'arguments
contradictoires, mon observation ne me semble pas dé-
pourvue de quelque valeur.
En outre, le faible diamètre des bracelets trouvés, ne
dépassant pas 0"^065, sauf pour deux seulement, n'est pas
sans constituer un autre argument d'une certaine impor-
t'ince. Quant aux instruments de pierre, broyons et râ-
cloirs, véritables ustensiles de ménage trouvés en compa-
gnie de bracelets, ils caractérisent bien plus, on en
conviendra, des tombes de femmes que des sépultures
d'hommes.
Donc, jusqu'à preuve du contraire, ce genre de parure
ne parait pas avoir été en honneur parmi les guerriers
qui ont habité notre pays à la un du Premier âge du fer.
On pourrait même ajouter, en présence de la pauvreté des
(I) M. GuYOT, Fouilles à Diar ville et à Ambacourt f Journal de la
Société d'Archéologie lorraine, mai 1888, p. 115-118}.
{2) E. HuBER, Explorations de 9 tumultes faites en 4889 et en 4891
dans les forêts de Cadenborn et de Grosbltiederstor/f, situées près de
Sarreguemines (Lorraine). {Mémoires de l'Académie de Metz, 1890-91-
92-93.
(3) J. Beaupré, Les Etudes préhistoriques en Lorraine, etc., p. 45.
(4) Idem, (p. 47). ,
(5) RoDseignement recueflli par M. le Docteur Voinot.
— 834-
mobiliers funéraires des tombes d'hommes, que le sexe
fort faisait plus parade de sa simplicité que de son opu-
lence. Gela expliquerait dans une certaine mesure la rareté
'des tombes attribuables aux hommes, et peut-être fau-
drait-il chercher surtout des sépultures d'hommes parmi
les tombes indéterminables. Malheureusement, étant
donné la mauvaise conservation des ossements, toute véri-
fication relative au sexe des morts est aujourd'hui impos-
sible, en l'absence de mobilier funéraire typique.
On pourrait se livrer à bien des conjectures, mais deux
hypothèses méritent seules quelque attention.
1° L'incinération, rite funéraire moins ancien que
l'inhumation, puisqu'en Lorraine je l'ai toujours trouvée
au-dessus de celle-ci dans les cas de superposition de
sépultures, n'aurait-elle pas été appliquée dans le principe
aux hommes seuls, ou tout au moins à certaines catégories
d'individus ?
2« N'aurait on pas commencé, à l'époque où les objets
marniens deviennent nombreux dans les mobiliers funé-
raires de la Voivre, à ensevelir les morts dans des fosses
non recouvertes de tumulus, et cette dérogation aux
anciens usages n'aurait-elle pas été appliquée à cette
époque aux hommes d'abord ? Il est bon de rappeler que
l'on a découvert en Lorraine des cimetières à mobilier
bien marnien et, comme dans la Marne, dépourvus de tous
signes extérieurs de nature à déceler leur existence (1).
Quoi qu'il en soit, 21 tumulus contenaient des sépul-
tures paraissant féminines.
Ce qui donne au total : 3 sépultures d'hommes, 21 sé-
pultures de femmes et 43 sépultures indéterminables.
J'ajouterai que j'ai été frappé de cette disproportion
entre les tombes d'hommes et les tombes de femmes, dans
(1) Gondreville (1835) - ChampigneuUes (18U) ~ Villey-Sl-EUenne
(1886) — Domèvre (1886) — Llverdun (1887).
toutes les stations funéraires lorraines de cette époque;
Haroué ne fait pas exception à la règle. Il y a là un pro-
blème intéressant mais difficile à résoudre.
Il me reste à parler de la découverte faite par mon con-
frère M. Voinot, dans la partie supérieure du tumulus 18,
d'une série d'objets bien différents de ceux qui ont été
trouvés dans les autres tumulus.
Nous sommes ici en présence d'un groupe de poteries,
sans ornements il est vrai, mais incomparablement plus
fines et de forme toute autre, dont quelques-unes en terre
vernissée rouge : c'est de la céramique romaine. Les autres
objets, clous, agraffe en bronze et monnaie, sont des pro-
duits de l'industrie gauloise. La monnaie mérite une des-
cription: elle est admirablement conservée, absolument
ronde, sans bavures ; les figures sont placées bien au cen-
tre et très nettes. Elle tient le milieu entre les numéros
5390 et 5527 de l'Atlas de M. de La Tour (Sequani) : la face
rappelle celui du n» 5527 ; le revers, celui du n® 5390. Les
figures ont bien plus de caractère et surtout n'ont pas la
lourdeur de celles des monnaies de TAtlas.
Est-ce un dépôt d'objets postérieur à la construction du
tumulus^ ou le tumulus serait-il plus récent que' les
autres ? Est-ce une cache ou un mobilier funéraire?
La présence d'un fémur humain au même niveau tranche
ces deux dernières questions, comme l'existence, à la base
du tumulus, d'une sépulture présentant des caractères
identiques à celles de toute la station, ne permet pas de
fixer à ce tertre funéraire une origine différente des
autres.
Il y a superposition de sépultures d'époques différentes.
(1) n y eut évidemmeat dans certaines parties de la Gaule, ayaiH la
conquête, une infiltration progressive de marchandises romaines et,
par suite, des imitations de celles-ci. La présence de pareils objets sur
certains gisements est de nature à tromper sur la véritable date de
ceux-ci ; on ne saurait être trop circonspect à cet égard.
— 536 —
Tune marnienne à la base, l'autre ne remoalant pas au-
delà du premier siècle avant notre ère (1).
En résumé, quelle date peut-on assigner à la station
funéraire delà Voivre?
Les mobiliers sont plutôt hallstattiens ; mais on y re-
marque cependant quelques objets marniens, comme le
torques, la fibule, etc. Ce mélange indique une transition
entre Tépoque de Hallstatt et celle de la Téne, avec pré-
dominance de la première époque, ce qui, d'après la clas*
sification de Tischler, correspondrait aux débuts de la
Tène I, c'est-à-dire au iv° siècle avant l'ère chrétienne.
D'un autre côté, je ne crois pas qu'il y ait concordance
absolue de dates entre les différentes périodes de la Téne
en Lorraine et dans le reste de la Gaule. Autrement dit,
notre pays me parait en être resté relativement assez tard
à la civilisation hallstattienne ; aussi ne serait-il peut-être
pas prudent de se fier aux apparences, quand il s'agit de
préciser, non plus une époque, mais une véritable date.
J. BEAUPRÉ.
LISTE
DES SOCIÉTÉS SAVANTES ET ÉTABLISSEMENTS
EN RAPPORT AVEC LA SOCIÉTÉ D^ ARCHÉOLOGIE LORRAINE.
PUBLICATIONS PERIODIQUES QUI LUI SONT ADRESSÉES (1).
ÀLBi. — Revue historique, scientifique et littéraire du dépar-
lement du Tarn. *
Alger. ^- Société de Géographie d'Alger et de l'Afrique du
Nord. ~ ■
Amiens. — Société des Antiquaires de Picardie.
Angers. — Société nationale d'Agriculture, Sciences et Arts
d'Angers.
Angoulème. — Société historique et archéologique de la Cha-
rente.
i^ Annecy. — Société florimontane d'Annecy.
Anvers. — Académie royale d'Archéologie de Belgi(iue.
Arlon. — Institut archéologique du Luxembourg.
Arras. — Commission départementale des Monuments histo-
riques du Pas-de-Calais.
AuoH. — Société archéologique du Gers.
AuTUN. — Société éduenne des lettres, sciences et arts.
Auxerre. — Société des Sciences historiques et naturelles"
do l'Yonne.
Avignon. — Académie de Vaucluse.
Bale. — Historische und antiquarische Gesellschaft.
jf Bar-le-Duc. — Archives départementales de la Meuse.
Bar-le-Duc. — Société des Lettres, Sciences et Arts de
Bar-le-Duc. • _. .
(I) I/astérisqne gras indique l'envoi simnltané des Mémoire» ttdu Bullelin;
TaBtérisqne ordinaire, l'envoi du Bulletin seul. Les Sociétés dont le DOin n'est
précédé d'aucun signe reçoivent les Mémoiree.
36
Bbauvais. — Société académique d'Archéologie, ScieDces
et Arts du département de FOise.
Belfort. — Société belfortaiae d^Emulation.
Besançon. — Société d'Émulation du Doubs.
Bordeaux. — Société archéologique de Bordeaux.
Bourges. — Société des Antiquaires du Centre.
Bruxelles. — Société royale de Numismatique.
Bruxelles. — Société d'Archéologie de Bruxelles.
if Bruxelles. — Société des Bollandistes.
Bruxelles. — Fédération archéologique de Belgique
Gaen. — Société française (^Archéologie pour la conserva-
tion et la description des monuments.
Ghalons-sur-Marnb. — Société d'Agriculture, Gommerce,
Sciences et Arts du département de la Marne.
Ghambéry. — Académie des Sciences, Belles-Lettreset Arts
de Savoie.
Ghambéry. — Société savoisienne d'Histoire et d'Archéologie.
Gharleroi. — Société paléontologique et archéologique.
Ghartres. — Société archéologique d'Eure-et-Loir.
Ghateau- Thierry. — Société historique et archéologique de
Ghâteau-Thierry.
GoLMAR. — Société d'histoire naturelle de Golmar.
* Gompiègne. - Société historique de Gompiègne.
GoNSTANTiNE. — Société archéologiquo de la province de
Gonstantine.
*Dax. — Société de Borda.
Dijon. — Commission des Antiquités du département de la
Gôte-d'Or.
Epinal. — Société d'Emulation du département des Vosges.
Fontainebleau. — Société historique et archéologique du
Gâtinais.
Gand. — Société d'histoire ot d'archéologie deGand.
GiBSSEN (Hesse-Darmstadt). — OberhessischerGeschichtsve-
rein.
iir
Gray,— Société grayloise d'Emulation.
Grenoble. — Académie delphinale,
Havre (le). — Société nationale havraise d'Etudes diverses.
Helsingfors. — Société archéologique Anlandaise.
•Langres. — Société historique et archéologique de Langres.
Liège. — Institut archéologique liégeois.
Liège. — Société d*Arl et d'Histoire du diocèse de Liège.
Lu.LE. — Commission historique du département du Nord.
ic Luxembourg. — Institut grand-ducal de Luxembourg
(section des Sciences historiques).
Luxembourg. — Cercle historique, littéraire et artistique.
* Lyon. — Bulletin historique du diocèse de Lyon.
- Mans (le). — Société historique et archéologique du Maine.
*Mabedsous (abbaye de), Belgique. — Revue bénédictine.
Metz. — Académie de Metz.
^ Metz. — Musée de la ville de Metz .
Metz« — Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine.
* MoNs. — Société des Sciences des Arts et des Lettres du
Haiuaut.
Montauban. — Société archéologique de Tarn-et-Garonne.
MoNTBBLiARD. — Société d'Emulatiou de Montbéliard.
i^ MoNTBRisoN. — La Diana. Société historique et archéolo-
gique du Forez.
*Montmbdy. — Société des Naturalistes et Archéologues du
Nord de la Meuse.
* Montréal (Canada). — Société de numismatique et d'ar-
chéologie.
Mulhouse. — Musée historique de Mulhouse.
Namur. — Société archéologique.
-^ Nancy. — Académie de Stanislas.
i^ Nancy. — Archives départementales.
if Nancy. — Archives municipales.
if Nancy. — Bibliothèque publique.
-^ Nancy. — Société de géographie de TEst.
-^ Nancy. ^ Société lorraine de photographie.
Nantes. — Société archéologique de Nantes et de la Loirô^
Inférieure. .
NhiEs. — Académie du Gard.
Orléans. — Société archéologique de TOrléanais.
Paris. — Académie des Inscriptions et Belles -Lettres.
Paris. — Musée Guimet.
Paris. — Bibliothèque de la Sorbonne.
Paris. — Société nationale des Antiquaires de France.
Paris. — Société des Etudes historiques.
-^ Paris. — Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-
Arts.
Pau. — Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau.
Poitiers. — Société des .\ntiquaires de TOuest.
Reims. — Académie nationale de Reims.
Rome. — Gommissione archoologica comunale di Roma.
^ Saint-Dié. — Société philomatique vosgienne.
Sarrebruck. — Historischer Verein fur die Saargegônd.
* Sedan, — Société d'Etudes ardennaises. - •
Senlis. — Comité archéologique de Senlis.
Sousse (Tunisie). — Société archéologique de Sousse.
Stockholm. — Académie royale d'Histoire et d'Archéologie.
SrnASBOURO. — Société pour la Conservation des Monuments
historiques d'Alsace.
* Toulon. — Société académique du Var.
* Toulouse. — Société archéologique du Midi de la France.
Tours. — Société archéologique de la Touraine.
Troyes. — Société académique de TAube.
Verdun. — Société philomathique de Verdun (Meuse).
Verviers (Belgique). — Société verviétoise d'archéologie
et d'histoire. '
Zagreb (Agram). — Société croate d'Archéologie.
LISTE DES MEMBRES
DE LA SOCIÉTÉ b'ARCHÉOLOGIE LORRAINE
ET DU MUSÉE HISTORIQUE LORRAIN
au 1" Janvier I90k
Bureau de la Société élu |iOur l'année
i003-1004l.
Président, Léopold Quintard.
Président honorairey Charles Guyot.
Vice -président, Pierre de Lallemand de Mont.
Secrétaire perpétuel, Léon Germain.
Secrétaire annuel, Pierre Boyé.
i Emile Duyernoy.
Marcel Maure.
Bibliothécaire- Archiviste, Georges Gonry.
Bibliothécaire adjoint^ Charles Sadonl.
Trésorier, Juliea Knecht.
Conservateur du Musée lorrain, Lucien Wiener.
Eilste de» Membreii compostant le Comité du
Musée historique lorrain.
Président né, le Préfel de Meurtho-et-MosoUe.
Vice- Président né, h Maire de Nancy.
Membres du Comité : Les Membres du Bureau de la Société d'Ar-
chéologie; Marquis V. de Landreville, ancien conFeilier général;
Roussel^ secrétaire honoraire de la Mairie ; Genay, architecte ;
Fayier, conservateur de la Bibliothèque publique; Lnxer^ pré-
sident de Ch3mbre à la Cour; F. Bretagne; Commandant
Largnillon; Mellier, inspecteur honoraire d'Académie; E. Galle;
H. Lefebvre; Charbonnier^ architecte des monuments historié-
ques ; Comte J. Beaupré ; Martz^ conseiller à la Cour.
Membres honoraires.
Jojbert (M™« la baronne de), au château de Saulxures-les-Nancj.
Berger (Philippe), membre de rinstitut, professeur aa Collège
de France, 3, quai Voltaire, Paris.
Le Directeur de la Société française d'Archéologie (1).
Le Président de la Commission des Antiquités du département de
la Côte-d'Or.
— de la Société d'Ëmulation des Vosges.
— de r Académie de Metz.
— de l'Académie du Gard.
— de la Société archéologique de TOrléanais.
— de la Société des Antiquaires de TOuest.
— de la Société archéologique de Sens.
— de rinstitut grand-ducal de Luxembourg (section
des sciences historiques).
(1) La Société & conféré le titre de membre honoraire aux présidents des
Sociétés qui, après l'iDcendie du Palais dncal en 1871, ont bien tooIu lai
donner des témoignages de sympathie, soit en soascrivant pour la reconstractioo
de l'édiflce, soit en envoyant la collection de leurs publications à la bibiic-
thèque du Musée.
vn
Membres perpétuels (1)«
BerllB (Etoger), avocat à la Coar d*appe1, 2ô, rae de la Raviaelle.
Blsemont (le comte de), ancien officier supériear, château du
Tremblois, par Bouzières-aax-Cbênep.
llonr (Edouard), 127, rue Saint- Dizîer.
Coareel (Vdlentin de), 20, rue de Vaugirard, Paris.
t Onmaiit (le baron Prosper Ctnerrler de), premier secrétaire
perpétuel delà Société (Mort à Nancy le 26 janvier 18S3).
Floraaife (Joies), 21, quai Malaquais, Paris.
Ctermain (Léon), membre de l'Académie de Stanislas, 26,
rue Héré.
t Cloay (Jules), ancien magistrat, membre de TAcadémie de
Stanislas (Mort à Nancy le 16 février 1892).
€}ayot (Charles), directeur de l'Ecole forestière, membre de
TAcadémie de Stanislas, 10, rae Girardet.
t liaBiflard, directeur d'assurances (Mort à Nancy le 29 juin 1899).
t Caprevote (Charles), ancien secrétaire perpétuel de la Société
(Mort à Nancy le 12 juin 1886).
liari^allloB (le commandant), 43, faubourg Saint-Georges.
Eiefebvre (Henri), contrôleur des contributions directes en dis-
ponibilité^ 17, rue de Rigny.
t liepaf e (Henri), archiviste de Meurthe-et-Moselle, président de
la Société de 1851 à 1887 (Mort à Nancy le ^9 décembre 1887).
lioayot (l'abbé), professeur à l'Ecole Saint-Léopold.
Maare (Marcel), avocat, 5, cours Léopold.
t Meaame (Edouard), avocat, professeur à l'Ecole forestière (Mort
à Paris le 5 mars 1886).
(I) Le titre de membre perpétuel est acqais par le versement en une seule fois
d'aue" somme de 200 francs. 11 donne droit à la distribution gratuite des
Mémoir«$ et du Bulletin de la Société. (Arrêté ministériel du 16 juin ld9I, auto-
risant cette disposition additionnelle au Règlement.)
rvui
Ifea^lii (Henri), avocat à la Cour, ancisa BâtoQDier, membre
de rAcadémie de StaDislas, 49^ rue Stanislas.
Morlalncoart (le lieutenaat-colcael Reaé de), 14, rue do Chfi-
tillon, ChâloDs-sur-Marne.
Parifot (rabbé), aumônier, 14^ rue da Haut-Bourgeois,
t PiersoB (Louis), décédé à Mireconrt (Vosges), le 10 janvier 1899.
Bozières (Aatoiae de), à Mirecourt.
Bozlères (Paul de), à Luuéville.
Madoifl (Gharlo»), docteur en droit, directeur particulier de la
Compagnie d'assurances générales, 29, rue des Carmes,
t Sldot (Louis), libraire (Mort à Nancy le 18 mars 189G}.
Sldot (Nicolas), libraire, 3, rue Raugraff.
t itouliesmes ^Raymond des Cïodlas de\ ancien vice-président de
la Société (Mort à Nancy le 21 février 1902).
t Tliftcrj (Kmile), artiste peintre (Mort à Nancy le 3 féviier )8Do).
l^ieacr (Lucien), 34, rue de la Rdvinelle.
IS
Membres lliùlairee (I]
* Agnel (^Vabbé Arnaud d* , docteur en philosophie et ea théolo-
gie, 10, rue Montaux, Marseille.
* Aimond (i*abbé Charles), professeur au petit sémiatiire de Ole-*
rieux, près Verdun (Meuse).
* Alsace, prince d'Hénin (le comte d*), député, au châleau de
Bourlémont, par Neufchâtcau (VosgeOi et 20, rue Washing-
ton, Paris, VIII.
Ambroise (Emile), avoué, docteur en droit, 16, rue Gambetta^
Lunéville.
André (Emile), architecte, 1, place StanisUs.
* André (Georges)^ avocat A la Cour d'appel^ 12, rue d'Alliance.
* Arth, directeur de Tlnslitut chimique, 7, rue de Rigny.
* Asher, libraire, 13, Uoter den Linden, Berlin. W.
* Aubry (Georges), propriétaire de la manufacture de faïence de
Bellevue, près Toul.
* Aubry (Albert). 6, avenue Hoche, Paris, VIII*.
Andiat, Président de chambre honoraire à la Cour d*appel,
membre de TAcadémie de Stanislas, 45, rue do la Ravinelle.
Avout (le vicomte Auguste d*}, ancien magistrat, 14, rue dé
Mirande, Dijon.
Baradez, ancien adjoint au Maire de Nancy, ancien président du
Tribunal de commerce, 6, rue du Montet.
* Barbas (le commandant), 8, rue le la Monnaie.
* Barbey (Adrien), 5, rue Sainte-Cath«^rine.
Barbey (Georges), 5, rue Sainte-Catherine.
Barbier, dessinateur-autographe, 4, quai Choiseul.
Barbier (rabbc), curé do Saint- Vincent-Saint-Fiacre, 7, impassô
Saint- Vincent.
" Barrés, (Maurice) . à Cbarmes-sur-Mosolle (Vusges), et 100
boulevard Maillot, Neuilly-Paria.
(1) Les noms précédéft d'un astérisqae sont ceux des membres abonués au
Bulletin measael de la Société.
Les personnes dont le nom n'est suivi d'ancane indication de lieu obi leur
résidence à Nancy. Les localités dont la situation ci'est pas spécifiée sont situées
dans le département de Meurthe-et-Moseile.
^ Barthélémy (François), 2, place Sully, Maisons-Lafatte (Seine-et-
Oise).
Bastien (Pierre), greffier en chef de la Cour d*appel, 11, me
Désilles.
* Bandot (Jules), industriel à Bar-le-Duc.
* Banffremont (le prince duc de), 87, rue de Grenelle, Paris, VII*.
Banmont, Proviseur du lycée de Beauvais.
* Bazoche, notaire honoraire, à Commercy (Meuse).
' Beanjan (l'abbé), curé de Fléville.
* Beaupré (le comte Jules), 18, rue de Serre.
* Bauzée-Pinsart, sculpteur à Stenay (Meuse).
Bécoart (Eugène), professeur agrégé au Lycée de Nancy, 12, rue
de Toul.
* Bellefond (le colonel do), 6, rue Gallot.
* Benoit-6ény (Auguste), avocat, 49, rue Stanislas.
* Bentz, 17, rue de Nabécor.
* Bergeret, imprimear, 63, rue des Jardiaiers.
* Berlet (Françoit), 8, rue d* Alliance.
* Bernard (Henri), avocat à la Cour, 21, rue Gambetta.
* Bernard de Jandin, ancien magistrat, 16, rue Montesquieu.
* Bernardin (Léon), lieutenaut au 149* régiment d*infanterie â
Spinal .
^ Berthelé, archiviste de THérault, 11, impasse Pages, Montpellier.
* Bertier (Emile), ancien avoué à la Cour d*appel, 21, rue de
Thionville.
* Beitin (Charles), 6, rue Lepois.
^ BertlB (Roger), avocat à la Cour d^appel, 25, rue de la Ravinelle.
* Beugnet (l'abbé), curé de Saint- Nicolas, 42, rue des Qaatre-Egliaes.
* Bibliothé<lue (la) delà Ville de Bar-le-Duc (Meuse). A la Mairie.
Bibliothèque (la) du British Muséum, à Londrea.
* Bibliothèque (la) de la Ville d*Ëpinal.
* Bibliothèque (la) de h Ville de Longwy.
* Bibliothèque (la) de la Ville de Lunéville.
Bibliothèque (la) de 1* Université, Cambridge.
Bigorgne, professeur au lycée Condorcet, 24, rue de Ch&teau-
Landon, Paris, X*.
^ Blzemont (le comte de), ancien officier supérieur, cbâtesu
du Tremblois, par Bouxièresaux-Chênes.
XI
* Blech (Ernest), industriel à Sainte-Marie-anx-Minei (Alsace).
Bloch (J.)» grand Rabbin du Consistoire israélite, 18, rue de
TEquitation.
Blondlot, professeur â la Faculté des sciences, 8, quai Glande-le*
Lorrain.
BoUemont (Alfred de), 30, rue de la Primatiale^ et à Rambervil-
lers (Vosges).
Bonnean (l'abbé), curé de ChBuvency- Saint-Hubert, par Mont-
médy (Meuse).
* Boppe (Auguste), secrétaire d'ambassade, 27, avenue d*Antin,
Pari^, VIII.
Boppe (Lucien), directeur honorHi^re de l'Ecole Nationale de»
Eaux et Forêts, 27, rue de la Commanderie.
* Boppe (Paul), ancien commandant de cavalerie, 40, rue de
Toul.
Bosftert, ancien bijoutier, 18, rae Victor-Hugo.
* Bossn (Louis), avocat général près la Cour d*appel,2, rue Fouc-
ques^ Douai.
* Bœswilwald (Paul), inspecteur général des monuments histo-
riques, 6, boulevard Saint-Michel, Paris, Y*.
Boniliet (l'abbé\ yi^ire à N.-D.. d*AuteniK 4, rue Corot, Paris,
XVI».
Bonr (Charles), propriétaire, 17, cours Léopold.
^ Boar (Edouard), 127, rue Saint- Dizier.
Bonroier (le comte Charles de), au château de Bathelémont-sur-
Seilie, par Mulcey (Lorraine allemande).
* Bourgeois (J.), négociant à Sainte-Marie-aux-Mines (Alsace).
Bourgogne (Frédéric de), â Lamarche (Vosges).
* Bonrgon (Désiré), archit<)cte, élève de l" classe de l'Ecole des
Beiiux-Arts, 6, cours Léopold.
* Boumique (Elle), 46, faubourg Stanislas.
* Boursier (Charles), notaire, 54, rue Saiut-Jean.
* Bouvier (de), 10, rue de la Source.
* Boyé (Pierre), avocat à la Cour d*appel, membre de TAcadémie
de Stanislas, 53, rue Hermite.
* Bretagne (Ferdinand), ancien contrôleur des contributions
directes, 55, rueda la Ravinelle.
* Briot (Fabbé), curé-doyen de la basilique Saint-Epvre, 6, rue
des Loups.
Briqnel (le docteur Paul), préparateur à la Faculté de Médecine,
82, rue de Viller, Lanéville.
* Brnllard (le docteur), château de Qondreville.
Xll
* Braneau (labbé), 16J, rue Je Strasbourg.
Bmjères (Ch. de), avocat, à Remiremont (Vosges). .
* Buffet (Louis), aacien iDgéaiour des Ponts-et-Chauaâéôs. à
PlaiufaiDg (Vosges).
* Buffet (Paul), 13, rue Cassette, Paris, VI«.
* Bnllier, avoué, 50, rue Stanislas.
Bussienne, propriétaire, à Dieulouari.
* Bussière, sculpteur, 0, ruo de Metz.
* Buviguier-Clouet (Mtle Madeleine), 11, ruo Saint-Maur, Verdun
(Meuse).
Gastex (le vicomte Maurice de), ancien officier d*état- major, 6,
rue de Penthièvre, Paris, Vlll».
Cerf, notaire, à Rosières- tiux Salines.
Chapelain, conservateur des forêts on retraite, 11 frts, rue de
Lorraine.
* Chapelier (l'abbé Ch.), curé de Mirecourt (Vosges),
* Gharhonnier, architecte dei Monum'^nts historiques, 37, lue du
faubourg Saint-Jean.
* "Chariot (Alexandre), ancien magistrat, 5, rue des Dominicains.
* Châtelain (Ë.), professeur de philosophie au Lycée, 24, rue de
Boudonville.
* Châtelain (l'abbé), ancien professeur de philosophie, curé dé
Vatimont, par Baudracourt (Als.-L.).
* Chatton (l'abbé Ed.), cuié de Rémenoville, par Gerbéviller.
* Chatton (l'abbé Emile), vicaire à Saiot-Ëpvrd, G, rue des Loups.
* Chenut (Paul), 16, rue de la Ravinelie.
Chepfer (Georges), 53, rue Caulaincourt, Paris, XVIII*.
Chevalier (Roger), 11, rue Salut- Lambert.
Chevallier (l'abbé), ptofeesaur à rinstitmi>n StPierre-Fourîer,
à Lunéville.
* Chevelle, ancien maire, juge de paix de Vaucouleurs (Meuse).
Chevreux (Paul), archiviste du département des Vosges, Epinal.
* Chrétien (Georges), agriculteur à Sfax (Tunisie).
* Chrétien (l« docteur H.), professeur à la F'aculté de médecin^
1 tery place Carnot.
* Christophe (Henri), rentier, 10. ru'^ d'Amer •al,
* Glanché (l'abbé), curé de Blénod-les-Toul.
* Coêtlosqnet (Maurice du), rue Sur-broué, à Rambervilleis
^Vosges).
* Coliez (Emile), docteur ou raédôciue, à Longwy-Bas.
. Colin (l'abbé), curé de Virecourt, par Bayon.
* Colin (rabbé Eugène), curé de Villacourt, par Bayon.
* CoUenot (Félix), ancien magistrat, 10, rue Sainte-Catherine.
* Collesson (Pierre), 47, rue des Tiercelins.
Collet (Emile), lieut.-colonel de territoriale, 38, rue Sain'-Jean.
CoUignon, médecin-nidjor de l'* classe au 25* d'infanterie, 0, rue
de la marine, Cherbourg.
Collignon, professeur à la Faculté des Lettres, membre de'
TAcadémie de Stanislus, 2 6i5, rue Jeanne-d'Ârc.
Comte, ingénieur à Commercy (Meuse).
Cordier (Julien), avocat, ancien député, à Tou).
it Coorcel (Valentin do), 20. rue de Vaugirard, Paris, VI«.
* Conrenr (Bernardio), 20, rue Laflize.
* Crépin Leblond, imprimeur-éditeur, passage da Casino.
CroToisier d*Hnrbache (René de), avocat â la Cour d'appf^l,
1, rue Mably.
Cnny (L*abbé), à Bréménil, parBadonviller.
* Cnré (Pabbé), vicaire à Saint- Epvre, 6, rue des Loups.
Dannreuther, pasteur de TEglise réformée, quai Victor Hugo,
à Bar-le-Duc (Meuse).
Dartein (Vabbé de), ancien professeur à Técole Saint-Sigisbert,
22, rue de Iligny.
* Dartein (Elenri de), 22, rue de Uigny.
Dassigny, comptable, à Mirecourt (Vosges).
David (Louis), à Vaucouleurs (Meuse).
David (Paul), ancien sous-préfet, 4, rue Hermite.
Débnisson (Eugène), à Bayon.
* Déglin (Henri), avocat à la Cour d'appel, membre de TAcadémie
de Stanislas, 79, rue St-Georges.
Degontin (Maurice), château de Remonvaulx, près Bayonville, et
chez Mme de Résie, à Beaune (Côte-d'Or).
Delageneste, capitaine au 5« hussards, rue Palissot.
* Délavai (Albert), à Saint-Max, près Nancy.
Denis (Albert), avocat, maire de Toul, conseiller général de
Meurthe-et-Moselle, à Toul.
Denis (Charles), capitaine au51o régiment d*inf$iQterie, Beauvais
(Oise).
Denis (l'abbé), curé de Réméréville, par Saint-Nicolas de Port.
Denis (Paul), président honoraire du Tribunal, à Toul.
XIV
* Didier -Laurent (rabbé), curé de Montharem-sur-Saône (Vosges).
Didrit (l'abbé Théophile), curé de Charmes la-Côte, par Toal.
Dinago, avocat à la Cour, 9, rue des Carmes.
Diot, aaciea receveur municipal, 2, place Carnot.
* Domgermain (le comte de). S, rue de Lille, Paris, VII'.
Droit, notaire, 26, rue des Carmes.
* Droaet (Charles), 17, rue leabey.
* Dmpt (l'abbé Arthur), professeur au Sémioaire de Glorieux, par
Verdun (Mense).
* Dryander (Edgardi, 84, rue de la Ruvlnelle.
* Dubois (S. G. Mgr), évoque de Verdun.
^Dubuisson (^Fabbé), curé de Marville (Meuse).
Dafonr (Henri), architecte, inspecteur des bâtiments civils au
Cambodge, à Saigon (Indo-Chine).
* Dolan et G<», libraire, 37, Soho-Square, Londres. W.
* Dumast (le baron - Guerrier de), conservateur des forêts en
retraite, 38, place de la Carrière.
* Dumont (Paul)» docteur en droit, bibliothécaire universitaire,
10, place Carnot.
* Durand (G.)» archiviste du département de la Somme, 22, rue
Pierre-l'Hermite, Amiens.
* Duval (Louis), négociant, 27, rue des Ponts.
* Duvemoy (Emile), archiviste du département de Meurthe-et-
Moselle, rue et hôtel de U Monnaie.
* Eauclaire (l'abbé), curé de Rosières-aux-Salines.
* Elie (Georges), capitaine an 6' hussard?, Sézanne (Marne).
* Elie (Robert), inspecteur des forets, à Toul.
* Elie-Lestre, ancien officier de cavalerie, 43, cours Léopold.
* Emond (l'abbé), curé de Flin, par Saint-Clément.
Evrard (Julen), banquier, à Mirecourt (Vosges).
* Favier, conservateur de la Bibliothèque publique, membre de
TAcadémie de Stanislas, 2, rue Jeanne d'Arc.
* Ferry, notaire, à Saint-Loup (Haute-Saône).
Féry (Gustave), à Lexy, par Cons-la Grandville.
Fisson (Charles), industriel à Xeuilley.
* Flayanx (l'abbé Georges), curé à Ménarmont. près Rambervil-
1ers (Vosges).
* Fliche (Paul), profdsseur à l'Ecole forestière, membre de l'Aca-
démie de Stanislas, 9, rue Saint-Dizier.
if Flora nffe (Jules), 21, quai Malaquais, Paris, VI*.
Fontaine (i*abb6), caré de Vrécourt (Vosges).
* Fontaine d*Harnonconrt Unvenagt (le comte Hubert de la),
Chambellan de 5. M. l'Ëmperear d'Autriche, 59, Reisuer
Strasse, Vienne et AUenmarkt, près Eriesting (Basse- Autriche).
Foncanlt (S. 0. Mgr.), évêque de Saint-Dié.
* Fouler de Baconrt (le comte Etienne), 56, me Cortambert,
Paris. XV1«.
* Fonrmann (l'abbé), curé de Villers-en-Haye, par Dieulouard.
* Foomier, docteur en médecine, à Rambervillers (Vosges).
* Fonrnier(P.)f doyen de la Faculté de droit, Il bis, place Victor-
Hugo, Grenoble.
Fringant (fabbé), curé d^AUamps, par Vannes-le-Châtel.
Fringnet (Alphonse), inspecteur de l'Académie de Paris, 62,
rue Claude-Bernard, Paris, V.
* Friot, docteur en médecine, membre de 1* Académie de Stanislas,
11, rue Saint-NicoHs.
* Fnuninet (l'abbé), curé archiprêtre de Saint-Jacques, à Lunéville.
* Galle (Emile), industriel, membre de TAcadémie de Stanislas,
2, avenue de la Oarenne.
Gand (H.), 19, rue de Metz.
* Gandelet (le comte Albert), chambellan de S. S. Pie X, 5frt>y
rue d*Alliance.
Garnier, ancien juge au Tribunal civil, 8, rue de la Source.
Garnier (Jules), professeur à la Faculté de droit, 8, rue Isabey.
Gauthier (Camille\ industriel, 10, rue d'Anxoane.
Gavet, professeur à la Faculté de droit, 52, rue des Tiercelins.
* Gegont (Emile-Bernard), rue Notre-Dame, à Vézelise.
* Gegont (Jules), avoué à la Cour d'appel, 11, rue de la Ravinelle.
* Gegont, conseiller à la Cour d'appel, 21, faubourg Saint-Jean.
* Genay, architecte, inspecteur des édifices diocésains, 5, Terrasse
de la Pépinière.
* Genay (Paul), agriculteur, à Bellevue-Chanteheux, par Lunéville.
Génin (André), capitaine au 26* de ligne, à Toul.
* Gény, entrepreneur, 47, rue Hermite.
* George (Amédée), 13, rue de Metz.
* George (Pabbé), curé de Saint -Max, près Nancy.
* Georgel (Paul), avoué, 25-27, rue de h Source.
Gérard (Albert), avocat à Saint-Dié (Vosges).
Gérard (Charlos), avocat à la Cour, 41, Place de la Carrière.
* Germain (Edouard), 51, rue Isabëy.
^ €mermaîn (Léoû), membre de TÂcadémio de Stanislas, 2C,
' rue Héro.
* Gilbert (l'abbé), curé de Laneuveville-lès-Raou (Vosges;.
* Gillant (l'abbé) , curé d'Auzéville , par Clermoat-eu- Argon ne
(Meuse).
Gimé (Ë.). Beciétaire-gcaéral de la Société lorraine de photogra-
phie, 11, rue des Concourt.
* Gironconrt (de) , conducteur principal des Ponts-et-Chaussées,
9, rue Désilles.
Gœpiert (E.), artiste-peintre, 6, rue d'Amerval.
Gomien (Paul), ancien sous-iotendant militaire, 1, rue Siinte-
Catherine.
* Gossé (rabbé), curé de Benney, par Ceintrey.
A Gourcy (lo comte X. de\ château de Luz, par Baccon {^Loiret}, et
25, IU9 de Grenelle, Pari?, Vil'.
^ Gonry (Georges), avocat à la Cour d'appel, 5, rue des Tiercelins.
* Goury (Gustave), avocat à la Cour d'appel, 5, rue des Tiercelins.
* Goutière-Vernolle (E.), 12, rue des Jardiniers.
* Goayde Bellocq-Feaquières (Albert),aDcien officier d'état-m^jor,
3, rue d*Aliiance.
^ Grandclande (Pabbé), curé de L^xou, près Nancy.
Grosjean ;Henri), libraire, 20, rue Héré.
Gnérin (Edmond), 6, rue des Capucins, à Lunéville.
Guinet (A.), rentier, 8, rue de Serre.
Gutton (Henri), architecte, 10, place Carnot.
* Gnyot (A.), receveur principal des douanes, 43, rue Jeanne-d'Arc.
^ liiayot (Charles), directeur de l'Ecole forestière, membre de
TAcadémie de Stanislas, 12, rue Girardet.
* GyOry de Nadudvar (Arpad de\ archiviste de la Maison Impé-
ri>tile et Royale, à la Hofburg, Vienne (Autriche).
Hacqaard (Henri), commis à la Bibliothèque publique, 18, rue
de Thionville.
Baillant (Nicolas), secrétaire perpétuel de la Société d'émulation
du dépMrteroent des Vosges, 21, place de l'Aire, Epinal.
Haldat du Lys ;Henri de), 36, cours Léopold.
Hamant (l'abbé), professeur au Collège Stanislas, 8, rue Valen-
tin-Hiiûy, Pane, XV".
* Hamonville (le baron Henri d'), au château de Manonville, par
Noviant-aux-Prés.
XTII
Harbnlot (Louia), juge suppléant, à Remiremoat (Vosges).
Harmand (Pabbé), supérieur de rOrpheliaat agricole, à Hiiroué.
Hausen (d'), château de Sainte-Marie, par Biâmont.
* HanssonYille (le comte d*) , de TÂcadémie française , aucien
député, 41, rue Saint- DomiDique, à Paris, VII«.
* Heits, percepteur des contributirius directes, à Vézelise.
* Hémardd'Adigny (Henri), à Belrupt, par Verdun (Meuse).
Hennezel (le comte d*), à Villers-lès -Nancy.
Henriet (Joseph), avocat, U, rue des Michottes.
Henry, professeur à TEcole forestière, 5, rue Lepois.
* Henry (Ernest), 30, faubourg dn Ménil, Sedan.
* Houillon (rabbé), curé de Barbonville, par Blainville-sur-rEau.
Honzelle, instituteur à Montmédy (Meuse).
* Hober (Emile), manufacturier, à Sarreguemines.
* Hnmbert (l'abbé Auguste), directeur du Grand Sémiaaire,
Verdun (Meuse.)
* Humbert-Clande (rabbé), curé de Dom paire (Vosges).
* Hnn ;DamieD), publiciste, 23, rue Jeanne- d* Arc, à Epinal (VosgeF-).
Hntin, propriétaire à Delouze, par Gondrecourt (Meuse).
* Idonx (l*abbé), professeur au petit séminaire de Châtel-sur-
Moselle (Vosges).
* lohmann, bijoutier, 1, rue des Carmes.
Jacques (l'abbé Victor), agrégé de TUniversité, directeur de la
Malgrange, par Jarville.
* Jacqnot (Albert), luthier, 19, rue Gambetta.
Jawon, architecte de la ville, 4, rue des Glacis.
* Jean (l'abbé Louis), curé de Châteauvoué, par Hampont (Lor-
raine).
* Jérôme (l'abbé), membre de l'Académie de^ Stanislas, profes •
seur au Grand Séminaire.
Joybert (le baron G. de), propriétaire, 48, rue Hermite.
A Knecht (Julien), 16, me de Serre.
Knecht (Marcel), 16, rue de Serre.
Koch (Camille), avocat à la Cour, 63, rue Hermite.
* Kœberlé (Mlle Eisa), quai Kléber, Strasbourg.
* Kools (l'abbé), curé de Lorquin (Lorraine).
* Konarski (Wlodimir\ vice-président du Conseil de Préfecture de
la Meuse, Bar-le-Duc.
36
xvrii
Krng-BaBse, conseiller honoraire à la Cour d*appe?, 20, rne de
TouU
Lacaille, avoué à la Cour, 35, place de la Carrière.
* Lacombe (rabbé;, professeur à rinstitution Saiat-Pierre-Foarier,
à Lunéville.
La Lance (le commandant de), 93, place Saint-Qeorges.
* Lallemand (Paul), conseiller honoraire à la Cour d'appel, avenue
du Buis-sLouis, Pau (Basses-Pyrénées).
* Lallemand de Mont (Pierre de), ancien secrétaire général de
Préfecture, 8, rue Isabey.
* Lallement (Léon), 34, cours Léopold.
* Lambel (le comte J. de), an château de FléyiHe.
* Lambertye (de), marquis de GerbéYiller, château de Gerbe-
vil 1er.
A Lambertye (le comte Gaston de), Compiègne (Oise).
* Lamirault (le comte de) , ancien conservateur des forêts, à
Lay- Saint-Christophe.
* Landrian, baron du Montet (le comte de), 17, rne Bailly.
* Lapisse (Charles de), à M ontigny- devant- Sassey, par Dnn-
sur-Meuse.
* Laprevote (Léon), ancien inspecteur des forêts, 14, rue Victor-
Hugo.
ic liftri^ailloB (le commandant), 43, faubourg Saint-Georges.
Laroche (l'abbé), curé de Damas-devant-Dompaire (Vosges).
* La Rnelle (F. de), chef d^eicadron breveté au 29* dragons,
9, place Saint-Quiriace, Provins (Seine-et-Marne).
* Larzillière (Félix), conservateur des Eaux et Forêts, 35, faubourg
Saint-Jean.
* La Tour en VoiTre (le comte de), 30, place de la Madeleine,
Pans, Vill».
Laurens de RonYroy (le comte), à Saint-Mihiel (Mense).
* Laurent (À.)* médecin-major en retraite , rue de Vandeul, i
Saint-Dizier (Haute-Marne).
* Lanrent (P.), architecte, villa des Liserons, Gérardmer (Vasgas).
* Lanrent, maître de conférences à la Faculté des lettres, 30, rue
Jeaune-d'Arc.
* Lanron (F.-H.), employé des Postes et Télégraphes, â Nice.
* Le Bègue de Germiny (le comte Marcel), 41. rue d^Amstfrdam,
à Puris, et château de BéneauviUe, à Bavent (Calvados).
* Leblanc (Henri), marchand d^antiquités, 18, rue Héré.
Leclerc (René), ancien magistrat, 17, rue de la Commanderie.
A Lecomte (Maurice), architecte, 74, rue Charles III.
Ledarlin, doyen honoraire de la Faculté de droit, membre de
l'Académie de Stanislas^ 12 bis, faubourg Stanislaa.
^ IjefcbTre (Henri), contrôleur des contributions directes en
disponibilité , 17, rue de Rigny.
* Lejeune (Albert), avocat, 22, rue de Metz.
* Lemaire (Jules), à Stenay (Meuse).
* L'Escale (Louis de), 1, rue Daval, Montmorency.
L'Espée (le baron Jean de), lieut.-colonel au 9* dragons^ à
Lunévill"».
* Lespine (Louis), avocat à la Cour, 9, rue Callot.
Le Vallois (Henri), bibliothécaire à la Bibliothèque nationale, 57,
rue des Arènes, Paris, V*.
* Lévèqne (l'abbé Louis), vicaire au Val-d'Ajol (Vosges).
* L'Héranle (de ), 27, place de la Carrière.
* L*hAt6 (l'abbé) , professeur au Qrand Séminaire de Saint-Dié
(Vosges).
Lhoillier (l'abbé), curé d'Abreschwiller (Lorraine).
Liébaut (l'abbé), curé d'Outremécourt, par Soulaucourt (Haute-
Marne).
* Liégeois (le docteur), correspondant de l'Académie de médecine,
à Bainville-anx-Saules, par Dompaire (Vosges).
LigniYiUe (le comte Gaston de), 15, rue d'Alliance.
* Loppinet, inspecteur des forêts, 4, rue des Michottes.
Lorta, directeur des contributions indirectes en retraite, 5 bis,
place du Panthéon, Paris, V*.
* Eiomjot (l'abbé), professeur â TEcole Saint-Léopold.
* Loysean du Bonlay (Joseph-Auguste), ancien conducteur des
Ponts-et-Chanssées, à Auzéville, par Clermoct-en-Argonoe
(Meuse).
* Lndre (le comte Ferri de), château de Ludres, à Richardménil,
et 15, avenue Bosquet, Paris, VII*.
* Luxer, président de Chambre à la Cour d'appel, 15, rue Lepois.
Luzoir, surveillant général au lycée Lakanal, à Sceaux (Seine).
Magot, avocat, à Pont-à-Mousson.
* Mahnet (le comte Antoine de), 88, rue Oambetta.
*- Hajorelle (Louis), industriel, 20, rue Saint-Georges.
Malval (le comte J.), 19, place de la Carrière.
* Mandre (René de). 30, rue Condopcet, Paris, IX».
* Mangenot (Fabbé Eug.). professeur à l'Institut catholique,
88, rue du Cherche-Midi, Paris, VI*.
XX
* Mangio (Léon), 63, boulevard de la République, Noisy-l >Sec
(Seine),
Marcot (René), membre du Conseil municipal, 19, rue d« la
Ravinelle.
* Marcot (Léopold), ancien maire de Réméréville, 13, Grande- Rae
Ville-Vieille.
* Margo (Gaspard), membre de la Chambre de commerce, 16, rue
des Tiercelins.
Margon (le comte de), château de Rupt-snr-Othain, par Marville
(Meuse).
* Marichal (Paul), archiviste aux Archives nationales, 15, avenue
de Paris, à Creteil (Seine).
Maringer, maire de Nancy, 36, rue du Faubourg Saint- Jean.
Marquis, sénateur de Meurthe-et-Mosellei 45, rue de Lille,
Paris, VII*.
* Martin (Albert), doyen de la Faculté des lettres, 9, rue Sainte-
Catherine.
* Martin (l'abbé Eugène), docteur ès-lettres, membre de TAcadé-
mie de Stanislas, professeur à l'Ecole Saiut-Sigisbert, 11, place
Carnet.
* Martin (l'abbé Numa), curé d*Ambly, par Troyon (Meuse).
* Martin (Paul), capitaine au 153* d'infanterie, à Toul.
Marton (l'abbé), ancien aumônier militaire, 4, place d'Alliance.
* Martz (René), conseiller à la Cour d'appel, 34, rue des Tier-
celins.
* Marx (Roger), inspecteur des Beaux- Arts, 105, rue delà Pompe,
Paris. XVI».
* Maslat (l'abbé), curé de Chaligny, par Pont-Saint- Vincent.
* Masson (Pierre-Eugène), 9, rue Saint-Nicolas.
Mathieu (S. E. le cardinal), Villa Volskonski, à Rome.
Mathieu (l'abbé), curé de Bernécourt^ par Noviant-aux-Prés.
* Mathieu (Ch.), capitaine en retraite, 21, place de la Carrière.
Mathiot (Paul), 6, rue de Metz.
* Mathia (Camille), propriétaire, 3, rue de Metz.
it Maure (Marcel), avocat, 5, cours Léopold.
* Maxant (Eugène), ancien greffier de chambre à la Cour d'appel,
161, rue Saint-Dizier.
* MaseroUe (Fernand), archiviste de la Monnaie, 2, rue Singer,
Paris-Passy.
Meixmoron de Dombasle (Charles de), membre de l'Académie
Stanislas, 19, rue de Strasbourg.
* Meixmoron de Dombasle (Raoul de), 10, rue des Loups.
XXI
Helin (Gabriel), avocat, chargé de coara à la Faculté de droit,
1, rue de la Visitation.
* Mellier, inspecteur d* Académie en retraite, membre de TAca-
démie de Stanislas, 5, rue des Tiercelins.
Helnotte (rabbé), curé de ChampigneuUds.
^ HeBi^in (Henri), avocat à la Cour d'appel, ancien bâtonnier,
membre de TAcadémie de Stanislas, 49, rue Stanislas.
* Mercier, ancien inspecteur des forêts, 19, rue de Rigny.
Mesmin, ancien magistrat, 6, rue Sainte- Catherine.
Metz-Noblat (Antoine de), membre de l'Académie de Stanislas;
37, cours Léopold.
Hézières (Alfred), sénateur, membre de TAcadémie française,
57. boulevard St-Michel, Paris, V».
llichon (\lfred), général de brigade, à Toul.
* Migette (Armand), à Stenaj (Meuse).
* Millet (Charles), chargé de cours  la Faculté des sciences,
membre de TAcadémie de Stanislas, 1, place Saint-Jean.
Miscault (de), 5, rue d* Alliance.
* Mitry (le comte Henry de), chef d*escadron de cavalerie,
26, faubourg de Paris, à Dole (Jora).
* Montbel (le baron de Thomassin de), sous-inspecteur des forêts,
67, rue de la Kavinelle.
* Montjoie (de), au château de Lasnez, prèn Villers-lès-Nancy.
* Moreau (Adolphe), rue Cirande, à Saiut-Mihiel (Meuse).
^ Morlaineonri (le lieutenant-colonel René de), 14, rue de Chas-
tillon, Châlons-sur- Marne.
MoQgln (Stéphane), Remire mont (Vosges).
Manier, ancien député, à Pont-à-Mousson et 2, rue de la Sor-
binne, Paris, V^
Nachbanr, avoué, 2, rue Germiny, à Mirecourt (Vosges).
Nathan (Lazard), professeur, 23, rue de l'Equitatton.
* Nantrez (l'abbé Victor), curé de Hussigny.
* Nicolas (Maurice), 39, rue de la Bolle, Saiot-Dié (Vosges).
Nicolas (Eugène), avocat â la Cour d'appel, 80, place Saint-
Georges.
* Nicolas (l'abbé J.-P.), curé de Laneuville-sur-Meuse, par Stenay
(Meuse).
* Neël (Lucien), à La Tour, commune de Saint-Max, près Nancy.
Norberg, membre de la Chambre de commerce, 7, rue des
Glacis.
xxn
* Oblata (la Communaaté des PP.\ à Sion, commune de Saxoa-SioOy
par Praye.
Oblet (l'abbé), professeur au Grind Sémiaaire.
Oleire (B. d'), libraird à Strasbourg (Alsace) .
Olivier (Pabbé), professeur au sémiaaire de Gbâtel (Vosges).
Olry (l'abbé), curé-doyen de Haroué.
* Pacotte (A.)f 2, rue de la Monnaie.
* Pange (le comte Maurice de], La Maison- Verte, à SaintrOermain-
ea-Laye (Seine-et-Oise).
^ Paquatte (Tabbé), curé de Groismare, par Marainviller.
Parisel (V.), instituteur en retraite^ à Malaincourt, par Bour-
mont (Haute-Marne).
* Pariset, professeur à la Faculté des lettres, membre de l'Aca-
démie de Stanislas, 105, rue Gbarles III.
^ Parlsol(rabbé), aumônier, 14, rue du Haut- Bourgeois.
Parlsot (^François), conducteur des Ponts-et-Gbanssées, â Vézelise.
* Parisot (Robert), professeur à la Faculté des lettres, 15, rue
Sigisbert-Adam.
* Parpaite (Hippolyte), industriel à Dnn -sur-Meuse.
^ Paul, ancien notaire, 4, rue de la Monnaie.
* Panlua (l'abbé), directeur de la Bibliothèque municipale, à Metz.
Pèlerin (A.), bibliothécaire à la Bibliothèque municipale, 57,
faubourg Saint-Jean.
* Perdrizet, maître de conférences à la Faculté des lettres, 9,
rue Désilles.
* Pernot (l'abbé Charles) ^ vicaire â Saint-Vincent-Saînt-Pîacre,
7, impasse Saint- Vincent.
* Pernot (l'abbé L.), curé de Germiny, par Golombey-les-Belles,
(Meurthe-et-Moselle).
* Pernot (Th.), propriétaire à Tramont-Eiuy, par Vandeléville.
* Perront (René), avocat à Epinal.
Permchot, docteur en médecine, à Mellecey (Siône-et-Loire).
Pescher (l'abbé), licencié es sciences, 68, rue de Toul.
* Petit, receveur de reoregistreraent en retraite, place d'Armes, 15,
à Verdun (Meuec).
* Petit (l'abbé), curé d'Augny, près Metz (Lorraine).
* Pfister, maître de conférences à l'Ecole normale supérieure, 72,
boulevard de Port-Royal, Paris, V«.
* Philippoteaox (Auguste), avocat, 3, rue Thiers, à Sedan.
* Pierlitte (l'abbô), curé de Portieux (Vosges).
Pierron (H.), docteur en médecine, à Pont-â-Mousson.
XIIII
Pillement ^le docteur), 93, place Setint- Georges.
* Pimodan (le marquis de), au château d'Echenay (Haute-Marne),
et 18, rue de rUniversité, Paris, VII».
* Pion (Henri), rédacteur au Contentieux du Crédit foncier, 38,
rue Juliette -Lamber, Paris, XVII*.
* Poirot, conducteur des Ponta-et-Chaussées, Ôl, rue de Metz.
Potier (l'abbé), curé de Varangéville, par Saint-Nicolas.
* Poulet (H f^nry), chef du secrétariat particulier du Président de
la République, 57, faubourg Saint-Honoré, Paris.
Prétot (Fabbé), curé de Buissoncourt, par Saint- Nicolas de Port.
Purnot, conseil 1er de préfecture, 9 bis, rue Hermite.
* Pnton (Bernard), procureur de la République, à Remiremont
(Vosges).
Quintard (Albert), étudiant en médecine, 30, rue Saint-MicheJ.
* Quintard (Léopold), 30, rue Saint-Michel.
Qointard (Lucien), 4, rue Gilbert.
Quintard (Pierre), 30, rue Saint-Michel.
Rampent (E), avoué au Tribunal, 1, me des Michottes.
Rayinel (le baron Charles de), ancien député, au château de Ville,
commune de Nossoncourt, par Hambervillers (Vosges).
Reibel (le docteur), 47, place Dombasle.
* Reibel ^Charles), avocat à la Cour, 47, Place Dombasle.
Remy (le chanoine), 42, rue des Tiercelins.
Remy (Pernand), à Saint-Nicolas-de-Port.
* Remy (Justin-Joseph), 21, rue des Goncourt.
* Renaold (Albert), avoué, à Bar-le-Duc (Meuse).
* Renaold (le chanoine Félix), professeur d'histoire à l'Ecole
Saint-Sigisbert, 54, rue des Quatre-Eglises.
* Renanld, banquier, 21, rue Saint-Dizier.
Renanz, agent-voyer, 137, rue Jeanne-d^Arc.
* Renss, inspecteur des forêts, 7, rue Carnot , Fontainebleau
(Seine-et-Marne).
* Rey (l'abbé), curé de Crépey, par Colombey-les-Belles.
Richard, notaire, 81, Grande-Rue, à Remiremont (Vosges).
* Riston (Victor), avocat, docteur en droit, membre de TAcadémio
de Stanislas, Val-au-Mont, Malzéville.
* Robert (Louis), dessinateur, 15, rue de la Poterne, à Pont-à-
Mousson.
* Robert, fondeur de cloches, 12, rue Pichon.
XXIV
* Robert (Edmond des), 3, me da faubourg Saint-Oeorgaa.
* Robert (F. des), membre de l'Académie de Stanislas, 60, quai
Glaude-le- Lorrain.
Robert, ancien juge au Tribunal civil, 44, rue des Garmee.
* Robinet de Gléry, ancien magistrat, 6 bis, rue du Cloître -Notre-
Dame, Paris, IV«.
Roche dn Teilloy (Alexandre de), professeur honoraire au Lyoéf ,
membre de l'Académie de Stanislas, 5, rue de Rigny.
Rogé (Henry), avocat à la Cour, 5^ rue Stanislas.
Roitel (l'abbé Odile), vicaire à la cathédrale, Verdun (bfeiise).
^ Roseiûot (l'abbé Ëagène), curé de Minorville, par Noviant-
sux-Prés.
Rongieux (Antoni)^ architecte, 5, rue d'Alliance.
* Royer (Paul), imprimeur-litbographe, 3, rue de la Salpêtriére.
ic Rosières (Paul de), à Luné?ille
^ Bozlères (Antoine de), â Mirecourt (Vosges).
^ Ruch (l'abbé Cbarles), professeur au Grand Séminaire.
Sadoul, Premier Président de la Cour d'appel, 29, rue du fau-
bourg Saint-Jean.
^ Sadoal (Charles), docteur en droite directeur particulier de la
Compagnie d'Assurances générales, 29, rue des Carmes.
* Saintignon (le comte F. de), maître de forges, i Longwy-Bas.
* Saint Hillier (Henri de), capitaine au 2* Chasseurs d'Afrique,
â Aïn-Sefra (Sud-Oranais).
* Saint-Joire (René), avocat à la Cour d'appel, 25, rue Saint-Dizier.
* Saint- Pierremont (le baron de Finie de), château du Corps-de-
Garde, à la Gelle-Saint-Avant, par la Haye- Descartes (Indre-
et-Loire) .
Saint-Vincent (le baron de), juge honoraire, à Saint-Mihiel
(Meuse).
Salmon-Legagnenr (Paul), avocat à la Cour d'appel, Il bis, rue
Portails, Paris, VIII».
Schacken (Lucien de), élève du Service de santé de la marine,
46, route de Toulouse, Bordeaux.
Schandel, receveur principal des douanes, place du Palais àe
Justice, â Chambéry.
Schmidt (Ernest), maître de verreries, â Vannes -le-Châtel.
A Schneider, avoué honoraire à la Cour d'appel, 18, rue de la Ravi-
noUe.
Seichepine, organiste et professeur de musique, Château-Salini
(Lorraine).
XZY
A Seillière (le baron Léon), 41, avenue de TAlma, à Paris, YIII*.
* Sibille (rabbôy, curé de Saint-Julien-lès-Metz (Lorraine).
^ Sidot (Nicolas), libraire, 3, rue Rangraff.
Simonin (André), 44, rue de Metz .
Simonin (Armand;, avocat à la Cour d*appel 3, rue du Dôme»
Paria .
* Spillmann (le docteur), professeur à la Faculté de médecine,
40, rue des Carmes.
* Staat, libraire de la Bibliothèque publique do Strasbourg^ 27,
rue des Serruriers, Strasbourg (1. Ë.).
* Staemmel (l'abbé), secrétaire général de TEvêché, 4, place
Stanislas.
Stainville (Edmond), président de chambre honoraire à la
Cour d*appel, 8, place Carnot.
* StratenPonthoz (le comte van der), membre de T Académie de
Meiz, 23, rue de la Loi, à Bruxelles (Belgique).
* Thiauconri (Paul), étudiant endroit, Remiremont.
Thomas (Gabriel), conseiller à la Cour d*appel, secrétaire
perpétuel de l'Académie de Stanislas, 82, rue Stanislas.
* Thomas (Stanislas), 80, rue Charles III.
Thomassin (Vabbé), vicaire général de Saint-Dié (Vosges).
Thonvenin (A.)* ancien notaire, 29, rue des Carmes.
* ThouTonin (Paul), à Rosières-aux-Salines.
* Thonvenin (le docteur), maire de Vézelise.
* Trancart, ancien préfet, 27, rue Sainte-Catherine.
* Trousset (A.), conservateur des hypothèques en retraite, 24, rue
Saint-Dizier.
* Tnrinaz (S. G. Mgr), évêque de Nancy et de Toul, 4, place
Stanislas.
Vagner (René), libraire-éditeur, 8, rue du Manège.
* Vanat (Fabbé), curé de Sommerviller, par Dombasle-sur-
Meurthe.
* Velches (rabbé). curé de Saulmory, par Dun (Meuse.)
^ Vernéville (Louis Hnin de), avocat, 74, rue du Cherche-Midi, Pa-
ris, et à Corbusson-Saint-Berthevin (Mayenne).
* Viansson-Ponté (l'abbé Paul), curé de Haucoûrt, par Longwy-
Bas.
Vienne (Henri de), ancien magistrat, 6, rue d'Alliance.
* Vienne (le colonel Maurice de), membre de l'Académie de Sta-
nislas, 1, rue d'Allianco.
37
XXVI
Tienne (Maurice de), 6, rue d'Alliance.
* Viard (le baron Paul), 1 quater, place Garoot.
* Viller (le docteur), à Toul.
* Voinot (le docteur), à Haroué.
* Warren (1® comte Lucien de\ ancien commandant d*artillerie,
3, place de 1* Arsenal,
* Watrinet, instituteur en retraite, 25, rue du Bastion.
* Wéber (l'abbé), directeur de TŒuvre des Alsaciens- Lorrains,
6, rue des Loups.
^ ^^ieaer (Lucien), 84, rue de la Rayinelle.
* Wolfram (le docteur), directeur des Archives, à Metz.
Xardel, ancien président de la Chambre de commerce, à Mal-
zéville.
Xardel, lieutenant-colonel au 149' régiment d'infanterie, à Epinal.
* Zœpffel (Edgard), ancien vice -président du Conseil de Préfecture
3, place Carnot.
* Zeiller (Paul), industriel, 47, rue Charles- Laffite, Neuilly-sur-
Seine (Seine).
Membres corresponclants
Herluison) conservateur da Musée Jeanne- d^Arc, à Orléans
(Loiret) .
Jadart (Henri), secrétaire général do TAcadémie de Reims»
Jnillac (le vicomte de), ancien officier supérieur, secrétaire de
TAcadémie de Toulouse (Haute-Garonne).
Lory, bibliothécaire archiviste de la Commission archéologiqae de
la Côte-d'Or, à Dijon.
Wenreka (Van), secrétaire de la section historique de Tlnstitut
Grand-Ducal, à Luiembourg.